Nations Unies

CRC/C/92/D/101/2019

Convention relative aux droits de l’enfant

Distr. générale

21 février 2023

Original : français

Comité des droits de l’enfant

Constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communication no 101/2019 * , ** , ***

Communication présentée par :

Z. M. (représentée par des conseils, Boris Wijkström et Gabriella Tau)

Victime(s) présumée(s) :

Z. T., T. T. et S. T.

État partie :

Suisse

Date de la communication:

10 octobre 2019 (date de la lettre initiale)

Date des constatations :

25 janvier 2023

Objet :

Expulsion vers l’Autriche

Question ( s ) de procédure :

Épuisement des recours internes ; fondement des griefs ; justiciabilité des droits consacrés par la Convention

Question(s) de fond :

Intérêt supérieur de l’enfant ; protection et assistance humanitaire voulues pour les enfants réfugiés ; vie privée et familiale ; droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible ; traitements inhumains ou dégradants ; réadaptation physique et psychologique

Article(s) de la Convention :

3, 16, 22, 24, 37 et 39

Article(s) du Protocole facultatif :

7e) et f)

1.1L’auteure de la communication est Z. M., de nationalité russe, née le 10 juin 1982. Elle affirme que ses enfants, Z. T., née le 8 août 2005, T. T, né le 1er août 2006, et S. T., né le 12 décembre 2008, tous de nationalité russe, seraient victimes d’une violation par la Suisse des droits qu’ils tiennent des articles 3, 16, 22, 24, 37 et 39 de la Convention en cas de renvoi en Autriche dans le cadre du Règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (Règlement Dublin III). Elle affirme également que pendant la procédure d’asile les droits de ses enfants au titre de l’article 3 de la Convention ont été violés. Elle est représentée par des conseils. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 24 juillet 2017.

1.2Le 20 novembre 2019, conformément à l’article 6 du Protocole facultatif, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteure et ses enfants vers l’Autriche sans avoir obtenu des autorités autrichiennes des garanties individuelles que l’auteure et ses enfants recevraient les soins médicaux requis, y compris, le cas échéant, des traitements d’urgence, s’ils en avaient besoin pendant l’examen de leurs cas par le Comité. Le 28 novembre 2019, l’État partie a informé le Comité qu’il n’entreprendrait aucune démarche en vue de l’exécution du renvoi de l’auteure et de ses enfants pendant l’examen du cas par le Comité ou, le cas échéant, jusqu’à ce que des garanties individuelles quant aux soins médicaux requis aient été obtenues des autorités autrichiennes.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1En 2011, l’auteure a quitté la Tchétchénie avec son ex-mari et ses enfants et a fait une demande d’asile en Autriche. Ils ont fui les persécutions exercées contre l’ex-mari de l’auteure par le régime de Ramzan Kadyrov.

2.2Le 2 décembre 2013, l’auteure et les membres de sa famille sont arrivés en Suisse et ont déposé une nouvelle demande d’asile. Par décision du 6 janvier 2014, le Secrétariat d’État aux migrations n’est pas entré en matière sur leur demande d’asile et a prononcé leur renvoi en Autriche conformément à l’article 18 (par. 1 b)) du Règlement Dublin III. Par décision du 17 avril 2014, le Tribunal administratif fédéral a déclaré irrecevable le recours qui avait été déposé par l’auteure contre la décision de renvoi.

2.3Le 13 juin 2014, le renvoi de la famille vers l’Autriche a été exécuté. L’auteure affirme qu’à son retour dans ce pays, elle a été régulièrement battue par son ex-mari et accusée d’adultère. Bien que les violences de son ex-mari ne soient pas dirigées contre les enfants, elle affirme que ceux-ci en ont été les témoins directs et réguliers pendant des années. L’auteure affirme n’avoir pas cherché à obtenir la protection de la police en Autriche parce qu’elle craignait que la police lui enlève ses enfants et craignait la réaction de son ex-mari. En outre, ils vivaient dans un petit village de montagne et l’auteure n’avait pas connaissance de l’existence de refuges pour femmes victimes de violence et d’autres formes de protection. En mai 2018, son ex-mari l’a violemment frappée au visage. Elle s’est enfuie du domicile avec les enfants et ils sont restés cachés chez des amis à Vienne. Lors d’une visite médicale, elle a expliqué au docteur qu’elle était tombée sur le poteau d’un lit.

2.4Entre-temps, et à l’insu de l’auteure, son ex-mari avait signé avec les autorités autrichiennes un accord de rapatriement volontaire pour le retour de la famille en Tchétchénie. Depuis, il est retourné seul en Tchétchénie, d’où il aurait continué à menacer l’auteure de mort ou de châtiment pour adultère, en invoquant la charia, si elle revenait en Tchétchénie.

2.5Le 1er août 2018, la Cour administrative fédérale autrichienne a rejeté la demande d’asile de la famille, qui avait été retirée par l’ex-mari, notant que l’auteure n’avait pas formulé de demande de protection spécifique pour elle-même. La Cour a noté que la précédente demande d’asile de la famille concernait des allégations de persécutions politiques envers son ex-mari et que l’auteure avait déposé seulement une brève déclaration indiquant son intention de vouloir continuer le processus de demande d’asile et mentionnant des « problèmes dans la famille » pour expliquer pourquoi elle n’avait pas pu présenter un raisonnement détaillé lors de son appel. La Cour a donc estimé que l’auteure n’avait pas fourni les informations nécessaires en temps utile et a ordonné le renvoi de la famille vers la Fédération de Russie.

2.6L’auteure a ensuite consulté deux avocats sur la possibilité de faire réexaminer sa demande d’asile en invoquant que les autorités tchétchènes ne la protégeraient pas contre des violences sexistes. Les avocats lui auraient indiqué que ses chances de succès étaient faibles. Pour éviter d’être renvoyée en Tchétchénie, l’auteure a décidé de retourner en Suisse.

2.7Le 31 octobre 2018, l’auteure et ses enfants ont déposé une demande d’asile en Suisse au motif que les autorités tchétchènes et russes ne la protégeraient pas contre les violences potentiellement mortelles de son ex-mari, de la famille de celui-ci ou même de sa propre famille. De plus, en tant que mère seule de trois enfants, elle ne pourrait pas s’installer ailleurs dans la Fédération de Russie sans soutien familial. Elle serait donc contrainte de retourner en Tchétchénie, où elle risquerait de graves violences domestiques, voire la mort, et où ses enfants lui seraient retirés.

2.8Le 20 décembre 2018, les autorités autrichiennes ont accepté une demande du Secrétariat d’État suisse aux migrations de reprendre l’auteure en vertu du Règlement Dublin III. Le 7 janvier 2019, le Secrétariat d’État aux migrations a décidé à nouveau de ne pas entrer en matière sur la seconde demande d’asile de l’auteure et a ordonné le renvoi de la famille en Autriche. Le 22 février 2019, le Tribunal administratif fédéral a annulé la décision de renvoi à la suite d’un recours de l’auteure faisant valoir que le Secrétariat d’État aux migrations n’avait pas pris en compte la situation médicale de la famille en violation de leur droit d’être entendus. Le Tribunal a ordonné au Secrétariat d’État aux migrations de prendre une nouvelle décision.

