Nations Unies

CED/C/IRQ/VR/1 (Findings)

Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées

Distr. générale

19 avril 2023

Français

Original : anglais

Comité des disparitions forcées

Rapport du Comité des disparitions forcées sur la visite qu’il a effectuée en Iraq en application de l’article 33 de la Convention * , **

Informations sur la visite et constatations (art. 33, par. 1)

I.Déroulement de la visite et coopération de l’État partie

1.En novembre 2015, le Comité a adressé à l’Iraq une demande de visite dans le pays, conformément au mandat que lui confère l’article 33 de la Convention. Le 15 novembre 2021, l’État partie a officiellement confirmé qu’il accédait à cette demande, se montrant ainsi disposé à soumettre la situation, très préoccupante, relative aux disparitions à l’examen approfondi de la communauté internationale et à recevoir l’appui de celle-ci.

2.La délégation du Comité, composée de trois de ses membres, s’est rendue en Iraq du 12 au 25 novembre 2022. À l’issue de sa visite, elle a présenté des constatations préliminaires à l’État partie et a publié une déclaration préliminaire dans laquelle elle a appelé l’attention sur certaines des constatations qu’elle avait pu faire pendant son séjour dans le pays (voir annexe 1), sans préjudice du contenu du présent rapport.

3.Le Comité remercie l’État partie de sa coopération et de son aide, avant et pendant la visite, au niveau fédéral comme au niveau régional, notamment dans la Région du Kurdistan d’Iraq. Sans cette coopération et cette aide, il n’aurait pas pu effectuer la plupart des visites demandées et mener à bien les activités prévues. La délégation s’est rendue dans les provinces et villes d’Anbar, de Bagdad, d’Erbil, de Mossoul et de Sinjar. Elle a tenu 24 réunions avec des représentants de plus de 60 autorités, ainsi que des réunions avec quatre délégations de la Haute Commission des droits de l’homme dans les provinces visitées, et a participé à sept réunions avec 171 victimes et avec des organisations de la société civile des provinces d’Anbar, de Bagdad, de Kirkouk, de Diyala, d’Erbil, de Ninive et de Salaheddin. Elle a pu observer deux exhumations et a visité un centre provisoire d’identification par l’ADN, situé à Sinjar. Elle a également visité la Direction des services médico-légaux et quatre lieux de privation de liberté. Elle a tenu des réunions consultatives avec la présence de l’Organisation des Nations Unies en Iraq et des représentants des États membres, ainsi qu’avec des représentants d’organisations internationales participant à la lutte contre les disparitions (voir annexe 2 : liste des réunions).

4.Le Comité remercie tous les interlocuteurs de s’être montrés disposés à dialoguer et d’avoir fourni des informations et des documents particulièrement utiles. Il remercie également le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et la Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Iraq (MANUI) de leur aide avant et pendant la visite. Enfin, il tient à remercier tout particulièrement les familles et les proches de personnes disparues de leurs témoignages, avis et suggestions, et appelle l’attention sur le combat qu’ils mènent au quotidien.

5.Le Comité se félicite de la volonté de l’État de renforcer sa coopération et ses relations avec lui-même et avec le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, dans le cadre de leurs mandats respectifs. À cet égard, il rappelle que sa visite marque une nouvelle étape dans ses relations avec l’Iraq, qui est l’un des premiers pays à avoir ratifié la Convention. L’Iraq a toujours soumis dans les délais impartis les rapports attendus en application de l’article 29 de la Convention, et il a été le premier État partie à accepter de tenir un dialogue interactif intégralement en ligne avec un organe conventionnel, ce qui lui a permis d’interagir avec le Comité malgré les contraintes imposées par la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19). Le Comité remercie également l’État partie des renseignements communiqués le 13 mars 2023, mais regrette de les avoir reçus tardivement et le fait que les réponses fournies ne répondent que partiellement aux questions posées.

6.Conformément aux procédures prévues par la Convention, le Comité a déjà adressé à l’État partie des recommandations particulières tendant à prévenir les disparitions forcées et à mettre fin à celles-ci. Il s’agit notamment des recommandations adoptées à l’occasion de l’examen des rapports de l’État partie et des rapports de suivi mené en 2015, 2016, 2020 et 2022, ainsi que des recommandations formulées dans chacune des lettres d’enregistrement et de suivi adressées à l’État partie dans le cadre de la procédure d’action en urgence, en application de laquelle, au 29 mars 2023, le Comité avait enregistré 578 cas relatifs à l’Iraq. Si la communication avec l’État partie s’est intensifiée, il reste beaucoup à faire : la majorité des demandes d’action en urgence enregistrées restent sans réponse, et les renseignements reçus de l’État partie ne décrivent pas les mesures prises pour appliquer les recommandations du Comité. Ce dernier a déjà indiqué, dans ses cinq précédents rapports à l’Assemblée générale, que l’Iraq ne respectait pas les obligations que lui imposait l’article 30 de la Convention. Il rappelle que, la procédure d’action en urgence ayant pour objet de soutenir les autorités et les victimes dans le cadre des opérations de recherche et d’enquête, son succès dépend des mesures prises pour appliquer les recommandations formulées.

7.Le Comité souligne sa volonté de nouer avec l’État partie des relations constructives et fondées sur la confiance, afin de faciliter l’application de la Convention pour prévenir les disparitions forcées et y mettre fin, lutter contre l’impunité et veiller à ce que toutes les victimes aient accès à la vérité, à la justice et à une réparation intégrale, quelles que soient leur origine ethnique, religieuse ou nationale, et l’origine nationale des auteurs présumés, et quels que soient la date, le lieu et les circonstances de la disparition.

