Nations Unies

CCPR/C/JOR/CO/4

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.: générale

18 novembre 2010

Original: français

Comité des droits de l’homme

Centième session

Genève, 11-29 octobre 2010

Examen des rapports soumis par les États parties conformément à l’article 40 du Pacte

Observations finales du Comité des droits de l’homme

Jordanie

1.Le Comité des droits de l’homme a examiné le quatrième rapport périodique de la Jordanie (CCPR/C/JOR/4) à ses 2748e et 2749e séances (CCPR/C/SR.2748 et 2749), qui se sont tenues les 13 et 14 octobre 2010. À sa 2768e séance (CCPR/C/SR.2768), tenue le 27 octobre 2010, il a adopté les observations finales suivantes.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le quatrième rapport périodique de l’État partie soumis, toutefois, avec douze ans de retard ainsi que les renseignements sur les mesures adoptées et les projets de révision de la législation visant à renforcer la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Comité remercie également l’État partie pour les réponses écrites qu’il lui a communiquées en réponse à la liste de points à traiter établie par le Comité.

B.Aspects positifs

3.Le Comité se félicite des mesures d’ordre législatif et autres prises, telles que:

a)La publication du Pacte au Journal officiel en 2006, qui garantit que le Pacte fait partie intégrante du droit interne et prime la législation nationale;

b)Les modifications apportées en 2010 au Code pénal qui garantissent que les auteurs de ce que l’on appelle les «crimes d’honneur» ne peuvent plus bénéficier de circonstances atténuantes;

c)Le moratoire de fait sur les exécutions capitales appliqué depuis avril 2007;

d)La création du bureau du Médiateur des droits de l’homme au sein de la Direction de la sûreté publique, en 2005;

e)La création du Ministère du développement politique, en 2003.

4.Le Comité note également avec satisfaction que l’État partie a ratifié un certain nombre d’instruments internationaux traitant de droits protégés par le Pacte pendant la période considérée, en particulier:

a)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, en 2006;

b)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, en 2007;

c)La Convention relative aux droits des personnes handicapées, en 2008;

d)Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, en 2002;

e)Le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, en 2009.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

5.Le Comité prend note avec satisfaction de la création du Centre national des droits de l’homme, conformément aux Principes de Paris, tout en considérant que d’autres mesures pourraient être prises en vue de doter ce centre de ressources humaines, financières et techniques suffisantes pour en assurer le bon fonctionnement (art. 2).

L’État partie devrait faire en sorte que le choix des membres et des responsables du Centre se fasse dans la transparence et que le Centre soit doté de ressources humaines, financières et techniques suffisantes.

6.Le Comité juge préoccupante la définition imprécise et de portée étendue que la loi relative à la prévention du terrorisme, votée en 2006, donne des «activités terroristes».

L’État partie devrait revoir la loi relative à la prévention du terrorisme et veiller à ce que le terrorisme et les actes terroristes y soient définis d ’un e manière qui soit précise et compatible avec le Pacte .

7.Le Comité relève que la Constitution consacre l’interdiction de la discrimination (art. 6); cependant, il reste préoccupé par le fait que cette disposition ne mentionne pas expressément la discrimination fondée sur le sexe. En outre, il constate avec préoccupation des discriminations à l’égard des femmes en vertu de la loi de 2010 relative au statut personnel, en ce qui concerne leur droit de demander le divorce et de se remarier. Le Comité se félicite que cette loi impose certaines restrictions à la polygamie mais il regrette que cette pratique soit toujours autorisée. Il juge de même préoccupante l’inégalité successorale entre les hommes et les femmes. Il note aussi avec préoccupation que la femme jordanienne ne peut pas transmettre sa nationalité à son enfant. De manière générale, le Comité se déclare préoccupé par l’existence de stéréotypes et de coutumes contraires au principe de l’égalité de droits entre les hommes et les femmes qui entravent l’application effective des dispositions du Pacte (art. 2, 3 et 26).

L’État partie devrait rendre sa législation, y compris la loi relative au statut personnel, conforme au x dispositions du Pacte en veillant à ce que les femmes ne soient pas l’objet de discriminations en droit et en fait , notamment en ce qui concerne le mariage, le divorce, la garde des enfants, l’héritage et la transmission de la nationalité aux enfants. L’État partie devrait aussi poursuivre et intensifier ses efforts pour lutter contre les tradi tions et les coutumes discriminatoires, y compris la polygamie, notamment par l’éducation et des campagnes de sensibilisation. À ce propos, le Comité appelle l’attention de l’État partie sur son Observation générale n o 28 (2000 ) relative à l’égalité des droits entre hommes et femmes.

