NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/LUX/CO/516 juillet 2007

Original: FRANCAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURETrente‑huitième session30 avril‑18 mai 2007

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIESEN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Conclusions et recommandations du Comité contre la torture

Luxembourg

Le Comité a examiné le cinquième rapport périodique du Luxembourg (CAT/C/81/Add.5) à ses 759ème et 762ème séances, les 3 et 4 mai 2007 (CAT/C/SR. 759 et 762), et a adopté les conclusions et recommandations suivantes à sa 773ème séance, le 14 mai 2007 (CAT/C/SR.773).

A. Introduction

Le Comité accueille avec satisfaction le cinquième rapport périodique du Luxembourg, qui est conforme aux directives concernant la forme et le contenu des rapports périodiques, et note qu’il a été soumis dans le délai imparti. Le Comité prend acte avec satisfaction des réponses écrites apportées par le Luxembourg à la liste des points à traiter, ainsi que des renseignements complémentaires fournis oralement lors de l’examen du rapport. Enfin, le Comité se félicite du dialogue constructif engagé avec la délégation de haut niveau envoyée par l’État partie et la remercie des réponses franches et directes apportées aux questions posées.

B. Aspects positifs

Le Comité se félicite du fait que l’État partie s’efforce de respecter ses obligations visant à la protection des droits de l’homme en général, et celles qui lui incombent en vertu de la Convention en particulier.

Le Comité prend note avec satisfaction des éléments suivants :

a) L’adoption de la loi du 8 septembre 2003 relative à la répression de la violence domestique ;

GE.07-43169b) L’adoption de la loi du 22 août 2003 mettant en place un médiateur national ;

c) La création d’un comité pour les droits de l’enfant par la loi du 25 juillet 2002 ;

d) L’introduction d’une nouvelle Charte des valeurs éthiques au sein de la police grand-ducale, le 1er janvier 2006 ;

e) L’annonce de la délégation du Luxembourg selon laquelle un projet de loi interdisant toute violence physique et sexuelle dans le cadre familial, y compris les mutilations génitales, a été déposé devant le Parlement ;

f) Les éclaircissements apportés par la délégation de l’État partie sur l’accès à un avocat par une personne détenue lors du premier interrogatoire de police ;

g) Les garanties contenues dans le Règlement grand-ducal fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006 relative aux droits d’asile et à des formes complémentaires de protection, qui sont conformes à l’article 3 de la Convention;

h) L’excellente coopération entre les autorités luxembourgeoises et les organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme, particulièrement dans le cadre de l’assistance aux étrangers détenus administrativement ; et

i) Le soutien régulier de l’État partie au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture, depuis 1983, ainsi que l’augmentation de la contribution du Luxembourg à ce fonds.

C. Sujets de préoccupation et recommandations

Non-refoulement et traitement des personnes mises à la disposition du gouvernement

Le Comité prend acte de la déclaration de la délégation du Luxembourg selon laquelle un projet de loi visant à la construction d’un centre pour étrangers retenus administrativement, sur un site distinct du Centre pénitentiaire de Luxembourg, a été déposé devant le Parlement. Le Comité est néanmoins préoccupé par le fait qu’en vertu de l’article 10 de la loi du 5 mai 2006, la rétention administrative peut également s’appliquer, dans certains cas, aux demandeurs d’asile, lesquels sont alors placés dans une structure fermée au sein du Centre pénitentiaire, et ceci jusqu’à une période de 12 mois, afin de prévenir toute soustraction à une possible mesure d’éloignement ultérieure, ce qui pourrait constituer un internement administratif, sans contrôle judiciaire. (art. 3 et 11)

L’État partie devrait prendre les mesures législatives et administratives nécessaires afin de préciser la situation des demandeurs d’asile à l’égard desquels aucune mesure d’éloignement n’a encore été prononcée, de sorte qu’ils ne soient pas privés de liberté en l’absence d’un comportement de nature à compromettre la sécurité ou l’ordre publics et qu’il leur soit réservé un traitement approprié. En particulier, l’État partie devrait s’assurer que les demandeurs d’asile concernés sont présentés devant un juge afin que celui-ci apprécie la légalité de leur rétention. L’État partie devrait également leur garantir le droit à un recours utile et efficace. Il devrait par ailleurs prendre les mesures idoines pour s’assurer que les étrangers mis à la disposition du gouvernement sont placés dans une structure distincte du milieu carcéral.

