Nations Unies

CRPD/C/TUN/CO/2-3

Convention relative aux droits des personnes handicapées

Distr. générale

17 avril 2023

Français

Original : anglais

Comité des droits des personnes handicapées

Observations finales concernant le rapport de la Tunisie valant deuxième et troisième rapports périodiques *

I.Introduction

1.Le Comité a examiné le rapport de la Tunisie valant deuxième et troisième rapports périodiques à ses 632e et 633e séances, les 13 et 14 mars 2023. Il a adopté les observations finales ci-après à sa 645e séance, le 22 mars 2023.

2.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport de l’État partie valant deuxième et troisième rapports périodiques, qui a été établi conformément aux directives concernant l’établissement des rapports, en réponse à la liste préalable de points à traiter établie par le Comité.

3.Le Comité se félicite du dialogue sincère et fructueux qu’il a eu avec la délégation de l’État partie, à la composition multisectorielle et dans laquelle les ministères compétents étaient représentés.

II.Aspects positifs

4.Le Comité se félicite des mesures que l’État partie a prises pour appliquer la Convention comme suite aux recommandations formulées dans les observations finales concernant le rapport initial, en particulier de :

a)La création en 2011 par le Ministère des affaires sociales d’un comité chargé du suivi de ses observations finales ;

b)La création du conseil des pairs pour l’égalité et l’équivalence des chances entre la femme et l’homme, par le décret gouvernemental no 2016-626 ;

c)La création de la commission nationale de coordination, d’élaboration et de présentation des rapports et de suivi des recommandations dans le domaine des droits de l’homme, en application du décret gouvernemental no 2015-1593, tel que modifié par le décret gouvernemental no 2016-663 ;

d)La création de la commission parlementaire des affaires des handicapés et des catégories précaires ;

e)L’adoption de la loi no 2016-41 prévoyant l’emploi de personnes handicapées dans les secteurs public et privé.

III.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

A.Principes généraux et obligations générales (art. 1er à 4)

5.Le Comité constate avec préoccupation :

a)Que rien n’ait été fait pour aligner la définition du handicap figurant dans la législation nationale sur celle qui est donnée dans la Convention ;

b)Qu’il n’existe pas de mécanisme clair chargé de faire appliquer les recommandations de la commission parlementaire des affaires des handicapés et des catégories précaires, faute de données factuelles sur les éventuelles mesures prises par le Ministère des affaires sociales et d’autres entités publiques à cet égard, et que la coordination entre le Ministère des affaires sociales et les autres ministères est insuffisante ;

c)Qu’aucune information n’a été communiquée concernant l’avancement de la série de modifications que le sous-comité de la législation a proposé au Ministère des affaires sociales d’apporter à diverses lois, mis à part les modifications visant les personnes handicapées et l’accès à l’emploi que la loi no 2016-41 a apportées à la loi no 2005-83 ;

d)Qu’il n’existe pas d’informations et de statistiques fiables concernant la participation des personnes handicapées par l’intermédiaire des organisations qui les représentent, y compris de celles qui représentent les femmes et enfants handicapés, aux niveaux provincial et national ;

e)Que l’État partie n’a pas fait le nécessaire pour que toutes les personnes handicapées, y compris celles ayant un handicap sensoriel ou intellectuel, aient accès aux informations relatives aux observations finales concernant le rapport initial, notamment par leur diffusion numérique ;

f)Que des obstacles à l’obtention de la carte de handicap demeurent, malgré les modifications apportées au décret no 2006-1859 ;

g)Que le comité du Ministère des affaires sociales et le Centre de recherches et d’études sociales, chargés de rédiger les projets de modification nécessaires pour rendre le décret no 2005-3086 pleinement conforme à la Convention n’ont pris que des mesures limitées.

6. Le Comité recommande à l’État partie :

a) De prendre des mesures pour aligner la définition du handicap figurant dans la législation nationale, notamment dans le décret n o  2005-3086, sur celle qui est donnée dans la Convention et veiller à ce qu’elle s’appuie sur le modèle du handicap fondé sur les droits de l’homme ;

b) D’établir un mécanisme clair chargé de faire appliquer les recommandations de la commission parlementaire des affaires des handicapés et des catégories précaires et de veiller à ce que le Ministère des affaires sociales et d’autres entités publiques donnent suite sans tarder à ses recommandations, notamment à celles figurant dans son rapport de 2016 ;

c) De faire immédiatement le nécessaire pour adopter la série de modifications que le sous-comité de la législation a proposé au Ministère des affaires sociales d’apporter à diverses lois concernant les personnes handicapées ;

d) De mettre au point des stratégies dont le but serait de renforcer la détermination de tous les ministères à faire du handicap une question transversale, à nouer de véritables partenariats avec les organisations de personnes handicapées, de sorte que les mesures législatives et de politique générale à adopter pour appliquer la Convention soient conçues, mises en application et évaluées avec leur concours et leur participation active, et à doter ces organisations des ressources dont elles ont besoin pour établir des partenariats dans tous les domaines de l’action publique ;

e) De faire en sorte que toutes les personnes handicapées puissent obtenir une carte de handicap et de veiller à ce que le comité chargé de la rédaction des projets de modification du décret n o  2005-3086 nécessaires à cette fin achève ses travaux ;

f) De mettre les informations relatives à l’application de la Convention, y compris le texte des observations finales, à la disposition de toutes les personnes handicapées, en utilisant des formes de communication accessibles, dont le braille, la langue des signes et le langage facile à lire et à comprendre, et améliorées, comme les outils de communication numériques inclusifs.

B.Droits particuliers (art. 5 à 30)

Égalité et non-discrimination (art. 5)

7.Le Comité note avec préoccupation que la discrimination à l’égard des personnes handicapées persiste, en particulier dans les domaines de l’éducation et de l’emploi. Il note également avec préoccupation que l’État partie maintien en place des programmes ségrégués, qui sont discriminatoires à l’égard des personnes handicapées. Il note en outre avec préoccupation qu’aucune mesure particulière n’a été prise pour que le refus d’aménagement raisonnable soit pleinement considéré comme une forme de discrimination, en application de la Convention.

