Nations Unies

CCPR/C/LAO/CO/1

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

23 novembre 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Observations finales concernant le rapport initial de la République démocratique populaire lao *

1.Le Comité des droits de l’homme a examiné le rapport initial de la République démocratique populaire lao (CCPR/C/LAO/1) à ses 3504e et 3505e séances (voir CCPR/C/SR.3504 et 3505), les 11 et 12 juillet 2018. À sa 3519e séance, le 23 juillet 2018, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial de la République démocratique populaire lao, bien qu’il ait été soumis avec six années de retard, et les renseignements qu’il contient. Il apprécie l’occasion qui lui a été offerte d’engager un dialogue constructif avec la délégation de haut niveau de l’État partie au sujet des mesures prises depuis l’entrée en vigueur du Pacte pour appliquer les dispositions de cet instrument. Il remercie l’État partie de ses réponses écrites (CCPR/C/LAO/Q/1/Add.1) à la liste de points (CCPR/C/LAO/Q/1), qui ont été complétées oralement par la délégation.

B.Aspects positifs

3.Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption par l’État partie des mesures législatives, institutionnelles et gouvernementales ci-après :

a)L’introduction d’un chapitre sur les droits fondamentaux dans la Constitution modifiée de 2015 ;

b)L’adoption du plan d’action national 2014-2020 pour la prévention et l’élimination de la violence à l’égard des femmes et des enfants.

4.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a ratifié les instruments internationaux ci-après :

a)La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le 26 septembre 2012 ;

b)La Convention relative aux droits des personnes handicapées, le 25 septembre 2009.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Application du Pacte au niveau national

5.Le Comité prend note du caractère dualiste de l’ordonnancement juridique de l’État partie et de la primauté des obligations découlant des traités établie dans la nouvelle loi relative aux traités et aux accords internationaux, ainsi que des efforts faits pour résoudre les conflits entre le droit interne et les obligations découlant des traités au moyen du réexamen de certains textes législatifs, mais il constate avec préoccupation que des décalages subsistent entre le cadre juridique interne et le Pacte. Il s’inquiète aussi de constater que les agents de l’État, les procureurs, les juges et les avocats semblent avoir encore une connaissance limitée du Pacte malgré les différentes initiatives de formation mises en œuvre ces dernières années, et qu’aucune décision des tribunaux ne se réfère au Pacte dans l’application ou l’interprétation du droit interne. Le Comité regrette que l’État partie ne soit pas prêt à ratifier le premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte (art. 2).

6. L’État partie devrait procéder à une révision globale de sa législation en vue de mettre en évidence les dispositions qui s’écartent ou vont à l’encontre de celles du Pacte, et faire en sorte que tous les droits énoncés dans le Pacte aient plein effet juridique dans l’ordre interne. Il devrait renforcer les mécanismes et procédures visant à garantir la conformité au Pacte des projets de loi et intensifier ses efforts pour dispenser au sujet du Pacte une formation spécialisée adéquate et effective aux agents de l’État, aux membres de l’Assemblée nationale, aux procureurs, aux juges et aux avocats de façon qu’ils appliquent et interprètent la législation nationale à la lumière du Pacte. L’État partie devrait également envisager de ratifier le premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte, qui établit une procédure de présentation de communications individuelles.

Institution nationale des droits de l’homme

7.Le Comité prend note de l’existence d’organismes gouvernementaux nationaux chargés de la question des droits de l’homme, notamment du Comité directeur national des droits de l’homme, de la Commission nationale pour la promotion des femmes, des mères et des enfants et de la Commission nationale pour les personnes handicapées et les personnes âgées. Il regrette qu’aucune de ces institutions ne soit un organisme indépendant conforme aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris) (art. 2).

8. L’État partie devrait engager le processus visant à établir une institution nationale des droits de l’homme chargée de protéger l’ensemble des droits de l’homme qui soit pleinement conforme aux Principes de Paris et qui fonctionne en toute indépendance et transparence et avec efficacité pour promouvoir et protéger les droits de l’homme.

