Nations Unies

CAT/C/74/D/880/2018

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

22 septembre 2022

Original : français

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 880/2018*,**

Communication présentée par :

D. M. (représenté par un conseil, Alfred Ngoyi WaMwanza)

Victime(s) présumée(s) :

Le requérant

État partie :

Suisse

Date de la requête :

25 mai 2018 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article115 du Règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 13août 2018 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

22juillet 2022

Objet :

Expulsion vers la République démocratique du Congo

Questions de procédure :

Néant

Questions de fond :

Activités politiques ; risque pour la vie et risque de torture en cas d’expulsion vers le pays d’origine ; statut de réfugié ; torture

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est D. M., de nationalité congolaise, né en 1999 à Kinshasa. À la suite du rejet de sa demande d’asile en Suisse, il fait l’objet d’une décision de renvoi vers la République démocratique du Congo. Il considère qu’un tel renvoi constituerait une violation par l’État partie de ses droits en vertu de l’article 3 de la Convention. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention le 2 décembre 1986. Le requérant est représenté par un conseil.

1.2Le 13 août 2018, en application de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a rejeté la demande du requérant de prier l’État partie de ne pas l’expulser vers la République démocratique du Congo tant que sa requête serait à l’examen.

Contexte factuel

2.1En 2007, la mère du requérant est arrivée en Suisse. En 2013, elle a déposé une demande de regroupement familial en faveur de son fils, le requérant, qui vivait à l’époque en République démocratique du Congo avec ses grands-parents, sa tante et deux oncles. Le 25 mars 2014, l’Office fédéral des migrations a rejeté informellement la demande de regroupement familial. Le 9 avril 2014, la mère du requérant a retiré sa demande.

2.2Du 19 au 21 janvier 2015, certains partis de l’opposition en République démocratique du Congo ont organisé des manifestations à Kinshasa pour protester contre une modification de la loi électorale qui aurait pour conséquence de prolonger le mandat du Président Joseph Kabila. Les membres des partis de l’opposition ont distribué des tracts auprès du public afin de mobiliser leurs soutiens.

2.3L’un des amis du requérant était un proche de Franck Diongo, un opposant au régime du Président Kabila. Le 15 janvier 2015, Franck Diongo a donné au requérant et à cet ami des tracts à distribuer. Sur ces tracts figurait la phrase suivante : « Kabila dégage, pas de modification de la Constitution, ni le report des élections, trop c’est trop, la RDC appartient à nous et non aux étrangers. ». En contrepartie de cette tâche de distribution, la somme de 100 dollars des États-Unis a été remise au requérant et à son ami. Motivé tant par l’argent perçu que par l’amour de son pays et son soutien à Franck Diongo, le requérant a distribué ces tracts sur des marchés, dans les rues et ailleurs.

2.4Le 19 janvier 2015, le requérant a participé à une manifestation dans les communes de Lingwala et de Kalamu, à Kinshasa, avec d’autres amis qu’il avait réussi à mobiliser. Au cours de cette manifestation, trois de ses amis ont été portés disparus et n’ont jamais été revus. Après la disparition de ses amis, le requérant a pris peur et renoncé à participer à la manifestation du 20 janvier 2015. Il a décidé de se cacher chez une connaissance de son grand-père à Maluku, après avoir appris que les agents de l’État envisageaient d’arrêter des jeunes impliqués dans les manifestations du 19 janvier 2015.

2.5Le 27 janvier 2015, des membres de l’Agence nationale de renseignementssont venus au domicile des grands-parents du requérant pour inviter celui-ci à se présenter au bureau de l’Agence situé à l’hôtel de ville de Kinshasa. Les grands-parents du requérant ont fait savoir aux agents que leur petit-fils était porté disparu depuis la manifestation du 19 janvier 2015 et que personne ne savait où il se trouvait. Lors de la perquisition de toute la maison, des tracts ont été trouvés dans la chambre du requérant. Les agents ont accusé le requérant auprès des grands-parents d’avoir contribué au pillage d’une parcelle appartenant à l’artiste congolais Koffi Olomide, dans la commune de Kalamu, d’avoir incité la population à la désobéissance civile et d’avoir outragé le Chef de l’État. Par suite de cette visite au domicile, les agents ont laissé entendre aux grands-parents du requérant que ses trois amis leur avaient fait savoir que le requérant les avait amenés à la manifestation. Leur libération, selon les agents, était conditionnée à l’arrestation du requérant.

