NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/95/D/1551/200728 avril 2009

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-quinzième session16 mars-3 avril 2009

DÉCISION

Communication n o  1551/2007

Présentée par:

Moses Solo Tarlue (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

12 mars 2007 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 3 avril 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

27 mars 2009

Objet: Arrestation illégale; détention arbitraire et menace d’expulsion vers le Libéria

Questions de fond: Discrimination fondée sur l’appartenance à un groupe social; droit de ne pas être soumis à un traitement ou une peine cruels, inhumains ou dégradants; arrestation et détention arbitraires; droit à indemnisation; liberté de quitter tout pays; droit de se défendre soi‑même ou par l’intermédiaire d’un avocat

Questions de procédure: Épuisement des recours internes; griefs non étayés; incompatibilité ratione materiae; réévaluation des constatations de fait et des preuves

Articles du Pacte: 2, 7, 9 (par. 2, 3 et 5), 12 (par. 2), 14 (par. 3 d) et e))

Articles du Protocole facultatif: 2, 3, 5 (par. 2 b))

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-quinzième session

concernant la

Communication n o 1551/2007**

Présentée par:

Moses Solo Tarlue (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

12 mars 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 27 mars 2009,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication est Moses Solo Tarlue, Libérien, né le 12 août 1968. Il se déclare victime de violations par le Canada de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l’article 7, des paragraphes 2, 3 et 5 de l’article 9, du paragraphe 2 de l’article 12 et des paragraphes 3 d) et e) de l’article 14. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 19 mai 1976. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 3 avril 2007, le secrétariat a informé l’auteur que le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, avait décidé de ne pas demander de mesures provisoires de protection en application de l’article 92 du Règlement intérieur. L’auteur a été expulsé vers Monrovia (Libéria) le 24 avril 2007.

1.3Le 15 août 2007, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a décidé, au nom du Comité, que la question de la recevabilité serait examinée séparément de celle du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur, qui appartient à la tribu des Krahns, a travaillé pour la Police nationale libérienne de 1988 à 1990 puis a été sélectionné pour être membre de la force de sécurité d’élite du Président. Après la chute du régime du Président Doe, il s’est mis dans les affaires; il est arrivé au Canada le 25 octobre 2004 et a demandé le statut de réfugié le jour même. Sa demande a été renvoyée à la Section de la protection des réfugiés (SPR). Le 14 novembre 2005, cet organe s’est réuni pour évaluer la demande de protection de l’auteur. Pendant cette audience, un agent de l’immigration a dit à l’auteur que les membres de la tribu des Krahns du défunt Président Doe ayant servi dans son gouvernement ne pouvaient pas vivre au Canada car ils étaient responsables du déclenchement de la guerre civile au Libéria.

2.2Le 7 décembre 2005, la SPR a déclaré que l’auteur avait pris part à des crimes de guerre et à des crimes contre l’humanité et, par conséquent, en application de l’article premier F) de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, l’a exclu de la définition des réfugiés et de la catégorie des personnes ayant besoin de protection. Dans sa décision, la SPR a indiqué notamment que l’auteur avait été associé à la force de police libérienne pendant presque l’intégralité du mandat du Président Doe, qu’il avait gravi rapidement les échelons jusqu’à diriger un département et avoir 180 personnes sous ses ordres et qu’il avait été chargé des opérations d’urgence et des investigations à Monrovia. Elle a aussi établi que l’auteur avait été garde de la sécurité à l’Executive Mansion, le palais présidentiel, et avait été choisi pour ce poste non seulement parce qu’il était un Krahn, comme le Président Doe, mais aussi parce qu’il était le confident de l’ancien Président. Il était ajouté dans la décision que, certes il n’y avait peut‑être pas d’élément concret prouvant que l’auteur avait du sang sur les mains mais il y avait des preuves irréfutables montrant que toutes les forces de sécurité sous le régime du Président Doe s’étaient rendues coupables de crimes contre l’humanité.

2.3L’auteur n’a pas demandé le réexamen judiciaire de la décision devant la Cour fédérale du Canada parce que son avocat, qui avait été recommandé par le service de l’aide juridictionnelle, l’avait informé que le dépôt des recours n’entrait pas dans ses attributions.

