Nations Unies

CAT/C/74/D/949/2019

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

14 février 2023

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 949/2019 * , **

Communication soumise par :A. S. (représenté par un conseil, Rebecca Ahlstrand)

Victime(s) présumée(s) :Le requérant

État partie :Suède

Date de la requête :26 juillet 2019 (date de la lettre initiale)

Références :Décision prise en application des articles 114 et 115 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 30 juillet 2019 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :27 juillet 2022

Objet :Expulsion du requérant de la Suède vers la République islamique d’Iran

Question(s) de fond :Risque de torture en cas d’expulsion vers le pays d’origine (non-refoulement) ; prévention de la torture

Questions(s) de procédure :Recevabilité ratione materiae

Article(s) de la Convention :3

1.1Le requérant est A. S., de nationalité iranienne, né en 1989. Sa demande d’asile dans l’État partie a été rejetée et il risque d’être expulsé vers la République islamique d’Iran. Il affirme qu’en procédant à son expulsion, l’État partie violerait les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la Convention. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention, avec effet au 8 janvier 1986. Le requérant est représenté par un conseil.

1.2Le 30 juillet 2019, en application de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant tant que la requête serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1En 2013, alors qu’il vivait en République islamique d’Iran, le requérant a commencé à s’intéresser au christianisme, sous l’influence d’un collègue de travail. Il s’est mis à assister aux réunions hebdomadaires d’une église clandestine, par l’intermédiaire de laquelle il a découvert l’Église adventiste du septième jour d’Arménie. Il s’est rendu plusieurs fois en Arménie en 2013 et 2014 et y a été baptisé en octobre 2014. En juin 2015, il a appris que les autorités iraniennes avaient découvert l’église clandestine qu’il fréquentait et que les dirigeants de cette église avaient été arrêtés par les services de renseignements. Craignant que ceux-ci ne l’aient dénoncé, il s’est enfui en Arménie le 28 juin 2015. Après y avoir passé quelques mois, il est parti vivre avec sa sœur en Suède, où il est arrivé le 10 novembre 2015. Deux semaines plus tard, sa maison en République islamique d’Iran a été perquisitionnée par des agents des services de renseignements, et sa sœur et sa mère ont été informées qu’il devait se présenter aux services de renseignements.

2.2En juin 2017, on a diagnostiqué chez le requérant une tumeur hypophysaire qui nécessitait un traitement médicamenteux d’une durée d’au moins quatre ans. S’il cessait de suivre son traitement, il risquerait de perdre la vue, voire de mourir prématurément. Par ailleurs, le requérant est instable psychologiquement et souffre de troubles post-traumatiques. À une date non précisée, il a été hospitalisé dans une clinique psychiatrique fermée en raison de pensées suicidaires et de tentatives de pendaison.

2.3Le requérant a demandé l’asile le 10 novembre 2015. Le 6 décembre 2017, l’Office suédois des migrations a rejeté sa demande. Bien qu’il ait admis que le requérant avait fréquenté une église en République islamique d’Iran et reçu le baptême en Arménie, il a conclu que la conversion du requérant n’était pas sincère et que celui-ci ne risquerait pas d’être persécuté en raison de ses convictions religieuses s’il était renvoyé.

2.4Le 18 octobre 2018, le Tribunal administratif de l’immigration de Malmö a considéré qu’il était improbable que le requérant soit soumis, du fait de ses convictions religieuses, à un traitement qui justifierait de lui accorder une protection. L’état de santé du requérant, son intégration en Suède et la situation générale des droits de l’homme en République islamique d’Iran ont également été pris en considération, mais il a été jugé qu’aucun élément ne justifiait d’accorder un titre de séjour au requérant.

2.5Le 26 novembre 2018, la Cour administrative d’appel de l’immigration a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision du Tribunal administratif de l’immigration de Malmö présentée par le requérant.

2.6Le 12 avril 2019, l’Office suédois des migrations a examiné l’allégation du requérant selon laquelle la maladie potentiellement mortelle dont il était atteint constituait un obstacle à l’exécution de l’arrêté d’expulsion. Il a conclu que la gravité de la maladie du requérant n’était pas telle que l’exécution de l’arrêté d’expulsion serait déraisonnable, que la qualité des soins de santé en République islamique d’Iran était acceptable dans l’ensemble et qu’un traitement était disponible dans ce pays.

2.7Le 12 juin 2019, le Tribunal administratif de l’immigration de Malmö a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision rendue le 12 avril 2019 par l’Office suédois des migrations présentée par le requérant.

2.8Le 28 juillet 2019, la Cour administrative d’appel de l’immigration a confirmé la décision du Tribunal administratif de l’immigration de Malmö.

