Nations Unies

CED/C/24/3

Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées

Distr. générale

22 mai 2023

Français

Original : anglais

Comité des disparitions forcées

Rapport sur les demandes d’action en urgence soumises au titre de l’article 30 de la Convention *

A.Introduction

1.En application des articles 57 et 58 du Règlement intérieur du Comité, sont portées à l’attention du Comité toutes les demandes d’action en urgence soumises à l’examen de celui‑ci au titre de l’article 30 de la Convention. Le présent rapport résume les principales questions traitées concernant les demandes d’action en urgence que le Comité a reçues au titre de l’article 30 de la Convention, les recommandations qu’il a adressées aux États parties concernés dans des notes relatives à l’enregistrement et la suite donnée à ces demandes depuis la vingt-troisième session.

B.Demandes d’action en urgence reçues depuis la vingt-troisième session du Comité

2.Dans le rapport sur les demandes d’action en urgence adopté à sa vingt-troisième session, le Comité rendait compte des tendances observées au sujet des demandes d’action en urgence enregistrées, concernant 1 537 personnes disparues, au 23 septembre 2022. Entre cette date et le 31 mars 2023, il a reçu 42 nouvelles demandes d’action en urgence concernant 52 personnes disparues. Il a décidé d’en enregistrer 31, concernant 41 personnes disparues. Sur les 11 demandes restantes, trois n’ont pas été enregistrées au motif que les faits présentés n’étaient pas constitutifs d’une disparition forcée telle que définie par la Convention, quatre n’ont pas été enregistrées car les renseignements soumis étaient insuffisants pour établir les faits, une a été rejetée au titre de l’article 35 (par. 1) de la Convention car elle portait sur une disparition qui avait commencé avant l’entrée en vigueur de la Convention, et trois n’ont pas été enregistrées car elles concernaient des disparitions survenues dans des États qui n’avaient pas ratifié la Convention. Conformément à la pratique établie, les quatre dernières demandes ont été transmises au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires. Les 31 nouvelles demandes enregistrées concernaient des disparitions en Iraq, au Japon et au Mexique.

3.Au 31 mars 2023, le Comité avait enregistré des demandes d’action en urgence concernant 1 578 personnes disparues, comme indiqué dans le tableau ci-après. En 2021, il a enregistré 69 nouvelles demandes d’action en urgence concernant 459 personnes. En 2022, il a enregistré 71 nouvelles demandes concernant 100 personnes. Toujours en 2022, il a envoyé 72 notes relatives à des demandes d’action en urgence enregistrées, pour suivre l’application de ses recommandations concernant les recherches et les enquêtes sur les disparitions concernées.

Personnes disparues concernées par des demandes d’action en urgence enregistrées au 31 mars 2023, par État partie et par année

État partie

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023 a

Total

Argentine

-

-

-

-

-

2

-

-

1

-

-

-

3

Arménie

-

-

-

-

-

1

-

-

-

-

-

-

1

Bolivie (État plurinational de)

-

-

-

-

-

-

-

1

-

-

-

1

Brésil

-

-

1

-

-

-

-

-

-

-

-

-

1

Burkina Faso

-

-

-

-

-

-

-

-

1

-

-

-

1

Cambodge

-

-

1

-

-

-

-

2

1

-

-

-

4

Colombie

-

1

1

3

4

3

9

3

2

153

-

-

179

Cuba

-

-

-

-

-

-

1

3

-

188

-

-

192

Honduras

-

-

-

-

-

-

14

-

9

2

-

-

25

Iraq

-

-

5

42

22

43

50

226

103

41

42

1

575

Jap o n

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

1

1

Kazakhstan

-

-

-

-

-

2

-

-

-

-

-

-

2

Lituanie

-

-

-

-

-

-

-

2

-

-

-

-

2

Mali

-

-

-

-

-

-

-

-

1

11

-

-

12

Mauritanie

-

-

-

-

-

1

-

-

-

-

-

-

1

Mexi que

5

4

43

166

58

31

42

10

57

60

52

16

5 44

Maroc

-

-

-

-

1

2

-

-

-

2

2 b

-

7

Niger

-

-

-

-

-

-

-

-

1

-

-

-

1

Oman

-

-

-

-

-

-

-

-

-

1

-

-

1

Paraguay

-

-

-

-

-

-

-

-

-

1

-

-

1

Pérou

-

-

-

-

-

-

-

-

14

-

-

-

14

Sri Lanka

-

-

-

-

-

1

-

-

-

-

-

-

1

Slovaquie

-

-

-

-

-

-

-

-

1

-

-

-

1

Soudan

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

1

-

1

Togo

-

-

-

-

-

-

2

-

1

-

-

-

3

Tunisie

-

-

-

-

-

-

-

1

-

-

-

-

1

Ukraine

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

3

-

3

Total

5

5

51

211

85

86

118

248

192

459

10 0

1 8

1 57 8

a Au 3 1 mars 2023.

b Une de ces demandes a aussi été envoyée à l ’ Espagne.

c Cette demande a aussi été envoyée à Sri Lanka.