2.4Depuis décembre 2005, après la décision de la SPR, l’auteur a demandé à maintes reprises au Bureau de l’immigration à Toronto qu’on lui rende son passeport afin de lui permettre de quitter le Canada pour tenter de se réinstaller aux États-Unis avec sa famille. Les autorités d’immigration ont demandé aux autorités des États-Unis la garantie que l’intéressé obtiendrait un visa avant de lui rendre le passeport. Le Gouvernement des États-Unis de son côté a demandé aux autorités d’immigration canadiennes une lettre indiquant la date à laquelle l’auteur devait quitter le Canada, avant de pouvoir donner une garantie de visa.

2.5Le 10 novembre 2006, l’auteur s’est rendu au Bureau de l’immigration à Toronto pour aller chercher cette lettre. Quand il est arrivé, il a appris qu’il était en état d’arrestation parce qu’il était soupçonné de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Comme les agents chargés de l’arrêter ne lui ont pas présenté de mandat, il a résisté. Un des agents est parti et est revenu une heure plus tard avec un mandat, expliquant qu’il y avait eu un malentendu parce que le dossier se trouvait à Montréal. L’auteur a alors été conduit au centre de détention de Metro West à Toronto. Les motifs de l’arrestation figurant sur le mandat d’arrestation étaient les suivants: participation à des crimes de guerre et à des crimes contre l’humanité et menaces de mort sur la personne d’un agent, faits que l’auteur nie en bloc. L’auteur a été placé pendant une semaine dans une cellule pour détenus souffrant de maladie mentale, où il aurait été frappé au visage de façon répétée par un autre détenu. Sur recommandation d’un psychiatre, il a été ensuite transféré dans une cellule ordinaire. Plus tard, il a été placé à l’isolement pendant neuf jours à la demande des agents de l’immigration qui ne voulaient plus qu’il les appelle pour demander où en était son affaire.

2.6L’auteur a reçu trois lettres signées d’un sénateur du nom de Mobutu Vlah Nyenpan, de la Commission des droits de l’homme et des requêtes du Sénat libérien, qui affirmait qu’il n’y avait pas de dossier le mettant en cause dans des crimes de guerre pendant la guerre civile du Libéria et ajoutait que l’auteur risquait sa vie s’il était expulsé vers le Libéria en raison des accusations de crimes de guerre portées contre lui au Canada. M. Nyenpan précisait dans la troisième lettre que le placement en détention de l’auteur pour avoir prétendument commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité créait «de l’animosité au sein de la société libérienne» (sic).

2.7Le 15 novembre 2006, l’auteur a été avisé qu’il serait expulsé du Canada. Le 30 novembre 2006, il a déposé une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) accompagnée du dossier nécessaire. Le 16 janvier 2007, sa demande a été rejetée parce qu’il n’avait pas été établi qu’il était personnellement en danger au Libéria. L’auteur ne s’est pas pourvu devant la Cour fédérale pour obtenir l’autorisation de demander un réexamen judiciaire de cette décision parce qu’il en avait reçu copie seulement le 31 janvier 2007, c’est-à-dire le dernier jour du délai d’appel, et aussi parce que le texte de la décision relative à l’examen des risques avant renvoi ne précisait pas que le délai d’appel était de quinze jours.

2.8Le 24 mars 2007, l’auteur a été transféré dans une prison de sécurité maximale à Lindsay (Ontario) en attendant d’être expulsé vers Monrovia.

2.9Le 25 avril 2007, l’auteur a été expulsé vers le Libéria où il a été placé en détention immédiatement après son arrivée parce que son expulsion se fondait sur des accusations de crimes de guerre. Les autorités libériennes ont établi qu’il n’avait pas commis de crimes de guerre et l’ont donc libéré le 29 avril 2007 sur parole («sur signature»).

Teneur de la plainte

3.1En ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, l’auteur fait valoir que les propos de certains agents du Département de l’immigration, qui ont déclaré que les membres de la tribu krahn du Président Doe ne devaient pas pouvoir vivre au Canada, sont discriminatoires et racistes. Il signale qu’il y a d’autres membres du Gouvernement de l’ancien Président Doe qui ont obtenu le statut de réfugié au Canada et il donne des exemples.

