Nations Unies

CAT/C/51/D/434/2010

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

17 décembre 2013

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Communication no 434/2010

Décision adoptée par le Comité à sa cinquante et unième session,28 octobre-22 novembre 2013

Communication présentée par:

Y. G. H. et consorts(représentés par Janet Castle)

Au nom de:

Y. G. H. et consorts

État partie:

Australie

Date de la requête:

24 octobre 2010 (lettre initiale)

Date de la présente décision:

14 novembre 2013

Objet:

Expulsion vers la Chine

Questions de procédure:

Griefs non étayés, manifestement mal fondés

Questions de fond:

Risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine; peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Articles de la Convention:

3, 16

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peinesou traitements cruels, inhumains ou dégradants(cinquante et unième session)

concernant la

Communication no 434/2010

Présentée par:

Y. G. H. et consorts(représentés par Janet Castle)

Au nom de:

Y. G. H. et consorts

État partie:

Australie

Date de la requête:

24 octobre 2010 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 14 novembre 2013,

Ayant achevé l’examen de la requête no 434/2010, présentée par Y. G. H., son épouse X. L. Z. et leur fils D. H., en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les requérants, leur conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Les requérants sont Y. G. H. (requérant principal ci-après dénommé le requérant), sa femme X. L. Z. et leur fils D. H (dénommés les requérants), de nationalité chinoise, nés respectivement le 27 septembre 1955, le 22 avril 1957 et le 7 mars 1987. Ils résident actuellement en Australie. Ils affirment que leur renvoi en Chine par l’Australie constituerait une violation des articles 3 et 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ils sont représentés par Janet Castle.

1.2Conformément au paragraphe 1 de l’article 114 (anciennement l’article 108) de son règlement intérieur, le Comité a prié le 3 novembre 2010 l’État partie de ne pas expulser les requérants en Chine tant que leur requête serait à l’examen. L’État partie a consenti à surseoir temporairement à l’expulsion des requérants.

Exposé des faits

2.1Le requérant principal, Y. G. H., est originaire de Longtian dans la province du Fujian en Chine, où il était membre de l’Église clandestine Quiets depuis 1998. Il accueillait des réunions de l’Église dans son magasin et a été interrogé par la police en 2001. En 2003, il a été arrêté et détenu pendant une semaine et s’est vu infliger une amende. Il affirme avoir été contraint de participer à une «classe d’étude» organisée par le Gouvernement et envoyé dans un camp de détention, où il a été soumis à des violences physiques et psychologiques. Il a été de nouveau détenu pendant près d’un mois en mars 2004 et interrogé à plusieurs reprises, avant de quitter la Chine le 5 juin 2004.

2.2Le 6 juin 2004, les requérants sont arrivés en Australie avec un visa de visiteur. Quelques jours après leur arrivée, le requérant principal a appris par sa mère restée en Chine que deux de ses anciens employés ayant été arrêtés et ayant donné des informations sur le rôle qu’il jouait au sein de l’Église, une citation à comparaître devant un tribunal lui avait été notifiée en raison de ses activités religieuses antigouvernementales. Le 23 juin 2004, le requérant a sollicité un visa de protection pour lui-même et sa famille, affirmant craindre avec raison d’être persécuté en Chine du fait de sa religion, à cause de sa participation à l’Église clandestine chrétienne en Chine. Le 28 juin 2004, la demande a été rejetée par le Ministère de l’immigration et de la citoyenneté. Le 2 novembre 2004, le requérant a été débouté de son recours par le tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Le 7 novembre 2005, le Tribunal fédéral de première instance a confirmé la décision. Le deuxième recours du requérant devant le tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a été rejeté le 20 février 2006, tout comme l’appel de cette décision devant le Tribunal fédéral de première instance le 13 septembre 2006; le requérant a ensuite été également débouté par la Cour fédérale australienne le 21 février 2007. Le 16 mars 2007, il a saisi le Ministre de l’immigration et de la citoyenneté d’une demande de visa permanent de protection pour lui-même et sa famille, mais s’est vu opposer un refus le 22 mars 2008. Par la suite, en 2008 et 2009, lui-même, son conseil et des tiers agissant en son nom et au nom de sa famille, ont adressé plusieurs lettres au Ministre pour lui communiquer de nouveaux renseignements; cependant, dans tous les cas, il a été indiqué au requérant principal que son dossier ne serait pas réexaminé par le Ministre car les nouvelles demandes, rapprochées des renseignements figurant déjà au dossier, ne remplissaient pas les conditions fixées dans les directives relatives à la saisine du Ministre. À une date non précisée de 2010, le requérant a soumis aux autorités de l’immigration une copie d’une citation, à comparaître en date du 18 janvier 2010, devant le tribunal populaire de la ville de Fuqing et une copie d’une notification de placement en détention du 2 février 2010 émanant du Bureau de la sécurité publique de la ville de Fuqing.

2.3Les autorités de l’État partie ont refusé d’accorder aux requérants un visa de protection, notamment pour les motifs suivants: «il devient chaque année plus facile pour les chrétiens de pratiquer leur foi, en particulier dans les provinces côtières (de la République populaire de Chine)». Bien que le requérant ait prétendu être un responsable important de l’Église clandestine, il a pu obtenir des autorités chinoises, sans aucun obstacle, un passeport en 2000 et a pu quitter la Chine sans problème le 5 juin 2004. Ses allégations concernant les responsabilités importantes qu’il aurait exercées au sein de l’Église clandestine sont contradictoires, dès lors qu’il ne fournissait qu’un local et une certaine contribution financière; ses déclarations sont incohérentes; il n’a pu produire aucune preuve à l’appui, entre autres, de sa prétendue mise en détention à deux reprises (une fois pour trois semaines), comme un mandat d’arrêt, une ordonnance de placement en détention ou une décision de remise en liberté, ni aucun certificat médical prouvant qu’il avait été soumis à des mauvais traitements durant sa détention. On estime entre 30 et 50 millions le nombre de fidèles fréquentant les lieux de prière clandestins au domicile de particuliers en Chine et il est impossible au tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés de vérifier qu’il existe des motifs sérieux de croire à l’existence d’un risque réel pour le requérant de subir un préjudice grave constitutif de persécution en cas de retour en Chine.

