Nations Unies

CAT/C/74/D/928/2019

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

15 novembre 2022

Original : français

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 928/2019 * , **

Communication présentée par :

Mohamed Hajib (représenté par un conseil, RachidMesli, de la Fondation Alkarama)

Victime(s) présumée(s) :

Le requérant

État partie :

Maroc

Date de la requête :

30 octobre 2018 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 115 du Règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 24 avril 2019 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

22 juillet 2022

Objet :

Torture en détention

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Torture et peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; mesures visant à empêcher la commission d’actes de torture ; surveillance systématique quant à la garde et au traitement des personnes détenues ; obligation de l’État partie de veiller à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale ; droit de porter plainte ; droit d’obtenir une réparation

Article(s) de la Convention :

1er, 2 (par. 1 et 2), 4 (par. 2), 11, 12, 13, 14, 15 et 16

1.Le requérant est Mohamed Hajib, de nationalités marocaine et allemande, né le 23 mai 1981. Il invoque une violation par l’État partie de l’article 1er de la Convention ainsi que des articles 2 (par. 1 et 2), 4 (par. 2), 11, 12, 13, 14 et 15, lus conjointement avec l’article 1er de la Convention à son égard, et de l’article 16 de la Convention à l’égard de ses proches. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention le 19 octobre 2006. Le requérant est représenté par un conseil de la Fondation Alkarama.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le 1eroctobre 2009, le requérant a été arrêté au Pakistan alors qu’il participait à des activités religieuses dans le cadre de la Jamaat Al Tabligh (ou Tablighi Jamaat), une organisation religieuse prosélyte active et autorisée dans de nombreux pays. Il a été emprisonné cinq jours avant d’être transféré à la prison de Quetta, où il est resté détenu quatre mois sans avoir été inculpé. Il a été libéré sans jugement en février 2010.

2.2Le 17février 2010, le requérant a pris l’avion pour l’Allemagne. À l’aéroport de Francfort, deux policiers l’ont interrogé pendant plusieurs heures sur les raisons de son expulsion du Pakistan. Le requérant leur a alors fait part de son intention de partir immédiatement au Maroc, où sa famille l’attendait.

Arrestation et procès inéquitable

2.3Le 18février 2010, à une heure du matin, le requérant a été arrêté à sa descente de l’avion à Casablanca par cinq agents de la Direction générale de la surveillance du territoire, avant d’être immédiatement transféré au commissariat d’El Maarif, à Casablanca, où il a subi des actes de torture durant sa garde à vue de douze jours. Les proches du requérant venus l’attendre à l’aéroport n’ont pas été informés de son arrestation.

2.4Les policiers ont bandé les yeux du requérant, et lui ont passé des menottes et attaché les pieds. Il a été déshabillé et roué de coups de pied alors qu’il était à terre. À l’issue de sa garde à vue, le 1er mars 2010, il a été contraint de signer un procès-verbal de la police judiciaire, après que les policiers l’avaient menacé d’arrêter son épouse et sa mère afin de les torturer. Le procès-verbal a été antidaté au 19février 2010.

2.5La police judiciaire n’a finalement reconnu la détention du requérant que quatre jours après son arrestation, après que ses parents ont effectué de nombreuses démarches pour s’enquérir de son sort. Il a été présenté devant le Procureur le 1ermars 2010 et inculpé de création d’un groupe criminel et de financement du terrorisme, sur la base des articles 218-1 et 218-4 de la loi no 03-03 relative à la lutte contre le terrorisme. En dépit de l’absence de tout élément matériel ou de toute preuve de son implication dans des actes de violence, le requérant a été placé en détention provisoire le même jour à la prison de Salé.

2.6Lors de sa présentation devant le tribunal de Salé, le requérant a déclaré au juge d’instruction qu’il avait subi des actes de torture au commissariat d’El Maarif, visant à le contraindre à signer un document qui ne correspondait pas à ses déclarations. Le juge d’instruction n’a pas pris en compte son témoignage, ni les traces évidentes de tortures et de mauvais traitements. Pour protester contre le caractère arbitraire de son arrestation et de sa détention, le requérant a mené une grève de la faim entre le 10mai et le 24juin 2010, date de l’ouverture de son procès.

2.7Le 24juin 2010, le requérant a été déféré devant la juridiction de jugement. Il a été condamné à dix années d’emprisonnement à la suite d’un procès expéditif, sous l’accusation d’avoir tenté de rejoindre l’Afghanistan pour combattre les forces armées américaines. Les juges se sont contentés de se référer intégralement aux procès-verbaux de la police, sans tenir compte des déclarations du requérant devant le juge d’instruction et devant le tribunal faisant état d’allégations de torture et de mauvais traitement lors de sa garde à vue, et en l’absence d’éléments matériels de preuve.

2.8Le 11octobre 2010, la cour d’appel de Rabat a confirmé le verdict. La Cour de cassation a cependant annulé le jugement le 22juin 2011 et renvoyé la cause à la même cour d’appel pour être réexaminée. Le 9janvier 2012, la cour d’appel a confirmé la décision prise en première instance, mais en réduisant la peine à cinq ans de prison ferme.

2.9À tous les stades de la procédure, le requérant a fait état des actes de torture dont il avait fait l’objet lors de sa garde à vue. Cependant, aucune enquête n’a été ouverte.

Torture et mauvais traitement en prison

2.10Le 16mai 2011, le requérant a participé à un mouvement de protestation mené par plusieurs centaines de détenus de la prison de Salé contre le caractère inéquitable de leurs condamnations. En réaction, le requérant a été transféré le 17mai à la prison de Toulal, où il est resté jusqu’au 21mai 2011, date de sa réadmission à la prison de Salé. Les autorités n’ont pas avisé ses proches de ces transfèrements, le plaçant pendant quinze jours dans une situation de détention au secret assimilable à une disparition forcée. Inquiet quant au sort de son fils, le père du requérant a demandé des éclaircissements au Conseil national des droits de l’homme le 18mai 2011. Le consulat d’Allemagne a finalement retrouvé sa trace le 31mai 2011 et informé sa famille de son sort.

2.11Entre le 16 et 21mai 2011, le requérant a été sévèrement torturé par les gardiens des prisons de Salé et deToulal. Il a notamment été battu sur différentes parties du corps,ce qui a provoqué une perforation de son tympan droit ainsi qu’une fracture au niveau du nez. Il a été maintenu dans des positions douloureuses durant de longues périodes et menacé de viol. Son état psychologique s’est considérablement dégradé à la suite de ces sévices, au point qu’il a tenté de se suicider et a de nouveau été évacué en urgence vers l’hôpital, dans un état critique.

