Nations Unies

CAT/C/QAT/CO/3

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

4 juin 2018

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Observations finales concernant le troisième rapport périodique du Qatar *

1.Le Comité contre la torture a examiné le troisième rapport périodique du Qatar (CAT/C/QAT/3) à ses 1627e et 1630e séances (voir CAT/C/SR.1627 et 1630), les 1er et 2 mai 2018, et a adopté les présentes observations finales à ses 1647e et 1648e séances, le 15 mai 2018.

A.Introduction

2.Le Comité remercie l’État partie d’avoir accepté de soumettre son rapport conformément à la procédure simplifiée de présentation des rapports, qui améliore la coopération entre l’État partie et le Comité et permet d’orienter l’examen du rapport et le dialogue avec la délégation.

3.Le Comité se félicite d’avoir pu engager un dialogue constructif avec la délégation de l’État partie et accueille avec satisfaction les réponses apportées aux questions et aux préoccupations soulevées pendant l’examen du rapport.

B.Aspects positifs

4.Le Comité salue les mesures prises par l’État partie pour modifier ses politiques et procédures afin de renforcer la protection des droits de l’homme et d’appliquer la Convention, en particulier :

a)La décision du Conseil des ministres, en date du 14 mars 2018, d’adhérer au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ;

b)La création du Comité national de lutte contre la traite des êtres humains, en2017 ;

c)L’adoption de la première Stratégie nationale de développement (2011-2016) et de la deuxième Stratégie nationale de développement (2017-2022), qui couvrent les questions relatives aux droits de l’homme ayant trait à l’éducation, à la santé, à l’environnement, aux droits des travailleurs migrants, à l’autonomisation des femmes et aux droits de l’enfant.

5.Le Comité se félicite de ce que l’État partie a adressé une invitation permanente aux titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme, permettant ainsi à des experts indépendants d’effectuer des visites dans le pays au cours de la période considérée.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Questions en suspens issues du cycle précédent

6.Le Comité prend note avec satisfaction des renseignements que lui a fournis l’État partie le 10 mars 2014 dans le cadre de la procédure de suivi (CAT/C/QAT/CO/2/Add.1), mais estime que les recommandations figurant aux paragraphes 10 (Garanties juridiques fondamentales), 14 (Plaintes et ouverture immédiate d’enquêtes approfondies et impartiales) et 19 (Violence à l’égard des femmes, y compris violence au foyer) des précédentes observations finales (CAT/C/QAT/CO/2) n’ont pas encore été mises en œuvre (voir par. 13, 23 et 45, respectivement, du présent document).

Interdiction absolue de la torture

7.Le Comité note avec préoccupation que la législation de l’État partie ne comporte aucune disposition claire garantissant le caractère absolu et intangible de l’interdiction de la torture. Il regrette aussi que l’État partie maintienne une réserve vague et de portée imprécise aux articles 1 et 16 de la Convention (art. 1, 2 (par. 2), 4 et 16).

8. L ’ État partie devrait réaffirmer sans ambiguïté le caractère absolu de l ’ interdiction de la torture et faire publiquement savoir que toute personne qui commet de tels actes, qui s ’ en rend complice ou qui les autorise tacitement sera tenue personnellement responsable devant la loi, fera l ’ objet de poursuites pénales et encourra les peines appropriées. En particulier l ’ État partie devrait :

a) Faire en sorte que sa législation intègre l ’ interdiction absolue de la torture, conformément à l ’ article 2 (par.  2) de la Convention qui dispose qu ’ aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu ’ elle soit, qu ’ il s ’ agisse de l ’ état de guerre ou de menace de guerre, d ’ instabilité politique intérieure ou de tout autre état d ’ exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture. Le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur le paragraphe  5 de son observation générale n o  2 (2007) concernant l ’ application de l ’ article 2, dans lequel il est précisé, entre autres, que ces circonstances exceptionnelles incluent aussi toute menace d ’ acte terroriste ou de crime violent ainsi que le conflit armé, international ou non international. Il est aussi indiqué dans la même observation générale que le Comité rejette l ’ invocation de motifs fondés sur la religion ou les traditions pour justifier une dérogation à cette interdiction absolue ;

b) Étudier de nouveau la possibilité de retirer sa réserve aux articles 1 et 16 de la Convention, conformément à l ’ article  19 de la Convention de Vienne sur le droit des traités.

