Nations Unies

CED/C/19/D/3/2019

Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées

Distr. générale

12 novembre 2020

Original : français

Comité des disparitions forcées

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 31 de la Convention, concernant la communication no 3/2019 * , ** , ***

Communication présentée par :

E. L. A. (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

France

Date de la communication :

24 septembre 2018 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 31 de la Convention, communiquée à l’État partie le 19 septembre 2019 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

25 septembre 2020

Objet :

Expulsion vers Sri Lanka

Question(s) de procédure :

Non-épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Risque de disparition forcée en cas de renvoi dans le pays d’origine

Article(s) de la Convention :

16

1.1L’auteur de la communication est E. L. A., de nationalité sri-lankaise, né en 1982. Il a déposé plusieurs demandes d’asile en France, mais ses requêtes ont été rejetées. Il soutient que son renvoi à Sri Lanka constituerait une violation par la France des droits qu’il tient de l’article 16 de la Convention. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2L’État partie a reconnu le 9 décembre 2008 la compétence du Comité pour examiner les communications présentées par des particuliers, et la Convention est entrée en vigueur pour l’État partie le 23 décembre 2010.

1.3Le 19 septembre 2019, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a prié l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers Sri Lanka pendant que sa requête est en cours d’examen par le Comité. Puis, le 17 décembre 2019, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial, a accédé à la demande de l’État partie de lever l’octroi des mesures provisoires en faveur de l’auteur.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur appartient à la communauté tamoule du nord de Sri Lanka. En 1997, à l’âge de 15 ans, au cours d’une rafle réalisée dans son lycée après un attentat commis par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, il a été arrêté et détenu pendant une semaine dans le camp de Kurunagar. En juin 1998, après l’attaque d’un convoi militaire par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, il a été arrêté au domicile familial et a été détenu pendant plusieurs jours dans un poste de police d’Atchuvely, où il a été soumis à des actes de torture. Son grand-père a également été arrêté, torturé et finalement tué par l’armée le 27 juillet 2005.

2.2Le 28 janvier 1999, après que la police a récupéré sa carte d’identité sur un combattant des Tigres de libération de l’Eelam tamoul, l’auteur a été arrêté et détenu pendant plusieurs mois au camp militaire de Palali, d’où il a finalement été libéré le 31 juillet 1999. Le 29 mars 2000, l’auteur a été arrêté par l’armée à son domicile, après avoir participé à une opération humanitaire destinée aux populations réfugiées dans le Vanni, soupçonné d’avoir voulu aider les Tigres de libération de l’Eelam tamoul. Il a été détenu pendant deux jours au camp d’Atchuvely, d’où il a été transféré au camp de Palali. L’auteur a été libéré le 19 octobre 2000, après que ses parents ont versé un pot-de-vin à des membres du Parti démocratique populaire de l’Eelam, à condition qu’il signale sa présence une fois par semaine.

2.3Étant maltraité à chacune de ses présentations, l’auteur s’est réfugié chez sa tante, à Uduppiddy. Le 20 novembre 2000, ses parents ont été maltraités par des militaires, qui voulaient qu’ils leur révèlent où se trouvait l’auteur. Le 19 décembre 2000, l’armée a incendié leur résidence secondaire et a tué le camarade de l’un de ses proches, qui était membre des Tigres de libération de l’Eelam tamoul. À la suite de cette attaque, le père de l’auteur a dû être hospitalisé. Craignant pour sa sécurité et renonçant, pour cette raison, à se plier aux obligations de contrôle qui lui avaient été imposées par l’armée, l’auteur a finalement quitté Sri Lanka en février 2001. Il est allé en Turquie, où il a vécu deux ans avant de rejoindre la France en 2003.

2.4Le 24 septembre 2003, l’auteur a présenté une demande d’asile. Il a fait état de craintes liées tant aux autorités sri-lankaises qui le rechercheraient qu’aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul, qui pourraient tenter de l’enrôler dans leurs rangs. Le 2 avril 2004, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, considérant que les déclarations de l’auteur n’étaient étayées par aucun élément déterminant, a rejeté sa demande d’asile pour manque de crédibilité. Les pièces documentaires versées au dossier ont été jugées insuffisantes. Le 8 février 2005, le recours déposé par l’auteur a été rejeté par la Commission des recours des réfugiés, puisque ni les pièces du dossier ni les déclarations faites en séance publique n’avaient permis de tenir pour établis les faits allégués et pour fondées les craintes énoncées. En particulier, les documents rédigés en langue étrangère qui n’étaient pas accompagnés de leur traduction en langue française n’ont pas été pris en considération.

2.5Le 9 mai 2004, le frère de l’auteur a été kidnappé par l’armée sri-lankaise et porté disparu. Le 11 mai 2004, sa famille a déposé une plainte auprès du commissariat de police de Jaffna, à Sri Lanka, et devant la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka.

2.6Le 4 mai 2006, l’auteur a introduit une demande de réexamen de sa demande d’asile, en faisant à nouveau état d’arrestations et de recherches par les autorités sri-lankaises. Par ailleurs, il a précisé que ses parents avaient été interrogés au sujet des activités de ses frères et sœurs en février 2005, que son domicile avait été perquisitionné par des militaires le 15 mars 2005, entraînant l’hospitalisation des membres de sa famille, et que le chef du village avait été interrogé à son sujet et qu’il avait été convoqué le 10 mai 2005 par le Département des enquêtes criminelles. Le 9 mai 2006, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande au motif que ses déclarations écrites, inconsistantes, ne permettaient pas de tenir pour établis les faits nouveaux et pour fondées les craintes invoquées, et que la fiche d’enquête et les lettres jointes au dossier ne présentaient aucune force probante. Cette décision a été confirmée le 8 novembre 2007 par la Commission des recours des réfugiés.

2.7Le 5 février 2009, l’auteur a présenté une deuxième demande de réexamen de sa demande d’asile, en faisant valoir que son domicile avait été perquisitionné le 24 janvier 2008, que les membres de sa famille avaient été interrogés à son sujet, que l’un d’entre eux avait été arrêté lors de cet incident et que le corps de ce dernier avait été retrouvé le 3 février 2008. L’auteur a en outre indiqué que le 5 mars 2008, sa famille avait été expulsée de son domicile et que le 30 mai 2008, leur maison avait été endommagée par des grenades. Le 10 février 2009, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté la demande de l’auteur. L’Office a observé que l’attestation délivrée par le Département des enquêtes criminelles de Colombo le 27 avril 2005 était antérieure aux dates des précédentes décisions prises par l’Office et par la Commission des recours des réfugiés, et était donc irrecevable. Quant aux autres faits, même s’ils constituaient des éléments nouveaux, l’Office a considéré que ni les déclarations écrites, peu convaincantes, ni les documents fournis en appui au dossier, sujets à caution − à savoir l’attestation d’un notaire, celle du Forum pour la dignité humaine, celle de la Croix-Rouge de Sri Lanka ou encore le mandat d’arrêt −, n’étaient de nature à établir la réalité des faits allégués.