2.4Le requérant principal affirme qu’il continue de pratiquer sa foi en Australie. Il soutient aussi que sa santé s’est détériorée au cours de ces six dernières années et qu’il présente «des troubles affectifs importants, de type dépressif, constitutifs de pseudodémence» en raison de sa crainte d’être expulsé vers la Chine. Il ajoute qu’il souffre également d’un syndrome de stress post-traumatique, provoquant insomnies, agitation et cauchemars, en rapport avec son expérience de détention politique et de torture lorsqu’il était en Chine.

2.5Le requérant fait en outre état d’autres obstacles qui empêcheraient toute expulsion: sa femme, à la suite d’une intervention chirurgicale subie en février 2010 pour le retrait d’un stérilet qui lui avait été posé de force en Chine, ne serait pas en état de voyager, et lui‑même aurait été jugé inapte à voyager par le Ministère de l’immigration et de la citoyenneté pour des motifs psychiatriques.

2.6Le requérant principal a produit de nombreuses lettres de membres de sa famille et d’amis appuyant ses allégations.

Teneur de la plainte

3.1Les requérants affirment que le requérant principal sera mis en détention et torturé s’il est renvoyé en Chine. L’existence de la citation à comparaître démontre que sa personne intéresse les autorités chinoises. Étant donné que cette citation trouve sa cause dans ses activités religieuses, il ne serait plus à même de pratiquer librement sa religion.

3.2Le requérant principal et sa femme soutiennent en outre qu’ils sont inaptes à voyager en raison de l’état de santé mentale très dégradé du requérant principal et de l’état de santé général de sa femme.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 15 janvier 2013, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la requête. Il affirme que les allégations au titre de l’article 3 de la Convention relatives à la femme du requérant sont irrecevables et que les allégations au titre de l’article 16 de la Convention relatives au requérant principal et à sa femme sont également irrecevables. Aucune allégation n’étant formulée à propos du fils du requérant, l’État partie soutient que la communication en ce qui le concerne est manifestement mal fondée et doit donc être déclarée irrecevable. À défaut, il affirme en outre que tous les griefs des requérants devraient être rejetés comme étant dépourvus de fondement.

4.2L’État partie récapitule les faits de la présente affaire comme suit. Les requérants sont des ressortissants chinois. Selon leurs dires, avant leur départ vers l’Australie ils habitaient à Longtian, dans la province du Fujian où le requérant principal tenait un petit magasin. Le requérant principal prétend avoir été un membre pratiquant de l’Église Quiets et avoir permis à la congrégation de se réunir dans le sous-sol de son magasin. Il affirme aussi avoir participé aux services religieux. Il dit avoir été persécuté en raison de son appartenance à l’Église; il aurait notamment été envoyé dans une «classe d’étude» et aurait subi de la part des autorités chinoises des violences physiques et psychologiques constitutives de torture.

4.3Le fils du requérant est arrivé en Australie le 18 février 2004 avec un visa d’étudiant. Le requérant et sa femme ont quitté la Chine pour l’Australie où ils sont arrivés le 6 juin 2004. Le 23 juin 2004, le requérant a demandé un visa de protection pour lui‑même, ainsi que pour sa femme et leur fils. Le Ministère de l’immigration et de la citoyenneté a refusé de le leur accorder. Les requérants ont saisi le tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, qui a confirmé la décision le 1er décembre 2004. Ils se sont alors pourvus devant le Tribunal fédéral de première instance. Le 7 novembre 2005, le Ministre de l’immigration et de la citoyenneté s’est retiré de l’affaire après qu’un examen de la décision du tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés eut révélé une probable erreur de droit, à savoir que le tribunal n’avait pas soulevé la question de savoir si le requérant continuerait à exprimer ses prétendues convictions religieuses à son retour en Chine. Le Tribunal fédéral de première instance a ordonné l’annulation de la première décision du tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés et l’affaire a été renvoyée à ce tribunal aux fins de réexamen. Le 2 mars 2006, un tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés nouvellement constitué a réexaminé et confirmé la décision initiale du Ministre de l’immigration et de la citoyenneté. Les requérants se sont pourvus contre la deuxième décision du tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés devant le Tribunal fédéral de première instance, puis devant la Cour fédérale en formation plénière. Ils ont été déboutés le 13 septembre 2006 et le 21 février 2007 respectivement.

4.4À huit reprises entre 2007 et 2011, les requérants ont également sollicité en vain une intervention ministérielle. À la suite de l’examen de la demande initiale du requérant principal, le Ministre a décidé de ne pas intervenir. Les sept demandes suivantes d’intervention ministérielle ont fait l’objet d’un examen approfondi et ont été rejetées, faute de nouveaux éléments de preuve suffisants pour répondre aux critères des directives régissant la saisine du Ministre et parce que les renseignements soumis par le requérant ne fournissaient pas de sérieux motifs de croire qu’il existait un risque important pour la sécurité personnelle, les droits de l’homme ou la dignité humaine du requérant ou des membres de sa famille à leur retour en Chine.

4.5À la suite de la réception de la présente communication, le Ministère de l’immigration et de la citoyenneté a présenté une nouvelle demande d’intervention ministérielle le 30 novembre 2010, dans le but précis de faire examiner les nouveaux renseignements figurant dans la communication qui n’avaient pas été précédemment soumis à l’examen des autorités de l’État partie, à savoir les allégations du requérant concernant l’avortement forcé et la pose forcée d’un stérilet pratiqués sur sa femme. Le 22 février 2011, le Ministère de l’immigration et de la citoyenneté a décidé que ces nouvelles informations ne mettaient pas en cause les obligations de non‑refoulement de l’Australie, y compris au titre de la Convention. Le requérant a saisi la Haute Cour le 10 juillet 2012 aux fins de contrôle juridictionnel de la décision du Ministre de ne pas intervenir, mais il s’est désisté de cette instance le 3 octobre 2012.

4.6L’État partie fait observer que les griefs des requérants au titre de la Convention ne sont pas clairs et que ceux-ci n’ont pas fourni un état précis de leurs allégations au regard des articles de la Convention. L’État partie a donc dû faire des suppositions quant à la nature de leurs allégations qu’il interprète principalement comme une allégation de violation des articles 3 et 16 de la Convention. Il suppose qu’au titre de l’article 3 de la Convention, les requérants prétendent que s’ils étaient renvoyés en Chine, le requérant principal risquerait d’être persécuté par les autorités chinoises en raison de sa foi chrétienne et de son appui à l’Église Quiets, et que ce comportement serait constitutif de torture. Ils semblent également prétendre qu’en raison de l’avortement forcé et de la pose forcée d’un stérilet qu’aurait prétendument subis la femme du requérant, celle-ci risquerait, en cas de renvoi en Chine, d’être soumise à un traitement constitutif de torture. Aucune allégation précise ne concerne le fils du requérant. En outre, au titre de l’article 16 de la Convention, les requérants affirment que la détérioration de la santé mentale du requérant principal et de l’état de santé général de sa femme les rend tous deux inaptes à voyager. L’État partie suppose que selon les requérants, leur expulsion de l’État partie serait constitutive d’un traitement cruel, inhumain ou dégradant en violation de l’article 16 de la Convention.

