Nations Unies

CAT/C/74/D/935/2019

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

8 février 2023

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 935/2019 * , **

Communication soumise par :

S. S.

Victime(s) présumée(s) :

Le requérant

État partie :

Australie

Date de la requête :

17 juin 2019 (date de la lettre initiale)

Date de la décision:

23 juillet 2022

Objet :

Risque de torture en cas d’expulsion vers l’Inde (non-refoulement)

Questions de procédure :

Recevabilité − ratione materiae; recevabilité − défaut manifeste de fondement

Questions de fond :

Torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Article(s) de la Convention :

2, 3, 16

1.1L’auteur de la communication est S. S (« le requérant »), de nationalité indienne, né le 2 août 1966. Il affirme qu’en le renvoyant en Inde, où il subirait un traitement contraire à l’article 3, l’État partie violerait les obligations qu’il tient des articles 2, 3 et 16 de la Convention et manquerait aux obligations faites par celle-ci en matière de non-refoulement. Il a donc demandé que des mesures provisoires soient appliquées tant que sa requête serait à l’examen, pour éviter de subir un préjudice irréparable. L’État partie a ratifié la Convention le 8 août 1989.

1.2La communication a été enregistrée le 17 juin 2019 et le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a décidé de demander à l’État partie de ne pas expulser le requérant vers l’Inde tant que sa communication serait à l’examen, afin d’éviter qu’il ne subisse un préjudice irréparable.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est né à Taraori, ville du district de Karnal, dans l’État indien d’Haryana. Il appartient à la caste répertoriée des chamars, également connus sous le nom de dalits ou d’« intouchables ». Il affirme que lui et son fils ont toujours été victimes de discrimination de la part des jats, qui appartiennent à la caste des shudras. Il affirme avoir été attaqué par des jats armés de machettes et de matraques et avoir subi une blessure par lacération près de l’œil gauche. Il a été blessé à la main gauche alors qu’il tentait de se défendre et a subi une fracture du nez et de la jambe gauche. Il affirme avoir des cicatrices et qu’on lui a posé une tige d’acier dans la jambe gauche à la suite de l’agression.

2.2Le requérant affirme qu’il était un adepte de Baba Gurmeet Ram Rahim Singh et un membre de l’association Dera Sacha Sauda, au sein de laquelle il participait à des activités humanitaires. Il dit souffrir d’un syndrome de stress post-traumatique du fait d’événements qui se sont produits avant qu’il ne quitte l’Inde et qu’il est émotionnellement perturbé par son retour forcé en Inde, où il craint d’être à nouveau victime de persécution et de graves discriminations.

2.3Le requérant affirme qu’il a été élu président du syndicat local des camionneurs et qu’il a occupé ce poste de 2005 à 2010, date à laquelle il a perdu sa campagne de réélection. Par la suite il a été victime de harcèlement et a fait l’objet d’une enquête du Ministère des finances, qui a procédé à un contrôle de ses documents comptables. Il était accusé d’avoir détourné des fonds du syndicat. Il affirme qu’il a dû payer un pot-de-vin important pour que les accusations portées contre lui soient abandonnées.

2.4Le requérant affirme qu’en mars 2011, il a été accusé d’avoir tué l’un de ses chauffeurs de camion et qu’en juin 2011, il a été agressé par des membres de l’Autorité d’aménagement urbain de l’Haryana et qu’il a été gravement blessé et hospitalisé. Il affirme également avoir reçu des menaces de mort, en raison de ses liens avec Bab Gurmeet Ram Rahim Singh, de la part de la communauté sikhe jat, qui se serait retournée contre lui et sa famille en juin 2012, lorsque M. Singh, une personnalité très controversée de la communauté sikhe jat, lui a rendu visite à son domicile. Il affirme que cette visite a été rapportée dans plusieurs journaux locaux.

2.5Le requérant affirme qu’en mars 2013, la police a fait une descente dans son bureau à Karnal et a saisi tous les dossiers qu’il y conservait. Il affirme en outre que la police s’est ensuite rendue à son domicile, le 21 mars 2013, pour l’arrêter, mais qu’il ne s’y trouvait pas.

2.6Le requérant dit que, le 24 mars 2013, en raison de ce harcèlement, il a décidé de quitter le pays. Il a donc obtenu un visa de visiteur et a réservé des billets pour l’Australie pour lui, sa femme et son fils. Le requérant, son épouse et son fils sont arrivés en Australie le 27 mars 2013, tandis que sa fille et son fils cadet sont restés en Inde. Le 8 avril 2013, son épouse est retournée en Inde pour s’occuper des enfants; elle y habite toujours, à Pehowa, avec leurs deux plus jeunes enfants. Son fils aîné est également retourné en Inde.