2.8L’auteur a interjeté recours en soutenant ne pas pouvoir retourner à Sri Lanka sans crainte pour sa sécurité. Il a produit des documents faisant état des ennuis rencontrés par sa famille, notamment son oncle, assassiné en février 2009, et son frère, porté disparu depuis 2004 et engagé auprès des Tigres de libération de l’Eelam tamoul. L’auteur a fait valoir qu’au cours de son séjour en France, il avait aidé les autorités françaises à arrêter des personnes ayant commis des actes punis par la loi dont il avait été témoin, et que, l’une de ces personnes ayant été relâchée, il avait été l’objet de menaces de mort réitérées. Le 22 juillet 2010, la Cour nationale du droit d’asile a examiné au fond ces éléments nouveaux. Toutefois, la Cour a rejeté le recours de l’auteur, considérant que ni les pièces du dossier ni les déclarations faites en séance publique, sommaires et dénuées d’éléments précis et circonstanciés sur les faits nouveaux invoqués, ne permettaient de tenir pour établis les faits allégués et pour fondées les craintes énoncées. Le document relatif à l’enregistrement d’une plainte auprès de la Commission des droits de l’homme le 17 juin 2010 et l’attestation d’un révérend datée du 12 mai 2010 ont été considérés inopérants pour que soient pris en compte les faits nouvellement allégués. Les articles de presse qui ont été produits sans être accompagnés de leur traduction n’ont pas pu être pris en compte. Enfin, les agressions et menaces dont l’auteur a été l’objet en France pour avoir aidé les autorités et les documents versés au dossier relatifs à ces circonstances ont été jugés sans lien avec l’examen de ses craintes personnelles en cas de retour à Sri Lanka.

2.9Le 10 mars 2011, l’auteur a présenté une troisième demande de réexamen de sa demande d’asile. Il a fait valoir qu’il craignait toujours des persécutions en cas de retour dans son pays, réitérant les faits déjà exposés et ajoutant que sa sœur avait été tuée en 2010 par l’armée sri-lankaise, sans toutefois en indiquer les circonstances. Le 21 mars 2011, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides a de nouveau rejeté sa demande, vu qu’à l’exception de la mort de sa sœur sans autres précisions, tous les faits avaient déjà été portés à l’appréciation de la Cour nationale du droit d’asile et, puisqu’ils n’étaient pas nouveaux, étaient irrecevables. Concernant le décès de sa sœur sans date précise, l’Office a considéré que les déclarations de l’auteur, sommaires et dénuées d’éléments précis sur les circonstances, les causes et les auteurs éventuels, ne permettaient pas de tenir pour établis les faits allégués et pour fondées les craintes énoncées en cas de retour. Le 13 juin 2012, la Cour nationale du droit d’asile a rejeté le recours de l’auteur au motif qu’il n’avait présenté aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause les motifs de la décision de l’Office.

2.10Le 26 mai 2016, l’auteur a présenté une quatrième demande de réexamen de sa demande d’asile. Il a produit un certificat médical, daté du 20 mai 2011, faisant état de plusieurs cicatrices qui auraient été causées par des actes de torture et d’un syndrome psychique post-traumatique caractérisé, ainsi qu’un document d’Amnesty International daté du 12 octobre 2011. Il a fait état également d’une déclaration du 26 mars 2015 de la Commission des pétitions du Parlement européen le présentant comme une victime de torture à Sri Lanka. Ce statut de victime de torture à Sri Lanka a par la suite été confirmé par le tribunal de Versailles, le 17 avril 2015, et par des médecins, le 12 mai 2015. Pour appuyer ses dires, l’auteur a produit une attestation d’un parlementaire sri-lankais datée du 1er juin 2015, un certificat du Comité pour la santé des exilés daté du 30 juin 2015 attestant de plusieurs cicatrices sur le corps de l’auteur et d’un syndrome de stress post-traumatique, ainsi que la conclusion d’un expert en psychiatrie, non datée.

2.11Le 30 mai 2016, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides a déclaré la demande de l’auteur irrecevable, considérant que les documents de 2011 se rapportaient à des faits antérieurs à la décision de la Cour nationale du droit d’asile du 13 juin 2012 et ne rendaient compte d’aucune raison valable susceptible de justifier pourquoi l’auteur avait omis de les présenter. Pour ce qui est du document de la Commission des pétitions du Parlement européen, l’Office a constaté que le prénom indiqué sur le document n’était pas concordant avec l’identité de l’auteur. Le document versé sous forme de copie a donc été jugé dépourvu de valeur probante, faute de déclarations écrites convaincantes. Ensuite, l’Office a jugé que si l’état de syndrome post-traumatique était avéré par le diagnostic d’un psychiatre, l’origine ou les circonstances de ce traumatisme n’étaient pas précisées. Or, les faits allégués par l’auteur, à l’origine de cet état post-traumatique, n’ont été tenus pour établis ni par l’Office ni par la Cour nationale du droit d’asile à plusieurs reprises, rendant peu vraisemblables les circonstances de ce syndrome. Dans ce contexte, l’attestation d’un parlementaire, rédigée pour les besoins de sa demande de réexamen, doit être considérée − en l’absence d’autres éléments − comme dépourvue de valeur probante. Le certificat médical établi par le Comité pour la santé des exilés, concluant à la compatibilité des séquelles constatées avec les déclarations de l’auteur, ne permet pas d’infirmer cette analyse.

