Nations Unies

CAT/C/74/D/868/2018

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

21 novembre 2022

Original : français

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 868/2018*,**

Communication présentée par :

A. R. (représenté par un conseil, Jacques Emery)

Victime(s) présumée(s) :

Le requérant

État partie :

Suisse

Date de la requête :

26 avril 2018 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 114 et 115 du Règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 3 mai 2018 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

21juillet 2022

Objet :

Expulsion vers la République islamique d’Iran

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question ( s ) de fond :

Non-refoulement ; risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est A. R., de nationalité iranienne, né en 1990. Ayant été débouté de sa demande d’asile en Suisse, il fait l’objet d’un arrêté d’expulsion vers la République islamique d’Iran. Il affirme que son renvoi constituerait une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention le 2 décembre 1986. Le requérant est représenté par un conseil.

1.2Le 3 mai 2018, en application de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant tant que sa requête serait à l’examen. L’État partie a donné suite à la demande de mesures provisoires et décidé de surseoir au renvoi du requérant tant que le Comité serait saisi de la requête.

1.3Le 18 février 2020, conformément à l’article 115 (par. 3) de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a rejeté la demande de l’État partie tendant à ce que la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond, et a refusé les demandes de l’État partie, datées des 18 juin et 22 octobre 2018, de lever les mesures provisoires.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant appartient à une famille de musulmans modérés, non pratiquants, qui ne se sont jamais intéressés à la politique. Il était étudiant à l’Université libre de Damavand, où il a commencé un diplôme de premier cycle en management industriel, en septembre 2010. Au cours de l’année 2013, il a dispensé des cours privés en physique et en mathématiques à des élèves d’école secondaire, en parallèle de ses études. Il ne savait rien de la pratique religieuse de ses élèves.

2.2En avril 2014, le requérant a voyagé en Suisse, à Berne, en compagnie de son père, afin d’y passer des vacances et de rendre visite à sa tante. Après un peu plus de deux semaines de voyage, le requérant est rentré en République islamique d’Iran, accompagné de son père. Il a mis en ligne des photos de ses vacances en Suisse sur l’un de ses comptes de réseaux sociaux.

2.3En novembre 2014, lors d’un cours obligatoire sur la pensée islamique, le requérant et deux de ses amis ont donné leur point de vue sur l’islam, le radicalisme musulman, les incroyants et les infidèles. Des membres d’une association islamique d’étudiants ont répondu par des insultes et des menaces. La dispute a dégénéré en confrontation physique après le cours. Le requérant a tenté en vain d’intervenir afin de séparer deux de ses amis qui en venaient aux mains avec quatre ou cinq membres de l’association islamique d’étudiants.

2.4Les membres du service de protection de l’Université (Heressat) sont intervenus et ont emmené le requérant et ses deux amis dans leurs bureaux. Ils ont également joint la police, qui les a ensuite emmenés au commissariat, où ils ont été détenus pendant deux jours. Les membres de l’association islamique d’étudiants n’ont pas été arrêtés. Il a été reproché au requérant et à ses amis d’avoir troublé l’ordre de l’Université et de s’être engagés dans des discussions religieuses sans rapport avec les cours. Avant d’être libérés, ils ont dû s’engager par écrit auprès de l’Université à ne plus être mêlés à une dispute, faute de quoi ils ne pourraient terminer leur cursus universitaire.

2.5Autour du 18 janvier 2015, des hommes en civil se présentant comme des agents du Sepah, connu aussi sous le nom de Corps des gardiens de la révolution islamique ou Pasdaran, ont contraint le requérant à monter dans leur véhicule banalisé. Ils lui ont montré un mandat d’amener établi par les huissiers du tribunal de la juridiction. La feuille ne portait ni référence ni date, les motifs de l’interpellation étaient absents, et seuls y figuraient le nom du requérant, de façon manuscrite, ainsi qu’une signature. Pendant le trajet, les agents du Sepah ont lié les mains du requérant dans son dos, lui ont couvert la tête d’un bandeau et l’ont contraint à placer la tête entre ses genoux.