4.7L’État partie relève que les requérants formulent aussi des griefs quant au traitement qui leur a été réservé dans l’État partie qui, selon eux, mettrait en cause les obligations incombant à ce dernier en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de la Convention relative aux droits de l’enfant et de la Convention relative au statut des réfugiés. À cet égard, l’État partie soutient que ces griefs concernant des droits garantis par d’autres instruments que la Convention, ils sont irrecevables ratione materiae; il n’entend donc pas y répondre.

4.8De plus, s’agissant des allégations des requérants au titre de l’article 3 de la Convention selon lesquelles, si l’État partie renvoyait le requérant et sa famille en Chine, il y aurait des motifs sérieux de croire qu’ils risqueraient d’être soumis à la torture, l’État partie note que c’est aux requérants qu’il incombe d’établir qu’à première vue leur requête est recevable, en vertu de l’article 113 b) du Règlement intérieur du Comité.

4.9Compte tenu de ce qui précède, l’État partie observe que les requérants prétendent apparemment que, parce que la femme du requérant aurait subi dans le passé un avortement forcé et la pose forcée d’un stérilet, elle serait exposée à l’avenir à un traitement constitutif de torture en cas de renvoi en Chine. L’État partie affirme que ce grief est irrecevable, les requérants n’ayant pas démontré en quoi la femme du requérant courrait le risque de subir à l’avenir un traitement préjudiciable dans les circonstances actuelles, ou en quoi un éventuel futur traitement serait constitutif de torture au sens de l’article premier de la Convention. L’État partie soutient aussi que le grief est manifestement mal fondé.

4.10L’État partie fait en outre valoir qu’il n’existe pas de motifs sérieux de croire que les requérants seraient soumis à la torture à leur retour en Chine. Il rappelle que c’est aux requérants qu’il incombe de prouver qu’ils courraient «personnellement un risque réel et prévisible» d’être torturés. Il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est «hautement probable», mais il doit être «apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons». Le Comité a en outre indiqué que «ce risque doit être encouru personnellement et actuellement».

4.11L’État partie soutient que les requérants n’ont pas fourni d’éléments de preuve crédibles démontrant que le requérant principal courrait personnellement un risque d’être soumis à un traitement préjudiciable, ou que le traitement qu’il pourrait prétendument subir serait constitutif de torture aux fins de l’article premier de la Convention.

4.12L’État partie note en outre que le Comité a indiqué que, dans l’exercice de ses compétences, en application de l’article 3 de la Convention, il accorderait un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé. Si le Comité a à juste titre précisé qu’il n’est pas lié par de telles constatations et doit apprécier librement les faits, l’État partie soutient que dans la présente affaire, les éléments de preuve dont est saisi le Comité ne font pas ressortir un risque réel de torture concernant le requérant. Il note à cet égard que le Ministère de l’immigration et de la citoyenneté puis le tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés ont conclu qu’il n’existait pour le requérant principal aucun «risque de subir un préjudice pour des motifs religieux en cas de retour en Chine maintenant ou dans un avenir prévisible».

4.13Dans le contexte de la première décision du tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, l’État partie note qu’après avoir examiné ses écritures et entendu ses déclarations, le tribunal a légitimement laissé au requérant le bénéfice du doute et admis qu’il était chrétien et avait été membre d’une Église clandestine en Chine, en dépit de sa connaissance apparemment très limitée de cette foi. Le tribunal a cependant rejeté son argument selon lequel il était un «membre particulièrement important de l’Église clandestine» ou la cible de persécutions par les autorités chinoises. Bien qu’il ait affirmé à plusieurs reprises avoir été interrogé et détenu par le Bureau local de la sécurité publique pendant des périodes de plusieurs semaines, ce qui démontrerait selon lui l’intérêt que les autorités chinoises lui portent, le tribunal a noté qu’il avait pu quitter la Chine sans difficulté apparente en juin 2004. Lorsque le tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés le lui a fait observer, il n’a pas pu expliquer pourquoi il en avait été ainsi si (comme il le prétendait) il était un membre important de l’Église clandestine que les autorités avaient soumis à la torture. L’État partie note en outre que, selon le requérant, ses employés n’ont révélé aux autorités son véritable rôle au sein de l’Église clandestine qu’après son départ de Chine, et qu’un mandat d’arrêt a été délivré contre lui s’il revenait. Lorsque le tribunal lui a demandé comment il avait appris l’existence de ce mandat, il a expliqué en avoir parlé avec sa mère au téléphone. Le tribunal a fait remarquer qu’il s’agissait d’une question très délicate à aborder au cours d’une conversation téléphonique et n’a pas été convaincu de la véracité de l’argument. Le tribunal a en outre relevé que le requérant n’avait fourni aucune preuve étayant ses allégations. Il a jugé invraisemblable que le requérant, alors qu’il prétendait avoir été à plusieurs reprises interrogé et détenu par les autorités locales, n’ait pas tenté de déplacer son domicile ou son commerce et qu’il ait continué à accueillir des services religieux clandestins. Compte tenu de ces facteurs, le tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a confirmé la décision initiale de ne pas accorder un visa de protection au requérant.