Incrimination de la torture

9.Le Comité prend note des explications données par la délégation de l’État partie selon lesquelles le crime de torture emporte une peine minimale de trois ans d’emprisonnement (voir art. 22 et 159 bis du Code pénal), mais reste préoccupé par le fait que l’article 92 du Code pénal permet de réduire la peine infligée aux auteurs d’actes de torture (art. 1 et 4).

10. L ’ État partie devrait faire en sorte que le crime de torture soit passible de peines appropriées qui prennent en considération la gravité de l ’ acte, conformément à l ’ article 4  2) de la Convention.

Prescription

11.Le Comité constate avec inquiétude que le crime de torture est soumis à un délai de prescription de dix ans en vertu de l’article 14 du Code de procédure pénale.

12. L ’ État partie devrait rendre imprescriptible le crime de torture afin d ’ éliminer tout risque d ’ impunité en garantissant que les actes de torture font l ’ objet d ’ enquêtes et que leurs auteurs sont poursuivis et sanctionnés.

Garanties juridiques fondamentales

13.Le Comité prend note des garanties de procédure prévues dans la Constitution et dans le Code de procédure pénale mais réaffirme sa préoccupation quant à l’absence de disposition énonçant expressément le droit de demander et d’obtenir un examen médical indépendant dès le début de la privation de liberté. À cet égard, il prend note de la déclaration de la délégation selon laquelle le personnel médical a l’obligation de consigner et de signaler toute preuve de mauvais traitements relevée au cours des examens médicaux. Il regrette toutefois que l’État partie n’ait pas indiqué combien de cas avaient été signalés par le personnel de santé comme d’éventuels cas de torture ou de mauvais traitements au cours de la période considérée. Le Comité est aussi préoccupé par le fait qu’en vertu de l’article 117 du Code de procédure pénale, des personnes peuvent être gardées à vue pendant une durée de quatre jours, renouvelable une fois, avant d’être présentées à un juge. De plus, dans le cas d’infractions susceptibles de nuire à l’économie nationale, la période de huit jours peut être renouvelée une ou plusieurs fois (art. 2).

14. Le Comité réitère la recommandation figurant dans ses précédentes observations finales (voir CAT/C/QAT/CO/2, par. 10), et invite de nouveau l ’ État partie à prendre des mesures concrètes pour que tous les détenus bénéficient, en droit et dans la pratique, de toutes les garanties fondamentales dès le début de leur privation de liberté, conformément aux normes internationales, notamment du droit d ’ être examiné immédiatement par un médecin indépendant, sans considération des examens médicaux qui pourraient être pratiqués à la demande des autorités, et du droit d ’ être présenté sans délai devant un juge. L ’ État partie devrait aussi modifier son Code de procédure pénale de façon à supprimer la disposition autorisant la garde à vue de suspects pour une durée de huit jours ou plus, selon l ’ infraction, et prévoir à la place une durée maximale conforme aux normes internationales.

Législation relative à la sécurité nationale et à la lutte contre le terrorisme

15.Le Comité constate avec regret que l’État partie n’a pas encore révisé les dispositions de la loi sur la protection de la société (loi no 17 de 2002), de la loi sur la lutte contre le terrorisme (loi no 3 de 2004, telle que modifiée le 20 juillet 2017) et de la loi relative à l’Agence de sécurité de l’État (loi no 5 de 2003) qui prévoient des pouvoirs exécutifs de détention administrative élargis, sans contrôle juridictionnel adéquat, et fragilisent ainsi les garanties fondamentales offertes aux personnes privées de liberté. En vertu de l’article 18 de la loi sur la lutte contre le terrorisme, un suspect peut être détenu pour une durée de quinze jours, qui peut être portée à six mois, sans mandat ni contrôle judiciaire, avant d’être déféré à la justice. De même, l’article 7 de la loi relative à l’Agence de sécurité de l’État prévoit qu’une personne peut être maintenue en détention pour une durée de trente jours avant d’être déférée devant le procureur, et l’article 2 de la loi sur la protection de la société permet le maintien en détention avant jugement, avec l’approbation du Premier Ministre, pour une durée pouvant aller jusqu’à un an en cas d’infraction liée à la « sécurité de l’État » et à « la pudeur ou la moralité publique ». De même, une personne arrêtée au titre de l’article 7 de la loi sur l’établissement du Service de renseignement militaire (loi no 10 de 2004) peut être détenue pour une durée pouvant aller jusqu’à deux semaines avant d’être déférée devant le procureur, cette durée pouvant être prolongée de deux semaines dans le cas de membres des forces armées et d’une semaine dans les autres cas. Le Comité regrette que, malgré sa demande, aucune information ne lui ait été communiquée sur le nombre de personnes arrêtées par l’Agence de sécurité de l’État ou parce qu’elles étaient soupçonnées d’avoir violé la loi sur la protection de la société ou la loi sur la lutte contre le terrorisme, ni sur le délai écoulé avant que ces personnes aient été inculpées. À ce propos, le Comité a continué de recevoir des informations signalant des cas de détention arbitraire, de placement à l’isolement prolongé et de mauvais traitements, notamment concernant Mansoor al-Mansoori, Mohammad Meshab, Abdulrahman bin Omair Rashed al-Jabr al-Nuaimi et Mohammed Rashid Hassan Nasser al-Ajami (art. 2, 11 et 16).