8. Rappelant son observation générale n o 6 (2018) sur l’égalité et la non ‑ discrimination, ainsi que l’objectif de développement durable n o 10, qui vise à réduire les inégalités dans les pays et d’un pays à l’autre, le Comité recommande à l’État partie :

a) De renforcer la législation contre la discrimination à l’égard des personnes handicapées et de veiller à ce qu’elle soit appliquée dans toutes les situations ;

b) D’élaborer un programme inclusif à la place des politiques ségrégationnistes, en associant concrètement les personnes handicapées à la conception, à l’exécution et au suivi de tous les programmes qui les concernent, et de veiller à ce qu’elles soient incluses dans tous les programmes de développement dans des conditions d’égalité avec les autres ;

c) De faire en sorte que le refus d’aménagement raisonnable soit considéré comme une forme de discrimination fondée sur le handicap dans la législation contre la discrimination et de veiller à ce que celle-ci soit respectée dans tous les contextes ;

d) De fournir un mécanisme accessible de signalement des cas de discrimination à l’égard des personnes handicapées ainsi que des voies de recours appropriées.

Femmes handicapées (art. 6)

9.Le Comité constate avec préoccupation :

a)Que la loi no 2017-58 relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes ne contient pas de dispositions relatives à l’aménagement procédural, que les professionnels en contact avec des femmes et filles handicapées ne reçoivent pas de formation adéquate, ce qui entrave l’accès des femmes handicapées à la justice et aux mesures de protection, et que les femmes handicapées n’ont pas suffisamment accès à la santé, à l’éducation et à la formation ;

b)Qu’il existe très peu de statistiques sur les cas de violence contre les femmes et filles handicapées, ce qui limite considérablement le suivi de ces cas ;

c)Que les femmes et filles handicapées ne sont pas représentées au sein du conseil des pairs pour l’égalité et l’équivalence des chances entre la femme et l’homme et que la représentation des femmes handicapées dans les initiatives économiques et leur participation à la vie politique et à l’administration publique sont rares, voire inexistantes.

10. Rappelant son observation générale n o 3 (2016) sur les femmes et les filles handicapées, le Comité recommande à l’État partie :

a) De mettre en place des règlements et des mécanismes prévoyant des aménagements procéduraux pour permettre aux femmes handicapées de signaler les atteintes à leurs droits et pour leur faciliter l’accès à la justice ;

b) D’organiser des programmes de formation à l’intention des agents chargés de recevoir, d’écouter et d’accompagner les femmes et filles handicapées qui sont victimes de violences, afin que ces agents soient en capacité de répondre aux problèmes auxquels les victimes sont confrontées et de leur assurer une prise en charge adéquate, notamment des enquêtes et des poursuites judiciaires impartiales, des sanctions proportionnées et des voies de recours ;

c) De recueillir des statistiques sur les cas de violence contre des femmes et filles handicapées et d’organiser ces informations de façon à permettre la surveillance et le suivi de ces cas ;

d) De prendre des mesures pour que les femmes et filles handicapées soient représentées dans toutes les instances où des questions relatives aux femmes sont examinées, en particulier au sein du conseil des pairs pour l’égalité et l’équivalence des chances entre la femme et l’homme ;

e) De veiller à la participation des femmes handicapées aux initiatives économiques, à la vie politique et à l’administration publique.

Enfants handicapés (art. 7)

11.Le Comité note avec préoccupation que l’État partie n’a pas accordé suffisamment d’attention aux enfants handicapés, notamment en ce qui concerne :

a)Le manque de mesures pratiques visant à sensibiliser aux droits des enfants handicapés leurs parents et les autres membres de leur famille, les autres enfants ainsi que le personnel et les professionnels qualifiés qui travaillent au service et au contact d’enfants ;

b)L’absence de mécanismes et de canaux qui permettent aux enfants handicapés de s’exprimer sur toute question les concernant et de voir leur opinion prise en considération ;

c)L’absence de mesures prises pour que les enfants handicapés participent pleinement, sur la base de l’égalité avec les autres enfants, à toute décision les concernant ;

d)Les cas qui lui ont été signalés de violences à l’égard d’enfants handicapés dans différents contextes, notamment dans la famille et dans les établissements d’enseignement ;

e)Les données obsolètes sur les conditions de vie des ménages et la situation démographique des enfants handicapés.

12. Rappelant la déclaration qu’il a publiée conjointement avec le Comité des droits de l’enfant en 2022 sur les droits des enfants handicapés, le Comité recommande à l’État partie :

a) De mettre au point des mesures concrètes pour que les droits des enfants handicapés soient mieux connus et soient respectés dans tous les contextes ;

b) De faire le nécessaire pour lutter contre la discrimination et en repérer et en abolir toutes les formes subies par les enfants handicapés dans leur vie quotidienne ;

c) De mettre à la disposition des enfants handicapés des canaux leur permettant de faire entendre leur voix sur toute question les concernant, et de veiller à ce que leur opinion soit prise en considération et à ce qu’ils participent à toutes les activités dans des conditions d’égalité avec les autres enfants ;

d) De mettre en place toutes les mesures nécessaires pour prévenir les violations des droits des enfants handicapés, en particulier les châtiments corporels, les mauvais traitements et les violences ;

e) De publier des données actualisées sur les conditions de vie des ménages et la situation démographique des enfants handicapés.

Sensibilisation (art. 8)

13.Le Comité relève avec inquiétude que les personnes handicapées, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent, n’ont pas été activement associées à l’élaboration, à l’exécution et au suivi des programmes de sensibilisation menés par l’État partie, puisqu’elles n’ont pas participé à l’élaboration des politiques et des plans d’action nationaux à cet égard. Il relève également avec inquiétude que, bien que l’État partie ait indiqué que des versions simplifiées de la Convention avaient été produites à l’intention des personnes handicapées et adaptées à différents niveaux d’éducation et différents groupes d’âge, la plupart des groupes cibles n’y avaient pas encore eu accès.

14. Rappelant la Convention et son observation générale n o 7 (2018) sur la participation des personnes handicapées, y compris des enfants handicapés, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent, à la mise en œuvre de la Convention et au suivi de son application, le Comité recommande à l’État partie :

a) De prendre sans tarder les mesures nécessaires pour que les personnes handicapées, y compris les femmes et enfants handicapés, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent, soient efficacement et concrètement associées à l’élaboration des politiques et à la conception, à l’exécution et au suivi des programmes de sensibilisation et des plans d’action mis en place en application de la Convention, en s’appuyant sur son observation générale n o 7 (2018) ;

b) De prendre immédiatement des mesures pour favoriser la diffusion de la Convention et la production de supports de sensibilisation, en veillant à ce que les personnes handicapées soient véritablement associées, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent, à l’élaboration et à la diffusion de ces supports, de faire le nécessaire pour que les versions simplifiées de la Convention soient diffusées auprès des groupes cibles, dans des délais raisonnables, et de publier des rapports et des données à cet égard.