2.6Le 5 février 2015, les agents sont de nouveau venus chercher le requérant à son domicile. Une procédure judiciaire a ensuite été engagée contre lui pour troubles à l’ordre public, destruction de biens publics, incitation de la population à la haine, désobéissance civile et outrage à l’autorité suprême de l’État.

2.7Craignant pour sa vie, et avec le soutien de ses grands-parents, le requérant a quitté la République démocratique du Congo le 10 février 2015. En pirogue, et de manière illégale, il s’est d’abord rendu en République du Congo, et a rejoint ensuite la Türkiye, puis la Grèce.

2.8Le 26 juin 2016, le requérant est arrivé en Suisse, où il a déposé une demande d’asile le 20 juillet 2016. Les 29 juillet 2016 et 17 juillet 2017 ont eu lieu deux auditions sur ses données personnelles et ses motifs d’asile, respectivement. Le 15 septembre 2017, le Secrétariat d’État aux migrations a rejeté la demande d’asile. Dans sa décision, ce dernier a observé que, selon la demande, le requérant voulait quitter son pays d’origine afin de rejoindre sa mère en Suisse, étant donné la santé fragile de son grand-père qui, en cas de décès, laisserait le requérant seul à Kinshasa. Le Secrétariat d’État a conclu que l’exécution du renvoi n’impliquerait pas de mise en danger concrète du requérant, vu qu’au moment de son départ de République démocratique du Congo, il habitait chez ses grands-parents, avec qui il était toujours en contact depuis son arrivée en Suisse. De plus, ses grands-parents l’avaient soutenu financièrement jusqu’à son départ de Kinshasa.

2.9Le requérant affirme avoir, lors de la procédure ordinaire d’asile, caché aux autorités suisses ses réels motifs d’asile. En tant que mineur, il ne voulait pas que sa mère soit au courant de ses activités politiques, car elle s’opposait à l’engagement politique du requérant. De plus, il ne voulait pas relater aux autorités suisses tous les faits liés à son départ de République démocratique du Congo, sur consigne de ses grands-parents, qui avaient organisé son voyage. Selon ces derniers, le fait d’alléguer ces faits auprès des autorités suisses aurait pu entraîner des conséquences pour leur sécurité, étant donné qu’ils avaient organisé le départ du requérant en toute discrétion, malgré la procédure judiciaire engagée contre lui.