2.12Le 31 octobre 2016, la Cour nationale du droit d’asile a rejeté le recours de l’auteur, dans lequel ce dernier soutenait qu’il craignait toujours d’être persécuté en raison des opinions politiques qui lui ont été imputées par les autorités de son pays. La Cour a jugé que l’auteur n’avait pas mis en évidence la situation de vulnérabilité qui l’aurait empêché de produire le certificat médical daté du 20 mai 2011 et le document d’Amnesty International daté du 12 octobre 2011, lesquels sont des éléments antérieurs à la précédente décision rendue par la Cour le 13 juin 2012. Si les documents émanant du Parlement européen − notamment un courrier de la Commission des pétitions du 26 mars 2015 et un courriel du 22 juin 2016 évoquant l’erreur orthographique commise lors de l’enregistrement de la pétition concernant les nom et prénom de l’auteur, ainsi que les extraits du site Web du Parlement − permettent d’établir les démarches entreprises par l’auteur et la publication de sa pétition, ils ont toutefois été jugés insuffisamment probants. L’auteur n’a livré aucune information qui permettrait à la Cour de conclure qu’il présentait, du fait de ces démarches, un profil marqué de nature à attirer l’attention défavorable des autorités sri-lankaises. Ses allégations, s’agissant des interrogatoires qui auraient été menés par les autorités dans son village à la suite de la publication de sa pétition, ne sont corroborées par aucun élément tangible. Le courrier de son oncle du 17 octobre 2016 et ceux des deux parlementaires sri-lankais des 1er juin 2015 et 9 octobre 2016 ne comportent aucun renseignement complémentaire quant à la situation personnelle de l’auteur. Ensuite, le document non daté, tamponné du sceau du tribunal de Versailles et signé par un psychiatre mentionnant uniquement que l’auteur ne présente pas un état dangereux nécessitant une hospitalisation sans consentement, ne permet pas de corroborer ses dires. Par ailleurs, les éléments médicaux produits − le certificat médical du Comité pour la santé des exilés du 30 juin 2015, la lettre d’un médecin dudit Comité du 11 mai 2015, un bulletin de situation du 19 mai 2015 et la conclusion d’un expert en psychiatrie − qui font mention de l’état de syndrome post-traumatique affectant l’auteur ne permettent pas d’infirmer l’appréciation portée sur la situation de celui-ci, dès lors qu’ils se rapportent à des faits qui n’ont pas été tenus pour établis par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et par la Cour nationale du droit d’asile. Enfin, l’invocation sommaire du contexte de sécurité prévalant dans son pays d’origine, assortie d’articles de presse et d’extraits de rapports internationaux, ne permet pas de donner un fondement à sa demande en l’absence de tout élément personnel qui puisse être retenu.

2.13Le 28 février 2017, le préfet du Val-d’Oise a délivré à l’encontre de l’auteur un arrêté portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixant Sri Lanka comme pays de destination. L’auteur a contesté cette décision en invoquant, en particulier, les articles 3 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) relatifs à l’interdiction de la torture et au droit au respect de la vie privée et familiale. Par une décision exécutoire du 20 avril 2017, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la requête de l’auteur, car celui-ci n’avait apporté aucun élément convaincant permettant de considérer qu’il encourait dans le cas d’un retour à Sri Lanka, de manière suffisamment personnelle, certaine et actuelle, des menaces quant à sa vie ou à sa personne. En outre, le tribunal a jugé que le fait que l’auteur n’avait pas été invité à formuler des observations avant l’édiction de l’obligation de quitter le territoire et de la décision fixant le pays de destination n’était pas de nature à permettre de considérer qu’il avait été privé de son droit d’être entendu, dès lors qu’il avait pu l’être à l’occasion de l’examen de sa demande de reconnaissance de sa qualité de réfugié. L’auteur n’a pas fait appel de cette décision.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur invoque une violation de l’article 16 de la Convention. Il affirme que, s’il est renvoyé par l’État partie à Sri Lanka, il risque d’être porté disparu, vu que son frère a également disparu. Il précise qu’à Sri Lanka, une loi antiterrorisme en vigueur permet qu’il soit détenu indéfiniment et porté disparu. Sur la base de cette loi, plusieurs Tamouls ont déjà été arrêtés et mis en détention sans jugement. S’il rentre à Sri Lanka, les cicatrices qu’il a sur le corps permettront au Département des enquêtes criminelles de conclure qu’il est un ancien combattant des Tigres de libération de l’Eelam tamoul et de le mettre en prison sans jugement. L’auteur fait référence à plusieurs articles sur le contexte de sécurité à Sri Lanka et transmet une vidéo qu’il affirme avoir été filmée dans une prison de Sri Lanka le 22 novembre 2018, attestant des éléments de torture.

3.2L’auteur affirme que ses cicatrices − notamment celle d’une balle dans la jambe droite − prouvent la torture qu’il a subie à Sri Lanka. Divers examens médicaux attestent la véracité de son récit. Pourtant, les autorités françaises ont rejeté ces éléments probants, sans expliquer l’origine de toutes les séquelles et blessures constatées sur son corps. Elles ont aussi fait abstraction du risque actuel que l’auteur court s’il rentre à Sri Lanka.

3.3L’auteur affirme que le 21 avril 2018, une attaque terroriste a eu lieu à Sri Lanka contre la communauté chrétienne, dont il fait partie. À la suite de cette attaque, plusieurs pays ont averti leurs citoyens de ne pas se rendre à Sri Lanka.

3.4L’auteur ajoute qu’il a saisi le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires du cas de son frère, et que cette affaire est portée contre l’armée sri-lankaise, permettant ainsi aux autorités de l’identifier facilement et de le mettre en prison. Le 31 décembre 2013, il a également présenté une pétition auprès du Parlement européen contre l’armée sri-lankaise. L’auteur affirme que cette pétition est toujours disponible en ligne sur le site Web du Parlement européen et que « le Président de la Commission européenne de Bruxelles a déclaré qu’il avait été victime de torture à Sri Lanka ».

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 21 janvier 2020, l’État partie a fait part au Comité de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication, et a demandé qu’elle soit déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 d) de l’article 31 de la Convention.

4.2L’État partie rappelle qu’en vertu de la Convention, tous les recours internes doivent avoir été épuisés pour qu’une communication puisse être déclarée recevable. Il fait valoir que l’auteur n’a pas fait appel du jugement du 20 avril 2017, alors qu’il disposait de la possibilité de former un tel recours dans le délai d’un mois à compter du jour où ce jugement lui a été notifié, en vertu des dispositions de l’article R776-9 du Code de justice administrative. Au titre de l’examen du recours d’appel, les juges sont amenés à examiner de nouveau l’intégralité du dossier. Ils statuent en fait et en droit. L’appel constitue donc une voie de recours efficace dans ce cadre.