Accessibilité (art. 9)

15.Le Comité note avec préoccupation que la majorité des bâtiments publics ne sont pas conformes aux normes d’accessibilité de l’État partie, définies dans les spécifications normatives de l’annexe au décret no 2006-1467. Il note également avec préoccupation que des personnes ayant un handicap auditif, visuel ou intellectuel ont déclaré avoir des difficultés à accéder à l’information et que les sites Web de la plupart des institutions publiques et privées ne sont pas accessibles et ne satisfont pas aux normes en matière d’accessibilité numérique. Bien que les transports en commun soient gratuits ou à tarif réduit pour les personnes handicapées, ils ne sont pas accessibles pour tous les types de handicap. Le Comité relève avec inquiétude que l’État partie ne recueille pas de statistiques et ne mène pas d’études sur l’accessibilité afin d’évaluer et de surveiller la situation en matière d’accessibilité.

16. Rappelant son observation générale n o 2 (2014) sur l’accessibilité, ainsi que les cibles 11.2 (assurer l’accès de tous à des systèmes de transport sûrs, accessibles et viables, à un coût abordable) et 11.7 (assurer l’accès de tous, en particulier des femmes et des enfants, des personnes âgées et des personnes handicapées, à des espaces verts et des espaces publics sûrs) des objectifs de développement durable, le Comité recommande à l’État partie :

a) De mettre en place des mesures rigoureuses pour faire appliquer les dispositions législatives relatives à l’accessibilité, en particulier le décret n o  2006-1467, et d’imposer des sanctions en cas de non-respect ;

b) De promouvoir la sensibilisation et la formation des professionnels du secteur du bâtiment en ce qui concerne les obstacles en matière d’accessibilité auxquels se heurtent les personnes handicapées et les mesures adéquates permettant d’y remédier ;

c) D’encourager la concertation étroite et le dialogue avec les personnes handicapées et leur participation active, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent, à l’évaluation de l’application de la législation en matière d’accessibilité, en particulier du décret n o  2006-1467, et des normes techniques adoptées ;

d) D’établir des normes d’accessibilité applicables aux médias et aux technologies de l’information et de la communication, ainsi qu’aux sites Web, conformément aux normes universelles, et d’intégrer l’accessibilité numérique dans les différents plans d’action en matière d’accessibilité et de transformation numérique ;

e) De revoir les procédures de passation de marchés publics applicables aux équipements de transport et de veiller à ce que les spécifications comprennent des critères d’accessibilité ;

f) De mener régulièrement des études et des enquêtes sur l’accessibilité au niveau national, en étroite collaboration avec les personnes handicapées et avec leur participation active, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent, afin d’évaluer la situation en matière d’accessibilité, notamment en repérant les lacunes et en formulant des recommandations pour y remédier.

Situations de risque et situations d’urgence humanitaire (art. 11)

17.Le Comité relève avec préoccupation que l’État partie n’a pris aucune mesure d’ordre législatif ou politique pour faire en sorte que les mesures de préparation aux catastrophes et de réduction des risques de catastrophe soient inclusives et accessibles et protègent toutes les personnes handicapées, indépendamment du type de handicap. Il relève également avec préoccupation que les personnes handicapées ne sont pas associées, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent, à la préparation aux catastrophes ni aux interventions en cas de catastrophe.

18. Le Comité recommande à l’État partie :

a) De mettre en place des stratégies et des politiques pour que les mesures de préparation aux catastrophes et de réduction des risques de catastrophe et les stratégies de gestion soient inclusives et accessibles, s’agissant notamment de l’évaluation des besoins, des procédures d’évacuation d’urgence, des systèmes publics d’alerte rapide et des stratégies de relèvement, et de veiller à ce que les informations sur les situations de risque soient communiquées à tous les membres de la communauté, y compris aux personnes handicapées, en particulier aux personnes sourdes, malentendantes ou sourdes-aveugles et aux personnes ayant une déficience visuelle, et à ce qu’elles soient présentées sous des formes et dans un langage accessibles ;

b) De veiller à ce que les personnes handicapées et les organisations qui les représentent, y compris les organisations de femmes et filles handicapées, soient effectivement consultées et participent activement à toutes les étapes des stratégies, plans et protocoles complets en matière de réduction des risques de catastrophe et d’urgences humanitaires, y compris en cas de conflit armé ou de conditions climatiques extrêmes, à savoir à l’élaboration, à l’exécution, au suivi et à l’évaluation ainsi qu’à la collecte systématique de données ventilées par handicap ;

c) De prendre des mesures pour former régulièrement et efficacement le personnel des services de secours et des services d’urgence à la prise en compte de l’âge et du handicap selon une approche fondée sur les droits de l’homme.

Reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité (art. 12)

19.Le Comité note avec préoccupation que l’État partie reste fidèle à la tutelle et à la prise de décision substitutive pour les personnes handicapées, notamment pour les personnes ayant des handicaps intellectuels et les personnes ayant des handicaps psychosociaux, ce qui est contraire à la Convention, qui préconise la prise de décision accompagnée. Il note également avec préoccupation que l’État partie continue d’appliquer la loi no 2008-66, portant assouplissement des transactions des personnes porteuses d’un handicap moteur, qui autorise les établissements financiers, tels que les banques, à limiter l’accès des personnes handicapées, en particulier des personnes sourdes et des personnes aveugles, à leurs propres fonds lorsqu’elles ne sont pas accompagnées d’un témoin ; ce qui fait que lorsque ces personnes se présentent seules au guichet d’une banque, elles peuvent se voir refuser le droit de retirer leur propre argent. Il lui a été signalé que, dans certains cas, la banque avait même exigé que le témoin soit désigné par décision de justice.