Le Comité est préoccupé par les dispositions du paragraphe 12 de l’article 6 de la loi du 5 mai 2006 sur l’asile selon lequel « le demandeur peut être livré ou extradé, le cas échéant, vers soit un État membre de l’Union européenne en vertu des obligations découlant d’un mandat d’arrêt européen, ou pour d’autres raisons, soit vers un pays tiers, soit une cour ou un tribunal pénal(e) international(e) », ce qui pourrait, dans certains cas, être en contradiction avec le principe de non-refoulement tel que le prévoit l’article 3 de la Convention. (art. 3)

L’État partie devrait prendre les mesures législatives nécessaires pour amender l’article 6(12) de la loi du 5 mai 2006 sur l’asile, en y intégrant une disposition prévoyant que nul ne pourra être refoulé, expulsé ou extradé vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

Tout en prenant acte de certaines précisions apportées par la délégation du Luxembourg sur les circonstances entourant l’éloignement forcé de M. Igor Beliatskii, le Comité regrette que l’État partie n’ait pas ordonné d’enquête officielle visant notamment à apporter des éclaircissements quant au recours par les agents chargés de l’opération d’éloignement à certaines pratiques telles que le port du masque et l’usage du « bodycuff » qui pourraient constituer un traitement dégradant de la personne éloignée. (art. 3, 12 et 16)

L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour ordonner une enquête dès lors qu’il y a lieu de croire qu’une personne pourrait avoir été soumise à la torture, ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant, y compris lors d’opérations d’éloignement. L’État partie devrait également autoriser la présence d’observateurs des droits de l’homme ou de médecins indépendants à l’occasion de tous les éloignements forcés. Il devrait également permettre de façon systématique un examen médical avant ce type d’éloignement et lorsque la tentative d’éloignement a échoué.

Dispositions concernant la garde et le traitement des personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées

Tout en prenant note que la Charte des valeurs de la police grand-ducale prévoit dans son annexe 4 que « (le policier) a le respect absolu des personnes, sans discrimination de quelque nature qu’elle soit », le Comité est préoccupé par les informations reçues selon lesquelles les détenus étrangers seraient victimes de comportements arbitraires et d’insultes racistes ou xénophobes de la part des forces de l’ordre et du personnel pénitentiaire. (art. 11 et 16)

L’Etat partie devrait prendre les mesures nécessaires pour :

a) Renforcer la formation du personnel chargé de l’application des lois et le personnel pénitentiaire au respect de l’intégrité physique et psychique des personnes détenues, quelles que soient leur origine, leur appartenance religieuse ou leur sexe ;

b) Incriminer pénalement de tels comportements ;

c) Ordonner des enquêtes systématiques, et dans tous les cas avérés, traduire les agents en cause devant les juridictions compétentes.

Tout en prenant acte des explications de la délégation du Luxembourg relatives au régime cellulaire strict, le Comité regrette la persistance de ce régime disciplinaire et l’intention du Luxembourg de la conserver malgré les recommandations antérieures du Comité (CAT/C/CR/28/2, par. 5 et 6) et celles du Comité européen pour la prévention de la torture. (art. 11 et 16)

Le Comité réitère avec insistance sa recommandation selon laquelle le régime cellulaire strict devrait être expressément et rigoureusement réglementé par la loi, et le contrôle judiciaire renforcé. L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme à ce régime disciplinaire et modifier la réglementation pertinente en conséquence.

Traitement des mineurs en conflit avec la loi et des mineurs en danger

Le Comité prend note des renseignements donnés par l’État partie dans ses réponses écrites selon lesquelles des négociations ont eu lieu entre le Ministère de la famille, le Ministère des travaux publics et la commune de Wormeldange visant à trouver un accord afin de parachever le projet de construction de l’unité de sécurité fermée de Dreiborn pour mineurs. Il note également que le conseil communal n’a pas encore délivré d’autorisation de construire au moment de l’examen du présent rapport. Le Comité reste néanmoins préoccupé par le placement de mineurs au Centre pénitentiaire de Luxembourg qui ne saurait être considéré comme un environnement adapté pour ces derniers, d’autant plus que l’absence totale de contacts entre mineurs et détenus adultes ne peut être garantie. Le Comité est également préoccupé par le fait que les mineurs en situation de conflit avec la loi et ceux qui présentent des problèmes sociaux ou des troubles comportementaux sont placés dans les mêmes structures et par le fait que des mineurs âgés de 16 à 18 ans peuvent être présentés devant des juridictions ordinaires et jugés comme des adultes pour des infractions particulièrement graves. (art. 11 et 16)