2.6À l’arrivée du requérant dans le lieu de détention, les menottes et le bandeau qui lui couvrait la tête ont été ôtés. Il a été placé dans une cellule insalubre située au sous-sol, où il est resté seul, sans lumière, pendant environ quatre jours. Puis, il a subi plusieurs interrogatoires menés par des hommes le plus souvent cagoulés, pendant lesquels il subissait des pressions psychologiques et des actes de torture physique. Il a été roué de coups de bâtons, de tuyaux en plastique, de câbles ou de cordelettes ainsi que de coups de pieds bottés sur les tibias ; un crayon a été placé entre ses doigts et les phalanges de ses mains ont été écrasées ; des chiffons humides ont été placés sur son visage jusqu’à étouffement ; sa tête a été plongée dans des seaux d’eau souillée ; il a été suspendu par les épaules ; il a été frappé sur la plante des pieds ; des décharges électriques lui ont été administrées au moyen de pinces fixées sur ses pouces, lui écrasant les ongles ; il a été dénudé et menacé de violences sexuelles ; il a subi des simulacres de sodomie par matraque ; et il a subi un simulacre d’exécution. Le requérant conserve encore des séquelles de ces mauvais traitements, dont certaines demeurent visibles.

2.7Entre les interrogatoires, le requérant retournait dans un minuscule cachot humide, sans fenêtre, mais avec une lumière forte et constante, où la puanteur était extrême et les cris des codétenus interrogés étaient constants. On lui a posé des questions sur sa connaissance de la religion et sur son niveau de pratique religieuse, ainsi que sur celui des membres de sa famille. Il a été accusé d’apostasie envers la religion musulmane − ce qui est proscrit et peut être passible de la peine de mort selon la loi islamique −, d’avoir enseigné à des membres de la communauté bahaïe, ce qui est interdit par la loi iranienne, ainsi que d’être lui-même devenu membre de cette communauté et de s’être rendu au Secrétariat des bahaïs de Suisse, dont le siège se trouve à Berne. Il a également été accusé d’être un espion à la solde d’Israël, les membres de la communauté bahaïe étant soupçonnés en République islamique d’Iran de travailler pour le compte d’Israël. Enfin, il a été informé du fait que certains de ses élèves qui avaient été arrêtés l’auraient dénoncé.

2.8Pendant la détention du requérant, ses parents et des amis ont utilisé leurs relations pour entrer en contact avec des personnes influentes qui pouvaient organiser son évasion, en soudoyant des gardes contre une somme équivalant à 20 000 francs suisses. L’évasion a eu lieu le 25 février 2015, alors que le requérant était au tribunal révolutionnaire de Téhéran et devait assister à son audience.

2.9Le requérant a été emmené dans la ville d’Ourmia, où il est resté quelques jours cloîtré à l’intérieur d’une maison, puis dans la ville de Salmas, où il est resté quelques jours supplémentaires, et ensuite dans un village situé près de la frontière avec la Türkiye, où il est resté encore six ou sept jours supplémentaires. Il a ensuite passé près d’un mois en Türkiye. À cette occasion, il a pu renouer des contacts avec ses parents par Internet. Le requérant a finalement quitté la Türkiye en camion et a été déposé près de la frontière suisse, qu’il a traversée à pied le 15 avril 2015.

2.10Le 22 avril 2015, le requérant a déposé une demande d’asile politique auprès du Secrétariat d’État aux migrations. À cette occasion, plusieurs questions de nature générale lui ont été posées lors d’une audition assez brève. Cette audition a été menée en allemand, sans que le requérant ait pu vérifier la qualité de la traduction.

2.11Le requérant souffre d’un état de stress post-traumatique et d’un état dépressif consécutifs aux événements qu’il a subis dans son pays d’origine, comme l’ont indiqué un médecin spécialisé dans l’aide aux victimes de violences organisées dans une attestation médicale datée du 3 février 2016, et une psychiatre et psychanalyste parlant le farsi dans un certificat daté du 12 décembre 2016, lesquels l’ont suivi depuis son arrivée dans l’État partie en 2015. La psychiatre a mentionné qu’il était préférable de tenir compte de cet état clinique dans le cas d’un éventuel entretien. Le requérant indique que le niveau de l’interprète présent lors de cette audition était si lacunaire et ses approximations si nombreuses − ce dont le requérant a pu se rendre compte car il a atteint un bon niveau de français depuis son arrivée en Suisse − que cela a obligé le Secrétariat d’État aux migrations à interrompre l’entretien et à convoquer le requérant pour une audition complémentaire. C’est en raison d’un problème de traduction lié aux temps verbaux, erreur qui faussait le sens d’une phrase, que l’enquêtrice a décidé de mettre fin à cette audition. Le requérant a fait lui-même la correction en français pendant l’entretien. Une seconde audition a eu lieu le 15 mars 2017.