2.12Le jour de son transfèrement de la prison de Salé à la prison de Toulal, le 17mai 2011, le requérant a été torturé en présence de deux agents de la Direction générale de la surveillance du territoire. Un avocat et un représentant du consulat d’Allemagne lui ont rendu visite à la prison de Salé entre le 31mai et le 8juin 2011. Le premier a déclaré que le requérant avait des cicatrices aux mains et aux pieds résultant d’actes de torture ou d’autres mauvais traitements. Dans une lettre du 30juin 2011, l’ambassade d’Allemagne a informé le Ministère des affaires étrangères marocain que le requérant avait « été victime de blessures non négligeables » et que, selon ses propres déclarations, il aurait souffert de plusieurs mauvais traitements et de violences corporelles dans les prisons de Salé et de Toulal. En raison de sa participation au mouvement de protestation des 16 et 17mai 2011, le requérant a été condamné à deux années de prison supplémentaires par la cour d’appel de Salé le 10 septembre 2012.

2.13Le 30mai 2012, le père du requérant a demandé au Procureur d’ouvrir une enquête sur les actes de torture que son fils avait subis dans les prisons de Salé et de Toulal. À deux reprises, le 8juin 2012 et le 26mai 2014, celui-ci a adressé une lettre au Ministère de la justice dans laquelle il demandait que le requérant bénéficie d’un examen médical urgent pour faire constater les actes de torture dont il est question, afin d’envisager une plainte pénale. Aucune de ces démarches n’a eu de suite.

2.14En juillet 2012, le requérant a été transféré à la prison de Tiflet, où il est resté détenu jusqu’à sa libération le 18février 2017. Fin mai 2016, il a de nouveau dénoncé le caractère arbitraire de sa détention, ainsi que son régime de détention en revêtant une tenue orange comparable à celle portée par les prisonniers de Guantanamo. En réponse à ce geste, le requérant a de nouveau fait l’objet d’actes de torture et de mauvais traitements de la part des gardiens de prison. Il a notamment été brûlé au niveau du dos à l’aide d’une barre de fer incandescente alors qu’il était maintenu sur le lit de sa cellule, pieds et poings liés et les yeux bandés. Il a été en mesure de faire prendre des photographies de ses blessures à l’intérieur de sa cellule. Le requérant allègue avoir été torturé en la présence du Directeur de la prison et du Coordinateur de la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion.

2.15Le requérant n’a pas souhaité porter les faits devant les juridictions, par peur de représailles à l’approche de sa libération. Il porte encore les séquelles aujourd’hui de ces actes de torture, comme l’attestent plusieurs photographies prises en Allemagne à la suite de sa libération. Il a eu l’occasion de faire constater ses lésions par l’Institut de médecine légale de Düsseldorf le 13 avril 2017. Le requérant a également fait l’objet d’une évaluation psychologique menée en Allemagne, laquelle a conclu qu’il souffrait de troubles de stress post-traumatique.

Avis du Groupe de travail sur la détention arbitraire

2.16Le 26 juillet 2011, le requérant a soumis son cas au Groupe de travail sur la détention arbitraire, qui a rendu le 31 août 2012 un avis dans lequel il qualifie d’arbitraire la détention du requérant. Le Groupe de travail a tout d’abord relevé que les aveux faits par le requérant après son arrestation à l’aéroport de Casablanca, lors de sa garde à vue, avaient été obtenus alors qu’il n’avait pas accès à un avocat et en l’absence d’élément de preuve matérielle. Lorsque le requérant est apparu devant le juge d’instruction avec l’assistance d’un avocat, il a réfuté toutes les allégations portées contre lui ainsi que les aveux, affirmant qu’ils avaient été obtenus par la torture. Le Gouvernement marocain, dans sa réponse au Groupe de travail, s’est limité à contester l’existence d’aveux obtenus par la torture sans démontrer qu’une enquête indépendante et transparente avait eu lieu sur ces allégations. Le Groupe de travail a donc conclu à la violation de l’article 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en lien direct avec les articles 9, 10 et 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et les articles 9 et 14 du Pacte. Il a estimé que les violations du droit à un procès juste et équitable dont avait fait l’objet le requérant étaient d’une gravité suffisante pour rendre sa détention arbitraire. Le Groupe de travail a également renvoyé le cas au Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

2.17L’État partie n’a jamais donné suite aux recommandations du Groupe de travailsur la détention arbitraire, en ce qui concerne tant la libération immédiate du requérant que l’octroi d’une réparation adéquate en vertu de l’article9 (par.5) du Pacteinternational relatif aux droits civils et politiques. Le 19octobre 2014, son avocat a introduit une demande de révision du procès du requérant en citant notamment l’avis du Groupe de travail auprès du Ministère de la justice, laquelle a été rejetée. Bien que le requérant ait été libéré le 18février 2017, il n’a bénéficié d’aucune forme de réparation.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant invoque une violation de l’article 1er de la Convention ainsi que des articles2 (par.1 et 2), 4 (par.2), 11, 12, 13, 14 et 15, lus conjointement avec l’article1er de la Convention à son égard, et de l’article16 à l’égard de sa famille.

3.2Le requérant affirme avoir exercé tous les recours possibles, ceux-ci s’étant révélés inefficaces. À tous les stades de la procédure judiciaire, il a fait état des actes de torture subis. Il rappelle que le Comité a estimé qu’il suffit que la victime se manifeste et porte les faits à la connaissance d’une autorité de l’État pour que naisse pour celui-ci une obligation de la considérer comme une expression de son désir d’obtenir l’ouverture d’une enquête immédiate et impartiale.

3.3Depuis son arrestation le 18février 2010, le requérant s’est trouvé sous le contrôle des autorités marocaines ; toute allégation devrait donc être considérée comme équivalente à une plainte pénale. Or, les allégations de torture portées à la connaissance des magistrats à chaque stade de la procédure sont restées sans suites. Ainsi, l’État partie ne saurait soulever l’absence de plainte introduite par lui en ce qui concerne les actes de torture commis lors de sa garde à vue.

3.4Le requérant réitère que les plaintes relatives aux actes de torture dont il a été victime dans les prisons de Salé et de Toulal n’ont donné suite à aucune démarche de la part des autorités, et qu’il n’a pas souhaité porter les faits survenus à la prison de Tiflet devant les juridictions par peur de représailles.

3.5Sur le fond, le requérant fait valoir que les traitements qui lui ont été infligés lors de sa garde à vue au commissariat d’El Maarif ainsi que lors de sa détention au sein des prisons de Salé, de Toulal et de Tiflet sont constitutifs de torture au sens de l’article premier de la Convention.

3.6Le requérant a été arrêté sans mandat de justice et sans être informé des charges pesant contre lui. Empêché de joindre sa famille, il n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat et n’a été présenté devant un juge qu’à l’issue de sa garde à vue, soit douze jours après son arrestation. Durant cette période, il a été délibérément soustrait à la protection de la loi et n’a bénéficié d’aucune procédure légale lui permettant de faire examiner ses allégations de torture ou de contester la légalité de sa détention. Par ailleurs, il n’a bénéficié d’aucune assistance médicale indépendante, ni durant sa garde à vue ni à la suite de ses audiences devant le Procureur et le juge d’instruction.Malgré le fait qu’il a dénoncé à plusieurs reprises, devant les autorités judiciaires, la torture et la détention au secret auxquelles il a été soumis, ses déclarations n’ont pas été suivies de mesures d’enquête, et ces actes demeurent ainsi impunis. L’absence de réaction des autorités équivaut à une violation de l’article2 (par. 1), lu conjointement avec l’article premier de la Convention.