20. Rappelant son observation générale n o 1 (2014) sur la reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité, le Comité recommande à l’État partie :

a) De réviser toutes les dispositions législatives, en particulier l’article 106 du Code des obligations et des contrats et les articles 160, 162 et 163 du Code du statut personnel, qui préconisent la tutelle et la prise de décision substitutive et de les remplacer par des dispositions qui favorisent la prise de décision accompagnée et l’autonomie individuelle, conformément à la Convention ;

b) D’abroger la loi n o  2008-66 et de la remplacer par une loi qui consacre les principes de l’autonomie, du respect de la vie privée et de l’indépendance des personnes handicapées dans les formalités administratives et les opérations financières.

Accès à la justice (art. 13)

21.Le Comité est préoccupé par le fait que les agents des forces de l’ordre et le personnel judiciaire méconnaissent les droits des personnes handicapées, ainsi que par le nombre insuffisant d’interprètes disponibles pour les affaires concernant des personnes handicapées, en particulier des personnes sourdes, malentendantes ou sourdes-aveugles, situation qui oblige les tribunaux à faire appel à des interprètes professionnels, à demander à des membres de la famille (qui endossent alors un rôle d’intervenant) d’assurer l’interprétation, ou à reporter les audiences. Il relève avec préoccupation que l’assistance juridique accordée aux personnes handicapées est réservée aux détenteurs d’une carte de handicap, uniquement attribuée en-deçà d’un certain seuil financier.

22. Le Comité recommande à l’État partie :

a) D’organiser, à l’intention des agents de police, du personnel pénitentiaire et du personnel judiciaire, des formations qui leur présentent une approche du handicap fondée sur les droits de l’homme, tenant compte du genre et de l’âge, à appliquer dans leurs interactions avec des personnes handicapées ;

b) De prévoir des aménagements procéduraux pour les personnes handicapées, notamment le droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat gratuitement ou à un coût abordable, l’interprétation en langue des signes pour les personnes sourdes, malentendantes ou sourdes-aveugles ou la fourniture des documents sous une forme accessible, y compris en langage facile à lire et à comprendre, dans les procédures civiles, administratives et pénales, que les personnes concernées satisfassent ou non aux critères d’attribution de la carte de handicap.

Liberté et sécurité de la personne (art. 14)

23.Le Comité relève avec préoccupation que des personnes ayant des handicaps psychosociaux sont internées d’office, en application d’une décision de justice ou à la demande d’une tierce partie, souvent leur tuteur, dans des hôpitaux psychiatriques où elles subissent parfois des traitements violents. Il relève également avec préoccupation que la loi no 2004-40, qui autorise les psychiatres à interner en établissement psychiatrique des patients sans leur consentement ou contre leur gré, est toujours en vigueur.

24. Rappelant ses Lignes directrices pour la désinstitutionnalisation, y compris dans les situations d’urgence , le Comité recommande à l’État partie :

a) D’abroger toutes les lois, en particulier la loi n o 19 92-83 relative à la santé mentale et aux conditions d’hospitalisation en raison de troubles mentaux, la loi modificative n o  2004-40 et d’autres lois relatives à la santé mentale, et d’abolir toutes les politiques et toutes les pratiques qui permettent de priver de liberté les personnes handicapées, en particulier les personnes ayant des handicaps psychosociaux, en raison d’une déficience réelle ou supposée ou du danger que les personnes concernées sont supposées représenter pour elles-mêmes ou pour autrui ;

b) De garantir l’accès à des aménagements raisonnables dans les prisons et les centres de détention, en tenant compte des besoins associés aux différents types de handicap d’une manière conforme à la Convention.

Droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 15)

25.Le Comité relève avec inquiétude que les traitements coercitifs et le recours à la contention chimique ou mécanique, en particulier à l’égard de personnes ayant des handicaps psychosociaux, qui sont assimilables à des actes de torture, surtout dans les établissements psychiatriques, sont encore autorisés, et donc pratiqués.

26. Le Comité recommande à l’État partie :

a) De veiller à ce que les personnes handicapées, en particulier les personnes ayant des handicaps psychosociaux, soient protégées en droit comme dans la pratique contre toutes les formes de torture, notamment les traitements coercitifs et tous les types de contention chimique ou mécanique, tant à domicile que dans les établissements psychiatriques ;

b) D’établir un mécanisme accessible chargé de protéger les personnes handicapées et leur famille contre la torture et d’accorder une réparation effective aux victimes.

Droit de ne pas être soumis à l’exploitation, à la violence et à la maltraitance (art. 16)

27.Le Comité constate avec préoccupation que la loi no 2017-58 relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes ne contient pas de dispositions relatives à l’élimination de la violence à l’égard des femmes handicapées, en particulier en ce qui concerne la violence conjugale. Il constate également avec préoccupation l’absence de données accessibles sur le nombre de plaintes et d’affaires relatives à des actes de violence visant des femmes handicapées. Il constate en outre avec préoccupation que le numéro d’urgence mis en place par le Ministère de la famille, de la femme, de l’enfance et des seniors pour le signalement des cas de violence visant des femmes n’est pas accessible aux femmes sourdes, malentendantes ou sourdes-aveugles et que le personnel répondant aux appels à ce numéro d’urgence n’est pas formé au travail avec des femmes handicapées.

28. Le Comité recommande à l’État partie, avec la participation active et concrète des personnes handicapées et des organisations qui les représentent :

a) De modifier la loi n o  2017-58 afin d’y ajouter des dispositions relatives à l’élimination de la violence à l’égard des femmes handicapées, en particulier dans la section concernant la violence conjugale ;

b) De veiller à ce que des données soient collectées sur les personnes handicapées qui sont victimes de violence, surtout les femmes et les enfants, et à ce que ces données soient ventilées en fonction du handicap et selon le type de handicap ;

c) D’établir un mécanisme de signalement des cas de violence visant des femmes handicapées ;

d) D’organiser sans délai des formations, à l’intention de tous les professionnels participant à la prise en charge des cas de violence à l’égard de femmes, concernant le travail avec des personnes handicapées, en particulier leurs droits et les soins particuliers dont elles ont besoin.

Protection de l’intégrité de la personne (art. 17)

29.Le Comité est profondément préoccupé par les allégations selon lesquelles des femmes handicapées placées sous tutelle peuvent subir une stérilisation forcée à la demande de tiers, notamment de personnes de confiance, de membres de leur famille ou de leur tuteur, contre leur gré et sans leur consentement éclairé. Il est préoccupé par le manque de débat public et objectif sur la question et de l’absence de campagnes de sensibilisation visant à faire comprendre que les personnes handicapées devraient avoir accès à des activités de formation consacrées à la santé sexuelle et reproductive et se voir donner les moyens de prendre leurs propres décisions.

