Nations Unies

CAT/C/49/D/464/2011

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

7 février 2013

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Communication no 464/2011

Décision adoptée par le Comité à sa quarante-neuvième session(29 octobre-23 novembre 2012)

P résentée par:

K. H. (représenté par un conseil, Niels-Erik Hansen)

Au nom de:

K. H.

État partie:

Danemark

Date de la requête:

7 février 2011 (date de la lettre initiale)

Date de la décision:

23 novembre 2012

Objet:

Expulsion du requérant vers l’Afghanistan

Questions de procédure:

Néant

Questions de fond:

Risque de torture au retour dans le pays d’origine

Article de la Convention:

3

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peinesou traitements cruels, inhumains ou dégradants(quarante-neuvième session)

concernant la

Communication no 464/2011

Présentée par:

K. H. (représenté par un conseil, Niels-Erik Hansen)

Au nom de:

K. H.

État partie:

Danemark

Date de la requête:

7 février 2011 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 23 novembre 2012,

Ayant achevé l’examen de la requête no 464/2011 présentée par Niels-Erik Hansen au nom de K. H. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22de la Convention contre la torture

1.1Le requérant est K. H., de nationalité afghane, né le 26 juillet 1975, qui réside actuellement au Danemark. Il affirme que son expulsion du Danemark à destination de l’Afghanistan violerait l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil, Niels-Erik Hansen.

1.2Le 15 juin 2011 et le 8 juin 2012, le Rapporteur chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, a décidé de ne pas adresser de demande de mesures provisoires à l’État partie au titre de l’article 114 (ancien art. 108) de son règlement intérieur (CAT/C/3/Rev.5).

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est un Pachtoune de souche, de confession musulmane sunnite. Il vivait dans le village de Kala Sheikh, district de Chaparhar, province de Nangarhar (Afghanistan). Il a été marié deux fois et il a eu cinq enfants avec sa seconde épouse. Il est analphabète et n’a jamais participé aux activités d’un quelconque parti politique ou religieux, ni pris part à des manifestations. Toutefois, son père et son frère travaillaient pour le Gouvernement jusqu’à ce que les moudjahidin prennent le pouvoir, et ils ont combattu contre les forces du Hezb-e-Islami. Le requérant soutient que l’un de ses frères a été détenu lorsque les moudjahidin étaient au pouvoir, et qu’il ne l’a pas revu depuis. Son village d’origine, Chaparhar, est associé à des activités terroristes.

2.2Le requérant et sa famille ont été menacés par les Talibans. En 2006 ou 2007, sa maison a été touchée par des missiles qui ont entraîné la mort de son père et de son frère. Les Talibans accusaient ses proches d’être des espions à la solde du Gouvernement. Le requérant a été contraint de fuir son village et de s’installer à Jalalabad, la capitale de province. Au début de 2010, alors qu’il travaillait sur un chantier de construction de route, les Talibans sont arrivés et l’ont arrêté ainsi que d’autres personnes qui se trouvaient avec lui. Il a été attaché et frappé avec des bâtons et à coups de crosse de fusil. Il a donné une fausse identité aux Talibans car ceux-ci connaissaient le nom de sa famille depuis que son frère et son père avaient eu des problèmes avec le Hezb-e-Islami. Il a accepté de collaborer à l’avenir avec eux car il n’avait pas le choix. Il est resté attaché à un arbre avec trois côtes brisées. Il n’est pas retourné à son travail car il craignait d’être de nouveau recherché par les Talibans.

2.3Par la suite, le requérant a travaillé à Jalalabad comme maçon. Un jour, alors qu’il terminait son travail, une explosion s’est produite. Ensuite, il a été arrêté par la police avec quatre de ses collègues et a été accusé à tort d’avoir participé à une attaque terroriste à Jalalabad. Il a été détenu pendant deux jours et était interrogé trois fois par jour. Ses quatre collègues ont été libérés le lendemain. Les policiers ont gardé le requérant parce qu’il parlait pachtou et qu’il était originaire d’un village d’où venaient aussi de nombreux Talibans. Au cours de sa détention, il a été de nouveau maltraité, frappé et battu avec des morceaux de bois et à coups de crosse de fusil. Il a été blessé aux mains et à une jambe. Avec l’aide de l’oncle de sa femme, il a pu soudoyer la police et s’échapper de prison pendant la nuit. Les policiers lui ont conseillé de quitter l’Afghanistan, précisant que sinon il serait assassiné; ils craignaient en effet qu’il ne parle du pot-de-vin. Par la suite, le requérant est allé jusqu’à Peshawar, au Pakistan, au volant d’un minibus. Il est resté dans ce pays pendant deux semaines avant de traverser, à bord de fourgonnettes et de camions, la République islamique d’Iran, la Turquie, la Grèce puis l’Italie. Il était en possession d’un passeport pakistanais lorsqu’il est parti, mais celui-ci a été saisi en Iran.