2.10Le 16 octobre 2017, le requérant a formé auprès du Tribunal administratif fédéral un recours contre la décision du Secrétariat d’État aux migrations. Le 17 novembre 2017, le Tribunal a rejeté ce recours au motif que le requérant n’avait pas rendu crédible le fait qu’il existait pour lui un véritable risque d’être victime, en cas de retour dans son pays d’origine, de torture ou de traitements inhumains ou dégradants. Le Tribunal a considéré qu’il ne ressortait pas du dossier que le requérant pourrait être mis concrètement en danger pour des motifs qui lui étaient propres. Le Tribunal a observé que le requérant n’avait pas prétendu dans son recours qu’il existait pour lui un véritable risque concret et sérieux d’être victime de traitements inhumains ou dégradants en cas de renvoi. Au cours de ses auditions, le requérant avait déclaré que, à la suite du départ de sa mère de son pays d’origine, il avait organisé et financé son propre départ afin de retrouver sa mère, sachant que son grand-père était malade et n’avait plus les moyens de financer sa scolarité depuis septembre ou octobre 2015. Selon le Tribunal, à partir de 18 ans, un jeune adulte était normalement en mesure de vivre de manière indépendante, sauf circonstances particulières rendant irremplaçable l’assistance permanente de ses proches (vivant en Suisse) dans sa vie quotidienne. Le requérant était majeur, apte à travailler, sans charge de famille, et apte à mener une existence autonome. Il n’avait ni allégué ni établi un rapport de dépendance particulier avec sa mère ou sa belle-famille séjournant en Suisse. De plus, alors qu’il avait laissé entendre dans son recours qu’il avait des problèmes de santé, il n’avait pas donné plus d’indications ni produit le moindre certificat médical. Par ailleurs, lors de son audition sommaire, il avait déclaré qu’il allait bien, et n’avait fait aucune remarque portant sur son état de santé lors de la seconde audition. En tout état de cause, la République démocratique du Congo disposait d’infrastructures médicales offrant des soins médicaux essentiels, et le requérant n’avait pas établi l’existence de troubles de santé graves au point de rendre l’exécution de son renvoi inexigible. En outre, il pourrait présenter au Secrétariat d’État aux migrations, en cas de besoin, une demande d’aide au retour individuelle pour faciliter sa réinstallation dans son pays d’origine, ou afin d’obtenir, pour un laps de temps convenable, une prise en charge des soins médicaux indispensables. Enfin, malgré les troubles et les affrontements locaux qui surgissaient épisodiquement, la République démocratique du Congo ne connaissait pas, sur l’ensemble de son territoire, une situation de guerre ou de violence généralisée.

2.11Le 17 janvier 2018, le requérant a demandé la reconsidération de sa demande d’asile, au motif qu’il risquait d’être arrêté et de subir des tortures en raison des convocations de l’Agence nationale de renseignements liées à son engagement politique. En particulier, il a fait valoir qu’il était un sympathisant de Franck Diongo et qu’il était recherché par les autorités en République démocratique du Congo, pour avoir distribué des tracts hostiles au Président Kabila et participé à une manifestation de protestation à Kinshasa, en janvier 2015. À l’appui de ses allégations, le requérant a produit, sous forme de copies, deux convocations datées des 7 janvier et 5 février 2015, ainsi qu’un ordre de mission établi le 19 février 2015.

2.12Le 9 février 2018, le Secrétariat d’État aux migrations a rejeté la demande de reconsidération, au motif que les faits énoncés existaient déjà au moment de la première décision d’asile, et que le requérant n’avait pas expliqué la raison pour laquelle il n’était pas en mesure de porter les faits à la connaissance des autorités suisses durant la première procédure d’asile. En effet, le requérant n’avait jamais fait allusion à son engagement politique ou aux problèmes liés à cet engagement, ni lors de la procédure en vue du regroupement familial devant les autorités suisses, ni lors du dépôt de sa demande d’asile ou encore au stade du recours, en octobre 2017. Selon le Secrétariat d’État, la demande d’asile du requérant avait été rejetée lorsqu’il était majeur ; il aurait donc pu et dû au plus tard invoquer ses allégations de recherches menées à son égard lors de la procédure de recours. En outre, les nouveaux documents présentés avaient été produits par le requérant uniquement sous forme de copies, et il n’était pas possible d’en assurer l’authenticité, de sorte qu’ils n’avaient en soi aucune valeur probante. De plus, l’ordre de mission produit était par nature à usage interne et n’aurait jamais dû être communiqué au requérant, qui n’avait fourni aucune explication circonstanciée concernant le fait que ce document était en sa possession. Par ailleurs, l’explication du requérant pour justifier son allégation tardive de ses réels motifs d’asile était jugée illogique. En effet, s’il s’était caché durant plus d’une année en raison des recherches effectuées à son égard, sa mère, qui le contactait toutes les semaines chez ses grands-parents, se serait certainement déjà inquiétée avant son arrivée en Suisse en juin 2016. Finalement, le récit du requérant sur l’itinéraire emprunté pour quitter illégalement son pays d’origine contenait également, et sans aucune justification, des divergences.