2.7Le requérant a déposé une demande de visa de protection le 10 avril 2013. Il a présenté une déclaration écrite le 10 mai 2013. Son entretien sur le fond de la demande a eu lieu le 17 décembre 2013. Dans une lettre datée du 6 janvier 2014, le requérant a été informé que sa demande de visa de protection (catégorie XA) avait été rejetée. Dans la décision de rejet, il était souligné que la déclaration écrite du requérant et les réponses données lors de l’entretien présentaient un certain nombre de différences. Par exemple, dans sa déclaration écrite, le requérant a affirmé qu’il avait été victime d’extorsion de la part de membres du parti du Congrès national indien et que de fausses accusations pénales avaient été portées contre un certain nombre de partisans du parti Indian National Lok Dal, dont le requérant, à des fins de harcèlement et de représailles. Toutefois, lors de l’entretien, le requérant a déclaré que le membre du Congrès national indien avec lequel il était en conflit était son voisin et que cette personne avait menacé d’enlever ses enfants pour faire pression sur lui afin qu’il cesse de soutenir Baba Gurmeet Ram Rahim Singh. L’agent qui a statué sur la demande a indiqué que, lorsqu’il avait été interrogé sur les différences entre ses récits écrits et oraux, le requérant a répondu que, parce qu’il ne savait pas taper en anglais et qu’il n’avait pas les moyens de s’offrir les services d’un professionnel pour l’aider, il n’avait fait qu’indiquer les « intitulés » des problèmes rencontrés des problèmes rencontrés dans sa déclaration écrite. Dans le compte-rendu de la décision, il a également été souligné que les récits écrits et oraux du requérant concernant l’agression perpétrée par des membres de la communauté jat présentaient des différences importantes, notamment en ce qui concernait les blessures subies, le moment où l’agression avait eu lieu et l’allégation supplémentaire selon laquelle il avait été hospitalisé à la suite de l’agression. Il y était également fait remarquer que, malgré l’affirmation du requérant selon laquelle il avait commencé à connaître des problèmes en Inde en 2005, il y était resté jusqu’en 2012, lorsqu’il avait obtenu un passeport pour la première fois en vue de voyager à l’étranger pendant ses vacances, et qu’il n’avait décidé de quitter l’Inde pour de bon qu’en 2013. Il a également été souligné qu’à la fin de l’entretien, bien que le plaignant ait déclaré qu’il pouvait fournir des preuves à l’appui de ses affirmations, ce pour quoi il avait obtenu un délai supplémentaire, aucune preuve n’avait jamais été soumise, et aucune raison n’avait été donnée pour l’expliquer.

2.8Du fait des incohérences dans les éléments présentés par le requérant, l’agent qui a statué sur la décision n’était pas convaincu que celui-ci avait effectivement été inquiété par le membre du Congrès national indien en raison de son affiliation politique ou de la caste à laquelle il appartenait. L’agent n’a pas non plus tenu pour vrai que la famille du requérant avait été agressée par des jats sikhs ou par tout autre groupe en 2011 et en 2012. Il a donc conclu que les affirmations du requérant n’étaient pas crédibles et que, partant, celui-ci ne craignait pas véritablement d’être persécuté en Inde, de sorte que les obligations de l’Australie n’étaient pas mises en jeu. La demande de visa de protection a été rejetée.

2.9Le requérant indique que, le 31 janvier 2014, il a fait appel de la décision relative à sa demande de protection auprès du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. À l’audience, le 2 septembre 2014, il a témoigné oralement et répondu aux questions du Tribunal concernant les incohérences relevées par l’agent chargé de statuer sur la demande lors de la procédure initiale. Le 3 octobre 2014, le Tribunal a confirmé la décision de rejet de la demande de visa de protection. Il a estimé que les réponses du requérant n’avait pas éclairci les incohérences mises en relief dans la décision initiale et que celui-ci n’avait donc pas dissipé de manière satisfaisante les doutes quant à la véracité et à la crédibilité de ses affirmations. Le Tribunal a donc jugé que le requérant avait inventé ses déclarations dans le but d’obtenir un visa et a conclu qu’il n’avait pas besoin d’une protection internationale.

2.10Le 6 novembre 2014, le requérant a formé un recours devant le tribunal de circuit fédéral d’Australie. La compétence d’appel du tribunal de circuit fédérale en ce qui concerne les décisions du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés se limite aux demandes fondées sur une erreur de compétence. Il a rejeté le recours du requérant le 31 octobre 2016, estimant que les griefs soulevés par celui-ci n’étaient pas étayés ou qu’il cherchait à obtenir un examen au fond non autorisé.

2.11Le 21 novembre 2016, le requérant a soumis à la Cour fédérale d’Australie une demande d’autorisation d’interjeter appel contre la décision du tribunal fédéral de circuit. La Cour fédérale a examiné les motifs de recours invoqués par le requérant et a conclu que celui‑ci n’avait aucune chance raisonnable d’obtenir gain de cause sur l’un quelconque des points soulevés. Par conséquent, le 19 mai 2017, l’autorisation d’interjeter appel a été refusée.

2.12Le 6 novembre 2017, le requérant a soumis une demande d’intervention ministérielle, par laquelle il sollicitait l’octroi d’un visa pour motifs d’ordre humanitaire au titre de l’article 417 de la loi de 1958 relative aux migrations ou l’autorisation de déposer une nouvelle demande de protection supplémentaire au titre de l’article 48B de cette même loi. Par une décision en date du 16 novembre 2017, il a été conclu que la demande ne remplissait pas les conditions fixées par les directives relatives à la saisine du Ministre.

2.13Le 22 août 2018, le requérant a saisi la Haute Cour d’Australie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agent chargé de statuer sur sa demande a refusé de saisir le Ministre de l’intérieur (anciennement Ministre de l’immigration et de la protection des frontières), demande qui a également été rejetée.

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme que s’il était renvoyé en Inde, il serait victime d’une violation des droits qu’il tient des articles 2, 3 et 16 de la Convention. Il fait valoir qu’il y a des motifs sérieux de croire que s’il était renvoyé en Inde il courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à un traitement contraire à l’obligation de non-refoulement énoncée à l’article 3 de la Convention. Il affirme qu’il a été victime de persécution par le passé et qu’il courrait donc un risque accru à son retour en raison de sa caste et des controverses liées à son engagement passé dans des affaires politiques et syndicales. Il soutient également qu’il n’existe aucun lieu sûr où il pourrait se réinstaller en Inde.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note en date du 7 avril 2020, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication.

4.2L’État partie affirme que les griefs du requérant sont manifestement dénués de fondement et donc irrecevables ratione materiae au regard de l’article 113 (al. b)) du Règlement intérieur du Comité.

