Comité contre la torture
Rapport sur le suivi des décisions relatives aux communications soumises au titre de l’article 22 de la Convention *
I.Introduction
1.Le présent rapport est une compilation des renseignements concernant les affaires dans lesquelles il y a eu au moins une série d’échanges entre les États parties concernés et les requérants depuis la soixante-treizième session du Comité contre la torture. Il est présenté dans le cadre de la procédure de suivi du Comité concernant les décisions relatives aux communications soumises au titre de l’article 22 de la Convention.
II.Communications
Communication no 477/2011
Aarrass c. Maroc ( CAT/C/52/D/ 4 77 / 2011 ) |
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Décision adoptée le : |
19 mai 2014 |
Violation(s) : |
Articles 2 (par. 1), 11 à 13 et 15 |
Réparation : |
Le Comité a instamment invité l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la décision, des mesures qu’il aurait prises pour donner suite aux observations qui y étaient formulées. Il a déclaré que ces mesures devaient inclure l’ouverture d’une enquête impartiale et approfondie sur les allégations de torture du requérant, et que ladite enquête devait comprendre la réalisation d’examens médicaux conformément au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul). |
2.Le 3 décembre 2021, en réponse aux commentaires du conseil du requérant en datedu 22 novembre 2019, l’État partie a rappelé ses précédentes observations et indiqué qu’Ali Aarrass avait été libéré le 2 avril 2020. Il a en outre déclaré qu’il avait fourni toutes les informations et précisions demandées par le Comité, même s’il considérait les allégations du requérant comme infondées et répétitives, et a demandé au Comité de clore le suivi relatif à la présente communication ainsi qu’à la communication no 817/2017 (voir plus bas, par. 15 à 19).
3.Le 27 mai 2022, le conseil du requérant a soumis un rapport médico-légal concernant Ali Aarrass, établi par le Groupe indépendant d’experts de médecine légale le 26 avril 2022. Il y était indiqué que le Groupe avait appliqué les normes médico-légales internationalement reconnues et les principes relatifs aux enquêtes et à l’établissement des faits afférant à la torture énoncés dans le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul). Le Groupe avait conclu que les preuves recueillies lors des évaluations physiques et psychologiques de M. Aarrass concordaient parfaitement avec les allégations de l’intéressé selon lesquelles, pendant sa détention, il avait reçu de multiples coups, avait été ligoté et s’était fait frapper les genoux avec des objets tels que des pierres. Le Groupe avait examiné deux rapports médico‑légaux antérieurs concernant M. Aarrass, établis à Rabat en décembre 2011 et novembre 2014, et les avait jugés défaillants et insatisfaisants, aucun des deux n’étant conforme aux normes médico‑légales reconnues.
4.Le Groupe indépendant d’experts de médecine légale avait recommandé d’apporter un soutien psychologique et psychiatrique à M. Aarrass, au-delà de la procédure judiciaire, afin de traiter ses troubles post-traumatiques, de surveiller son bien-être et de déceler l’apparition éventuelle d’une dépression. Il avait déclaré qu’un suivi thérapeutique spécial serait souhaitable à cette fin et qu’il fallait prendre toute mesure raisonnable pour éviter tout nouveau retard dans l’administration de la justice et l’établissement des responsabilités dans l’affaire concernant M. Aarrass, car le fait de ne pas reconnaître que celui-ci avait été victime d’actes de torture et l’impunité dont avaient jusque-là bénéficié les auteurs de ces actes avaient gravement compromis la capacité de M. Aarrass d’entamer le processus de guérison.
5.Le conseil du requérant, s’appuyant sur le rapport du Groupe indépendant d’experts de médecine légale, a demandé à l’État partie une réparation (y compris une indemnisation) au nom de son client.
6.Le 8 juillet 2022, le Comité a transmis les observations du requérant à l’État partie pour qu’il fasse part de ses commentaires, au plus tard le 8 septembre 2022.
7.Les observations et commentaires formulés au titre du suivi ont fait apparaître que la décision du Comité n’avait pas été appliquée. En outre, le Comité regrette que l’État partie se soit contenté de rappeler ses précédentes observations au lieu d’en formuler de nouvelles en réponse aux commentaires qui lui avaient été adressés par le conseil du requérant en date du 22 novembre 2019. Il a donc décidé de poursuivre le dialogue au titre du suivi et d’envisager de nouvelles mesures compte tenu des commentaires du conseil. En outre, conformément à une décision antérieure, il ferait état dans son rapport annuel de la non‑application de la décision susmentionnée.