2.4Le requérant est arrivé au Danemark le 25 juillet 2010, sans documents de voyage, et il a sollicité l’asile dès le lendemain. Étant analphabète, il ne pouvait pas remplir lui-même la demande d’asile. Il a déclaré qu’il avait fui les Talibans et avait échappé aux autorités afghanes. Il avait été détenu par les Talibans puis arrêté par les autorités et accusé à tort d’avoir commis un attentat terroriste; pendant qu’il était en détention, il avait été maltraité et torturé au point qu’il avait eu plusieurs côtes brisées. Il a ajouté que la torture était très répandue en Afghanistan et que les autorités étaient incapables de protéger la population contre la violence des Talibans. Il craignait pour sa vie, parce qu’il avait été arrêté par les autorités qui l’associaient à une explosion survenue à Jalalabad, qu’il avait été forcé de coopérer avec les Talibans, et qu’il avait réussi à s’échapper de prison après avoir versé un pot-de-vin. S’il était à nouveau arrêté, il serait torturé et tué. Il craignait aussi de subir le même sort si les Talibans le retrouvaient car ceux-ci étaient toujours convaincus qu’il était un espion à la solde du Gouvernement. Le requérant ignorait où se trouvait sa famille, et il n’a pas pu fournir un certificat de nationalité délivré par son pays d’origine.

2.5Le 28 octobre 2010, le Service de l’immigration danois a rejeté la demande d’asile du requérant en précisant qu’il incombait à l’intéressé de fournir les informations nécessaires pour que sa demande puisse être examinée. Toutefois, le récit du requérant était vague et plusieurs points importants étaient contradictoires, comme par exemple les circonstances de sa détention par les autorités afghanes et de son évasion de prison. Le requérant a contesté cette décision devant la Commission de recours pour les réfugiés.

2.6Le 17 janvier 2011, la Commission de recours pour les réfugiés a rejeté la demande d’examen médical faite par le requérant, ainsi que sa demande d’asile, et a ordonné son expulsion conformément à l’article 33, paragraphes 1 et 2, de la loi relative aux étrangers. La Commission a accepté les allégations du requérant relatives aux incidents avec les Talibans. Toutefois, elle a souligné que l’intéressé avait pu vivre en Afghanistan pendant au moins un an sans rencontrer le moindre problème avec les Talibans, qu’il avait donné une fausse identité, et que le fait d’avoir reçu des coups, qui lui avaient valu d’avoir eu une côte cassée, n’était pas suffisamment pertinent pour appuyer sa demande. La Commission a également estimé que le requérant avait donné des informations contradictoires s’agissant du lieu d’où il était originaire, et que ses allégations selon lesquelles il avait été détenu par les autorités qui le suspectaient de terrorisme et extrêmement maltraité ne cadraient pas avec les circonstances de sa détention et de son évasion, ni avec le lieu où cela s’était produit. Par conséquent, ses déclarations n’étaient pas crédibles et il était peu probable qu’il risque d’être persécuté ou victime de violences s’il était expulsé vers l’Afghanistan. Malgré les demandes répétées du requérant, la Commission a refusé sa demande d’asile sans ordonner aucun examen médical qui aurait pu mettre en évidence d’éventuelles traces de torture.

2.7Le requérant soutient qu’avec la décision de la Commission tous les recours internes ont été épuisés.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que l’État partie n’a pas correctement évalué le risque qu’il court d’être soumis à la torture s’il est expulsé vers l’Afghanistan. Il soutient qu’il courrait personnellement le risque d’être persécuté et torturé par les autorités afghanes ou les Talibans, en violation de l’article 3 de la Convention.

3.2Le requérant fait valoir que, bien que la Commission de recours pour les réfugiés ait admis qu’il avait été détenu par les Talibans et traité de telle façon qu’il avait eu une côte brisée, comme il l’affirmait, elle n’a pas estimé que cela constituait un fait pertinent pour lui accorder l’asile. L’État partie ne s’est même pas intéressé à la question de savoir si les autorités afghanes seraient en mesure de le protéger contre la violence des Talibans. S’agissant de l’appréciation qu’elle a faite des actes de violence imputés aux autorités, la Commission s’est surtout intéressée à certaines incohérences dans les déclarations du requérant, incohérences qui n’étaient pas suffisantes pour justifier le rejet de sa demande et qui étaient dues pour l’essentiel à des problèmes d’interprétation. En outre, bien que le requérant ait fourni des éléments de preuve à caractère médical et demandé un examen médical approfondi et spécialisé, la Commission a rejeté sa demande d’asile sans ordonner qu’un tel examen soit pratiqué. Par conséquent, le refus de l’État partie de tenir compte des informations médicales fournies par le requérant et de faire pratiquer un examen médical approfondi constituent une violation de l’article 3 de la Convention.

3.3Le requérant soutient que l’État partie a également refusé d’examiner et d’évaluer ses allégations à la lumière de la situation des droits de l’homme en Afghanistan, en particulier de tenir compte du fait que la torture est largement répandue dans le pays, que le système judiciaire s’est effondré et que tant les autorités afghanes que les Talibans commettent des actes de violence contre la population.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 15 décembre 2011, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond, et demandé au Comité de déclarer que la requête est irrecevable car manifestement dépourvue de fondement, conformément au paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention, ou, à titre subsidiaire, qu’elle ne permet pas de conclure à une violation de l’article 3 de la Convention.