2.12Le 16 juin 2017, le Secrétariat d’État aux migrations a rejeté la demande d’asile du requérant, ayant considéré que les déclarations de ce dernier contenaient des contradictions, notamment concernant les motifs ayant mené à son arrestation. Le Secrétariat d’État a également noté que le requérant n’avait pas été en mesure de produire ses documents d’identité.

2.13Le 21 août 2017, le requérant a déposé un recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral. À l’appui de sa demande, il a présenté notamment un nouveau certificat de sa psychiatre, daté du 7 juillet 2017, qui attestait que son état le faisait souffrir d’amnésie dissociative et de difficulté de concentration.

2.14Le recours a été déclaré irrecevable par le Tribunal administratif fédéral pour cause de tardiveté dans un arrêt du 25 août 2017. Le requérant indique que ce retard ne lui était pas imputable, mais plutôt à un collaborateur de son conseil. Il a alors déposé une demande de restitution de délai et un recours auprès du Tribunal le 30 août 2017, recours qui a été rejeté le 19 septembre 2017, le Tribunal considérant que la négligence du mandataire n’était pas suffisante pour justifier d’une demande de restitution de délai. Simultanément, le requérant a déposé une demande de réexamen auprès du Secrétariat d’État aux migrations le 31 août 2017, à laquelle il a adjoint de nouveaux moyens de preuve. Cette demande a été rejetée le 23 octobre 2017, le Secrétariat d’État considérant que les pièces nouvelles apportées au dossier ne contenaient aucun élément ou indice susceptible de modifier ses conclusions préalables. Le 7 novembre 2017, le requérant a déposé un recours auprès du Tribunal administratif fédéral contre cette dernière décision. À l’appui de son recours, il a présenté un rapport médical rédigé par le même médecin spécialisé dans l’aide aux victimes de violences organisées, daté du 19 septembre 2017, relevant notamment de multiples fines cicatrices au niveau du dos et des déformations des ongles des deux pouces, et indiquant que ces cicatrices étaient compatibles avec des séquelles de coups de fouet ou de cordelettes et de pinces sur les pouces. Le 21 février 2018, le Tribunal a rejeté le recours du requérant, considérant qu’il était mal fondé, notamment en ce que les nouveaux moyens de preuve n’étaient pas décisifs. En effet, le Tribunal a considéré que le certificat médical du 19 septembre 2017 n’avait aucune valeur probante, puisque le diagnostic se fondait uniquement sur le récit du requérant et se limitait à estimer que les lésions et troubles relevés étaient compatibles avec les sévices allégués, sans pour autant le démontrer.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant invoque une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention, car un retour vers la République islamique d’Iran mènerait à son arrestation immédiate, impliquant un risque de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans la mesure où : a) il a été accusé d’apostasie, ce qui est passible de la peine de mort, d’avoir enseigné à des membres de la communauté bahaïe, ce qui est interdit par la loi iranienne, d’être lui-même devenu membre de cette communauté et d’être un espion à la solde d’Israël ; b) il a demandé l’asile dans l’État partie, ce qui renforce la thèse selon laquelle il serait un agent de l’Occident ; et c) il a déjà attiré l’attention des autorités iraniennes, qui l’ont arrêté et torturé.

3.2Le requérant indique que les certificats médicaux produits attestent de séquelles et de blessures, conséquences des tortures intenses qu’il a subies avant l’audience de jugement. Pour compléter les preuves des tortures subies en République islamique d’Iran, il présente au Comité un complément au rapport médical du 19 septembre 2017, daté du 22 mars 2018, qui est donc postérieur à la décision finale du Tribunal administratif fédéral et indique que le lien de causalité entre les déclarations du requérant et le tableau clinique est plausible avec un fort degré de vraisemblance. Il mentionne en particulier les nombreuses fines cicatrices linéaires au niveau de son dos, compatibles avec des suites de coups par câbles électriques ou cordelettes, des déformations en cupule des ongles de la main compatibles avec des décharges électriques administrées au moyen de pinces fixées sur l’extrémité de ses pouces, et des douleurs au niveau de la plante des pieds et des chevilles, avec limitation de la mobilité, compatibles avec des coups sur la plante des pieds. Le requérant considère qu’il a donné suffisamment de preuves aux autorités indiquant qu’il avait été victime de torture. Il ajoute qu’un État partie qui considère comme infondée une demande d’asile et décide de refouler un requérant alors qu’il n’a pas enquêté suffisamment ni donné suite aux preuves fournies par l’intéressé commet une violation de l’article 3 de la Convention .