Le Comité réitère avec insistance sa recommandation antérieure de ne pas placer les mineurs dans des prisons pour adultes à des fins disciplinaires (CAT/C/CR/28/2, par. 5 et 6). L’État partie devrait par ailleurs prendre les mesures nécessaires afin que l’unité de sécurité de Dreiborn soit construite dans les meilleurs délais et que, dans l’intervalle, les mineurs soient strictement séparés des détenus adultes.

L’État partie devrait par ailleurs séparer les mineurs en situation de conflit avec la loi des mineurs présentant des problèmes sociaux ou des troubles comportementaux ; éviter à tout prix que les mineurs soient jugés comme des adultes ; et mettre en place un organe de surveillance indépendant chargé d’inspecter périodiquement les établissements pour mineurs (voir les recommandations du Comité des droits de l’enfant, CRC/C/15/Add. 250, paragraphe 61, alinéas c, d et e).

Enquête impartiale

Le Comité est préoccupé par le système de l’opportunité des poursuites qui laisse au Procureur d’État la possibilité de ne pas poursuivre les auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements impliquant des agents de la force publique, ni même d’ordonner une enquête, ce qui est en contradiction évidente avec les dispositions de l’article 12 de la Convention. (art. 12)

L’État partie devrait, afin de respecter la lettre et l’esprit des dispositions de l’article 12 de la Convention, envisager une dérogation au système de l’opportunité des poursuites, afin qu’aucun doute ne soit permis quant à l’obligation pour les autorités compétentes de déclencher spontanément et systématiquement des enquêtes impartiales dans tous les cas où existeraient des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture aurait été commis sur le territoire sous sa juridiction.

Traite des êtres humains

Le Comité est préoccupé par la persistance dans l’État partie de la traite des êtres humains, ainsi que par l’insuffisance du contrôle de la délivrance des visas d’artistes, ce qui comporte un risque d’utilisation de ces visas dans le cadre de cette activité illégale. (art. 16)

L’État partie devrait renforcer les mesures existantes de lutte contre la traite des êtres humains, ce qui permettait d’assurer, d’une part, un contrôle plus efficace de la délivrance des visas d’artistes et leur utilisation à des fins illicites, et d’autre part, la protection des témoins et des victimes de tels actes. L’État partie devrait, par ailleurs, engager des poursuites contre leurs auteurs et instigateurs.

Prochain rapport périodique

Le Comité invite l’État partie à inclure dans son prochain rapport périodique des données statistiques détaillées, ventilées par infraction, âge, origine ethnique et sexe, sur les plaintes concernant des actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qui auraient été commis par des responsables de l’application des lois, ainsi que sur les enquêtes, poursuites et sanctions pénales et disciplinaires correspondantes, si elles sont pertinentes. L’État partie est également invité à inclure des données ventilées par âge, sexe et origine ethnique, sur :

a)Le nombre de demandes d’asile enregistrées ;

b) Le nombre de demandes acceptées ;

c) Le nombre de requérants dont la demande d’asile a été acceptée sur la base de tortures subies ou parce qu’ils pourraient être sujets à la torture s’ils étaient renvoyés dans le pays de provenance ;

d)Le nombre de refoulements ou d’expulsions.

L’État partie est encouragé à envisager la ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

L’État partie est encouragé à diffuser largement les rapports présentés par le Luxembourg au Comité, ainsi que les conclusions et recommandations de celui-ci, dans les langues appropriées, par le moyen des sites Internet officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

Le Comité invite l’État partie à soumettre son document de base conformément aux exigences relatives au document de base commun contenues dans les directives harmonisées pour l’établissement de rapports, adoptées par Cinquième réunion intercomités des organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/MC/2006/3 et Corr.1).

Le Comité demande à l’État partie de lui fournir, dans un délai d’un an, des renseignements sur les suites qu’il aura données aux recommandations du Comité, telles qu’exprimées dans les paragraphes 8, 9, 10 et 11 ci-dessus.

L’État partie est invité à soumettre son septième rapport périodique le 30 juin 2011.

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