3.7En invoquant l’article2 (par.2) de la Convention, le requérant considère que les actes de torture qu’il a subis ont été permis et facilités par l’absence de garanties fondamentales contenues dans la loi no03-03, qui a mis en place un régime juridique d’exception en la matière. Dès 2004, le Comité avait exprimé sa préoccupation quant au cadre légal de la lutte contre le terrorisme au Maroc, notamment l’extension considérable du délai de garde à vue, période pendant laquelle le risque de torture est le plus grand, tant dans le droit pénal général que dans la loi antiterroriste. En 2011, le Comité avaitexprimé sa préoccupation quant au fait que les dispositions de la loi no03-03 étendaient la période légale de garde à vue, amplifiant ainsi le risque de torture des suspects détenus, et rappelé que c’était précisément pendant les périodes au cours desquelles ils ne pouvaient pas communiquer avec leur famille et leurs avocats que les suspects étaient le plus susceptibles d’être torturés.

3.8L’absence de mise en œuvre des dispositions relatives à la poursuite et aux sanctions des agents ayant commis des actes de torture constitue une violation de l’article4 (par.2) de la Convention. Cette absence d’enquête et de poursuite malgré les allégations répétées portées à la connaissance des autorités judiciaires de l’État partie ainsi que des procédures spéciales et des organes conventionnelsauxquels l’État est partie demeure une pratique constante des autorités.

3.9Invoquant l’article11 de la Convention, le requérant rappelle qu’il n’a pas bénéficié de garanties procédurales suffisantes durant sa garde à vue. L’État partie n’a pas non plus respecté son obligation au titre de l’article12 de mener une enquête prompte et impartiale concernant les allégations de torture.Il a également manqué à la responsabilité qui lui incombait, au titre de l’article 13, d’assurer au requérant le droit de porter plainte devant les autorités compétentes, tenues d’y apporter une réponse adéquate par le déclenchement d’une enquête prompte et impartiale.L’État partie a donc privé le requérant de la possibilité d’obtenir réparation, au moyen d’une action civile ou d’une procédure pénale,au titre de l’article14.

3.10Lors de l’enquête préliminaire, le requérant a été contraint d’avouer, sous la contrainte et sans la présence de son avocat, sa prétendue adhésion à l’idéologie salafiste djihadiste et son intention de combattre les forces américaines en Afghanistan. Il a contesté la force probante des aveux signés sous la torture à chaque étape de la procédure à son égard, sans succès. Néanmoins, ceux-ci ont été utilisés tout au long de la procédure d’instruction et de jugement, en violation de l’article15 de la Convention.

3.11Enfin, le requérant ainsi que sa famille ont été victimes d’un traitement cruel et inhumain au sens de l’article16 de la Convention durant toute la durée de sa détention au secret dans les prisons de Toulal et de Salé, entre le 17 et le 28mai 2011.Les proches du requérant ont attendu deux semaines avant d’obtenir des informations sur son sort, les autorités s’étant volontairement abstenues de les informer du transfèrement de ce dernier à la prison de Toulal en dépit de toutes leurs demandes et démarches. Pour rappel, ce sont les autorités consulaires allemandes qui, après avoir retrouvé la trace du requérant, ont informé ses proches de son sort.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans ses observations datées du 24novembre 2020, l’État partie apporte tout d’abord des clarifications sur les deux affaires pénales dans lesquelles le requérant a été poursuivi et condamné au Maroc.

4.2L’État partie précise que le requérant a été auditionné dans les locaux de la police judiciaire dans le strict respect des dispositions légales en vigueur et sous le contrôle effectif du Procureur général. Le jour de son interpellation à l’aéroport de Casablanca, il a été placé en garde à vue pour une durée de quatre-vingt-seize heures, renouvelée deux fois sur autorisation du parquet et en conformité avec l’article66 du Code de procédure pénale. Contrairement à ce qu’il allègue, le requérant n’a jamais été détenu au secret. Il a été informé en détail des faits pour lesquels il était suspecté. Sa famille a été informée de son placement en garde à vue, en la personne de sa mère, jointe sur son téléphone mobile. L’ensemble de ces aspects procéduraux a été consigné dans le procès-verbal d’audition de la police judiciaire, lequel n’a fait l’objet d’aucun recours de la part du requérant ou de sa défense au regard de son contenu, comme le permet la loi. Contrairement à ce qu’il allègue, le requérant a pu lire son procès-verbal d’audition et l’a signé volontairement. D’ailleurs, l’écriture et le tracé de la signature démontrent bel et bien l’absence de toute contrainte.

4.3Concernant les allégations selon lesquelles le requérant aurait été contraint de signer son procès-verbal sous la menace des policiers, l’État partie fait valoir que ses parents n’ont jamais déclaré ou soulevé d’allégations en ce sens, affirmé avoir fait l’objet de pressions ou de menaces de la part des autorités marocaines, ou déposé de plainte à cet égard.

4.4À l’issue de sa garde à vue, le requérant a été présenté le 1ermars 2010 devant le Procureur et, le même jour, il a été déféré devant le juge d’instruction et a fait l’objet d’une audition préliminaire en présence de son avocat. Il a fait l’objet d’une audition détaillée le 17mars 2010 devant le juge d’instruction, toujours en présence de son avocat. Lors de cette audition, le requérant est revenu sur ses déclarations faites à la police judiciaire au regard des faits qui lui sont reprochés.

4.5L’instruction achevée, le magistrat chargé de l’affaire a renvoyé celle-ci le 24mai 2010 devant la cour d’appel de Rabat. Le requérant a alors fait l’objet d’un procès dans le cadre duquel les droits de la défense et toutes les garanties inhérentes au procès équitable ont été respectés. Il a été en mesure de contester les décisions de condamnation en première et deuxième instances et, le 9janvier 2012, la cour d’appel de Rabat a réduit sa peine de dix à cinq années de prison ferme. Cette décision a une nouvelle fois fait l’objet d’un recours en cassation de la part du requérant, lequel a été rejeté le 30mai 2012.

4.6Quant à la deuxième affaire, l’État partie précise que durant son incarcération à la prison de Salé, le requérant s’est toujours distingué par un comportement particulièrement agressif à l’égard du personnel de la prison et a organisé plusieurs actions de protestation,allant jusqu’à instiguer une impressionnante mutinerie le 16mai 2011, qui a mis en péril l’intégrité physique de plusieurs centaines de personnes, y compris les détenus eux-mêmes. Il a escaladé − avec une dizaine de détenus − le toit de la prison en prenant en otage des fonctionnaires de la prison qu’il menaçait de tuer. Durant ces événements, près de 200fonctionnaires ont été gravement blessés et d’énormes dégâts matériels ont été causés, dont le saccage des portes et fenêtres des cellules, ainsi que la destruction du réseau électrique et des canalisations d’eau potable. Il a été également porté atteinte aux emblèmes nationaux à travers le déchirement du drapeau national. Le lendemain, en raison des sérieuses dégradations qu’avait subies la prison de Salé, les détenus concernés ont été transférés dans d’autres prisons, dans l’attente de la restauration des lieux. Le requérant a ainsi été transféré à la prison locale de Toulal le 17mai 2011.

