Nations Unies

CED/C/17/2

Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées

Distr. générale

18 novembre 2019

Français

Original : espagnol

Comité des disparitions forcées

Rapport sur les demandes d’action en urgence reçues au titre de l’article 30 de la Convention *

A.Introduction

1.Le règlement du Comité dispose en ses articles 57 et 58 que sont portées à l’attention du Comité toutes les demandes d’action en urgence qui sont présentées pour examen par le Comité au titre de l’article 30 de la Convention. Tout membre du Comité qui en fait la demande peut obtenir le texte intégral des demandes dans la langue originale. Le présent rapport résume les principales questions traitées au sujet des demandes d’action en urgence reçues par le Comité et les décisions prises depuis la seizième session du Comité en vertu de l’article 30 de la Convention.

B.Demandes d’action en urgence reçues depuis la seizième session du Comité

2.Dans le rapport sur les demandes d’action en urgence adopté à sa seizième session, le Comité rendait compte des décisions prises au sujet des 569 actions en urgence enregistrées à la date du 4 avril 2019. Entre cette date et le 30 septembre 2019, le Comité a reçu 220 nouvelles demandes d’action en urgence, qui ont toutes été enregistrées. Ces 220 nouvelles actions en urgence ont trait à des faits survenus en Iraq, au Mexique et en Tunisie. La liste des actions en urgence enregistrées est jointe au présent rapport (voir le tableau).

3.De 2012 au 30 septembre 2019, le Comité a enregistré 782 demandes d’action en urgence émanant de différents pays, comme indiqué dans le tableau ci-après.

Année

Argentine

Arménie

Brésil

Cambodge

Colombie

Cuba

Honduras

Iraq

Kazakhstan

Lituanie

Maroc

Mauritanie

Mexique

Sri Lanka

Togo

Tunisie

Total

2012

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

5

-

-

-

5

2013

-

-

-

-

1

-

-

-

-

-

-

-

6 a

-

-

-

7

2014

-

-

1

1

1

-

-

5

-

-

-

-

43

-

-

-

51

2015

-

-

-

-

3

-

-

42

-

-

-

-

165

-

-

-

210

2016

-

-

-

-

4

-

-

22

-

-

1

-

58

-

-

-

85

2017

2

1

-

-

3

-

-

43

2

-

2

1

31

1

-

-

86

2018

-

-

-

-

9

1

14

50

-

-

-

-

42

-

2

-

118

2019 b

-

-

-

1

1

-

-

209

-

1

-

-

7

-

-

1

220

Total

2

1

1

1

22

1

14

371

2

1

3

1

357

1

2

1

782

a L ’ action en urgence n o  9/2013 concerne deux personnes. Elle est donc comptabilisée deux fois.

b Au 30 septembre 2019.

C.Suite donnée aux demandes d’action en urgence après leur enregistrement : tendances observées depuis la seizième session (au 30 septembre 2019)

4.Le Comité entretient des contacts permanents avec les États parties, par l’intermédiaire des missions permanentes, et avec les auteurs des demandes d’action en urgence, au moyen de notes et de lettres adressées en son nom, ainsi que dans le cadre de réunions ou par téléphone.

5.Les informations fournies au titre de la procédure d’action en urgence confirment plusieurs des tendances observées dans les rapports adoptés aux onzième à seizième sessions (CED/C/11/3, CED/C/12/2, CED/C/13/3, CED/C/14/2 et CED/C/15/3). La majorité des demandes d’action en urgence enregistrées portent encore sur des faits survenus au Mexique et en Iraq. Au cours de la période couverte par le présent rapport, le Comité a relevé les tendances ci-après au sujet des États parties concernés.

1.Tendances concernant le Mexique et l’Iraq

a)Mexique

6.L’État partie a répondu à toutes les demandes d’action en urgence enregistrées récemment. Toutefois, les délais de réponse sont plus longs pour les lettres de suivi : avec le temps, les informations fournies sont de plus en plus succinctes et les réponses reçues montrent souvent que les procédures de recherche et d’enquête n’avancent pas.

7.Les informations reçues de l’État partie continuent de faire apparaître que les mesures prises sont sporadiques, isolées, essentiellement formelles et qu’elles ne semblent pas s’inscrire dans une stratégie d’enquête et de recherche préalablement définie. Les initiatives des membres de la famille, des proches et des représentants des personnes disparues demeurent essentielles au bon déroulement des procédures de recherche et d’enquête.