16.  Le Comité rappelle sa précédente recommandation (voir CAT/C/QAT/CO/2, par. 11) et engage instamment l ’ État partie à réexaminer sans délai sa législation en vigueur relative à la sécurité nationale et à la lutte contre le terrorisme en vue d ’ abroger les dispositions précitées pour rendre cette législation conforme à la Convention et aux autres normes internationales. En particulier, l ’ État partie devrait faire en sorte:

a) Que toutes les personnes privées de liberté, y compris celles détenues au titre des lois relatives à la sécurité, soient informées des chefs d ’ accusation qui pèsent contre elles, soient inscrites dans un registre et soient déférées sans délai devant un juge ;

b) Que les personnes placées en détention soient autorisées à communiquer avec leurs proches, un avocat et un médecin indépendant dès le début de leur privation de liberté, et que le respect de ces garanties par les autorités soit contrôlé efficacement ;

c) Que nul ne soit maintenu en détention secrète ;

d) Que l ’ isolement cellulaire ne soit utilisé qu ’ en dernier ressort et dans des cas exceptionnels, pour une durée aussi brève que possible, sous contrôle indépendant et uniquement avec l ’ autorisation d ’ une autorité compétente, conformément aux règles 43 à 46 de l ’ Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela). L ’ État partie devrait aussi rassembler et publier régulièrement des données complètes sur le recours à l ’ isolement cellulaire.

Aveux sous la contrainte

17.Le Comité prend note des garanties énoncées à l’article 232 du Code de procédure pénale quant à l’irrecevabilité des preuves obtenues sous la contrainte ou la menace, mais il regrette qu’il n’y ait que peu d’informations disponibles sur les décisions dans lesquelles les tribunaux qatariens ont refusé d’admettre comme preuve des aveux obtenus par la torture. Il estime particulièrement préoccupant le cas de Ronaldo Lopez Ulep, un citoyen philippin reconnu coupable d’espionnage, qui affirme qu’on l’a soumis à la torture à plusieurs reprises pour le forcer à avouer (art. 2, 15 et 16).

18. L ’ État partie devrait prendre des mesures efficaces pour faire en sorte que, dans la pratique, les aveux obtenus par la torture ou au moyen de mauvais traitements soient déclarés irrecevables. Il devrait également développer les programmes de formation professionnelle destinés tant aux juges qu ’ aux procureurs pour garantir que ces derniers ont les capacités de détecter les cas de torture et de mauvais traitements et d ’ enquêter sur toutes les allégations faisant état de tels actes. L ’ État partie devrait aussi fournir au Comité des renseignements détaillés sur tous les cas dans lesquels des aveux ont été jugés irrecevables au motif qu ’ ils avaient été obtenus par la torture et indiquer si des fonctionnaires ont été poursuivis et sanctionnés pour avoir extorqué de tels aveux.