3.2Dans sa plainte initiale et avant son expulsion vers le Libéria, l’auteur avait fait valoir que son retour forcé au Libéria constituerait une violation de l’article 7 du Pacte. Il avait indiqué que pendant la guerre civile il avait été spécifiquement pris pour cible et que sa femme et ses parents avaient été exécutés uniquement parce que l’une était son épouse et les autres étaient ses parents et que ces derniers appartenaient à la même tribu. Il avait quitté le pays pour trouver un refuge pour sa famille. Il avait dit que tout le monde savait qu’il a été accusé d’être un criminel de guerre et qu’il avait été détenu au Canada, que cette information avait été diffusée sur les antennes de la radio libérienne et que par conséquent sa vie ou son intégrité personnelle seraient menacées s’il était renvoyé de force au Libéria. Il avait affirmé que le danger proviendrait à la fois de la population en général et des factions qui avaient combattu contre la tribu de l’ancien Président.

3.3L’auteur invoque aussi une violation de l’article 7 du Pacte parce qu’il a été placé dans une cellule réservée aux personnes souffrant de troubles mentaux où un autre détenu l’a agressé et que plus tard il a été placé à l’isolement pendant neuf jours. Il ajoute qu’il est resté en détention près de cinq mois parce qu’on lui a refusé la libération conditionnelle sous prétexte qu’il était considéré comme dangereux pour la collectivité, alors qu’il avait vécu pendant deux ans au Canada sans le moindre incident à part son refus d’obtempérer quand on l’avait arrêté sans mandat.

3.4L’auteur se dit victime d’une violation des paragraphes 2 et 3 de l’article 9 du Pacte parce que les agents canadiens ont voulu l’arrêter, sans mandat, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité et l’ont placé en détention sans qu’il ait été reconnu coupable de tels crimes. Il ajoute qu’il a été victime d’une arrestation et d’une détention illégales et qu’il devrait donc recevoir une indemnisation, comme le prévoit le paragraphe 5 de l’article 9.

3.5L’auteur fait valoir qu’après le rejet de sa demande de statut de réfugié, les agents de l’immigration canadiens ont refusé de lui rendre son passeport et de l’autoriser à quitter le pays, en violation du paragraphe 2 de l’article 12.

3.6L’auteur affirme qu’il y a eu violation du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte parce qu’au Canada l’aide juridictionnelle n’est pas assurée pour les procédures d’appel dans les affaires de demande d’asile. C’est pourquoi l’auteur n’a pas pu former un recours contre la décision prise par la SPR de l’exclure de la définition du réfugié donnée dans la Convention et du bénéfice du statut des personnes ayant besoin d’une protection. L’aide juridictionnelle lui a également été refusée pour les audiences consacrées à l’examen de la légalité de sa détention et il est resté détenu près de cinq mois sans avoir pu bénéficier d’une libération conditionnelle, en violation du paragraphe 3 d) de l’article 14.

3.7L’auteur invoque aussi une violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 pour avoir été accusé à tort, par le Canada, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité alors qu’il n’a jamais été accusé de tels crimes par le Libéria ni par un quelconque tribunal international. Il affirme qu’il n’a jamais indiqué dans la notice de renseignements personnels destinée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qu’il appartenait à la garde de sécurité présidentielle et qu’il avait 189 hommes sous ses ordres dans le Département chargé des enquêtes à la Police nationale du Libéria, comme il est signalé dans la décision de la SPR.