8.Dans la grande majorité des cas, les auteurs des demandes d’action en urgence expriment leur découragement face au manque de diligence dans les procédures de recherche et d’enquête. À cet égard, ils regrettent l’absence d’enquêtes sur le terrain de même que l’absence de mesures visant à garantir un examen global et approfondi des éléments de preuve disponibles ou des informations qu’ils fournissent aux autorités chargées de la recherche et de l’enquête.

9.Il demeure fréquent que les auteurs affirment que les autorités chargées de la recherche et de l’enquête soient directement ou indirectement impliquées dans les faits en cause et que les procédures n’avancent pas. Dans les cas en question, le Comité a insisté sur l’importance d’établir des mécanismes de responsabilisation des agents de l’État chargés de la recherche et de l’enquête, et a demandé à l’État partie que les allégations selon lesquelles les interventions d’agents de l’État auraient entravé les procédures fassent l’objet d’une enquête.

10.Le Comité tient à faire part de ses préoccupations quant aux informations selon lesquelles les familles de personnes disparues ont fait l’objet d’actes d’intimidation et de menaces pour avoir tenté de faciliter l’enquête sur les circonstances de la disparition forcée de leurs proches. Ces menaces revêtent diverses formes, y compris celles de menaces de mort, de rondes autour du domicile des personnes visées ou de décisions de procédure qui nuisent à la protection des personnes concernées (par exemple la levée d’une mesure visant à garder secrète l’identité d’un témoin clé du fait du transfert du dossier au parquet de l’État de Guerrero). Dans les cas en question, le Comité continue de demander à l’État partie de prendre des mesures de protection, à savoir les mesures nécessaires pour : a) préserver la vie et l’intégrité physique des personnes concernées ; b) permettre aux intéressés de mener les activités liées à la recherche de leur proche sans être soumis à des actes de violence et de harcèlement. Il lui demande également de prendre des mesures plus ciblées, chaque fois que cela est nécessaire (par exemple : faire en sorte que l’identité de la personne soit gardée secrète y compris en cas de transfert du dossier de l’enquête).

b)Iraq

11.S’agissant des demandes d’action en urgence enregistrées pour des faits survenus en Iraq, le Comité se déclare profondément préoccupé par le fait que, dans la majorité des cas, l’État partie n’a pas répondu malgré l’envoi de plusieurs rappels. Dans 53 des actions en urgence enregistrées, quatre rappels ont été envoyés, sans réponse de l’État partie. Dans les cas où le Comité a reçu une réponse, l’État partie n’a pas fourni la moindre information sur les mesures prises pour rechercher les personnes disparues et enquêter sur leur présumée disparition forcée. Il n’a pas non plus précisé les moyens d’action dont disposent les victimes. De plus, il ressort des informations communiquées par les familles et les proches des personnes disparues que, d’une manière générale, celles-ci sont maltraitées par les autorités de l’État lorsqu’elles demandent des renseignements ou un soutien dans le cadre de la recherche des personnes disparues et de l’enquête sur leur présumée disparition forcée.

12.Dans plusieurs de ses réponses, l’État partie se contente de souligner que les victimes présumées étaient affiliées à des groupes terroristes. Ainsi, au cours de la période considérée, le Comité a enregistré 192 nouvelles actions en urgence concernant la présumée disparition forcée de 192 personnes au point de contrôle d’el-Razaza (province d’Anbar). Le Comité a été informé que, dans le contexte de la lutte contre l’État islamique d’Iraq et du Levant, le 26 octobre 2014, de nombreuses familles ont fui Jourf el-Sakhr (province de Babil) en passant par le point de contrôle en question, à l’époque contrôlé par les brigades du Hezbollah, pour se rendre dans des zones plus sûres. Il a également été informé que les 192 personnes en question avaient été arrêtées alors qu’elles tentaient de franchir ce point de contrôle et que des membres du Hezbollah les avaient conduites de force vers un lieu inconnu. On ignore encore où se trouvent ces personnes, malgré la série de plaintes déposées par les membres de leur famille auprès des autorités de l’État partie. Le Comité a demandé à l’État partie de prendre immédiatement des mesures en vue de rechercher et localiser les personnes disparues, d’enquêter sur leur présumée disparition forcée, et de faire en sorte qu’elles soient placées sous la protection de la loi, ainsi que les mesures nécessaires pour identifier les responsables. L’État partie a répondu en affirmant que toutes les personnes visées dans ces actions en urgence étaient liées à l’État islamique d’Iraq et du Levant et que sept d’entre elles étaient mortes. Ces informations ont été transmises aux auteurs des demandes d’action en urgence afin qu’ils formulent des commentaires. De manière plus générale, le Comité a été informé de différents cas dans lesquels les familles ou les proches de personnes disparues ont été victimes de représailles après avoir signalé les faits en cause aux autorités compétentes et prend note avec préoccupation de cette situation, ainsi que de ses répercussions sur la possibilité pour ces personnes de solliciter l’intervention des autorités chargées de rechercher les personnes disparues et d’enquêter sur leur disparition.

