Nations Unies

CAT/C/49/D/412/2010

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

6 février 2013

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Communication no 412/2010

Décision adoptée par le Comité à sa quarante-neuvième session (29 octobre-23 novembre 2012)

Communication p résentée par:

A. A. (représenté par un conseil)

Au nom de:

A. A.

État partie:

Danemark

Date de la requête:

30 septembre 2009 (lettre initiale)

Date de la présente décision:

13 novembre 2012

Objet:

Mauvais traitements en détention au Danemark; absence d’enquête sur ces mauvais traitements; expulsion du requérant vers l’Iraq; risque de torture ou de mauvais traitements après le retour en Iraq

Questions de fond:

Mauvais traitements en détention; absence d’enquête sur ces mauvais traitements; risque de torture ou de mauvais traitements après le retour en Iraq

Questions de procédure:

Fondement des griefs et épuisement des recours internes

Articles de la Convention:

2, 3 (par. 1), 12, et 16 (par.1)

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants(quarante-neuvième session)

concernant la

Communication no 412/2010

Présentée par:

A. A. (représenté par un conseil)

Au nom de:

A. A.

État partie:

Danemark

Date de la requête:

30 septembre 2009 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 13 novembre 2012,

Ayant achevé l’examen de la requête no 412/2010 présentée par A. A. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Le requérant, A. A.,de nationalité iraquienne, né le 27 décembre 1963, a été expulsé du Danemark vers l’Iraq le 2 septembre 2009. Il estime que sa détention au Danemark du 18 juin 2009 au 2 septembre 2009 en tant que demandeur d’asile débouté et son isolement cellulaire ont constitué une violation des articles 16 et 2 de la Convention. Il affirme également avoir été victime d’une violation de l’article 12 de la Convention parce que l’État partie n’a pas mené de véritable enquête sur les violations présumées des articles 16 et 2 de la Convention. Le requérant prétend en outre que son expulsion a constitué une violation par le Danemark du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention car il était à prévoir qu’il serait soumis à la torture s’il était renvoyé en Iraq puisqu’il y avait subi des actes de torture et des mauvais traitements en 2005 et qu’il recevait des menaces de la part des familles de neuf anciens codétenus qui avaient été exécutés. Le requérant est représenté par un conseil.

1.2Le requérant a prié le Comité d’adresser à l’État partie une demande de mesures provisoires de protection afin qu’il puisse rentrer au Danemark et que l’enquête au titre de l’article 12 de la Convention puisse se poursuivre, afin de permettre l’épuisement des recours internes au Danemark. Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité a porté la communication à l’attention de l’État partie le 26 février 2010. Le Comité a décidé de ne pas demander de mesures provisoires.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant explique que neuf amis à lui travaillaient pour les services du renseignement de Saddam Hussein, dans ses palais. Un jour qu’il rendait visite à l’un d’eux en 1995, il a été arrêté parce que les autorités avaient découvert que ces hommes étaient membres du parti communiste. Elles ont soumis le requérant à la torture dans le but de lui faire avouer qu’il appartenait lui aussi au parti communiste. Ses neuf amis ont été exécutés et lui-même a été condamné à sept années d’emprisonnement pour rétention d’informations les concernant. Pendant les deux premières années de sa détention, le requérant a subi des actes de torture graves, étant frappé à coups de pied dans la zone génitale et au moyen de câbles électriques. Après sa libération en février 2002, le requérant a commencé à craindre des représailles de la part des familles de ses neuf amis exécutés, qui étaient convaincues qu’il était responsable de leur sort et menaçaient ses proches. En novembre 2002, la maison du requérant a été perquisitionnée par les services du renseignement et le requérant a reçu une balle dans la jambe alors qu’il prenait la fuite.

2.2Le 27décembre 2002, le requérant est arrivé au Danemark et a soumis une demande d’asile, invoquant les sept années passées en détention en Iraq pour raisons politiques, les tortures subies pendant sa détention et les menaces qu’il recevait de la part des familles de ses neuf amis exécutés. Le 11 juin 2004, la Commission de recours des réfugiés a rejeté cette demande en expliquant que le régime de Saddam Hussein n’était plus au pouvoir, que la crainte de représailles de la part des familles avait un caractère privé, et que le requérant pouvait s’installer ailleurs en Iraq. Le 22 janvier 2008, la demande de réouverture du dossier que le requérant avait présentée sur la base des mêmes faits et d’informations faisant état de la persistance des menaces a été rejetée.

2.3Le 31août 2009, une deuxième tentative visant à faire rouvrir le dossier de demande d’asile, cette fois sur la base d’un rapport établi par le groupe médical d’Amnesty International au sujet des tortures subies par le requérant, a échoué. Le rapport d’Amnesty, daté du 12 février 2009, donnait une description détaillée des tortures subies et concluait que le requérant portait des marques physiques de torture et présentait un grand nombre de symptômes de stress post-traumatique. Après le rejet de la deuxième demande de réouverture du dossier d’asile, le requérant ne disposait plus d’aucun recours.

2.4Après le rejet par la Commission de recours des réfugiés de sa demande d’asile initiale, le requérant, entre 2004 et 2009, a été soumis à des «mesures d’incitation» −suppression des prestations d’aide, subventions alimentaires remplacées par des paniers alimentaires, transferts d’un centre d’asile à un autre, obligation de se présenter régulièrement à la police de l’immigration − visant à provoquer un retour volontaire en Iraq. Des rapports de médecins et psychiatres datés du 13 avril 2004 et des 12 février, 6 juillet et 7 septembre 2009 montrent que, pendant cette période, la santé du requérant s’est détériorée.