8.Le Comité juge préoccupante la persistance de la violence domestique à l’égard des femmes dans l’État partie. Il relève en outre avec préoccupation la politique consistant à placer les femmes qui risquent d’être victimes de ce que l’on appelle les «crimes d’honneur» sans qu’elles le veuillent sous un régime assimilable à une détention «à des fins de protection», en vertu de loi de 1954 relative à la prévention de la criminalité (art. 3, 7 et 26).

L’État partie devrait renforcer le cadre juridique de la protection des femmes contre la violence au sein de la famille, la violence sexuelle et les autres formes de violence qu’elles subi ssent . L’ É tat parti e devrait prendre toutes les mesures appropri é es pour garantir que les victimes qui fuient un partenaire ou un mari violent puissent obtenir une assistance et trouver refuge dans des centres d’accueil d’urgence. L’État partie devrait mettre immédiatement fin à la pratique consistant à placer les femmes en détention «à des fins de protection» et apporter protection et soutien aux femmes qui risquent de subir des violences sous une forme qui ne soit pas attentatoire à leurs droits.

9.Le Comité est préoccupé par le nombre élevé de cas de torture et de mauvais traitements qui ont été signalés dans les centres de détention, en particulier dans les établissements relevant du Service des renseignements généraux. Il note également avec préoccupation l’absence d’un mécanisme de plainte véritablement indépendant chargé de traiter les cas de torture et de mauvais traitements imputés à des agents de l’État et le faible nombre des poursuites engagées dans ces affaires. Le Comité juge en outre préoccupantes les informations selon lesquelles le droit de bénéficier rapidement des services d’un avocat et d’être examiné par un médecin indépendant n’est pas reconnu aux détenus (art. 7 et 9).

L’État partie devrait mettre en place un mécanisme efficace et indépendant chargé d ’exam i n er l es allégations de torture. Il devrait aussi veiller à ce que tous les cas de torture et de mauvais traitements fassent l’objet d’enquêtes approfondies et de poursuites , que les responsables soient condamnés par des juridictions civiles ordinaires et que les personnes victimes de torture et de mauvais traitements bénéficient de réparations adéquates , ainsi que d’ une indemnisation . L’État partie devrait également garantir que tous les détenus puissent avoir immédiatement accès à un avocat de leur choix et qu’ i ls puissent se faire examiner par un médecin indépendant.

10.Le Comité note que le Centre national des droits de l’homme et le Comité international de la Croix-Rouge visitent régulièrement les établissements pénitentiaires et les centres de détention; il juge, toutefois, préoccupantes les informations selon lesquelles l’accès à ces établissements avait été refusé à des ONG (art. 7 et 10).

L’État partie devrait mettre en place un système de visites indépendantes de tous les lieux de privation de liberté, y compris des locaux du Service des renseignements généraux. À ce sujet , l’État partie est invité à adhérer au Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants .

11.Le Comité s’inquiète de ce que la loi relative à la prévention de la criminalité (1954) donne aux gouverneurs le pouvoir d’autoriser la détention sans inculpation et sans garanties effectivement accessibles ni jugement de toute personne «considérée comme présentant un danger pour la société» (art. 9 et 14).

L’État partie devrait mettre fin à la pratique actuelle ment en vigueur de l’internement administratif, amender la loi rel ative à la prévention de la criminalité de manière à rendre ses dispositions conform es à celles du Pacte et remettre en liberté toutes les personnes placées en détention en application de cette loi ou les déférer immédiatement à la justice .

12.Le Comité exprime une nouvelle fois sa préoccupation devant l’indépendance réduite tant au niveau organique que fonctionnel de la Cour de sûreté de l’État. Il note également avec inquiétude que le Premier Ministre a le pouvoir de renvoyer devant cette juridiction des affaires qui ne touchent pas à la sécurité de l’État (art. 14).

L e Comité réitère sa recommandation de 1994 (CCPR/C/79/Add . 35, par. 16) dans laquelle il préconise que l’État partie envisage d ’abolir la Cour de sûreté de l’État.