2.9Le requérant affirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’en raison de sa conversion au christianisme, il serait torturé ou condamné à mort s’il était renvoyé en République islamique d’Iran. Il soutient que l’appréciation faite par les autorités suédoises de la sincérité de sa foi a été plus rigoureuse que ce qui est recommandé dans les principes directeurs du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) sur la protection internationale concernant les demandes d’asile fondées sur la religion. Selon lui, les autorités suédoises ont examiné son dossier comme s’il s’était converti sur place ; or, il ne s’est pas converti en Suède.

3.2Le requérant affirme également qu’il sera soumis à un traitement cruel, inhumain et dégradant en ce qu’il n’aura pas accès à des soins médicaux adéquats permettant de traiter sa tumeur hypophysaire et ses graves troubles de l’anxiété. À l’issue de leur appréciation, les autorités suédoises ont conclu qu’il aurait accès à des soins médicaux adéquats en République islamique d’Iran ; cependant, il considère que cela est inexact étant donné le coût très élevé des médicaments et les pénuries de médicaments dues aux sanctions imposées à ce pays.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note du 28 avril 2020, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il y soutient que l’affirmation du requérant selon laquelle il risquerait de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention s’il était renvoyé en République islamique d’Iran n’est pas étayée par le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité.

4.2L’État partie fait observer que le requérant allègue qu’il courrait le risque d’être victime de mauvais traitements non constitutifs de torture en République islamique d’Iran en raison de sa conversion au christianisme et de l’absence de soins médicaux adaptés. Il souligne toutefois que la portée de l’obligation de non-refoulement énoncée à l’article 3 ne s’étend pas aux situations de mauvais traitements envisagées à l’article 16. Partant, la communication devrait selon lui être déclarée irrecevable ratione materiae, dans la mesure où le requérant affirme qu’il risquerait d’être victime de mauvais traitements non constitutifs de torture en République islamique d’Iran.

4.3L’État partie fait également observer que le grief du requérant pourrait être interprété comme signifiant que son renvoi constituerait en soi, au vu de son état de santé, un traitement cruel, inhumain ou dégradant, en violation de l’article 16. Il rappelle que le Comité a affirmé à plusieurs reprises que ce n’est que dans des circonstances très exceptionnelles qu’un renvoi constitue en soi un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Comme l’existence de telles circonstances n’a pas été démontrée, l’État partie soutient que tout grief tiré de l’article 16 est irrecevable ratione materiae.

4.4En ce qui concerne le fond de l’affaire, l’État partie fait savoir que l’Office des migrations a eu un entretien préliminaire avec le requérant concernant sa demande d’asile le 9 mars 2016 et que le procès-verbal y relatif a été communiqué à son avocat commis d’office le 18 janvier 2017. Le 3 mars 2017, un entretien approfondi d’une durée de plus de quatre heures a eu lieu en présence de l’avocat commis d’office. Des interprètes étaient présents lors de chaque entretien, et le requérant a confirmé qu’il les comprenait bien. Le 2 octobre 2018, le Tribunal administratif de l’immigration a tenu une audience, qui a duré plus de deux heures et s’est déroulée en présence du requérant, assisté d’un interprète et de son avocat commis d’office. L’État partie affirme que le requérant a eu plusieurs occasions d’expliquer les faits et les circonstances pertinents à l’appui de sa demande et de faire valoir ses arguments, oralement comme par écrit, devant l’Office des migrations et les juridictions chargées des questions de migration. Au vu de ce qui précède, il conclut que rien ne permet d’affirmer que les décisions des autorités nationales ont été inadéquates ou que l’issue de la procédure nationale a, de quelque façon que ce soit, été arbitraire ou constitué un déni de justice, et qu’il faut accorder un poids considérable à l’avis des autorités suédoises chargées des questions de migration.

4.5En ce qui concerne la conversion de l’auteur de l’islam au christianisme, l’État partie indique que l’Office des migrations et le Tribunal administratif de l’immigration ont conclu que le requérant n’avait pas démontré de manière plausible que sa conversion reposait sur des convictions religieuses sincères et qu’il entendait vivre comme un chrétien à son retour en République islamique d’Iran, ni que les autorités iraniennes étaient au courant de celle-ci. Selon l’État partie, c’est aux demandeurs d’asile qu’il incombe de démontrer de façon plausible que leur conversion de l’islam au christianisme découle de convictions personnelles sincères. Pour déterminer si une personne a démontré qu’elle s’est véritablement convertie, en ce sens que sa conversion repose sur des convictions religieuses personnelles sincères, les autorités suédoises chargées des questions de migration procèdent à une appréciation individuelle conformément au Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, établi par le HCR.