Communication no 500/2012
Ramírez Martínez et consorts c. Mexique ( CAT/C/55 / D/5 0 0/2012 ) |
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Décision adoptée le : |
4 août 2015 |
Violation(s) : |
Articles 1, 2 (par. 1), 12 à 15 et 22 |
Réparation : |
Le Comité a instamment invité l’État partie à : a) ouvrir une enquête approfondie et efficace sur les faits de torture ; b) poursuivre, juger et condamner à des peines appropriées les personnes responsables des violations commises ; c) ordonner la remise en liberté immédiate des requérants ; d) accorder une réparation intégrale, y compris une indemnisation juste et adéquate, aux requérants et à leur famille, et faire en sorte que les requérants bénéficient de services de réadaptation les plus complets possible. Le Comité a réaffirmé la nécessité de supprimer du droit interne le régime de l’arraigo et de rendre le Code de justice militaire pleinement conforme aux arrêts de la Cour interaméricaine des droits de l’homme afin de garantir que toute affaire concernant des violations des droits de l’homme relève de la compétence exclusive des tribunaux ordinaires. |
8.Dans une lettre datée du 27 juin 2022, le conseil des requérants a affirmé que l’État partie n’avait pas adopté de mesures efficaces en réponse aux deux lettres qui lui avaient été transmises par le rapporteur du Comité chargé de la question des représailles les 23 septembre 2016 et 16 octobre 2019. En outre, le conseil a formulé des allégations selon lesquellesRamiro López Vázquez aurait subi de nouvelles représailles, pas plus tard que le 23 juin 2022.
9.Dans la première lettre, en date du 23 septembre 2016, le Rapporteur chargé de la question des représailles avait demandé à l’État partie de prendre immédiatement toutes les mesures de protection nécessaires pour garantir l’intégrité physique et morale des victimes. Le conseil des victimes a indiqué que l’État partie n’avait appliqué aucune mesure de ce type et ne s’était donc pas conformé à cette demande. Il a également indiqué que, le 28 juillet 2021, le Bureau de la coordination des affaires internationales du Ministère de l’intérieur avait proposé une réunion avec les victimes et leurs représentants. Une réunion avait eu lieu en ligne le 18 août 2021 ; au cours de celle-ci, les autorités du Bureau avaient fait part aux représentants des victimes de leur intention de procéder à une analyse des risques compte tenu des incidents passés et d’y associer le Mécanisme national de protection des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes. Le Mécanisme avait finalement effectué une analyse des risques, mais il n’avait jamais communiqué les résultats aux victimes ou à leurs représentants.
10.Dans la seconde lettre, en date du 16 octobre 2019, le Rapporteur chargé de la question des représailles avait notamment demandé à l’État partie de mener rapidement une enquête indépendante et impartiale sur les actes d’intimidation et de représailles subis par les requérants, leur famille et leurs conseils, d’effacer les casiers judiciaires des deux requérants qui avaient été libérés après la décision du Comité afin de prévenir de nouveaux actes de représailles et d’accorder sans tarder une réparation intégrale aux victimes conformément à la décision du Comité. Le conseil des requérants a déclaré que les autorités de l’État partie n’avaient pas ouvert d’enquête officielle sur les actes d’intimidation et de représailles et que l’État partie n’avait soumis au Comité aucune information indiquant qu’elles l’auraient fait et n’avait pas non plus indiqué qu’il s’était conformé aux autres demandes du Rapporteur.
11.Le fait que l’État partie n’ait pas envoyé de commentaires ou d’observations sur le fond en réponse à ces lettres constitue un manque de coopération avec le Comité et fait craindrede nouvelles violations et représailles. Le Comité a décidé de poursuivre le dialogue au titre du suivi et d’adresser à l’État partie, par l’intermédiaire du Rapporteur chargé de la question des représailles et du Rapporteur chargé du suivi des décisions adoptées au titre de l’article 22, une nouvelle demande de mesures de protection. En outre, il a décidé de faire état dans son rapport annuel de la non-application de la décision susmentionnée.
Communication no 812/2017
A., B. et C. c. Suisse ( CAT/C/71/D / 812 / 2017 ) |
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Décision adoptée le : |
21 juillet 2021 |
Violation(s) : |
Article 3 |
Réparation : |
Le Comité a estimé que, conformément à l’article 3 de la Convention, l’État partie était tenu de réexaminer la demande d’asile des requérants au regard de ses obligations au titre de la Convention et des constatations du Comité. Il a prié l’État partie de ne pas renvoyer les requérants tant que leur demande d’asile serait à l’examen. |
12.Le 13 décembre 2021, l’État partie a répondu aux observations formulées par le Comité dans sa décision du 21 juillet 2021. Il a indiqué que, le 10 décembre 2021, les requérants avaient été admis à titre provisoire, de sorte qu’ils ne risquaient plus d’être expulsés. Il a précisé qu’un étranger admis en Suisse à titre provisoire pouvait demander une autorisation de séjour après cinq ans de résidence, ce qui était généralement accordé, les autorités tenant compte du degré d’intégration de la personne et de sa situation familiale.