4.3L’État partie fait valoir que, dans ses observations, le requérant n’a pas désigné les personnes dont il craint qu’elles lui causent un préjudice dans l’avenir ou le type de préjudice qu’il subirait à son retour en Inde, et qu’il n’a pas non plus fourni d’informations sur la nature du préjudice qu’il subirait à son retour. Il dit que le requérant s’est borné à formuler des affirmations de caractère général, selon lesquelles il serait victime de « torture », de « persécution » et de « discrimination grave » à son retour en Inde. Il relève que le requérant a affirmé au Comité qu’il avait été agressé, sans préciser par qui, et qu’on lui avait fracturé le nez et la jambe gauche et infligé une blessure au visage et à la main gauche. Il souligne en outre que, bien qu’il ait formulé des allégations de caractère général selon lesquelles il avait été persécuté en raison de son appartenance à l’association Dera Sacha Sauda et de son engagement politique et syndical, ainsi qu’en tant qu’adepte de Baba Gurmeet Ram Rahim Singh, le préjudice qu’il affirme qu’il subirait à son retour en Inde n’est en aucun cas constitutif de torture au sens de l’article 3 de la Convention.

4.4L’État partie affirme que les griefs du requérant sont irrecevables ratione materiae car l’obligation de non-refoulement énoncée à l’article 3 de la Convention se limite aux situations dans lesquelles il existe des motifs sérieux de croire que la personne renvoyée risquerait d’être soumise à la torture. Il répète que pour être constitutif de torture, l’acte visé par la Convention doit être infligé par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Il rappelle que, dans chaque cas, pour déterminer si l’article 3 est applicable, le Comité a distingué entre, d’une part, les actes de torture et, d’autre part, les traitements ne satisfaisant pas aux critères requis pour être considérés comme tels, parmi lesquels les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’État partie soutient que les actes allégués par le requérant, en particulier la seule agression dont il aurait été victime, ne satisfait pas à ces critères et, partant, que la situation considérée ne met pas en jeu les obligations en matière de non-refoulement qui incombent à l’Australie en vertu de l’article 3 de la Convention.

4.5L’État partie ajoute que le requérant n’a pas présenté d’éléments à l’appui de ses griefs de violation des articles 2 et 16 de la Convention. Il constate plutôt que dans ses observations le requérant fait état d’actes de « torture », de « persécutions » et de « discrimination grave » qui, selon lui, seraient commis en Inde, sans démontrer que le préjudice qu’il craint satisfait au critère requis, par exemple qu’il s’agirait d’un préjudice causé par d’autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qui ne sont pas des actes de torture telle qu’elle est définie à l’article premier. Les articles 2 et 16 de la Convention font obligation aux États parties d’empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous leur juridiction. Ces dispositions sont limitées territorialement et ne s’appliquent pas aux actes commis en Inde par d’autres acteurs. L’État partie soutient, par conséquent, que les griefs soulevés par le requérant au titre des articles 2 et 16 sont irrecevables ratione materiae.

4.6L’État partie soutient également que les griefs du requérant sont irrecevables au regard de l’article 22 (par. 2) de la Convention et de l’article 113 (al. b)) du Règlement intérieur du Comité au motif qu’ils sont manifestement dénués de fondement. Il souligne que par le passé, le Comité a conclu que des griefs étaient manifestement infondés lorsqu’ils n’étaient pas étayés par des pièces écrites ou d’autres preuves pertinentes suffisantes, ou lorsqu’ils n’étaient que pures suppositions et qu’il n’était pas apporté le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Il fait observer qu’il incombe au requérant d’étayer ses griefs de violation de l’article 3 de la Convention par des arguments exhaustifs qui permettent de conclure, à première vue, à la recevabilité de sa requête. Or le requérant n’a pas satisfait à cette exigence.

4.7L’État partie indique également que les griefs du requérant ont été examinés de manière approfondie au plan interne par toute une série d’autorités décisionnaires, dont le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés et le Département de l’immigration et de la protection des frontières, dans le cadre de sa demande de visa de protection. Le requérant a aussi introduit des demandes de contrôle juridictionnel auprès du tribunal fédéral de circuit et de la Haute Cour d’Australie. Ses griefs ont également été examinés dans le cadre de la procédure d’intervention ministérielle. L’État partie affirme donc que ces griefs ont fait l’objet d’un examen rigoureux par toutes les instances nationales disponibles et qu’il a toujours été établi qu’ils n’étaient pas crédibles et qu’ils ne mettaient donc pas en jeu les obligations de l’Australie en matière de non-refoulement. Les griefs du requérant ont notamment été appréciés à la lumière des dispositions relatives à la protection complémentaire figurant au paragraphe 36 (par. 2 aa)) de la loi de 1958 relative aux migrations, qui tient compte des obligations en matière de non-refoulement mises à la charge de l’Australie par la Convention et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

4.8L’État partie soutient en outre que, dans ses déclarations au Comité, le requérant n’a pas fourni d’éléments nouveaux pertinents qui n’avaient pas déjà été examinés dans le cadre de procédures administratives et juridictionnelles internes complètes. Il renvoie à l’observation générale no 4 (2017) du Comité, dans laquelle celui-ci a indiqué qu’il accordait un poids considérable aux constatations de faits des organes de l’État partie. L’État partie fait valoir qu’il a examiné les griefs du requérant de manière approfondie dans le cadre de ses procédures internes et qu’il a conclu que ceux-ci ne mettaient pas en jeu les obligations que lui fait l’article 3 de la Convention. L’Australie prend très au sérieux les obligations que lui impose la Convention et il s’en est acquitté de bonne foi dans le cadre de ses procédures internes relatives à la migration.

4.9L’État partie est conscient que l’on ne peut guère s’attendre à ce que le récit d’une victime de la torture soit d’une parfaite exactitude. Il affirme toutefois que ce facteur a été pris en considération par les autorités nationales qui ont eu à se prononcer sur la crédibilité du requérant. Il indique, par exemple, que lorsqu’il a apprécié la demande de visa de protection temporaire soumise par le requérant, le délégué du Ministre de l’immigration et de la protection des frontières a souligné que quand elle appréciait la crédibilité d’un demandeur, la personne chargée de statuer sur la demande devait être sensible aux difficultés auxquelles faisaient souvent face les demandeurs d’asile et qu’elle devrait accorder le bénéfice du doute à ceux qui, d’une manière générale, sont crédibles mais ne sont pas en mesure d’étayer toutes leurs affirmations.