4.6L’État partie affirme qu’en l’espèce l’Office des migrations a eu un entretien approfondi aux fins de l’asile avec le requérant et que le Tribunal administratif de l’immigration a tenu une audience pour faire le point sur la foi nouvelle du requérant, la manière dont il avait découvert le christianisme, la nature des convictions religieuses qu’il nourrissait avant ou depuis sa conversion et le lien entre elles, ainsi que toute éventuelle désaffection à l’égard de sa précédente religion. En outre, les autorités nationales ont examiné la manière dont le requérant vivait sa nouvelle religion et s’y impliquait, et ont pris en compte toute preuve corroborant son engagement dans cette nouvelle communauté de croyants et son appartenance à celle-ci. L’État partie considère que le requérant n’a démontré ni que les autorités nationales chargées des questions de migration n’avaient pas pris en compte les faits pertinents, les preuves écrites ou les facteurs de risque dans leurs appréciations ni que ces appréciations étaient arbitraires ou constitutives d’une erreur manifeste ou d’un déni de justice.

4.7En ce qui concerne les problèmes de santé du requérant, l’État partie indique que l’Office des migrations a estimé que la gravité de la maladie du requérant n’était pas telle que l’exécution de la mesure d’expulsion semblait déraisonnable et a fait observer que les médecins étaient d’avis que cette maladie pouvait être soignée. En outre, l’Office des migrations a considéré que, compte tenu de la qualité générale des soins de santé en République islamique d’Iran, rien ne laissait supposer que le requérant ne pourrait pas recevoir des soins et des traitements acceptables dans ce pays. L’État partie indique que l’Office des migrations a fondé son appréciation sur des informations tirées de rapports du Ministère suédois des affaires étrangères et de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), ainsi que d’un article paru dans la revue Archives of Iranian Medicine.

4.8L’État partie fait observer que le Comité des droits de l’homme a lui aussi adopté une approche restrictive en ce qui concerne les obligations de non-refoulement qui incombent à un État partie dans le cas où la personne concernée a des problèmes de santé, étant donné qu’il a considéré que l’état de santé de cette personne devait avoir un caractère exceptionnel. Dans l’affaire en question, l’auteur de la communication souffrait d’une maladie cardiaque chronique, pour laquelle il avait déjà subi plusieurs pontages et aurait peut-être besoin d’une autre opération. De plus, il présentait un risque élevé de suicide et était sujet à des troubles dépressifs majeurs caractérisés par une profonde tristesse, de l’insomnie, de l’anorexie et une perte de poids. Le Comité a cependant estimé qu’il ne ressortait pas du dossier que l’état de santé de l’auteur de la communication avait en soi un caractère suffisamment exceptionnel pour déclencher l’obligation de non-refoulement de l’État partie au titre de l’article 7 du Pacte.

4.9L’État partie fait également référence à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Paposhvili c. Belgique et affirme que seules des circonstances très exceptionnelles peuvent soulever un problème au regard de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) dans ce contexte. Selon l’État partie, la Cour a précisé, dans cet arrêt, que les « autres cas très exceptionnels » pouvant soulever un problème sont les cas d’éloignement d’une personne gravement malade dans lesquels il y a des motifs sérieux de croire que cette personne, bien que ne courant pas de risque imminent de mourir, ferait face, en raison de l’absence de traitements appropriés dans le pays de destination ou du défaut d’accès à ceux-ci, à un risque réel d’être exposée à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé entraînant des souffrances intenses ou à une réduction significative de son espérance de vie.

4.10L’État partie souligne qu’il n’entend pas sous-estimer les problèmes de santé invoqués par le requérant ni les préoccupations qui peuvent être exprimées au sujet des difficultés d’accès aux soins médicaux en République islamique d’Iran. Cependant, compte tenu de ce qui précède, il conclut que le requérant n’a pas démontré que son état de santé est d’une nature si exceptionnelle que son renvoi en République islamique d’Iran constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

5.1Dans une note du 28 août 2020, le requérant a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle ses griefs ne sont pas étayés par le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Il fait observer que la violation de l’article 3 de la Convention qu’il dénonce est liée à la fois à sa conversion au christianisme et au caractère exceptionnel de sa maladie, qui ne peut être soignée en République islamique d’Iran. S’agissant de sa santé, il affirme qu’en République islamique d’Iran, il risquerait de perdre la vue, voire de mourir, et de souffrir de problèmes psychiatriques graves qui, en l’absence de traitement, pourraient le pousser au suicide. Il soutient que si le Comité concluait que son renvoi vers la République islamique d’Iran en dépit de son état de santé ne pouvait être considéré comme constitutif de torture, ses graves problèmes de santé constitueraient toutefois des circonstances exceptionnelles qui l’exposerait à un traitement cruel, inhumain et dégradant, en violation de l’article 16 de la Convention.