2.9Le 24 mai 2019, l’auteure a soumis au Secrétariat d’État aux migrations trois rapports médicaux établis par les médecins de ses enfants. Les rapports détaillent que la situation médicale des enfants est extrêmement grave et préoccupante. Ils souffrent tous du syndrome de stress post-traumatique et de réaction sévère au stress, pour lesquels ils font l’objet d’un suivi psychiatrique étroit et d’un traitement psychothérapeutique. Les rapports mentionnent que les maladies des enfants sont liées à l’expérience traumatisante de la violence domestique familiale sur une période prolongée, aggravée par de multiples déracinements entre la Suisse et l’Autriche et l’incertitude chronique de leur situation. Ainsi, en novembre 2018, Z. T. s’est mutilée en se coupant le poignet et l’avant-bras. Elle s’est repliée sur elle-même et son état psychologique est préoccupant. T. T. est lui dans un état psychologique qui se détériore et présente un risque de dépression majeure. Quant à S. T., il souffre d’incontinence urinaire et fécale, d’épilepsie et de retrait social. Il a été hospitalisé en soins psychiatriques fermés du 28 janvier au 6 février 2019 et il risque un appauvrissement cognitif, une perte progressive de ses capacités, l’échec scolaire et le développement de troubles mentaux supplémentaires. Les médecins ont déclaré que la condition essentielle pour l’amélioration de la santé des enfants est de vivre dans des conditions stables et dans un environnement sûr et prévisible, et que la perspective d’un déplacement constitue une menace directe pour la santé et le bien‑être des enfants. Les médecins traitants ont informé les autorités genevoises de la protection de l’enfance d’un risque imminent pour la santé et le bien-être des trois enfants. La situation médicale de l’auteure, tout aussi grave, a été également présentée au Secrétariat d’État aux migrations. Selon son médecin, un renvoi en Autriche pourrait entraîner une réaction de décompensation, une perte des capacités parentales et un risque de suicide.

2.10Le 4 juin 2019, le Secrétariat d’État aux migrations a rendu une nouvelle décision de non-entrée en matière et de transfert en Autriche en mentionnant qu’il ne minimisait pas les souffrances de la famille, mais que l’Autriche disposait de structures médicales permettant le traitement approprié de leurs pathologies. Le Secrétariat d’État aux migrations a précisé que dans le cas présent, il n’y avait aucun motif justifiant l’application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17 (par. 1) du Règlement Dublin III. En ce qui concerne le risque de suicide le Secrétariat d’État aux migrations a relevé qu’il était compréhensible que chez certaines personnes une tendance suicidaire se développe à la suite de la non-entrée en matière sur leur demande d’asile et la prononciation de leur renvoi de Suisse ; il ne serait cependant pas correct que la mention d’un risque suicidaire contraigne les autorités à revoir leur position. Le Secrétariat d’État aux migrations a souligné que ni une tentative de suicide ni les tendances suicidaires ne s’opposaient en soi à l’exécution du renvoi, y compris au niveau de son exigibilité, et que seule une mise en danger présentant des formes concrètes devait être prise en considération. Par ailleurs, le Secrétariat d’État aux migrations a ajouté que l’auteure et ses enfants avaient la possibilité de consulter un médecin et, le cas échéant, de poursuivre leurs traitements en Autriche où les infrastructures médicales nécessaires étaient disponibles, et qu’il revenait à leurs médecins traitants de les préparer au mieux à leur départ de Suisse.

2.11Le 18 juin 2019, l’auteure a formé un recours devant le Tribunal administratif fédéral, faisant valoir que leur renvoi en Autriche constituerait un traitement inhumain et dégradant et que le Secrétariat d’État aux migrations n’avait pas pris en compte l’intérêt supérieur de l’enfant et avait « abusé de son pouvoir d’appréciation ». L’auteure s’est notamment référée à l’affaire C .  K . , H .  F . , A .  S . c . République de Slovénie dans laquelle la Cour européenne de justice avait jugé que, lorsque le transfert (en vertu du Règlement Dublin III) d’un demandeur d’asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant. L’auteure a fait valoir que le renvoi d’elle-même et de ses enfants mettrait en danger immédiat leur santé, leur développement et leur vie familiale, indépendamment des conditions d’accueil en Autriche. L’auteure a également fait valoir qu’ils risquaient un « refoulement en chaîne » vers la Tchétchénie, affirmant qu’il n’y avait aucune indication concrète qu’ils pourraient obtenir la réouverture de leur dossier en Autriche.

2.12Le 17 septembre 2019, le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours de l’auteure, considérant qu’il y avait lieu de présumer que l’Autriche respecterait ses obligations régionales et internationales en matière de droits de l’homme. Le Tribunal a noté que les autorités autrichiennes examineraient la nouvelle demande d’asile de l’auteure, mais d’après l’auteure, il n’a pas fourni de preuve que cela serait possible après deux procédures d’asile déjà clôturées. En outre, le Tribunal a estimé que les risques médicaux encourus par la famille en cas de retour en Autriche n’atteignaient pas le seuil d’un traitement inhumain ou dégradant.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que les droits que ses enfants tiennent de l’article 3 de la Convention ont été violés par l’État partie. Elle considère que l’État partie a violé l’obligation procédurale de l’article 3 (par. 1) de la Convention puisque la décision du Tribunal administratif fédéral ne contient aucune justification pour conclure que la mesure d’expulsion n’est pas contraire à l’intérêt supérieur des enfants. Le Tribunal aurait dû prendre en compte les éléments suivants : la nécessité médicale de rester en Suisse pour assurer un environnement stable et un traitement psychiatrique ininterrompu ; le risque que les conditions des enfants et de la mère soient aggravées par leur renvoi en Autriche ; les conséquences de la rupture des liens thérapeutiques des enfants avec leurs médecins ; les conséquences du déracinement des enfants d’un environnement où ils ont commencé à s’enraciner − notamment les relations sociales qu’ils ont nouées avec des amis, les professeurs et des voisins durant les douze mois que la procédure d’asile en Suisse a duré ; et les incertitudes auxquelles ils seraient confrontés s’ils étaient renvoyés en Autriche, y compris en ce qui concerne l’accès aux traitements médicaux ; les nouvelles procédures d’asile ; et le risque d’un éventuel refoulement en Tchétchénie. En outre, la conclusion selon laquelle un traitement médical est disponible en Autriche ne répond pas à l’affirmation de l’auteure selon laquelle, dans leur cas, c’est l’exécution du déplacement lui-même qui leur porterait préjudice. Le Tribunal administratif fédéral n’a pas tenu compte du critère élaboré par la Cour européenne de justice dans l’affaire C .  K . , H .  F . , A .  S . c . République de Slovénie. L’auteure note que le Règlement Dublin III lui‑même prévoit que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale dans l’application du Règlement.