4.10L’État partie affirme que dans l’éventualité où le Comité jugerait les griefs du requérant recevables, ceux-ci devraient être écartés pour défaut de fondement, au regard des conclusions formulées dans les décisions des organes internes concernant les griefs du requérant, et de l’examen par le Gouvernement australien d’autres questions soulevées dans la communication que le requérant a soumise au Comité. Il souligne que le requérant n’a pas soulevé de nouveau grief qui n’aurait pas déjà été examiné par les décideurs nationaux, le bien-fondé des griefs du requérant ayant été examiné de manière approfondie dans le cadre de sa demande de visa de protection et, par la suite, dans le cadre de l’examen par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés de la décision du Département de l’immigration et de la protection des frontières, ainsi que dans le cadre de l’appréciation de la demande d’intervention ministérielle qui a suivi. La décision du Tribunal a ensuite été confirmée, dans le cadre des procédures de contrôle judiciaire internes, par le tribunal de circuit fédéral et la Cour fédérale, qui l’ont jugée régulière.

4.11L’État partie fait référence aux incohérences importantes présentées par les affirmations du requérant, qui avaient été relevées par l’agent chargé de statuer en première instance, lequel avait souligné que lorsqu’il avait apprécié la demande du requérant, il avait gardé à l’esprit qu’une personne qui demandait le statut de réfugié pouvait avoir été traumatisée et que ce qu’il avait vécu par le passé pouvait nuire à sa capacité de présenter des griefs d’une manière cohérente et plausible. Cet agent était également conscient du fait que la procédure d’examen d’une demande de statut de réfugié pouvait être stressante, ce qui risquait de nuire encore davantage à la capacité du demandeur de se souvenir précisément des faits et de formuler ses griefs de façon cohérente. L’agent chargé de statuer sur la demande a également souligné que, de manière générale, une approche libérale devrait être adoptée lors de l’examen de la crédibilité des affirmations formulées à l’appui des demandes de statut de réfugié. Lors de l’entretien de demande de visa de protection, le requérant a confirmé que sa demande écrite était véridique et exacte, et il a également eu la possibilité de modifier cette demande, ce qu’il n’a pas fait.

4.12L’État partie souligne en particulier que les allégations formulées par le requérant dans sa demande écrite de visa de protection ont été prises en considération, demande dans laquelle il a affirmé qu’en mars 2011, il avait été accusé du meurtre d’un chauffeur qui avait travaillé sur son camion. Il a indiqué qu’il avait été président du syndicat des camionneurs jusqu’en 2010. Il a affirmé qu’après sa présidence, il avait été accusé d’avoir détourné des fonds du syndicat et qu’il avait dû débourser une somme importante pour engager une équipe d’audit afin de se disculper. Le requérant a également affirmé qu’en raison de l’accusation de meurtre, sa famille avait été harcelée par la police, et qu’il avait été inculpé de meurtre et placé en liberté sous caution avant l’arrestation pendant un certain temps.

4.13L’agent chargé de statuer sur la demande a constaté que, lors de l’entretien suivant de demande de visa de protection, le requérant avait fait un récit qui contredisait ses déclarations écrites. Lors de l’entretien, le requérant avait affirmé qu’un individu nommé Mohan Singh, qui s’était opposé à son adhésion au syndicat des camionneurs, avait proféré des menaces de mort contre lui. Le requérant avait déclaré que la police l’avait arrêté à la demande de M. Singh en raison d’accusations concernant la mort d’un des employés du requérant. Il avait affirmé qu’il avait soudoyé la police pour obtenir sa libération, qui avait eu lieu le même jour. En outre, le requérant avait affirmé que le harcèlement subi par la suite avait été le fait de M. Singh, et non de la police, contrairement à ce qu’il avait affirmé par écrit. En raison des incohérences entre les déclarations faites lors de l’entretien et celles figurant dans sa demande écrite, l’agent chargé de statué sur la demande n’a pas considéré comme établi que le requérant avait été menacé par M. Singh ou par quiconque, qu’il avait été impliqué dans une affaire de meurtre ou qu’il avait été harcelé ou arrêté par la police.

4.14L’agent a constaté que, lors de l’entretien de demande de visa de protection, le requérant avait fait un récit qui contredisait celui figurant dans sa demande écrite de visa de protection. Lors de l’entretien, le requérant n’avait pas été en mesure de se souvenir des informations relatives à l’accusation de détournement de fonds. Il avait déclaré qu’il n’était pas le président du syndicat des camionneurs mais un simple membre et que les termes « président » et « membre » étaient interchangeables. Après qu’on lui avait rappelé ce qu’il avait indiqué dans sa demande écrite, il avait maintenu qu’il était un membre ordinaire, mais avait précisé qu’il avait encadré cinq autres membres. Interrogé, le plaignant n’avait fourni aucune information sur les mesures qu’il avait prises à la suite de l’accusation de détournement de fonds. Toutefois, lorsqu’on avait attiré son attention sur sa demande écrite, il avait déclaré qu’il avait mis en place une équipe d’audit pour se disculper. En raison de l’absence de souvenirs clairs concernant ces questions, l’agent n’avait pas acquis la conviction que le demandeur avait été le président du syndicat des poids lourds et n’a donc pas retenu qu’il avait été impliqué dans une procédure de détournement de fonds.