2.5Le 13 mai 2009, l’État partie a conclu avec le Gouvernement iraquien un protocole d’accord concernant le retour des demandeurs d’asile déboutés, qui traitait en priorité des retours volontaires mais prévoyait aussi les modalités des retours forcés. Le 18 juin 2009, le requérant a été placé à l’institution Ellebaek, un centre de détention pour demandeurs d’asile déboutés. Durant son séjour dans ce centre, il a vu à deux reprises d’autres demandeurs d’asile déboutés être réveillés en pleine nuit pour être embarqués de force dans un avion à destination de Bagdad, ce qui a entraîné chez lui de la peur et de douloureuses réminiscences des tortures subies en Iraq.

2.6Le 5 août 2009, deux médecins, le docteur Inge Genefkeet le docteur Bent Sørensen,ont déposé plainte auprès de la police danoise, faisant valoir que le requérant était détenu en violation du paragraphe 1 de l’article 16 et de l’article 12 de la Convention et que son renvoi en Iraq constituerait une violation du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, et ont demandé l’ouverture d’une enquête. Ils affirmaient que le maintien du requérant en détention depuis le 18 juin 2009, en dépit du fait qu’il était une victime de la torture, constituait un traitement inhumain contraire à l’article 16, et demandaient aux autorités de diligenter une enquête sur la détention du requérant, au titre de l’article 12 de la Convention. La police a transmis la plainte au Procureur général, qui l’a à son tour transmise au Service de l’immigration.

2.7À la suite de heurts ayant éclaté entre un groupe de demandeurs d’asile et des membres du personnel du centre de détention Ellebaek, le requérant a, à titre disciplinaire, été placé en isolement cellulaire à la prison de Vestre du 9 au 10 août 2009, puis a été soumis au même régime deux journées supplémentaires à son retour au centre Ellebaek. Pendant cet isolement, l’état psychique du requérant s’est détérioré.

2.8Le 1er septembre 2009, le Ministère des réfugiés, de l’immigration et de l’intégration, qui avait examiné la demande de permis de séjour pour raisons humanitaires présentée par le requérant, a demandé des éclaircissements au sujet des certificats médicaux délivrés le 28 août 2009 par le docteur Østergaard à l’appui du grief du requérant selon lequel son isolement cellulaire constituait une forme de torture. Malgré cela, le 2 septembre 2009, le requérant a été expulsé vers l’Iraq inopinément.

2.9Le conseil du requérant est en contact avec ce dernier par l’intermédiaire de son épouse, qui réside au Danemark. D’après celle-ci, le requérant vit caché près de Mossoul, en Iraq. Elle fait savoir aussi qu’à son arrivée à Bagdad, le requérant a d’abord passé environ vingt-sept heures en détention puis a été obligé à se présenter régulièrement à la police de l’aéroport, qui reste en possession des originaux de ses documents d’identité. Après son retour en Iraq, le requérant a reçu de nouvelles menaces de la part des familles de ses neuf anciens amis exécutés.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que sa détention en tant que demandeur d’asile débouté en attente d’expulsion au centre de détention Ellebaek du 18 juin 2009 au 2 septembre 2009, dont deux jours d’isolement cellulaire à la prison de Vestre, a constitué une violation du paragraphe 1 de l’article 16 et de l’article 2 de la Convention, car elle a entraîné chez lui de douloureuses réminiscences de ses sept années d’emprisonnement en Iraq et des tortures qu’il y avait subies régulièrement pendant cette période, ravivant ainsi sa souffrance mentale.

3.2Le requérant affirme également avoir été victime d’une violation par l’État partie de l’article 12 de la Conventionparceque aucune enquête véritable n’a été menée sur les violations présumées des articles 16 et 2 de la Convention. Il affirme que cela est mis en évidence par le fait qu’il a été expulsé inopinément le 2 septembre 2009,avant que l’État partie ait reçu le dernier rapport médical.

3.3Le requérant estime que les recours internes devraient être considérés comme épuisés puisqu’une demande d’enquête au titre de l’article 12 a été adressée à la police, qui l’a transmise au Procureur général, lequel l’a à son tour communiquée au Service de l’immigration. Toutefois, le requérant a été expulsé de force avant le début de l’enquête, ce qui a rendu celle-ci impossible.

3.4Le requérant estime en outre avoir été expulsé par le Danemark en violation du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, compte tenu des actes de torture et des mauvais traitements qu’il avait subis en Iraq en 2005 et des menaces dont il risquait de faire l’objet de la part des familles de ses neuf amis exécutés en 1995.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 26 août 2010, l’État partie a soumis ses observations concernant à la fois la recevabilité et le fond de la communication. Il y fait valoir que la requête devrait être déclarée irrecevable ou qu’il devrait être déclaré qu’il n’y a eu aucune violation des dispositions de la Convention.

4.2L’État partie rappelle que le requérant est entré au Danemark le 27 décembre 2002 et qu’il a demandé l’asile, affirmant avoir été détenu en Iraq de 1995 à février 2002 et soumis à la torture; qu’il s’était enfui de son domicile en novembre 2002 alors qu’il était recherché par les autorités iraquiennes; et qu’il craignait, s’il retournait dans son pays d’origine, de subir des représailles, en particulier de la part de trois familles de codétenus exécutés.