3.2En outre, l’auteure considère que le renvoi de ses enfants en Autriche serait contraire à leur intérêt supérieur et qu’il en résulterait une violation substantielle de l’article 3 (par. 1) de la Convention. Il n’existe pas d’intérêt public susceptible de faire pencher la balance en faveur de l’expulsion, en particulier si l’on considère les preuves médicales non réfutées établissant les effets dramatiquement néfastes d’un renvoi des enfants en Autriche. L’auteure fait référence aux rapports médicaux concernant ses enfants et aux risques qu’un renvoi aurait sur leur santé (voir par. 2.9 ci-dessus) ainsi qu’au rapport médical du Dr. L. L. des Hôpitaux universitaires de Genève présenté au Tribunal administratif fédéral indiquant que le renvoi de la famille en Autriche était médicalement contre-indiqué et que l’auteure était « à bout de ses ressources psychiques » et qu’il était prévisible qu’elle puisse commettre « un geste désespéré » qui nécessiterait une hospitalisation en milieu psychiatrique (si elle ne se suicidait pas) et impliquerait le placement de ses enfants, qui aurait pour effet d’accentuer encore leur détresse psychique. L’auteure affirme que devant les autorités suisses elle n’a pas remis en question le fait que des infrastructures médicales existent en Autriche mais le fait qu’une prise en charge médicale dans ce pays constituerait en elle-même un nouveau déracinement, surtout pour ses trois enfants, puisque de nouveaux liens de confiance devraient être établis avec de nouveaux thérapeutes, et que tout le travail accompli en Suisse devrait être recommencé.

3.3L’auteure affirme également que la mesure de renvoi constitue une violation de l’obligation de l’État partie au titre de l’article 39 de la Convention. En effet, les enfants de l’auteure ont été exposés à des violences domestiques graves pendant une période prolongée, expérience qui les a traumatisés et qui constitue une forme de « négligence » et d’« abus » au sens de l’article 39 de la Convention. Les conclusions des rapports médicaux ont clairement identifié le risque de renvoi comme une menace directe pour leur développement et un facteur de stress susceptible d’exacerber les maladies psychologiques des enfants et d’empêcher leur réhabilitation. L’État partie est par conséquent responsable de prendre des mesures appropriées et proactives pour assurer la réhabilitation des enfants, notamment en assumant la responsabilité de statuer sur la demande d’asile de l’auteure sur la base de la clause de souveraineté du Règlement Dublin III. Pour les mêmes raisons, l’auteure considère que le renvoi de ses enfants vers l’Autriche violerait aussi leurs droits au titre de l’article 24 de la Convention.

3.4L’auteure rappelle aussi la jurisprudence du Comité contre la torture, qui a estimé que lorsque le renvoi porte atteinte au droit à la réadaptation prévu à l’article 14 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, y compris lorsqu’il aggrave la maladie de l’auteur et pose un risque de suicide, le renvoi ne doit pas être exécuté. En l’espèce, les effets préjudiciables comprennent le risque de suicide pour Z. M. et Z. T., une grave dépression pour T. T. et de graves troubles du développement et de la personnalité pour S. T.

3.5Dans la mesure où le renvoi de la famille vers l’Autriche entraînerait un risque accru de suicide ou d’automutilation pour l’auteure, qui pourrait aboutir au placement des enfants dans une institution ou une famille d’accueil, ce renvoi constituerait une immixtion arbitraire dans la vie familiale des enfants au sens de l’article 16 de la Convention. Il serait « arbitraire » parce que l’État partie n’a pas correctement évalué les intérêts en jeu.

3.6L’auteure affirme que le renvoi en Autriche constituerait également une violation de l’article 37 de la Convention, car il traumatiserait à nouveau les enfants.

3.7En outre, l’auteure considère que les droits susmentionnés doivent être interprétés à la lumière des obligations positives qui incombent à l’État partie de fournir une protection appropriée aux enfants en tant que demandeurs d’asile, conformément à l’article 22 de la Convention. L’extrême vulnérabilité des enfants demandeurs d’asile impose aux États des devoirs particuliers de soin et de diligence.

Observations supplémentaires de l’auteure

4.1Dans ses observations supplémentaires du 14 novembre 2019, l’auteure a présenté les rapports médicaux sur les membres de la famille élaborés dans le cadre du renvoi prévu en Autriche. Le rapport médical concernant l’auteure, daté du 14 novembre 2019, indique qu’elle souffre d’un stress psychique majeur en plus d’un syndrome de stress post‑traumatique et d’une dépression et qu’elle présente un risque suicidaire. Ce stress est également alimenté par l’état de détresse psychique de ses enfants. S. T. évoque également le suicide en cas de renvoi. Le renvoi de l’auteure est médicalement tout-à-fait contre‑indiqué.

4.2Les rapports médicaux concernant S. T. et Z. T., datés respectivement des 7 et 8 novembre 2019, indiquent qu’en cas de renvoi forcé, une décompensation mentale doit être attendue avec un risque réel de passage à l’acte auto-agressif, voire suicidaire. Les rapports indiquent que les autorités doivent organiser un soutien psychiatrique immédiat à l’arrivée en Autriche pour prévenir de tels actes et garantir la continuité des soins médicaux. Les rapports indiquent que leur expulsion irait à l’encontre de leurs besoins fondamentaux en tant qu’enfants et qu’ils ont besoin d’un environnement prévisible et stable. Le rapport concernant S. T. mentionne que de nouveaux déracinements doivent être évités en raison de ses grandes difficultés d’adaptation à un nouvel environnement. En outre, l’auteure fait valoir que l’État partie n’a pas informé les autorités autrichiennes de sa situation médicale, car la demande de reprise ne mentionne rien à ce sujet.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

5.1Dans ses observations en date du 23 juin 2020, l’État partie soutient que les articles 3, 16, 22, 24, 37 et 39 de la Convention ne fondent aucun droit subjectif et ne sont donc pas directement applicables. En outre, l’État partie fait valoir qu’une partie de la communication est irrecevable eu égard à l’article 7 e) du Protocole facultatif, étant donné que l’auteure n’a pas épuisé les voies de recours internes concernant le grief de violation des articles 16, 22, 24, 37 et 39 de la Convention. L’État partie fait relever que l’auteure, dans le cadre de sa demande d’asile, n’a fait valoir aucune violation de ces articles de la Convention.

5.2L’État partie fait valoir également que la communication est irrecevable eu égard à l’article 7 f) du Protocole facultatif puisqu’elle est manifestement mal fondée ou insuffisamment motivée. L’État partie soutient que dans la procédure d’asile l’état de santé de l’ensemble des membres de la famille a été une préoccupation pour les autorités suisses, qui se sont employées à recueillir toutes les informations utiles, cela même si le transfert était ordonné vers l’Autriche, pays dont il n’y avait pas à douter qu’il pouvait offrir à l’auteure et à ses enfants la même protection et le même soutien que la Suisse.

