Nations Unies

CAT/C/LUX/CO/6-7

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

3 juin 2015

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Observations finales concernant les sixième et septième rapportspériodiques du Luxembourg, soumis en un seul document *

Le Comité contre la torture a examiné les sixième et septième rapports périodiques du Luxembourg soumis en un seul document (CAT/C/LUX/6-7) à ses 1300e et 1303e séances, les 27 et 28 avril 2015 (CAT/C/SR.1300 et 1303). À sa 1317e séance, le 7 mai 2015, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

Le Comité sait gré à l’État partie d’avoir accepté la procédure facultative pour l’établissement des rapports car elle permet de mieux cibler le dialogue entre l’État partie et le Comité.

Le Comité accueille avec satisfaction les renseignements communiqués dans les sixième et septième rapports périodiques du Luxembourg soumis en un seul document. Il se félicite du dialogue ouvert et constructif qu’il a eu avec la délégation importante et plurielle de l’État partie et remercie celle-ci pour les réponses détaillées apportées aux questions posées et aux préoccupations exprimées par les membres du Comité.

B.Aspects positifs

Le Comité constate avec satisfaction que l’État partie a ratifié les instruments internationaux ci-après, ou y a adhéré :

a)Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en 2010 ;

b)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, en 2011 ;

c)La Convention relative aux droits des personnes handicapées, en 2011 ;

d)Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, en 2011 ;

e)Le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (le Protocole de Palerme), en avril 2009.

Le Comité salue les efforts que continue de déployer l’État partie pour réviser sa législation afin de donner effet aux recommandations du Comité et de mieux appliquer la Convention et, notamment, l’adoption des textes de loi suivants :

a)La loi du 11 avril 2010 portant désignation du Médiateur en tant que mécanisme national de prévention au sens du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

b)La loi du 29 août 2008 portant modification de la loi sur la libre circulation des personnes et l’immigration pour y inclure le principe du non-refoulement ;

c)La loi du 21 novembre 2008, portant création d’une Commission consultative des droits de l’homme au Luxembourg ;

d)La loi du 16 décembre 2008 telle que modifiée, relative à l’aide à l’enfance et à la famille, disposant notamment qu’au sein des familles et des communautés éducatives, la violence physique et sexuelle et les mutilations génitales sont prohibées ;

e)La loi du 13 mars 2009 relative à la lutte contre la traite des êtres humains et la loi du 8 mai 2009 relative à l’assistance, la protection et la sécurité des victimes de la traite des êtres humains ;

f)La loi du 13 février 2011 qui transpose en droit interne la décision-cadre 2008/913/JHA du Conseil de l’Union européenne sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal.

Le Comité salue également d’autres efforts que déploie l’État partie pour donner effet à la Convention, notamment :

a)La création d’un centre de rétention, qui fonctionne depuis 2011 et a pour mission d’accueillir et d’héberger les étrangers faisant l’objet d’une mesure de placement dans un établissement autre qu’un centre pénitentiaire ;

b)L’adoption, en 2008, de règles de bonne conduite pour les agents chargés de l’exécution des mesures d’expulsion et la conclusion, avec la Croix-Rouge luxembourgeoise, d’un accord-cadre prévoyant qu’un observateur indépendant assiste aux opérations d’expulsion.

Le Comité constate que l’État partie n’a fait l’objet d’aucune allégation de torture depuis le dernier examen périodique le concernant.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Renvoi forcé des personnes ayant besoin de soins médicaux d’urgence

Le Comité est préoccupé par des informations selon lesquelles des personnes détenues auraient été forcées de retourner dans leur pays d’origine malgré le fait qu’elles avaient besoin de soins médicaux d’urgence (art. 3 et 11).

L’État partie devrait garantir que toutes les personnes renvoyées fassent l’objet d’un examen médical, au cours duquel leur santé physique et mentale doit être contrôlée, et que ces personnes ne soient pas expulsées de force si elles ont besoin d’un traitement médical d’urgence, en particulier si le traitement en question n’est pas disponible dans leur pays d’origine.