Réserves

9.Le Comité prend note de la réserve de l’État partie à l’article 22 du Pacte et de ses déclarations interprétatives concernant l’article premier et l’article 18, ainsi que de son affirmation selon laquelle il est en train de reconsidérer la nécessité de leur maintien (art. 2).

10. L’État partie devrait revoir les justifications et la nécessité du maintien de sa réserve et de ses déclarations interprétatives en vue de leur retrait.

État d’urgence

11.Le Comité relève avec préoccupation que les règles régissant l’état d’urgence, notamment la loi sur la défense nationale, ne définissent pas les dérogations et restrictions aux droits de l’homme permises en cas d’état d’urgence et n’interdisent pas expressément de déroger aux dispositions du Pacte qui ne sont pas susceptibles de dérogation (art. 4).

12. L’État partie devrait aligner pleinement sa législation régissant l’état d’urgence sur les dispositions de l’article 4 du Pacte, suivant l’interprétation donnée par le Comité dans son observation générale n o  29 (2001) concernant les dérogations aux dispositions du Pacte pendant un état d’urgence, en particulier à celles qui ne sont pas susceptibles de dérogation, et recourir seulement aux dérogations qui sont strictement exigées par la situation.

Lutte contre le terrorisme

13.Le Comité s’inquiète de la définition trop large du terrorisme donnée dans le cadre juridique national, et en particulier de la large définition du terrorisme donnée à l’article 7 de la loi sur le blanchiment d’argent et la lutte contre le financement du terrorisme. Il regrette en outre l’absence d’information sur les garanties juridiques octroyées aux personnes soupçonnées ou inculpées d’infractions terroristes ou d’infractions connexes (art. 2, 9 et 14).

14. L’État partie devrait réviser la large définition du terrorisme énoncée dans la loi sur le blanchiment d’argent et la lutte contre le financement du terrorisme et veiller à ce que toute disposition législative existante ou nouvelle contre le terrorisme soit pleinement conforme au Pacte et aux principes de légalité, de certitude, de prévisibilité et de proportionnalité et à ce que les personnes soupçonnées ou inculpées d’infractions terroristes ou d’infractions connexes bénéficient, en droit et en pratique, de toutes les garanties juridiques, conformément au Pacte.

Non-discrimination

15.Le Comité constate que l’article 35 de la Constitution et d’autres textes de loi interdisent la discrimination, mais il est préoccupé de voir que le cadre législatif en place n’offre pas une protection globale contre la discrimination pour tous les motifs interdits par le Pacte, y compris la discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’opinion politique ou toute autre opinion, la fortune, la naissance, l’orientation sexuelle, l’identité de genre et d’autres situations (art. 2 et 26).

16. L’État partie devrait prendre des mesures, notamment envisager d’adopter une loi globale contre la discrimination, pour garantir que le cadre juridique dans ce domaine offre une protection adéquate et effective, sur le fond et quant aux procédures, contre toutes les formes de discrimination, y compris dans la sphère privée, pour tous les motifs interdits par le Pacte, et offre à toutes les victimes de discrimination un accès à des recours utiles et appropriés.

Peine de mort

17.Le Comité salue le moratoire sur les exécutions existant de fait depuis 1989 mais demeure préoccupé de voir que les tribunaux continuent de prononcer des condamnations à mort, principalement pour des infractions liées à la drogue. Il constate aussi que, si les articles prévoyant la peine de mort sont moins nombreux dans le projet de code pénal que dans le Code précédent (12, contre 18), la peine de mort est toujours prévue pour des crimes, notamment des crimes liés à la drogue, qui ne répondent pas au critère des « crimes les plus graves » au sens du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte (art. 6).

18. L’État partie devrait maintenir le moratoire sur les exécutions et envisager avec toute l’attention voulue d’abolir légalement la peine de mort. En attendant, il devrait procéder à une révision globale de sa législation dans ce domaine pour garantir que la peine de mort ne puisse être imposée que pour les crimes les plus graves, à savoir uniquement pour les crimes d’une gravité extrême comprenant la commission d’un homicide volontaire, et que, en tout état de cause, elle ne soit jamais imposée en violation du Pacte, notamment en violation des garanties d’un procès équitable. L’État partie devrait également envisager de ratifier le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort, ou d’y adhérer.