4.2L’État partie a apporté des précisions concernant la procédure d’asile suivie par le Service de l’immigration danois et la Commission de recours pour les réfugiés. Le 23 août 2010, le requérant a affirmé qu’il avait été détenu à deux reprises, une fois par les Talibans et l’autre par les autorités afghanes. Les autorités l’avaient accusé d’avoir organisé une explosion à Jalalabad. L’oncle de sa femme avait soudoyé les autorités afin qu’il puisse s’échapper. La police le recherchait et s’il était à nouveau arrêté il serait probablement tué par les autorités. Par ailleurs, le requérant et sa famille avaient été menacés par les Talibans à Chaparhar, qui les considéraient comme des espions à la solde du Gouvernement. Trois ou quatre ans plus tôt, la maison du requérant avait été touchée par des missiles et son père et son frère avaient été tués à cette occasion.

4.3Le 2 septembre 2010, le Service de l’immigration s’est entretenu avec le requérant. Celui-ci a indiqué que, six mois plus tôt environ, alors qu’il sortait du bâtiment dans lequel il travaillait, une explosion s’était produite à proximité de l’aéroport à Jalalabad, et qu’il était donc resté à l’intérieur du bâtiment pendant un certain temps avant de partir. Toutefois, selon ses dires, la police est arrivée et l’a arrêté ainsi que quatre de ses collègues. Ils ont été emmenés au bureau de la police du district à Jalalabad et placés dans la même cellule que d’autres personnes. Le requérant est resté en détention pendant deux jours. Au cours de cette période, il était interrogé trois fois par jour et soumis à des actes de violence de la part de policiers qui le frappaient à coups de crosse et avec des bâtons. Ses collègues ont été libérés mais lui est resté en détention parce qu’il était originaire de Chaparhar, un village d’où venaient de nombreux terroristes. Il a été libéré après avoir versé un important pot-de-vin. Les autorités lui ont dit qu’il devait quitter le pays. Le requérant a également dit au Service de l’immigration qu’auparavant, alors qu’il travaillait à la construction d’une nouvelle route, les Talibans étaient arrivés une nuit et l’avaient arrêté avec sept autres personnes. Il avait été attaché à un arbre et frappé avec des bâtons et à coups de crosse. Le matin suivant, lorsque les habitants de la ville étaient arrivés à cet endroit, ses compagnons et lui avaient été libérés. Le requérant a également indiqué, en réponse à une question, qu’il n’avait jamais été détenu auparavant ou qu’il n’avait pas eu d’autres problèmes en Afghanistan. Il a aussi souligné qu’il avait participé à des manifestations contre les Talibans trois ou quatre ans auparavant.

4.4Le 21 octobre 2010, les autorités de l’immigration ont eu un nouvel entretien avec le requérant. Celui-ci a tout d’abord affirmé qu’il n’avait jamais été détenu ou arrêté par les autorités en Afghanistan, ni recherché par elles. Puis, il a déclaré qu’il avait été détenu par la police à l’occasion de festivités six mois avant son entrée au Danemark. Lorsque sa première déclaration lui a été rappelée, le requérant a déclaré qu’il pensait que la question était de savoir s’il avait eu des problèmes sous le gouvernement du Président Najibullah, et non sous celui du Président Karzai. Durant l’entretien, il a également soutenu qu’il travaillait à l’extérieur d’un bâtiment lorsque l’explosion s’était produite à Jalalabad et qu’il avait commencé à courir dans la direction opposée à celle où se trouvaient des policiers, parce que ceux-ci tiraient et qu’il aurait pu être touché par une balle. Après que les autorités eurent souligné que cela ne coïncidait pas avec sa déclaration antérieure, le requérant a indiqué qu’il était resté à l’extérieur du bâtiment. Lorsque les autorités lui ont demandé pourquoi il n’avait pas demandé à la police de contacter son patron sur place afin que celui‑ci confirme ses déclarations, le requérant a dit qu’il n’avait pas de vrai patron et que seul un ingénieur venait de temps en temps contrôler le travail et verser le salaire. Lorsqu’on lui a demandé si les policiers qui avaient reçu le pot-de-vin avaient posé des conditions à sa libération, il a répondu par la négative. Lorsqu’on lui a rappelé sa déclaration antérieure, il a déclaré que c’était l’oncle de son épouse qui lui avait dit de partir, mais que la police voulait également qu’il quitte l’Afghanistan. S’agissant de ses allégations selon lesquelles sa famille était recherchée par les Talibans, il a indiqué qu’en raison des postes occupés par son père et son frère, les Talibans pensaient qu’ils étaient des espions à la solde du Gouvernement.

4.5Le 17 janvier 2011, lors de l’audition réalisée par la Commission de recours pour les réfugiés, le requérant a soutenu qu’il se dirigeait vers son domicile après avoir quitté le travail et qu’il avait marché pendant une vingtaine de minutes, à proximité de l’aéroport, lorsque l’explosion s’était produite. Lorsqu’on lui a rappelé ses déclarations antérieures, il a répondu qu’il sortait du bâtiment lorsque l’explosion s’était produite, qu’il s’était éloigné du site en courant, que la police lui avait ordonné de s’arrêter, mais qu’il avait continué à courir car il était paniqué. Il a également souligné qu’il avait été détenu parce qu’il parlait pachtou et qu’il venait de Tora Bora. Lorsqu’on lui a rappelé sa déclaration antérieure, il a indiqué que Chaparhar et Tora Bora étaient proches l’une de l’autre. De même, ses déclarations antérieures contradictoires concernant les conditions de sa libération lui ont été rappelées. Il a dit aux autorités que la police craignait qu’il ne parle du pot-de-vin. C’est pour cette raison que le chef de la police avait exigé qu’il quitte le pays.