C.Actions en urgence classées, clôturées ou suspendues afin de protéger des personnes en faveur desquelles des mesures de protection ont été prises

4.En application des critères adoptés par le Comité à ses huitième et vingtième sessions :

a)Une action en urgence est classée lorsque la personne disparue a été retrouvée, mais qu’elle est toujours en détention ; en effet, en pareil cas, la personne est particulièrement exposée au risque de disparaître à nouveau et d’être soustraite à la protection de la loi ;

b)Une action en urgence est clôturée lorsque la personne disparue a été retrouvée libre, quand elle a été retrouvée puis libérée ou quand elle a été retrouvée morte, à condition que les membres de la famille ou les auteurs ne contestent pas ces faits ;

c)Une action en urgence et son suivi par le Comité sont suspendus lorsque l’auteur de la demande d’action en urgence a perdu le contact avec les membres de la famille de la personne disparue et ne peut plus fournir d’informations de suivi ; une action en urgence suspendue peut être rouverte si l’auteur informe le Comité qu’il a repris contact avec les membres de la famille.

5.En plus de ces critères, le Comité a décidé, à la présente session, qu’il suspendrait également une action lorsque l’auteur n’aurait pas répondu à sa demande d’information après trois rappels.

6.Au 31 mars 2023, le Comité avait clôturé, classé et suspendu des actions en urgence concernant 430, 38 et 103 personnes, respectivement. Des actions en urgence concernant 1 007 personnes restaient ouvertes.

7.Le Comité se félicite du fait qu’à ce jour, 469 personnes disparues ont été retrouvées. Il se félicite en particulier du fait que 442 d’entre elles ont été retrouvées vivantes. À cet égard, il souhaite souligner l’issue positive de demandes d’action en urgence enregistrées au cours de la période considérée concernant des cas au Mexique.

D.Faits nouveaux survenus depuis la vingt-troisième session (au 31 mars 2023)

8.Tout au long de la procédure d’action en urgence, le Comité entretient des contacts permanents avec les États parties, par l’intermédiaire de leur mission permanente, et avec les auteurs des demandes d’action en urgence. Il peut aussi compter sur la coopération du Haut‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et d’autres présences des Nations Unies sur le terrain, qui relaient des informations relatives aux cas et suivent l’application de ses recommandations.

9.Les paragraphes ci-après ne constituent certes pas une analyse exhaustive de toutes les informations reçues au titre de la procédure d’action en urgence, mais ils décrivent les problèmes généraux et particuliers constatés, les tendances observées et les faits nouveaux survenus dans certains des États parties au cours de la période considérée.

1.Tendances générales observées au cours de la période considérée

10.Si les informations reçues dans le cadre de la procédure d’action en urgence confirment des tendances déjà décrites dans les rapports que le Comité a adoptés à ses onzième à vingt-troisième sessions, elles font également ressortir des tendances nouvelles, qui sont décrites dans les paragraphes ci-après.

a)Défaut de coopération avec le Comité

11.Le Comité est préoccupé par le manque de coopération des États parties qui ne répondent pas à ses demandes d’action en urgence ou à ses recommandations. Il rappelle que les États parties ont l’obligation, en vertu de l’article 30 (par. 3) de la Convention, de l’informer, dans un délai déterminé, des mesures prises pour localiser et protéger la personne concernée conformément à la Convention et, en vertu de l’article 26 (par. 9), de coopérer avec ses membres et de les aider à s’acquitter de leur mandat.

12.Le Comité demeure particulièrement préoccupé par le manque de coopération de l’Iraq, qui n’a toujours pas répondu à la majorité des demandes d’action en urgence enregistrées concernant des disparitions survenues sur son territoire et n’a pas non plus donné suite aux recommandations relatives aux mesures de recherche et d’enquête. Il a déjà indiqué, dans ses cinq précédents rapports à l’Assemblée générale, que l’Iraq ne respectait pas les obligations que lui imposait l’article 30 de la Convention.

13.Chaque fois que l’État partie concerné ne fournit pas d’informations de suivi dans le délai fixé par le Comité, celui-ci lui adresse jusqu’à quatre rappels. Lorsqu’il en vient à adresser un quatrième et dernier rappel, il fait savoir qu’il pourrait décider de rendre cette situation publique à sa prochaine session, en en faisant état dans son rapport sur les demandes d’action en urgence, puis dans son prochain rapport à l’Assemblée générale.