4.14À la suite de la décision du Tribunal fédéral de première instance de renvoyer l’affaire au tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés pour qu’il examine si le requérant principal pratiquerait la religion chrétienne à son retour en Chine, le tribunal de contrôle reconstitué a tenu une nouvelle audience pour examiner les allégations du requérant. À ce propos, l’État partie souligne que le tribunal a donné au requérant la possibilité de relire intégralement le procès-verbal de la première audience du tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés avec l’aide d’un interprète et de rectifier les erreurs éventuelles. La seule précision qu’a apportée le requérant concernait la question de savoir par qui Jésus avait été baptisé. Dès lors, le tribunal reconstitué n’a pas accepté la thèse du requérant selon laquelle il aurait été membre d’une Église chrétienne clandestine en Chine. À cet égard, l’État partie note que les croyances religieuses sont extrêmement personnelles et ne se prêtent guère à des vérifications devant des cours ou tribunaux; néanmoins, le tribunal a constaté que les connaissances du requérant sur le christianisme étaient superficielles et a estimé qu’il les avait acquises en fréquentant une Église en Australie. Ainsi, il savait peu de choses sur les différences entre Églises officielles et non officielles en Chine, il ignorait que la Bible était en vente en Chine et ne savait pas non plus en quoi le christianisme diffère d’autres religions. L’État partie souligne aussi que le tribunal a relevé l’incohérence entre son affirmation initiale selon laquelle il était un militant important et celle qu’il a ensuite formulée selon laquelle il ne faisait que fournir des locaux et de l’argent. Le tribunal n’a pas admis la thèse du requérant principal selon laquelle il aurait été arrêté, détenu ou interrogé en raison de ses convictions religieuses en 2004, puisqu’il avait quitté la Chine sans difficulté en juin 2004 alors que selon les informations disponibles sur le pays, le départ de personnes sur lesquelles le Bureau de la sécurité publique disposait de renseignements défavorables était strictement contrôlé. Le tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés n’a pas non plus admis l’explication du requérant affirmant qu’il lui avait suffi de soudoyer un fonctionnaire pour faciliter son départ, s’il était effectivement un militant important auquel s’intéressaient les autorités chinoises, vu le caractère «extrêmement risqué et coûteux» d’un tel comportement. Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le tribunal reconstitué a décidé de ne pas accorder un visa de protection au requérant principal.

4.15L’État partie affirme que le tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés prend en considération et examine soigneusement toutes les demandes de visa de protection. L’État partie en voit pour preuve le fait que, selon les statistiques disponibles pour l’exercice budgétaire 2011-2012, le plus grand nombre de demandes de visa de protection présentées par des personnes sur le continent australien émanaient de ressortissants chinois; pour près d’un quart (24 %) d’entre elles, les décisions prises par le tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés portaient sur des demandes présentées par des Chinois, et la Chine était l’un des cinq premiers pays concernés par l’octroi de visas de protection.

4.16À cet égard, l’État partie note que le Ministère de l’immigration et de la citoyenneté et le tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés examinent chaque année des centaines de demandes de visa de protection présentées par des ressortissants chinois. Ils ont accès à d’importantes sources de renseignements sur le pays. L’État partie soutient donc que les membres du tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés connaissent particulièrement bien la Chine et ont acquis une expérience considérable quant au traitement des demandes de protection de ressortissants chinois.

4.17L’État partie rappelle de plus que le requérant s’est pourvu contre la décision du tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés devant le Tribunal fédéral de première instance, puis devant la Cour fédérale. Ultérieurement, entre le 26 mars 2007 et le 5 août 2010, il a présenté au total huit demandes d’intervention ministérielle en vertu des articles 48B et 417 de la loi sur les migrations. À ce propos, l’État partie note que les requérants semblent sous-entendre dans leur exposé des faits que, sous prétexte que ces demandes n’ont pas abouti, les nouveaux renseignements communiqués au Ministère de l’immigration et de la citoyenneté n’auraient pas été dûment pris en considération.

4.18Sur cette question, l’État partie soutient que la procédure d’intervention ministérielle offre une véritable possibilité de faire valoir de nouveaux griefs susceptibles de mettre en cause ses obligations en matière de non‑refoulement, et que les demandes présentées à cette fin sont examinées de bonne foi. Cependant, cette procédure n’est pas destinée à offrir un réexamen complet sur le fond des demandes de protection: cette fonction est exercée par le tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, sous réserve d’un contrôle juridictionnel par les tribunaux en cas d’erreur de droit. L’État partie explique que la procédure d’intervention ministérielle est censée jouer le rôle d’un «filet de sécurité» en offrant au Ministre de l’immigration et de la citoyenneté une certaine latitude pour intervenir en faveur d’un demandeur de visa débouté s’il pense que l’intérêt public commande de le faire. Dans des cas comme celui des requérants où les demandes concernant les obligations de non‑refoulement au titre de la Convention reposent sur les mêmes faits que celles examinées dans le cadre de la procédure de demande de visa de protection, ce n’est généralement qu’en présence de circonstances exceptionnelles ou imprévues que le Ministre exerce ce pouvoir; dès lors, elle n’aboutit à l’octroi de visas que dans un nombre relativement faible d’affaires. L’État partie souligne que par exemple, au cours de l’exercice budgétaire 2011-2012, le Ministre ne s’est prononcé que sur 1 318 demandes d’intervention au titre de l’article 417 de la loi sur les migrations (la Chine étant là encore le pays de nationalité du plus grand nombre de demandeurs). Le Ministre n’a accordé un visa que dans 35 % de ces affaires. Le fait que le requérant a échoué dans ses demandes répétées d’intervention ministérielle n’est pas le signe d’une quelconque erreur dans la procédure; il indique plutôt qu’il a été considéré que son cas n’était pas suffisamment exceptionnel, et ne soulevait pas de questions au regard des obligations de non‑refoulement au titre de la Convention, pour mériter une conclusion différente de celle à laquelle avait à juste titre abouti la procédure légale d’examen de la demande de visa de protection.

4.19L’État partie souligne de plus que les nouveaux renseignements reçus en janvier et octobre 2009 d’amis et de membres de la famille du requérant ont été dûment examinés par les autorités nationales. Cependant, celles-ci n’ont pas estimé que ces déclarations constituaient des moyens de preuve crédibles, ces personnes n’étant pas des observateurs objectifs de la situation des requérants.

4.20L’État partie ajoute que dans une demande d’intervention ministérielle du 5 août 2010, le requérant a produit une citation à comparaître et une notification de détention en provenance de Chine, qui apporteraient selon lui la preuve de la persécution dont il fait l’objet de la part des autorités chinoises, et qui auraient pu étayer ses allégations lors des audiences du tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. L’État partie fait observer que le Ministère de l’immigration et de la citoyenneté a procédé à un examen de ces pièces et a conclu qu’elles ne justifiaient pas un renvoi au Ministre vu qu’elles ne comportaient aucun élément précis étayant l’affirmation du requérant selon laquelle il aurait été détenu précédemment par les autorités chinoises. Les documents ne font état ni d’une évasion, ni d’un lieu de détention, ni d’aucune autre information pertinente se rapportant à sa demande. Les responsables de l’examen ont noté que, selon les renseignements relatifs à la situation en Chine, des documents, y compris des documents de procédure, falsifiés sont facilement accessibles dans ce pays; ils ont donc considéré qu’il n’y avait pas lieu d’accorder crédit à ces documents.