4.3L’État partie indique également que l’obligation de quitter le territoire français émise à l’encontre de l’auteur date de plus d’un an, ce qui fait obstacle à ce qu’il soit assigné à résidence ou placé en rétention en vue de préparer son éloignement, au titre de l’article L561-2 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Si une nouvelle décision devait être prise en vue de l’éloignement de l’auteur vers Sri Lanka, celui-ci disposerait alors des voies de recours habituelles disponibles contre les actes administratifs, notamment des procédures d’urgence que constituent les référés prévus aux articles L521-1 et L521-2 du Code de justice administrative, qui permettent d’obtenir la suspension de l’exécution d’une telle décision dans l’attente que le juge ait statué sur le fond de la requête. Par conséquent, l’État partie demande au Comité de déclarer la présente communication irrecevable.

4.4Si le Comité décidait de déclarer la communication recevable, il ne pourrait que constater qu’elle ne fait apparaître aucune violation des droits énoncés dans la Convention. Les craintes dont fait état l’auteur ont déjà été examinées à plus de 10 reprises par les autorités françaises − les instances d’asile principalement, mais aussi la juridiction administrative. À ce titre, l’auteur a bénéficié d’importantes garanties, les craintes dont il fait état n’étant, en toute hypothèse, pas étayées.

4.5Après avoir passé en revue les garanties associées à l’examen par les instances d’asile et la juridiction administrative, l’État partie précise que la situation de l’auteur a été examinée à cinq reprises par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d’asile − une demande initiale et quatre demandes de réexamen −, puis par le tribunal administratif à la suite du recours exercé contre la dernière décision, et aurait pu l’être de nouveau s’il avait fait appel du jugement du tribunal administratif. Par conséquent, lors de l’examen à plusieurs reprises tant de sa demande d’asile que de sa requête, ou au titre des voies de recours que l’auteur s’est abstenu d’exercer, celui-ci a ou aurait pu bénéficier de nombreuses garanties, ce qui permet de considérer que le risque qu’il puisse faire l’objet d’une disparition forcée en cas de retour dans son pays d’origine n’a été écarté qu’après une analyse approfondie. En tout état de cause, ce risque n’est pas avéré.

4.6L’État partie considère que s’il n’existe plus de risque général pesant sur les Tamouls en cas de retour à Sri Lanka, certains individus, notamment les hauts responsables des Tigres de libération de l’Eelam tamoul et les activistes au sein de la diaspora œuvrant en faveur du séparatisme, peuvent présenter des profils à risque. Selon les informations les plus récentes dont dispose l’État partie, communiquées par la Direction Asie-Océanie du Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, l’actuelle présidence de la République sri-lankaise, assurée par M. Rajapaksa, est celle qui a mis fin à la guerre civile avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, qui exigeaient l’indépendance d’une partie de l’île de Ceylan.

4.7Si les Tamouls de la diaspora, dont fait partie l’auteur, entretiennent en général une certaine nostalgie de la lutte des Tigres de libération de l’Eelam tamoul, à Sri Lanka, les Tamouls − qui représentent 20 % de la population − recherchent plutôt l’intégration et la préservation de la paix. Ils soutiennent ainsi notamment la politique de réconciliation portée par le Gouvernement sortant (2015-2019). À la connaissance de l’État partie, les disparitions forcées ont cessé à Sri Lanka depuis de nombreuses années et, selon les informations disponibles, aucune poursuite n’a été engagée ces dernières années concernant des individus ayant un profil semblable à celui de l’auteur.

4.8Par ailleurs, l’ensemble des décisions prises par les instances d’asile concernant l’auteur révèle une position constante et motivée quant aux faits allégués, du fait notamment des déclarations considérées comme peu crédibles et contradictoires de l’auteur, et de l’absence de force probante des documents présentés. Dans ce cadre, comme il le fait à nouveau devant le Comité, sans justifier de nouveaux éléments pertinents à cet égard, l’auteur s’est prévalu de son parcours, émaillé de persécutions qu’il aurait subies, ainsi que certains membres de sa famille, dans son pays d’origine, du fait de ses liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, et qui l’ont conduit à quitter Sri Lanka.

4.9S’agissant, tout d’abord, de la pétition soumise par l’auteur au Parlement européen, celle-ci ne permet pas de démontrer l’existence des risques allégués. Cela a déjà été établi par la Cour nationale du droit d’asile, qui a souligné dans sa décision la plus récente, datée du 31 octobre 2016, que l’auteur n’avait livré aucune information permettant de conclure qu’il présentait, du fait de cette démarche auprès du Parlement européen, un profil de nature à attirer l’attention défavorable des autorités de son pays, qui aurait pu mener les autorités de son village à le questionner à la suite de la publication de cette pétition. Ainsi, aucun élément tangible ne permet de démontrer l’existence de tels interrogatoires, ni la visibilité qu’aurait pu avoir la pétition de l’auteur à Sri Lanka.

4.10De même, aucun élément probant ne permet d’établir l’existence de faits de torture qui auraient pu être perpétrés à l’encontre de l’auteur. Les cicatrices qu’il présente − et qui sont attestées par des certificats médicaux − ont été prises en considération par les différentes instances qui ont examiné son cas. Toutefois, ainsi que l’ont relevé à plusieurs reprises les instances d’asile, dès lors que la réalité du parcours de l’auteur tel qu’il le décrit, ainsi que ses liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, n’est pas établie, la cause de ces cicatrices et les circonstances qui ont pu les occasionner ne peuvent être considérées comme étant en lien avec le risque dont se prévaut l’intéressé en cas de retour dans son pays d’origine.

4.11L’auteur a démontré, par ailleurs, souffrir d’un syndrome de stress post-traumatique. Cependant, tout comme pour les cicatrices que porte son corps, le lien avec son discours ne peut être établi, ainsi qu’il résulte notamment de l’analyse menée par un médecin du Comité pour la santé des exilés le 30 juin 2015. Dans ce cadre, le médecin a eu recours aux formulations du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul), qui réunit les premières lignes directrices internationales détaillées en la matière et expose à l’article 187 les différents degrés de compatibilité entre les séquelles physiques et psychologiques observées et la forme de torture invoquée par le patient.

4.12En l’espèce, le médecin a relevé que les séquelles observées et les dires de l’auteur étaient simplement compatibles, ce qui correspond au deuxième des degrés référencés dans le Protocole d’Istanbul. Il a ainsi entendu signifier qu’il existait d’autres causes possibles aux séquelles observées et, partant, un doute raisonnable quant au lien de causalité avec le parcours de l’auteur tel qu’il le décrit. Par ailleurs, concernant la vidéo transmise par l’auteur, aucune explication n’a été produite à l’appui de cette pièce quant au lieu des événements qu’elle montre. On y voit un lieu de privation de liberté et des incidents ayant lieu dans cette enceinte, impliquant l’usage de la violence par les personnes apparaissant comme étant chargées de l’autorité. Toutefois, aucun lien ne peut être fait avec l’auteur, son parcours allégué ou les risques de disparition forcée dont il se prévaut. Ce constat est renforcé par le fait qu’il semble s’agir d’un documentaire diffusé par la chaîne IBC Tamil, comme le montre le logo présent sur cette vidéo.