14.Au 31 mars 2023, le Comité avait envoyé un dernier rappel dans 153 cas de demande d’action en urgence concernant 379 personnes disparues : 141 demandes concernant 360 personnes disparues en Iraq, 11 demandes concernant 18 personnes disparues au Mexique et 1 demande concernant 1 personne disparue au Mali. Il attendait toujours une réponse des États parties concernés.

15.Le Comité est également préoccupé par l’absence, dans certains cas, de réponse de l’auteur d’une demande d’action en urgence. Lorsqu’un auteur ne répond pas après que l’État partie a soumis des observations relatives aux mesures de recherche et d’enquête, qui lui ont ensuite été transmises pour commentaires, le Comité lui adresse jusqu’à trois rappels. Si l’auteur ne répond pas après le troisième rappel, le Comité suspend le suivi de la demande d’action en urgence. Sans réponse de la part de l’auteur d’une demande d’action en urgence, le Comité ne peut pas assurer le suivi de ses recommandations.

16.Au 31 mars 2023, le Comité avait envoyé trois rappels sans recevoir de réponse de l’auteur dans le cas de demandes d’action en urgence concernant 104 personnes disparues : 80 au Mexique, 13 au Honduras, 9 en Colombie, 1 au Pérou et 1 en Slovaquie. Si l’auteur d’une demande d’action en urgence a perdu le contact avec les proches de la personne disparue, il doit en informer le Comité, qui suspendra l’action. De même, si l’auteur n’a rien à ajouter au sujet des mesures de recherche et d’enquête prises par l’État partie concerné, il doit en informer le Comité afin que celui-ci puisse donner suite à la demande d’action en urgence sur la base des informations fournies par l’État partie.

17.Le Comité rappelle que les États parties et les auteurs de demandes d’action en urgence doivent l’informer immédiatement lorsque la personne disparue a été retrouvée, afin que l’action puisse être clôturée.

b)Absence de stratégie adaptée à chaque cas et manque de coordination des procédures de recherche et d’enquête

18.Dans le cadre de son suivi des demandes d’action en urgence, le Comité a continué de faire part de sa préoccupation quant au fait que des États parties n’avaient pas défini et appliqué de stratégie globale pour la recherche des personnes disparues et l’enquête sur la disparition de ces personnes, en application des articles 12 et 24 de la Convention. Il avait demandé aux États parties concernés de concevoir et d’appliquer une stratégie de recherche et d’enquête, qui devait être assortie d’un plan d’action et d’un calendrier et faire l’objet d’une évaluation périodique, conformément au principe 8 des Principes directeurs concernant la recherche de personnes disparues. Cependant, dans la majorité des cas, les États parties ont continué de faire état de mesures de recherche et d’enquête isolées et non coordonnées, qui dénotaient l’absence d’une telle stratégie et qui empêchaient ou entravaient l’accomplissement de progrès véritable dans la localisation de la personne disparue.

19.Au vu des informations reçues d’États parties, le Comité a continué de constater un manque apparent de coordination des procédures de recherche et d’enquête dans la majorité des cas ayant donné lieu à l’enregistrement d’une demande d’action en urgence. Ce manque de coordination est généralement dû au fait que les autorités compétentes de l’État ne partagent pas les informations et les éléments qu’elles ont recueillis dans l’exercice de leurs mandats respectifs, ce qui entraîne dans certains cas un chevauchement des activités et dans d’autres des lacunes dans l’information, de sorte que les procédures de recherche et d’enquête continuent de stagner et que la localisation des personnes disparues et l’identification des auteurs des faits souffrent de retards inutiles. Dans de tels cas, le Comité a continué de souligner l’importance d’assurer la coordination entre les autorités chargées des recherches et celles chargées de l’enquête, de manière que toute information obtenue par l’une de ces autorités puisse être utilisée efficacement et rapidement par l’autre, conformément au principe 13 des Principes directeurs concernant la recherche de personnes disparues.

c)Obstacles à la participation effective des proches aux recherches et à l’enquête

20.Pendant la période considérée, le Comité a reçu des informations sur les obstacles auxquels se heurtent les proches de personnes disparues qui souhaitent participer effectivement aux recherches et à l’enquête, notamment le manque d’informations sur les mesures prises par les autorités compétentes dans le cadre des recherches et de l’enquête et sur les résultats obtenus.