4.3Le Service danois de l’immigration a rejeté la demande d’asile du requérant le 10 mars 2004 au motif que le fait d’avoir subi de graves violences physiques ne constituait pas en soi un motif d’octroi de l’asile, dans la mesure où l’ancien régime iraquien n’était plus au pouvoir en Iraq et que les opposants à ce régime ne risquaient plus d’être persécutés à leur retour dans le pays.Bien qu’il reconnaisse que les familles des codétenus du requérant puissent être à sa recherche, le Service de l’immigration considérait que cela ne pouvait pas justifier l’octroi de l’asile parce qu’il n’y avait pas de restrictions à la liberté de circulation en Iraq et que le requérant pouvait donc installer son domicile quelque part ailleurs dans le pays s’il ne voulait pas résider dans sa région d’origine. Enfin, le Service de l’immigration a estimé que la situation en Iraq, bien que globalement peu sûre, ne justifiait pas l’octroi de l’asile.

4.4L’État partie reconnaît que le requérant a été emprisonné en 1995 par les autorités de l’ancien régime iraquien en raison des liens d’amitié qu’il entretenait avec plusieurs membres du service spécial chargé de la sécurité du palais présidentiel, qui étaient aussi membres du parti communiste. Au moment de son arrestation, le service du renseignement a cherché à forcer le requérant à avouer appartenir lui aussi au parti communiste. Lors du procès qui a eu lieu devant un tribunal spécial, les amis du requérant ont été condamnés à mort − ils ont ensuite été exécutés −, tandis que lui-même était condamné à sept ans d’emprisonnement. Pendant sa détention, le requérant a subi des tortures, dont il garde des cicatrices et des séquelles irréversibles. À sa libération en février 2002, le requérant a été placé sous surveillance. Il a ensuite quitté Bagdad le 18 novembre 2002 après qu’une nuit, sa maison eut été perquisitionnée par le service du renseignement. L’épouse du requérant a été arrêtée en décembre 2002 et a été détenue pendant deux mois.

4.5En outre, après la chute du régime de Saddam Hussein, les proches du requérant ont reçu des menaces de la part des familles des amis du requérant qui avaient été exécutés. Ces menaces, dont certaines étaient des menaces de mort, visaient principalement la belle-famille du requérant, en particulier son beau-frère. Les familles des personnes exécutées ont cherché à savoir ce qui s’était passé pendant le procès à l’issue duquel leurs proches avaient été condamnés à la peine capitale. Comme le tribunal ne pouvait fournir aucune preuve, le requérant ne pouvait pas démontrer qu’il n’avait rien à voir avec leur mort. Il craignait de subir des représailles de la part des familles des neuf personnes exécutées s’il retournait en Iraq.

4.6Dans la décision qu’elle a rendue le 11 juin 2004, la Commission de recours des réfugiés a estimé que la détention du requérant et la perquisition de novembre 2002 ne justifiaient pas l’octroi de l’asile en 2004. La Commission a insisté sur le fait que le régime de Saddam Hussein n’était plus au pouvoir en Iraq.

4.7Bien qu’elle considère comme avéré le fait que les proches du requérant ont été menacés par les familles des personnes exécutées, la Commission de recours des réfugiés a réaffirmé qu’il s’agissait d’une question de droit privé, dont le degré de gravité ne justifiait pas l’octroi de l’asile. Elle a en outre estimé que le requérant pouvait installer son domicile ailleurs qu’à Bagdad. Enfin, la Commission a considéré que la situation générale en Iraq ne suffisait pas à justifier l’octroi de l’asile. À ce sujet, elle a estimé que les informations générales dont elle disposait montraient que les Iraquiens étaient libres de circuler sur l’ensemble du territoire. Par ailleurs, la Commission a jugé que le requérant ne répondait pas aux critères requis pour l’octroi d’un permis de séjour et qu’il n’existait pas de raison de croire que s’il retournait dans son pays d’origine, il risquait d’être condamné à la peine de mort ou d’être soumis à la torture ou à un traitement inhumain ou dégradant. La Commission a confirmé la décision du Service danois de l’immigration du 10 mars 2004 et ordonné au requérant de quitter le Danemark sans délai, conformément aux paragraphes 1 et 2 de l’article 33 de la loi sur les étrangers.

4.8Le 8 juillet 2004, le requérant a déclaré qu’il ne voulait pas quitter volontairement le Danemark ni bénéficier d’une assistance pour retourner en Iraq. Il a en conséquence été soumis à de mesures d’incitation, consistant à lui retirer toutes prestations en espèces, à le transférer dans un centre pour étrangers et à le soumettre à l’obligation de se présenter au poste de police deux fois par semaine.

4.9Le 29 juin 2005, le requérant a introduit une demande de permis de séjour pour motifs humanitaires auprès du Ministère des réfugiés, de l’immigration et de l’intégration à laquelle était joint l’avis médical rédigé par un psychiatre, en date du 13avril 2004, qui attestait que le requérant recevait un traitement depuis novembre 2003 parce qu’il souffrait d’un syndrome de stress post-traumatique d’intensité moyenne à grave, et qu’il conservait des séquelles psychiques des tortures subies. Le 29août 2005, le Ministère a rejeté la demande de permis de séjour pour raisons humanitaires, estimant qu’il n’existait pas de considérations humanitaires d’une gravité telle qu’elle justifie de faire droit à la demande. À cet égard, il a fait observer que, même si le requérant souffrait d’un syndrome de stress post-traumatique, ce syndrome n’était pas suffisant, d’après l’expérience du Ministère, pour justifier la délivrance d’un permis de séjour pour raisons humanitaires.