5.3Concernant les allégations de l’auteure sur la violation de l’article 3 de la Convention, l’État partie précise, contrairement aux dires de l’auteure, que le Tribunal administratif fédéral a bien motivé sa décision du 17 septembre 2019, sous l’angle de l’intérêt supérieur de l’enfant. Le Tribunal a constaté que l’Autriche, se soumettant à ses obligations découlant des conventions internationales, comme la Suisse, examinerait les craintes de l’auteure, en particulier de nouvelles allégations qu’elle n’aurait pas déjà invoquées avant le départ de la famille de ce pays. Il a indiqué qu’aucun indice ne laissait penser que les autorités autrichiennes n’offriraient pas la protection adéquate en cas de menaces, mentionnant que l’ex-mari de l’auteure ne se trouvait plus en Autriche. Le Tribunal s’est référé à tous les documents relatant la situation médicale et les besoins d’encadrement des enfants. Il a expressément indiqué que les traitements ne devaient pas être interrompus et qu’il existait des garanties qu’ils ne le seraient pas. Il a souligné que l’Autriche disposait de structures de soins et d’accompagnement semblables à celles de la Suisse, permettant la poursuite du suivi médical et social nécessaire. Le Tribunal administratif fédéral a conclu que, si l’appréhension des intéressés à l’idée d’un retour en Autriche était compréhensible, rien ne permettait de mettre en doute l’accès dans ce pays à une prise en charge et à un encadrement adéquats et qu’il appartenait aux thérapeutes des enfants de les préparer dans les meilleures conditions à un retour en Autriche. Il a jugé en définitive que l’auteure et ses enfants n’étaient pas exposés à un risque de traitements prohibés par le droit international et que les enfants trouveraient en Autriche le cadre nécessaire à leur bon développement, soulignant encore une fois qu’il n’y avait aucune raison de penser que ce pays ne prendrait pas dûment en compte leurs besoins d’encadrement. L’État partie indique en outre que le Secrétariat d’État aux migrations, dans sa décision du 4 juin 2019, a relevé que S. T. souffrait déjà d’épilepsie lors du dépôt de la première demande d’asile en 2013, ce qui n’a pas empêché son renvoi en Autriche. L’État partie ajoute que l’Autriche dispose d’une infrastructure médicale suffisante et que selon les informations du Secrétariat d’État aux migrations, S. T. aurait bénéficié d’un traitement dans ce pays.

5.4L’État partie remarque que les décisions des autorités suisses ne sont pas fondées sur des raisonnements de nature générale mais procèdent d’un examen de la situation concrète de la famille, prenant en compte l’intérêt des enfants. Quant au besoin de créer un environnement prévisible et stable, l’État partie souligne que la famille a passé en Autriche une période bien plus longue qu’en Suisse (du 13 juin 2014 jusqu’à la fin du mois d’octobre 2018). La création d’un environnement favorable au bon développement des enfants était dès lors possible en Autriche, pays que l’auteure a décidé de quitter de son propre gré, même après le retour de son ex-mari en Tchétchénie. La décision du Tribunal administratif fédéral indique que, dans sa décision, le Secrétariat d’État aux migrations a retenu que l’auteure n’avait fourni aucun élément concret démontrant que leur demande d’asile n’aurait pas fait ou ne serait pas l’objet d’une procédure en bonne et due forme en Autriche.

5.5L’État partie rappelle que le Règlement Dublin III ne confère pas au requérant le droit de choisir l’État membre dans lequel il aimerait voir sa demande d’asile examinée, décision qui incombe exclusivement aux États parties au Règlement selon les critères définis par ce dernier. C’est dans ce contexte que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être pris en considération.

5.6L’État partie observe que l’auteure fait valoir une violation de l’article 16 de la Convention en cas de renvoi en Autriche au motif que ce renvoi entraînerait chez l’auteure un risque élevé de suicide et pourrait mettre en péril la stabilité de son état psychologique et ses capacités parentales. L’État partie reconnaît qu’un tel renvoi constituerait un changement dans la vie de l’auteure et de ses enfants. Cependant, cela ne modifie pas l’issue de la procédure Dublin d’autant plus qu’ils avaient décidé en octobre 2018 de quitter l’Autriche de plein gré pour rejoindre la Suisse, provoquant ainsi eux-mêmes une rupture dans leurs habitudes et leur stabilité. L’Autriche pourra prendre les mesures de protection de l’enfance qu’elle estime judicieuse. L’État partie considère que le scénario d’une séparation de la mère et de ses enfants et d’un placement de ceux-ci dans une structure d’accueil est purement hypothétique.

5.7L’État partie soutient que les griefs de l’auteure concernant l’article 22 de la Convention sont également mal fondés car l’auteure ne fait pas valoir dans sa communication en quoi les autorités suisses n’auraient pas respecté cette disposition. En aucun cas les enfants n’ont manqué de soutien dans leur procédure visant à obtenir le statut de réfugié.

5.8S’agissant des violations alléguées de l’article 37, l’État partie soutient que les autorités ont assuré la prise en charge médicale et le suivi psychologique de la famille pendant la durée de leur séjour en Suisse. Il considère que les enfants ne seraient pas l’objet d’un nouveau traumatisme en cas de retour en Autriche puisque leur père n’est plus présent en Autriche. De plus, les autorités autrichiennes seront informées des craintes des enfants et de leur mère et les informations médicales leur seront communiquées comme prévu par la législation. La protection n’est pas mieux assurée en Suisse qu’en Autriche. En outre, un renvoi n’emporterait pas, d’un point de vue matériel et psychologique, un risque suffisamment réel et imminent pour constituer un traitement inhumain ou dégradant au sens du droit international, en particulier du fait que l’auteure et ses enfants seraient renvoyés dans un pays qu’ils connaissent et qui dispose d’une infrastructure médicale à même de leur fournir les soins nécessaires.

5.9En ce qui concerne les violations alléguées des articles 24 et 39 de la Convention, l’État partie soutient qu’en transférant les enfants en Autriche, la Suisse n’empêche aucunement les enfants d’avoir accès à des mesures appropriées. Concernant le fait que le renvoi en Autriche pourrait représenter un facteur de stress pouvant aggraver leur état médical, l’État partie soutient que leur état psychologique sera pris en considération lors de l’évaluation de leur capacité à être transférés et que les autorités suisses transmettront aux autorités autrichiennes les informations nécessaires concernant les suivis médicaux afin d’en assurer la continuité. Les soins seront assurés de manière semblable en cas de transfert en Autriche et les médecins et thérapeutes traitants en Suisse pourront aider la famille à surmonter ou tempérer les éventuelles angoisses qu’ils pourraient rencontrer à l’idée d’être transférés en Autriche et les préparer au mieux au transfert. Il précise que le cas A .  N . c . Suisse cité par l’auteure diffère sensiblement de la situation de l’auteure et de ses enfants puisqu’ils n’ont pas fait valoir d’éventuelles tortures qu’ils auraient subies dans leur pays d’origine voire durant leur parcours migratoire. De plus, en cas de retour en Autriche, ils ne seraient pas exposés à un risque de torture ou mauvais traitements.