21.Dans le cas d’une demande d’action en urgence enregistrée pendant la période considérée, concernant une disparition au Mexique, les proches de la personne disparue n’avaient pas été informés de l’ouverture d’une enquête, bien qu’ils aient déposé plainte au sujet de la disparition auprès du Bureau du Procureur.

d)Absence d’approche différenciée

22.Le Comité reste préoccupé par le fait que les États parties concernés ne lui ont fourni aucune information sur la manière dont ils ont appliqué ses recommandations relatives à l’adoption d’une approche différenciée dans les cas où des femmes, des enfants ou des membres de communautés autochtones sont concernés, conformément au principe 4 des Principes directeurs concernant la recherche de personnes disparues.

e)Défenseurs des droits de l’homme

23.Au cours de la période considérée, le Comité a enregistré des demandes d’action en urgence concernant des défenseurs des droits de l’homme. Il a demandé aux États parties concernés de considérer l’activité de ces défenseurs des droits de l’homme comme motif possible de leur disparition, afin de renforcer les hypothèses procédurales et l’efficacité des activités de recherche. Lorsque des défenseurs des droits de l’homme, leurs représentants ou les conseils des victimes ont demandé des mesures de protection, il a prié les États parties concernés de veiller à ce que les activités que menaient les personnes concernées pour connaître la vérité et obtenir justice et réparation soient prises en compte dans l’appréciation des risques et la recherche des mesures de protection appropriées.

f)Disparition de migrants

24.Pendant la période considérée, le Comité a enregistré une demande d’action en urgence concernant la disparition forcée présumée d’un ressortissant marocain le 24 juin 2022, alors que celui-ci tentait, avec un groupe de quelque 2 000 migrants, de traverser la frontière entre l’Espagne et le Maroc, à Melilla. D’après des témoins, les forces de sécurité espagnoles et marocaines ont fait usage de la force pour empêcher le passage de la frontière, entraînant la mort de 23 migrants, de nombreux autres migrants ont été arrêtés et d’autres encore ont été dispersés au Maroc. Le Comité a envoyé au Maroc et à l’Espagne des notes dans lesquelles il a demandé, entre autres, que les autorités des deux pays s’accordent l’entraide la plus large possible dans la recherche et la localisation des personnes disparues et s’accordent également l’entraide judiciaire la plus large possible, conformément aux articles 14 et 15 de la Convention.

g)Disparition de membres de groupes autochtones

25.Pendant la période considérée, le Comité a enregistré une demande d’action en urgence concernant la disparition forcée présumée d’un membre de la communauté autochtone tzeltal (maya) au Mexique. Selon les informations reçues, quelque 300 habitants de Nueva Palestina, dans la commune d’Ocosingo (État de Chiapas), accompagnés d’agents armés de la police locale, municipale et nationale, sont entrés chez plusieurs personnes autochtones de la même famille habitant dans la même localité, et l’une d’entre elles a ensuite été portée disparue. Cette agression, qui répondait à un appel au lynchage, se serait produite alors que les forces de l’ordre font fréquemment subir des détentions arbitraires, des violences sexuelles et des déplacements forcés aux membres autochtones de la communauté. Le Comité a demandé qu’une approche différenciée soit adoptée dans la stratégie de recherche et d’enquête et que, à chaque étape des recherches, les besoins particuliers de la victime, en tant que personne autochtone, soient pleinement respectés et les modèles culturels applicables pris en considération et respectés, conformément au principe 4 des Principes directeurs concernant la recherche de personnes disparues.

h)Représailles

26.Le Comité est préoccupé par des informations reçues d’auteurs de demandes d’action en urgence selon lesquelles des représailles seraient exercées, le plus souvent sous la forme de menaces et de réactions hostiles, contre les proches des personnes disparues pour les dissuader de participer aux procédures de recherche et d’enquête ou de les faciliter. Dans le cadre d’actions actuellement ouvertes concernant 306 personnes disparues (soit 30 % des personnes disparues concernées par des actions ouvertes), il a demandé aux États parties concernés de prendre des mesures de protection afin de préserver la vie et l’intégrité des personnes concernées et de leur permettre de poursuivre leurs activités de recherche sans subir de violences, d’intimidations ou de harcèlement, conformément aux obligations que font peser sur les États parties l’article 24 de la Convention et le principe 14 des Principes directeurs concernant la recherche de personnes disparues. Il a également demandé aux États parties concernés de veiller à ce que ces mesures soient prises avec le consentement préalable des personnes ayant besoin d’une protection et fassent l’objet d’un examen à la demande de ces personnes. Sur les 306 personnes disparues concernées par des demandes d’action en urgence dans le cadre desquelles le Comité a demandé des mesures de protection, 257 ont disparu au Mexique, 20 en Iraq, 13 en Colombie, 9 au Honduras, 1 en Argentine, 1 au Brésil, 1 au Burkina Faso, 1 au Cambodge, 1 au Maroc, 1 au Paraguay et 1 au Pérou.