5.2En ce qui concerne le fond de la requête, le requérant indique que lors de l’audience devant le Tribunal administratif de l’immigration qui, selon l’État partie, a duré plus de deux heures, il a eu très peu de temps pour faire part du fond de sa pensée et de ses réflexions et témoigner de la sincérité de ses convictions au Tribunal, car une grande partie de l’audience a été consacrée à l’interprétation et aux questions de l’Office des migrations et de l’avocat.

5.3Le requérant affirme que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour administrative d’appel de l’immigration, l’examen des cas de conversion devrait, lorsqu’il est question d’une conversion sur place, comprendre une appréciation individuelle, conformément aux principes directeurs du HCR sur la protection internationale concernant les demandes d’asile fondées sur la religion, ainsi qu’une appréciation globale prenant en compte toutes les circonstances entourant la conversion. Cela étant, le requérant se demande si les principes qui doivent être suivis dans les cas de conversion sur place sont applicables dans son cas. Il souligne que les autorités nationales n’ont pas contesté le fait qu’il avait reçu le baptême en Arménie en 2014. Il affirme qu’elles auraient dû lui accorder le bénéfice du doute et non pas, comme cela est exigé dans les affaires de conversion sur place, procéder à une évaluation poussée de sa crédibilité. Le requérant soutient, par conséquent, que les autorités suédoises ont eu tort d’appliquer un critère de crédibilité plus rigoureux que nécessaire en l’espèce.

5.4Le requérant fait observer que son cas diffère de celui examiné dans l’affaire de référence, dans laquelle la Cour administrative d’appel de l’immigration a établi des principes directeurs applicables aux affaires de conversion sur place, étant donné qu’il s’est converti et a été baptisé bien avant son arrivée en Suède, ce que les autorités suédoises n’ont pas mis en doute. Outre un certificat de l’Église adventiste du septième jour d’Erevan, un certificat de l’Église adventiste du septième jour de Malmö confirme son appartenance à l’Église et sa pratique continue et assidue du christianisme, ainsi que la sincérité des convictions qui l’animent depuis longtemps. De plus, il a été baptisé non pas à la hâte, mais après avoir suivi plusieurs cours en Arménie qui lui ont apporté une connaissance approfondie de la doctrine et de la vie chrétiennes. Il déclare qu’il avait parfaitement conscience des risques qu’il courait, en tant que chrétien, en République islamique d’Iran, compte tenu de ses voyages répétés et dangereux en Arménie et des règles de sécurité de l’église clandestine qu’il fréquentait. Toutefois, contrairement à la jurisprudence selon laquelle une conversion est plus crédible en présence de tels facteurs, ces faits n’ont été que très peu, voire pas du tout, pris en considération. Le requérant ajoute qu’au cours de son exposé oral lors de son entretien aux fins de l’asile il a montré qu’il avait une bonne connaissance de la doctrine et de la vie chrétiennes et qu’il pouvait donner des informations détaillées sur la personne qui l’avait guidé vers la foi chrétienne et sur son cheminement vers la conversion.

5.5Selon le requérant, le procès-verbal de l’entretien qui s’est tenu dans le cadre de la procédure d’asile le 3 mars 2017 comprend un compte rendu détaillé des réunions de l’église clandestine auxquelles il a assisté, ainsi que les adresses des lieux où elles se sont tenues, les noms des participants et même parfois des indications sur les dates et les horaires. Il constate cependant que le Tribunal administratif de l’immigration n’en a tenu aucun compte et a conclu de manière subjective qu’il n’avait pas témoigné de suffisamment de ferveur et qu’une conversion de l’islam au christianisme devait susciter une piété plus grande que celle dont il avait fait preuve. Le requérant affirme que la conclusion du Tribunal est dépourvue de fondement juridique, étant donné que la piété et la manière de l’exprimer peuvent varier considérablement d’une personne à l’autre et que d’autres éléments plus importants de son récit ont été ignorés. Partant, la décision du Tribunal est fondée sur des arguments arbitraires plutôt que sur une appréciation globale de toutes les circonstances, ainsi que l’exigent la jurisprudence nationale et les principes directeurs du HCR sur la protection internationale concernant les demandes d’asile fondées sur la religion.

5.6Par ailleurs, le requérant affirme que les autorités suédoises ont apprécié tous les facteurs de risque séparément et non dans le cadre d’une appréciation globale des risques accrus qu’il courrait en raison de la situation dans laquelle il se trouvait. Il renvoie à l’affaire Q. A. c. Suède, dans laquelle le Comité des droits de l’homme a considéré que, si les autorités suédoises avaient apprécié séparément les différents facteurs de risque, elles n’avaient pas tenu compte du fait que, pris ensemble, tous ces facteurs venaient exacerber les risques. Le Comité a conclu que les autorités n’avaient pas correctement évalué le risque réel, personnel et prévisible que l’auteur de la communication courrait s’il était renvoyé en Afghanistan, sachant que, dans ce pays, il serait considéré comme un apostat (athée) et serait particulièrement vulnérable pour cette raison et bien d’autres encore, comme la maladie mentale, le suicide et l’absence de réseau social.