2.13Le 9 mars 2018, le requérant a formé un recours contre cette dernière décision auprès du Tribunal administratif fédéral. Le 5 avril 2018, le Tribunal a rejeté le recours au motif que les faits motivant la demande de réexamen n’étaient ni nouveaux, ni ignorés du requérant lors de la procédure d’asile ordinaire, ni de nature à ne pas être invoqués à ce moment-là. Par ailleurs, les explications du requérant à ce sujet n’étaient pas convaincantes. En particulier, sa mère n’était pas présente lors de son audition sur ses motifs d’asile ; donc, il aurait pu invoquer sans retenue tous ses motifs d’asile. En tout cas, il aurait pu et dû les invoquer au plus tard à l’appui de son recours du 16 octobre 2017. Le Tribunal ne voyait pas en quoi le fait d’alléguer ses réels motifs devant les autorités suisses aurait pu porter préjudice à ses grands-parents en République démocratique du Congo. Indépendamment de son caractère tardif, la nouvelle version des faits ne reposait au surplus que sur de simples affirmations. Les moyens de preuve versés à l’appui de la demande de réexamen étaient dépourvus de toute valeur probante, car ils n’avaient été produits que sous la seule forme de copies et qu’il était aisé de se procurer des documents judiciaires falsifiés en République démocratique du Congo. Le Tribunal ne voyait pas en quoi la décision du Secrétariat d’État aux migrations aurait été arbitraire ou aurait violé le principe d’égalité de traitement. En effet, la décision attaquée était suffisamment explicite et motivée, d’autant que le recours du requérant ne contenait pas d’arguments susceptibles d’en remettre en cause le bien-fondé.

2.14Le requérant affirme avoir épuisé toutes les voies de recours internes et n’avoir jamais soumis sa plainte à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant soutient que l’État partie manquerait aux obligations que lui impose l’article 3 de la Convention en l’expulsant vers la République démocratique du Congo. En cas de renvoi, le requérant serait exposé à un risque réel, personnel et imminent de subir des tortures en raison de sa participation active à des manifestations organisées par des partis de l’opposition en janvier 2015. Il est poursuivi par les autorités dans son pays d’origine pour troubles à l’ordre public, destructions de biens publics, incitations de la population à la haine, désobéissance civile et outrage à l’autorité suprême de l’État. Ces infractions sont gravement punissables selon la loi. Le requérant a été dénoncé par des amis à l’Agence nationale de renseignements ; des membres de l’Agence ont alors perquisitionné le domicile de ses grands-parents et trouvé des tracts d’opposition politique qui lui appartenaient. Puisque l’Agence dépend directement de la présidence de la République démocratique du Congo et du Chef de l’État, le requérant ne ferait pas l’objet d’un procès équitable en cas de renvoi dans son pays d’origine. Les membres de l’Agence procèdent lors des interrogatoires à des actes de torture et de mauvais traitements, afin d’obtenir des aveux forcés.

3.2Plusieurs jeunes arrêtés au cours des manifestations de janvier 2015 ont été tués ou détenus dans des conditions difficiles, et privés des droits de se défendre et de recevoir des visites. Certains amis du requérant sont portés disparus depuis ces manifestations. Trois mois après les manifestations, un charnier contenant des cadavres de participants à ces manifestations a été découvert à Maluku. Selon des rapports d’organisations non gouvernementales, plusieurs cas de tortures et de mauvais traitements ont été imputés aux forces de sécurité en République démocratique du Congo.