4.21L’État partie réaffirme que la décision de ne pas accorder au requérant un visa de protection a été prise dans le respect du droit australien. Il note que son système juridique interne offre une solide procédure d’examen au fond et de réexamen juridictionnel, ainsi que des voies de recours administratif. Il répète que le tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a confirmé les conclusions du responsable de la décision initiale selon lesquelles les allégations du requérant principal manquaient de crédibilité. Celui-ci a bénéficié et s’est prévalu du réexamen judiciaire de la décision du tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Les huit demandes d’intervention ministérielle qu’il a ultérieurement présentées, dans lesquelles il faisait valoir différents arguments à l’appui de sa demande de résidence dans l’État partie, ont été soigneusement examinées. L’État partie fait en outre observer que le Ministère de l’immigration et de la citoyenneté a, de sa propre initiative après avoir reçu la communication, soumis une nouvelle demande d’intervention ministérielle pour que soient examinés les nouveaux griefs présentés au nom de la femme du requérant.

4.22L’État partie soutient que la présente affaire ne fait ressortir aucune erreur importante ni abus de procédure qui justifierait que le Comité parvienne à une décision différente de celle qui a été légitimement prise.

4.23Il affirme que les allégations et moyens de preuve du requérant ont été examinés de bonne foi et qu’il a été conclu qu’ils ne mettaient pas en cause les obligations incombant à l’État partie en vertu de la Convention, de la Convention relative au statut des réfugiés ou du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, puisqu’il n’a pas été considéré que le requérant pratiquait la religion chrétienne lorsqu’il était en Chine. De plus, même si le requérant était un chrétien ardent, il pourrait en tant qu’adepte ordinaire pratiquer sa foi relativement librement en Chine. L’État partie réaffirme qu’au niveau interne, le requérant principal a fait des déclarations incohérentes à propos de son militantisme au sein de l’Église clandestine chrétienne en Chine. À supposer que son appartenance à une Église soit avérée, il est vraisemblable que son rôle principal consistait à offrir un espace communautaire pour faciliter les rassemblements de fidèles. De plus, il n’a fourni aucun autre élément de preuve de son appartenance ou de son rôle au sein de son église dans la province du Fujian.

4.24L’État partie note en outre que le tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a aussi pris en considération des renseignements sur le pays de source indépendante comme le récent rapport du Département d’État des États-Unis sur la liberté religieuse au niveau international où il est indiqué qu’«une fraction représentant peut-être 2,5 % [de la population] pratique son culte dans des lieux de prière protestants au domicile de particuliers, qui échappent au contrôle du Gouvernement». Le tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a reconnu qu’il existait de nombreux cas dans lesquels les autorités chinoises exigeaient l’enregistrement ou l’autorisation par l’État des organisations religieuses. Néanmoins, s’agissant de la province du Fujian, le tribunal a noté que «la politique religieuse officielle est appliquée d’une manière relativement libérale au Fujian bien que des mesures de répression aient été prises de temps à autre contre des lieux de prière au domicile de particuliers et des catholiques “clandestins”». De plus, bien que les requérants aient soumis un rapport de pays d’Amnesty International qui fait état de cas de torture en Chine sur des personnes en raison de leur appartenance à certaines organisations religieuses, l’État partie affirme que les renseignements figurant dans ce rapport sont limités et généralisés et ne démontrent pas l’existence d’un risque prévisible, réel et personnel que les auteurs soient soumis à la torture.

4.25L’État partie relève que dans les informations utilisées par les autorités nationales pour apprécier la demande de l’auteur, il était reconnu que des différences importantes existaient d’une province à l’autre de la Chine quant à la faculté des individus de pratiquer un christianisme non autorisé par l’État. Selon les informations relatives au pays, s’il existait un certain risque de mesures étatiques susceptibles d’être constitutives de torture au sens de l’article premier de la Convention à l’égard de dirigeants de sectes chrétiennes non autorisées par l’État, le risque était faible pour les fidèles ordinaires. Il ressortait également de ces informations que la pratique religieuse, y compris chrétienne, gagnait publiquement du terrain en Chine.

4.26Compte tenu de ce qui précède, l’État partie soutient que l’allégation des requérants selon laquelle le requérant principal serait soumis à la torture par les autorités gouvernementales chinoises s’il était renvoyé en Chine est dépourvue de fondement. Les autorités de l’État partie sont parvenues à l’idée, mûrement réfléchie, que ses allégations n’étaient pas vraisemblables et qu’il n’avait pas de motif sérieux de craindre des persécutions, ou un risque réel de torture, s’il retournait en Chine. Elles affirment qu’à supposer même qu’il soit un chrétien ardent, le risque qu’il soit personnellement soumis à la torture en raison de ses convictions religieuses, au vu de l’ensemble des circonstances, n’est pas réel et ne met donc pas en cause les obligations de l’État partie en matière de non‑refoulement.

4.27Enfin, selon l’État partie, les requérants semblent prétendre que le fait de les renvoyer en Chine constituerait un traitement cruel, inhumain ou dégradant, contraire à l’article 16 de la Convention en raison de l’effet que cela produirait sur la santé mentale du requérant principal et sur l’état de santé général de sa femme.

4.28L’État partie soutient que l’allégation du requérant principal et de sa femme selon laquelle leur expulsion d’Australie constituerait en soi une violation de l’article 16 de la Convention est irrecevable, vu qu’ils n’ont pas fourni de preuves suffisantes démontrant qu’il leur serait infligé une douleur telle qu’elle constituerait une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Cela est conforme à la décision du Comité dans l’affaire A. A. C. c. Suède, dans laquelle le Comité a conclu que «l’aggravation de l’état de santé du requérant qui pourrait résulter de son expulsion est en soi insuffisante pour étayer ce grief, qui est donc considéré comme irrecevable». En conséquence, l’effet sur la santé des requérants de leur renvoi en Chine ne constituerait pas un traitement incompatible avec l’article 16 de la Convention.

4.29L’État partie affirme avoir pris les mesures appropriées pour faire en sorte que les requérants soient aptes à voyager avant l’application des mesures d’expulsion. Il relève que selon une évaluation effectuée le 29 septembre 2010 à l’instigation de l’Organisation internationale pour les migrations par des psychologues indépendants, le requérant principal a été jugé apte à voyager. Une évaluation analogue effectuée le 26 juillet 2010 a abouti à la même conclusion.