4.7Le requérant a été placé en cellule disciplinaire par suite de la mesure disciplinaire prise à son égard, pour son implication dans les faits. À la prison de Toulal, il n’est resté détenu que quatre jours. Le 21mai 2011, il a été transféré à la prison de Salé2 pour faciliter sa comparution devant la cour d’appel de Rabat dans le cadre de la nouvelle procédure engagée contre lui. À cet égard, l’État partie rejette catégoriquement les allégations de « situation de détention au secret assimilable à une disparition forcée » qui aurait duré quinze jours.

4.8Le requérant a été auditionné par la police judiciaire le 1erjuin 2011, ce qui a permis d’établir qu’il était le principal instigateur de la mutinerie. Le 2février 2012, le Procureur a présenté le réquisitoire, et après une audition préliminaire le 8février 2012, puis une audition détaillée le 23février 2012, en présence de son avocat, le juge d’instruction a décidé de poursuivre le requérant. Le 24mai 2012, il a été déféré devant la cour d’appel de Rabat, qui l’a condamné à une peine de deux ans et demi de prison ferme, réduite en appel le 8octobre 2012 à deux ans.

4.9L’État partie ne cache pas son étonnement quant aux allégations selon lesquelles le procès pour actes de terrorisme aurait été « expéditif », dans la mesure où il a eu lieu entre le 1er mars 2010 et le 30mai 2012. Le requérant a été transféré le 12juillet 2012 à la prison de Tiflet1, par suite de sa demande de rapprochement de sa famille, avant d’être transféré le 15 juillet 2016 à la prison de Tiflet2, mitoyenne à la prison de Tiflet1. Il a purgé sa peine dans ces deux établissements dans le cadre de la loi et tout en bénéficiant de l’ensemble de ses droits en tant que détenu. Le 18février 2017, il a été libéré au terme de l’exécution de ses deux peines et, le 22février 2017, il a quitté le Maroc pour l’Allemagne.

4.10L’État partie conteste la recevabilité de la requête pour non-épuisement des voies de recours internes puisque le requérant, contrairement à ce qu’il allègue, n’a jamais soulevé − ni lui ni sa défense − une quelconque allégation de torture ou de mauvais traitement dans le cadre de son procès lié à ses activités terroristes, ni devant le juge d’instruction, ni d’ailleurs devant la cour d’appel de Rabat. Il n’a pas non plus déposé une quelconque plainte auprès des instances judiciaires ou des institutions nationales compétentes. La défense du requérant n’a soulevé ses allégations de torture et de mauvais traitements que dans le cadre de l’affaire se rapportant à la mutinerie qu’il a instiguée.

4.11L’État partie fait valoir que malgré le classement de ses plaintes, les voies de recours sont demeurées ouvertes et disponibles au requérant pour faire valoir ses droits, sachant que le classement en lui-même n’est pas définitif, si tant est que la personne apporte des éléments nouveaux ou pertinents pour permettre à la justice de porter une appréciation sur ce qu’elle prétend avoir subi.

4.12Quant aux conditions de détention du requérant, l’État partie précise qu’il a toujours été incarcéré dans des conditions tout à fait normales répondant aux normes internationales en la matière. À la suite des plaintes émanant de la famille du requérant et portant sur des allégations de mauvais traitementsque le requérant aurait subis après la mutinerie qu’il a provoquée, la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion l’a soumis à un examen clinique en août 2011, qui a été effectué par un médecin compétent ayant établi que le requérant ne présentait aucun signe de violences ou de torture. Il a toujours fait l’objet d’un suivi médical approprié.

4.13Lorsqu’il était détenu à la prison de Salé2, le requérant recevait régulièrement la visite de sa famille, ainsi que celle de ses avocats. Détenant la nationalité allemande, il a été autorisé à recevoir plusieurs visites du personnel consulaire allemand accrédité à Rabat. Sa situation faisait également l’objet d’un suivi de près par le Conseil national des droits de l’homme. Le requérant a notamment fait l’objet de deux visites les 26mars 2015 et 25juillet 2016 par la Commission régionale de Rabat-Salé-Kenitra et d’une autre visite dans le cadre d’une visite générale de l’établissement pénitentiaire. La délégation de la Commission régionale a pu s’entretenir avec lui et examiner ses conditions de détention. Elle a d’ailleurs présenté des recommandations au Directeur de l’établissement concernant la durée d’accès du requérant, entre autres, au téléphone fixe et sa correspondance − objet des doléances formulées par son père.

4.14À la prison locale de Tiflet2 − établissement moderne ouvert depuis 2016, répondant à des normes d’incarcération satisfaisantes −, le requérant a joui de tous ses droits. Il y a été détenu dans une cellule individuelle respectant toutes les normes d’aération, de luminosité, d’hygiène et de superficie, à l’instar de ses conditions carcérales précédant son transfert à la prison de Tiflet2. Il y recevait ses correspondances, ainsi que des journaux et magazines en arabe et en allemand. De plus, il avait accès à la cellule adjacente à la sienne, qui était inoccupée, pour y préparer ses repas. Tout au long de son incarcération, il a bénéficié de 44consultations internes pour des affections ordinaires avec traitement symptomatique, a été examiné par le médecin de l’établissement chaque fois qu’il le demandait, et a été traité quand son état de santé le nécessitait. Concernant l’allégation du requérant selon laquelle il aurait été évacué à l’hôpital, l’État partie réitère qu’elle est dénuée de tout fondement.

4.15Quant au fond de sa requête concernant les allégations de torture pendant sa garde à vue, l’État partie répète que le requérant ne les a jamais soulevées, et n’a présenté aucune requête afin de faire l’objet d’une expertise médicale, comme le prévoit l’article134 du Code de procédure pénale.

4.16Dans le cadre de la deuxième affaire concernant la mutinerie, l’État partie explique que, sur la base des informations véhiculées dans la presse au sujet d’allégations d’aveux forcés et de torture en prison, et par suite des correspondances adressées à leur sujet par le Ministère de la justice, les 25juillet et 7septembre 2011, au Procureur général près la cour d’appel de Rabat, une enquête a été lancée le 16août 2011. Dans ce cadre, le parquet général a auditionné le Directeur de la sécurité des détenus le 20septembre 2011, qui a déclaré que le requérant n’avait à aucun moment fait l’objet de mauvais traitements, ni d’ailleurs jamais déposé plainte ou formulé une quelconque doléance concernant des mauvais traitements, sur le plan tant administratif que judiciaire. Le Directeur, qui avait veillé personnellement au transfert du requérant, a également déclaré que lors de son transfert de la prison de Toulal2 à celle de Salé2, il n’avait observé aucune trace de violence sur le requérant. Sur la base des résultats de l’enquête, il a été décidé le 22septembre 2011 de classer la procédure pour défaut de preuves. Le Procureur a aussi reçu, le 5mars 2013, une plainte émanant du Conseil national des droits de l’homme par l’intermédiaire du Ministère de la justice portant sur les mêmes allégations de torture, qui a également été classée faute de preuves.