4.15L’État partie indique en outre que, dans sa demande écrite de visa de protection, le requérant a affirmé qu’un membre du parti du Congrès national indien, B. S., lui avait demandé des fonds pour le parti. Le requérant a affirmé avoir appartenu au parti Indian National Lok Dal. Il a également affirmé que le parti du Congrès avait harcelé des partisans du Indian National Lok Dal et engagé des poursuites pénales contre eux. L’agent chargé de statuer sur la demande a constaté que, lors de l’entretien de demande de visa de protection qui avait eu lieu ultérieurement, le requérant avait fait un récit qui contredisait celui figurant dans sa demande écrite de visa de protection. Lors de l’entretien, le requérant avait déclaré que ses « problèmes » avec B. S. avaient commencé en 2005. Il avait affirmé que B. S. avait menacé d’enlever sa famille en raison de son appartenance à une caste inférieure et du culte qu’il vouait à Baba Gurmeet Ram Rahim Singh, qu’il l’avait agressé verbalement et qu’une fois il avait arrêté sa voiture alors qu’il tentait de se rendre au travail. L’agent a indiqué que, dans la demande écrite, il était dit que B. S. avait harcelé le requérant pour des motifs d’ordre politique. Cependant, lors de l’entretien, le requérant a dit que ces motifs étaient fondés sur sa caste et le culte qu’il vouait à M. Singh. Le requérant avait affirmé que la demande écrite ne contenait que des « intitulés », car il ne pouvait pas tout taper lui‑même et ne pouvait pas payer un professionnel pour le faire. En raison des incohérences entre le récit fait par le requérant dans sa demande écrite de visa de protection et celui fait lors de l’entretien pour ledit visa, l’agent n’avait pas acquis la conviction que le requérant avait été inquiété par B. S.

4.16L’État partie indique que le requérant a affirmé dans sa demande écrite de visa de protection qu’il avait été agressé par des jats sikhs en juillet 2012 et que lui-même, sa femme et ses fils avaient été blessés lors de cette agression. Il fait référence aux conclusions de l’agent chargé de statuer sur la demande, qui a indiqué que le requérant avait décrit des faits similaires lors de l’entretien relatif à cette demande, mais en donnant des détails différents. L’agression décrite lors de l’entretien avait eu lieu en juin 2011, visait l’épouse du requérant et l’un de ses fils (et non l’ensemble de sa famille), s’était produite à son domicile et était motivée par le fait qu’il vouait un culte à Baba Gurmeet Ram Rahim Singh. Le requérant avait également fait des déclarations différentes pendant son entretien et dans sa demande écrite quant aux blessures subies lors des deux agressions. Par exemple, dans la demande écrite, le requérant avait indiqué qu’il avait été frappé avec une machette et un dang (une matraque). Il n’avait subi qu’une lacération près de l’œil gauche (et non de l’orbite), il avait une coupure à la main gauche causée par la machette (et non une simple contusion), le nez cassé (ce qui n’avait pas été mentionné lors de l’entretien) et une fracture de la jambe gauche (il n’avait pas simplement été frappé à la jambe). L’agent a également relevé que, dans la demande écrite, le requérant n’avait pas dit avoir été hospitalisé en raison des blessures, alors que, pendant l’entretien, il a affirmé avoir été hospitalisé pendant quinze jours à la suite de l’agression de juin 2011. Le requérant avait affirmé qu’il avait porté plainte à police et qu’il pouvait obtenir le dossier d’hospitalisation dans un délai de sept jours ; or ces pièces n’ont jamais été reçues.

4.17L’État partie renvoie au constat de l’agent selon lequel les allégations du requérant, en particulier en ce qui concernait l’agression, ne concordaient en aucune manière avec celles formulées dans sa demande écrite. L’agent a souligné que bien que le requérant ait affirmé avoir été hospitalisé et avoir signalé l’agression à la police, il ne disposait d’aucune pièce permettant d’étayer cette affirmation. Il a conclu que le requérant n’avait pas été menacé ou agressé par qui que ce soit en raison de son appartenance politique, de questions de caste ou de questions religieuses de quelque nature que ce soit et qu’il ne craignait donc pas réellement d’être persécuté en Inde, et que les affirmations concernant l’agression par des jats sikhs n’étaient pas crédibles.

4.18Outre les conclusions de l’agent quant au manque de crédibilité du requérant et l’absence d’éléments de preuve, l’État partie met en relief la référence faite par l’agent au fait que l’épouse du requérant était retournée en Inde (alors que le requérant affirmait qu’elle avait également été menacée). L’agent a souligné que, si les affirmations du requérant étaient vraies, il aurait quitté l’Inde bien plus tôt, lorsque le harcèlement allégué avait commencé. Il a jugé révélateur que le requérant n’ait pas demandé de passeport avant 2012 et n’ait pas quitté l’Inde avant 2013. En outre, l’agent a souligné que d’autres possibilités s’offraient au requérant, à savoir la réinstallation et la protection de l’État.

4.19L’État partie indique que l’agent avait également examiné la question de savoir s’il y avait des motifs sérieux de croire que le renvoi du requérant en Inde aurait pour conséquence nécessaire et prévisible de l’exposer à un risque réel de subir un préjudice grave. Après avoir examiné les griefs du requérant, l’agent n’avait pas acquis la conviction que celui-ci remplissait les critères relatifs à la protection complémentaire énoncés au paragraphe 36 (par. 2 aa)) de la loi relative aux migrations. Le requérant affirmait que sa vie avait été menacée. L’agent avait estimé que le préjudice grave invoqué par le requérant répondait à la définition de la privation arbitraire de la vie. Toutefois, comme cela avait été le cas s’agissant des allégations formulées par le requérant dans le cadre de l’examen de sa demande de statut de réfugié, l’agent n’a pas acquis que la conviction que les affirmations du requérant selon lesquelles il avait été menacé ou attaqué en raison de son affiliation politique, de la caste à laquelle il appartenait ou de ses convictions religieuses étaient crédibles. L’agent avait estimé qu’il y avait des incohérences entre les déclarations écrites du requérant et les déclarations qu’il avait faites lors de l’entretien et que ses affirmations n’avaient pas été étayées par des preuves documentaires, et avait relevé que l’épouse du requérant était retournée en Inde bien qu’elle ait affirmé avoir été menacée, et que le requérant n’avait pas quitté l’Inde alors qu’il était en mesure de le faire. Il avait estimé en outre que la réinstallation était une possibilité sûre et raisonnable qui s’était offerte au requérant et qu’il aurait pu bénéficier de la protection de l’État. En conséquence, l’agent avait considéré qu’il n’y avait pas de motifs sérieux de croire que le renvoi du requérant en Inde aurait pour conséquence nécessaire et prévisible de l’exposer à un risque réel de subir un préjudice grave. L’agent avait indiqué, en conclusion, qu’il n’avait pas acquis la conviction que l’Australie avait des obligations de protection à l’égard du requérant au regard de l’article 36 de la loi relative aux migrations et de l’alinéa 866.221 de l’annexe 2 du Règlement sur les migrations.