Indépendance de l’appareil judiciaire

19.Le Comité prend acte des renseignements communiqués par la délégation mais reste préoccupé par le degré d’indépendance des juges dans l’État partie, qui continue de pâtir gravement du fait que l’Émir détient le pouvoir exclusif de nommer les juges sur recommandation du Conseil supérieur de la magistrature, et par le manque de sécurité d’emploi des juges, tant nationaux qu’étrangers, ceux-ci pouvant être révoqués par l’Émir « dans l’intérêt public ». Il prend note des explications fournies par la délégation sur le statut des juges étrangers, dont l’engagement est régi par un contrat de travail et dont les droits sont protégés par décret. Il reste cependant préoccupé par les informations selon lesquelles ces juges sont recrutés au titre de contrats temporaires qui doivent être renouvelés chaque année, ce qui soulève des questions quant à leur indépendance, leur impartialité et leur inamovibilité (art. 2).

20. Compte tenu de la précédente recommandation du Comité (voir  CAT/C/QAT/CO/2, par. 13) et à la lumière des recommandations formulées par la Rapporteuse spéciale sur l ’ indépendance des juges et des avocats (voir  A/HRC/29/26/Add.1, par. 95 à 102), l ’ État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour établir et assurer l ’ indépendance de la magistrature, notamment en garantissant la sécurité d ’ emploi des juges et en rompant les liens administratifs et autres avec le pouvoir exécutif, conformément aux normes internationales, en particulier les Principes fondamentaux relatifs à l ’ indépendance de la magistrature (résolutions 40/32 et 40/146 de l ’ Assemblée générale). L ’ État partie devrait aussi revoir les modalités de nomination et la durée du mandat des juges étrangers afin de garantir l ’ indépendance absolue, l ’ autonomie, l ’ impartialité et l ’ inamovibilité de ces derniers.

Inspection des centres de détention

21.Le Comité prend note des activités de surveillance pénitentiaire menées par le ministère public et la direction des droits de l’homme du Ministère de l’intérieur, mais il regrette que l’État partie n’ait pas communiqué de renseignements sur les mesures spécifiques prises par les autorités pénitentiaires ou les procureurs pour donner suite aux recommandations formulées et aux plaintes pour mauvais traitements reçues par les représentants de ces organes publics. Il regrette aussi le manque d’informations sur les mesures prises par l’État partie pour donner suite aux recommandations formulées par la Commission nationale des droits de l’homme dans le cadre de ses activités de surveillance (art. 2, 11 et 16).

22. L ’ État partie devrait :

a) Assurer un suivi efficace des recommandations découlant des activités de surveillance menées dans les centres de détention, y compris ceux qui relèvent de la compétence des forces de sécurité nationales, et recueillir systématiquement des données sur l ’ issue des plaintes pour mauvais traitements reçues par les personnes chargées de la surveillance ainsi que sur les enquêtes menées et les procédures pénales ou disciplinaires engagées en réaction à ces plaintes ;

b) Veiller à ce que le personnel de la Commission nationale des droits de l ’ homme ait accès à tous les lieux de privation de liberté, sans préavis ou autorisation préalable, et faire en sorte que cette institution dispose de ressources suffisantes pour contrôler régulièrement tous les lieux de détention et assurer le suivi des mesures prises par les autorités pour donner suite aux plaintes qu ’ elle porte à leur attention ;

c) Faire en sorte que les organisations non gouvernementales puissent accéder librement à tous les lieux de détention, en particulier dans le cadre de visites inopinées, et s ’ entretenir avec les détenus en privé ;

d) Envisager de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Ouverture immédiate d’enquêtes approfondies et impartiales

23.Le Comité note avec préoccupation que, malgré ses demandes réitérées, l’État partie n’a pas fourni de renseignements précis sur le nombre de plaintes pour torture ou mauvais traitements enregistrées pendant la période considérée et sur les enquêtes et poursuites auxquelles ces plaintes ont donné lieu. De même, le Comité n’a pas encore reçu d’informations exhaustives sur les condamnations et les sanctions pénales ou disciplinaires prononcées contre les auteurs de tels actes, ni sur le point de savoir si ceux-ci ont été exclus de la fonction publique dans l’attente des conclusions de l’enquête (art. 2, 12, 13 et 16).