4.13Quant aux craintes évoquées par l’auteur du fait de sa confession chrétienne − l’auteur a indiqué être catholique romain dans le formulaire de sa demande d’asile initiale −, celui-ci ne fait état d’aucun motif permettant de justifier leur bien-fondé en cas de retour dans son pays d’origine. Il n’y fait référence qu’en une phrase dans un courrier non daté qu’il a adressé au Comité, référence dépourvue de tout élément d’individualisation.

4.14Au vu de ce qui précède, dans l’hypothèse où le Comité déciderait que la communication de l’auteur est recevable, il est patent que son grief est manifestement infondé et que ses allégations ne font apparaître aucune violation par l’État partie des droits énoncés dans la Convention.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 24 mars 2020, l’auteur a transmis des commentaires relatifs aux observations de l’État partie. Il réitère qu’il est victime de torture à Sri Lanka et que son frère a été porté disparu en 2004.

5.2Pour ce qui est du fait qu’il n’a pas fait appel de la décision du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 20 avril 2017, l’auteur précise qu’il ne disposait que d’un mois pour interjeter appel et n’avait ni emploi ni argent pour payer les frais d’avocat. Il affirme que même s’il avait demandé l’aide juridictionnelle, il n’aurait pas obtenu une réponse avant que le délai d’appel arrive à terme. En outre, ses recours internes ont été examinés à plusieurs reprises sans qu’il soit convoqué par les instances d’asile et administratives.

5.3Pour ce qui est de sa pétition enregistrée en 2013 auprès du Parlement européen, l’auteur précise qu’il avait demandé à ce que soit confirmé le fait qu’il avait été torturé par l’armée sri-lankaise. Il avait également demandé à ce que la France accepte sa demande d’asile. L’auteur rappelle que, le 26 mars 2015, le Président de la Commission des pétitions du Parlement européen a déclaré que l’auteur était victime de la torture à Sri Lanka par l’armée sri-lankaise et que sa demande d’asile était admissible.

5.4Concernant l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’auteur disposerait des voies de recours habituelles disponibles contre les actes administratifs si une nouvelle décision devait être prise en vue de son éloignement vers Sri Lanka, l’auteur rétorque que le juge ne prendra pas une décision favorable pour lui, puisqu’il a épuisé tous les recours internes. Il mentionne s’être marié à une Sri-lankaise officiellement en France et demande la protection internationale.

5.5Enfin, l’auteur fait référence au contexte de sécurité à Sri Lanka. Il allègue que même si le Gouvernement a récemment changé, le nouveau Gouvernement a été accusé « de crimes de guerre pendant la guerre civile ». Il explique que le Gouvernement sri‑lankais a menacé de se retirer d’une résolution du Conseil des droits de l’homme après des restrictions de voyage contre le chef d’état-major de l’armée de terre sri-lankaise. Les États-Unis d’Amérique ont interdit d’entrée sur le sol américain le général Shavendra Silva et sa famille proche, celui-ci étant accusé de crimes contre l’humanité commis durant les derniers mois de la guerre civile sri-lankaise (1983-2009), alors que le Premier Ministre actuel, Mahinda Rajapaksa, était lui-même Président. Le Premier Ministre a riposté en annonçant le retrait du pays et en accusant son prédécesseur de « trahison historique » pour avoir signé la résolution 30/1 en 2015. Selon un rapport de l’Organisation des Nations Unies, près de 45 000 civils tamouls auraient été tués durant les derniers mois du conflit. Le risque pour la population tamoule est donc toujours présent.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit déterminer si celle-ci est recevable en vertu des paragraphes 1 et 2 de l’article 31 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 c) de l’article 31 de la Convention, que la même question n’avait pas déjà été et n’était pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité note tout d’abord que les faits qui sont à la base des allégations de l’auteur portées devant le Comité se sont déroulés entre 2003 et 2017, alors que la Convention est entrée en vigueur pour l’État partie le 23 décembre 2010. Le Comité rappelle qu’un État partie est lié par ses obligations au titre de la Convention dès que celle‑ci entre en vigueur à son égard. En l’espèce, le Comité note que les troisième et quatrième demandes de réexamen de la demande d’asile de l’auteur et les décisions correspondantes sont intervenues après l’entrée en vigueur de la Convention pour l’État partie. Il note également que ces décisions ont statué sur la question des risques invoqués par l’auteur en cas de renvoi à Sri Lanka, risques qui sont à la base de la demande auprès du Comité. Il considère par conséquent que la communication présentée devant le Comité relève de sa compétence ratione temporis.

6.3Ensuite, le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication pour non-épuisement des voies de recours internes. D’une part, il fait valoir que l’auteur n’a pas fait appel du jugement du 20 avril 2017 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, alors qu’il disposait de la possibilité de former un tel recours dans le délai d’un mois et que les juges auraient examiné de nouveau l’intégralité du dossier. L’État partie considère donc que l’appel constitue une voie de recours efficace dans ce cadre. D’autre part, l’État partie fait valoir que le délai d’exécution de la décision d’éloignement de l’auteur du territoire français est échu et que, si une nouvelle décision devait être prise en ce sens, l’auteur disposerait alors des voies de recours habituelles disponibles contre les actes administratifs. Enfin, le Comité note l’argument de l’auteur selon lequel ses recours internes ont été examinés à plusieurs reprises par les instances d’asile et administratives.

6.4Le Comité note tout d’abord que la demande d’asile de l’auteur a été examinée et réexaminée au total à cinq reprises par les juridictions d’asile. À la fin de ces cinq procédures d’asile, et comme une conséquence directe, le préfet du Val-d’Oise a délivré à l’encontre de l’auteur un arrêté portant obligation de quitter le territoire français, qui a été contesté par l’auteur. Le 20 avril 2017, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté l’appel de l’auteur contre la décision du préfet, par l’intermédiaire d’une décision exécutoire. Le Comité note les précisions de l’État partie selon lesquelles les dispositions du Code de justice administrative permettent d’obtenir la suspension de l’exécution d’une telle décision, dans l’attente que le juge ait statué sur le fond de la requête. Le Comité prend donc note du fait que l’effet suspensif n’est pas garanti. En ce sens, le Comité rappelle que l’effet suspensif du recours figure parmi les garanties procédurales essentielles d’une procédure d’expulsion, puisqu’il vise à prévenir de possibles violations du principe de non-refoulement.