3.3Le requérant indique également que l’État partie, tout au long de la procédure d’asile, s’est enfermé dans une lecture partiale et biaisée de la cause et excessivement formaliste de ses déclarations. L’État partie a décidé d’écarter d’emblée toutes ses offres de preuve et ses explications, en particulier des preuves médicales pourtant solides, au motif que ses déclarations auraient d’abord comporté certaines contradictions, sans se demander si l’état médical du requérant, documenté et visible lors des auditions, et dont l’État partie avait été averti, ne pouvait pas permettre d’expliquer pourquoi le requérant n’était pas parvenu à s’exprimer avec l’exactitude qui était exigée de lui.

3.4En effet, concernant les imprécisions quant aux dates et à la chronologie soulignées par le Secrétariat d’État aux migrations, le requérant indique qu’elles sont attribuables au fait qu’il a été interrogé pour la première fois le 22 avril 2015, soit quelques jours après son arrivée en Suisse, alors qu’il avait été victime, peu de temps auparavant, de tortures et souffrait de stress post-traumatique.

3.5Le requérant explique aussi que les contradictions plus importantes relevées par les autorités proviennent de problèmes de traduction du farsi vers l’allemand.

3.6Enfin, le requérant ajoute que l’État partie n’a pas pris en compte le contexte de sa demande d’asile, à savoir la situation générale des droits humains qui prévaut en République islamique d’Iran et qui ne fait que s’aggraver depuis 2009, étant donné le sort qui y est réservé aux opposants réels ou supposés ou aux requérants d’asile déboutés.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Les 18 juin et 22 octobre 2018, l’État partie a envoyé ses observations sur la recevabilité et le fond.

4.2Selon l’État partie, le requérant n’aurait pas rempli la condition relative à l’épuisement des voies de recours internes. En effet, le recours intenté par le requérant devant le Tribunal administratif fédéral a été déclaré irrecevable parce qu’il était tardif. L’État partie indique que, selon la jurisprudence du Comité, le requérant ne peut se prévaloir d’une négligence de son conseiller pour s’exonérer de son obligation d’épuisement des voies de recours internes. Il indique aussi que la demande de restitution de délai, déposée le 30 août 2017 auprès du Tribunal par le requérant, ne concerne qu’un aspect formel, et ne peut donc pas être considérée comme la mise en œuvre d’un moyen d’obtenir réparation.

4.3Par ailleurs, selon l’État partie, le recours intenté par le requérant contre la décision du Secrétariat d’État aux migrations de rejet de la demande de réexamen ne permet que de déterminer si les moyens de preuve produits à l’appui de la demande de réexamen apportent des éléments nouveaux importants, de nature à influer sur l’issue de la contestation par rapport à ce que le Secrétariat d’État avait retenu dans sa décision. En effet, l’État partie considère que les attestations produites, écrites de la main de proches, ont été produites simplement pour les besoins de la cause. Il considère également que les nouveaux certificats médicaux présentés après la décision de refus de l’asile du Secrétariat d’État, datée du 16 juin 2017, ne font que reproduire les constatations des rapports médicaux déjà examinés par le Secrétariat d’État. Finalement, l’État partie considère que la demande de réexamen n’est qu’une tentative de remédier à l’inobservation du délai de recours contre la décision du Secrétariat d’État datée du 16 juin 2017.

4.4Concernant le fond, l’État partie indique que, hormis un complément daté du 22 mars 2018 d’un rapport médical daté quant à lui du 19 septembre 2017, établi par un médecin généraliste spécialisé dans l’aide aux victimes de violences organisées, toutes les pièces produites devant le Comité ont déjà été soumises aux autorités nationales compétentes en matière d’asile. Le requérant n’apporte dès lors aucun élément nouveau qui permettrait de mettre en question leurs décisions.

4.5L’État partie est conscient que la situation en République islamique d’Iran en matière de droits humains est préoccupante à maints égards. Toutefois, la situation générale dans le pays ne saurait à elle seule constituer un motif suffisant pour conclure que le requérant risquerait d’être victime de torture à son retour dans ce pays. De plus, il ressort des développements ci-après que le requérant n’a pas apporté d’éléments permettant de conclure qu’il courrait un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture en cas de renvoi en République islamique d’Iran.