2.Demandes d’action en urgence concernant d’autres États parties

13.Pour ce qui est des demandes d’action en urgence concernant d’autres États parties, le Comité estime que le nombre de demandes enregistrées ne permet pas de conclure à des phénomènes récurrents. Pour autant, le Comité tient à appeler l’attention sur certains éléments en rapport avec certaines des demandes d’action en urgence qui lui ont été adressées.

a)Brésil

14.Dans le cas de Davi Santos Fiuza (action en urgence no 61/2014), le Comité a adressé à l’État partie une nouvelle lettre de suivi, dans laquelle il a pris note des informations selon lesquelles : les conclusions des quatre années de recherche et d’enquête de police avaient été transmises au Bureau du Procureur général de l’État de Bahía, les autorités de police avaient indiqué qu’il était possible que 17 membres de la police de l’État de Bahía (police militaire) soient impliqués et le Procureur général examinait le dossier en vue de déterminer la responsabilité de chacun des 17 policiers et de traduire les responsables en justice. Néanmoins, à la lumière des informations recueillies dans le cadre de l’action en urgence, le Comité a regretté le retard pris par le Bureau du Procureur général dans l’instruction de l’affaire, bien qu’il ait reçu les résultats de l’enquête de police, ainsi que le fait qu’aucune mesure supplémentaire n’ait été prise pour rechercher et localiser M. Santos Fiuza.

b)Colombie

15.Comme indiqué dans les rapports concernant les sessions précédentes, il ressort souvent des renseignements communiqués par l’État partie au sujet des 21 actions en urgence enregistrées que, quelques mois après avoir été lancées, les enquêtes et les recherches sont au point mort.

16.En ce qui concerne les actions en urgence nos 378/2017, 379/2017 et 380/2017, il a été porté à la connaissance du Comité que quatre personnes qui avaient livré des renseignements sur le lieu où se trouvaient les restes des enfants disparus avaient été arrêtées. Ces personnes ont été mises en cause pour des faits de disparition forcée. Les trois enfants ont été retrouvés morts à Cerro Norte, dans la communauté de Usaquén, en mai 2019. L’information a été transmise aux auteurs des demandes d’action en urgence susmentionnées, pour qu’ils formulent des commentaires.

c)Togo

17.En ce qui concerne le cas d’Atsou Adzi et de Messan Koku Adzi (actions en urgence nos 543/2018 et 544/2018), l’État partie a envoyé sa réponse le 17 juillet 2019 ; il y indique que, comme suite aux enquêtes sur les disparitions en question, les autorités togolaises ont découvert qu’Atsou Adzi était décédé le 3 janvier 2014 en raison de problèmes de santé. Ce fait aurait été confirmé par différentes personnes, dont l’oncle d’Atsou Adzi, qui a organisé les funérailles, et le chef de la région de Gapé. Quant à Messan Koku Adzi, les autorités togolaises l’auraient localisé le 29 juin 2019 à Lomé, où il résiderait. Messan Koku Adzi serait en contact avec sa famille à Gapé. Les autorités ont enquêté sur l’affaire et conclu que deux personnes avaient inventé cette histoire. Les observations de l’État partie ont été transmises aux auteurs des demandes d’action en urgence pour qu’ils formulent des commentaires. Le Comité prendra une décision sur cette demande d’action en urgence au vu de la réponse qu’il aura reçue.

d)Tunisie

18.Au cours de la période considérée, a été enregistré le cas de Mohamed Guefassa (action en urgence no 768/2019), ressortissant algérien disparu dans les eaux territoriales tunisiennes pendant la nuit du 2 octobre 2016, date à laquelle il a été intercepté par les garde-côtes tunisiens alors qu’après avoir quitté l’Algérie, il tentait de rejoindre la Sardaigne de manière illégale. Selon les informations fournies au Comité, M. Guefassa pourrait être détenu illégalement en Tunisie pour des motifs liés au terrorisme. Le Comité a demandé à l’État partie de prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires pour rechercher, localiser et protéger M. Guefassa. À la date du présent rapport, l’État partie n’avait pas répondu à la note verbale du Comité. Un rappel a été envoyé.