2.Tendances observées en Iraq et au Mexique

27.Pendant la période considérée, l’Iraq et le Mexique étaient encore les deux États parties ayant fait l’objet du plus grand nombre de demandes d’action en urgence enregistrées : à ce jour, 71 % de l’ensemble des demandes d’action en urgence enregistrées concernent ces deux pays.

a)Iraq

28.Au 31 mars 2023, le Comité avait enregistré des demandes d’action en urgence liées à des faits survenus en Iraq concernant 575 personnes disparues, ce qui représente 36 % de toutes les personnes disparues concernées par des demandes enregistrées à ce jour. Il est vivement préoccupé par le fait que, selon les informations reçues, seulement 35 de ces personnes disparues ont été localisées, soit 6 % de toutes les personnes disparues concernées par des demandes d’action en urgence liées à des faits survenus en Iraq. Il demeure préoccupé par le fait que, même lorsque les personnes disparues ont été libérées, l’État partie ne l’en a pas informé. Il a exprimé sa préoccupation quant au fait que l’État partie ne l’avait pas informé de ces événements nouveaux dans les notes de clôture ou de classement des demandes en question qu’il lui avait adressées, et a rappelé à l’État partie son obligation de coopérer de bonne foi avec lui, en fournissant rapidement des informations détaillées sur les mesures prises pour rechercher les personnes disparues et, lorsque les recherches ont abouti, sur le lieu où se trouvent ces personnes.

29.Le Comité constate avec préoccupation qu’il y a une corrélation directe entre le manque de coopération de l’Iraq avec la procédure d’action en urgence prévue par l’article 30 de la Convention, dont il est fait état au paragraphe 11 ci-dessus, et le nombre particulièrement faible et inquiétant de personnes disparues qui, à ce jour, ont été retrouvées dans ce pays.

30.Lorsque l’État partie a répondu (ce qu’il a fait dans moins de la moitié des cas enregistrés), ses réponses suivaient la même tendance que celle décrite par le Comité dans ses précédents rapports, à savoir qu’il n’a communiqué aucune information sur les mesures prises pour rechercher les personnes disparues ou pour mener une enquête sur leur disparition forcée présumée. Dans ces cas, le Comité a rappelé à l’État partie qu’en ne prenant pas de mesures et en ne donnant pas d’informations précises, il ne respectait pas les dispositions de l’article 12 de la Convention, en application duquel les États parties sont tenus d’examiner rapidement et impartialement l’allégation, de procéder sans délai à une enquête approfondie et impartiale et de prendre les mesures nécessaires pour prévenir et sanctionner les actes qui entravent la conduite d’une enquête.

31.Comme indiqué précédemment, l’État partie a continué d’affirmer, dans un certain nombre de cas, que les personnes disparues étaient affiliées à des groupes terroristes, sans fournir d’autres renseignements ou éléments sur les accusations précises portées contre elles, les procédures engagées ou les mandats d’arrêt délivrés contre elles. Dans ces cas, le Comité a rappelé à l’État partie que la Convention ne prévoyait aucune exception à l’obligation de rechercher toute personne disparue et d’enquêter sur sa disparition, indépendamment de son profil ou des soupçons de participation à des activités terroristes dont elle pouvait faire l’objet. Il a souligné en outre que chacun devait avoir accès à la justice et à des recours, y compris les personnes touchées par les régimes de sanctions contre le terrorisme. Il a également demandé à l’État partie de fournir des copies des mandats d’arrêt ou de tout document officiel indiquant que les personnes disparues étaient recherchées par les autorités iraquiennes et, si des accusations précises avaient été portées contre elles et si des procédures avaient été engagées à leur encontre, d’en informer officiellement leurs proches et leurs représentants et de les placer immédiatement sous la protection de la loi afin de permettre la préparation de leur défense et de protéger et promouvoir leur droit à une procédure régulière.

32.Le Comité se félicite des réponses récentes de l’État partie, par lesquelles il a fourni les copies des mandats d’arrêt demandées et fait savoir que les personnes concernées étaient en détention. Il constate cependant que dans certains cas, les mandats d’arrêt en question ont été émis après la date de la disparition présumée, alors qu’ils devraient être antérieurs à la détention présumée des personnes concernées. Le Comité a demandé à l’État partie d’expliquer cette incohérence et attend toujours une réponse. Dans certains cas, les mandats d’arrêt ne contenaient aucune information sur les accusations portées contre la personne disparue concernée.