Situation des demandeurs d’asile dont la demande a été rejetée

Le Comité constate avec préoccupation que les personnes dont la demande d’asile a été rejetée mais qui ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine en raison d’un danger ou pour des questions de sécurité ne reçoivent pas les ressources provisoires nécessaires, ce qui fait qu’elles disparaissent et entrent dans la clandestinité (art. 11).

L’État partie devrait prendre les mesures législatives et administratives nécessaires pour faire en sorte que les personnes dont la demande d’asile a été rejetée mais qui ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine pour des raisons qui échappent à leur contrôle bénéficient de services sociaux et de prestations sociales adaptés jusqu’à ce qu’elles puissent retourner dans leur pays d’origine, pour éviter qu’elles n’entrent dans la clandestinité.

Conditions de détention

Le Comité constate avec satisfaction que l’État partie s’emploie avec succès à prévenir la surpopulation carcérale et salue l’adoption de la loi du 24 juillet 2014 qui autorise la construction d’un centre pénitentiaire supplémentaire, mais il est préoccupé par le fait que certaines conditions de détention, en particulier s’agissant de la taille et des conditions sanitaires de certaines cellules des commissariats de police, ne satisfont pas aux normes internationales, comme l’a indiqué le Médiateur dans son rapport de février 2011 sur ce sujet (art. 11 et 16).

L’État partie devrait veiller à ce que les conditions de détention soient partout pleinement conformes aux normes internationales et tenir compte du fait que les conditions de détention peuvent constituer pour les personnes détenues un facteur de stress supplémentaire. À cet égard, l’État partie devrait :

a) Augmenter la taille des cellules utilisées pour détenir des personnes pendant de courtes périodes avant leur interrogatoire par la police, cellules qui, comme indiqué par l’État partie, ne mesurent que 2 mètres carrés ;

b) Placer des matelas dans les « cellules de détention provisoire pendant vingt-quatre heures au plus » ;

c) Équiper les cellules de prison de toilettes ou faire en sorte que toute personne détenue ait à tout moment accès à des installations sanitaires.

Refus de traitement médical visant des personnes privées de liberté

Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles certains détenus se seraient vu refuser l’accès à des soins médicaux extérieurs, alors même que ces soins avaient été prescrits par un médecin (art. 11 et 16).

L’État partie devrait garantir l’accès des personnes privées de liberté au traitement médical dont elles ont besoin, y compris des soins médicaux extérieurs.

Actes racistes et xénophobes à l’égard de détenus étrangers

Le Comité prend note avec préoccupation des informations faisant état d’actes racistes et xénophobes commis par certains agents des forces de l’ordre et membres du personnel pénitentiaire à l’égard de détenus étrangers (art. 12, 13, 14 et 16).

L’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour interdire et sanctionner toute discrimination ou incitation à la violence visant des groupes vulnérables et veiller à ce que les infractions motivées par la haine fassent toujours l’objet d’une enquête et de poursuites et que les auteurs de ces infractions soient condamnés et punis.

Justice pour mineurs

Le Comité est préoccupé par le report de l’ouverture et de la mise en fonctionnement de l’unité de sécurité fermée de Dreiborn pour mineurs, qui est dû au retard pris dans l’adoption des textes législatifs correspondants. Il est également préoccupé par le fait que, à la discrétion des juges, des mineurs âgés de 16 à 18 ans peuvent être présentés devant des juridictions ordinaires et jugés comme des adultes pour des infractions particulièrement graves (art. 11 et 16).

L’État partie devrait prendre les mesures législatives et administratives nécessaires pour accélérer l’ouverture et la mise en fonctionnement de l’unité de sécurité fermée de Dreiborn pour mineurs et, dans l’intervalle, veiller à ce que les mineurs en détention provisoire et les prisonniers âgés de moins de 18 ans soient toujours séparés des adultes, conformément à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l'administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing, 13.4 et 26.3) et aux Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté (règles 17, 28 et 29). Il devrait appliquer des mesures de substitution à l’incarcération, compte tenu des dispositions des Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) et des Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l'imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok), et veiller à ce que les mineurs soient toujours jugés par des tribunaux pour mineurs.