3.8L’auteur se plaint aussi en termes généraux des conséquences affectives et financières que sa détention a eues pour ses enfants.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Par une note datée du 6 juillet 2007, l’État partie conteste la recevabilité de la communication. Il précise qu’en octobre 2004 l’auteur a quitté le Libéria et s’est rendu en Chine puis en Angleterre, pour finalement arriver à Toronto le 25 octobre 2004. L’auteur était en possession d’un passeport libérien valide mais en a utilisé un faux pour se rendre au Canada. Par conséquent, un agent d’immigration a signé, le 25 octobre 2004, une mesure d’interdiction de séjour parce qu’il y avait des motifs de croire que l’auteur ne pouvait pas être admis au Canada puisqu’il ne disposait pas d’un visa d’entrée valide comme l’exige la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. L’exécution de la mesure d’interdiction de séjour a été automatiquement suspendue jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande de statut de réfugié présentée par l’auteur. Le même jour, la demande de l’auteur a été transmise à la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et son passeport libérien a été confisqué conformément à l’article 140, paragraphe 1, de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Entre-temps, l’auteur a déposé une demande de visa d’étudiant, qui a été rejetée le 13 décembre 2004. La SPR a rendu sa décision sur la demande de statut de réfugié le 7 décembre 2005 et l’a notifiée à l’auteur et à son conseil le 13 décembre 2005. Le 12 avril 2006, l’auteur a demandé que son passeport lui soit rendu afin de pouvoir se rendre au Japon pour affaires. La demande a été rejetée par les autorités d’immigration, qui avaient besoin du passeport pour procéder à l’expulsion de l’auteur. Quand l’auteur a été exclu du bénéfice de la protection des réfugiés en vertu de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’ordre d’éloignement est devenu exécutoire et l’auteur a été convoqué à un entretien préalable à l’expulsion prévu pour le 19 mai 2006, auquel il ne s’est pas présenté. Un mandat d’arrestation a été délivré, le 24 août 2006, parce qu’il était peu probable que l’auteur vienne aux autres entretiens prévus. Le 10 novembre 2006, l’auteur s’est présenté spontanément au Bureau de l’immigration à Mississauga (près de Toronto), apparemment pour réclamer son passeport ou obtenir d’autres documents qui lui permettraient d’aller aux États‑Unis. Les services chargés de l’exécution des mesures d’immigration ont alors procédé à l’exécution du mandat d’arrestation étant donné que la mesure d’interdiction de séjour était en vigueur. L’auteur s’est montré extrêmement peu coopératif et a proféré des menaces, raison pour laquelle un mandat de détention a été délivré car l’agent avait la conviction que l’auteur ne se présenterait pas aux prochains entretiens vu qu’il n’avait pas jusqu’alors respecté les lois sur l’immigration et qu’il avait des tendances violentes. La première audience d’examen de la détention a eu lieu le 14 novembre 2006 et a été suivie par six autres: les 21 novembre et 19 décembre 2006, les 16 janvier, 13 février, 13 mars et 13 avril 2007. L’auteur était représenté par un conseil à la plupart de ces audiences.

4.2L’État partie conteste la recevabilité au motif que certains des droits invoqués ne sont pas protégés par le Pacte et que les griefs sont incompatibles ratione materiae. Subsidiairement, l’État fait valoir que la communication dans son ensemble est irrecevable parce que les griefs ne sont pas étayés et qu’elle est manifestement dénuée de fondement. Subsidiairement encore, la communication est réputée irrecevable parce que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles. L’État partie fait valoir aussi que l’auteur ne peut pas demander au Comité d’agir comme un organe «du quatrième degré» et de procéder à une nouvelle appréciation des constatations faites par des organes de décision internes compétents et impartiaux.

4.3Pour ce qui est du grief de violation des paragraphes 3 d) et e) de l’article 14, et même si l’auteur ne les a pas soulevés quand il était entendu par les autorités compétentes, l’État partie objecte que les audiences d’examen de la détention relèvent de la «procédure d’immigration» et que, étant donné que l’article 14 contient des garanties applicables à une procédure pénale, l’auteur revendique des droits qui ne s’appliquent pas aux procédures d’immigration. L’État partie conclut donc que cette partie de la communication est irrecevable ratione materiae. Subsidiairement, il fait valoir que l’auteur n’a manifestement pas étayé le moindre grief de violation des paragraphes 3 d) et e) de l’article 14, y compris en ce qui concerne le fait qu’il n’aurait pas bénéficié de l’assistance d’un conseil.