33.Comme le Comité l’a indiqué dans ses précédents rapports, dans certains cas, l’État partie a répondu que les proches de la personne disparue n’avaient pas déposé de plainte auprès des autorités compétentes, alors qu’ils l’avaient bien fait auprès de plusieurs autorités administratives et judiciaires au niveau national. Dans un cas, l’État partie a demandé des copies certifiées conformes des plaintes ou des rapports déposés auprès des autorités iraquiennes. En pareils cas, le Comité a rappelé le principe 6 des Principes directeurs concernant la recherche de personnes disparues, selon lequel dès qu’elles ont connaissance, par quelque moyen que ce soit, d’une disparition, ou qu’elles disposent d’indices donnant à penser qu’une personne a été soumise à une disparition forcée, les autorités chargées des recherches ont l’obligation de rechercher et de localiser cette personne ; les autorités compétentes doivent engager les recherches d’office, immédiatement et avec diligence, même si aucune plainte ni aucune demande n’a été officiellement déposée ; le fait que les proches ou les plaignants n’aient pas donné d’informations ne saurait être invoqué pour justifier le fait que des activités de recherche visant à localiser la personne disparue n’ont pas été engagées immédiatement ; même en cas de doute quant à la réalité d’une disparition involontaire, les recherches doivent être engagées immédiatement. Le Comité a également rappelé que la Convention n’imposait aucune obligation particulière quant à l’autorité auprès de laquelle les plaintes pour disparition forcée devraient être déposées. Au contraire, la Convention dispose en son article 12 que, lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une personne a été victime d’une disparition forcée, les autorités compétentes de l’État partie sont tenues d’ouvrir une enquête, même si aucune plainte n’a été officiellement déposée.

34.Comme c’était le cas au cours des périodes couvertes par les trois précédents rapports, le Comité a reçu un certain nombre de nouvelles demandes d’action en urgence concernant des disparitions de personnes survenues en 2017. Il a été signalé que lorsque les forces de sécurité iraquiennes étaient sur le point d’entrer dans le district de Hadar, dans la province de Ninive, une cinquantaine de familles sunnites ont fui dans leurs véhicules en direction du village d’Oleba. Des milices affiliées aux forces de sécurité iraquiennes auraient arrêté les hommes, qui ont été emmenés, les yeux bandés et menottés, au carrefour de Hadar. Le Comité a également reçu un certain nombre de nouvelles demandes d’action en urgence concernant la disparition de personnes survenue en 2015, dans le cadre d’opérations militaires menées par les Forces de mobilisation populaire contre Daech, à la suite desquelles des familles avaient été déplacées. Selon les informations dont dispose le Comité, les Forces de mobilisation populaire ont arrêté les hommes et ne les ont jamais rendus à leur famille. Dans chacun de ces deux cas, le Comité a demandé à l’État partie de confirmer si les personnes disparues étaient détenues dans un lieu de privation de liberté officiel ou non officiel et, dans l’affirmative, de garantir qu’elles seraient autorisées à communiquer avec leur famille, leur conseil ou toute autre personne de leur choix et à recevoir leur visite, conformément à l’article 17 (par. 2 d)) de la Convention, et de l’informer de toute accusation portée contre elles ou de toute procédure engagée à leur encontre. Il attend toujours des informations de l’État partie à ce sujet.

35.Pendant la période considérée, le Comité a enregistré une demande d’action en urgence concernant la disparition forcée présumée d’un sympathisant du mouvement Hizmet/Gülen qui avait fui la Türkiye pour se rendre à Erbil (Iraq) avec sa famille et qui s’était vu accorder le statut de réfugié par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Les services de renseignement turcs auraient fait disparaître la personne concernée le 29 janvier 2023, après qu’elle avait reçu un appel téléphonique lui demandant de se présenter devant les autorités iraquiennes compétentes pour des formalités liées à son statut de résident. Le Comité a demandé aux autorités de l’État partie, notamment, de coopérer avec les autorités turques de façon à s’accorder l’entraide la plus large possible dans la recherche et la localisation de la personne disparue, et l’entraide judiciaire la plus large possible, conformément aux articles 14 et 15 de la Convention.

b)Mexique

36.Au 31 mars 2023, le Comité avait enregistré des demandes d’action en urgence liées à des faits survenus au Mexique concernant 544 personnes disparues, ce qui représente 34 % de toutes les personnes disparues concernées par des demandes enregistrées à ce jour. Les actions en urgence concernant 55 de ces 544 personnes ont été clôturées car les personnes disparues ont été retrouvées en liberté ou retrouvées et remises en liberté, les actions concernant 101 autres de ces personnes ont été suspendues car les auteurs des demandes ont perdu le contact avec les proches des personnes disparues et ne peuvent plus fournir d’informations de suivi, et les actions concernant les 388 personnes restantes sont toujours ouvertes.