5.10L’État partie, à titre subsidiaire, conclut à l’absence de violation des dispositions invoquées par l’auteure pour les mêmes motifs présentés dans son argumentation sur l’irrecevabilité de la communication. Une attention particulière a été accordée aux enfants du fait de leur vécu. Ils ont résidé en Autriche quatre ans et rien n’indique qu’ils n’auront pas la possibilité de suivre les thérapies nécessaires et qu’ils ne bénéficieront pas d’un bon accompagnement. Le renvoi de la Suisse ne semble pas engendrer un déracinement ou une rupture dans leur développement ni les priver de leurs droits essentiels.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

6.1Dans des commentaires du 23 février 2021 sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication, l’auteure soutient que, le 29 mai 2020, elle a formalisé sa séparation avec son ex-mari en déposant une requête de « mesures protectrices de l’union conjugale » devant le tribunal de première instance du canton de Genève. Elle a engagé cette procédure en vue de demander un divorce unilatéral. L’auteure a présenté de nombreuses preuves médicales démontrant le lourd tribut que la violence conjugale prolongée avait fait payer à tous les membres de la famille, associé au stress lié à sa situation migratoire. Le 23 septembre 2020, l’auteure a déposé une demande urgente de mesures intérimaires de protection en sa faveur et en faveur de ses enfants auprès du tribunal, pendant que la procédure de séparation et de divorce était en cours. La deuxième chambre du tribunal de première instance du canton de Genève a pris les mesures de protection suivantes : a) attribution de la garde des enfants exclusivement à l’auteure ; b) retrait du droit de visite de son ex-mari à ses enfants dans le but de les protéger en cas de son retour en Suisse ; et c) établissement d’une curatelle d’assistance éducative afin d’aider l’auteure à apporter le soutien nécessaire à ses enfants compte tenu de son extrême fragilité et de la situation médicale complexe des enfants.

6.2L’auteure fait valoir que le tuteur désigné par le tribunal a récemment entamé la procédure supplémentaire consistant à identifier et à nommer un éducateur pour S. T., son plus jeune enfant, qui est confronté aux plus graves problèmes médicaux et éducatifs. Elle explique que l’éducateur est un tuteur chargé de fournir une assistance éducative aux enfants ayant des besoins particuliers pour s’assurer qu’ils peuvent suivre le programme scolaire normal et ne sont pas laissés pour compte en raison de leurs besoins spéciaux.

6.3L’auteure présente au Comité les déclarations écrites de ses enfants pour démontrer qu’ils sont bien intégrés : ils mentionnent qu’ils ont de bons amis dont ils apprécient la compagnie, qu’ils aiment leur école et qu’ils veulent désespérément rester en Suisse. Ils expriment également leur peur chronique d’être expulsés vers l’Autriche, un lieu qui est associé au traumatisme de la violence domestique et à la crainte que leur père revienne les chercher et les sépare de leur mère ou les ramène en Tchétchénie qu’ils ont quittée en 2011 et qu’ils ne connaissent plus. L’auteure soumet également des dossiers scolaires montrant qu’ils obtiennent d’excellentes notes, en particulier Z. T. et T. T. et l’admiration de leurs professeurs pour leurs efforts et l’intérêt dont ils font preuve. Z. T. et T. T. sont des adolescents et S. T. le sera bientôt aussi. Ils se trouvent à un moment crucial de leur vie où la construction de leur identité est en cours et où ils doivent acquérir et cimenter des compétences et des expériences pour la vie adulte.

6.4L’auteure fait valoir que la menace constante d’expulsion vers l’Autriche est une source majeure d’anxiété pour ses enfants et un obstacle à leur développement, comme l’expliquent les médecins de l’Office médico-pédagogique, consultation du Lignon. Les docteurs, tout en constatant leurs efforts et leur volonté de s’intégrer en Suisse, signalent que « la peur d’un éventuel renvoi est permanente et de ce fait empêche un travail d’élaboration des traumatismes vécus et d’aller de l’avant. Le développement psychoaffectif de ces enfants est en grand danger ».

6.5En outre, l’auteure conteste l’argument de l’État partie selon lequel elle n’aurait pas épuisé les recours internes concernant les griefs basés sur les articles 16, 22, 37 et 39 de la Convention en affirmant qu’elle les a soulevés en substance devant le Tribunal administratif fédéral.

6.6En ce qui concerne les griefs tirés de l’article 16 de la Convention, l’auteure soutient que, dans le recours qu’elle a formé devant le Tribunal administratif fédéral, elle avait fait valoir qu’en raison de sa santé mentale fragile, une expulsion vers l’Autriche entraînerait des risques graves pour le bien-être de ses enfants, car il y avait un risque réel qu’elle ne soit plus en mesure de s’occuper d’eux correctement, y compris un risque de décompensation et de suicide, avec des conséquences négatives graves, notamment la possibilité que ses enfants soient placés dans une famille d’accueil. Chacune de ces circonstances porterait manifestement atteinte au cœur de la vie familiale de ses enfants au sens de l’article 16 de la Convention.

6.7L’auteure fait également valoir qu’elle a épuisé les recours internes en ce qui concerne ses griefs au titre de l’article 37 et renvoie à son recours devant le Tribunal administratif fédéral. Si elle reconnaît qu’elle a seulement expressément invoqué l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) et l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et non pas spécifiquement l’article 37 de la Convention, ces deux instruments contiennent une formulation identique à celle de la Convention concernant l’interdiction des « traitements inhumains ou dégradants ». Elle rappelle qu’elle a allégué devant les autorités internes que c’était le transfert lui-même, et non les conditions en Autriche, qui entraînerait des conséquences catastrophiques pour la famille, s’apparentant à un traitement inhumain et dégradant en raison du risque de dégradation grave et permanente de leur santé mentale et du risque de suicide de plusieurs membres de sa famille.

6.8L’auteure réaffirme que ses enfants ont été témoins de la façon dont elle a été battue par leur père pendant une période prolongée et que cela constitue une forme de « négligence, exploitation ou abus » au sens de l’article 39 de la Convention. Comme il a été démontré, cela a entraîné une maladie mentale grave chez les enfants et la nécessité d’un suivi psychiatrique soutenu. Par conséquent, l’État partie avait une obligation positive en vertu de la Convention de favoriser leur « réadaptation physique et psychologique et la réinsertion sociale » et aurait dû assumer la responsabilité du traitement de leur demande d’asile en vertu de la clause de souveraineté du Règlement Dublin III. L’auteure maintient que tous les éléments de preuve présentés dans le cadre de son recours devant le Tribunal administratif fédéral ont porté directement ou indirectement sur la question du besoin médical, objectivement établi, de stabilité de ses enfants en tant que condition préalable nécessaire à leur rétablissement et sur leur besoin continu de suivi psychiatrique dans le cadre sécurisé fourni par l’État partie.

6.9L’auteure fait également valoir que ses griefs au titre de l’article 16 de la Convention sont suffisamment étayés et renvoie aux preuves et arguments médicaux présentés aux autorités de l’État partie. En outre, elle fait valoir que les décisions des tribunaux cantonaux et des services de protection de l’enfance à Genève ont confirmé ses allégations selon lesquelles une expulsion vers l’Autriche entraînerait un risque réel pour la vie familiale de ses enfants : ils ont reconnu explicitement l’extrême vulnérabilité de l’auteure et son besoin d’une assistance professionnelle immédiate pour élever ses enfants. Elle précise que les éléments de preuve à l’origine des décisions cantonales étaient à bien des égards identiques à ceux présentés devant les autorités migratoires suisses.

6.10L’auteure fait valoir en outre qu’elle a suffisamment étayé ses griefs au titre des articles 37 et 39 de la Convention et renvoie aux arguments donnés pour justifier l’épuisement des recours internes à cet égard.