4.10Le 14 mars 2007, le Conseil danois des réfugiés a demandé à la Commission de recours des réfugiés de rouvrir la procédure d’asile, demande rejetée le 22 janvier 2008 par la Commission, qui a réitéré le raisonnement qui avait motivé sa décision du 11 juin 2004 et ajouté qu’il était peu probable que le requérant soit encore poursuivi pour des faits qu’il n’avait pas commis et sur les seules affirmations des familles des disparus.

4.11Le 20janvier 2009, un prêtre du nom de Leif Bork Hansen a demandé à la Commission de recours des réfugiés de rouvrir le dossier de demande d’asile du requérant, en se référant à un examen qui devait être réalisé sous peu par le groupe médical de la section danoise d’Amnesty International. Le 21février 2009, le rapport du groupe médical, daté du 12 février 2009, a été annexé à la demande. Le requérant a présenté une nouvelle demande de permis de séjour pour raisons humanitaires dans une lettre également datée du 21 février 2009, à laquelle était aussi annexé le rapport du groupe médical, dont il ressortait que le requérant souffrait de séquelles physiques et mentales des tortures subies en Iraq et présentait un grand nombre de symptômes compatibles avec un syndrome de stress post-traumatique.Le 30 avril 2009, le Ministère des réfugiés, de l’immigration et de l’intégration a rejeté la demande de réouverture du dossier de permis de séjour pour raisons humanitaires faite par le requérant.

4.12En application du protocole d’accord conclu avec l’Iraq le 13 mai 2009, la police nationale danoise a demandé à l’ambassade du Danemark à Bagdad, en mai et juin 2009, de soumettre aux autorités iraquiennes un certain nombre de dossiers de demandeurs déboutés, au nombre desquels figurait celui du requérant, aux fins de leur réadmission. Cependant, les autorités iraquiennes ont estimé que les documents d’identité du requérant étaient faux et qu’il était donc impossible de l’identifier comme étant un citoyen iraquien. Il a été décidé que le requérant serait présenté devant une délégation iraquienne qui devait arriver au Danemark en août 2009 et qui contrôlerait sa nationalité.

4.13Le 18juin 2009, le requérant a été privé de sa liberté et transféré à l’institution Ellebaek pour demandeurs d’asile déboutés en vue de son expulsion. Le 19 juin 2009, il a comparu devant le tribunal de district d’Hillerød, qui a déclaré légale la mesure de privation de liberté et fixé au 16 juillet 2009 la date limite de fin de sa détention. Le tribunal a déclaré que sa «présence aux fins des audiences d’identification et de l’application de la mesure d’expulsion vers l’Iraq ne pouvait pas être garantie par des mesures moins contraignantes que la privation de liberté». La décision du tribunal de district d’Hillerød a été confirmée par la Haute Cour du Danemark oriental le 23 juin 2009. La période de privation de liberté a par la suite été reconduite régulièrement jusqu’à l’expulsion du requérant le 2 septembre 2009.

4.14Dans une lettre datée du 16 juillet 2009, le conseil du requérant a introduit une nouvelle demande auprès du Ministère des réfugiés, de l’immigration et de l’intégration pour obtenir la réouverture du dossier de demande de permis de séjour pour raisons humanitaires, soumettant une copie du dossier médical établi par le centre Avnstrup, où le requérant avait été traité pour une hernie le 16 janvier 2009. Dans une lettre datée du 29 juillet 2009, le Ministère a de nouveau refusé la réouverture du dossier au motif que la hernie et le diabète de type 2 n’étaient pas considérés comme des maladies graves pouvant justifier la délivrance d’un permis de séjour pour raisons humanitaires. Dans une lettre datée du 4 août 2009, le conseil du requérant a soumis de nouvelles données médicales au Ministère, qui a considéré la lettre comme une nouvelle demande de réouverture du dossier et l’a rejetée le 6 août 2009 en renvoyant à ses précédentes décisions en date des 30 avril et 29 juillet 2009.

4.15Dans une lettre datée du 5 août 2009, Mme Genefke et M. Sørensen ont soumis à la police de Zélande-du-Nord une plainte contre les autorités danoises pour violations des articles 3 et 16 de la Convention. Ils demandaient qu’une enquête soit ouverte au titre de l’article 12 de la Convention. La police a transmis la lettre au procureur public régional.

4.16Le 9 août 2009, une violente émeute a éclaté dans le quartier de l’institution Ellebaek dans laquelle était placé le requérant. Celui-ci a été identifié par le personnel comme faisant partie des fauteurs de troubles et a été temporairement mis à l’écart des autres détenus. Comme il était impossible, faute d’espace, de placer à l’isolement dans l’institution Ellebaek tous ceux qui avaient pris part à l’émeute, le requérant a été transféré à la prison de Vestre jusqu’au jour suivant. Il a été mis fin à l’isolement temporaire du requérant le 13 août 2009.