Disparitions forcées

19.Le Comité est préoccupé par l’absence de cadre juridique définissant et érigeant en infraction tous les actes de disparition forcée, et par l’impunité dont jouissent généralement les auteurs de tels actes. Il regrette la rareté des informations fournies par l’État partie sur les mesures prises et les progrès réalisés s’agissant de l’enquête sur la disparition forcée d’une figure éminente de la société civile, Sombath Somphone, qui aurait été vu pour la dernière fois à un contrôle de police le 15 décembre 2012 et dont l’enlèvement aurait été filmé par une caméra de vidéosurveillance. Le Comité constate aussi avec préoccupation que l’État partie n’a pas donné d’informations sur les enquêtes concernant le sort et le lieu où se trouvent d’autres victimes présumées de disparition forcée, dont Kha Yang, Wuthipong Kachathamakul, Bouavanh Chanhmanivon et Keochay, Kingkeo Phongsely, Somchit, Soubinh, Souane, Sinpasong, Khamsone, Nou, Somkhit et Sourigna, Somphone Khantisouk et plusieurs membres de la communauté Hmong. LeComité constate avec préoccupation que la délégation rejette purement et simplement ces allégations et a critiqué les sources qui font état des disparitions forcées en question lors du dialogue avec le Comité (art. 2, 6, 7, 9, 14 et 16).

20. L’État partie devrait :

a) Ériger effectivement la disparition forcée en infraction pénale, conformément aux normes internationales, et garantir l’application dans la pratique des dispositions pénales correspondantes ;

b) Intensifier ses efforts pour mener des enquêtes approfondies, crédibles, impartiales et transparentes sur la disparition forcée de Sombath Somphone et sur tous les autres cas de disparition forcée présumée, notamment des personnes susmentionnées, afin de faire la lumière sur le sort de ces personnes et sur l’endroit où elles se trouvent et d’identifier les responsables ;

c) Veiller à ce que les victimes et leur famille soient régulièrement informées des progrès et des résultats de ces enquêtes et reçoivent les documents administratifs officiels prescrits par les normes internationales ; et à ce qu’elles obtiennent une réparation intégrale, y compris des moyens de réadaptation, une indemnisation adéquate et des garanties de non-répétition ;

d) Veiller à ce que les auteurs soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines proportionnées à la gravité de leur crime ;

e) Dispenser aux membres des forces de sécurité et de l’appareil judiciaire et aux autres agents chargés de faire appliquer la loi une formation spécialisée appropriée concernant les moyens d’enquêter sur les cas de disparition forcée et de traiter efficacement ces cas, y compris les normes internationales applicables en la matière ;

f) Honorer l’engagement qu’il a pris à l’issue des examens périodiques universels du Conseil des droits de l’homme de 2010 et 2015 de ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Mortalité maternelle, interruption volontaire de grossesse et santé procréative

21.Tout en prenant note de la baisse de la mortalité maternelle et des efforts faits pour améliorer les soins prénatals et les soins obstétricaux postnatals, le Comité demeure préoccupé par le taux toujours élevé de la mortalité maternelle. Il s’inquiète aussi de voir que, selon l’article 92 du Code pénal, l’avortement constitue une infraction, sauf lorsque la vie de la femme est menacée, et que les avortements non sécurisés, qui mettent en danger la vie et la santé des femmes et contribuent à la mortalité maternelle, sont apparemment fréquents. Le Comité s’inquiète également des informations faisant état d’un taux élevé de grossesse parmi les adolescentes et de l’accès limité de ce groupe d’âge à des services et à des informations sur la santé sexuelle et procréative (art. 3, 6, 7, 17 et 26).