4.6L’État partie indique que le requérant fait valoir qu’il a été soumis à des actes de torture, énumérés dans sa requête et pour lesquels il a apporté des preuves. À cet égard, le Secrétariat d’État aux migrations a rappelé, dans sa décision du 16 juin 2017, qu’un certificat médical attestant de séquelles liées à des mauvais traitements ne pouvait être qualifié de pertinent que dans la mesure où l’ensemble du récit de la personne concernée était considéré comme crédible en ce qui concernait les persécutions alléguées et infligées. Or, en l’espèce, le Secrétariat d’État a constaté que le requérant n’avait pas été en mesure de rendre crédibles ses déclarations. Dans ces circonstances, le constat médical contenu dans le certificat médical ne peut être retenu et n’est pas à lui seul de nature à modifier l’appréciation de l’autorité. En ce qui concerne les cicatrices sur le corps du requérant, le Tribunal administratif fédéral a constaté que celui-ci les avait montrées au Secrétariat d’État lors de son audition du 15 mars 2017, mais ni l’attestation médicale du 3 février 2016 ni le certificat médical du 12 décembre 2016 n’en faisaient état.

4.7L’État partie ajoute que le requérant fait valoir qu’il courrait le risque d’être soumis à la torture en cas de retour en République islamique d’Iran, du fait qu’il y aurait été accusé d’avoir dispensé des cours à des enfants bahaïs, d’avoir embrassé leur religion, d’avoir troublé l’ordre public, d’être un apostat, et d’avoir espionné au profit de puissances étrangères, accusations qui auraient conduit à son arrestation en janvier 2015. Les autorités compétentes en matière d’asile de l’État partie ont examiné ces allégations et ont estimé qu’elles n’étaient pas crédibles. L’État partie ajoute que, dans sa décision du 16 juin 2017, le Secrétariat d’État aux migrations a constaté qu’au fil de ses différentes dépositions, le requérant avait exposé de manière divergente les circonstances à l’origine de sa mise en accusation en République islamique d’Iran, alors que ces circonstances constituaient pourtant un élément central de son argumentation.

4.8Ainsi, lors de sa première audition, le requérant a déclaré que ses ennuis avaient débuté lorsqu’il avait défendu les droits des enfants bahaïs de fréquenter des écoles ordinaires, dans une discussion entre étudiants lors d’un cours à l’université. Cependant, dans la dernière audition, le requérant a expliqué que les reproches formulés à son égard se fondaient sur les dénonciations dont il aurait été l’objet de la part de personnes de foi bahaïe, et non sur des faits réels.

4.9De plus, lors de son audition du 15 mars 2017, le requérant a affirmé ne pas avoir été directement impliqué dans la dispute survenue à l’université et n’être intervenu que pour séparer des personnes qui se battaient, à savoir deux de ses amis et des membres d’une association islamique d’étudiants. Il a expliqué ne plus se souvenir à quel moment cette dispute était survenue, ni quel était précisément le sujet de la dispute. Il a ajouté ne plus avoir rencontré de problèmes avec lesdits étudiants par la suite.

4.10À ces divergences manifestes s’ajoutent les déclarations contradictoires du requérant concernant sa prétendue activité d’enseignant privé à des enfants de foi bahaïe. En effet, lors de sa première audition, le requérant a non seulement clairement fait mention de sa prise de position en faveur de la défense des droits de ces enfants en matière scolaire lors d’un cours à l’université, mais aussi précisé, sans équivoque, qu’il quittait le domicile d’une famille bahaïe où il venait de dispenser des cours lorsqu’il avait été aperçu par un étudiant appartenant à 1’association islamique d’étudiants. Cependant, lors de son audition complémentaire, il a fourni des explications tout autres : il a déclaré que jusqu’au jour de son arrestation, il ignorait jusqu’à l’existence de la religion bahaïe.

4.11Le Secrétariat d’État aux migrations a constaté que, dès lors, les propos du requérant concernant les motifs se trouvant à l’origine de son arrestation et de l’engagement d’une procédure judiciaire à son égard étaient pour le moins contradictoires et ne sauraient, de ce fait, être qualifiés de vraisemblables. Dès lors, le Secrétariat d’État a constaté que la crédibilité des déclarations du requérant concernant sa prétendue évasion était également entachée.