30. Le Comité recommande à l’État partie :

a) De prendre immédiatement des mesures, notamment législatives, pour interdire et abolir la pratique de la stérilisation forcée, en particulier à l’égard des femmes handicapées ;

b) De mettre en place des campagnes de sensibilisation au droit des personnes handicapées à la santé sexuelle et reproductive, à l’intention du personnel médical spécialisé dans ce domaine et des personnes handicapées, en particulier des femmes handicapées.

Droit de circuler librement et nationalité (art. 18)

31.Le Comité note avec préoccupation que des personnes handicapées, en particulier des personnes ayant des handicaps psychosociaux, sont exclues de certains services fournis à d’autres personnes handicapées par l’État partie, comme les tarifs réduits des transports en commun, en raison des obstacles pourquoi les empêchent d’obtenir une carte d’identité.

32. Le Comité recommande à l’État partie :

a) De réviser le décret n o  2006-1477 afin de simplifier et de faciliter les procédures permettant aux personnes handicapées de bénéficier de tarifs réduits pour les transports internationaux ;

b) De reconnaître les personnes ayant des handicaps psychosociaux dans la loi en cours d’élaboration relative à l’exonération fiscale des personnes handicapées afin d’améliorer leur liberté de circulation.

Autonomie de vie et inclusion dans la société (art. 19)

33.Le Comité constate avec inquiétude que l’État partie continue d’appliquer la loi d’orientation no 2005-83, qui prévoit le placement des personnes handicapées dans des établissements spécialisés dans l’hébergement et la prise en charge des personnes handicapées, ce qui revient à les institutionnaliser sans leur consentement dans ces établissements, où ils peuvent être internés sur autorisation judiciaire ou par décision de leur tuteur et où ils peuvent rester pendant une durée indéterminée. Il constate également avec inquiétude que certains services de proximité destinés à l’ensemble de la population ne sont toujours pas inclusifs et ne prévoient pas les services d’un assistant personnel.

34. Rappelant son observation générale n o 5 (2017) sur l’autonomie de vie et l’inclusion dans la société, le Comité recommande à l’État partie :

a) De prendre des mesures législatives et de politique générale en vue d’abandonner le placement des personnes handicapées en milieu fermé et de permettre leur inclusion effective dans la société, conformément aux Lignes directrices pour la désinstitutionnalisation, y compris dans les situations d’urgence ;

b) De faire le nécessaire pour que soient reconnus les droits qu’ont les personnes handicapées, sans distinction d’âge, de sexe et de handicap, de choisir où et avec qui elles souhaitent vivre et d’avoir accès à des aides et prestations sociales, y compris à des assistants personnels, en fonction de leurs besoins individuels ;

c) De veiller à ce qu’une approche inclusive soit adoptée dans tout l’État partie en ce qui concerne les services communautaires destinés à l’ensemble de la population ;

d) De consulter les personnes handicapées, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent, afin de garantir le caractère inclusif d es services fournis et de recenser les besoins en matière de services de soutien.

Mobilité personnelle (art. 20)

35.Le Comité est préoccupé par l’article 47 du décret no 2022-79, portant loi de finances pour l’année 2023, qui pourrait porter préjudice aux personnes handicapées ayant besoin d’un véhicule automobile aménagé spécialement pour leur mobilité personnelle, ce qui serait contraire à la Convention. Il est également préoccupé par les allégations selon lesquelles les installations permettant d’assurer le transport accessible des personnes aveugles et malvoyantes sont insuffisantes.

36. Le Comité recommande à l’État partie :

a) De réviser l’article 47 du décret n o  2022-79, portant loi de finances pour l’année 2023, de sorte que toutes les personnes handicapées, indépendamment de leur catégorie de handicap, puissent bénéficier de l’exemption de redevances et de taxes sur les véhicules ou le matériel et l’équipement médical et d’assistance ;

b) De fournir aux personnes handicapées tous les équipements nécessaires d’aide à la mobilité, y compris les prothèses, et d’inclure ces équipements dans la liste du matériel pris en charge par l’État partie ;

c) De prendre des mesures pour rendre les transports publics accessibles aux personnes handicapées, en particulier aux personnes ayant un handicap physique ou une déficience visuelle.

Liberté d’expression et d’opinion et accès à l’information (art. 21)

37.Le Comité relève avec préoccupation que l’utilisation de la langue des signes par les médias électroniques demeure très limitée, ce qui prive les personnes sourdes des informations communiquées par la télévision. Il s’inquiète de la disponibilité limitée ou de l’absence d’informations publiques en braille et dans d’autres formes de communication améliorée.

38. Le Comité recommande à l’État partie :

a) De demander instamment aux médias d’accroître l’accès à l’interprétation en langue des signes dans tous les programmes télévisés ;

b) De fournir les informations publiques importantes en braille, en langage facile à lire et à comprendre et sous d’autres formes de communication améliorée.

Respect de la vie privée (art. 22)

39.Le Comité est préoccupé par le manque d’information sur les lois relatives à la protection des données et par le fait que les personnes handicapées méconnaissent leurs droits en matière de protection des données et de respect de la vie privée.

40. Le Comité recommande à l’État partie :

a) D’adopter des mesures visant à former et sensibiliser les personnes handicapées et leur famille au sujet de la législation relative à la protection des données personnelles ;

b) De sensibiliser les personnes handicapées et leur famille, ainsi que les organisations qui les représentent, au respect de la vie privée et à la protection des données ;

c) De définir, en étroite concertation avec les personnes handicapées et les organisations qui les représentent et avec leur participation active, une stratégie nationale visant à garantir le respect de leur vie privée et la protection de leurs données personnelles et de celles de leur famille.

Respect du domicile et de la famille (art. 23)

41.Le Comité est préoccupé par les dispositions législatives et la pratique qui autorisent un juge à retirer la fonction parentale à un parent handicapé et à confier la responsabilité de l’enfant à des membres de la famille ne faisant pas partie de l’entourage proche ou à un centre des affaires sociales, ce qui est contraire à la disposition de la Convention selon laquelle en aucun cas un enfant ne doit être séparé de ses parents en raison de son handicap ou du handicap de l’un ou des deux parents.