3.3Le requérant serait immédiatement arrêté, interrogé et détenu dans un endroit inconnu, en cas de renvoi dans son pays d’origine. L’Agence nationale de renseignements dispose à Kinshasa de plusieurs cellules qui ne sont pas connues des organismes de droits humains et du Comité international de la Croix-Rouge. Les personnes qui font l’objet d’un procès politico-judiciaire y sont détenues. Les interrogatoires ne sont pas menés par des magistrats mais par des membres de l’Agence nationale de renseignements, qui cherchent à inculper les personnes qui s’opposeraient au pouvoir de l’ancien Président Kabila. Le requérant a déjà été identifié par les autorités de son pays, car celles-ci ont transmis aux autorités suisses un laissez-passer au nom du requérant dans le cadre de son expulsion anticipée.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Dans ses observations du 1er février 2019, l’État partie considère que la communication − qui est identique en substance à la demande de reconsidération de demande d’asile du 17 janvier 2018 et au recours du 9 mars 2018 déposés par le requérant − est dénuée de fondement. Le requérant n’a pas fourni d’explication concernant le fait qu’il n’a présenté ses réels motifs d’asile qu’après la fin de la première procédure d’asile. Alors qu’il était représenté par un conseil dès le début, possédait tous les éléments de preuve et avait amplement l’occasion d’étayer et de préciser ses griefs lors des auditions devant le Secrétariat d’État aux migrations, puis devant le Tribunal administratif fédéral, le requérant a préféré dissimuler ses motifs d’asile. Son argument selon lequel il ne voulait pas inquiéter sa mère ne saurait convaincre. D’une part, celle-ci n’était pas présente aux auditions, et les personnes présentes étaient tenues de respecter le secret de fonction. D’autre part, quand le requérant vivait chez ses grands-parents, il avait des contacts hebdomadaires avec sa mère. Celle-ci se serait certainement inquiétée du simple fait que le requérant se cachait, avant son arrivée en Suisse en juin 2016, pendant plus d’une année en raison des recherches menées à son égard. Le requérant n’a pas non plus fourni de détails concernant ses activités en République démocratique du Congo, ou d’éventuels harcèlements dont auraient souffert ses proches en raison de ses activités prétendues ou de sa disparition. Enfin, le requérant n’explique ni les versions divergentes portant sur son départ illégal vers la Suisse, ni la manière dont il a pu se procurer un document à usage strictement interne de l’Agence nationale de renseignements. En résumé, il ne ressort de la communication aucun élément concret rendant crédible le risque allégué par le requérant.

4.2Peu après le dépôt de la présente communication, le requérant a déposé le 31 juillet 2018 une troisième demande d’asile (deuxième demande de réexamen), dans laquelle il a fait valoir que son renvoi en République démocratique du Congo serait inexigible compte tenu de son état de santé. Cette demande, comme la précédente, est sans motif justificatif ni argument sérieux. Le comportement du requérant mérite d’être qualifié de contraire aux règles de la bonne foi.

4.3Le requérant n’allègue pas avoir subi de tortures ou de mauvais traitements par le passé, et ne fait pas non plus valoir qu’il aurait fui de manière illégale son pays d’origine en raison de menaces de torture. En outre, il ne prétend pas avoir déployé d’autres activités politiques en République démocratique du Congo, entre la manifestation du 19 janvier 2015 et son départ du pays. De plus, il a fourni des explications contradictoires au sujet de la date à laquelle il aurait quitté le pays − le 10 février 2015 selon la présente requête, le 21 mars 2016 selon le procès-verbal d’audition du 17 janvier 2017. Il n’y a pas en outre d’indices selon lesquels les membres de la famille du requérant seraient politiquement actifs. Le requérant ne prétend pas s’être livré à des activités politiques en Suisse.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires datés du 30 juin 2021, le requérant réitère ses arguments, et maintient qu’il a étayé ses griefs par des moyens de preuve. En ce qui concerne les doutes des autorités suisses sur l’authenticité des documents fournis par le requérant, les failles de forme correspondent à la réalité de la République démocratique du Congo, pays non occidental et sous-développé qui connaît des déficiences administratives. Dans l’affaire M. G. c Suisse − qui concernait également la mise en cause par le Tribunal administratif fédéral de l’authenticité des documents fournis par un demandeur d’asile −, le Comité a conclu que l’absence d’un examen effectif, indépendant et impartial constituait un manquement à l’obligation de procédure requise par l’article 3 de la Convention. De même, dans la présente affaire, ce n’est pas à juste titre que les autorités suisses ont écarté les moyens de preuve produits par le requérant.