24. Le Comité prie instamment l ’ État partie de  :

a) Veiller à ce que toutes les plaintes pour actes de torture et mauvais traitements donnent lieu sans délai à une enquête impartiale menée par un organe indépendant, qu ’ il n ’ y ait aucun lien institutionnel ou hiérarchique entre les enquêteurs et les auteurs présumés de tels actes et que les auteurs soient dûment traduits en justice et, s ’ ils sont reconnus coupables, punis d ’ une manière proportionnée à la gravité de leurs actes ;

b) Veiller à ce que les autorités ouvrent une enquête chaque fois qu ’ il existe des motifs raisonnables de penser qu ’ un acte de torture ou de mauvais traitement a été commis ;

c) Faire en sorte que, en cas d ’ allégations de torture et/ou de mauvais traitements, les auteurs présumés soient immédiatement suspendus de leurs fonctions pour toute la durée de l ’ enquête, surtout s ’ il existe un risque qu ’ ils puissent, sinon, récidiver, faire subir des représailles à la victime présumée ou entraver l ’ enquête ;

d) Collecter des données statistiques ventilées sur le suivi de la Convention, notamment sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations dans les cas de torture et de mauvais traitements.

Invocation de l’ordre d’un supérieur pour justifier la torture

25.Le Comité relève avec préoccupation que l’article 48 du Code pénal ne satisfait pas à l’obligation énoncée au paragraphe 3 de l’article 2 de la Convention dans la mesure où il exempt de la responsabilité pénale les fonctionnaires qui exécutent l’ordre d’un supérieur auquel ils devaient ou pensaient devoir obéir (art. 2, par.3).

26. L ’ État partie devrait envisager d ’ harmoniser l ’ article  48 du Code pénal avec le paragraphe 3 de l ’ article  2 de la Convention en faisant en sorte que l ’ ordre d ’ un supérieur ne puisse pas être invoqué pour justifier la torture et, à cette fin, établir un mécanisme permettant de protéger les subordonnés qui refusent d ’ obéir à un tel ordre. L ’ État partie devrait également garantir que tous les agents chargés de faire appliquer la loi sont informés de l ’ interdiction d ’ obéir à des ordres illégitimes et ont connaissance des mécanismes de protection mis en place.

Compétence universelle

27.Le Comité constate avec préoccupation que la torture et les crimes apparentés ne figurent pas sur la liste des infractions recensées dans le Code pénal pour lesquelles les tribunaux peuvent exercer la compétence universelle (art. 5).

28. L ’ État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour exercer effectivement la compétence universelle sur les auteurs présumés d ’ actes de torture, y compris les étrangers qui se trouvent temporairement au Qatar.

Formation

29.Le Comité prend note des programmes de formation relatifs aux droits de l’homme établis à l’intention des policiers, du personnel judiciaire et des autres agents de l’État, mais il demeure préoccupé par l’absence d’informations sur l’impact de la formation dispensée. Il regrette en outre qu’aucune formation spécialisée sur la manière de déceler et de consigner les séquelles physiques et psychologiques de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ne soit dispensée aux agents des forces de l’ordre, aux juges, aux procureurs, aux médecins légistes et aux membres du personnel médical ayant affaire à des détenus (art. 10).

30. L ’ État partie devrait :

a) Renforcer les programmes de formation en cours d ’ emploi obligatoires pour faire en sorte que tous les agents de l ’ État, notamment les membres des forces de l ’ ordre, le personnel militaire, les agents pénitentiaires et le personnel médical employé dans les prisons, connaissent parfaitement les dispositions de la Convention et soient pleinement conscients du fait que les violations ne seront pas tolérées, qu ’ elles donneront lieu à des enquêtes et que les responsables seront poursuivis et, s ’ ils sont reconnus coupables, dûment sanctionnés ;

b) Veiller à ce que tous membres des forces de l ’ ordre suivent une formation obligatoire mettant l ’ accent sur le lien entre les techniques d ’ interrogatoire non coercitives, l ’ interdiction de la torture et des mauvais traitements et l ’ obligation du système judiciaire de déclarer irrecevables les aveux obtenus par la torture ;

c) Faire en sorte que tous les personnels concernés, y compris le personnel médical, reçoivent une formation spéciale consacrée à la détection des cas de torture et de mauvais traitements, conformément au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d ’ Istanbul) ;

d) Concevoir et appliquer une méthode pour évaluer l ’ efficacité des programmes d ’ éducation et de formation relatifs à la Convention et au Protocole d ’ Istanbul.