4.17En ce qui concerne l’article 3 de la Convention, l’État partie fait valoir que c’est au requérant qu’il incombe d’établir qu’à première vue sa communication est recevableet de présenter des arguments défendables quant au fond. Il ajoute que c’est au requérant de «prouver qu’il risque d’être soumis à la torture [...] et que le risque est encouru personnellement et actuellement».

4.18Pour ce qui est d’évaluer l’existence de motifs sérieux de croire que le requérant risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Iraq, l’État partie renvoie à trois décisions de la Commission de recours des réfugiés traitant de la question de la torture. L’État partie estime que le fait que le requérant ait déjà été soumis à la torture n’est qu’un des éléments qui doivent être pris en considération pour apprécier le risque qu’il soit soumis à la torture s’il est renvoyé dans son pays d’origine. Il renvoie à la jurisprudence du Comité, selon laquelle il faut aussi examiner si la torture a eu lieu récemment et si elle s’est produite dans le contexte des réalités politiques du moment du pays concerné.L’État partie conclut que la partie de la requête invoquant une violation de l’article 3 de la Convention est irrecevable car manifestement infondée. À supposer que le Comité juge recevable cette partie de la requête, l’État partie soutient que l’existence de raisons sérieuses de croire que le requérant risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Iraq n’est pas établie.

4.19En ce qui concerne les articles 2 et 16 de la Convention, l’État partie fait observer que la décision d’écarter temporairement le requérant des autres détenus a été prise au niveau de l’institution Ellebaek. La mise à l’écart a duré du 9 août 2009 à 20 h 30 au 13 août 2009 à 16 h 20. L’État partie signale que ce type de décision peut faire l’objet d’un recours auprès du Service des prisons et de la probation, qui relève du Ministère de la justice, et que rien n’indique que le requérant ait contesté la décision de l’institution Ellebaek auprès de ce service. L’État partie estime donc que cette partie de la communication devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours utiles disponibles. Il conteste également le grief du requérant selon lequel sa mise à l’écart temporaire aurait constitué une forme de torture au sens de l’article premier (lu conjointement avec l’article 2), ou une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l’article 16. Renvoyant aux observations finales et à la jurisprudence du Comité, l’État partie affirme que «l’isolement cellulaire» en général ne relève pas de la définition de la tortureet que la mise à l’écart temporaire que prévoit la loi sur l’exécution des peines ne constitue pas une forme de torture puisqu’elle ne peut être appliquée qu’en cas de nécessité pour, par exemple, empêcher une évasion ou des activités criminelles ou pour se prémunir contre un comportement violent.

4.20L’État partie argue que l’article 16 de la Convention ne contient pas d’interdiction générale d’isoler un détenu des autres. Le Gouvernement admet que, dans certains cas particuliers et selon les circonstances, cette mesure peut être assimilée à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant.Cependant, l’État partie affirme que l’isolement temporaire du requérant pour une courte période n’a pas constitué un traitement cruel, inhumain ou dégradant contraire à l’article 16 de la Convention, compte tenu de l’appréciation globale des circonstances de la participation du requérant à l’émeute violente qui s’est produite à l’institution Ellebaek le 9 août 2009 ainsi que du fait que le requérant a reçu la visite d’un psychologue et continué de recevoir son traitement médical pendant son isolement. En outre, l’État partie conteste les certificats médicaux établis par le docteur Østergaard les 28 août et 7 septembre 2009 et présentés à l’appui du grief selon lequel la mise à l’écart temporaire constituait une forme de torture, puisque le docteur Østergaard n’était pas le médecin traitant du requérant. Il fait aussi valoir qu’avant sa mise à l’isolement, le requérant a reçu des explications sur les raisons qui avaient motivé l’application de cette mesure et qu’il est resté calme et posé. L’État partie ajoute qu’aucune restriction n’a été mise au droit du requérant de recevoir des visites prévues d’avance, que sa cellule était équipée d’un téléviseur et qu’il avait le droit de faire chaque jour une heure d’exercice en plein air, seul. Les seules restrictions imposées au requérant durant son séjour à la prison de Vestre tenaient à l’interdiction de tout contact avec d’autres détenus dans les cellules ou pendant le temps d’exercice en plein air. Les mêmes conditions ont été appliquées pendant la durée de sa mise à l’écart à l’institution Ellebaek.

4.21Dans ses observations concernant l’article 12 de la Convention, l’État partie reconnaît que cet article s’applique aussi aux cas de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Renvoyant à la jurisprudence du Comité relative à l’interprétation de la portée de l’obligation d’enquêter sur les actes de torture et les mauvais traitements, l’État partie fait valoir que le requérant a fait l’objet d’une évaluation par un psychiatre consultant des prisons de Copenhague le 6 juillet 2009 et que rien n’indiquait que sa santé se soit détériorée à tel point pendant son isolement temporaire qu’il y ait des raisons sérieuses de craindre que l’isolement constitue un traitement inhumain au sens de la Convention. À partir du 6 juillet 2009, le requérant a reçu un traitement à base de chlorprothixene, qui lui a également été dispensé durant sa mise à l’écart temporaire. Le psychiatre consultant a aussi recommandé qu’il soit envisagé de prescrire des antidépresseurs au requérant s’il devait rester longtemps en détention.