3.Innovations

19.Depuis août 2019, comme suite à l’adoption et à la publication des Principes directeurs concernant la recherche de personnes disparues (CED/C/7), le Comité a expressément renvoyé aux principes en question dans ses lettres de suivi, aux fins d’étayer le contenu des recommandations adressées aux États parties. Chaque fois qu’il l’a jugé utile, il a également fait figurer le texte des Principes directeurs en annexe aux lettres de suivi.

D.Actions en urgence suspendues, clôturées, ou maintenues ouvertes aux fins de la protection des personnes en faveur desquelles des mesures de protection ont été autorisées

20.En application des principes que le Comité a adoptés en séance plénière à sa huitième session :

a)Une action en urgence est suspendue lorsque la personne disparue a été retrouvée, mais qu’elle est toujours en détention. En effet, en pareil cas, cette personne est particulièrement exposée au risque de disparaître à nouveau et de ne plus bénéficier de la protection de la loi ;

b)Une action en urgence est clôturée lorsque la personne disparue a été retrouvée libre, quand elle a été retrouvée puis libérée ou quand elle a été retrouvée morte et que les membres de la famille ou les auteurs ne contestent pas ces faits ;

c)Une action en urgence est maintenue ouverte si la personne disparue a été retrouvée, mais que les personnes en faveur desquelles des mesures de protection ont été autorisées dans le cadre de l’action en urgence demeurent menacées. Dans ce cas, le Comité se contente d’assurer le suivi des mesures de protection autorisées.

21.À la date du présent rapport, le Comité avait clôturé 52 actions en urgence : dans 29 cas, les personnes disparues avaient été retrouvées vivantes et remises en liberté vivantes et, dans les 23 autres, les personnes disparues avaient été retrouvées mortes.

22.En outre, le Comité a suspendu 13 procédures d’action en urgence, car les personnes disparues avaient été retrouvées, mais demeuraient en détention.

23.Dans deux actions en urgence, la personne disparue a été retrouvée morte, mais l’action en urgence demeure ouverte, car les personnes en faveur desquelles des mesures de protection ont été autorisées continuent de recevoir des menaces.

24.Dans l’une des actions en urgence, l’auteure a fait savoir que des restes du corps de son mari avaient été localisés. Toutefois, elle a souligné qu’elle n’était pas satisfaite pour autant car les autorités n’avaient pas jugé nécessaire de poursuivre la recherche des autres parties de la dépouille, alors que les autorités devaient poursuivre les recherches, rappelant à l’État partie que lorsque seuls des restes partiels ont pu être retrouvés et identifiés, la décision de poursuivre les recherches pour retrouver et identifier les restes manquants doit tenir compte des possibilités réelles d’identifier d’autres restes et des besoins exprimés par les membres de la famille conformément aux normes régissant leurs rites funéraires. La décision de ne pas poursuivre les recherches doit être prise de manière transparente avec le consentement préalable et éclairé de la famille, conformément au principe 7 des Principes directeurs concernant la recherche de personnes disparues. Compte tenu de ce qui précède, le Comité a décidé de maintenir ouverte l’action en urgence.

E.Questions soumises au Comité en séance plénière à sa dix-septième session

25.Le Comité a réaffirmé que, compte tenu de l’augmentation du nombre d’actions en urgence enregistrées, il était urgent d’augmenter les effectifs du secrétariat du Haut‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme chargés de traiter les actions en urgence.

26.Le Comité réuni en plénière a confirmé la composition du Groupe de travail sur les actions en urgence et a rappelé que la répartition du travail entre les membres de celui-ci se faisait en fonction de la langue dans laquelle était libellée la demande d’action en urgence. Le secrétariat a rappelé les méthodes de travail du Comité concernant les actions en urgence, lesquelles ont été confirmées par la plénière.

27.Le Comité a confirmé qu’au besoin il serait fait référence à l’obligation des États parties sans préjudice de l’obligation de poursuivre l’enquête jusqu’à l’élucidation du sort de la personne disparue, de prendre les dispositions appropriées concernant la situation légale des personnes disparues dont le sort n’est pas élucidé et de leurs proches, notamment dans des domaines tels que la protection sociale, les questions financières, le droit de la famille et les droits de propriété. Dans de nombreux cas de disparition forcée, une aide socio-économique est indispensable pour permettre aux membres de la famille et aux proches de la personne disparue de participer aux procédures de recherche et d’enquête.

28.Le Comité a décidé de revoir le guide pour la soumission au Comité des demandes d’action en urgence, compte tenu de l’expérience acquise depuis la mise en place de la procédure.