4.17Enfin, l’État partie précise que le requérant a commencé à soulever des allégations de torture et de mauvais traitements seulement après la mutinerie qu’il a instiguée, et ce, alors que la procédure en cassation engagée contre la première décision relative à son implication dans des projets terroristes était en cours. Les allégations de torture et de mauvais traitements sont alors devenues un moyen de défense pour lui, de façon à se faire disculper de tous les faits qui lui sont reprochés, y compris ceux instigués en prison.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires du 15 avril 2021, le requérant réitère les tortures subies. Ensuite, il soutient que, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, il n’a jamais été détenu dans une cellule individuelle respectant toutes les normes d’aération et d’hygiène, mais a été placé en isolement total sans avoir le droit à la lumière du jour et à l’air frais pendant toute la durée de son incarcération à la prison de Tiflet. C’est pourquoi, comme il l’a déjà décrit, il a de nouveau dénoncé le caractère arbitraire de sa détention à la fin mai 2016, ce qui lui a valu de subir à nouveau d’autres sévices.

5.2Sur le fond, le requérant soutient que la loi no 03-03relative à la lutte contre le terrorisme ne prévoit l’accès à un avocat qu’au terme de six jours et pour une durée de trente minutes au maximum, sans garantie de confidentialité. Cependant, aucun avocat n’a pu lui rendre visite durant toute la période de sa garde à vue de douze jours, en violation de la même loi, ce que d’ailleurs ne conteste pas l’État partie. En outre, le Groupe de travail sur la détention arbitraire a constaté, au cours de sa visite au Maroc en décembre 2013, que de nombreuses affaires soumises aux tribunaux, en particulier dans les affaires de terrorisme, reposaient entièrement sur les aveux des accusés, en l’absence de preuve matérielle. Bien que le Comité ait recommandé à l’État partie de prendre toutes mesures nécessaires pour garantir que les condamnations pénales soient prononcées sur la foi de preuves autres que les aveux de l’inculpé, notamment lorsque l’inculpé revient sur ses aveux durant le procès, l’aveu constitue toujours, dans la pratique judiciaire, une preuve suffisante pour condamner un accusé.

5.3En réponse aux allégations de l’État partie sur l’absence de plainte pour torture, le requérant réitère qu’il a, dès sa première audition devant le juge d’instruction, déclaré qu’il avait subi des actes de torture au commissariat d’El Maarif. Quant aux tortures infligées dans la prison de Salé, celles-ci ont été dénoncées dans les écrits officiels des autorités consulaires allemandes, le requérant ayant décidé de garder le silence, persuadé que le parquet ne se serait de toute façon pas acquitté de son obligation et n’aurait pas, comme à son habitude, déclenché d’enquête prompte et impartiale.

5.4Par ailleurs, le requérant précise que son père avait, dès le 8 juin 2012, adressé une première correspondance au Ministère de la justice l’informant que son fils avait fait l’objet de tortures à la prison de Salé 2 et à celle de Toulal, et avait décrit avec précision les lésions corporelles subies. Par lettre de rappel au Ministère de la justice, le 26 mai 2014, le père du requérant décrivait avec précision les tortures subies par son fils, en nommait les auteurs et sollicitait une expertise médicale et l’ouverture d’une enquête indépendante. Cette lettre n’a jamais été suivie d’effets car, si une telle enquête avait réellement été menée comme l’affirme l’État partie, le requérant aurait été entendu dans ce cadre et une expertise médicale aurait de toute évidence été pratiquée pour déterminer les traces ou séquelles des actes de torture allégués − ce qui n’a pas été le cas.

5.5Le 19 mai 2021, le requérant a soumis un article de presse sur son cas.

Observations complémentaires des parties

L’État partie

6.1Le 15juillet 2021, l’État partie a dénoncé la persistance du requérant à vouloir se disculper des faits pour lesquels il a été arrêté, poursuivi et condamné au Maroc. De même, il s’étonne des arguments du requérant pour justifier l’absence de plainte par rapport à ses allégations de torture prétendument subies à la prison de Tiflet, alors qu’à partir de 2011, sur la base de plusieurs plaintes et lettres de ses parents, le parquet avait lancé des investigations, ces enquêtes ayant été classées faute de preuves.

6.2L’État partie précise qu’après avoir effectivement reçu le 30mai 2012− et non le 8 juin 2012, comme le rapporte son conseil − une plainte des parents du requérant selon laquelle ce dernier aurait fait l’objet de tortures à la prison de Salé2, le Procureur général près la cour d’appel de Rabat a demandé dans un premier temps au Directeur de la prison d’établir un rapport en l’objet. Le 25juillet 2012, le Directeur a adressé son rapport au Procureur, dans lequel il a démenti les allégations de torture ou de mauvais traitement, en soulignant le comportement hostile et agressif du requérant envers les fonctionnaires de la prison. Le 3 août 2012, le parquet a alors ordonné aux services de la police judiciaire de Tiflet d’auditionner le requérant. Le 15août 2012, le requérant a donc bien été auditionné, contrairement à ce qu’il allègue. Au cours de son audition, il a prétendu avoir été torturé à la prison de Salé2 au cours de l’année 2011.

6.3L’État partie signale que, sur instructions du parquet général − et bien que le requérant ne réside plus au Maroc −, plusieurs fonctionnaires de la prison de Salé2 mentionnés dans la plainte de ses parents ont été auditionnés par la police judiciaire à Salé. Ils ont tous démenti les allégations du requérant, notamment celles selon lesquelles ce dernier avait été menotté. Ils ont aussi précisé, concernant les allégations relatives au placement à l’isolement, qu’en raison de son profil carcéral, le requérant avait été placé, comme la loi le permet, en cellule individuelle, pour éviter qu’il n’influence d’autres détenus et pour éviter toute nouvelle tentative de mutinerie. Le parquet général a donc décidé de classer cette plainte, à l’instar des autres plaintes, dans la mesure où les résultats de l’enquête menée n’avaient pas démontré le bien-fondé des allégations du requérant. Son père a été informé du classement de cette plainte.

6.4Quant à la lettre du père du requérant datée du 26mai 2014, qui sollicitait que son fils soit soumis à une expertise médicale, l’État partie précise qu’aucune demande n’a été reçue par le ministère public en ce sens, sachant que le requérant avait par ailleurs refusé de se présenter à un rendez-vous médical dans le cadre d’une consultation externe.