5.7Le requérant affirme que, de la même manière, les risques auxquels il est exposé sont exacerbés par plusieurs facteurs, dont d’importants problèmes de santé mentale et une grave maladie nécessitant un traitement et des médicaments extrêmement coûteux et donc impossibles à obtenir en République islamique d’Iran. Il se peut, en outre, que son prosélytisme et ses activités sur Internet aient suscité l’intérêt des autorités iraniennes et que son statut de demandeur d’asile attire aussi l’attention sur lui en cas de renvoi. Le requérant soutient que ces facteurs ont été examinés non pas ensemble, mais séparément.

5.8Le requérant renvoie à un certain nombre de récents rapports nationaux concernant la République islamique d’Iran qui montrent que la surveillance des églises clandestines et des personnes n’a cessé d’augmenter et que les personnes qui font du prosélytisme et sont actives sur les réseaux sociaux et sur Internet sont susceptibles de faire l’objet d’une surveillance et de contrôles, notamment de fouilles de leur téléphone et d’enquêtes sur leurs activités sur les réseaux sociaux et sur Internet, quand elles reviennent dans le pays après un séjour dans des pays occidentaux. Il affirme qu’il courrait un risque élevé d’être arrêté et torturé en cas de renvoi, étant donné qu’il a fait œuvre de prosélytisme et appartient à un mouvement prosélyte et que le prosélytisme est considéré comme une infraction portant atteinte à la sécurité nationale en République islamique d’Iran. En outre, il a été publiquement actif sur Internet, ce que les autorités iraniennes ont remarqué puisqu’elles ont fermé son blog.

5.9En ce qui concerne sa santé, le requérant fait observer que l’avis de l’Office des migrations sur la disponibilité des soins de santé en République islamique d’Iran se fonde sur un rapport de l’OMS publié en 2006 et sur un article paru en 2017 dans la revue Archives on Iranian Medicine. Il affirme que les documents en question ne contiennent pas d’informations sur les effets que les sanctions imposées au pays ont sur la disponibilité des traitements et que, dans ces conditions, ils ne peuvent pas être considérés comme fiables. Il renvoie à un article plus récent, datant de 2018, qui fait le point sur les conséquences des sanctions ; celles-ci sont à l’origine d’une pénurie de médicaments et de traitements, y compris de médicaments contre le cancer.

5.10Enfin, le requérant fait observer que la Cour européenne des droits de l’homme, par sa décision dans l’affaire Paposhvili c. Belgique, exige que l’État de destination fournisse des garanties individuelles et suffisantes concernant la disponibilité du traitement suivi par la personne concernée, afin de garantir qu’il n’y a pas de violation de l’article 3 de la Convention. Le requérant soutient que la République islamique d’Iran n’a donné aucune garantie de ce type en l’espèce.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans une note du 22 janvier 2021, l’État partie a soumis des observations complémentaires et a fait savoir qu’il maintenait intégralement ce qu’il avait affirmé dans ses observations initiales s’agissant des faits, de la recevabilité et du fond de la requête. En ce qui concerne la recevabilité de la requête, l’État partie conteste les affirmations du requérant selon lesquelles la procédure interne est entachée d’irrégularités. Il indique que toutes les audiences devant le Tribunal administratif de l’immigration sont en grande partie consacrées à l’interprétation et aux questions posées par les parties ; cela ne signifie pas pour autant que les requérants n’ont pas la possibilité de faire valoir leurs arguments, par écrit et oralement, auprès des autorités nationales chargées des questions de migration. L’État partie réaffirme, au contraire, qu’il y a lieu de conclure que l’Office des migrations et les juridictions chargées des questions de migration disposaient d’informations suffisantes, compte tenu des faits et des pièces versées au dossier, pour apprécier à partir d’une base solide et de manière éclairée, transparente et raisonnable le besoin de protection de l’intéressé en Suède.