Observations supplémentaires de l’auteure

7.1Dans ses observations supplémentaires du 14 janvier 2022, l’auteure indique que, le 16 novembre 2021, la deuxième chambre du tribunal de première instance du canton de Genève a confirmé toutes les mesures de protection précédemment accordées par mesure provisoire. La décision a été rendue sans audience car les preuves figurant dans le dossier du tribunal concernant la violence domestique à laquelle l’auteure avait été soumise et les conséquences dramatiques sur sa santé mentale et celle de ses enfants étaient incontestées et accablantes.

7.2L’auteure indique que, le 9 juin 2021, l’éducatrice spécialisée a commencé à travailler avec S. T. et avec tous les membres de la famille car elle estimait qu’une approche globale était nécessaire en raison de l’ampleur des problèmes psychologiques et sociaux de la famille. Dans son rapport d’étape de six mois, l’éducatrice a noté qu’il avait fallu beaucoup de temps et d’efforts pour obtenir l’engagement et la coopération des membres de la famille, en particulier de S. T., mais qu’une relation constructive avait finalement été établie. Elle a noté certaines améliorations dans la santé et l’intégration sociale de S. T., notamment qu’il était moins isolé et n’avait plus de problèmes d’incontinence urinaire et fécale. Elle a noté aussi certaines améliorations en ce qui concerne Z. T. et T. T. Cependant, la spécialiste a déclaré à propos de S. T. que « l’anxiété reste malgré tout envahissante et ne permet pas à [S. T] de grandir de manière sereine et spontanée. Le passif traumatique et l’avenir à ce jour incertain sont encore des éléments qui impactent la vie quotidienne de ce jeune garçon. Des choses simples et banales, comme recevoir du courrier, restent par exemple une source d’angoisse majeure à vivre pour lui, étant dans la crainte d’un renvoi vers l’Autriche ou leur pays d’origine à tout moment ». Le 13 janvier 2021, le mandat de l’éducatrice a été prolongé de six mois par le Service de protection des mineurs.

7.3Étant donné que la famille a toujours besoin d’un soutien professionnel, l’éducatrice a pris contact avec une autre organisation spécialisée dans le soutien aux migrants et la gestion des défis interculturels afin de demander une séance de psychothérapie familiale et individuelle pour l’auteure et ses enfants. L’auteure conclut que la réadaptation et la réinsertion sociale de la famille est un processus continu et à long terme qui ne peut pas être interrompu soudainement sans mettre en danger le développement des enfants et annuler les progrès réalisés jusqu’à présent. Elle fait valoir que leur expulsion vers l’Autriche entravera la réadaptation en cours de ses enfants, que l’État partie est tenu de garantir en vertu de l’article 39 de la Convention, seul et lu conjointement avec l’obligation découlant de l’article 22 de la Convention.

7.4Dans ses observations supplémentaires du 28 septembre 2022, l’auteure fait référence au rapport de l’éducatrice spécialisée en date du 15 juin 2022, lequel tient compte du suivi thérapeutique de la famille depuis le 5 mai 2022 par l’association Pluriels. La spécialiste constate que son suivi rapproché et ses visites quotidiennes à domicile sont appréciés par l’auteure et ses enfants qui ont désormais établi avec elle une relation constructive. Elle considère qu’il est nécessaire que son mandat soit renouvelé par les services de protection de l’enfance avec pour objectif de sécuriser et pérenniser le suivi thérapeutique apporté par Pluriels. Le rapport de la spécialiste indique aussi que le père des enfants se trouverait vraisemblablement à nouveau en Autriche et que l’auteure aurait été informée de son souhait de revenir en Suisse pour emmener, de gré ou de force, leurs enfants avec lui en Autriche.

7.5En outre, l’auteure présente une lettre du Service de protection des mineurs du canton de Genève adressée à l’Hospice général, en date du 23 septembre 2022, dans laquelle il lui est demandé « de bien vouloir faire le maximum […] dans le but de permettre à cette famille d’accéder à un logement plus adapté, car il est urgent que les enfants puissent bénéficier d’un lieu accueillant pour enfin se reconstruire ». Le Service fait référence au « parcours excessivement douloureux de cette famille » et au fait que « la fratrie tente de guérir les séquelles laissées par les dramatiques événements qu’elle a subis ». Le Service indique être très inquiet s’agissant du développement psychologique des trois mineurs. Il signale que « l’hébergement de cette famille, dans un foyer collectif, vétuste et exigu, avec toutes les problématiques d’insalubrité et de sécurité que nous connaissons, renforce les traumas vécus par ces enfants qui ne disposent pas d’un lieu de vie suffisamment sécure pour s’épanouir ».

7.6L’auteure conclut qu’il est dans le meilleur intérêt des enfants et de leur développement normal de ne pas interrompre ni perturber le processus de réhabilitation à long terme que les enfants suivent à travers des interventions régulières et pluridisciplinaires (éducatives et psychothérapeutiques).

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

8.2Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel l’auteure n’a pas épuisé les voies de recours internes disponibles en ce qui concerne ses griefs relatifs à la violation des articles 16, 22, 24, 37 et 39 de la Convention. Le Comité observe que l’auteure n’a pas soulevé de questions relatives aux violations alléguées de l’article 22 de la Convention, concernant la protection et l’assistance humanitaire des enfants demandeurs d’asile, ni explicitement ni en substance, pendant les procédures internes. Dès lors, le Comité conclut que les griefs relatifs à l’article 22 de la Convention concernant notamment la protection des enfants de l’auteure en tant qu’enfants demandeurs d’asile sont irrecevables en application de l’article 7 e) du Protocole facultatif.

8.3Par contre, le Comité considère que les griefs relatifs à des violations des articles 16, 24, 37 et 39 de la Convention ont été soulevés en substance par l’auteure pendant la procédure de demande d’asile et estime que l’article 7 e) du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à leur recevabilité.

8.4Le Comité note les arguments de l’État partie, qui soutient que les dispositions des articles 3, 16, 22, 24, 37 et 39 de la Convention ne fondent pas de droits subjectifs dont la violation peut être invoquée devant le Comité. À cet égard, le Comité rappelle que la Convention reconnaît l’interdépendance et l’égale importance de tous les droits (civils, politiques, économiques, sociaux et culturels) qui permettent à tous les enfants de développer leurs aptitudes mentales et physiques, leur personnalité et leur talent dans toute la mesure possible. Le Comité rappelle également que tous les droits reconnus aux enfants en vertu de la Convention doivent être considérés comme justiciables et que les États parties ont une obligation positive de garantir des voies de recours effectives et accessibles en cas de violation de ces droits. Le Comité rappelle que l’intérêt supérieur de l’enfant, consacré à l’article 3 de la Convention, représente un concept triple qui est à la fois un droit de fond, un principe interprétatif et une règle de procédure. Le Comité note qu’aux termes de l’article 5 (par. 1 a)) du Protocole facultatif, des communications individuelles peuvent être présentées contre un État partie à la Convention par des particuliers ou des groupes de particuliers ou au nom de particuliers ou de groupes de particuliers qui affirment être victimes d’une violation par cet État partie de l’un quelconque des droits énoncés dans la Convention et ses Protocoles facultatifs. De ce fait, le Comité estime que rien dans l’article 5 (par. 1 a)) du Protocole facultatif ne permet de conclure à une approche limitée aux droits dont la violation peut être invoquée dans la procédure d’examen de communications individuelles. Le Comité rappelle également qu’il a eu l’occasion de se prononcer sur des violations prétendues des articles invoqués dans le cadre du mécanisme de communications individuelles.