42. Le Comité recommande à l’État partie :

a) D’abroger toute disposition législative autorisant un juge à retirer la fonction parentale à un parent handicapé et à séparer l’enfant concerné de sa famille proche ;

b) De renforcer les mécanismes de protection et de soutien aux familles, en particulier lorsqu’un membre de la famille a un handicap intellectuel ou psychosocial, pour protéger les parents et les enfants contre les violences et éviter que les parents soient privés de leur fonction parentale.

Éducation (art. 24)

43.Le Comité relève avec préoccupation que peu de progrès ont été accomplis dans le domaine de l’éducation des enfants handicapés au cours de la décennie qui s’est écoulée depuis l’examen du précédent rapport de l’État partie, en particulier que l’ancienne législation, qui préconise l’éducation ségrégative, continue d’être appliquée. Il relève également avec préoccupation que le budget alloué à l’éducation inclusive reste très faible. Il relève en outre avec préoccupation que les enfants handicapés ne sont autorisés à suivre une éducation dans un établissement inclusif qu’après une évaluation de leurs facultés, aucun aménagement raisonnable n’étant prévu dans les établissements inclusifs.

44. Rappelant son observation générale n o 4 (2016) sur le droit à l’éducation inclusive et l’objectif de développement durable n o  4, visant à assurer à tous une éducation équitable, inclusive et de qualité et des possibilités d’apprentissage tout au long de la vie, le Comité recommande à l’État partie :

a) De modifier les lois en vigueur régissant l’éducation des enfants handicapés afin de reconnaître le droit à une éducation inclusive et de lever tous les obstacles environnementaux à l’inclusion dans le système éducatif, conformément à la Convention et à l’observation générale n o 4 (2016) ;

b) D’adopter des programmes harmonisés assortis d’échéances et d’objectifs précis afin de promouvoir l’accès des personnes handicapées à des écoles inclusives, en veillant à ce que les enfants handicapés puissent obtenir un appui individualisé et bénéficient d’aménagements raisonnables ;

c) D’augmenter le budget alloué à l’éducation inclusive et de reconnaître qu’il est de son devoir de fournir des aménagements raisonnables dans le secteur de l’éducation et de mettre en place des procédures concernant la demande et l’octroi de ce service ;

d) De modifier le rôle des commissions locales du handicap de façon à leur confier, en plus de leur rôle d’évaluation, la responsabilité de déterminer et de fournir l’appui personnalisé nécessaire à l’inclusion des enfants handicapés ;

e) De transformer progressivement les centres spécialisés en centres de ressources pour l’inclusion, au lieu de dispenser une éducation ségrégative.

Santé (art. 25)

45.Le Comité relève avec préoccupation que, pour pouvoir bénéficier de la gratuité des soins de santé ou de tarifs réduits, les personnes handicapées doivent obtenir une carte de handicap et être affiliées au régime de sécurité sociale, ces conditions constituant un obstacle qui empêche les personnes handicapées de jouir de ces avantages. Il relève également avec préoccupation que les préférences ou la volonté des personnes handicapées en ce qui concerne la prestation des services de santé ne sont pas respectées, en particulier dans le cas des personnes ayant un handicap psychosocial ou intellectuel, l’article 103 du code de déontologie médicale autorisant le professionnel de santé à prendre une décision avec l’aval du tuteur ou représentant légal de la personne concernée, sans le consentement de celle-ci. Il relève en outre avec préoccupation que les services médicaux spécialisés ne sont disponibles que dans les grandes villes, ce qui, pour les personnes handicapées des régions rurales et isolées, rend difficile l’accès à ces services, également compliqué par l’absence de transports publics sûrs en dehors des zones urbaines.

46. Le Comité recommande à l’État partie :

a) De simplifier les formalités administratives relatives à l’obtention de la carte de handicap et à l’affiliation au régime de sécurité sociale ;

b) De mettre en place des mesures, notamment en modifiant le décret n o  93 portant code de déontologie médicale de façon à l’harmoniser avec la Convention, pour que les services de santé et les traitements, en particulier les services en matière de santé sexuelle et reproductive, soient fournis aux personnes handicapées, en particulier aux personnes ayant des handicaps psychosociaux ou intellectuels, en respect ant leur volonté et avec leur consentement éclairé ;

c) De former les médecins et autres professionnels de santé aux droits des personnes handicapées, dans l’ensemble du territoire de l’État partie, y compris dans les zones rurales ;

d) De prendre toutes les mesures nécessaires pour que toutes les personnes handicapées, en particulier les femmes et filles handicapées, aient accès à l’ensemble des services de santé et de réadaptation dans leur propre communauté, y compris dans les zones rurales, afin qu’elles ne soient pas obligées de se rendre dans des centres urbains pour accéder à ces services.

Travail et emploi (art. 27)

47.Le Comité est préoccupé par le non-respect des lois relatives à l’emploi des personnes handicapées, en particulier de la loi no 2005-83, qui prévoit un système de quotas ainsi que l’entrée sur un marché de l’emploi concurrentiel. Il est également préoccupé par le fait que la majorité des personnes handicapées qui occupent un emploi, de quelque forme que ce soit, travaillent dans le secteur informel, où elles sont soumises à des conditions de travail précaires, notamment au chômage partiel, aux bas salaires et à l’absence de protection sociale. Il est en outre préoccupé par les allégations selon lesquelles le chômage des personnes handicapées est associé à des inégalités dans l’accès à l’éducation et à la formation, qui touchent particulièrement les personnes handicapées.

48. Rappelant son observation générale n o 8 (2022) sur le droit des personnes handicapées au travail et à l’emploi et l’objectif de développement durable n o  8, qui vise à promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous, le Comité recommande à l’État partie :

a) De prendre des mesures appropriées pour faire appliquer les lois relatives à l’emploi des personnes handicapées, en particulier la loi n o  2005-83, et notamment d’infliger des sanctions plus efficaces aux employeurs qui enfreignent ces lois dans le cadre du recrutement, de l’embauche et de la rétention des personnes handicapées et qui refusent d e procéder à des aménagements raisonnables dans leurs locaux ;

b) D e faire le nécessaire pour que soient élaborés, par un dialogue constructif avec la participation active des organisations de personnes handicapées et en consultation avec elles, des politiques et des programmes efficaces pour l’inclusion des personnes handicapées sur le marché du travail général ;

c) D’adopter des mesures visant à protéger les personnes handicapées contre les employeurs du secteur informel, où elles sont soumises à des conditions de travail précaires et illégales ;

d) D’adopter des mesures législatives et de politique générale visant à améliorer l’accès à l’orientation et à la formation techniques et professionnelles et l’accessibilité de ces activités afin d’accroître l’employabilité des personnes handicapées sur la base de l’égalité avec les autres.