6.5Concernant les allégations de torture subie en mai 2016, l’État partie fait remarquer que sur instruction du Procureur général près la cour d’appel de Rabat, le service de police judiciaire relevant de la préfecture de police de Rabat-Salé-Témara-Khemisset a procédé à l’audition de l’ancien Directeur de la prison locale de Tiflet1, du Coordinateur de la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion à la prison de Tiflet1 et d’autres fonctionnaires ayant tous travaillé à la même prison à la même époque. Les auditions ont permis de vérifier que − contrairement à ce que prétend le requérant − la structure du lit dont disposait sa cellule ne permettait pas de le menotter ou même de le ligoter. De même, l’État partie ne peut que s’interroger sur la possibilité pour un détenu qui a les yeux bandés, selon ses propres déclarations, de confirmer la présence ou l’absence d’une personne déterminée.

6.6Les auditions ont également permis de clarifier qu’en réalité, le requérant avait porté la tenue orange en guise de protestation notamment contre la décision de la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion de ne plus réserver une salle de visite exclusivement aux familles des détenus condamnés dans le cadre de la loi relative à la lutte contre le terrorisme, dans le cadre de la gestion de cette catégorie de détenus. Quant aux assertions du requérant consistant à nier être l’instigateur de la mutinerie de la prison de Salé en 2011, elles sont aujourd’hui publiquement contredites par le requérant lui-même à travers ses déclarations explicites et régulières sur sa chaîne YouTube, où il se targue d’être le principal meneur de ladite mutinerie qu’il qualifie même d’« épopée ».

6.7L’État partie porte à la connaissance du Comité la mise en ligne de vidéos publiées par deux codétenus du requérant, qui confirment son parcours de combattant au sein d’Al‑Qaida. En raison de la nature des allégations du requérant − et en dépit de sa non‑présence sur le territoire national −, une enquête a été ordonnée par le Procureur général, qui est toujours en cours.

6.8Le 24août 2021, l’État partie a informé le Comité de la publication d’une vidéo sur les réseaux sociaux, dans laquelle le requérant fait, ouvertement et publiquement, l’apologie du terrorisme et incite à la haine et à la violence contre le Maroc et ses institutions.

Le requérant

7.1Le 6septembre 2021, le requérant a souligné qu’il n’avait aucun contact avec les deux prétendus codétenus. Quant à l’allégation de l’État partie selon laquelle aucune demande d’expertise médicale n’aurait été reçue par le ministère public, le requérant précise que dans sa plainte transmise au Ministère de la justice le 26mai 2014 et enregistrée sous le numéro24505, son père réitère sa demande d’expertise médicale.

7.2Le requérant souligne qu’entre son arrestation et sa libération, son père a effectué de nombreuses démarches le concernant. Il s’est tout d’abord rendu au Bureau central de l’Association marocaine des droits humains, lequel s’est adressé au Ministère de la justice dans un courrier en date du 25février 2010, pour solliciter l’ouverture d’une enquête sur les circonstances de l’arrestation ainsi que les conditions de détention du requérant. Le 18mai 2011, le père du requérant s’est adressé au Secrétaire général du Conseil national des droits de l’homme pour demander l’ouverture d’une enquête concernant le sort de son fils, après qu’ils avaient perdu tout contact avec lui pendant sa détention à la prison de Salé. Enfin, son père s’est plaint des tortures infligées au requérant aux prisons de Salé et de Toulal.

7.3Le requérant fait valoir que bien que l’État partie tente de nier les allégations de torture, plusieurs rapports de médecins allemands établissent l’impact de ces tortures sur sa santé. Ainsi, un rapport établi par un neurologiste et psychiatre allemand le 25 juin 2018 précise que le requérant présente des troubles neurologiques et qu’il bénéficie d’un suivi psychiatrique régulier depuis 2017. Un autre rapport en date du 23 octobre 2018, établi par un expert médical à l’attention de l’agence allemande du travail, évoque également une incapacité du requérant pour les deux ou trois ans à venir, ajoutant qu’une inaptitude permanente de travailler ne peut aussi être exclue. Aujourd’hui, le handicap du requérant résultant des tortures subies lors de sa détention au Maroc s’élève à 50 %, comme l’atteste sa carte d’invalidité.

7.4Le 12 octobre 2021, en réaction à la vidéo fournie par l’État partie, le requérant a expliqué que sur la base de vidéos similaires, l’État partie avait adressé au ministère public allemand plusieurs demandes de poursuite pénale au prétexte qu’il aurait appelé à la violence terroriste, demandes qui ont été rejetées par le Procureur de la République de Duisbourg au motif que les déclarations du requérant répertoriées sur son compte Facebook n’étaient que des expressions d’opinion politique. Enfin, le 8 février 2021, la Commission de contrôle des fichiers d’INTERPOL a annulé un mandat d’arrêt international émis par l’État partie et conclu que les données concernant le requérant n’étaient pas conformes aux règles applicables au traitement des données personnelles dans le Système d’information d’INTERPOL.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité doit déterminer si celle-ci est recevable au regard de l’article22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article22 (par.5a)) de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note que le cas du requérant a été signalé au Groupe de travail sur la détention arbitraire et au Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en 2012. Ces procédures ou mécanismes extraconventionnels ne relèvent pas d’une procédure internationale d’enquête ou de règlement au sens de l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention, et l’examen du cas du requérant par ces procédures ne rend donc pas la communication irrecevable au titre de cette disposition.

8.2Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la requête pour non‑épuisement des voies de recours internes, signalant que ni le requérant ni son conseil n’avaient soulevé les allégations de torture ou de mauvais traitements − subies pendant sa garde à vue − devant le Procureur, le juge d’instruction ou la cour, lors du procès. Le requérant rétorque qu’il a fait état de ces actes de torture à tous les stades de la procédure.

8.3Le Comité note que même si le requérant n’a pas eu accès à un conseil lors de sa garde à vue − ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par l’État partie −, il a bien été assisté par un conseil lors de ses auditions par le juge d’instruction les 1er et 17mars 2010. Le requérant allègue qu’il a dénoncé devant le juge d’instruction − et aussi lors du procès − l’extorsion de ses aveux par la torture. Pourtant, le Comité observe que, bien que les procès-verbaux d’audition préliminaire et détaillée du requérant par le juge d’instruction attestent que le requérant est revenu sur ses déclarations faites à la police, il n’y est fait aucune mention d’allégations d’extorsion des aveux par la torture. Le Comité observe également que le requérant n’a pas contesté ni commenté les deux procès-verbaux d’audition produits par l’État partie.