4.12Le Secrétariat d’État aux migrations a relevé d’autres indications d’invraisemblance frappant les allégations du requérant, notamment celles en lien avec la date exacte de son arrestation et les circonstances ayant entouré son départ vers Ourmia. À cela s’ajoutent ses explications peu convaincantes concernant l’absence de tout document susceptible d’établir son identité, qui ont amené le Secrétariat d’État à conclure que par la non-production de telles pièces, le requérant tentait probablement de dissimuler les réelles circonstances de sa venue dans l’État partie.

4.13L’État partie convient que les traumatismes peuvent affecter la pensée et la mémoire d’une victime de torture, particulièrement en ce qui concerne la chronologie des événements, et que l’écoulement du temps peut altérer les souvenirs. Néanmoins, il considère que les incohérences relevées dans les récits présentés par le requérant au fil de ses différentes auditions ne concernent pas de simples divergences de dates, mais bien les éléments centraux de sa requête, à savoir les faits ayant conduit aux prétendues mesures de persécution engagées contre lui par les autorités iraniennes.

4.14L’État partie indique enfin que, dans sa requête, le requérant cherche à démontrer que des erreurs liées aux temps verbaux en farsi ou une mauvaise traduction seraient à l’origine des incohérences relevées par le Secrétariat d’État aux migrations. Cet argument et les développements apportés dans ce contexte ne sauraient convaincre. Il suffit, à cet égard, d’examiner les déclarations consignées lors de sa première audition en 2015 pour s’étonner que le requérant n’ait décelé aucune des nombreuses erreurs alléguées, lorsque ses propos lui ont été retraduits au terme de cette audition.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 9 août 2018, le requérant a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie sur la recevabilité. Selon lui, la demande de réexamen du 31 août 2017 et le recours contre la décision de refus de la demande de réexamen du 7 novembre 2017 ont été jugés recevables par le Secrétariat d’État aux migrations et par le Tribunal administratif fédéral, entraînant dès lors un examen au fond de l’affaire, dont l’examen des problèmes de traduction et de l’état de stress post-traumatique du requérant lors du premier entretien avec le Secrétariat d’État.

5.2Le requérant indique que l’argument selon lequel la procédure de réexamen ne permet pas d’épuiser les voies de recours internes ne peut prospérer. Il fait valoir que dans un autre cas relatif à la procédure d’asile, le Comité a considéré que l’épuisement des voies de recours internes ne devait intervenir que pour la seconde procédure de demande d’asile, et non également pour la première.

5.3Par ailleurs, le requérant indique avoir invoqué des moyens nouveaux dans le cadre de : a) son recours devant le Tribunal administratif fédéral, en date du 21 août 2017, contre la décision de refus de sa demande d’asile du 22 avril 2017 ; b) sa demande de réexamen auprès du Secrétariat d’État aux migrations, en date du 31 août 2017 ; et c) son recours devant le Tribunal administratif fédéral contre la décision de rejet de la demande de réexamen du 7 novembre 2017. Le requérant invoque le fait que le Tribunal et le Secrétariat d’État ont écarté comme n’étant pas probants des rapports médicaux complémentaires faisant état de la vraisemblance des allégations de torture ainsi que de son état de stress post-traumatique. Il invoque également le manque de fiabilité des interprètes et les erreurs de traduction commises lors des entretiens avec le Secrétariat d’État.

5.4Le 8 février 2019, le requérant a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond datées du 22 octobre 2018. Il indique qu’il serait contraire au but et à l’esprit de la Convention de retenir que seuls les requérants d’asile ayant épuisé les recours internes au moyen d’une première procédure ordinaire seraient protégés et pourraient déposer une plainte devant le Comité. En tout état de cause, cette interprétation a déjà été écartée par la Cour européenne des droits de l’homme, notamment dans son arrêt sur l’affaire Polidario c . Suisse, où la Cour a jugé, dans le cas d’une requérante n’ayant pas déposé de recours en procédure ordinaire, que la procédure de réexamen choisie permettait d’épuiser de manière adéquate les voies de recours internes au sens de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme).

5.5Le Comité, notamment dans l’affaire Jahani c . Suisse, a estimé que le fait qu’un requérant ayant déposé une seconde demande d’asile liée à la première n’avait pas déposé de recours lors de la première procédure n’empêchait pas le Comité d’examiner une requête sur la base des griefs développés lors de cette seconde procédure.