4.6Le rapport d’enregistrement de la demande d’asile indique que le requérant a déclaré qu’il avait eu les côtes inférieures abîmées deux ans auparavant et qu’il attendait un examen médical. Cela mis à part, il était en bonne santé. Lors de l’entretien avec le Service de l’immigration le 21 octobre 2010, il a affirmé qu’au Danemark il avait été soigné pour des douleurs à l’abdomen. Dans le mémoire du 10 janvier 2011 qui a été présenté avant l’audition par la Commission de recours pour les réfugiés, son conseil a demandé une suspension de la procédure pour que son client puisse être examiné afin que d’éventuels signes de torture soient constatés, et il a joint deux mémorandums datés du 11 octobre et du 13 décembre 2010, établis par un consultant médical. Lors de l’audition de la Commission, le 17 janvier 2011, le requérant a répété ses déclarations et indiqué que les médecins au Danemark ne pouvaient pas l’opérer aux côtes et qu’il prenait donc des analgésiques. Il prenait également des médicaments car il avait des cauchemars.

4.7En ce qui concerne sa législation nationale, l’État partie fait observer que, en vertu de l’article 7, paragraphe 1, de la loi relative aux étrangers, un permis de résidence peut être accordé à un étranger si les dispositions de la Convention relative au statut des réfugiés lui sont applicables. À cette fin, l’article 1.A de cette convention a été intégré au droit danois. Bien que cet article ne mentionne pas la torture comme motif justifiant l’asile, elle peut constituer un élément de persécution. Un permis de résidence peut donc être accordé lorsqu’il est établi que le demandeur d’asile a été victime de torture avant de venir dans l’État partie, et que les craintes réelles que cela peut lui inspirer sont considérées comme fondées. Ce permis est accordé même si l’on considère qu’une expulsion éventuelle n’entraînerait pas un risque de persécution ultérieure. De même, en vertu de l’article 7, paragraphe 2, de la loi relative aux étrangers, un permis de résidence peut être accordé à un étranger qui en fait la demande si l’intéressé risque d’être soumis à la peine de mort ou à des actes de torture ou à des traitements ou châtiments inhumains ou dégradants en cas de renvoi dans son pays d’origine. Dans la pratique, la Commission de recours pour les réfugiés considère que ces conditions sont remplies lorsque des facteurs précis et particuliers rendent probable que l’intéressé sera exposé à un risque réel.

4.8Les décisions de la Commission de recours pour les réfugiés sont fondées sur une évaluation individuelle et spécifique de l’affaire. Les motifs du demandeur d’asile sont évalués à la lumière de tous les éléments de preuve pertinents, notamment les documents de référence généraux concernant la situation et les conditions dans le pays d’origine, en particulier lorsque des violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme se produisent de manière systématique. Ces informations proviennent de différentes sources, notamment des rapports de pays établis par d’autres gouvernements ainsi que des renseignements émanant du Haut-Commissariat pour les réfugiés et d’organisations non gouvernementales (ONG) importantes.

4.9Lorsque la torture est invoquée à l’appui de la demande d’asile, la Commission de recours pour les réfugiés peut soumettre le demandeur à un examen pour déceler d’éventuels signes de torture. La décision quant à la nécessité ou non d’un examen médical est prise lors de l’audition par la Commission et dépend des circonstances de l’affaire et d’autres éléments tels que la crédibilité de la déclaration du demandeur au sujet de la torture.

4.10L’État partie fait valoir que c’est au requérant qu’il incombe d’établir qu’à première vue sa communication est recevable au titre de l’article 22 de la Convention. En l’occurrence, il n’a pas été suffisamment établi que le requérant serait en danger d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Afghanistan. La demande de l’intéressé est manifestement mal fondée et devrait, par conséquent, être déclarée irrecevable.

4.11L’objet de la communication est d’utiliser le Comité comme organe de recours, afin qu’il effectue une nouvelle appréciation des circonstances de fait avancées à l’appui de la demande d’asile. L’État partie rappelle l’Observation générale no 1 (1997) du Comité relative à l’application de l’article 3 et souligne que le Comité devrait accorder un poids considérable aux constatations de fait effectuées par l’État partie concerné. Dans le cas d’espèce, le requérant a eu la possibilité de présenter ses opinions, tant oralement que par écrit, avec l’assistance d’un conseil. Par la suite, la Commission de recours pour les réfugiés a procédé à un examen complet et approfondi des éléments de preuve. L’État partie affirme donc que le Comité doit accorder un poids considérable aux conclusions de la Commission.

4.12La Commission de recours pour les réfugiés a rejeté la demande du requérant au motif qu’il n’avait pas établi qu’il risquait de subir de nouvelles exactions de la part des Talibans s’il était renvoyé en Afghanistan. Le requérant a indiqué, au cours de la procédure, que tous les ouvriers avaient été interrogés et fouillés par les Talibans. Dès lors, il n’était donc pas persécuté à titre personnel. En outre, le requérant avait donné une fausse identité et il avait vécu en Afghanistan sans aucun autre problème pendant au moins un an après l’incident.