4.4L’État partie fait valoir que l’auteur n’a étayé aucun de ses griefs et que la communication devrait être déclarée irrecevable pour cette raison. En ce qui concerne le grief de violation de l’article 7, il relève que la question du risque encouru a été examinée par l’agent chargé d’évaluer les risques avant renvoi, qui a conclu que les éléments dont il disposait ne montraient pas de façon probante que la vie de l’auteur serait en danger ou que celui‑ci ci risquait d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels ou inusités s’il était renvoyé au Libéria. De plus, aucun élément n’avait été apporté pour montrer que le Gouvernement libérien actuel s’intéressait effectivement aux personnes qui avaient été associées à l’ancien Président ou à son régime. Contrairement aux affirmations de l’auteur, l’État partie dit que les lettres que l’auteur a produites lors de l’examen des risques avant renvoi indiquent que le Gouvernement libérien actuel ne s’intéresse pas aux liens de l’auteur avec l’ancien Président.

4.5En ce qui concerne les griefs de violation de l’article 7, l’État partie note que premièrement, la SPR a établi dans sa décision qu’il existait des motifs raisonnables de croire que l’auteur était complice de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. L’État partie objecte que quand le parlementaire libérien a confirmé qu’il n’y avait pas de dossier mettant en cause l’auteur dans la «commission de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité», il s’agissait d’une question différente. En fait, aux fins d’une demande de statut de réfugié, contexte dans lequel la SPR a conclu à la complicité de l’auteur, le fait que celui‑ci ci n’ait pas été inculpé ni jugé pour crimes de guerre ou crimes contre l’humanité, au Canada ou au Libéria, n’est pas pertinent. Deuxièmement, l’auteur a été arrêté et placé en détention par les autorités d’immigration canadiennes non pas en raison de sa participation présumée à des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité mais parce qu’il ne s’était pas présenté à un entretien préalable au renvoi et qu’il avait eu ensuite un comportement violent à l’égard des agents de l’immigration. Troisièmement, l’auteur a été expulsé et renvoyé au Libéria parce qu’à l’issue des procédures internes, dont il n’a pas été démontré qu’elles aient été entachées d’irrégularités, il a été établi qu’il ne risquait pas d’être soumis à la torture dans ce pays.

4.6L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas étayé, même par un commencement de preuve, ses allégations générales relatives à la discrimination (art. 2), à l’arrestation et à la détention arbitraires (art. 9), au droit de quitter le Canada (art. 12), aux mauvais traitements ou torture subis pendant la détention (art. 7), à l’insuffisance de l’aide juridictionnelle (art. 14), au refus d’octroyer la libération conditionnelle (art. 14), à la souffrance de ses enfants (aucun article n’est invoqué) ou au droit à indemnisation pour l’arrestation et la détention illégales. À part de simples affirmations, l’auteur n’a guère apporté d’éléments pour étayer ses différents griefs, ce qui fait qu’il est impossible de répondre à aucune des allégations ou d’en apprécier le fond. Il a eu toute possibilité pour exposer en détails ses griefs pendant les six audiences consacrées à l’examen de la légalité de sa détention. L’État partie fait valoir qu’en l’absence de détails et de dates au sujet des incidents allégués, il ne peut pas raisonnablement répondre aux allégations telles que le fait que l’auteur ait été frappé au visage par un autre détenu, qu’il a été placé à l’isolement pendant quelques jours et qu’il s’agit d’une souffrance et de douleurs sévères ou d’un traitement suffisamment grave pour être considéré comme contraire à l’article 7. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité et rappelle que celui‑ci ci a indiqué qu’il n’examinait pas des griefs de violation abstraits ou non étayés. L’État partie conclut que les griefs figurant dans la communication ne sont pas étayés, même par un commencement de preuve, et devraient être déclarés irrecevables.