Niveau de vie adéquat et protection sociale (art. 28)

49.Le Comité constate avec préoccupation que les mesures législatives et de politique générale relatives à la protection sociale, parmi lesquelles figurait notamment l’octroi de subventions à la création de petites entreprises pour les personnes handicapées, n’ont pas été suffisamment efficaces pour réduire les inégalités sociales, compte tenu des difficultés d’inclusion dans le monde du travail et des coûts plus élevés souvent associés aux handicaps. Il note également avec préoccupation que les personnes handicapées sont en proie à l’insécurité économique et que cette vulnérabilité est encore plus évidente pour le grand nombre de femmes et filles handicapées qui vivent dans des régions rurales, où l’accès aux services publics élémentaires est encore plus difficile.

50. Le Comité recommande à l’État partie :

a) De créer un système efficace de protection sociale, qui garantisse un degré minimum de sécurité économique et d’accès aux services de soutien élémentaires, y compris à la prise en charge des coûts liés au handicap ;

b) De mettre en place des mesures concrètes pour que les personnes handicapées, en particulier les femmes et enfants handicapés, y compris ceux vivant dans des régions rurales, aient accès à des programmes et des services sociaux généraux adaptés, accessibles et abordables, notamment à une alimentation, un habillement et un logement adéquats ;

c)De prendre en compte le handicap dans des stratégies de réduction de la pauvreté qui comprennent également des mesures particulières à l’intention des personnes handicapées, en particulier des femmes, des filles et des personnes âgées handicapées.

Participation à la vie politique et à la vie publique (art. 29)

51.Le Comité note avec préoccupation que la mesure d’incitation prévue dans la loi électorale adoptée par l’Assemblée des représentants du peuple, selon laquelle les frais de campagne doivent être remboursés par l’Instance supérieure indépendante pour les élections si une personne handicapée figure parmi les dix premiers candidats sur les listes électorales pour les élections municipales, mesure qui a donné de très bons résultats sur le plan de l’inclusion, ne s’applique pas aux élections législatives, où la représentation des personnes handicapées n’est pas garantie. Il note également avec préoccupation que le conflit politique qui règne depuis juillet 2022 représente une menace pour la participation des personnes handicapées à la vie politique. Il note en outre avec préoccupation que les élections du 17 décembre 2022 témoignent d’une régression par rapport aux progrès réalisés aux élections précédentes en ce qui concerne l’application des dispositions en matière d’accessibilité.

52. Le Comité recommande à l’État partie :

a) D’élargir les mesures d’incitation à l’inclusion de personnes handicapées, qui sont actuellement limitées aux élections municipales, à toutes les élections, en particulier aux élections législatives ;

b) De s’appuyer sur les progrès antérieurs pour avancer sur la voie de l’accessibilité universelle des procédures, des installations et du matériel de vote, en veillant au respect des dispositions relatives à l’accessibilité dans les bureaux de vote et à l’accès aux informations politiques, afin d’éviter tout retour en arrière ;

c) De faciliter et de garantir la participation des personnes handicapées, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent, à tous les niveaux de la prise de décision, de la planification, de l’exécution et du suivi en ce qui concerne les élections, ainsi que leur inclusion dans les autres formes d’affaires publiques.

Participation à la vie culturelle et récréative, aux loisirs et aux sports (art. 30)

53.Le Comité relève avec préoccupation que le chapitre 8 de la loi d’orientation no 2005‑83 relatif à la gratuité d’accès aux espaces publics culturels, sportifs et de loisirs n’a pas été efficacement appliqué et qu’il est peu connu des personnes handicapées et des organisations qui les représentent. Il relève également avec préoccupation que le Ministère des affaires culturelles n’associe pas concrètement les personnes handicapées, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent, à ses programmes de sensibilisation relatifs à l’importance d’organiser pour elles des activités culturelles. En particulier, il relève avec préoccupation qu’elles ne participent pas à la conception, à la planification, à l’exécution et au suivi des programmes organisés, ni à l’évaluation de l’accessibilité des monuments, théâtres et autres lieux de divertissement et de loisirs. De fait, bon nombre de personnes handicapées ne sont même pas au courant de l’existence de ces programmes.

54. Le Comité recommande à l’État partie :

a) De veiller à faire appliquer efficacement le chapitre 8 de la loi d’orientation n o  2005-83, relatif à la gratuité d’accès aux espaces publics culturels, sportifs et de loisirs, et à le faire connaître, afin d’assurer à toutes les personnes handicapées la gratuité d’accès à ces lieux et de leur en faciliter l’accès ;

b) D’adopter des mesures pour que les informations sur les activités culturelles, les supports et le contenu culturels soient accessibles aux personnes handicapées, notamment par le recours aux technologies de l’information et de la communication ;

c) De prendre des mesures pour que les personnes handicapées, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent, soient consultées et participent activement à ses programmes de sensibilisation à l’importance de l’organisation d’activités culturelles destinées aux personnes handicapées et, en particulier, de veiller à ce qu’elles soient associées à l’élaboration, à la planification, à l’exécution et au suivi des programmes organisés ;

d) De procéder à des évaluations régulières de l’accessibilité des monuments, théâtres et autres lieux de divertissement et de loisirs avec la participation active des personnes handicapées, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent, et en étroite concertation avec elles ;

e) De soutenir les productions artistiques, culturelles et sportives créées qui sont l’œuvre de personnes handicapées, et de les diffuser au grand public.

C.Obligations particulières (art. 31 à 33)

Statistiques et collecte des données (art. 31)

55.Le Comité relève avec préoccupation qu’il n’existe pas de données exactes et ventilées à jour sur les personnes handicapées. Les bases de données du Ministère des affaires sociales et de l’Institut national de la statistique n’ont pas été actualisées depuis longtemps. Il relève également avec préoccupation que, malgré l’utilisation du bref questionnaire du Groupe de Washington sur les situations de handicap dans le cadre du recensement national réalisé en 2014, les résultats n’étaient clairement pas représentatifs de la situation réelle sur le terrain, au vu des faibles chiffres obtenus, ce qui pourrait être dû à la formation insuffisante des recenseurs.