6.5En outre, l’État partie n’a pas démontré, notamment par l’intermédiaire de la jurisprudence interne, comment une instance administrative saisie avec la contestation d’un arrêté administratif délivré en réponse à plusieurs procédures d’asile pouvait se prononcer autrement sur les risques allégués en cas de refoulement, alors qu’il revenait aux instances d’asile de le faire. Par conséquent, en l’absence de renseignements pertinents de la part de l’État partie à ce sujet, et dans la mesure où ce recours ne garantit pas le droit de toute personne faisant l’objet d’une décision d’expulsion de former un recours suspensif de l’exécution de cette décision, le Comité conclut que ce recours n’est pas efficace et encore moins utile.

6.6Le Comité observe également que pendant les différentes procédures d’asile, il n’apparaît pas que l’auteur a invoqué expressément devant les juridictions nationales le droit qu’il prétend tirer de l’article 16 de la Convention et qui est lié au risque d’être victime d’une disparition forcée. Il observe en outre que l’État partie n’a pas soulevé le non-épuisement à cet égard. Néanmoins, le Comité se doit d’examiner si, à la lumière des allégations de l’auteur devant les juridictions internes quant au risque de disparition forcée, un tel risque aurait été porté en substance devant les autorités compétentes. À cet égard, le Comité note que la règle de l’épuisement des voies de recours internes oblige, en principe, à soulever devant les juridictions nationales appropriées, au moins en substance, les griefs que l’on entend formuler par la suite devant le Comité, afin de leur permettre de redresser les violations alléguées de la Convention.

6.7Dans le cas d’espèce, le Comité observe que, pendant les différentes procédures d’asile, l’auteur a invoqué à plusieurs reprises le risque de persécution par l’armée sri‑lankaise ainsi que par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul en cas de retour forcé à Sri Lanka. Il a fait valoir avoir subi des tortures par des membres des Tigres de libération de l’Eelam tamoul et a clairement indiqué que son frère, qui était engagé auprès de ces derniers, a été victime d’une disparition forcée, imputée à l’armée sri-lankaise. En effet, le Comité note que, depuis le début de ses demandes d’asile, l’auteur a fait état de craintes liées tant aux autorités sri-lankaises qui le rechercheraient qu’aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul. Dans ces circonstances, le Comité estime que les griefs de l’auteur soulevés à l’interne, même à défaut d’indication explicite par l’auteur du risque d’être victime d’une disparition forcée, touchent à la substance même du risque de disparition forcée. En prenant en compte les circonstances spécifiques de l’affaire en cause, notamment l’expérience personnelle et familiale de l’auteur ainsi que le contexte général des disparitions forcées à Sri Lanka, le Comité estime qu’en réalité, l’auteur a fait état devant les autorités nationales du risque de disparition forcée qu’il pourrait subir s’il retournait à Sri Lanka. De ce fait, le Comité considère que le paragraphe 2 d) de l’article 31 de la Convention ne constitue pas un obstacle à la recevabilité de la présente communication.

6.8En l’absence de toute autre question relative à la recevabilité de la communication, le Comité la déclare recevable, étant donné qu’elle soulève des questions au titre de l’article 16 de la Convention et que les faits et la base des demandes de l’auteur ont été dûment étayés, et procède à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Le Comité a examiné la communication à la lumière de toutes les informations adressées par les parties.

7.2Dans le cas présent, le Comité doit déterminer si, en renvoyant l’auteur à Sri Lanka, l’État partie manquerait à l’obligation mise à sa charge par le paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État s’il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’y être victime d’une disparition forcée. Selon le paragraphe 2 du même article, pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes doivent tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’État concerné, d’un ensemble de violations systématiques graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme ou de violations graves du droit international humanitaire. Par ailleurs, il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque réel d’être victime d’une disparition forcée, dans les circonstances qui sont les siennes. Chaque cas devrait faire l’objet d’un examen individuel, impartial et indépendant par les autorités administratives et/ou judiciaires compétentes de l’État partie concerné, mené dans le respect des garanties procédurales essentielles.

7.3En l’espèce, le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel les craintes de persécution en cas de retour à Sri Lanka dont fait état l’auteur ont déjà été examinées à plus de 10 reprises par les autorités françaises, et l’auteur a bénéficié d’importantes garanties, permettant de considérer que le risque qu’il puisse faire l’objet d’une disparition forcée en cas de retour dans son pays d’origine n’a été écarté qu’après une analyse approfondie. En outre, l’État partie fait valoir que le lien entre, d’une part, le syndrome de stress post‑traumatique dont souffre l’auteur et les cicatrices qu’il porte sur son corps et, d’autre part, ses allégations quant aux circonstances dans lesquelles il les aurait subis ne peut être établi.

7.4Le Comité note que dans la décision du 20 avril 2017, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise fait mention du fait que le frère de l’auteur a disparu en 2004 et que son corps a été retrouvé cinq ans plus tard dans une fosse commune. Pourtant, le Comité note que le tribunal n’a pas accordé le poids voulu aux conséquences qui pouvaient découler pour l’auteur de la disparition de son frère.

7.5Le Comité note également que, pendant l’examen des demandes d’asile déposées par l’auteur, les autorités nationales ont jugé que les faits allégués n’étaient pas établis, et que les certificats médicaux produits par l’auteur pour étayer le risque qu’il pourrait subir à son retour ont tous été rejetés soit en raison de l’absence de traduction, soit parce qu’ils se rapportaient à des faits qui n’avaient pas été tenus pour établis par les autorités. Toutefois, le Comité constate que ces preuves n’ont pas été rejetées de façon motivée : il ressort clairement des circonstances de l’espèce que le point central de l’action entamée par l’auteur était précisément de se soustraire aux risques de torture et de persécution en cas d’expulsion et, implicitement, en substance, de disparition forcée. Par conséquent, le Comité ne voit pas de raison impérative pour laquelle les autorités internes auraient pu être amenées à ignorer les risques soulevés par l’auteur tels qu’ils avaient été étayés par les éléments de preuve produits, en particulier la disparition de son frère, les certificats médicaux ainsi que le contexte général des disparitions forcées à Sri Lanka.