8.5Le Comité prend aussi note de l’argument de l’État partie qui fait valoir que la communication est irrecevable eu égard à l’article 7 f) du Protocole facultatif puisqu’elle est manifestement mal fondée ou insuffisamment motivée. Le Comité estime à cet égard que l’auteure ne produit pas d’éléments suffisants pour étayer les griefs relatifs aux articles 24 et 39 de la Convention et considère que ces griefs sont en tout cas compris dans le grief fondé sur l’article 37 a) de la Convention. Le Comité prend également note des allégations de l’auteure selon lesquelles les droits que ses enfants tiennent de l’article 16 de la Convention seraient violés en cas de renvoi en Autriche puisqu’elle court le risque de subir une décompensation avec risque suicidaire ce qui pourrait entraîner un placement de ses enfants en famille d’accueil. Cependant, le Comité note les allégations de l’État partie selon lesquelles l’auteure n’a pas suffisamment étayé ses griefs puisque la possibilité présentée par l’auteure d’une séparation de ses enfants et leur placement dans une structure ou famille d’accueil semble être seulement hypothétique et que les médecins traitants pourraient aider la famille à se préparer au retour pour éviter cette éventualité. Par conséquent, il déclare les griefs basés sur les articles 16, 24 et 39 insuffisamment motivés et irrecevables au titre de l’article 7 f) du Protocole facultatif.

8.6Cependant, le Comité considère que l’auteure a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’elle tire des articles 3 et 37 a) de la Convention selon lesquels : a) l’État partie n’a pas pris en compte l’intérêt supérieur des enfants de l’auteure dans le cadre de la procédure d’examen de la demande d’asile ; et b) l’exécution du renvoi de l’auteure et de ses enfants en Autriche constituerait un traitement inhumain ou dégradant pour les enfants dont la santé mentale est très fragile et qui suivent des traitements médicaux (psychiatriques-psychothérapeutiques) en Suisse. Il déclare donc cette partie de la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément à l’article 10 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité note les allégations de l’auteure selon lesquelles leur renvoi vers l’Autriche porterait atteinte aux droits que ses enfants tirent de l’article 37 a) de la Convention et constituerait pour eux un nouveau traumatisme alors qu’ils ont déjà été traumatisés par les violences domestiques que l’auteure a subies de la part de leur père en Autriche et par leur parcours en tant que demandeurs d’asile en Autriche et en Suisse, et risquent une dégradation de leur santé mentale. Le Comité observe que la famille de l’auteure avait déjà fait l’objet d’une mesure de renvoi vers l’Autriche en 2014 à la suite d’une première décision de non‑entrée en matière des autorités suisses. Il observe également que l’auteure a quitté l’Autriche en 2018, après le retour de son ex-mari en Tchétchénie. Il note également les allégations de l’auteure selon lesquelles l’État partie n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur de ses enfants au moment de l’examen de leur demande d’asile déposée le 31 octobre 2018 dans le cadre du Règlement Dublin III, en violation de l’article 3 de la Convention. Le Comité observe en particulier les allégations de l’auteure selon lesquelles les autorités suisses, dans leur décision de renvoi en Autriche, n’ont pas tenu compte : a) de la nécessité des enfants de se développer dans un environnement stable, comme préconisé par leurs médecins traitants, avec continuité de leur traitement psychiatrique-psychothérapeutique (voir par. 2.9 ci-dessus) ; b) du risque que les conditions de santé mentale de ses enfants et d’elle-même soient aggravées par leur renvoi, y compris le risque suicidaire ; c) des conséquences du déracinement des enfants d’un environnement où ils ont commencé à s’enraciner ; et d) des incertitudes auxquelles ils seraient confrontés s’ils étaient renvoyés en Autriche, y compris en ce qui concerne l’accès : i) aux traitements médicaux requis ; et ii) aux nouvelles procédures d’asile pour éviter un éventuel « refoulement en chaîne » vers la Tchétchénie où l’auteure affirme qu’elle ne pourra pas obtenir de protection de la part des autorités contre les violences potentiellement mortelles de son ex-mari, de la famille de celui-ci ou même de sa propre famille.

9.3Cependant, le Comité note aussi l’argument de l’État partie selon lequel, dans sa décision du 17 septembre 2019, le Tribunal administratif fédéral a constaté que a) l’Autriche, de par ses obligations découlant des conventions internationales, pourrait examiner des nouvelles allégations de l’auteure dans le cadre d’une éventuelle demande d’asile et pourrait également offrir la protection adéquate à la famille en cas de menaces de la part de l’ex-mari de l’auteure, tout en relevant que celui-ci ne se trouvait plus en Autriche ; et que b) les autorités autrichiennes seraient en mesure de continuer à fournir l’accès à des soins médicaux requis par la famille.

9.4Le Comité rappelle, d’une part, que les États sont tenus de ne pas renvoyer un enfant dans un pays s’il y a des motifs sérieux de croire que cet enfant sera exposé à un risque réel de dommage irréparable, comme ceux, non exclusivement, envisagés dans les articles 6 (par. 1) et 37 de la Convention, et, d’autre part, que les obligations en matière de non‑refoulement s’appliquent, que les violations graves des droits énoncés dans la Convention soient imputables à des acteurs non étatiques ou qu’elles soient délibérées ou la conséquence indirecte d’une action ou d’une inaction. Le risque de violation grave devrait être apprécié eu égard à l’âge et au sexe de l’intéressé. Il devrait être évalué conformément au principe de précaution et, lorsqu’il existe des doutes raisonnables quant au fait que l’État de destination puisse protéger l’enfant contre ce risque, les États parties devraient s’abstenir d’expulser l’enfant.

9.5Le Comité rappelle que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale dans les décisions concernant l’expulsion d’un enfant et que ces décisions devraient donner l’assurance − selon une procédure prévoyant des garanties appropriées − que l’enfant sera en sécurité, sera correctement pris en charge et jouira de ses droits.Ilrappelle aussi que la charge de la preuve ne saurait incomber exclusivement à l’auteur d’une communication, d’autant que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que, souvent, seul l’État partie dispose des informations pertinentes.