4.13Quant à l’affirmation du requérant selon laquelle il a été torturé par les autorités afghanes, l’État partie fait valoir que l’argument de l’intéressé, qui affirme être recherché par les autorités afghanes, n’est pas crédible étant donné qu’il a tenu des propos extrêmement contradictoires quant à son lieu d’origine, le lieu où il se trouvait lorsque l’explosion s’est produite à Jalalabad, les circonstances dans lesquelles il a été détenu et les conditions de sa libération.

4.14S’agissant de l’affirmation du requérant selon laquelle les incohérences dans ses déclarations étaient dues à l’interprétation, l’État partie note que, pendant les entretiens avec la police et les autorités de l’immigration, des services d’interprétation en pachtou, qui est sa langue maternelle, lui ont été fournis. Il fait en outre valoir que lecture lui a été faite de sa demande d’asile du 23 août 2010, et qu’il a confirmé sa déclaration et signé le procès-verbal sans évoquer de quelconques problèmes de langue lors de l’entretien mené par la police. Après les entretiens réalisés par le Service de l’immigration, les comptes rendus ont été traduits par l’interprète et revus avec le requérant, qui avait alors la possibilité de faire des observations, le cas échéant. Toutefois, il n’a fait aucun commentaire au sujet des problèmes de langue. De même, durant l’audition par la Commission de recours pour les réfugiés, lors de laquelle le requérant a été représenté par son conseil, aucune objection n’a été soulevée quant à l’interprétation de ses déclarations.

4.15L’État partie soutient qu’il n’était pas nécessaire de faire examiner le requérant pour déceler d’éventuels signes de torture, comme celui-ci le demandait, étant donné que ses déclarations n’étaient pas crédibles. Les autorités d’immigration ont accepté l’allégation du requérant qui affirmait avoir eu une côte cassée suite aux violences subies dans le contexte du conflit avec les Talibans, mais elles ont conclu que l’intéressé n’était pas persécuté par les Talibans et qu’il ne risquait donc pas de subir de nouveaux actes de violence de leur part. En revanche, la Commission de recours pour les réfugiés n’a pas été en mesure d’accepter comme étant avérée l’allégation selon laquelle il aurait été détenu et soumis à des actes de violence par les autorités afghanes.

4.16Le requérant a produit un certain nombre d’éléments nouveaux devant le Comité, notamment une photocopie qui serait une reproduction d’un article publié dans un journal local afghan, présentant le requérant comme une personne recherchée pour terrorisme. L’État partie constate que ce document n’a pas été présenté au cours de la procédure de demande d’asile. Il soutient en outre qu’il ne constitue pas un élément de preuve significatif pour l’affaire et qu’il n’y a pas d’explication crédible quant à la présentation de cet article à ce stade tardif de la procédure. D’après la traduction qui a été demandée par la Commission, l’article a été publié dans The Nangarhar Daily, le 15 juillet 2010. Il semblerait, selon l’article, que la police chargée de la sécurité dans la province de Nangarhar informait le public que K. H., fils de K. R., résidant dans la province de Nangarhar, district de Chaparhar, avait été arrêté avec deux amis par les forces de sécurité parce qu’il était soupçonné d’avoir placé des bombes le long d’une route. Toutefois, ces personnes avaient réussi à s’échapper au bout d’une journée. Les deux amis avaient été à nouveau arrêtés. L’État partie souligne en outre qu’il n’est pas possible d’établir l’authenticité de ce document ou de vérifier cette information. Néanmoins, à supposer que l’article soit véridique, il ne semble pas corroborer les déclarations faites par le requérant durant la procédure de demande d’asile, en raison de plusieurs divergences entre les informations qui y figurent et les déclarations en question, telles que le nom de la personne, son lieu de résidence, les circonstances de l’arrestation et de la libération des autres personnes arrêtées, et les dates de la détention alléguée et de la publication de l’article.

4.17Dans l’éventualité où le Comité jugerait la requête recevable, l’État partie souligne que le requérant n’a pas établi que son retour en Afghanistan constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Il affirme en outre que le paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention exige que la personne concernée soit confrontée à un risque prévisible, réel et personnel d’être torturée dans le pays vers lequel elle va être expulsée, et que le risque de torture doit être évalué en fonction d’éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons, même s’il n’est pas nécessaire de montrer qu’il est hautement probable. L’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas en soi un motif suffisant pour juger qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 3 février 2012, le requérant a transmis ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il affirme que l’État partie a violé non seulement le paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, mais aussi le paragraphe 2, dans la mesure où, en refusant de faire droit à la demande du requérant d’être soumis à un examen médical, il s’est abstenu de rassembler les informations nécessaires qui auraient permis d’évaluer les allégations de torture avant de prendre une décision définitive.

5.2Le requérant est en accord avec la présentation des faits de l’espèce par l’État partie.

5.3Le requérant souligne qu’il craint d’être victime de persécution par les Talibans et les autorités afghanes, en particulier par ces dernières dans la mesure où il a été contraint d’accepter de coopérer avec les Talibans lorsqu’il était détenu par eux, ce dont la police afghane pouvait avoir connaissance. S’il était renvoyé en Afghanistan, les autorités le tortureraient pour le contraindre à avouer qu’il a coopéré avec les Talibans.