6.2L’État partie affirme que la conversion du requérant, la question de savoir si celui-ci serait susceptible de vivre comme un converti à son retour en République islamique d’Iran et le risque qu’on lui attribue des convictions religieuses ont fait l’objet d’une appréciation globale. L’Office des migrations et le Tribunal administratif de l’immigration ont tous deux conclu que le récit du requérant n’était pas crédible et que sa conversion ne reposait pas sur des convictions religieuses sincères. L’État partie admet que l’on peut considérer que les personnes qui retournent en République islamique d’Iran après avoir renié l’islam ou s’être converties s’exposent à un risque réel de persécution qui rend nécessaire une protection internationale. Toutefois, il maintient sa position selon laquelle, en l’espèce, le requérant n’a pas démontré de manière plausible qu’il entendait vivre comme un chrétien à son retour en République islamique d’Iran ou que les autorités iraniennes étaient au courant de sa conversion, ce qui l’exposerait à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention.

6.3En ce qui concerne l’affaire Q. A. c. Suède, à laquelle renvoie le requérant, l’État partie soutient qu’elle se distingue clairement de celle à l’examen. Dans l’affaire Q. A. c. Suède, les allégations relatives à la conversion ont été présentées après que l’arrêté d’expulsion est devenu définitif et non susceptible de recours, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En outre, l’État partie fait observer que, dans cette affaire, le Comité des droits de l’homme a attaché une grande importance au fait que le nom de l’auteur de la communication était connu non seulement de ses amis mais aussi du grand public, grâce aux médias et aux réseaux sociaux, et qu’une lettre révélant l’athéisme et l’identité de l’intéressé avait été envoyée à l’ambassade d’Afghanistan en Suède. En l’espèce, l’État partie affirme que les autorités nationales ont apprécié le risque de persécution lié non seulement à la conversion présumée du requérant mais aussi aux convictions religieuses qui sont attribuées à celui-ci.

6.4Selon l’État partie, le fait que le requérant ait mentionné des problèmes de santé dans sa demande tendant à faire constater les obstacles à l’exécution de l’arrêté d’expulsion ne change en rien la position exposée ci-dessus. L’État partie affirme que rien n’étaye l’affirmation selon laquelle les problèmes de santé du requérant devraient peser sur l’appréciation faite de sa conversion et des risques qui en découleraient, au point d’en venir à conclure que l’exécution de l’arrêté d’expulsion constituerait une violation de la Convention. Il indique que les autorités nationales chargées des questions de migration ont cherché à savoir, entre autres, si l’exécution de l’arrêté d’expulsion constituerait une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme en raison de l’état de santé du requérant et ont conclu que tel ne serait pas le cas. En outre, dans son examen, le Tribunal administratif de l’immigration a tenu compte de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Paposhvili c. Belgique.

Commentaires complémentaires du requérant

7.Le 10 juin 2022, le requérant a présenté un certificat médical, signé par un médecin spécialiste de l’hôpital universitaire de Skåne qui le suivait depuis 2017, année où il avait reçu son premier diagnostic d’adénome hypophysaire. Le médecin y indique que le requérant s’est initialement vu prescrire un traitement médicamenteux d’une durée de quatre ans. Il précise qu’à un moment donné le requérant a cessé de prendre ce traitement, ce qui a entraîné une augmentation de son taux de prolactine, mais qu’après la reprise du traitement, le taux de prolactine est revenu à la normale. Il recommande de ne pas tenter d’arrêter le traitement tant que le taux de prolactine n’aura pas été normal pendant au moins deux ans d’affilée et qu’une régression de la tumeur n’aura pas été observée. Cependant, comme aucune régression (ni progression) de la tumeur n’a été observée jusqu’à présent lors des examens d’imagerie par résonance magnétique (IRM), il estime que le requérant devra poursuivre le traitement pendant les trois ou quatre prochaines années. D’après le médecin, si le requérant ne reçoit pas le traitement médical dont il bénéficie actuellement, la tumeur risque de croître, ce qui pourrait comprimer les nerfs optiques et compromettre la vue du requérant. En outre, si le traitement médical est interrompu trop tôt, le requérant souffrira très probablement de troubles hormonaux.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer si la communication est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention lui en fait l’obligation, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité conclut donc qu’il n’est pas empêché par l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention d’examiner la communication.