4.22L’État partie reconnaît avoir l’obligation de diligenter une enquête chaque fois qu’il existe des motifs raisonnables, indépendamment de l’origine des soupçons. En l’espèce, cependant, la plainte déposée par M. Sørensen et Mme Genefke avant la mise à l’isolement temporaire du requérant ne constituait pas un motif raisonnable. De l’avis de l’État partie, les prétendues «informations» fournies par M. Sørensen et Mme Genefke ne contenaient pas d’éléments nouveaux sur les conditions de la privation de liberté du requérant, notamment sur son état de santé, justifiant qu’il soit tenu de diligenter une enquête au titre de l’article 12 de la Convention. D’après l’État partie, les «informations» se limitaient à une demande d’ouverture d’une enquête adressée aux autorités danoises au titre de l’article 12 mais ne contenaient aucun argument à l’appui de cette demande, en dehors de la référence au fait que le requérant avait déjà été soumis à la torture et qu’il risquait d’être davantage sujet à des réminiscences s’il était emprisonné.En outre, d’après l’État partie, à aucun moment le requérant ne s’est plaint d’avoir fait l’objet d’un quelconque mauvais traitement pendant sa détention à l’institution Ellebaek, y compris pendant le temps passé à l’écart des autres détenus. L’État partie note en particulier que le requérant a expressément déclaré, lors de l’entretien à l’institution Ellebaek, qu’il n’avait à se plaindre du comportement du personnel. Dans ces conditions, l’État partie estime qu’il n’existe aucun motif raisonnable de croire que le requérant a été soumis à une peine ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant pendant son isolement temporaire.

4.23L’État partie conclut qu’en l’espèce, il n’y a pas eu de violations de la Convention.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans ses commentaires en date du 22 novembre 2010, le conseil du requérant a fait un rappel des faits pertinents.

5.2Au sujet de l’article 12 de la Convention, le requérant conteste l’allégation de l’État partie selon laquelle le requérant «… semblait satisfait et est resté calme et posé» lors de sa mise à l’isolement. Il conteste également l’argument de l’État partie selon lequel la plainte déposée par M. Sørensen et Mme Genefke le 5 août 2009, c’est-à-dire avant qu’il soit mis à l’écart des autres détenus, ne constituait pas un motif raisonnable pour ouvrir une enquête au titre de l’article 12 de la Convention. Les deux médecins susmentionnés sont considérés comme les plus grands spécialistes des questions de torture et leur plainte, déposée au nom d’une ancienne victime de la torture et invoquant un risque de réminiscences et de détérioration de sa santé mentale, aurait dû être considérée comme un motif raisonnable. En outre, le requérant fait observer que la plainte du 5 août 2009 portait sur les conditions de la détention depuis le 18 juin 2009, non pas sur les quatre jours d’isolement imposés à titre de sanction, et sur la privation de liberté comme constituant une forme de torture ou de mauvais traitement infligée à une ancienne victime de la torture. En outre, le fait que le requérant ait été placé en cellule disciplinaire, ce qui était encore plus grave pour sa santé, aurait dû être considéré comme une raison supplémentaire de diligenter une enquête au titre de l’article 12 de la Convention, ainsi que le demandaient les deux experts au nom du requérant. En dehors de la référence faite à un rapport psychiatrique daté du 6 juillet 2009 et au traitement à base de chlorprothixene prescrit pour maîtriser l’anxiété du requérant pendant sa détention, l’État partie n’a pas, de l’avis du conseil, donné d’explications convaincantes sur la fréquence et la nature des examens médicaux dont a pu bénéficier le requérant, en tant qu’ancienne victime de la torture, avant et pendant sa détention. D’après le requérant, son état de santé n’a jamais été contrôlé par l’État partie; il l’a seulement été à l’initiative personnelle d’un médecin, qui a conclu, le 28 août 2009, que l’état de santé du requérant s’était gravement détérioré. De surcroît, le requérant fait observer que le Ministère des réfugiés, de l’immigration et de l’intégration a refusé, le 1er septembre 2009, d’accepter le certificat établi par ce médecin au motif qu’il ne portait pas la signature du docteur Østergaard. Le Ministère a demandé qu’un autre certificat médical, signé cette fois par le docteur Østergaard, lui soit présenté avant le 8 septembre 2009, mais l’État partie a expulsé le requérant vers l’Iraq le 2 septembre 2009.

5.3En outre, le requérant souligne à nouveau qu’en refusant de s’enquérir de son état de santé, l’État partie est resté sans rien savoir des souffrances endurées par le requérant du fait des tortures et mauvais traitements subis dans le passé en Iraq ni des nouvelles souffrances que lui causaient sa détention et son placement en cellule disciplinaire au Danemark, en violation des articles 2 et 16 ainsi que de l’article 12 de la Convention. Contestant l’allégation de l’État partie selon laquelle il n’aurait à aucun moment dit avoir fait l’objet de mauvais traitements durant sa détention à l’institution Ellebaek, le requérant rappelle qu’une demande d’enquête a été faite en son nom le 5 août 2009 et a été suivie de nombreux courriers et courriers électroniques de son conseil. En outre, le requérant fait observer que l’argument de l’État partie selon lequel il aurait déclaré lors d’un entretien qu’il n’avait pas à se plaindre du comportement du personnel ne peut pas être considéré comme une preuve de retrait de la plainte présentée le 5 août 2009 en son nom par M. Sørensen et Mme Genefke. Enfin, le requérant souligne qu’il y a une différence entre se plaindre éventuellement du comportement de membres du personnel et dénoncer la décision de placement en cellule disciplinaire et de transfert vers une prison (la prison de Vestre) d’ordinaire utilisée pour les délinquants de droit commun. De l’avis du requérant, le traitement inhumain a été occasionné principalement par la décision de le mettre en détention et de le transférer dans une cellule disciplinaire à la prison de Vestre.