Châtiments corporels

31.Le Comité prend note de l’explication donnée par la délégation selon laquelle, bien que l’article 1er du Code pénal contienne toujours des dispositions vagues autorisant la flagellation, la lapidation et d’autres châtiments corporels en tant que sanctions pénales, ces peines ne sont pas appliquées dans la pratique. Il constate cependant avec préoccupation que ces sanctions n’ont pas encore été abolies, contrairement à ce qu’il avait recommandé dans ses précédentes observations finales (voir CAT/C/QAT/CO/2, par. 12). Le Comité est également préoccupé par les informations selon lesquelles il est toujours permis d’infliger des châtiments corporels aux enfants dans les foyers, les structures de protection de remplacement et les garderies ainsi qu’à l’école (art. 2, 4 et 16).

32. L ’ État partie devrait :

a) Abolir les châtiments corporels en tant que sanction pénale ;

b) Adopter une législation interdisant expressément et clairement les châtiments corporels contre des enfants dans quelque contexte que ce soit.

Peine de mort

33.Le Comité constate avec préoccupation que la peine de mort continue d’être imposée par les tribunaux qatariens et qu’elle a été appliquée à cinq reprises entre 2012 et 2018. Il s’inquiète également de ce que de nombreuses infractions, dont le crime de torture sont punissables de la peine de mort (art. 2 et 16).

34. L ’ État partie devrait envisager d ’ établir immédiatement un moratoire sur les exécutions en vue d ’ abolir la peine de mort et commuer les peines de mort en peines d ’ emprisonnement. Il devrait également veiller à ce que la peine de mort, si elle est imposée, le soit uniquement pour les crimes les plus graves et conformément aux normes internationales.

Réparation

35.Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie indiquant que 152 mineurs et 250 adultes ont bénéficié de mesures de réadaptation en 2017, mais il regrette de ne pas avoir reçu de renseignements complets sur les mesures de réparation et d’indemnisation qui ont été ordonnées par les tribunaux et d’autres organes de l’État et effectivement accordées aux victimes de torture et de mauvais traitements ou à leur famille depuis l’examen du précédent rapport périodique (art. 14).

36. L ’ État partie devrait faire en sorte que toutes les victimes de torture et de mauvais traitements obtiennent réparation, notamment qu ’ elles puissent faire valoir leur droit à une indemnisation juste et adéquate et à une réadaptation aussi complète que possible. Le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur son observation générale n o  3 (2012) concernant la mise en œuvre de l ’ article 14 de la Convention, dans laquelle il explique le contenu et la portée de l ’ obligation des États parties d ’ offrir une réparation intégrale aux victimes de torture au titre de l ’ article  14. L ’ État partie devrait également communiquer au Comité des informations sur les mesures de réparation et d ’ indemnisation, notamment les moyens de réadaptation, ordonnées par les tribunaux ou d ’ autres organes de l ’ État et effectivement accordées aux victimes de torture ou de mauvais traitements.

Asile et non-refoulement

37.Tout en prenant note des renseignements fournis par la délégation, le Comité demeure préoccupé par les informations selon lesquelles l’État partie aurait bafoué le principe de non-refoulement au cours de la période considérée. Il s’inquiète en particulier du renvoi forcé vers l’Arabie saoudite, le 25 mai 2017, de Mohammad al-Otaibi, un défenseur des droits de l’homme saoudien qui a été appréhendé à l’aéroport de Doha alors qu’il se rendait en Norvège, où il avait obtenu l’asile. Il s’inquiète également du fait que les décisions prises au titre des lois sur le séjour et l’expulsion des étrangers soient exclues de la compétence des tribunaux, conformément à la loi relative au règlement des contentieux administratifs (loi no 7 de 2007, telle que modifiée). Enfin, le Comité regrette que l’État partie ne lui ait communiqué que peu d’informations sur le nombre de refoulements, d’extraditions et de renvois qui ont eu lieu au cours de la période considérée et le nombre de cas dans lesquels des personnes qui risquaient d’être soumises à la torture dans le pays de renvoi n’ont pas été expulsées (art. 3).