7.6Le Comité considère que le risque d’une disparition forcée se doit d’être examiné par les juridictions internes de manière exhaustive. À cet égard, les juridictions internes doivent réellement examiner les questions essentielles qui leur sont soumises, plutôt que se contenter de répondre formellement aux moyens soulevés par l’auteur ou d’entériner purement et simplement les conclusions d’une juridiction inférieure. Dans la présente affaire, le simple fait que des cours d’appel ont entériné les décisions adoptées en l’espèce par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et les arguments sur lesquels celles-ci s’étaient fondées ne pouvait les dégager de leur obligation d’examiner au fond les questions soulevées dans les recours de l’auteur.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 5 de l’article 31 de la Convention, conclut que le renvoi de l’auteur à Sri Lanka constituerait une violation par l’État partie de l’article 16 de la Convention.

9.Conformément au paragraphe 5 de l’article 31 de la Convention, le Comité engage instamment l’État partie à :

Examiner la demande d’asile de l’auteur au regard de ses obligations en vertu de la Convention et à la lumière des présentes constatations ;

Ne pas expulser l’auteur tant que sa demande d’asile sera pendante devant les juridictions internes.

10.Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, dans un délai de six mois à partir de la date de transmission des présentes constatations, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner suite aux recommandations ci-dessus.

Annexe I

Opinion individuelle (dissidente) de Moncef Baati

1.Dans la présente affaire, le Comité conclut qu’il y a violation des dispositions de l’article 16 de la Convention. Pour conclure à la violation de cet article, le Comité a dû contourner la question de l’irrecevabilité de la communication pour non-épuisement des voies de recours, qui constitue la demande substantielle de l’État partie, jugeant que le recours en question « n’est pas efficace et encore moins utile ».

2.Je suis au regret de ne pouvoir partager ni les estimations ni les conclusions de mes collègues, et ce, pour les raisons exposées ci-dessous, liées notamment à la question de la recevabilité de la communication.

Examen de la recevabilité

3.L’article 31 de la Convention, qui reconnaît la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications présentées par des personnes relevant de sa juridiction, s’impose uniquement aux pays qui ont choisi de l’accepter au moment de la ratification de la Convention, ce qui est le cas de l’État partie. Dans son paragraphe 2, l’article 31 stipule explicitement que le Comité déclare irrecevable toute communication si tous les recours internes efficaces disponibles n’ont pas été épuisés. Cette règle ne s’applique pas si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables.

4.Le style direct et impératif de l’article 31 correspond à sa nature exceptionnelle et à la volonté des auteurs de la Convention de diversifier les moyens de lutte contre ce crime infâme qu’est la disparition forcée, tout en encourageant les États parties à accepter son application.

5.En l’espèce, il est à relever que la demande de l’auteur a été examinée à plusieurs reprises, avant et après l’entrée en vigueur de la Convention pour l’État partie. La question qui doit nous interpeller est la décision de l’auteur, après une quinzaine d’années de procédures, de ne pas interjeter appel de la décision exécutoire du tribunal administratif de Cergy-Pontoise entérinant l’arrêté du préfet le refoulant vers son pays d’origine. Premièrement, l’auteur invoque les courts délais, peu suffisants pour mener son action, sans considérer qu’il pouvait demander en urgence la suspension de l’application de la décision de son refoulement, en attendant une décision du juge administratif portant sur le fond. Cette action fait partie intégrante de la procédure d’appel devant le juge administratif pour les décisions assorties de délais d’exécution, ce qui est le cas de l’espèce. Deuxièmement, l’auteur invoque le manque de ressources financières pour engager un avocat, et ce, sans engager la procédure pour obtenir une aide judiciaire. De surcroît, lorsque l’État partie se prévaut de l’existence de voie de recours en cas de deuxième décision préfectorale, l’auteur rétorque que le juge ne prendra pas de décision en sa faveur et ajoute qu’il est marié en France et qu’il a demandé la protection internationale. L’auteur aurait pourtant pu invoquer la protection de sa vie familiale dans le cadre de l’appel qu’il n’avait pas interjeté.

6.De l’ensemble de ces facteurs, on peut déduire que : a) il y a non-épuisement des voies de recours, comme le reconnaît l’auteur ; b) l’auteur n’a entrepris aucun recours, ni pour faire appel ni pour suspendre l’exécution de la décision du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 20 avril 2017 ; et c) le délai d’un mois est raisonnable, puisqu’il s’agit d’une décision assortie d’un délai d’exécution correspondant par ailleurs à la deuxième condition prévue au paragraphe 2 d) de l’article 31 de la Convention, qui stipule que les procédures de recours ne doivent pas excéder des délais raisonnables.

7.Il y a lieu d’ajouter que le recours en urgence pour la suspension de l’exécution du jugement entérinant l’arrêté du préfet, en attendant une décision définitive de l’instance d’appel portant sur le fond, est une garantie supplémentaire pour pallier tout risque lié à la limite de temps de recours. Par ailleurs, l’utilité et l’efficacité de l’appel en la matière proviennent du fait qu’il porte à la fois sur le fond et les procédures.

8.L’État partie n’a fait preuve ni d’empressement ni de procédures expéditives dans cette affaire. La première demande de l’auteur remonte à 2003 et la décision exécutoire du préfet assortie d’un délai de trente jours date du 28 février 2017.

9.Les éléments qui précèdent permettent de conclure que les conditions prévues au paragraphe 2 d) de l’article 31 de la Convention sont respectées, que le non-épuisement des voies de recours est patent, voire reconnu par l’auteur lui-même, et que l’irrecevabilité de la communication est évidente.

Examen au fond

10.Étant donné que l’État partie ainsi que le Comité se sont prononcés quant au fond, je suis enclin à formuler quelques observations et recommandations ayant trait au travail futur du Comité.

11.L’État partie a examiné la situation pour voir s’il y avait des motifs sérieux de croire que l’auteur risquait d’être victime de disparition forcée en cas de refoulement. À cet effet, les instances compétentes ont été consultées, ce qui permet à l’État partie d’affirmer que « le risque qu’il puisse faire l’objet d’une disparition forcée en cas de retour dans son pays d’origine n’a été écarté qu’après une analyse approfondie », ajoutant qu’« [e]n tout état de cause, ce risque n’est pas avéré », qu’« il n’existe plus de risque général pesant sur les Tamouls en cas de retour à Sri Lanka » et que « les disparitions forcées ont cessé à Sri Lanka ».