22. L’État partie devrait :

a) Redoubler d’efforts pour réduire effectivement la mortalité maternelle, notamment la mortalité due aux avortements non sécurisés ;

b) Modifier sa législation en vue de garantir un accès effectif à des avortements sécurisés et légaux lorsque la vie ou la santé de la femme ou de la fille enceinte est menacée ou dans les cas où la grossesse menée à terme causerait à la femme ou à la fille des douleurs ou des souffrances importantes, surtout lorsque la grossesse est le résultat d’un viol ou d’un inceste ou lorsque le fœtus n’est pas viable, et veiller à ce que les femmes et les filles qui subissent un avortement ainsi que le personnel médical qui les assiste ne fassent pas l’objet de sanctions pénales ;

c) Renforcer et multiplier les programmes d’éducation sur la santé sexuelle et procréative à l’intention des femmes, des hommes et des adolescents, et veiller à ce que les femmes et les adolescentes aient accès dans tout le pays à des services de santé sexuelle et procréative appropriés, y compris à des méthodes de contraception adaptées et abordables.

Torture et mauvais traitements et conditions de détention

23.Le Comité relève avec préoccupation que la définition de la torture et la pénalisation des actes de torture dans la législation pénale de l’État partie ne satisfont pas aux prescriptions de l’article 7 du Pacte, et prend note à cet égard de l’affirmation de l’État partie selon laquelle le projet de code pénal actuellement à l’examen définit la torture comme une infraction autonome. Le Comité est préoccupé par des allégations concordantes, quoique rejetées par l’État partie, indiquant que certains châtiments infligés dans les prisons et les centres de détention pour toxicomanes s’apparentent à des actes de torture et des mauvais traitements. Selon ces allégations, des détenus auraient notamment les jambes enserrées dans un carcan de bois durant de longues périodes, seraient roués de coups et brûlés avec des cigarettes sur différentes parties du corps, et il y aurait eu des décès en détention (art. 2, 6, 7 et 10).

24. L’État partie devrait prendre des mesures énergiques pour éradiquer la torture et les mauvais traitements et, plus précisément pour :

a) Mettre la définition de la torture, notamment dans le projet de code pénal à l’examen, en conformité avec l’article 7 du Pacte et les autres normes internationales, de préférence en en faisant une infraction autonome imprescriptible emportant des peines proportionnées à la gravité du crime commis ;

b) Dispenser aux membres des forces de sécurité et de l’appareil judiciaire et aux agents chargés de faire appliquer la loi une formation effective sur la prévention de la torture et le traitement humain des détenus ;

c) Garantir que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements et tous les cas de décès en détention fassent promptement l’objet d’enquêtes approfondies menées par un organisme indépendant et impartial, que les auteurs de ces actes soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines proportionnées à la gravité du crime commis, et que les victimes et, le cas échéant, leur famille, obtiennent une réparation intégrale, y compris des moyens de réadaptation et une indemnisation adéquate.

25.Le Comité prend note des projets visant à construire de nouveaux centres de détention et établissements pénitentiaires pour réduire la surpopulation carcérale et des efforts faits par le Ministère de la sécurité publique pour améliorer les conditions de détention, mais il demeure préoccupé par les conditions apparemment pénibles qui règnent dans plusieurs prisons à cause d’une forte surpopulation, d’une alimentation et de soins médicaux insuffisants et de placements à l’isolement prolongés pendant parfois plusieurs années. Il observe aussi avec préoccupation que le Bureau du procureur général populaire est la seule autorité compétente pour le contrôle et l’inspection des centres de détention et des établissements pénitentiaires (art. 7 et 10).

26. L’État partie devrait :

a) Éliminer la surpopulation dans les lieux de détention, notamment en recourant à des mesures non privatives de liberté conformément au Pacte et à d’autres normes internationales telles que les Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) ;

b) Redoubler d’efforts pour améliorer les conditions de détention conformément au Pacte et à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) ;

c) S’abstenir de placer des détenus à l’isolement, sauf dans des circonstances tout à fait exceptionnelles pour des périodes strictement limitées lorsque cette mesure est objectivement justifiable et proportionnée ;

d) Établir un mécanisme pleinement indépendant et efficace pour contrôler et inspecter régulièrement tous les lieux de privation de liberté, et autoriser et faciliter les visites de surveillance d’organisations indépendantes.