5.6Le requérant indique que les prétendues nombreuses divergences relevées par le Secrétariat d’État aux migrations étaient en réalité circonscrites à quatre phrases problématiques plus ou moins contiguës. D’abord, et contrairement à ce que l’État partie prétend, les erreurs dénoncées ne sont pas nombreuses − il s’agit d’une erreur bien localisée et définie, liée à la mauvaise traduction de la forme verbale de trois ou quatre phrases du farsi à l’allemand. Il ne fait aucun doute, par ailleurs, que le procès-verbal comporte un certain nombre d’approximations qui n’ont heureusement pas porté à conséquence.

5.7Le requérant poursuit en indiquant qu’il n’a pas été contesté, et qu’il n’est pas contestable par ailleurs, que, dans ses auditions cantonales de 2017, il a été en mesure de fournir un récit complet et convaincant de son arrestation et des tortures subies dans son pays d’origine. Il n’a pas été contesté que les phrases problématiques, présentées dans le procès‑verbal de la première audition comme des faits réels, correspondaient presque mot pour mot à ce que le requérant avait décrit dans les auditions suivantes comme étant les accusations de la police secrète à son égard. Les autorités de l’État partie ne pouvaient donc en aucun cas se permettre de rejeter la demande sans instruire plus avant le dossier. Le simple bon sens aurait dû les pousser à poursuivre leur enquête, en ordonnant la réalisation d’un examen médical complémentaire, ce qu’elles ont toujours refusé de faire.

5.8En outre, le Comité a rappelé à maintes reprises à l’État partie qu’il ne suffisait pas de constater la présence de prétendues incohérences dans le récit d’un requérant pour conclure qu’il n’existait pas de risques de torture en cas de retour forcé ; il ne s’agit que d’un critère parmi d’autres, la cause devant toujours faire l’objet d’une analyse globale. Il n’était pas non plus admissible de maintenir sa position alors qu’une explication précise et convaincante et des témoignages écrits avaient été fournis pour expliquer l’origine de l’erreur.

5.9Le 20 juin 2019, le requérant a dénoncé le manque de compétence et d’impartialité des interprètes travaillant pour le compte du Secrétariat d’État aux migrations.

Observations complémentaires de l’État partie

6.Le 14 août 2020, l’État partie a soumis des observations complémentaires, indiquant que les commentaires du requérant datés des 8 février et 20 juin 2019 ne contenaient pas d’éléments susceptibles de remettre en question la position de l’État partie. En particulier, l’État partie explique le processus de sélection des interprètes.

Commentaires du requérant sur les observations complémentaires de l’État partie

7.Dans ses commentaires du 21 décembre 2021, le requérant reprend les arguments qu’il avait présentés dans sa soumission initiale. De plus, il considère que les interprètes ne sont ni formés ni capables de répondre à une situation qui sortirait des créneaux habituels d’une audition d’un requérant d’asile.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention lui en fait l’obligation, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. En l’espèce, il note l’argument de l’État partie selon lequel le requérant n’aurait pas épuisé les voies de recours disponibles, car le recours intenté devant le Tribunal administratif fédéral a été déclaré irrecevable parce qu’il était tardif, et que la demande de restitution de délai, déposée le 30 août 2017 auprès du Tribunal par le requérant, ne concerne qu’un aspect formel, et ne peut donc pas être considérée comme la mise en œuvre d’un moyen d’obtenir réparation. Le Comité prend note de l’argument du requérant, qui indique que la tardiveté ne lui serait pas imputable à lui-même, mais à son conseil. Or, le Comité rappelle que les erreurs imputables à des conseils privés ne peuvent pas en principe être attribuées à l’État partie. Dans le cas d’espèce, le Comité constate que le requérant n’a pas apporté d’éléments suffisants pour justifier la tardiveté de son recours auprès du Tribunal. Il considère donc que le requérant n’a pas fait preuve de la diligence requise en épuisant à temps les voies de recours dont il disposait, et qu’il n’est pas en mesure d’en imputer la faute à l’État partie.

8.3Le Comité conclut que les voies de recours disponibles n’ont pas été épuisées et que la communication est donc irrecevable conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention.

8.4.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention ;

b)Que la présente décision sera communiquée au requérant et à l’État partie.