5.2Le requérant reconnaît qu’il y a eu en République démocratique du Congo un changement de régime en décembre 2018, lors de l’élection de Félix Tshisekedi comme Président. Depuis son accession au pouvoir, il y a eu des améliorations en ce qui concerne les libertés d’expression et de manifestation. Cependant, malgré la libération de certains prisonniers politiques très connus du public et des organisations des droits humains, plusieurs prisonniers politiques et d’opinion anonymes, non connus du public et qui avaient eu des problèmes sous le régime du Président Kabila restent encore en détention. Le Tribunal administratif fédéral a déjà reconnu cette tendance.

5.3Si certains prisonniers politiques arrêtés dans le contexte des élections de décembre 2018 ont pu retrouver la liberté depuis l’élection de Félix Tshisekedi, ce n’est pas le cas de tous les prisonniers politiques non connus. Dans le cas du requérant, également non connu, rien ne permet d’admettre qu’il serait facilement acquitté des charges qui pèsent contre lui. Malgré le changement de président, le pouvoir de fait reste le même. Les mêmes services de renseignement et de sécurité mis en place par l’ancien Président restent en place. Leurs agents continuent d’obéir informellement à Joseph Kabila, qui reste donc encore présent dans les institutions de la République démocratique du Congo. L’actuel patron de l’Agence nationale de renseignements était, sous le régime de Joseph Kabila, la deuxième personnalité de l’Agence.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la requête pour ce motif ou pour toute autre raison.

6.3Ne voyant aucun obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la présente requête recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Dans le cas présent, le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant en République démocratique du Congo, l’État partie manquerait à l’obligation mise à sa charge par l’article 3 de la Convention. Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017), selon laquelle : a) l’obligation de non-refoulement existe chaque fois qu’il y a des « motifs sérieux » de croire qu’une personne risque d’être soumise à la torture dans un État vers lequel elle doit être expulsée, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre d’un groupe susceptible d’être torturé dans l’État de destination ; et b) le Comité a pour pratique de considérer qu’il existe des « motifs sérieux » chaque fois que le risque est « prévisible, personnel, actuel et réel ». Il rappelle également que la charge de la preuve incombe au requérant, qui doit présenter des arguments défendables, c’est-à-dire des arguments circonstanciés montrant que le risque d’être soumis à la torture est prévisible, actuel, personnel et réel. Toutefois, lorsque le requérant se trouve dans une situation où il ne peut pas donner de détails sur son cas, la charge de la preuve est inversée et il appartient à l’État partie concerné d’enquêter sur les allégations et de vérifier les informations sur lesquelles la requête est fondée. Le Comité accorde un poids considérable aux conclusions des organes de l’État partie ; toutefois, il n’est pas lié par ces conclusions et il apprécie librement les informations qui lui sont soumises conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, en tenant compte de toutes les circonstances de chaque cause.

7.3Le Comité note les affirmations du requérant selon lesquelles, en cas de renvoi, il serait exposé à un risque de subir des tortures en raison de sa participation à des activités politiques organisées par des opposants au régime de Joseph Kabila, l’ancien Président de la République démocratique du Congo. Le Comité observe que le requérant affirme être accusé de troubles à l’ordre public, de destruction de biens publics, d’incitation de la population à la haine, de désobéissance civile et d’outrage à l’autorité suprême de l’État. Le Comité note également les preuves soumises par le requérant à l’appui de ses allégations, notamment les copies de convocations. Il observe que, selon l’État partie, rien n’indique qu’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant serait exposé concrètement et personnellement à la torture en cas de retour en République démocratique du Congo.

7.4Le Comité prend note de l’argument du requérant selon lequel les autorités suisses en matière d’asile n’ont pas examiné de manière approfondie ses arguments, les faits pertinents et les informations actuelles sur la situation des droits humains en République démocratique du Congo. Il rappelle que le droit à un recours utile que contient l’article 3 de la Convention exige, dans ce contexte, qu’il soit possible de procéder à un examen effectif, indépendant et impartial de la décision d’expulsion ou de renvoi, une fois la décision prise, si l’on est en présence d’une allégation plausible mettant en cause le respect de l’article 3. Le Comité note que le requérant conteste les conclusions de fait tirées par les autorités suisses. Cependant, le requérant, qui était représenté par un avocat devant les autorités suisses et accompagné d’un curateur avant de devenir majeur, a eu l’occasion de présenter ses motifs d’asile durant une audition.