Arrestation et détention arbitraires et contrôle judiciaire de la détention

27.Le Comité prend note avec préoccupation des informations faisant état : a) d’arrestations arbitraires, de placements en détention sans accusation et de détentions provisoires pendant des périodes excédant la durée légale, comme indiqué dans un rapport d’une commission de l’Assemblée nationale diffusé en 2015, et du fait que les détenus sont privés d’accès à un avocat pendant de très longues périodes ; b) de l’arrestation arbitraire et de la détention sans procès équitable de toxicomanes et de mendiants, de sans-abri, d’enfants des rues et de personnes présentant des handicaps intellectuels ou psychosociaux dans des centres de détention pour consommateurs de drogues. Il s’inquiète aussi de constater que, dans la législation de l’État partie : a) le placement en détention provisoire de personnes arrêtées ou détenues du chef d’une infraction pénale est autorisé par un procureur qui décide aussi de toute extension de ladite détention ; b) c’est un procureur et non un juge qui décide de la légalité de la détention des personnes privées de liberté (art. 9).

28. L’État partie devrait rendre sa législation et sa pratique conformes à l’article 9 du Pacte, compte tenu de l’observation générale n o  35 (2014) du Comité sur la liberté et la sécurité de la personne. En particulier, il devrait faire en sorte :

a) Que toute personne arrêtée ou détenue jouisse dans la pratique des garanties juridiques fondamentales énoncées à l’article 9 du Pacte, dès le début de la privation de liberté, ainsi que d’un accès prompt à un conseil, et qu’il soit statué sur la légalité de sa détention par un tribunal, conformément au paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte ;

b) Que tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale soit traduit devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires dans un délai de quelques jours, normalement quarante-huit heures, afin que la détention de cette personne fasse l’objet d’un contrôle judiciaire, qu’il soit effectivement mis fin à la détention provisoire d’une durée excessive, et que les intéressés soient jugés dans un délai raisonnable ou libérés. À cet égard, le Comité appelle l’attention de l’État partie sur les paragraphes 32 et 33 de son observation générale n o  35, dans laquelle il affirme notamment que le procureur ne peut pas être considéré comme une autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires au sens du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte ;

c) Que les principes de légalité et de proportionnalité soient strictement respectés dans toute décision restreignant le droit à la liberté et à la sécurité de la personne, et que les droits à un procès équitable soient pleinement respectés.

Indépendance du pouvoir judiciaire et procès équitable

29.Le Comité est préoccupé par : a) l’influence et le contrôle exercés sur le pouvoir judiciaire par le parti au pouvoir, du fait, entre autres choses, des procédures de nomination, de transfert et de révocation des juges et des procureurs ; b) la surveillance, inscrite dans la Constitution, des tribunaux populaires et du Bureau du Procureur par l’Assemblée nationale, et, notamment, la compétence de renvoyer des décisions aux tribunaux en cas de constatation d’irrégularités ; c) les allégations de violation des garanties d’un procès équitable dans la pratique, notamment du droit d’être informé promptement des charges retenues, et de non‑respect de la présomption d’innocence ; d) les informations faisant état du rôle passif de l’avocat de la défense pendant le procès (art. 2 et 14).

30. L’État partie devrait faire le nécessaire pour éliminer toutes les formes d’ingérence dans le système judiciaire par le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, et protéger la totale indépendance et la pleine impartialité du pouvoir judiciaire en droit et dans la pratique, notamment en faisant en sorte que les procédures de sélection, de nomination, de promotion, de suspension, de révocation et de sanction disciplinaire à l’égard des juges et des procureurs soient conformes aux dispositions du Pacte et aux normes internationales pertinentes, et en revoyant le rôle de contrôle de l’Assemblée nationale sur les décisions de la magistrature et des tribunaux, afin de garantir le plein respect du principe de sécurité juridique et de séparation des pouvoirs. L’État partie devrait veiller à ce que les accusés disposent de toutes les garanties d’un procès équitable, dont l’assistance réelle par un défenseur, et faire en sorte que la présomption d’innocence soit strictement respectée dans la pratique.