56. Rappelant la cible 17.18 des objectifs de développement durable, qui vise à apporter un soutien accru au renforcement des capacités des pays en développement, notamment des pays les moins avancés et des petits États insulaires en développement, l’objectif étant de disposer d’un beaucoup plus grand nombre de données de qualité, actualisées et exactes, ventilées par niveau de revenu, sexe, âge, race, appartenance ethnique, statut migratoire, handicap et emplacement géographique, et selon d’autres caractéristiques propres à chaque pays, le Comité recommande à l’État partie :

a) De mettre au point un système national pour la collecte systématique de données et d’indicateurs statistiques et de recherche à jour, ventilés par âge, sexe, type de handicap et autres facteurs pertinents, qui rendent compte de la situation des personnes handicapées aux fins de l’élaboration et de l’application de politiques visant à donner effet à la Convention ;

b) De faire en sorte, en facilitant leur participation, que les organisations qui représentent les personnes handicapées soient pleinement et concrètement associées à l’élaboration, à l’évaluation et au suivi de la collecte de données et de la recherche, ainsi qu’à la formation des recenseurs.

Coopération internationale (art. 32)

57.Le Comité prend note avec préoccupation des allégations plausibles qui lui ont été faites, selon lesquelles les personnes handicapées, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent, n’ont été consultées ni pendant la négociation ni pendant l’exécution d’un accord de partenariat et de coopération signé entre la Tunisie et l’Italie concernant l’application de la Convention. Il relève avec préoccupation que le projet a été récemment déployé sans que les personnes handicapées y soient associées.

58. Le Comité recommande à l’État partie de prendre immédiatement les mesures nécessaires pour :

a) Que les personnes handicapées et les organisations qui les représentent participent concrètement et soient consultées à toutes les étapes de l’exécution et du suivi des accords de partenariat et de coopération relatifs à l’application de la Convention, notamment de celui signé entre les Gouvernements tunisien et italien qui prévoyait l’élaboration de la stratégie nationale relative au handicap ;

b) Que l e handicap soit pris en compte dans les programmes et projets élaborés dans le cadre d’initiatives de coopération internationale, en particulier ceux qui comprennent un volet consacré au handicap ;

c) Qu ’ u n cadre de suivi et de responsabilisation soit établi et que des postes budgétaires suffisants soient alloués au handicap dans les programmes et projets généraux visant à mettre en application le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et à en assurer le suivi, notamment s’agissant de ses conséquences ou de son efficacité pour les personnes handicapées.

Application et suivi au niveau national (art. 33)

59.Le Comité note avec préoccupation que l’État partie n’a toujours pas désigné clairement de point de contact pour l’application de la Convention. Il constate également avec préoccupation que la Commission nationale des droits de l’homme, qui devrait assurer le suivi de l’application de la Convention, n’est pas un mécanisme indépendant. Il constate en outre avec préoccupation qu’aucune stratégie claire n’a été mise en place pour assurer la participation des personnes handicapées, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent, à l’application de la Convention et au suivi de cette application, comme l’exige la Convention.

60. Le Comité recommande à l’État partie :

a) De désigner clairement, au sein de son administration, un ou plusieurs points de contact disposant de pouvoirs, de ressources humaines et de crédits budgétaires suffisants pour s’acquitter de leur mandat, qui est de veiller à ce que le handicap soit pris en compte dans toutes les politiques et tous les programmes ;

b) De veiller à ce que la Commission nationale des droits de l’homme ait toute compétence pour promouvoir et protéger les droits des personnes handicapées et adopter des mesures visant à promouvoir, protéger et surveiller l’application de la Convention, dans le respect des Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris), en accordant une attention particulière à son indépendance et à son autonomie et en lui affectant un budget et des ressources humaines suffisants pour mener ses activités ;

c) D’adopter des mesures visant à associer pleinement la société civile, en particulier les personnes handicapées et les organisations qui les représentent, notamment celles qui représentent les femmes et filles handicapées, afin que les questions de genre soient prises en compte dans le processus de suivi et d’application et dans l’élaboration des rapports conformément aux obligations qui incombent à l’État partie au titre des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme qu’il a ratifiés.

IV.Suivi

Diffusion de l’information

61.Le Comité insiste sur l’importance de toutes les recommandations qui figurent dans les présentes observations finales. En ce qui concerne les mesures à prendre d’urgence, il appelle l’attention de l’État partie sur les recommandations formulées au paragraphe 14, concernant la sensibilisation (art. 8), au paragraphe 20, concernant la reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité (art. 12), et au paragraphe 52, concernant la participation à la vie politique et à la vie publique (art. 29).

62.Le Comité demande à l’État partie de mettre en application les recommandations figurant dans les présentes observations finales. Il lui recommande de transmettre ces observations finales, pour examen et suite à donner, aux membres du Gouvernement et du Parlement, aux responsables des différents ministères, aux autorités locales et aux membres des professions concernées tels les professionnels de l’éducation, de la santé et du droit, ainsi qu’aux médias, en utilisant pour ce faire les stratégies de communication sociale modernes.

63. Le Comité encourage vivement l’État partie à associer les organisations de la société civile, en particulier les organisations de personnes handicapées, à l’élaboration de ses rapports périodiques.

64. Le Comité prie l’État partie de diffuser largement les présentes observations finales, notamment auprès des organisations non gouvernementales et des organisations de personnes handicapées, ainsi qu’auprès des personnes handicapées elles-mêmes et de leurs proches, dans les langues nationales et minoritaires, notamment en langue des signes, et sous des formes accessibles telles que le langage facile à lire et à comprendre. Il lui demande aussi de les diffuser sur le site Web public consacré aux droits de l’homme.

Prochain rapport périodique

65.Le Comité prie l’État partie de lui soumettre son rapport valant quatrième à sixième rapports périodiques le 2 mai 2030 au plus tard et d’y faire figurer des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations figurant dans les présentes observations finales. Il invite également l’État partie à envisager de soumettre ce rapport en suivant la procédure simplifiée, dans le cadre de laquelle il établit une liste de points au moins un an avant la date prévue pour la soumission du rapport et l’État partie y apporte des réponses qui constituent son rapport périodique.