Formation

Le Comité prend note avec satisfaction des renseignements détaillés communiqués par l’État partie au sujet de la formation des agents de la fonction publique amenés à procéder à des arrestations et à des placements en garde à vue, en détention et en prison, mais regrette l’absence d’informations sur la contribution de cette formation à la prévention de la torture et des mauvais traitements. Il s’inquiète du peu d’informations qu’il a reçues sur les formations devant être dispensées aux personnels concernés, sur leurs obligations spécifiques découlant de la Convention, et au personnel médical qui s’occupe du traitement des détenus et des demandeurs d’asile (art. 10 et 11).

L’État partie devrait :

a) Faire en sorte que les fonctionnaires amenés à procéder à des arrestations et à des placements en garde à vue, en détention et en prison soient formés et sensibilisés aux obligations spécifiques qui leur incombent en vertu de la Convention ;

b) Veiller à ce que tous les personnels concernés, y compris les membres du corps médical, apprennent en particulier à détecter les signes de torture et de mauvais traitements grâce à des formations s’appuyant sur le M anuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ( Protocole d’Istanbul ) ;

c) Élaborer et appliquer une méthodologie pour évaluer l’efficacité et les effets des programmes de formation sur la prévention de la torture et de s mauvais traitements.

Pouvoirs du procureur

Comme il l’avait indiqué au paragraphe 11 de ses précédentes observations finales (CAT/C/LUX/CO/5), le Comité est préoccupé par la latitude qui est laissée au procureur de décider de poursuivre ou non les auteurs présumés d’actes de torture et de mauvais traitements impliquant des agents de la force publique, et même d’ordonner ou non l’ouverture d’une enquête (art. 12 et 13).

Le Comité réitère sa précédente recommandation. L’État partie devrait veiller à ce que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements fassent l’objet d’une enquête rapide et efficace et que les auteurs soient punis en conséquence.

Pouvoirs de l’Inspection générale de la police en matière d’enquête

Le Comité accueille avec satisfaction la nomination d’un juge à la direction de l’Inspection générale de la police comme moyen de renforcer l’indépendance de l’Inspection générale. Cependant, il est préoccupé par le fait que l’organe d’enquête, qui relève du Ministère de la sécurité intérieure et est composé d’anciens policiers, n’est pas suffisamment indépendant pour garantir la conduite d’enquêtes impartiales, en bonne et due forme, sur les plaintes concernant des pratiques répréhensibles de la police, comme l’exige la Convention (art. 12).

L’État partie devrait envisager d’établir un organe d’enquête qui ne relèverait pas du Ministère de la sécurité intérieure et serait composé de membres dont la profession précédente ne donnerait pas lieu à une situation, réelle ou perçue, de conflit d’intérêts dans l’exécution de leur mandat et ne porterait pas à douter de l’impartialité et de l’indépendance de l’organe en question.

Collecte de données

Le Comité accueille avec satisfaction les données statistiques communiquées, mais regrette l’absence de données détaillées et ventilées sur les plaintes déposées, les enquêtes menées, les poursuites engagées et les condamnations prononcées dans des affaires de mauvais traitements mettant en cause des agents des forces de l’ordre et des services de sécurité et des membres du personnel pénitentiaire, ainsi que sur les moyens de recours dont disposent les victimes de mauvais traitements (art. 2, 11, 12, 13, 14 et 16).

L’État partie devrait recueillir des données statistiques relatives au suivi de la mise en œuvre de la Convention à l’échelon national, portant notamment sur les plaintes déposées, les enquêtes menées, les poursuites engagées et les condamnations prononcées dans des affaires de mauvais traitements, ainsi que sur les moyens pour les victimes d’obtenir réparation, y compris une indemnisation et des services de réadaptation.

Procédure de suivi

Le Comité prie l’État partie de lui faire parvenir, d’ici au 15 mai 2016, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations figurant aux paragraphes 10, 12, 13 et 15, qui concernent respectivement les conditions de détention, les actes racistes et xénophobes à l’égard de détenus étrangers, la justice pour mineurs et les pouvoirs du procureur.

Questions diverses

L’État partie est prié de diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le huitième, le 15 mai 2019 au plus tard. À cette fin, le Comité adressera en temps voulu à l’État partie une liste préalable de points puisque l’État partie a accepté d’établir son rapport conformément à la procédure facultative.