5.4Les autorités danoises ont fondé leur appréciation de la crédibilité du requérant sur l’incohérence des déclarations que celui-ci a faites au début de la procédure d’asile. Toutefois, ce problème se produit souvent au cours du premier entretien avec des demandeurs d’asile dans la mesure où ceux-ci ont peur de dire la vérité et ne se sentent pas en sécurité. Cela étant, le requérant a informé les autorités de l’immigration des circonstances dans lesquelles il avait été torturé et il leur a même transmis des éléments de preuve à caractère médical à l’appui de sa demande. Il réaffirme que les incohérences dans ses déclarations étaient dues à une interprétation inadéquate, ce qui était particulièrement important dans son cas car, étant analphabète, il n’a pas pu lire les traductions ni donc confirmer qu’elles reflétaient de manière exacte ce qu’il avait souhaité communiquer aux autorités. Son conseil n’était pas en mesure de vérifier la fiabilité de la traduction puisqu’il ne connaît pas le pachtou. Il n’était donc pas possible de vérifier si ces traductions, dont il est fait mention dans la décision du Service de l’immigration et dans celle de la Commission de recours pour les réfugiés, étaient correctes et fiables.

5.5Le requérant n’a pas pu soumettre un véritable rapport médical attestant qu’il avait effectivement été torturé car il n’avait pas les moyens de payer un examen médical. Toutefois, il a fourni aux autorités les deux «mémorandums» établis par un médecin. Bien qu’ils ne mentionnent pas de signes de torture, ces documents fournissaient suffisamment d’informations pour justifier sa demande d’être soumis à un examen médical. De plus, lors de l’audition par la Commission de recours pour les réfugiés, le requérant a indiqué qu’il avait eu trois côtes cassées et il a également montré d’autres traces de la violence qui lui avait été infligée par les autorités sur les mains et sur une jambe. Il fait en outre valoir qu’à la lumière des éléments attestant l’existence incontestable de violations graves, flagrantes et massives des droits de l’homme en Afghanistan, si les autorités danoises mettaient en doute la crédibilité de ses déclarations, elles auraient dû ordonner qu’un examen médical spécialisé soit pratiqué, comme il le leur demandait. Le requérant fait en outre valoir qu’il a rencontré son conseil le 10 janvier 2011 et que, ce même jour, celui-ci a soumis une demande de suspension des procédures afin qu’il soit procédé à un examen médical. Le 17 janvier 2011, au début de l’audition par la Commission, cette demande a été renouvelée oralement. Cependant, aucune décision n’a été prise à cette occasion, et par la suite la Commission a décidé de rejeter la demande d’asile du requérant sans faire effectuerd’examen médical.

5.6Bien qu’il ait accepté l’affirmation du requérant concernant la violence infligée par les Talibans, l’État partie n’a pas expliqué pour quelle raison ces actes n’étaient pas pertinents au regard de la loi relative à l’asile pour déterminer le risque personnel et réel que courrait l’intéressé s’il était renvoyé en Afghanistan, et il s’est contenté de nier une telle possibilité. En outre, alors même qu’elles ont reconnu que le requérant avait été victime de certaines violences infligées par les Talibans, les autorités ne se sont pas préoccupées de savoir si le Gouvernement serait en mesure de le protéger contre d’éventuelles représailles de la part des Talibans. Le requérant rappelle qu’en tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable. De même, il affirme que l’État partie ne fournit pas suffisamment de détails au sujet des déclarations contradictoires qui auraient pour effet d’ôter toute crédibilité à l’affirmation selon laquelle il aurait été torturé par les autorités afghanes.

5.7En ce qui concerne la procédure de demande d’asile, le requérant note que la décision de la Commission de recours pour les réfugiés ne peut pas être contestée devant une juridiction supérieure, et que l’un des trois membres de la Commission est un fonctionnaire du Ministère de la justice danois, ce qui met en question l’impartialité et l’indépendance de la Commission. Il soutient en outre que, lorsque les autorités de l’immigration examinent les demandes d’asile, l’appréciation qu’elles en font n’est pas nécessairement conforme aux normes prévues à l’article 3 de la Convention.

5.8Lors de l’audition par la Commission de recours pour les réfugiés, de nombreuses questions posées par les agents des services de l’immigration et les membres de la Commission visaient à révéler les incohérences des déclarations du requérant et leur manque de crédibilité. La façon dont les membres de la Commission posaient les questions a donné au requérant l’impression qu’il était mis à l’épreuve par les personnes qui devaient justement se prononcer sur sa requête à l’issue de l’audition.

5.9Bien que le Comité ne soit pas un organe de recours, comme cela est indiqué dans l’Observation générale no1, il n’est pas lié par les conclusions des organismes de l’État partie et il a la faculté de procéder à une évaluation indépendante des faits en se fondant sur la totalité des circonstances dans chaque affaire, comme le prévoit le paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.

5.10Le requérant souligne que l’État partie a reconnu qu’il avait été victime de violences graves de la part des Talibans. Néanmoins, les autorités de l’État partie n’ont pas évalué la gravité de la violence qui lui avait été infligée en vue de déterminer si cela constituait des actes de torture. En outre, un examen médical aurait également permis d’obtenir davantage de précisions sur l’affirmation selon laquelle il aurait été torturé par les autorités afghanes, mais il a été empêché de produire cet élément de preuve. Le requérant affirme de plus que la situation des droits de l’homme en Afghanistan, compte tenu des violations commises par les Talibans, persiste encore actuellement et que les autorités gouvernementales ne sont pas en mesure d’assurer la protection des personnes contre la violence des Talibans.