8.4En outre, le Comité note que le requérant n’a produit aucune copie d’éventuelles plaintes ou des arrêts délivrés par les juridictions internes, afin de démontrer qu’il avait effectivement soulevé à tous les stades de la procédure l’extorsion des aveux par la torture, comme il l’affirme. Il n’a pas non plus soulevé une éventuelle impossibilité d’en produire une copie. Enfin, le Comité note que même si le requérant affirme que dans une lettre du 25mars 2014, adressée au Délégué général de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion, ses parents ont fait mention d’aveux signés sous la torture, le requérant n’en produit pas une copie, alors qu’il a bien produit une copie d’autres requêtes formulées par ses parents en son nom. Par ailleurs, le Comité note que dans le contexte de la deuxième affaire le concernant,soit la mutinerie du 16mai 2011, le requérant a bien produit devant le Comité des copies de plaintes formées par son père et qui comportaient le cachet d’accusé de réception par le Greffe du Ministère de la justice. En outre, une enquête a été lancée le 16août 2011 au sujet d’allégations d’aveux forcés et de torture après la mutinerie. Le Comité n’a reçu aucune explication indiquant pourquoi − à supposer que son conseil et sa famille aient soulevé à plusieurs stades de la procédure les tortures subies pendant la garde à vue − le requérant n’a pas été en mesure d’en faire la preuve, comme il le fait avec les plaintes qui ont dénoncé les tortures subies après la mutinerie. D’ailleurs, ces plaintes ne font aucune mention des tortures subies au cours de sa garde à vue. De ce fait, le Comité conclut, en application de l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, que le requérant n’a pas été en mesure de faire la démonstration qu’il avait épuisé les recours internes quant à son grief relatif aux tortures subies lors de sa garde à vue et à l’extorsion des aveux par la torture, au titre de l’article 12, lu conjointement avec l’article 1er de la Convention, et quant à l’utilisation dans son procès des aveux obtenus par la torture, au titre de l’article 15. Ces griefs sont donc irrecevables.

8.5Le Comité note la déclaration du requérant selon laquelle il n’a pas dénoncé la torture subie en mai 2016 à la prison de Tiflet par peur de représailles à l’approche de sa libération. Pourtant, le Comité prend note de la déclaration de l’État partie, qui indique que sur instruction du Procureur, la police a procédé à l’audition de l’ancien Directeur de la prison locale de Tiflet 1, du Coordinateur de la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion à la prison de Tiflet 1 et d’autres fonctionnaires ayant tous travaillé à la même prison à la même époque. L’État partie ne clarifie pas la suite qui a été donnée à cette enquête, cependant, et ne mentionne pas si les autorités investigatrices ont auditionné le requérant et ordonné une expertise médicale ou pris en considération les expertises médicales réalisées par le requérant en Allemagne. En l’absence de renseignements pertinents de la part de l’État partie qui pourraient démontrer que le requérant pouvait bénéficier d’une enquête effective, le Comité conclut que l’État partie n’a pas démontré que les recours existants pour dénoncer les actes de torture subis en mai 2016 avaient été, en pratique, mis à la disposition du requérant pour faire valoir ses droits au titre de la Convention.

8.6Le Comité prend note des allégations du requérant formulées au titre de l’article2 (par.2) de la Convention, selon lesquelles les actes de torture qu’il a subis ont été permis et facilités par l’absence de garanties fondamentales contenues dans la loi no03-03 relative à la lutte contre le terrorisme. Il constate toutefois que le requérant n’a fourni aucune preuve à cet égard, ayant plutôt élaboré ses allégations sur la base de déclarations d’ordre général. Le Comité conclut donc que le grief du requérant au titre de l’article2 (par.2) de la Convention est irrecevable, faute d’être suffisamment étayé, conformément à l’article22 de la Convention et à l’article113 (al. b)) de son règlement intérieur.

8.7Enfin, le Comité prend note des allégations du requérant selon lesquelles l’État partie a manqué à ses obligations au titre de l’article4 de la Convention, et qu’il a été placé en isolement cellulaire, ce qui est contraire à l’article16. Toutefois, il est d’avis que le requérant n’a pas étayé ces griefs aux fins de la recevabilité.

8.8Au regard de l’article22 (par.4) de la Convention et de l’article111 de son règlement intérieur, le Comité ne voit pas d’autre obstacle à la recevabilité de la requête et procède à son examen quant au fond au titre des articles2 (par.1) et 11 à 14, lus conjointement avec l’article1er de la Convention, à l’égard du requérant, ainsi que de l’article16 de la Convention à l’égard de sa famille.

Examen au fond

9.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité note l’allégation du requérant selon laquelle les sévices physiques qu’il a subis à l’intérieur des prisons de Salé et de Toulal, à la suite de la mutinerie du 16mai 2011, puis à la prison de Tiflet, en mai 2016, constituent des actes de torture aux termes de l’articlepremier de la Convention : en mai 2011, il a notamment été battu par les gardiens sur différentes parties du corps,ce qui a provoqué une perforation de son tympan droit ainsi qu’une fracture au niveau du nez, il a aussi été maintenu dans des positions douloureuses durant de longues périodes et menacé de viol ; et en mai 2016, il a notamment été brûlé au niveau du dos à l’aide d’une barre de fer incandescente alors qu’il était maintenu sur le lit de sa cellule pieds et poings liés et les yeux bandés. Quant aux tortures subies en mai 2011, un avocat et un représentant du consulat d’Allemagne ont pu constater ses cicatrices aux mains et aux pieds. L’État partie rétorque qu’un examen clinique effectué en août 2011 a établi que le requérant ne présentait aucun signe de violences ou de torture. Pourtant, l’État partie ne produit pas de copie de cet examen clinique et ne mentionne pas non plus l’opinion de l’expert sur la compatibilité des cicatrices du requérant avec des actes de torture. D’ailleurs, le Comité note que le 26mai 2014, le père du requérant a demandé sans succès au Ministère de la justice une expertise médicale indépendante sur l’oreille gauche du requérant, qui lui causait beaucoup de souffrance. Quant aux tortures subies en mai 2016, le Comité prend note des photos des cicatrices du requérant et des rapports médicaux émis par les autorités allemandes. En l’absence d’informations convaincantes de l’État partie remettant en question ces allégations, le Comité considère que les sévices physiques et blessures que le requérant affirme avoir subis pendant sa détention dans les prisons de Salé et de Toulal, en mai 2011, et dans la prison de Tiflet, en mai 2016, sont constitutifs de torture au sens de l’article premier de la Convention.

9.3Quant au grief de violation de l’article 2 (par. 1)de la Convention, le Comité rappelle qu’il a manifesté sa préoccupation quant aux allégations − entre autres − de tortures, de mauvais traitements et d’extorsions d’aveux par la torture dans l’État partie et l’a exhorté à prendre immédiatement des mesures concrètes pour enquêter sur les actes de torture, et poursuivre et punir leurs auteurs, ainsi qu’à prendre toutes mesures nécessaires pour garantir que les condamnations pénales sont prononcées sur la foi de preuves autres que les aveux de l’inculpé, notamment lorsque l’inculpé revient sur ses aveux durant le procès. Dans le cas présent, le requérant a été condamné pour des actes de terrorisme sur la base exclusive de ses aveux. Au vu de ce qui précède, le Comité conclut à une violation de l’article 2 (par. 1), lu conjointement avec l’article 1er de la Convention.