37.Le Comité se félicite de la coopération de l’État partie, qui a répondu à ses demandes d’information et a donné suite à ses recommandations sur différents cas et lui a fourni des renseignements sur les procédures de recherche et d’enquête. Cependant, comme c’était le cas au cours des périodes couvertes par les deux précédents rapports, le Comité a constaté un manque général de coordination entre les diverses autorités chargées des recherches et des enquêtes, notamment en ce qui concerne la définition de leurs responsabilités et rôles respectifs et le partage des informations sur les mesures prises et les résultats obtenus, ce qui entraîne parfois un chevauchement des activités menées.

38.Dans certains cas, l’État partie a affirmé avoir adopté une stratégie de recherche coordonnée et globale. Toutefois, le Comité a constaté que, dans la pratique, les autorités chargées des recherches avaient pris des mesures officielles uniquement pour demander des renseignements à d’autres institutions, sans s’enquérir de la suite donnée à ces demandes, sans établir de plan de recherche ni respecter le protocole national de recherche des personnes disparues. Il a également observé des retards injustifiés dans l’adoption de mesures de recherche officielles, qui survenait parfois jusqu’à un an après l’ouverture du dossier de recherche et d’enquête.

39.Des auteurs de demandes d’action en urgence ont encore signalé que les autorités publiques étaient directement ou indirectement impliquées dans les faits entourant les disparitions et que les procédures étaient donc entravées ou au point mort. Dans de tels cas, le Comité a fait observer à l’État partie combien il importait de mettre en place des mécanismes permettant de mettre en cause la responsabilité des agents de l’État chargés des recherches et des enquêtes, et lui a demandé d’enquêter sur les allégations selon lesquelles ces agents avaient entravé la procédure, en application de l’article 12 de la Convention et à la lumière du principe 15 des Principes directeurs concernant la recherche de personnes disparues. Dans certains cas où, selon les informations reçues, les autorités locales chargées de l’enquête ont été impliquées dans la disparition, le Comité a recommandé à l’État partie d’envisager de transférer la responsabilité des recherches et de l’enquête aux autorités fédérales.

40.S’agissant de deux demandes d’action urgente enregistrées pendant la période considérée concernant des cas de disparition dans les États de Veracruz et Michoacán respectivement, le Comité a été informé que, malgré l’existence d’informations donnant à penser qu’il aurait pu y avoir une participation directe de la police, des enquêtes pour enlèvement avaient été ouvertes dans chaque cas et que, de ce fait, les investigations avaient été retardées. Dans les deux cas, le Comité a demandé à l’État partie de veiller à ce que toutes les hypothèses possibles soient envisagées lors des procédures de recherche et d’enquête, compte tenu des informations disponibles, notamment la possibilité d’une disparition forcée au sens de l’article 2 de la Convention.

41.Au cours de la période considérée, le Comité a enregistré une demande d’action en urgence en lien avec une opération militaire menée le 5 janvier 2023 à Jesús María, dans la commune de Culiacán (État de Sinaloa). L’opération visait à arrêter un membre du groupe dit « Los Chapitos », à savoir le fils de l’ancien chef du cartel de drogue de Sinaloa, Joaquín « El Chapo » Guzman Loera. La demande d’action en urgence concernait une des 140 personnes portées disparues dans le cadre de cette opération.

42.Pendant la période considérée, le Comité a enregistré plusieurs demandes d’action en urgence liées à des disparitions forcées présumées dans la région de Tierra Caliente, aussi appelée le « triangle des Bermudes », près de la frontière entre les États de Michoacán et de Jalisco. Des disparitions ont été signalées dans plusieurs villes et villages, dont Sahuayo, Nueva Italia et Jilotlán de los Dolores. Elles ont en commun que leurs auteurs seraient des membres de groupes criminels organisés agissant avec l’acquiescement et, parfois, la participation directe des autorités de l’État partie. Des ces cas, le Comité a recommandé à l’État partie d’entretenir une collaboration étroite avec les proches des victimes et leurs représentants durant les recherches et les enquêtes et de veiller à ce qu’une attention suffisante soit portée à l’hypothèse de la participation ou de l’acquiescement des autorités publiques.