4.7Enfin, l’État partie fait valoir que l’auteur ne s’est pas prévalu de plusieurs recours judiciaires et administratifs qui lui étaient ouverts. Dans sa décision, la SPR indiquait qu’il était possible de demander un contrôle juridictionnel, sur autorisation, auprès de la Cour fédérale, mais l’auteur ne l’a pas fait. Au lieu de cela, son conseil, qui semble avoir été nouvellement engagé par l’auteur, a déposé une demande d’autorisation de recours contre la mesure d’interdiction de séjour délivrée le 25 octobre 2004, qui a été rejetée parce qu’il n’avait pas déposé le dossier nécessaire. L’auteur aurait également pu demander l’autorisation de faire réexaminer la décision concernant l’évaluation des risques avant renvoi par la Cour fédérale mais ne l’a pas fait non plus, en arguant qu’il n’avait pas eu assez de temps alors que son conseil aurait très bien pu obtenir un report de la date limite pour déposer la demande. De plus, l’auteur aurait pu faire une demande pour raisons humanitaires, action que le Comité a considérée comme représentant un recours interne utile. L’auteur aurait pu également demander le contrôle juridictionnel de la décision prise à l’issue des audiences d’examen de la légalité de la détention mais ne l’a pas fait. L’État partie invoque la jurisprudence du Comité selon laquelle les auteurs de communication sont tenus de respecter les règles de procédure, notamment les délais applicables à l’épuisement des recours internes, sous réserve que les restrictions soient raisonnables. Il objecte que la raison avancée par l’auteur pour expliquer qu’il a laissé passer la date limite pour déposer une demande d’examen juridictionnel de la décision rendue après l’examen des risques avant renvoi n’est pas plausible étant donné qu’à l’époque il était représenté par un conseil, et qu’il y a eu simplement un manque de diligence de la part de l’auteur. L’auteur n’a pas montré en quoi un délai d’appel de quinze jours était injuste ou déraisonnable. Pour ce qui est de son traitement en détention, l’auteur aurait pu faire part de ses différents griefs, notamment des mauvais traitements éventuels, à l’une des différentes audiences convoquées pour examiner la légalité de sa détention, puis demander un examen juridictionnel s’il le souhaitait. Il en va de même pour certains de ses autres griefs, notamment l’allégation de discrimination dans son exclusion du bénéfice de la protection des réfugiés et l’allégation relative à une indemnisation qui lui serait due pour arrestation et détention illégales. Ces griefs auraient pu être soulevés soit dans le contexte de l’examen juridictionnel soit en engageant des actions en justice sur le fondement des dispositions législatives qui correspondent à ses griefs au titre du Pacte, c'est‑à‑dire les articles 9 et 15, paragraphe 1, de la Charte canadienne des droits et libertés.

Commentaires de l ’ auteur sur les observations de l ’ État partie concernant la recevabilité

5.Dans une lettre du 23 juin 2008, l’auteur répète toutes ses allégations et en ajoute de nouvelles. Il affirme avoir été expulsé du Canada le 25 avril 2007, via l’Allemagne et la Belgique, par deux agents de l’immigration qui ont présenté aux autorités belges et allemandes des copies de son passeport et l’ont désigné comme un «criminel de guerre». Il explique qu’à son arrivée à Monrovia, il a été incarcéré pendant deux jours puis remis en liberté. Il affirme qu’il devrait être autorisé à retourner au Canada pour s’occuper des activités commerciales de la société qu’il possède au Canada et qui est enregistrée dans la province de l’Ontario. Il ajoute que pendant les quatre années où il a vécu au Canada avant d’être expulsé il a toujours été respectueux de la loi. De plus, à cause du danger qui pèse sur eux depuis les fausses allégations de crimes de guerre, relayées par la radio libérienne, ses enfants et ceux de son frère décédé ont été obligés de quitter le pays pour se mettre en sécurité.

Observations supplémentaires de l ’ État partie

6.1Dans une note du 25 septembre 2008, l’État partie revient sur le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 12 du Pacte et fait valoir que les États n’ont aucune obligation d’admettre les étrangers sur leur territoire. Le Pacte ne contient pas davantage un droit qu’auraient les étrangers de faire des affaires sur le territoire d’un autre État. Par conséquent l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas apporté le moindre élément pour étayer son grief de violation de l’article 12 et donc que cette partie de la communication est irrecevable.