7.5Le Comité note ensuite que les arguments et preuves que le requérant a présentés dans ses trois demandes d’asile − basés sur des motifs divergents − et ses deux recours ont été examinés en détail par le Secrétariat d’État aux migrations et le Tribunal administratif fédéral, respectivement. Le Comité prend acte des constatations de ces dernières autorités, selon lesquelles : a) l’explication du requérant quant à la raison pour laquelle il avait dissimulé ses réels motifs d’asile lors de la première procédure était illogique pour plusieurs raisons ; b) les documents produits à l’appui de ses allégations ne l’étaient que sous forme de copies ; c) le requérant n’avait pas expliqué comment il avait pris possession de la copie de l’ordre de mission de l’Agence nationale de renseignements, qui était par nature à usage interne ; et d) le requérant avait fourni des explications divergentes quant à l’itinéraire qu’il avait emprunté pour quitter son pays d’origine. Ayant examiné le raisonnement détaillé sur lequel se sont fondées les décisions des autorités de l’État partie, le Comité considère que les informations disponibles ne lui permettent pas de conclure que le déroulement de la procédure d’asile représente une violation par l’État partie de l’obligation aux fins de l’article 3 de la Convention d’assurer un examen effectif, indépendant et impartial. En outre, le Comité observe que le requérant n’a fourni dans sa requête aucun détail sur sa troisième demande d’asile, déposée en 2018 après le dépôt de sa communication initiale, ni sur les motifs de ladite demande, qui seraient liés à sa santé.

7.6Afin de déterminer si le requérant risque de subir des tortures en cas de renvoi en République démocratique du Congo, le Comité observe tout d’abord que le requérant allègue avoir été ciblé par l’Agence nationale de renseignements en janvier et février 2015, pour son engagement politique en faveur d’un politicien qui s’opposait au régime de l’ancien Président, Joseph Kabila. Le Comité note que le requérant n’allègue pas avoir eu des contacts en personne avec les autorités en République démocratique du Congo, et qu’il n’a pas été détenu ou soumis à des actes de torture. Le Comité prend note également des incohérences dans les explications du requérant quant à la date à laquelle il aurait quitté la République démocratique du Congo − le 10 février 2015 selon la présente requête, le 21 mars 2016 selon le procès-verbal d’audition du 17 janvier 2017. Par ailleurs, le Comité considère, vu le temps écoulé (environ six ou sept ans) depuis le départ du requérant de la République démocratique du Congo, qu’il ne s’ensuit pas nécessairement que celui-ci risque d’être arrêté en cas de renvoi dans son pays d’origine aujourd’hui, même en admettant que des partisans de Joseph Kabila restent encore au pouvoir. Tout en notant les préoccupations du requérant à l’égard de la situation des droits humains en République démocratique du Congo, notamment en ce qui concerne les pratiques de l’Agence nationale de renseignements, le Comité rappelle que l’existence de violations des droits humains dans le pays d’origine n’est pas suffisante en soi pour conclure qu’un requérant court personnellement le risque d’être torturé.

7.7Eu égard aux motifs divergents des trois demandes d’asile déposées par le requérant malgré sa représentation par un conseil tout au long des procédures, à ses explications insuffisantes concernant ces motifs divergents, à l’absence d’explication quant à l’origine du document interne qu’il a produit à l’appui de ses allégations, et à ses explications insuffisantes concernant son départ de la République démocratique du Congo, le Comité conclut que le requérant n’a pas démontré qu’il existe suffisamment de motifs de croire qu’il courrait personnellement un risque prévisible, actuel et réel de subir des actes de tortures s’il était renvoyé en République démocratique du Congo.

8.Compte tenu de ce qui précède, le Comité, agissant en vertu de l’article 22 (par. 7) de la Convention, conclut que le renvoi du requérant en République démocratique du Congo ne constituerait pas une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.