Liberté de religion

31.Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de persécution et de discrimination à l’égard des chrétiens, y compris d’arrestations arbitraires (art. 9, 18 et 26).

32. L’État partie devrait garantir l’exercice effectif de la liberté de religion dans la pratique, notamment la protection des chrétiens contre toute forme de persécution ou de discrimination fondée sur leur religion, et sanctionner les actes de ce type.

Liberté d’expression et droit de réunion pacifique

33.Le Comité est préoccupé par les lois et pratiques qui ne respectent manifestement pas les principes de sécurité juridique, de nécessité et de proportionnalité énoncés dans le Pacte et rappelle que, dans le cadre du débat public concernant des personnalités du domaine politique et des institutions publiques, le Pacte accorde une importance particulière à l’expression sans entraves (voir l’observation générale no 34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, par. 38). Le Comité déplore les restrictions graves à la liberté d’opinion et à la liberté d’expression ainsi qu’au droit de réunion pacifique, qui entravent l’avènement d’un espace civil où les individus puissent exercer réellement leurs droits de l’homme et les promouvoir sans craindre de subir des sanctions ou des représailles. Ces restrictions comprennent :

a)La définition floue et large des infractions de diffamation orale ou écrite et d’injure (art. 94 et 95 du Code pénal), de « propagande contre la République démocratique populaire lao » (art. 65 du Code pénal), et de « rassemblements visant à perturber l’ordre social » (art. 72 du Code pénal), et leur utilisation pour entraver la liberté d’opinion, la liberté d’expression et le droit de réunion pacifique ;

b)L’incrimination, en vertu du décret no 327 du 16 septembre 2014, des critiques formulées en ligne contre le Gouvernement et contre le Parti révolutionnaire populaire lao ou de la diffusion de fausses informations ou d’informations trompeuses en ligne ;

c)Le contrôle exercé par l’État sur les médias, y compris sous la forme de restrictions qui viseraient à garantir le respect et la promotion strictes des politiques publiques introduites par les modifications apportées en 2016 à la loi relative aux médias de 2008 et par le décret relatif à la gestion des médias étrangers de novembre 2015, qui exige entre autres choses la soumission des documents pour approbation par les autorités avant publication ;

d)La liste large et étendue des contenus interdits dans les lois existantes régissant les médias et les publications, qui favorise l’autocensure, et les sanctions en cas de publication de contenus non approuvés par les autorités publiques ;

e)Les informations faisant état d’arrestations et de détentions arbitraires, de procès non équitables et de condamnations pénales à la suite de l’expression d’une opposition politique et de critiques contre les autorités ou les politiques publiques, notamment par Internet (malgré les arguments de l’État partie selon lesquels ces cas ne concernent pas la liberté d’expression), comme le cas de Bounthanh Thammavong, qui a été condamné à quatre ans et neuf mois d’emprisonnement pour avoir publié sur Facebook un article critique sur le Gouvernement, et ceux de Somphone Phimmasone, Lodkham Thammavong et Soukan Chaithad, condamnés à des peines d’emprisonnement de douze à vingt ans pour avoir publié sur Internet des propos critiques sur le Gouvernement et avoir participé à une manifestation pacifique à Bangkok contre les politiques de l’État partie (art. 9, 14, 19 et 21).