4.30L’État partie note en outre que les requérants n’ont pas fourni d’éléments tels que des certificats ou avis médicaux précisant la nature exacte des prétendus problèmes de santé de Mme Zhang. Il réaffirme que, préalablement à toute mesure d’expulsion, il sera pratiqué un examen médical indépendant sur les requérants afin de vérifier qu’ils sont aptes à voyager.

4.31Pour ces raisons, l’État partie affirme que les renseignements fournis par les requérants ne suffisent pas à étayer leur grief tiré de l’article 16 et que ce grief est donc irrecevable.

4.32À titre subsidiaire, l’État partie soutient que l’expulsion prochaine des requérants ne leur infligera pas une douleur ou des souffrances mentales suffisantes pour répondre aux critères de l’article 16 de la Convention et que le grief devrait donc être rejeté comme étant mal fondé.

4.33Le 24 mai 2013, l’État partie a demandé au Rapporteur spécial du Comité chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection de lever la demande de mesures provisoires présentée au nom des requérants et a soumis de nouvelles observations. Il réaffirme que la demande soumise au Comité par le requérant principal semble être fondée sur l’idée que son cas n’aurait pas été dûment examiné par les autorités de l’État partie. À cet égard, l’État partie souligne que dans ses précédentes observations, il a exposé les procédures internes très complètes auxquelles ont été soumises les demandes des requérants, consistant notamment en un examen sur le fond, un réexamen juridictionnel et l’examen de nombreuses demandes aux fins d’intervention ministérielle.

4.34Enfin, l’État partie indique que le fils du requérant a présenté le 24 janvier 2013 une demande de visa de partenaire et a obtenu un visa d’attente (bridging visa) lui permettant de séjourner légalement dans l’État partie jusqu’à ce qu’une décision définitive soit prise sur sa demande.

Commentaires des requérants sur les observations de l’État partiesur la recevabilité et le fond

5.1En réponse aux observations de l’État partie, les requérants ont, le 14juin 2013, demandé à ne pas être expulsés de l’État partie jusqu’à la décision du Comité sur leur affaire.

5.2Les requérants maintiennent que tous les renseignements qu’ils ont fournis au niveau interne n’ont pas reçu des autorités nationales «l’attention et la valeur» qu’ils méritaient. Ils soutiennent à cet égard n’avoir jamais eu l’intention d’utiliser les renseignements mentionnés par l’État partie concernant l’avortement forcé et la pose forcée d’un stérilet qu’aurait subis la femme de l’auteur dans la procédure actuelle de visa de protection.

5.3S’agissant des évaluations médicales indépendantes auxquelles, selon l’État partie, le requérant principal et sa femme auraient été soumis, ces derniers soulignent qu’elles sont dépourvues de pertinence. Ainsi, depuis qu’elles ont eu lieu, la femme du requérant a subi une opération et suit un traitement pour un cancer de la thyroïde. En outre, chaque évaluation médicale a duré moins de quinze minutes (à la fois pour le requérant et sa femme) et a eu lieu avec un interprète. Aucun examen n’a été pratiqué et l’évaluation a été fondée exclusivement sur des rapports.

5.4Le 8 juillet 2013, les requérants ont présenté de nouveaux commentaires. Ils indiquent que le fils du requérant était mineur au moment de la demande initiale de visa de protection et que son nom figurait donc sur la demande avec celui du requérant principal et de sa femme. Depuis, le fils du requérant s’est marié et a demandé à bénéficier du visa de résidence permanente récemment accordé à sa femme; de ce fait, il ne fait plus partie de la présente requête. En conséquence, le fils du requérant n’est pas concerné par les commentaires.

5.5Le requérant principal précise qu’il n’a formulé aucun grief de persécution au nom de sa femme dans la demande de visa de protection qu’il a présentée au Ministère de l’immigration et de la citoyenneté ou dans la requête soumise au Comité; son épouse est venue avec lui dans l’État partie et, comme cela était demandé, les renseignements la concernant ont été mentionnés sur la demande. À cet égard, les requérants expliquent que ces renseignements ont été fournis au Comité pour expliquer qu’elle reste dans l’État partie parce que son état de santé la rend inapte à voyager.

5.6S’agissant du rôle du requérant principal au sein de l’Église Quiets, les requérants affirment que ce rôle ne se limitait pas à donner accès au sous-sol du magasin. Ils se réfèrent à la lettre d’octobre 2009 de J. J. G., dans laquelle celle-ci déclare qu’elle a souvent assisté à des rassemblements religieux dans le sous-sol du requérant; que plus précisément, les fidèles de l’Église se réunissaient dans la maison et le sous-sol du requérant en 2001 et 2004; et que le requérant assistait alors aux rassemblements religieux et qu’il a été arrêté en 2001 et 2004. Les requérants indiquent aussi que la participation du requérant aux services de l’Église Quiets et le fait qu’il a été persécuté pour son appartenance à l’Église et subi des violences physiques et psychologiques constitutives de torture de la part des autorités chinoises sont également attestés par cinq résidents chinois en Australie, qui confirment que le requérant principal assistait aux services de l’Église Quiets dans son sous-sol en Chine et qu’il a été arrêté avec d’autres membres de l’Église en 2004. En outre, l’une des attestations confirme qu’en 2004, le requérant a été détenu par les autorités chinoises dans le centre de détention de Gutian dans la province du Fujian. À cet égard, et à propos de l’impossibilité pour le requérant de fournir des pièces justificatives de chacune de ses affirmations, les requérants soulignent que conformément au Guide des procédures et critères du Haut‑Commissariat pour les réfugiés (HCR) à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention relative au statut des réfugiés, les cas où il est exigé des requérants qu’ils fournissent des preuves documentaires ou autres à l’appui de toutes leurs déclarations constituent l’exception plus que la règle.

5.7Compte tenu de ce qui précède, les requérants affirment que les faits exposés par le requérant principal sont cohérents, vraisemblables et concordants. Des éléments de preuve fournis par des tiers viennent étayer les renseignements produits par le requérant. En outre, des informations indépendantes sur le pays provenant de sources compétentes et fiables confirment objectivement les allégations de persécution en Chine contre les fidèles d’Églises clandestines chrétiennes. Les craintes du requérant sont donc fondées.