8.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le requérant affirme qu’il risquerait de subir des mauvais traitements non constitutifs de torture en République islamique d’Iran en raison de sa conversion au christianisme et de l’absence de soins médicaux adaptés, alors que la portée de l’obligation de non-refoulement énoncée à l’article 3 ne s’étend pas aux situations de mauvais traitements envisagées à l’article 16. L’État partie soutient, par conséquent, que la communication devrait être déclarée irrecevable ratione materiae, puisque le requérant affirme qu’il risquerait d’être soumis à des mauvais traitements non constitutifs de torture en République islamique d’Iran. À cet égard, le Comité note que, d’après le préambule de la Convention, tout acte de torture ou toute peine ou traitement inhumain ou dégradant constitue une atteinte à la dignité humaine. En effet, les traitements cruels, inhumains et dégradants sont visés par le préambule, qui fait référence à l’article 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme ainsi qu’à l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. En s’appuyant sur ces références expresses, le Comité a pu préciser dans son observation générale no 2 (2007) que les obligations découlant de la Convention, y compris celles énoncées à l’article 3, s’appliquent tant aux actes de torture qu’à d’autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et rappeler que l’article 16 de la Convention n’est pas susceptible de dérogation. Le Comité observe que cette interprétation est corroborée par la majorité des conventions internationales qui, si elles distinguent les deux notions sur le plan terminologique, confirment le caractère absolu de l’interdiction de chacune. Il note en outre que la Convention n’enlève rien aux obligations qui incombent à l’État partie en vertu d’autres instruments relatifs aux droits de l’homme auxquels il est partie, notamment la Convention européenne des droits de l’homme, qui ne fait pas exception et associe également les deux notions dans le cadre de l’interprétation de son article 3. Dans ce contexte, le Comité souligne que la Cour européenne des droits de l’homme rappelle systématiquement le caractère impératif du principe de non-refoulement, et par conséquent de l’interdiction de transférer un demandeur vers un État où il risque d’être soumis à la torture et aux mauvais traitements. Il ressort de l’ensemble de ces règles que le droit international étend désormais l’application du principe de non-refoulement aux personnes exposées à des risques autres que la torture.

8.4Compte tenu de ce qui précède, le Comité déclare recevable la communication soumise en vertu de l’article 3 de la Convention et passe à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant en République islamique d’Iran constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

9.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en République islamique d’Iran. Pour ce faire, conformément à l’article 3 (par. 2) de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

9.4Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017), selon laquelle l’obligation de non-refoulement existe chaque fois qu’il y a des « motifs sérieux » de croire que l’intéressé risque d’être soumis à la torture dans l’État vers lequel il doit être expulsé, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre d’un groupe susceptible d’être torturé dans l’État de destination. Il rappelle que des « motifs sérieux » existent chaque fois que le risque de torture est « prévisible, personnel, actuel et réel ». Les facteurs de risque personnel peuvent comprendre, notamment : a) l’origine ethnique du requérant et son appartenance religieuse ; b) les actes de torture subis antérieurement ; c) la détention au secret ou une autre forme de détention arbitraire et illégale dans le pays d’origine ; d) l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant ; e) un mandat d’arrêt sans garantie d’un traitement et d’un procès équitables ; f) les violations du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; g) la fuite clandestine du pays d’origine à la suite de menaces de torture.

9.5Le Comité rappelle que la charge de la preuve repose sur le requérant, qui doit présenter des arguments défendables, c’est-à-dire montrer de façon détaillée qu’il court personnellement et actuellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture. Toutefois, lorsque le requérant se trouve dans une situation dans laquelle il n’est pas en mesure de donner des précisions, par exemple, lorsqu’il a démontré qu’il n’avait pas de possibilité d’obtenir les documents concernant ses allégations de torture ou lorsqu’il est privé de sa liberté, la charge de la preuve est inversée et il incombe à l’État concerné d’enquêter sur les allégations et de vérifier les renseignements sur lesquels est fondée la requête. Le Comité accorde un poids considérable aux conclusions des organes de l’État partie ; toutefois, il n’est pas lié par ces conclusions. Il apprécie librement les informations dont il dispose, conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas.

9.6Afin d’apprécier le risque de torture en l’espèce, le Comité prend note de l’affirmation du requérant selon laquelle, s’il était renvoyé en République islamique d’Iran, il risquerait d’être victime de torture en raison de sa conversion au christianisme et de la maladie dont il est atteint et pour laquelle les médicaments et les traitements font défaut dans le pays. Le Comité note que le requérant s’est intéressé au christianisme sous l’influence d’un collègue en 2013 et qu’il a été baptisé en Arménie en 2014. En 2015, les autorités iraniennes ont découvert l’église clandestine qu’il fréquentait, dont les dirigeants ont été arrêtés par les services de renseignements, ce qui l’a poussé à fuir le pays. Deux semaines après son arrivée en Suède, sa maison en République islamique d’Iran a été perquisitionnée par des agents des services de renseignements, et sa sœur et sa mère ont été informées qu’il devait se présenter aux services de renseignements.