4.20L’État partie indique que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a également estimé que le requérant manquait de crédibilité concernant un certain nombre de points et a conclu que le requérant avait inventé l’ensemble de ses affirmations, y compris celles relatives à sa caste, à ses activités politiques ou syndicales, au décès de l’un de ses employés et à sa religion. Le Tribunal a constaté que le requérant ne se souvenait pas de points fondamentaux de ses affirmations, tels que le lieu et le moment où les agressions avaient eu lieu. Il a considéré que les réponses données concernant la fréquence des agressions (« plus d’une fois ») et le moment où elles avaient eu lieu (« en 2011 et en 2012 ») étaient vagues. Bien que le requérant ait affirmé qu’il avait été hospitalisé à la suite de ces agressions et que certaines d’entre elles avaient été signalées dans les journaux et avaient été dénoncées à la police, il n’a pas été en mesure de produire des preuves documentaires de ces agressions. Le requérant a affirmé qu’il n’était pas en mesure d’obtenir des preuves parce que sa femme avait déménagé et parce que son frère, qui vivait dans la région concernée, était peu instruit, incapable de parler et timide. Il a ensuite modifié sa déclaration, indiquant que son frère avait dit qu’il obtiendrait les pièces, mais qu’il ne l’avait pas fait. Le Tribunal a conclu que les éléments de preuve n’étaient pas convaincants et qu’il ne pouvait pas considéré comme établi que le requérant n’ait jamais été agressé. Le Tribunal a également estimé que les affirmations du requérant selon lesquelles les agressions étaient motivées par le culte qu’il vouait à Baba Gurmeet Ram Rahim Singh étaient vagues, contradictoires et peu convaincantes, comme l’étaient les éléments attestant de ses liens avec M. Singh. Le requérant avait déclaré qu’il continuait d’être un adepte de M. Singh en Australie, qu’il était en contact avec d’autres adeptes en Australie et qu’il lui rendait le culte par le chant. Cependant, lorsqu’on lui avait demandé des précisions, il avait modifié sa déclaration et avait finalement admis qu’il n’avait pas rendu le culte à M. Singh en Australie. L’État partie rappelle que le requérant a également affirmé qu’il avait été tenu pour responsable de la mort de l’un de ses employés en 2011, qu’il avait été inculpé et qu’il s’était présenté au tribunal pour cette affaire. Cependant, il n’a pu produire aucun document attestant de sa présence au tribunal.

4.21Le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a également tenu compte du fait que le requérant n’avait pas fait une demande de protection dans un pays tiers alors qu’il avait eu l’occasion de le faire lors de son voyage en Malaisie en 2012, qui avait duré quatre à cinq jours. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas demandé de protection de ce pays, il a déclaré qu’il avait espéré que les choses se « calmeraient » pendant son absence. Un membre du Tribunal a estimé que les éléments présentés étaient « fantaisistes et invraisemblables » et que, si les affirmations du requérant concernant le harcèlement répété, les agressions, les fausses accusations de détournement de fonds et de meurtre étaient vraies, celui-ci n’aurait pas pu croire que ces problèmes seraient résolus après quatre ou cinq jours d’absence. Ce membre a également souligné que le requérant n’avait pas demandé de protection pendant une période de plus de deux mois après son arrivée en Australie, ce qui indique que ses inquiétudes n’étaient pas sincères.

4.22Interrogé sur les raisons pour lesquelles, compte tenu des agressions, il aurait laissé sa famille en Inde, le requérant a affirmé que les membres de sa famille restés en Inde (deux enfants au moment du départ) était sous la protection de son frère. Le membre du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a relevé que cela contredisait sa déclaration précédente selon laquelle ce frère vivait loin et ne pouvait pas l’aider. Il a également relevé que, lorsqu’il avait été interrogé par le Tribunal, le requérant avait exprimé le souhait de voir son fils rester en Australie, ce qui indiquait que c’était l’objectif visé par le requérant lorsqu’il demandait une protection. Ce membre n’a pas souscrit à l’idée que le demandeur aurait laissé ses deux autres enfants en Inde si les événements dont il faisait état étaient vrais. Le Tribunal a conclu en indiquant qu’il n’avait pas acquis la conviction que l’Australie avait des obligations de protection à l’égard du requérant ou de son fils.

4.23En ce qui concerne la décision du Tribunal de circuit fédéral du 31 octobre 2016, par laquelle il a débouté le requérant de sa demande de contrôle judiciaire de la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant réfugiés, l’État partie indique que le requérant était présent à l’audience dudit Tribunal de circuit fédéral et qu’il a présenté des observations orales avec l’aide d’un interprète. Il souligne en particulier que le Tribunal de circuit fédéral a examiné les motifs de recours du requérant, à savoir a) qu’il n’avait pas disposé d’un délai suffisant pour produire des preuves documentaires, b) que la conclusion selon laquelle il souhaitait rester en Australie pour assurer l’éducation de son fils et non pas pour les autres raisons invoquées constituait une erreur de compétence, et c) que la conclusion selon laquelle ses affirmations avaient été inventées de toutes pièces constituait une erreur de compétence. L’État partie met en relief la conclusion du Tribunal de circuit fédéral selon laquelle le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés avait dûment motivé son refus de prolonger le délai dont disposait le requérant pour produire des documents. Il indique également que le Tribunal de circuit fédéral a conclu que les motifs de recours du requérant n’étaient pas fondés sur une erreur de compétence, mais constituaient plutôt des demandes d’examen au fond, examen qui n’est pas permis.