34. L’État partie devrait revoir ses lois et ses pratiques pour garantir la pleine jouissance de la liberté d’expression et de réunion pacifique pour tous dans la pratique, notamment :

a) En veillant à ce qu’aucune restriction à l’exercice de la liberté d’expression et de réunion pacifique ne soit contraire aux conditions strictes énoncées aux articles 19 et 21 du Pacte ;

b) En abrogeant ou en modifiant les dispositions pénales donnant une définition floue et large des infractions susmentionnées, pour garantir le respect du principe de la sécurité juridique, et en s’abstenant d’utiliser de telles dispositions pour supprimer les libertés de conduite et d’expression protégées par le Pacte ;

c) En envisageant de dépénaliser la diffamation et, en tout état de cause, en limitant l’application de la loi pénale aux affaires les plus graves, étant entendu que l’emprisonnement ne constitue jamais une peine appropriée pour cette infraction, comme il est précisé dans l’observation générale n o  34 ;

d) En encourageant la pluralité d’opinions dans les médias et en garantissant la liberté de fonctionnement de ces derniers, sans ingérence indue de l’État.

Liberté d’association

35.Le Comité est préoccupé par les restrictions imposées à la liberté d’association et, plus précisément, par : a) la longueur et la lourdeur de la procédure d’enregistrement des associations à but non lucratif, incluant un contrôle intrusif, et le fait qu’aucune association de défense des droits de l’homme ne serait enregistrée ; b) l’étendue des pouvoirs que le décret no 238, de novembre 2017, relatif aux associations, confère aux autorités publiques s’agissant de contrôler et d’entraver les activités des associations, le fait qu’il ne puisse pas être fait appel des décisions de dissoudre des associations et l’incrimination des associations non enregistrées ; c) le décret no 13 et les directives no 1064/MFA.IOD.3, qui autorisent seulement le fonctionnement des organisations non gouvernementales internationales qui s’inscrivent dans la ligne des objectifs et des politiques du Gouvernement (art. 19 et 22).

36. L’État partie devrait donner pleinement effet, dans la pratique, à la garantie constitutionnelle de la liberté d’association et réviser les lois, règlements et pratiques pertinents en vue de les rendre pleinement conformes aux dispositions de l’article 22 du Pacte.

Participation aux affaires publiques et droit de vote

37.Le Comité prend note du rôle directeur du Parti révolutionnaire populaire lao défini dans la Constitution et considère que les principes et procédures régissant la nomination des candidats aux élections, auxquels s’ajoutent les restrictions à la liberté d’expression, la liberté de réunion et la liberté d’association mentionnées aux paragraphes 33 à 36 ci-dessus, ne garantissent pas les droits des citoyens de prendre réellement part à la direction des affaires publiques, et de voter et d’être élu, protégés par l’article 25 du Pacte. Il rappelle que, bien que le Pacte n’impose aucun système électoral particulier, tout système adopté par un État partie doit être compatible avec les droits protégés par l’article 25 et doit garantir effectivement la libre expression du choix des électeurs (voir l’observation générale no 25 (1996) sur la participation aux affaires publiques et le droit de vote, par. 21). Le Comité est aussi préoccupé par le fait que les personnes présentant un handicap intellectuel ou psychosocial et les détenus purgeant une peine ne peuvent ni voter ni se présenter aux élections ; il rappelle que le refus pur et simple du droit de vote des personnes purgeant une peine d’emprisonnement ne respecte pas les dispositions du paragraphe 3 de l’article 10, lu conjointement avec l’article 25 du Pacte (art. 10, 25 et 26).

38. L’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour donner pleinement effet aux droits des citoyens de prendre véritablement part à la direction des affaires publiques, et de voter et d’être élu, protégés par l’article 25 du Pacte. Il devrait aussi faire en sorte que la législation électorale n’établisse pas de discrimination à l’égard des personnes présentant un handicap intellectuel ou psychosocial en leur refusant le droit de vote pour des raisons disproportionnées ou qui n’ont pas de rapport raisonnable ou objectif avec leur capacité de voter, et revoir la législation qui refuse le droit de vote à tous les détenus condamnés.