38. L ’ État partie devrait :

a) Faire en sorte qu ’ aucune personne ne soit expulsée, renvoyée ou extradée vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu ’ elle serait exposée à un risque personnel et prévisible d ’ être soumises à la torture ;

b) Garantir que toutes les personnes se trouvant sur son territoire ou sous sa juridiction aient effectivement accès à la procédure de détermination du statut de réfugié ;

c) Veiller à ce que des garanties procédurales contre le refoulement soient en place et à ce que des voies de recours utiles soient disponibles dans le cadre des procédures de renvoi, notamment l ’ examen des refus par un organe judiciaire indépendant, en particulier en appel ;

d) Envisager de ratifier la Convention relative au statut des réfugiés, le Protocole relatif au statut des réfugiés, la Convention relative au statut des apatrides et la Convention sur la réduction des cas d ’ apatridie.

Exploitation des travailleurs migrants

39.Le Comité constate avec regret que, bien qu’il soit indiqué dans le rapport de l’État partie que le système de parrainage (kafalah) a été supprimé, la nouvelle loi sur le travail n’abolit pas le système de permis de sortie pour les travailleurs migrants, y compris les employées de maison, qui doivent encore obtenir l’autorisation de leur employeur pour quitter le pays, ce qui conduit souvent à des formes d’exploitation et à des exactions. De plus, lorsque l’employeur confisque leur passeport et ne renouvelle pas leur permis de séjour et leur carnet de santé, les travailleurs étrangers courent le risque d’être arrêtés et placés en détention pour séjour illégal dans le pays. À cet égard, le Comité salue l’accord conclu entre le Qatar et l’Organisation internationale du Travail concernant l’établissement d’un programme de coopération technique, dans le cadre duquel le Gouvernement s’est engagé à aligner ses lois et pratiques sur les normes internationales du travail (art. 16).

40. L ’ État partie devrait :

a) Adopter les mesures législatives nécessaires pour abolir le système abusif de parrainage, en coopération avec l ’ Organisation internationale du travail ;

b) Prendre des mesures pour que tous les cas d ’ exploitation et d ’ exactions visant des travailleurs migrants fassent l ’ objet d ’ enquêtes diligentes et impartiales.

Détention en attente d’expulsion

41.Le Comité prend acte des mesures prises par l’État partie pour réduire la surpopulation dans le centre de détention avant expulsion de Doha, mais il demeure préoccupé par les informations faisant état de mauvaises conditions de détention, notamment du manque d’hygiène, d’aération, de lits et de nourriture. À cet égard, le Comité est particulièrement inquiet de la situation des femmes détenues dans ce centre, telle qu’elle est décrite par le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants (voir A/HRC/26/35/Add.1, par. 55 à 63) (art. 11 et 16).

42. L ’ État partie devrait :

a) S ’ abstenir de détenir des migrants sans papiers pendant des périodes prolongées, ne recourir à la détention qu ’ en dernier ressort et pour une période aussi courte que possible, et promouvoir des mesures non privatives de liberté ;

b) Garantir le droit des étrangers détenus, notamment des migrants sans papiers, de contacter les services consulaires de leur pays et de recevoir une aide juridictionnelle ;

c) Poursuivre ses efforts pour améliorer les conditions de détention et remédier à la surpopulation dans les structures de détention avant expulsion, notamment en appliquant des mesures non privatives de liberté. À cet égard, le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur l ’ Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) et sur les Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l ’ imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok).

Traite des êtres humains

43.Le Comité prend note des informations fournies par la délégation concernant les mesures prises par l’État partie pour lutter contre la traite des personnes mais regrette d’avoir si peu de renseignements sur le nombre de plaintes reçues, d’enquêtes et de poursuites ouvertes, et de condamnations et de peines imposées au cours de la période considérée dans des affaires de traite (art. 2, 12 et 16).

44. Compte t enu des engagements volontaires qu ’ il a pris dans le cadre de l ’ Examen périodique universel du Conseil des droits de l ’ homme en mai 2014 (voir  A/HRC/27/15, par. 122.47 à 122.54), l ’ État partie devrait :

a) Intensifier ses efforts pour prévenir et combattre la traite des êtres humains, notamment en appliquant effectivement la loi relative à la lutte contre la traite des personnes (loi n o 15 de 2011) et en accordant une protection aux victimes, y compris un abri et une assistance psychosociale ;

b) Faire en sorte que les cas de traite d ’ êtres humains fassent l ’ objet d ’ enquêtes approfondies, que les auteurs soient poursuivis et, s ’ ils sont reconnus coupables, dûment punis, et que les victimes bénéficient d ’ une indemnisation adéquate. Il devrait aussi garantir que les victimes aient accès à une protection efficace ;

c) Collecter systématiquement des données sur les flux de traite vers le pays et transitant par le pays.