4.24Le 19 mai 2017, la Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision du Tribunal de circuit fédéral présentée par le requérant. Le requérant ne s’est pas présenté à l’audience. La Cour fédérale a conclu que le requérant n’avait que des chances insuffisantes d’obtenir gain de cause sur les points soulevés dans ces motifs d’appel ou que ceux-ci constituaient une tentative d’obtenir un examen au fond qui n’était pas permis. Le 27 mars 2019, la Haute Cour a débouté le requérant de sa demande d’autorisation de faire appel de la décision de la Cour fédérale.

4.25Le 6 novembre 2017, le requérant a déposé une demande d’intervention ministérielle au titre des articles 417 et 48B de la loi relative aux migrations. En vertu de son pouvoir discrétionnaire, le Ministre des affaires intérieures peut en effet intervenir dans des cas particuliers s’il estime qu’il est dans l’intérêt général de le faire. Les griefs du requérant ont de nouveau fait l’objet d’un examen complet, dans le cadre duquel il a été tenu compte des décisions rendues par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés et le tribunal de circuit fédéral. Le délégué du Ministre a déterminé que les allégations et les circonstances présentées par le requérant n’étaient pas uniques en leur genre ou exceptionnelles au regard des directives du Ministre et qu’elles ne remplissaient pas les conditions fixées dans les directives relatives à la saisine du Ministre.

4.26Compte tenu de ce qui précède, l’État partie affirme que le requérant n’a pas produit d’éléments suffisants montrant qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il courrait personnellement le risque de subir des traitements constitutifs de torture au sens de l’article premier de la Convention.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.En réponse aux observations de l’État partie, le requérant a fourni des rapports et des articles de presse concernant des faits survenus en 1984, lorsque des foules ont attaqué des maisons et des commerces sikhs en Inde, entraînant la mort d’environ 3 000 personnes, pour la plupart des sikhs ; un certain nombre d’autres cas d’agression et de détention de sikhs, ainsi que de discrimination exercée à leur égard ; la manière dont le Gouvernement indien réagit face aux sikhs qui défendent la cause d’un Khalistan indépendant ; les nationalistes hindous en Inde.

Autres observations de l’État partie

6.1En réponse aux commentaires du requérant, l’État partie affirme que ceux-ci ne comportent aucune information susceptible de modifier son appréciation initiale, dont il a fait part le 7 avril 2020, selon laquelle les griefs du requérant sont irrecevables ou, dans l’éventualité où le Comité jugerait les griefs du requérant recevables, ceux-ci devraient être écartés pour défaut de fondement.

6.2L’État partie ajoute que le requérant a assorti ses commentaires d’un certain nombre d’articles de presse donnant des informations de caractère général sur le pays et comportant des commentaires historiques et contemporains sur la situation des sikhs en Inde. L’État partie indique respectueusement que, le requérant n’ayant pas assorti ces articles d’observations, ni d’informations ou d’éléments montrant en quoi ils se rapportent à sa situation personnelle, il ne considère pas que ces articles étayent l’affirmation selon laquelle le requérant courrait personnellement le risque d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Inde.

6.3L’État partie rappelle en outre que l’existence d’un risque général de violence dans un pays ne constitue pas un motif suffisant pour établir qu’une personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays et qu’il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Il répète donc que le requérant n’a pas produit d’éléments suffisants montrant qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il courrait personnellement le risque de subir des traitements constitutifs de torture au sens de l’article premier de la Convention.

6.4Bien que le requérant n’ait pas précisé en quoi ces informations se rapportent à son allégation particulière, l’État partie considère que l’ensemble d’articles de presse soumis peut équivaloir à une allégation selon laquelle, en tant qu’adepte du sikhisme, le requérant craint de subir les mauvais traitements décrits dans ces articles à son retour en Inde.

6.5Le requérant n’a pas fait état de craintes de mauvais traitements à son retour en Inde en raison de sa confession sikhe dans le cadre des procédures internes d’examen de sa demande de protection, ni dans sa lettre initiale. En ce qui concerne les articles de presse relatifs à l’agression et à la détention de personnes sikhes en Inde, ainsi qu’à la discrimination exercée contre elles, l’État partie souligne que, dans un rapport sur le pays établi en 2018 par le Département australien des affaires étrangères et du commerce, il est indiqué que depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990, les sikhs vivent en paix en Inde et que la majorité d’entre eux ne font pas l’objet de discrimination sociale ou de violence.

6.6En ce qui concerne les articles de presse relatifs à la réaction du Gouvernement indien au mouvement en faveur d’un Khalistan indépendant, l’État partie souligne que les informations sur le pays indiquent que les sikhs qui prônent un « Khalistan » indépendant peuvent attirer l’attention des autorités. Il rappelle que pour déterminer si l’article 3 est applicable, le Comité a toujours distingué entre, d’une part, les actes de torture et, d’autre part, les traitements ne satisfaisant pas aux critères requis pour être considérés comme tels, parmi lesquels les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’État partie soutient qu’outre que le requérant n’a pas allégué qu’il participait au mouvement pour un Khalistan indépendant ni produit d’élément de preuve d’une telle participation, on ne voit pas comment le fait d’attirer l’attention des autorités pourrait satisfaire aux critères requis pour être considéré comme constitutif de torture de nature et, partant mettre en jeu les obligations en matière de non-refoulement qui incombent à l’Australie en vertu de l’article 3 de la Convention.

6.7L’État partie souligne en outre, s’agissant des articles de presse concernant les nationalistes hindous, qu’il est indiqué dans le rapport de la Commission on International Religious Freedom pour 2017 que les nationalistes hindous harcèlent souvent les sikhs et font pression sur eux pour qu’ils rejettent les pratiques et croyances religieuses autres que le sikhisme. L’État partie soutient qu’outre que le requérant n’a pas allégué être personnellement exposé au risque d’être l’objet de harcèlement et de pressions ni produit d’élément de preuve en ce sens, le harcèlement et l’exercice de pressions visant à amener à rejeter des pratiques et des convictions religieuses ne satisfont pas aux critères requis pour être considérés comme constitutifs de torture et, partant, ne mettent pas en jeu les obligations en matière de non-refoulement qui incombent à l’Australie en vertu de l’article 3 de la Convention.