9.6Le Comité rappelle également qu’il appartient aux autorités nationales d’examiner les faits et les éléments de preuve, ainsi que d’interpréter et d’appliquer la loi nationale, à moins que l’appréciation faite par ces autorités ait été manifestement arbitraire ou ait constitué un déni de justice. Il n’appartient donc pas au Comité de se substituer aux autorités nationales dans l’interprétation de la loi nationale et l’appréciation des faits et des preuves, mais de vérifier l’absence de caractère arbitraire ou de déni de justice dans l’appréciation des autorités, et de s’assurer que l’intérêt supérieur de l’enfant a été une considération primordiale dans cette appréciation. À ce propos, le Comité considère que le Règlement Dublin III doit être appliqué et interprété à la lumière de la Convention. Dans le cas présent, le Comité note les arguments de l’État partie selon lesquels, dans leur décision de renvoi, les autorités ont tenu compte du fait que l’auteure et ses enfants ont passé en Autriche une période de temps bien plus longue (du 13 juin 2014 jusqu’à la fin du mois d’octobre 2018) que la période qu’ils avaient vécu en Suisse (environ douze mois au moment où les autorités suisses ont pris la décision de non-entrée en matière), et qu’ils ont pu y jouir d’un environnement favorable au bon développement des enfants qu’ils pourraient retrouver à nouveau à leur retour. Le Comité observe également que l’auteure n’a fourni aucune preuve ni justification pour réfuter l’argument de l’État partie selon lequel les autorités autrichiennes seraient en mesure d’examiner une nouvelle demande d’asile de l’auteure basée sur ses allégations de violence domestique pour éviter leur éventuel renvoi en Tchétchénie.

9.7Le Comité note également l’argument de l’État partie selon lequel le Tribunal administratif fédéral, dans sa décision du 17 septembre 2019, a bien tenu compte de tous les rapports médicaux présentés par l’auteure et a conclu que les traitements médicaux que suivent les membres de la famille ne devraient pas être interrompus puisque l’Autriche disposait de structures de soins et d’accompagnement semblables à celles de la Suisse, ce qui permettra le suivi médical et social nécessaire. À ce propos, le Comité note l’affirmation de l’auteure selon laquelle, devant les autorités suisses, elle n’a pas remis en question le fait que des infrastructures médicales adéquates existent en Autriche, mais le fait que le renvoi même était contre-indiqué par les médecins et qu’il constituerait pour ses enfants un traitement inhumain ou dégradant vu leur fragilité mentale et les traumas qu’ils ont vécus en tant que témoins de violences domestiques et leur parcours de demandeurs d’asile en Autriche et en Suisse. Néanmoins, le Comité observe l’argument de l’État partie selon lequel les autorités ont considéré que, même si le renvoi causerait des angoisses et du stress additionnel à l’auteure et à ses enfants, il ne serait pas de nature à constituer des traitements inhumains ou dégradants, en particulier du fait que l’auteure et ses enfants seront renvoyés dans un pays qu’ils connaissent et qui dispose d’une infrastructure médicale capable de leur fournir les soins nécessaires. Dans ce sens, le Comité observe que la famille avait déjà passé plus de quatre ans en Autriche sans rapporter d’incidents de santé des enfants liés à son séjour. Le Comité note également les allégations de l’État partie selon lesquelles les autorités n’avaient pas considéré que les enfants seraient à nouveau traumatisés puisque leur père n’était plus présent en Autriche au moment de leur décision de renvoi et que les autorités autrichiennes seront informées au préalable des craintes des enfants. Dans l’éventualité où le père des enfants serait retourné en Autriche, le Comité observe que, lors de l’évaluation de leur demande d’asile, les autorités de l’État partie ont estimé que les autorités autrichiennes seraient en mesure de protéger la famille de possibles menaces de sa part. Le Comité observe que le Tribunal administratif fédéral a également considéré que les thérapeutes des enfants en Suisse pourraient les préparer pour un retour en Autriche dans les meilleures conditions. En outre, le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel, dans sa décision du 4 juin 2019, le Secrétariat aux migrations a relevé que l’enfant S. T. souffrait déjà d’épilepsie lors de sa première demande d’asile en 2013 ce qui n’a pas empêché son renvoi en Autriche où il aurait bénéficié d’un traitement pour sa maladie.

9.8Le Comité note que le Secrétariat d’État aux migrations,dans sa décision du 4juin 2019, a tenu compte du risque suicidaire dans la famille et a déterminé que, dans les circonstances particulières du cas, le risque n’était pas de nature à modifier la décision de renvoi. Le Comité note aussi que la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que le fait qu’une personne faisant l’objet d’une mesure de renvoi présente un risque suicidaire n’oblige pas l’État partie à s’abstenir d’exécuter la mesure envisagée s’il prend des mesures concrètes pour éviter qu’elle passe à l’acte.À cet égard, le Comité note l’affirmation de l’État partie selon laquelle : a) l’état psychologique de l’auteure et de ses enfants serait pris en compte lors de l’évaluation de leur capacité à être transférés ; b) comme prévu par la législation, les autorités suisses transmettront aux autorités autrichiennes les informations nécessaires concernant les suivis médicaux afin d’en assurer la continuité en Autriche ; et c)les médecins traitants pourront aider l’auteure et ses enfants à se préparer à leur transfert et à surmonter les éventuelles angoisses et le stress qu’ils pourraient avoir.Le Comité observe que la procédure de l’État partieconcernant l’exécution de renvois semble tenir compte de l’état de santé des personnes faisant l’objet de mesures de renvoi et que les renvois sont censés être exécutés en prenant les mesures nécessaires pour préserver la santé de ces personnes. Dans ce sens, le Comité note que les rapports médicaux élaborés dans le cadre du renvoi en Autriche prévu en novembre de 2019 (voir par. 4.2 ci-dessus) préconisaient que les autorités devraient organiser un soutien psychiatrique immédiat à l’arrivée en Autriche pour prévenir d’éventuelsactes auto-agressifs et garantir la continuité des soins médicaux. Les rapports indiquent également que l’aptitude au transport sera évaluée postérieurement par la société chargée de l’accompagnement médical sur la base des informations disponibles et des clarifications éventuelles nécessaires.

9.9Le Comité rappelle, en outre, que le principe du non-refoulement ne confère pas un droit à rester dans un pays sur la seule base d’une possible différence entre l’État d’origine et l’État d’asile en matière de services de santé, ou pour poursuivre un traitement médical dans l’État d’asile, sauf si ce traitement est essentiel pour la vie et le bon développement de l’enfant et ne serait pas disponible et accessible dans l’État de renvoi. En l’espèce, le Comité observe que, sur la base des informations figurant dans le dossier, rien n’indique que le traitement médical qui semble essentiel pour le développement et la réadaptation des enfantsne serait pas disponible, accessible et adéquat en Autriche.

9.10Le Comité considère que, compte tenu des informations figurant dans le dossier, il ne peut pas conclure que l’évaluation des autorités suisses était manifestement arbitraire ou équivalente à un déni de justice, ou que l’intérêt supérieur des enfants de l’auteure n’était pas une considération primordiale dans cette évaluation.

9.11À la lumière de tout ce qui précède, le Comité conclut que le renvoi de l’auteure et de ses enfants en Autriche ne constituerait pas une violation de la part de l’État partie de ses droits au titre des articles3 ou 37 a) de la Convention.Le Comité est convaincu que l’État partie prendra les mesures adéquates pour faciliter la continuité du traitement médical de la famille pendant son transfert et, en coopération avec les autorités autrichiennes, à son arrivée dans le pays.

10.Le Comité, agissant en vertu de l’article 10 (par. 5) du Protocole facultatif établissant une procédure de présentation de communications, constate que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation des articles 3 et 37 a) de la Convention.