5.4En ce qui concerne la violation présumée de l’article 3 de la Convention, le requérant fait valoir que le processus d’expulsion le concernant a démarré le 25 août 2009 lorsque la Police d’État a demandé au Ministère des réfugiés, de l’immigration et de l’intégration, à la Commission de recours et au Service de l’immigration si elle pouvait procéder à l’expulsion. Le requérant affirme que la violation de l’article 3 de la Convention a été effective le 2 septembre 2009 lorsqu’il a été expulsé du territoire. Il affirme aussi avoir été expulsé vers l’Iraq sans qu’aucune enquête n’ait été menée sur ses problèmes de santé consécutifs aux tortures et traitements inhumains subis dans le passé, et ajoute qu’il a été procédé à son expulsion au mépris du rapport du groupe médical d’Amnesty International en date du 12 février 2009 et du certificat médical du 28 août 2009. Il conclut que son expulsion avant l’expiration du délai de sept jours accordé pour la soumission au Ministère des réfugiés, de l’immigration et de l’intégration d’un nouveau certificat médical signé constitue une violation caractérisée de l’article 3 de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention.Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune requête sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles; cette règle ne s’applique pas s’il est établi que les procédures de recours ont excédé des délais raisonnables ou s’il est peu probable qu’elles donneraient satisfaction à la victime.

6.3Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la requête en ce qui concerne les griefs de violation des articles 2 et 16 au motif que rien n’indiquait que le requérant ait exercé un recours auprès du Service des prisons et de la probation contre la décision de l’institution Ellebaek de l’écarter des autres détenus. Le Comité note que l’État partie a demandé que cette partie de la requête soit déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes utiles disponibles. Cependant, le Comité observe que l’objet de la requête dont il est saisi ne porte pas seulement sur la détention à l’isolement temporaire mais sur l’ensemble de la période de détention à partir du 18 juin 2009. Le Comité constate que la décision de mise en détention du requérant à l’institution Ellebaek a été confirmée par le tribunal de district d’Hillerød le 19 juin 2009 puis par la Haute Cour du Danemark oriental le 23 juin 2009. Dans ces circonstances, le Comité conclut que les conditions énoncées au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention ne l’empêchent pas d’examiner la requête.

6.4Le Comité note en outre que l’État partie a contesté la recevabilité de la requête en ce qui concerne le grief de violation de l’article 12, estimant que les allégations faites au nom du requérant selon lesquelles celui-ci avait été soumis à la torture ou à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant ne constituaient pas à première vue des motifs raisonnables justifiant que l’État partie soit tenu d’enquêter. Le Comité est d’avis que les griefs tirés de l’article 12 soulèvent des questions de fond qui doivent être examinées sur le fond et non sur le seul plan de la recevabilité. Il estime donc recevable cette partie de la requête.

6.5Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la requête en ce qui concerne le grief de violation de l’article 3, au motif que le requérant n’avait pas établi qu’à première vue sa communication était recevable. Le Comité est cependant d’avis que les allégations soulèvent des questions de fond qui doivent être examinées sur le fond et non sur le seul plan de la recevabilité. Il considère recevable la partie de la requête concernant l’article 3.

6.6.Considérant qu’il n’existe aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées par les parties.

Détention

7.2La première question dont est saisi le Comité est celle de savoir si la détention du requérant, ancienne victime de la torture, à l’institution Ellebaek constitue une forme de torture ou de peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant contraire aux articles 2 et 16 de la Convention.

7.3Le Comité considère que lorsque la détention de demandeurs d’asile déboutés est utilisée comme mesure de dernier ressort, sa durée doit être limitée, un contrôle médical doit être effectué à l’arrivée dans l’établissement de détention, et l’intéressé doit faire l’objet d’un suivi médical et psychologique par un professionnel de santé indépendant et spécialement formé lorsque des signes de torture ou de traumatisme ont été décelés au cours de la procédure d’asile.Dans le cas présent, le Comité note que la durée totale de détention du requérant a été inférieure à trois mois et que tant la décision initiale de mise en détention que ses reconductions ont fait l’objet d’un réexamen judiciaire. Le Comité note en outre que le requérant a été soumis à un examen psychiatrique le 6 juillet 2009, trois semaines environ après son placement à l’institution Ellebaek, et a été traité par des médicaments. Dans ces circonstances, le Comité conclut que la détention du requérant n’a pas été constitutive de violations de l’article 16 et de l’article 2 de la Convention.

Mise à l’écart des autres détenus

7.4Sur le point de savoir si le fait que le requérant a été mis à l’écart des autres détenus a constitué une violation distincte de l’article 16, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la mise à l’écart temporaire prévue dans la loi sur l’exécution des peines a été appliquée par nécessité, pour une durée limitée, était proportionnée au but légitime d’empêcher un comportement violent et n’était pas contraire à l’article 16 compte tenu de l’appréciation globale des circonstances de la participation du requérant à l’émeute violente qui avait éclaté au sein de l’institution Ellebaek le 9 août 2009. Le Comité considère que les conditions particulières de l’isolement cellulaire, la sévérité de la mesure, sa durée, l’objectif poursuivi et les effets de la mesure sur l’intéressé sont autant de facteurs à prendre en compte pour déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 16 de la Convention. Le Comité note que la mise à l’écart du requérant n’a pas dépassé quatre jours; que pendant ce temps, le requérant a reçu la visite de sa compagne, de son avocat, d’un psychologue et d’un médecin, et que sa cellule était équipée d’un téléviseur. Dans ces circonstances, le Comité conclu que la mise à l’écart du requérant pendant sa détention n’a pas constitué une violation distincte de l’article 16 de la Convention.