9.4Le Comité note également l’argument du requérant soumis au titre de l’article11 de la Convention, selon lequel, durant sa garde à vue : a)il n’a pas eu accès à un avocat ; b)il n’a pas bénéficié d’une assistance médicale ; c)il a été arrêté sans être informé des chefs d’accusation retenus contre lui ; et d)sa famille n’a pas été informée de son arrestation. En outre, le requérant a fait l’objet de tortures, de mauvais traitements et d’abus de la part des autorités carcérales en mai 2011 et en mai 2016, et n’a pas bénéficié de voies de recours efficaces pour contester la torture et les mauvais traitements. Le Comité rappelle ses observations finales concernant le quatrième rapport périodique du Maroc, dans lesquelles il a déploré le manque d’informations relatives à la mise en œuvre dans la pratique des garanties fondamentales, telles que la visite d’un médecin indépendant et la notification à la famille. En l’espèce, l’État partie a fourni des informations sur les conditions de détention du requérant, sur l’information de sa mère concernant son arrestation, sur son information quant aux charges retenues contre lui, sur son suivi médical et ses plaintes pour mauvais traitements en détention seulement pour la période suivant la mutinerie du 16mai 2011, alors qu’il était en détention depuis le 18février 2010. En l’absence d’informations probantes de la part de l’État partie susceptibles de démontrer que toute la période de détention du requérant − et surtout sa garde à vue − a en effet été placée sous sa surveillance, et en l’absence de tout élément de preuve quant au traitement effectif des plaintes du requérant pour les tortures subies après la mutinerie du 16 mai 2011, le Comité conclut à une violation de l’article 11 de la Convention.

9.5Le Comité doit ensuite déterminer si l’État partie a procédé à des enquêtes impartiales dans les faits de torture de mai 2011 et mai 2016, comme prévu à l’article 12 de la Convention. Le Comité prend note des allégations du requérant selon lesquelles : a) son père a expressément dénoncé le 30mai 2012, au Procureur, et le 8juin 2012, au Ministère de la justice, les tortures subies par le requérant en mai 2011 et, le 26mai 2014, il a demandé au Ministère de la justice qu’une expertise médicale soit réalisée ; b)les traces des tortures de mai 2011 ont été confirmées par un avocat et un employé du consulat allemand qui lui ont rendu visite ; c) plusieurs photos et rapports délivrés par des médecins allemands en 2018 attestent les tortures subies en mai 2016 et l’impact de ces tortures sur sa santé ; et d)à aucun moment il n’a été auditionné et aucune expertise médicale n’a été ordonnée. L’État partie rétorque, au sujet des tortures subies en mai 2011, que le Procureur a demandé dans un premier temps au Directeur de la prison d’établir un rapport, lequel a été délivré le 25 juillet 2012, que le 3août 2012, le parquet a ordonné aux services de la police judiciaire de Tiflet d’auditionner le requérant, et que le 15août 2012, le requérant a bien été auditionné, contrairement à ce qu’il allègue. Pour ce qui est des tortures subies en mai 2016, l’État partie fait mention de l’ouverture d’une enquête d’office et de l’audition de plusieurs employés de la prison. Le Comité note que le requérant ne conteste pas ces affirmations de l’État partie, surtout le fait qu’en réalité, il a été auditionné le 15août 2012.

9.6Le Comité note : a) que les trois enquêtes ouvertes sur les allégations de torture en mai 2011 ont été classées faute de preuves ; b) que dans l’une d’entre elles seulement, le requérant a été auditionné ; et c) qu’aucune expertise médicale n’a été ordonnée dans la moindre de ces enquêtes, et ce, malgré la demande expresse du père du requérant le 26mai 2014 et malgré les signes visibles de torture qu’il présentait et qui ont été observés par son conseil et un représentant du consulat d’Allemagne. Quant à l’enquête déclenchée d’office concernant les allégations de tortures subies en mai 2016, le Comité note également l’absence d’audition du requérant et d’examen médical, malgré les traces présentes sur le corps du requérant, qui sont d’ailleurs confirmées par des photos et par des examens médicaux réalisés en Allemagne après sa libération. En outre, l’État partie n’a pas informé le Comité du résultat de cette enquête. Au vu de ce qui précède, le Comité considère que la conduite des enquêtes sur les allégations de tortures subies par le requérant en mai 2011 et en mai 2016 est incompatible avec l’obligation qui incombe à l’État partie, au titre de l’article 12 de la Convention, de veiller à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis.

9.7Compte tenu de ce qui précède, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner séparément les griefs du requérant au titre de l’article 13 de la Convention.

9.8Concernant l’article14 de la Convention, le Comité note que le requérant affirme souffrir de séquelles physiques et psychiques des sévices endurés. Le fait que le Procureur n’a pas ordonné d’expertise médicale a empêché le requérant de bénéficier de mesures de réhabilitation, d’indemnisation, de prise en charge et de garanties de non-répétition du crime. Le Comité considère donc que l’absence d’enquête diligentée de manière prompte et impartiale a privé le requérant de la possibilité de se prévaloir de son droit à la réparation, en violation de l’article 14 de la Convention.

9.9Le Comité note l’allégation du requérant selon laquelle sa famille n’a pas été informée de son transfèrement le 17mai 2011 vers la prison de Toulal, et que ce n’est que le 28mai 2011 que sa famille a obtenu des informations sur son sort, et ce, de la part des autorités consulaires allemandes, et non des autorités marocaines. Le 18mai 2011, le père du requérant a informé le Conseil national des droits de l’homme de la perte du contact avec son fils depuis le 17mai 2011, tout en demandant une enquête sur son sort, mais n’a reçu aucune réponse. Enfin, le Comité note que l’État partie n’a pas contesté ces allégations. En conséquence, le Comité estime que le manque d’informations pendant près de deux semaines quant au sort du requérant a été source d’angoisse et de souffrance pour sa famille, et que les autorités ont été indifférentes aux efforts de cette dernière pour faire la lumière sur ce qui était arrivé au requérant, après la mutinerie du 16mai 2011 et sur le lieu où il se trouvait. Faute d’explications de la part de l’État partie, le Comité considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article16 de la Convention à l’égard de la famille du requérant.

10.Le Comité, agissant en vertu de l’article22 (par.7) de la Convention, conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles2 (par.1), 11, 12 et 14, lus conjointement avec l’article1er de la Convention, à l’égard du requérant, ainsi que de l’article16 de la Convention à l’égard de sa famille.

11.Le Comité invite instamment l’État partie : a)à ouvrir une enquête impartiale et approfondie sur les événements en question, en pleine conformité avec les directives du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants(Protocole d’Istanbul), dans le but de poursuivre en justice les personnes qui pourraient être responsables du traitement infligé au requérant ; b)à indemniser le requérant et sa famille de façon adéquate et équitable, y compris avec les moyens nécessaires à une réadaptation la plus complète possible ; et c)à s’abstenir de tout acte de pression, d’intimidation ou de représailles susceptible de nuire à l’intégrité physique et morale du requérant, qui constituerait autrement une violation des obligations de l’État partie au titre de la Convention de coopérer de bonne foi avec le Comité pour l’application des dispositions de la Convention. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

12.Conformément à l’article 118 (par. 5) de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite aux observations ci-dessus.