43.Le Comité demeure préoccupé par les risques et les dangers que courent les défenseurs des droits environnementaux et autres droits de l’homme au Mexique. Le 19 janvier 2023, il a enregistré une demande d’action en urgence concernant la disparition, le 15 janvier 2023, de Ricardo Arturo Lagunes Gasca et Antonio Díaz Valencia, deux défenseurs des droits de l’homme connus pour leurs travaux relatifs aux droits des peuples autochtones et leur opposition aux activités des industries extractives dans l’État de Michoacán. Le véhicule conduit par les deux hommes a été retrouvé abandonné un peu plus tard, avec des marques laissant supposer que des armes à feu avaient été utilisées contre les défenseurs. Le Comité a recommandé que l’État partie veille à ce que, pendant les recherches et l’enquête, une importance suffisante soit accordée à l’hypothèse selon laquelle la disparition de M. Lagunes Gasca et M. Díaz Valencia pourrait être motivée par les activités qu’ils menaient en faveur des droits de l’homme. Il demande à l’État partie de prendre toutes les mesures possibles pour résoudre cette affaire emblématique, qui aurait eu un effet dissuasif sur les défenseurs des droits de l’homme au Mexique.

3.Autres faits nouveaux

a)Disparitions dans le cadre de manifestations à Cuba

44.En 2021, le Comité a enregistré des demandes d’action en urgence liées au mouvement de contestation sociale qui avait débuté à Cuba le 11 juillet 2021. Ces demandes concernaient 187 personnes disparues, à savoir des manifestants qui auraient été détenus par les forces de sécurité, lesquelles auraient ensuite refusé de donner aux proches de ces manifestants des informations sur le lieu où ils se trouvaient. Le Comité a rappelé que le fait de ne pas enregistrer une détention, même de courte durée, suivi du refus de reconnaître la privation de liberté ou de divulguer des informations sur le lieu où se trouve la personne disparue, soustrayait cette personne à la protection de la loi et constituait une disparition forcée au sens de l’article 2 de la Convention.

45.Après avoir reçu des informations de la part de l’État partie, le Comité a décidé de clôturer des actions concernant 165 des personnes disparues susmentionnées, parce que celles-ci avaient déjà été remises en liberté ou avaient été assignées à résidence, ou parce que les auteurs n’avaient pas été en mesure de contester les informations fournies par l’État partie ou d’apporter des informations supplémentaires donnant à penser que les personnes devaient toujours être considérées comme disparues. Il a également décidé de classer les actions concernant les 22 autres personnes disparues, car le lieu où ces personnes se trouvaient avait été confirmé, mais elles restaient en détention. Il s’est déclaré préoccupé par les allégations répétées de détention au secret de manifestants, détention durant dans certains cas plusieurs mois, et a rappelé que cette pratique, qui pouvait favoriser les disparitions forcées, devait être exceptionnelle, afin d’éviter toute atteinte à la vie ou à l’intégrité de la personne détenue et de protéger les enquêtes. Il a rappelé à cet égard qu’en application de l’article 17 (par. 2 d)) de la Convention, les États parties avaient l’obligation de garantir que toute personne privée de liberté serait autorisée à communiquer avec sa famille, son conseil ou toute autre personne de son choix, et à recevoir leur visite, sous la seule réserve des conditions établies par la loi, et, s’il s’agissait d’un étranger, à communiquer avec ses autorités consulaires, conformément au droit international applicable.

b)Disparition au Japon

46.Au cours de la période considérée, le Comité a enregistré un cas concernant une personne de nationalité française disparue à Nikko (Japon), en juillet 2018, lors d’un séjour touristique. Le Comité a été informé qu’une série de meurtres avaient eu lieu à Nikko au moment de cette disparition. Comme suite à l’ouverture d’une enquête en France pour enlèvement, les autorités françaises ont adressé deux commissions rogatoires internationales aux autorités japonaises en octobre 2018 et avril 2021, ainsi qu’une demande à la police japonaise afin qu’elle recueille et conserve les données du téléphone portable de la personne disparue. Elles n’ont reçu aucune réponse à ce jour. Le Comité a demandé à l’État partie de coopérer avec la France, qui est également partie à la Convention, et de lui accorder l’entraide judiciaire la plus large possible afin d’aider la personne disparue et ses proches, de la rechercher, de la localiser et de la libérer, conformément à l’article 15 de la Convention.

E.Décisions adoptées par le Comité à sa vingt-quatrième session

47.Le Comité a adopté les décisions suivantes :

a)Dans les cas de disparition en Ukraine, le Comité continuerait de traiter et d’enregistrer les cas qui pourraient être imputés à l’Ukraine, et transmettrait au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires les cas qui pourraient être imputés, directement, ou indirectement, à la Fédération de Russie ;

b)En l’absence de réponse d’un auteur à sa demande d’information après trois rappels, le Comité suspendrait le suivi du cas concerné (voir par. 5 et 15).