Grief au titre de l’article 12

7.5Le Comité note que le conseil invoque une violation de l’article 12 de la Convention, tenant au fait que l’État partie n’a pas diligenté d’enquête après les informations fournies par M. Sørensen et Mme Genefke le 5 août 2009 et qu’en outre le requérant a été expulsé du territoire de l’État partie avant que la plainte faisant valoir que sa détention constituait une violation de la Convention ait été examinée. Dans ce contexte, le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle la plainte déposée par M. Sørensen et Mme Genefke pendant la détention du requérant, avant sa mise à l’écart temporaire, ne constituait pas un motif suffisant pour faire ouvrir une enquête au titre de l’article 12 de la Convention puisqu’il n’y était fait mention d’aucun fait particulier de torture ou de mauvais traitement en dehors de la mention générale des effets négatifs de la détention sur la santé du requérant. Le Comité prend note en outre de l’affirmation de l’État partie selon laquelle le requérant ne s’est plaint à aucun moment d’avoir été soumis à un quelconque mauvais traitement durant sa détention.

7.6Le Comité rappelle sa jurisprudence sur le contenu et la portée de l’article12, selon laquelle les autorités de l’État ont l’obligation de procéder d’office à une enquête chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture ou de mauvais traitement a été commis. Dans le cas d’espèce, cependant, aucune allégation n’a été faite par le requérant ou en son nom selon laquelle il aurait été soumis à des actes de torture ou de mauvais traitement, en dehors de l’allégation générale selon laquelle sa détention en tant que telle, compte tenu de sa fragilité particulière due au fait qu’il avait déjà été soumis à la torture, constituait une violation de la Convention. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle une enquête menée en vertu de l’article12 doit chercher tout autant à déterminer la nature et les circonstances des faits allégués qu’à établir l’identité des personnes qui ont pu être impliquées. Dans les circonstances de l’espèce, où il est allégué que le seul fait de la détention constitue une violation de la Convention, le Comité considère qu’une telle enquête n’aurait servi aucun but raisonnable. En conséquence, il estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation de l’article12 de la Convention par l’État partie.

Grief au titre de l’article 3

7.7La dernière question dont est saisi le Comité est celle de savoir si le renvoi forcé du requérant en Iraq a constitué une violation de l’obligation qu’impose à l’État partie l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ni renvoyer une personne vers un autre État où il y a des raisons sérieuses de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture. Le Comité doit évaluer s’il existe des motifs sérieux de penser que le requérant aurait risqué personnellement d’être soumis à la torture.

7.8Pour apprécier ce risque, le Comité doit tenir compte de tous les éléments visés au paragraphe2 de l’article3 de la Convention, y compris l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Cependant, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’un individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne risque pas d’être soumise à la torture.

7.9Le Comité rappelle que l’objectif de cette évaluation est de déterminer si le requérant court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture à son retour dans le pays. Le Comité rappelle aussi son Observation générale no 1 sur l’application de l’article 3, dans laquelle il est dit que «l’existence [du risque de torture] doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons», mais qu’il «n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable», et que le risque doit être encouru personnellement et actuellement. À cet égard, dans de précédentes décisions, le Comité a estimé que le risque d’être soumis à la torture devait être prévisible, réel et personnel. Le Comité rappelle en outre que, conformément à son Observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de faits des organes de l’État partie intéressé, mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et est, au contraire, habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

7.10En l’espèce, le Comité note que l’État partie a reconnu et pris en considération le fait que le requérant avait été soumis à la torture dans le passé pour évaluer l’existence d’un risque que le requérant soit personnellement soumis à la torture s’il retournait dans son pays, y compris dans le cadre des trois décisions rendues par la Commission de recours des réfugiés, dans lesquelles cette question était abordée. Le Comité relève en outre qu’en 2009, les allégations du requérant quant à l’existence d’un risque de torture étaient exclusivement fondées sur les menaces émanant des familles de ses amis qui avaient été exécutés en 1995. Le Comité rappelle que l’article 3 de la Convention fait obligation à l’État partie de ne pas renvoyer de force une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Le Comité observe qu’en l’espèce, le requérant n’a pas démontré qu’il courait un tel risque.

7.11Au vu de ce qui précède, le Comité conclut que l’existence de motifs sérieux de croire que le requérant aurait couru un risque d’être soumis à la torture à son retour en Iraq n’est pas établie. Le Comité conclut en conséquence que son renvoi vers ce pays n’a pas constitué une violation de l’article 3 de la Convention.

8.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que la détention du requérant en tant que demandeur d’asile débouté du 18 juin au 2 septembre 2009 n’a pas constitué une violation des articles 16 et 2 de la Convention, que les droits qu’il tient de l’article 12 de la Convention n’ont pas été violés et que son renvoi vers l’Iraq par l’État partie n’a pas constitué une violation de l’article 3 de la Convention.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]