5.11En ce qui concerne l’appréciation de ses allégations relatives à la détention et aux tortures infligées par les autorités afghanes, le requérant indique que les raisons pour lesquelles les autorités danoises ont conclu que ses déclarations étaient contradictoires ne sont pas pertinentes dans la mesure où elles portent essentiellement sur le fait qu’il s’est contredit au sujet des circonstances de sa détention après l’explosion à Jalalabad. En outre, l’État partie n’a pas tenu compte dans son appréciation du fait que des ONG importantes font état de torture pratiquée par la police afghane.

5.12Le requérant affirme qu’il est originaire de Tora Bora, région d’où viennent de nombreux Talibans, et qu’il parle pachtou. S’il est renvoyé en Afghanistan, ces deux faits suffiraient à ce qu’il soit interrogé par les autorités. Ceci, conjugué au fait qu’il a été contraint de promettre aux Talibans de les aider et que la police de Kaboul peut être informée de son évasion de prison, lui fait courir le risque d’être torturé.

5.13En ce qui concerne la copie d’un article de journal annexée à sa lettre, le requérant note que le Comité est libre d’apprécier tous les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de l’affaire, et que rien ne l’empêche d’examiner des éléments de preuve qui n’ont pas été produits dans le cadre de la procédure engagée devant l’État partie. Il indique en outre qu’il ne pouvait pas fournir ce document aux autorités parce qu’il ne l’a reçu qu’en mai 2011. Il souligne également que l’article atteste que les autorités afghanes avaient connaissance de sa détention antérieure et de son évasion de prison, ce qui confirme qu’il courrait effectivement un risque réel et personnel s’il était renvoyé en Afghanistan.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 11 avril 2012, l’État partie a communiqué des informations complémentaires relatives aux commentaires du requérant sur ses observations sur la recevabilité et sur le fond.

6.2L’État partie souligne que la Commission de recours pour les réfugiés a pris pleinement en considération l’allégation du requérant concernant le conflit avec les Talibans, et que, comme cela est indiqué dans sa décision, le requérant lui-même a affirmé qu’il avait donné une fausse identité, que tous les ouvriers avaient été interrogés et fouillés de manière générale, et qu’il avait pu vivre en Afghanistan pendant une année sans rencontrer aucun autre problème.

6.3La Commission de recours pour les réfugiés doit tenir compte des faits et prendre des décisions objectivement correctes. En fonction des circonstances, elle est censée poser des questions au demandeur d’asile lors de l’audience orale afin d’établir correctement les faits. Cela ne compromet cependant pas son impartialité et son professionnalisme. L’État partie fait en outre observer que ni le requérant ni son conseil n’ont affirmé qu’un membre de la Commission avait interrogé le requérant de manière déplaisante. À la fin de l’audition, il a été demandé au requérant s’il avait d’autres observations à faire, mais il n’en avait aucune.

6.4Le fait que la Commission de recours pour les réfugiés ne se soit pas expressément référée à la Convention ne saurait être considéré comme impliquant qu’elle n’a pas tenu compte des obligations en découlant dans sa décision.

6.5Lorsqu’elle étudie une demande d’asile, la Commission de recours pour les réfugiés tient compte de tous les éléments de fait et de l’ensemble des informations disponibles pour prendre sa décision.

6.6L’État partie fait valoir qu’au regard de la loi relative à l’asile, le nombre de côtes cassées résultant de la violence des Talibans ne changerait rien à l’évaluation spécifique de l’agression qu’aurait subie le requérant.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité rappelle que, conformément à l’alinéa b du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie a reconnu en l’espèce que tous les recours internes avaient été épuisés.

7.3L’État partie soutient que la communication est irrecevable car manifestement dépourvue de fondement. Le Comité considère toutefois que les arguments présentés par le requérant soulèvent des questions importantes, qui devraient être examinées au fond. En conséquence, il ne constate pas d’autre obstacle à la recevabilité et déclare la communication recevable. L’État partie et le requérant ayant l’un et l’autre présenté des observations sur le fond de la communication, le Comité procède directement à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant en Afghanistan, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

8.3Concernant l’affirmation du requérant selon laquelle il risque d’être emprisonné et torturé s’il est refoulé, le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être victime de torture en cas de retour dans son pays d’origine. Pour évaluer ce risque, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être victime de torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante d’établir qu’une personne donnée serait en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé serait personnellement en danger. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

8.4Le Comité rappelle son Observation générale no 1 relative à l’application de l’article 3 de la Convention, selon laquelle l’existence du risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est hautement probable, le Comité rappelle que la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court «personnellement un risque réel et prévisible». Le Comité rappelle également, tel qu’indiqué dans son Observation générale no 1, que même s’il accorde un poids considérable aux constatations de fait effectuées par les organes de l’État partie concerné, il lui appartient d’apprécier librement les faits de chaque cause, en tenant compte des circonstances.