12.L’analyse de l’État partie est corroborée par la signature le 10 décembre 2015, puis la ratification le 25 mai 2016 − soit neuf mois seulement avant la décision préfectorale − de la Convention par Sri Lanka. Il faut ajouter que, depuis lors, une seule notification d’action urgente a été enregistrée concernant ce pays.

13.Au cas où le Comité ne partage pas l’analyse de l’État partie, il lui revient de procéder à sa propre analyse en demandant à Sri Lanka de soumettre son rapport initial et en programmant rapidement son examen. Il incombe également au Comité d’examiner la possibilité d’établir certains critères permettant une application homogène des dispositions de l’article 16 de la Convention.

Annexe II

[Original : espagnol]

Opinion individuelle (dissidente) de Juan José López Ortega

1.Je regrette de ne pas partager l’avis de la majorité, qui a déclaré que l’arrêté portant expulsion de quitter le territoire délivré par le préfet du Val-d’Oise et confirmé par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise était contraire à la Convention.

2.Par souci de concision, je me limiterai à exprimer mon avis sur le fond, ce qui m’amènera à considérer le champ matériel de compétence du Comité (sect. I) et les motifs invoqués pour affirmer que les décisions prises par les autorités françaises ne reposaient pas sur une appréciation adéquate de la situation de risque (sect. II).

Compétence du Comité

3.Comme c’est le cas pour les recours formés devant les organes de protection régionaux, les recours formés auprès des organes de surveillance de l’application des traités ne constituent pas une troisième instance. Le rôle du Comité est de vérifier si les actes des autorités nationales sont conformes aux prescriptions de la Convention, sans qu’il y ait possibilité de produire de nouvelles preuves.

4.Dans cette optique, la question est de savoir si la procédure qui s’est déroulée dans l’État partie a été menée régulièrement, c’est-à-dire de savoir si l’auteur a eu une possibilité suffisante d’exposer ses griefs et de produire des preuves ; si la décision a été rendue ou réexaminée par un organe ou une autorité indépendant ; si dans cette décision, même s’il s’agit d’une décision de rejet, sont indiqués les motifs sur lesquelles elle est fondée et si ceux-ci ne sont pas arbitraires ou déraisonnables.

5.Si l’on considère la procédure suivie en France à la lumière de ces principes, il devient manifeste que les droits de l’auteur ont été pleinement respectés.

6.Non seulement l’auteur a-t-il eu la possibilité de présenter une demande d’asile à son arrivée en France (2003), mais il a pu la renouveler à quatre reprises (2006, 2009, 2011 et 2016). À chaque fois, il a pu exposer de nouveaux griefs et a eu de si larges possibilités de s’adresser aux organes chargés de statuer sur sa demande d’asile que, si l’on considère la procédure dans son ensemble, on ne saurait affirmer que l’auteur n’a pas eu la possibilité de défendre ses intérêts ou que ses possibilités de défense ont été indûment restreintes.

7.En outre, les différents organes qui sont intervenus dans la procédure, tant administratifs que judiciaires, ont examiné les griefs de l’auteur ainsi que les preuves qu’il a soumises et les ont soigneusement appréciés. La lecture des faits qui ont précédé la présente décision suffit à comprendre l’incohérence des actes de l’auteur et les motifs pour lesquelles ses allégations ont été rejetées, à savoir parce qu’elles étaient imprécises et insuffisamment détaillées (par. 2.8 et 2.9), qu’il n’y était pas fait état de faits nouveaux, ou alors avec beaucoup de retard (par. 2.10 et 2.11), et qu’elles étaient incohérentes (par. 2.6), non corroborées (par. 2.12) ou peu plausibles (par. 2.11).

8.Dans ces conditions, rien ne permet d’affirmer que l’appréciation faite par les autorités nationales de la situation de risque était arbitraire ou déraisonnable. Au contraire, il ressort des faits exposés que celle-ci a fait l’objet d’une appréciation rigoureuse, détaillée, exhaustive et minutieuse, dans le cadre de laquelle il a été répondu à tous les griefs de l’auteur. L’auteur est en désaccord avec cette appréciation, ce qui est compréhensible, mais cette divergence de vue ne prive pas les décisions rendues de fondement, ni ne les rend arbitraires ou déraisonnables.

Appréciation de la situation de risque

9.La procédure interne a abouti à une décision exécutoire du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, en date du 20 avril 2017. Dans sa décision, le tribunal a conclu que les allégations de l’auteur n’établissent pas qu’il courrait actuellement un risque réel de voir sa vie ou son intégrité menacées.

10.La question qui doit être tranchée est donc celle de savoir si, dans les circonstances concrètes de l’espèce, l’auteur courrait actuellement un risque réel d’être soumis à une disparition forcée s’il était expulsé vers Sri Lanka. À cet égard, le temps écoulé entre la première demande d’asile et la fin de la procédure, soit plus de quatorze ans, revêt une importance particulière. Même si l’on reconnaissait que dans un premier temps ce risque pouvait avoir été plus important, il est évident qu’avec le temps il n’a cessé de diminuer, de sorte que l’on peut maintenant affirmer qu’il n’atteint pas le seuil minimum de gravité requis par la Convention. De fait, l’auteur n’a donné aucune raison solide de penser que les autorités sri-lankaises s’intéressent toujours à lui.

11.Le Comité accorde cependant un grand poids au fait que le frère de l’auteur a disparu, élément que les autorités françaises n’auraient pas suffisamment pris en considération. Cependant, quel que soit le temps écoulé depuis que les faits se sont produits, une grande confusion les entoure car si l’auteur a affirmé devant le tribunal administratif français que la dépouille de son frère avait été retrouvée dans une fosse commune cinq ans après son enlèvement, cette information n’a, de manière incompréhensible, pas été transmise aux organes des Nations unies.

12.Enfin, on ne saurait déduire de l’existence d’une situation de risque l’existence de violations généralisées des droits de l’homme dans l’État de destination. Les déclarations de l’État partie reflètent très bien l’évolution de la situation interne à Sri Lanka, qui a conduit la Cour européenne des droits de l’homme à rejeter d’autres requêtes visant la France (J. K. c. France, requête no 7466/10 ; B. M. c. France, requête no 5562/11 ; T. T. c. France, requête no 8686/13).

13.Je ne peux qu’attirer l’attention sur ce fait, qui met en évidence la discordance entre les organes de surveillance de l’application des traités et la Cour de Strasbourg, qui est d’autant plus regrettable qu’elle concerne un domaine de protection dans lequel le système régional est particulièrement actif.