Violence sexiste

45.Le Comité relève que l’État partie a accompli certains progrès pour ce qui est de sensibiliser à la violence sexiste à l’égard des femmes et de lutter contre ce phénomène, mais il regrette que le Qatar ne soit pas disposé à incriminer la violence domestique, notamment le viol conjugal. Il regrette aussi que l’État partie n’ait pas indiqué dans son rapport le nombre de plaintes déposées, d’enquêtes et de poursuites ouvertes et de condamnations et de peines imposées dans des affaires de violence à l’égard des femmes au cours de la période considérée (art. 2 et 16).

46. L ’ État partie devrait :

a) Définir la violence domestique et le viol conjugal et les introduire dans le Code pénal en tant qu ’ infractions distinctes, passibles de sanctions appropriées ;

b) Faire en sorte que des enquêtes approfondies soient menées sur tous les cas de violence sexiste à l ’ égard des femmes, que les auteurs soient poursuivis et dûment punis et que les victimes obtiennent réparation, y compris une indemnisation juste et adéquate ;

c) Dispenser une formation obligatoire concernant les poursuites à engager en cas de violence sexiste à tous les agents des forces de l ’ ordre et du système judiciaire et continuer de mener des campagnes de sensibilisation sur toutes les formes de violence à l ’ égard des femmes ;

d) Garantir que toutes les victimes de violence sexiste aient accès à un abri et reçoivent les soins médicaux, l ’ accompagnement psychologique et l ’ aide juridictionnelle dont elles ont besoin.

Défenseurs des droits de l’homme et journalistes

47.Le Comité exprime une nouvelle fois sa préoccupation face à l’absence d’informations sur les mesures visant à prévenir les actes de harcèlement dirigés contre les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes et à poursuivre les auteurs de tels actes (art. 16).

48. Rappelant sa recommandation précédente (voir CAT/C/QAT/CO/2, par. 17), le Comité engage l ’ État partie à prendre toutes les mesures nécessaires pour :

a) Faire en sorte que les défenseurs des droits de l ’ homme et les journalistes puissent exercer librement leur travail et leurs activités dans l ’ État partie, sans craindre de faire l ’ objet de représailles ou d ’ agressions ;

b) Veiller à ce que des enquêtes approfondies et impartiales soient menées sans délai sur toutes les violations commises contre des défenseurs des droits de l ’ homme et des journalistes, que les personnes reconnues coupables de tels actes soient traduites en justice et dûment punies et que les victimes obtiennent réparation.

Procédure de suivi

49. Le Comité demande à l ’ État partie de lui faire parvenir au plus tard le 18  mai 2019 des renseignements sur la suite qu ’ il aura donnée à ses recommandations concernant les garanties juridiques fondamentales, l ’ ouverture immédiate d ’ enquêtes approfondies et impartiales et l ’ asile et le n on-refoulement (voir par.  14, 24 et 38). Dans ce contexte, l ’ État partie est invité à informer le Comité des mesures qu ’ il prévoit de prendre pour mettre en œuvre, d ’ ici la soumission de son prochain rapport, tout ou partie des autres recommandations formulées dans les présentes observations finales.

Autres questions

50. Le Comité encourage l ’ État partie à étudier la possibilité de faire les dé clarations prévues aux articles  21 et 22 de la Convention par lesquelles il reconnaîtrait la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction.

51. L ’ État partie est invité à soumettre son document de base commun conformément aux instructions qui figurent dans les directives harmonisées pour l ’ établissement des rapports au titre des instruments internationaux relatifs aux droits de l ’ homme (HRI/GEN / 2/Rev.6).

52. L ’ État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, au moyen des sites Web officiels et par l ’ intermédiaire des médias et des organisations non gouvernementales.

53. Le Comité prie l ’ État partie de soumettre son prochain rapport périodiqu e, qui sera le quatrième, le 18  mai 2022 au plus tard. À cette fin, et compte tenu du fait que l ’ État partie a accepté d ’ établir son rapport selon la procédure simplifiée, le Comité lui adressera en temps voulu une liste préalable de points à traiter. Les réponses de l ’ État partie à cette liste constitueront le quatrième rapport périodique qu ’ il soumettra en application de l ’ article  19 de la Convention.