8.5Dans le cas d’espèce, le Comité constate que l’État partie a reconnu que le requérant avait été détenu par les Talibans alors qu’il travaillait à la construction d’une route, et que ceux-ci ont été très violents avec lui puisqu’ils lui ont cassé au moins une côte. Le Comité note également que l’État partie a estimé que le requérant ne risquait pas de subir des violences de la part des Talibans s’il était renvoyé dans son pays dans la mesure où il n’était pas individuellement persécuté, il avait donné une fausse identité et il avait pu vivre en Afghanistan sans rencontrer d’autres problèmes. Le Comité note que l’État partie soutient que l’allégation du requérant selon laquelle il aurait été torturé par les autorités afghanes n’était pas crédible en raison de ses déclarations contradictoires concernant son lieu d’origine et les circonstances de sa détention et de son évasion de prison. Il prend note également de l’argument de l’État partie selon lequel les entretiens avec le Service de l’immigration et l’audition avec la Commission de recours pour les réfugiés ont été tenus avec l’assistance d’un interprète de langue pachtou, et que le requérant n’a fait aucune observation concernant des problèmes de langue. Le Comité note par ailleurs que, malgré la demande du requérant, la Commission a estimé qu’un examen médical spécialisé était inutile dans la mesure où ses déclarations étaient contradictoires.

8.6Le Comité note que le requérant conteste l’appréciation de l’État partie concernant le risque auquel il serait confronté s’il était renvoyé en Afghanistan. Le requérant soutient qu’il risquerait d’être persécuté par les Talibans et les autorités afghanes. Le Comité prend note de l’affirmation du requérant selon laquelle l’État partie n’a pas expliqué pourquoi l’allégation non contestée concernant la violence à laquelle il a été soumise par les Talibans n’est pas pertinente au titre de la loi relative à l’asile; et que les autorités n’ont pas déterminé si les autorités afghanes seraient en mesure de le protéger contre d’éventuelles représailles de la part des Talibans. S’agissant de la violence qui aurait été infligée au requérant par les autorités afghanes, le Comité constate également que le requérant soutient que l’État partie a apprécié la crédibilité de cette allégation au vu des divergences entre les déclarations qu’il a faites lors de la procédure de la demande d’asile, que ces incohérences étaient dues à des problèmes d’interprétation, et qu’il n’avait pas pu vérifier ses déclarations étant donné qu’il est analphabète. Le requérant affirme encore que bien qu’il ait demandé à la Commission de recours pour les réfugiés de lui faire subir un examen médical spécialisé afin de vérifier l’existence de traces de torture, et qu’il lui ait montré de prétendues traces de torture sur les mains et sur une jambe ou un pied, la Commission a rejeté sa demande d’asile sans ordonner d’examen médical.

8.7Le Comité observe qu’il n’est pas contesté que le requérant a été détenu par les Talibans et victime de violences, et qu’il a eu au moins une côte cassée. Toutefois, il constate également que l’allégation de persécution par les Talibans est essentiellement liée aux activités du père et du frère du requérant, lesquels ont été tués en 2006 ou 2007, qu’il n’est pas affirmé que ces persécutions se poursuivent contre un autre membre de sa famille, y compris le requérant lui-même, et que la détention de ce dernier et les mauvais traitements qui lui ont été infligés n’étaient pas liés à des persécutions le visant personnellement. Le Comité observe par ailleurs qu’après cet incident, le requérant a pu vivre en Afghanistan pendant au moins une année sans aucun autre problème ou sans avoir besoin de protection spéciale. Le Comité considère donc que le requérant n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle il serait exposé à un risque réel et personnel de torture par les Talibans s’il était renvoyé en Afghanistan.

8.8Le Comité constate que, lors des entretiens avec le Service de l’immigration danois et la Commission de recours pour les réfugiés, le requérant, qui est analphabète, a fait des déclarations contradictoires en ce qui concerne son lieu d’origine, les circonstances de sa détention par la police afghane, et son évasion de prison; que les entretiens ont été tenus avec l’assistance d’un interprète en pachtou, et que le requérant a essayé de clarifier ses déclarations en réponse aux questions de la Commission. Le Comité note également que le 10 janvier 2011 et à l’occasion de l’audition effectuée par la Commission le 17 janvier 2011 le requérant a demandé à subir un examen médical spécialisé, faisant valoir qu’il n’avait pas de ressources financières suffisantes pour payer lui-même un tel examen. Le Comité constate en outre que l’allégation du requérant selon laquelle il a montré à la Commission des traces des violences que lui avaient infligées les autorités afghanes sur les mains et une jambe ou un pied n’a pas été contestée par l’État partie. Il estime que, même s’il incombe au requérant d’établir que sa demande d’asile est à première vue fondée, cela ne dispense pas l’État partie de consentir un effort important pour déterminer s’il y a des motifs de croire que le requérant serait exposé à un risque de torture s’il était renvoyé dans son pays. En l’espèce, le Comité considère que le requérant a fourni aux autorités de l’État partie suffisamment d’éléments à l’appui de son allégation de torture, dont deux rapports médicaux, pour justifier une vérification plus approfondie de cette allégation, au moyen, entre autres, d’un examen médical spécialisé. Le Comité conclut par conséquent qu’en rejetant la demande d’asile du requérant sans chercher à vérifier davantage ses allégations ni ordonner un examen médical, l’État partie n’a pas déterminé s’il existait des motifs sérieux de croire que le requérant risquait d’être soumis à la torture s’il était expulsé. Le Comité conclut que, dans ces conditions, l’expulsion du requérant vers son pays d’origine constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

9.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que l’expulsion du requérant vers l’Afghanistan par l’État partie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

10.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]