5.8À propos de l’affirmation de l’État partie selon laquelle les sept demandes présentées ultérieurement par le requérant aux fins d’intervention ministérielle ont été examinées de manière approfondie et rejetées faute de preuves suffisantes pour répondre aux directives applicables à cette fin, les requérants se réfèrent aux différentes lettres d’autres fidèles de l’Église chrétienne soumises à l’appui des demandes successives qui confirment que le requérant assistait régulièrement aux réunions de l’Église Quiets dans le sous-sol de son magasin ou à son domicile, qu’il a été arrêté en 2001 et 2004 et que l’Église Quiets a continué de se réunir dans ce sous-sol (après le départ du requérant pour l’Australie) et y tenait encore une réunion au début de 2009 lorsque des membres de l’Église ont été arrêtés par les autorités. Dans ce contexte, les requérants réaffirment que des mandats d’arrêt et de dépôt ont été émis contre le requérant et qu’il sera appréhendé à son retour en Chine.

5.9Les requérants affirment en outre que le requérant principal étant chrétien, il continuera, en cas de retour en Chine, à pratiquer la religion chrétienne en tant que membre actif de l’Église Quiets, ce qui lui fera courir le risque d’être de nouveau arrêté et incarcéré et, compte tenu de ce qu’il a subi dans le passé, d’être soumis à la torture. Les requérants font de plus observer que le fait d’avoir vécu longtemps dans l’État partie serait considéré par les autorités chinoises comme un «alignement sur l’Occident», ce qui ferait courir un risque supplémentaire au requérant.

5.10Selon les requérants, durant la procédure de demande de visa de protection, le requérant principal a soumis aux autorités nationales des preuves, sous la forme d’attestations écrites de ses coreligionnaires chrétiens, des persécutions religieuses en Chine. Le fait que le requérant principal serait persécuté et torturé s’il était renvoyé en Chine est étayé par son expérience passée, l’arrestation et l’incarcération en 2009 de coreligionnaires chrétiens qui se réunissaient dans le sous-sol de son magasin en Chine et l’existence d’un mandat d’arrêt contre lui. De plus, le requérant produit des extraits de différents rapports et publications de presse concernant, notamment, le projet des autorités chinoises de supprimer toutes les Églises non enregistrées d’ici à 2025 et les persécutions, arrestations et mesures de harcèlement visant différents groupes religieux en Chine.

5.11S’agissant de l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’expulsion d’Australie des requérants ne constituerait pas en soi une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant puisque les autorités d’immigration de l’État partie procèdent systématiquement à des évaluations préalables de l’aptitude à voyager des personnes devant être expulsées, les requérants font observer que le Ministère de l’immigration et de la citoyenneté n’a pas tenu compte des rapports médicaux, en date des 26 et 28 juin 2013, établis par un expert clinicien en psychiatrie, le docteur M. R., dans lesquels il est indiqué qu’en raison de la détérioration de la santé mentale du requérant et de sa femme, les requérants ne sont pas aptes à voyager, ni à se rendre au Ministère de l’immigration et de la citoyenneté. Il est souligné que les requérants sont atteints de graves troubles psychiatriques, qui nécessitent les soins d’un psychiatre traitant et un important traitement médicamenteux, et qui se sont aggravés au fil du temps en raison principalement du refus persistant du Ministère de leur accorder une protection.

5.12Les requérants font observer que leur état mental les a rendus incapables de travailler durant leur séjour dans l’État partie. De plus, à supposer même qu’ils ne soient pas persécutés à leur retour en Chine, il ne leur serait pas possible de se réinstaller en un lieu sûr en Chine et de percevoir des ressources sociales en raison de la politique chinoise d’enregistrement des ménages et d’attribution des ressources. Les requérants ajoutent qu’il est également inhumain de les expulser de l’État partie alors que leur fils et leurs petits‑enfants résident en Australie.

5.13En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel le requérant principal s’est vu délivrer un passeport et a pu quitter la Chine, en compagnie de sa femme, en juin 2004 sans aucune difficulté ni obstacle, les requérants maintiennent, en renvoyant au Guide des procédures et critères du HCR à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention relative au statut des réfugiés, que la possession d’un passeport ne peut pas être considérée comme une indication de l’absence de crainte. À cet égard, les requérants considèrent, compte tenu de la réaction du Ministère de l’immigration et de la citoyenneté à tous les nouveaux renseignements que le requérant principal a joints à chacune de ses demandes successives aux fins d’intervention ministérielle, que le Ministère a adopté une approche négative à son égard, excluant toute décision qui lui serait favorable.

5.14Les requérants reprochent en outre aux autorités de l’État partie de n’avoir pas considéré que les déclarations de soutien d’amis et de parents concernant la participation du requérant à l’Église Quiets et leur persécution en Chine constituaient des éléments de preuve crédibles.

5.15De plus, pour ce qui est de la citation à comparaître et de la notification de détention fournies par le requérant et du fait que les autorités nationales ont estimé que ces documents ne comportaient aucune précision concrète étayant les allégations du requérant principal, les requérants font observer que ces documents, soumis aux autorités nationales le 5 août 2010, n’avaient été émis que le 18 janvier et le 1er février 2010 et qu’ils n’existaient donc pas au moment des audiences précédentes. Ces documents ont été présentés dans le cadre de la procédure aux fins d’intervention ministérielle comme preuve de persécutions futures prévisibles et non d’une précédente incarcération.

5.16En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle les demandes de visa de protection du requérant ont été dûment prises en considération et ont fait l’objet d’une «solide procédure d’examen au fond et de réexamen juridictionnel», les requérants soulignent tout d’abord que cette procédure ne donne qu’à deux reprises l’occasion d’étayer les allégations de persécutions dans le pays d’origine et de l’existence de risques futurs dans ce pays. La première occasion consiste en un entretien au Ministère de l’immigration et de la citoyenneté, la seconde en une audience devant un membre du tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Les requérants ajoutent qu’ensuite, une juridiction réexamine la décision adoptée en vue de déterminer si une erreur de droit a été commise. Une juridiction détermine si la décision a été prise conformément à la loi et n’examine pas le fond d’une demande. Si elle constate l’existence d’une erreur, le dossier est renvoyé au tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés et attribué à un autre membre qui est chargé de trancher la question. Les requérants en concluent que ni le Tribunal fédéral de première instance ni aucune autre juridiction supérieure n’a compétence pour réexaminer au fond le cas du requérant.