6.8Pour les raisons exposées ci-dessus et dans ses observations sur la recevabilité et sur le fond en date du 7 avril 2020, l’État partie soutient que les griefs du requérant sont irrecevables ratione materiae et manifestement dénués de fondement au regard de l’article 113 (al. b)) du Règlement intérieur du Comité. Dans l’hypothèse où le Comité conclurait à la recevabilité des griefs du requérant, l’État partie affirme que ceux-ci sont dénués de fondement car ils ne sont pas étayés par des éléments donnant des motifs sérieux de croire que le requérant courrait le risque d’être soumis à la torture au sens de l’article premier de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention lui en fait l’obligation, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il n’examine aucune requête d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Cette règle ne s’applique pas s’il a été établi que les procédures de recours ont dépassé ou dépasseraient les délais raisonnables ou qu’il est peu probable que le requérant obtienne réparation par ce moyen. Le Comité constate qu’en l’espèce, l’État partie ne conteste pas que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles et que les éléments dont il est saisi indiquent que le requérant a épuisé tous ces recours. Le Comité conclut donc qu’il n’est pas empêché par l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention d’examiner la communication.

7.3Le Comité prend note du fait que l’État partie affirme que les griefs du requérant sont irrecevables au regard de l’article 22 (par. 2) de la Convention et de l’article 113 (al. b)) du Règlement intérieur du Comité, au motif qu’ils sont manifestement dénués de fondement, le requérant ne présentant pas d’arguments précis tirés des articles 2 ou 16, et que, s’agissant des griefs qu’il soulève au titre de l’article 3 de la Convention, il n’a pas apporté le minimum de preuves requis pour établir, à première vue, que l’État partie a manqué aux obligations en matière de non-refoulement qui lui incombent en vertu de l’article 3.

7.4Le Comité constate que le requérant ne formule pas de griefs précis concernant la violation alléguée des articles 2 et 16 de la Convention. Il note que le requérant affirme avoir été victime de discrimination et de harcèlement en raison de sa caste et de ses activités politiques, en particulier que lui et sa famille ont fait l’objet de menaces de mort, que des accusations pénales inventées de toutes pièces ont été portées contre lui et qu’au plus fort de la persécution lui-même, sa femme et son fils ont subi une agression, à la suite de laquelle il a été hospitalisé pour de graves blessures. Le Comité constate toutefois que le requérant ne donne pas d’informations détaillées sur ces faits, ni n’indique si les menaces ou l’agression ont été signalées aux forces de l’ordre ou s’il a tenté d’obtenir la protection des autorités locales ou de l’État ou si celle-ci lui a été refusée. Il prend note des affirmations du requérant selon lesquelles des policiers se sont rendus à son domicile et à son bureau pour saisir des objets dans le cadre d’enquêtes judiciaires, mais constate également qu’il ne fournit pas d’éléments étayant ses affirmations selon lesquelles il a fait l’objet d’un harcèlement infondé ou permanent de la part des autorités, ou qu’il a effectivement été l’objet d’accusations d’avoir commis une quelconque infraction ou poursuivi. Le requérant déclare que les accusations liées à des questions financières ont été abandonnées après qu’il a effectué un paiement, mais ne précise pas le montant de ce paiement ni à qui il l’a fait. Il déclare avoir décidé de quitter l’Inde en raison du harcèlement subi, mais ne fournit aucun élément de preuve ou d’explication quant : a) aux actes de harcèlement précis qui ont été l’élément déclencheur de la décision ; b) à la question de savoir s’il a demandé la protection de la police contre ce harcèlement ; c) aux raisons pour lesquelles il estime que le harcèlement l’exposait à un risque grave ; d) à la question de savoir s’il craignait de subir un certain traitement de la part des autorités, et pour quels motifs ; e) aux raisons pour lesquelles, s’il était la cible de persécution de la part de l’État et si, comme il le prétend, il faisait l’objet d’une enquête pour des infractions graves, il se serait vu accorder un passeport ou aurait été autorisé à sortir du pays et à y entrer à deux reprises.

7.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les autorités décisionnaires ont entendu et examiné tous les griefs du requérant et ont relevé des incohérences importantes dans les éléments présentés, qu’ils ont détaillées dans leurs observations comme dans les motifs de leurs décisions. Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel ces incohérences, qui l’ont conduit à conclure que les déclarations du requérant n’étaient pas crédibles, ont été présentées au requérant, qui ne les a pas corrigées lorsque l’occasion lui en a été donnée et n’a pas non plus fourni de preuves à l’appui de ses affirmations, alors qu’il s’était engagé auprès des autorités à le faire. Le Comité constate qu’il n’a pas été remédié à ces insuffisance de manière satisfaisante dans la communication du requérant.

7.6Le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort que les griefs sont manifestement dénués de fondement lorsque l’auteur de la communication n’a pas présenté des arguments défendables, c’est-à-dire montré de façon détaillée qu’il courrait personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture. Il souligne qu’il incombe au requérant d’étayer ses griefs de violation de l’article 3 de la Convention par des arguments exhaustifs qui permettent de conclure, à première vue, à la recevabilité de sa requête. Il estime que le requérant n’a pas avancé des éléments suffisants en fournissant le minimum de preuves nécessaires pour étayer son grief selon lequel il courrait un risque sérieux de subir un traitement contraire à l’article 3 s’il était renvoyé en Inde. Le Comité conclut donc que les griefs soulevés par l’auteur au titre des articles 2, 3 et 16 n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité.

8.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable pour défaut manifeste de fondement en ce qui concerne tous les griefs soulevés au titre des articles 2, 3 et 16 ;

b)Que la présente décision sera communiquée au requérant et à l’État partie.