9.7Le Comité rappelle qu’il lui appartient de déterminer si le requérant courrait actuellement le risque d’être soumis à la torture, en cas de renvoi en République islamique d’Iran. Il constate que le requérant a amplement eu la possibilité d’étayer et de préciser ses griefs devant l’Office des migrations et le Tribunal administratif de l’immigration, mais qu’il n’a pas fourni aux autorités suédoises d’éléments leur permettant de conclure qu’il risquerait de subir des actes de torture ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants à son retour en République islamique d’Iran. Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le requérant n’a pas démontré de manière plausible que sa conversion au christianisme reposait sur des convictions religieuses sincères et qu’il entendait vivre comme un chrétien à son retour en République islamique d’Iran, ou que les autorités iraniennes étaient au courant de sa conversion. À cet égard, le Comité constate que le requérant n’a produit aucun élément de preuve démontrant qu’il est recherché par les autorités iraniennes pour avoir fréquenté l’église clandestine qui a été découverte en 2015 ou en raison des opinions qu’il a exprimées sur son blog, qui, d’après lui, ont conduit à la fermeture de celui-ci.

9.8Le Comité note que le requérant conteste la décision des autorités suédoises au motif que celle-ci serait fondée sur des arguments arbitraires plutôt que sur une appréciation globale de toutes les circonstances, ainsi que l’exigent la jurisprudence nationale et les principes directeurs du HCR sur la protection internationale concernant les demandes d’asile fondées sur la religion. À cet égard, il relève que, d’après les principes directeurs du HCR, les décideurs nationaux peuvent obtenir des informations sur le rapport de l’intéressé à sa religion, en lui demandant par exemple de décrire en détail comment il l’a adoptée, quels sont les lieux de culte qu’il fréquente et les pratiques de culte ou les rituels qu’il suit, quelle importance elle revêt pour lui ou quelles sont, d’après lui, les valeurs qu’elle embrasse. En outre, il prend note du fait que l’État partie affirme que l’Office des migrations a eu un entretien approfondi avec le requérant dans le cadre de la procédure d’asile et que le Tribunal administratif de l’immigration a tenu une audience visant à faire le point sur la foi nouvelle du requérant, la manière dont il avait découvert le christianisme, la nature des convictions religieuses qu’il nourrissait avant ou depuis sa conversion et le lien entre elles, ainsi que toute éventuelle désaffection à l’égard de sa précédente religion. Les autorités suédoises ont également examiné la manière dont le requérant vivait et pratiquait sa nouvelle religion, et ont pris en compte toute preuve corroborant son engagement dans cette nouvelle communauté de croyants et son appartenance à celle-ci. Compte tenu de ce qui précède, le Comité ne saurait conclure que l’examen que les autorités ont fait du dossier du requérant n’a pas respecté les principes directeurs du HCR, a été arbitraire ou a constitué une erreur manifeste ou un déni de justice en ce qui concerne le grief selon lequel le requérant risquerait d’être soumis à la torture en raison de sa conversion au christianisme.

9.9Le Comité prend note de l’allégation du requérant selon laquelle, s’il était expulsé vers la République islamique d’Iran, il n’aurait probablement accès ni à un traitement médical spécialisé pour son adénome hypophysaire qui, s’il n’est pas soigné, peut conduire à la cécité, ni à un traitement psychiatrique pour sa dépression et sa très grande anxiété. Il note également que l’État partie a affirmé que la gravité de la maladie du requérant n’était actuellement pas telle que l’exécution de la mesure d’expulsion semblait déraisonnable et que les médecins étaient d’avis que la maladie dont il était atteint pouvait être soignée. Selon l’État partie, rien ne laisse supposer, compte tenu du niveau général des soins de santé en République islamique d’Iran, qu’il ne serait pas possible de recevoir des soins et des traitements acceptables dans le pays.

9.10Le Comité constate que les informations sur lesquelles les autorités chargées des questions de migration et les juridictions nationales se sont appuyées pour apprécier la disponibilité de soins et traitements acceptables en République islamique d’Iran proviennent de rapports publiés entre 2006 et 2017, alors que, d’après le requérant, il ressort d’un autre rapport de 2018 que les sanctions imposées au pays ont entraîné la pénurie de certains médicaments, notamment ceux utilisés dans le traitement du cancer. Cela étant, il relève que le requérant n’a fourni aucune information précise concernant la disponibilité, en République islamique d’Iran, des médicaments qu’il prend actuellement dans le cadre de son traitement. Il rappelle que c’est aux juridictions nationales qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, sauf si cette appréciation est manifestement arbitraire et constitue un déni de justice. En outre, il considère que l’état de santé du requérant n’a pas en soi un caractère suffisamment exceptionnel pour déclencher l’obligation de non-refoulement de l’État partie.

10.Compte tenu de ce qui précède et des informations dont il est saisi, le Comité considère que le requérant n’a pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour permettre de conclure que son expulsion vers son pays d’origine lui ferait courir personnellement et actuellement un risque réel et prévisible d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention.

11.Le Comité, agissant en vertu de l’article 22 (par. 7) de la Convention, conclut que le renvoi du requérant en République islamique d’Iran par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.