5.17Le requérant principal fait en outre valoir qu’il peut citer personnellement le nom de cinq personnes au moins de la province du Fujian qui ont obtenu la protection de l’État partie au cours des dix dernières années pour des motifs de persécution religieuse en raison de leur foi chrétienne.

5.18Enfin, les requérants réaffirment que le requérant principal a fourni la preuve, par des déclarations de soutien, des persécutions dont il a fait l’objet dans le passé de la part des autorités chinoises. Il a été contraint de suivre une «classe d’étude» organisée par le gouvernement communiste, a été continuellement harcelé par des fonctionnaires chinois et a été envoyé dans un camp de détention où il a subi des violences tant physiques que psychologiques qui ont provoqué des dommages irréversibles. Il a ainsi été frappé par des policiers, ainsi que par des détenus et des gardiens dans la prison. Il a eu la mâchoire fracturée lors de son arrestation en 2004. Dans ce contexte, les requérants réaffirment qu’un mandat de dépôt a été émis contre le requérant principal en février 2010. Les requérants réaffirment en outre que, selon les rapports psychiatriques de 2010 et de 2013, en raison de la détérioration de sa santé mentale, il est déconseillé au requérant principal de voyager.

5.19Compte tenu de ce qui précède, les requérants maintiennent que les griefs du requérant principal au titre de la Convention sont recevables et fondés.

Délibérations du Comité

6.À titre préliminaire, le Comité prend note de la déclaration des requérants en date du 8 juillet 2013 selon laquelle le fils du requérant, Da Huang, n’est plus partie à la présente requête. Dans ces conditions, le Comité décide de ne pas poursuivre l’examen de la présente communication en ce qui concerne le fils du requérant.

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité note qu’en l’espèce, l’État partie ne conteste pas que le requérant principal et sa femme ont épuisé tous les recours internes disponibles, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

7.3Le Comité note en outre l’argumentation de l’État partie selon laquelle la communication devrait être déclarée irrecevable car manifestement mal fondée.

7.4En ce qui concerne le grief tiré de l’article 16 de la Convention, relatif à l’expulsion des requérants en dépit de leur état de santé, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’aggravation de l’état de santé physique ou mentale d’une personne due à l’expulsion est généralement insuffisante pour constituer, en l’absence d’autres facteurs, un traitement dégradant en violation de l’article 16. Le Comité prend note des renseignements médicaux présentés par le requérant principal, à l’effet d’établir la détérioration de sa santé mentale. Le Comité considère toutefois que l’aggravation de l’état de santé du requérant qui pourrait résulter de son expulsion est en soi insuffisante pour étayer ce grief. Par ailleurs, en ce qui concerne la femme du requérant, le Comité note qu’ellen’a soumis aucun document médical ni aucun autre élément de preuve concernant son état de santé actuel. En conséquence, le Comité considère ce grief comme insuffisamment étayé aux fins de la recevabilité conformément au paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention.

7.5Le Comité considère toutefois que le grief du requérant principal selon lequel, en cas de renvoi en Chine, il serait soumis à la torture en raison de sa religion, soulève des questions au regard de l’article 3 de la Convention, qu’il convient d’examiner quant au fond, et il déclare recevable cette partie de la communication.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées par les parties.

8.2Le Comité doit déterminer si en renvoyant le requérant principal en Chine, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite à l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a de sérieux motifs de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Le Comité doit apprécier s’il existe de sérieux motifs de croire que le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture en cas de renvoi en Chine. Pour évaluer ce risque, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé.

8.3Le Comité rappelle en outre son Observation générale no 1 (1997) relative à l’application de l’article 3 de la Convention, dans laquelle on peut lire ce qui suit: «l’existence [du risque de torture] doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable», mais il faut démontrer qu’il est encouru personnellement et actuellement. À cet égard, dans des décisions antérieures, le Comité a estimé que le risque de torture devait être prévisible, réel et personnel. Il rappelle que, conformément aux termes de son Observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, sans toutefois être lié par de telles constatations; il est en effet habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

8.4Le requérant principal affirme qu’il sera appréhendé et torturé en cas de retour en Chine, en raison de ses activités religieuses. Le Comité note que, selon État partie, le requérant n’a en l’espèce pas fourni d’éléments de preuve crédibles et, notamment, n’a pas apporté la preuve qu’il courrait un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture par les autorités chinoises s’il était renvoyé en Chine, que ses allégations ont été examinées par les autorités nationales compétentes, conformément à la législation interne, et que lesdites autorités n’ont pas «acquis la conviction que le requérant était une personne envers laquelle l’État partie avait des obligations de protection en vertu de la Convention relative au statut des réfugiés» ou qu’il courrait un «risque de subir un préjudice pour des motifs religieux en cas de retour en Chine maintenant ou dans un avenir prévisible». Le Comité note que, ce faisant, les autorités de l’État partie ont tenu compte de la situation générale des droits de l’homme existant en Chine. Sans sous-estimer les préoccupations qui peuvent légitimement être exprimées à l’égard de la situation actuelle en Chine en ce qui concerne la liberté de religion, les autorités et tribunaux compétents de l’État partie ont conclu que la situation prévalant dans ce pays ne suffisait pas en elle-même à établir que le renvoi forcé du requérant dans ce pays entraînerait une violation de l’article 3 de la Convention.

8.5Dans ce contexte, indépendamment de la question de l’affiliation religieuse du requérant, le Comité constate que ce dernier n’a pas suffisamment démontré qu’il risquerait d’être soumis à la torture par les autorités en cas de retour en Chine. Il note que le requérant n’a produit que des copies d’une citation à comparaître et d’un mandat de dépôt émis par les autorités chinoises le 18 janvier et le 1er février 2010 respectivement; or, ces documents ne mentionnent nullement les motifs sur lesquels ils sont fondés. À cela s’ajoute le fait que le dossier ne comporte aucune preuve médicale des tortures que le requérant prétend avoir subies en détention. En tout état de cause, le Comité rappelle que, même si certains événements du passé peuvent être pertinents, le but qu’il poursuit, quand il examine la communication, est de déterminer si, maintenant, au cas où il serait renvoyé en Chine, l’auteur risquerait d’être soumis à la torture.

9.Dans ces conditions, et en l’absence de toute autre information pertinente, le Comité constate que les requérants n’ont pas suffisamment démontré que l’expulsion du requérant principal vers son pays d’origine l’exposerait personnellement à un risque réel et prévisible de torture.

10.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que l’expulsion des requérants vers la Chine par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]