13.Le Comité exprime une nouvelle fois sa préoccupation face aux restrictions mises à la liberté de religion, notamment les conséquences de l’apostasie de l’Islam, comme l’impossibilité d’hériter, et la non-reconnaissance de la foi bahaïe (art. 18).

Le Comité réitère sa recommandation de 1994 (CCPR/C/79/Add.35, par. 17) dans laquelle il préconise que l’État partie pren ne des mesures additionnelles destinées à mieux garantir la liberté de religion.

14.Le Comité salue l’information donnée par l’État partie selon laquelle une réforme de la législation relative aux médias est en cours mais s’inquiète de savoir que les journalistes continuent d’encourir des sanctions pénales s’ils écrivent des articles considérés comme préjudiciables aux relations diplomatiques du pays ou concernant le Roi et la famille royale (art. 19).

L’État partie devrait revoir sa législation et sa pratique de façon à garantir que les journalistes et les organes d’information n’encourent pas de sanctions pénales pour avoir exprimé une opinion critique et que toute restriction imposée aux activités de la presse et des organes d’information en général soit strictement compatible avec les dispositions du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte.

15.Le Comité note avec préoccupation que la loi relative aux réunions publiques (2008) impose à tout organisateur d’une réunion publique portant sur la politique générale de l’État (art. 21) d’obtenir préalablement l’autorisation écrite du gouverneur.

L’État partie devrait modifier la loi relative aux réunions publiques et prendre les mesures voulues pour que toute restriction à la liberté de réunion pacifique soit strictement compatible avec les dispositions de l’article 21 du Pacte et non subordonnée à des considérations politiques .

16.Le Comité est préoccupé par les restrictions imposées aux ONG tant au niveau de leur constitution que de certains aspects de leur fonctionnement. Il relève avec préoccupation, notamment, que le Gouvernement a toute latitude pour nommer un fonctionnaire au poste de président provisoire d’une ONG nouvellement constituée (art. 22).

L’État partie devrait modifier la loi sur les associations et prendre d es mesures appropriées pour que toute restriction de la liberté d’association soit strictement compatible avec les dispositions de l’article 22 du Pacte.

17.Le Comité s’inquiète des informations selon lesquelles le travail des enfants augmente dans l’État partie et que le Code du travail ne protège pas les enfants qui travaillent dans les entreprises familiales ou dans l’agriculture (art. 24).

L’État partie devrait prendre toutes les mesures qui s’imposent pour lutter contre le travail des enfants, notamment en réexaminant sa législation de façon à assurer une protection à tous les enfants, y compris à ceux qui travaillent dans les entreprises familiales et dans l’agriculture.

18.Le Comité relève avec satisfaction que, pour la première fois, des observateurs internationaux seront autorités à assister aux prochaines élections, qui se tiendront en novembre 2010; cependant, il juge préoccupantes les informations selon lesquelles les mesures prises pour garantir des élections libres et transparentes sont insuffisantes (art. 25).

L’État partie devrait prendre d es mesures adéquates pour mieux garantir des élections libres et transparentes, notamment en établissant une commission électorale indépendante chargée de la supervision systématique des élections.

19.Le Comité s’inquiète de la participation insuffisante des femmes à la vie publique (art. 3 et 25).

L’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour accroître la participation des femmes dans l es diverses sphères de la vie publique , favoris er une meilleure prise de conscience et augment er le quota minimum de femmes siégeant à la Chambre des représenta nts (actuellement de 10 %) et dans les conseils municipaux (20 %).

20.Le Comité invite l’État partie à adhérer au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui prévoit un mécanisme pour le traitement des plaintes émanant de particuliers, ainsi qu’au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort.

21.L’État partie devrait assurer une large diffusion du texte de son quatrième rapport périodique, de ses réponses écrites à la liste de points à traiter établie par le Comité et des présentes observations finales.

22.Conformément au paragraphe 5 de l’article 71 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie devrait faire parvenir, dans un délai d’un an, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations figurant aux paragraphes 5, 11 et 12.

23.Le Comité demande à l’État partie de faire figurer dans son prochain rapport périodique, qui devra lui parvenir au plus tard le 27 octobre 2014, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux autres recommandations et sur l’application des dispositions du Pacte en général.