13.Le 8 février 2022, le conseil des requérants a soumis une autre lettre, dans laquelle il était affirmé que les autorités suisses n’avaient pas respecté la décision du Comité en accordant le statut d’admission provisoire au lieu du statut de réfugié. Les requérants avaient fait appel de la décision rendue le 10 décembre 2021 par le Secrétariat d’État aux migrations devant le Tribunal administratif fédéral. Toutefois, considérant que leur appel n’avait pas de chance d’aboutir, le Tribunal avait exigé le paiement des frais de justice. Les requérants n’étaient pas en mesure de payer ces frais et n’ont donc pas pu poursuivre la procédure.
14.Les commentaires et observations formulés au titre du suivi ont montré que l’État partie avait partiellement appliqué la décision puisqu’il s’était abstenu d’expulser les requérants mais n’avait apparemment pas réexaminé leur demande d’asile en tant que telle au regard des obligations mises à sa charge par la Convention. Par conséquent, le Comité a décidé de solliciter l’avis de l’État partiesur les dernières observations des requérants et d’envisager de nouvelles mesures après réception de ces commentaires.
Communication no 817/2017
Aarrass c. Maroc ( CAT/C/68 / D/817/2017 ) |
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Décision adoptée le : |
17 mars 2017 |
Violation(s) : |
Articles 16 et 2 (par. 1), lus conjointement avec les articles 1 et 11, et article 14 |
Réparation : |
Le Comité a invité l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre‑vingt‑dix jours à compter de la date de transmission de la décision, des mesures qu’il aurait prises pour donner suite à ses observations. Ces mesures devaient inclure le replacement du requérant en régime de groupe dans une prison plus proche de sa famille, l’ouverture d’une enquête impartiale et approfondie sur les allégations du requérant, et l’indemnisation complète, adéquate et équitable du requérant pour l’ensemble des violations de la Convention constatées et des conséquences qu’elles avaient entraînées pour lui. |
15.Le 14 juillet 2021, l’État partie a répondu à une note verbale du Comité datée du 20 mai 2021. Il a réaffirmé que les conditions de détention du requérant avant sa libération le 2 avril 2020 avaient été conformes à la loi no 23/98 sur l’organisation et le fonctionnement des établissements pénitentiaires. Il a nié que le requérant avait été placé à l’isolement. Au sujet du rapport médical que l’État partie avait joint à la note verbale, l’État partie a soutenu qu’un rapport médical général datant de 2021 ne permettait pas d’établir un lien clair avec des actes de torture qui auraient été infligés de nombreuses années auparavant.
16.L’État partie a rappelé ses observations du 23 novembre 2015, dans lesquelles il expliquait qu’un groupe de cinq médecins et professeurs de différentes spécialités avait procédé à un examen médico-légal en novembre 2014 et avait conclu que les symptômes du requérant n’étaient pas caractéristiques des méthodes de torture décritespar celui-ci. Enfin, il a rejeté les allégations du requérant selon lesquelles les autorités avaient retardé de façon injustifiée son voyage vers la Belgique après sa libération, en déclarant que les restrictions aux voyages étaient nécessaires dans le contexte de la pandémie de maladie à coronavirus (COVID‑19).
17.Dans des observations datées du 26 mai 2022, le conseil du requérant a relevé que l’État partie continuait de nier la conclusion déjà formulée par le Comité selon laquelle les conditions de détention d’Ali Aarrass avaient constitué un traitement inhumain et dégradant. Il a affirmé que le classement du requérant parmi les détenus de la catégorie A était contraire à la Convention et que l’État partie devait modifier sa législation afin de permettre aux détenus de déposer plainte pour dénoncer leur maintien à l’isolement de fait.
18.Le conseil a également contesté l’affirmation de l’État partie selon laquelle M. Aarrass avait reçu des soins médicaux adéquats pendant sa détention. À cet égard, il a indiqué que, dès son arrivée en Belgique, M. Aarrass avait dû se faire enlever huit dents qui avaient été remplacées par deux prothèses dentaires, se faire prescrire des lunettes pour des problèmes de vue et suivre une physiothérapie. Enfin, le conseil a fait référence au rapport médico‑légal établi par le Groupe indépendant d’experts de médecine légale le 26 avril 2022 (voir plus haut, par. 3 et 4) pour étayer son affirmation selon laquelle l’État partie était tenu d’accorder une réparation, y compris une indemnisation, à M. Aarrass.
19.Les observations et commentaires formulés au titre du suivi ont fait apparaître que la décision du Comité n’avait pas été appliquée. Le Comité a décidé de poursuivre le dialogue au titre du suivi, de même que le dialogue concernant la communication no 477/2011 (voir plus haut, par. 2 à 7).