6.2En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 7, l’État partie réaffirme que l’auteur n’a apporté aucun élément à l’appui de ce grief. Il souligne qu’à aucun moment l’auteur n’a mentionné les mauvais traitements ou les actes de torture qu’il aurait subis quand il était aux mains des autorités libériennes. Il réaffirme également que, avant que l’auteur ne soit expulsé vers le Libéria, il avait été établi qu’il ne courait pas un risque réel d’être soumis à la torture ou à un traitement ou une peine cruel, inhumain ou dégradant s’il était expulsé.

Délibérations du Comité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication dans son ensemble.

7.3En ce qui concerne les griefs de violation de l’article 2 du Pacte, le Comité rappelle que les dispositions de cet article, qui énonce des obligations générales pour les États parties, ne peuvent pas en soi et à elles seules donner lieu à une plainte dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif. Le Comité considère que l’auteur n’a pas matière à grief au titre de cet article et que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.4En ce qui concerne le grief de violation de l’article 7, le Comité rappelle que les États parties ont l’obligation de ne pas extrader, expulser ou refouler une personne vers un pays où elle court un risque réel d’être torturée ou soumise à une peine ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Il relève que la SPR a examiné la demande d’asile de l’auteur et l’a rejetée en invoquant la clause d’exclusion de l’article premier F a) de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Il note en outre que la demande d’examen des risques avant renvoi a été rejetée le 16 janvier 2007. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que c’est généralement aux juridictions des États parties au Pacte qu’il appartient d’apprécier les faits et les preuves dans un cas déterminé, sauf s’il peut être établi que l’appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Il rappelle que cette jurisprudence a été appliquée également aux procédures d’expulsion. Les éléments portés à la connaissance du Comité sont insuffisants pour montrer que la procédure devant les autorités de l’État partie a été entachée de telles irrégularités. En conséquence le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses griefs de violation de l’article 7 et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5Pour ce qui est de l’allégation de violation de l’article 7 relativement aux conditions de détention de l’auteur, le Comité a pris note de l’argument de l’État partie qui affirme que l’auteur n’a soulevé cette plainte à aucune des audiences consacrées à l’examen de la légalité de sa détention. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que la règle de l’épuisement des recours internes, qui permet à l’État partie de réparer une violation alléguée avant que la même question ne soit soumise au Comité, oblige les auteurs à soulever devant les juridictions nationales les questions de fond présentées au Comité. Notant que l’auteur n’a pas avancé le grief de violation de l’article 7 relatif à ses conditions de détention devant les juridictions nationales, le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.6En ce qui concerne les griefs de violation de l’article 9, le Comité note que l’auteur n’a pas contesté la réponse de l’État partie qui a affirmé qu’il y avait eu six examens de la légalité de sa détention dont aucun n’a fait l’objet d’un appel. Le Comité note de plus que l’auteur n’a pas montré en quoi son placement en détention avant l’expulsion devrait être réputé illégal ou arbitraire. Il conclut donc que les griefs tirés de l’article 9 n’ont pas été suffisamment étayés, aux fins de la recevabilité, et sont donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.7Pour ce qui est des griefs de violation de l’article 12, le Comité note que, conformément au paragraphe 3 dudit article, le droit d’une personne de quitter un pays peut être l’objet de restrictions dans certaines situations bien précises. Il note en outre que l’auteur n’a pas répondu à l’argument de l’État partie selon lequel son passeport lui avait été confisqué en application du paragraphe 1 de l’article 140 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, aux fins de procéder à son expulsion en application de cette même loi. Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, le Comité conclut que l’auteur n’a pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité les griefs tirés de l’article 12 du Pacte et que ceux-ci sont donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.8.Pour ce qui est des griefs de violation des paragraphes 3 d) et e) de l’article 14 du Pacte, le Comité note que l’auteur n’a pas été inculpé ni reconnu coupable d’une infraction pénale dans l’État partie et que la décision de l’expulser n’a pas constitué une sanction prononcée à l’issue d’une procédure pénale. Il rappelle que la procédure d’expulsion engagée à la suite du refus d’accorder l’asile ne constitue pas une «décision sur une accusation en matière pénale» au sens de l’article 14 du Pacte et conclut que la plainte relative aux paragraphes 3 d) et e) de l’article 14 est irrecevable ratione materiae, en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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