Droits des personnes appartenant à une minorité

39.Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de la réinstallation forcée d’un certain nombre de communautés appartenant à des minorités ethniques, conséquence de l’accaparement de terres et de concessions foncières pour des projets de développement tels que la construction de barrages hydroélectriques, des activités d’extraction minière ou l’établissement de zones économiques spéciales, qui empêchent ces communautés d’utiliser pleinement leurs terres et leurs ressources, et pèsent considérablement sur leurs moyens d’existence et leur mode de vie. Le Comité prend note des lois et politiques pertinentes existantes, mais relève avec préoccupation que nombre des terres traditionnelles auraient été affectées à des projets de développement sans consultation préalable des communautés touchées ni indemnisation adéquate ou mise à disposition d’un site de réinstallation ; en outre, des renseignements font état d’arrestations et de détentions arbitraires d’agriculteurs et de villageois qui protestaient contre les concessions et locations de terres, comme dans le cas des agriculteurs du village de Yeup, dans le district de Thateng. Le Comité prend aussi note avec préoccupation des informations reçues selon lesquelles les autorités persécuteraient le groupe ethnique Hmong, dont les allégations de détentions et de disparitions forcées d’hommes de cette ethnie (voir par.19 ci-dessus) et de problèmes de malnutrition et de manque d’accès aux soins de santé (art. 2, 6, 7, 9, 14, 16, 17, 26 et 27).

40. L’État partie devrait :

a) Prendre toutes les mesures nécessaires pour qu’une véritable concertation ait lieu avec les communautés, afin d’obtenir leur consentement libre, préalable et éclairé en cas de projets de développement ayant des répercussions sur leur mode de vie, leurs moyens d’existence et leur culture ;

b) Faire en sorte que les communautés participent à tout processus concernant leur réinstallation , que cette réinstallation ait lieu dans le respect des normes internationales pertinentes, en particulier le principe de non-discrimination, le droit d’être informé et consulté, le droit à un recours effectif, et le droit à des sites de réinstallation adéquats, compte dûment tenu de leur mode de vie traditionnel et, le cas échéant, de leurs droits sur les terres ancestrales ; prévoir également une indemnisation appropriée lorsque la réinstallation n’est pas possible ;

c) Mettre fin à la persécution des membres de la minorité ethnique Hmong et, plus particulièrement , aux arrestations, détentions arbitraires et disparitions forcées, et mener des enquêtes efficaces sur pareils actes, traduire leurs auteurs en justice et indemniser pleinement les victimes ou les membres de leur famille  ; enfin, prendre des mesures énergiques pour garantir l’accès effectif des Hmong à une alimentation et à des soins de santé adéquats, sans discrimination.

D.Diffusion et suivi

41. L’État partie devrait diffuser largement le texte du Pacte, de son rapport initial, des réponses écrites à la liste des points établie par le Comité et des présentes observations finales auprès des autorités judiciaires, législatives et administratives, de la société civile et des organisations non gouvernementales présentes dans le pays, ainsi qu’auprès du grand public afin de les sensibiliser aux droits consacrés par le Pacte. L’État partie devrait faire en sorte que le rapport initial et les présentes observations finales soient traduits dans sa langue officielle.

42. Conformément au paragraphe 5 de l’article 71 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à faire parvenir, le 27 juillet 2020 au plus tard, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 20 (disparitions forcées), 38 (participation aux affaires publiques et droit de vote) et 40 (droits des personnes appartenant à une minorité).

43.Le Comité demande à l’État partie de lui soumettre son prochain rapport périodique le 27 juillet 2022 au plus tard et d’y faire figurer des renseignements précis et à jour sur la suite qu’il aura donnée aux autres recommandations formulées dans les présentes observations finales et sur l’application du Pacte dans son ensemble. Il demande également à l’État partie, lorsqu’il élaborera ce rapport, de tenir de vastes consultations avec la société civile et les organisations non gouvernementales présentes dans le pays. Conformément à la résolution 68/268 de l’Assemblée générale, ce document ne devra pas compter plus de 21 200 mots. L’État partie peut aussi indiquer au Comité, avant le 27 juillet 2019, qu’il accepte d’établir son rapport en suivant la procédure simplifiée. En pareil cas, le Comité transmet une liste de points à l’État partie avant que celui-ci ne soumette son rapport. Les réponses de l’État partie à cette liste constitueront son rapport périodique suivant à soumettre en application de l’article 40 du Pacte.