8.Toutes les constatations, conclusions et recommandations figurant dans les deux parties du présent rapport sont communiquées à l’État partie dans l’objectif susmentionné. Elles résultent d’une analyse approfondie des informations publiques et confidentielles, dûment vérifiées, reçues par le Comité.

II.Contexte, tendances observées et mesures prises par l’État partie

A.Caractéristiques passées et actuelles

9.Après des décennies de conflit et de violence politique, les disparitions, notamment les disparitions forcées, sont considérées comme un problème de grande ampleur en Iraq. Selon les chiffres mentionnés dans les publications et les documents officiels, on estime que 250 000 à un million de personnes ont disparu, ce qui confirme incontestablement l’ampleur du phénomène dans le pays. À ce jour, il est impossible de donner des chiffres plus précis. Néanmoins, les estimations actuelles et les informations disponibles permettent de dégager un large éventail de caractéristiques générales.

10.Le Comité note que différentes vagues de disparitions, notamment de disparitions forcées, et différentes caractéristiques se dégagent de la documentation qui lui a été fournie et des échanges qu’il a eus avec ses interlocuteurs : a) l’ère baassiste dans l’Iraq fédéral et la Région du Kurdistan (1968-2003) ; b) de l’invasion de 2003 et la période d’occupation qui s’en est suivie à la période pré-Daech ; c) la proclamation par l’État islamique d’Iraq et du Levant (ci-après « Daech ») d’un califat islamique sur une partie du territoire iraquien et les opérations militaires contre Daech (2014-2017) ; d) les manifestations antigouvernementales de la période 2018-2020 ; e) la situation actuelle.

11.Dans tous les contextes susmentionnés, les auteurs présumés sont des agents de sécurité de l’État, des membres de forces militaires étrangères et des acteurs armés communément qualifiés de milices qui ont différents degrés d’affiliation ou de proximité avec l’État et les agents de l’État ou qui, au contraire, agissent sans l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État. L’ensemble de la population iraquienne, quels que soient les groupes ethniques et religieux, a été touchée.

L’ère baassiste dans l’Iraq fédéral et la Région du Kurdistan (1968-2003)

12.L’« ère baassiste » (1968-2003) a été marquée par une violente répression interne et par des violations généralisées des droits de l’homme. Cette période est antérieure à l’entrée en vigueur de la Convention. En raison du caractère continu des disparitions forcées survenues pendant cette période, le Comité en tient compte, à la fois pour mieux comprendre la situation actuelle, et les obligations de l’État partie à cet égard, et pour déterminer les mesures à prendre afin de répondre de manière adaptée à la réalité du pays.

13.Saddam Hussein avait l’intention d’établir un État à parti unique sous la coupe du Parti Baas. Les partis d’opposition, en particulier le Parti communiste et le Parti islamique Dawa, considérés comme des ennemis internes, étaient réprimés, y compris au moyen de disparitions forcées. De plus, le régime s’est livré à des violences armées contre les Kurdes qui réclamaient l’autonomie. Selon les estimations, jusqu’à 290 000 personnes auraient été victimes de disparition forcée au cours de cette période, dont 100 000 Kurdes pendant la campagne génocidaire menée par Saddam Hussein dans le Kurdistan iraquien. La majorité de ces personnes ont été arrêtées pendant la campagne Anfal, entre février et septembre 1988. De nombreuses personnes déplacées de Halabja sont revenues des pays voisins mais ont été arrêtées par les forces de sécurité iraquiennes et placées dans des camps de détention ou des prisons, souvent au secret.

14.Pendant la guerre entre la République islamique d’Iran et l’Iraq, de 1980 à 1988, les civils des deux côtés de la frontière ont été touchés par les opérations militaires menées et des centaines d’entre eux ont disparu. Le Gouvernement iraquien a expulsé plus d’un demi‑million de Chiites d’Iraq en se fondant sur la présomption qu’ils étaient fidèles à la République islamique d’Iran. On estime qu’avant ces expulsions, 50 000 à 70 000 hommes et garçons ont été emprisonnés et ont disparu. Des milliers de familles iraquiennes gardent l’espoir que leurs proches soient toujours en vie, détenus dans des camps iraniens.

15.En 1990, l’invasion et l’occupation du Koweït par l’Iraq ont entraîné l’arrestation et la disparition de plus de 600Koweïtiens et ressortissants de pays tiers. Au lendemain de la guerre du Golfe, des membres de la population chiite du sud de l’Iraq ont organisé un soulèvement contre le Gouvernement iraquien. Les forces gouvernementales ont riposté en arrêtant et en faisant disparaître des milliers de Chiites, y compris des religieux et des étudiants.

De l’invasion de 2003 et la période d’occupation qui s’en est suivie à la période pré-Daech

16.De 2003 à la période pré-Daech, l’armée des États-Unis d’Amérique et ses alliés ont capturé au moins 200 000 Iraquiens, dont 96 000 ont été détenus à un moment ou à un autre dans des prisons administrées par les États-Unis ou le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. Selon les informations disponibles, certains d’entre eux ont été arrêtés sans mandat pour avoir participé à des opérations insurrectionnelles, d’autres étaient des civils qui se trouvaient « au mauvais endroit au mauvais moment ». En raison du nombre considérable de personnes arrêtées, les détentions n’ont pas été correctement enregistrées et comptabilisées. Des personnes ont été maintenues en détention pour une durée indéfinie sans avoir été inculpées et, dans de nombreux cas, la coalition n’a pas informé leur famille de leur arrestation : aucune information n’a été communiquée sur l’identité des personnes arrêtées, l’endroit où elles se trouvaient, le motif de leur arrestation ou leur éventuel transfert. Les personnes concernées ont disparu de force pendant des jours, des semaines, des mois voire des années, avant de pourvoir contacter leur famille.

17.Les politiques de débaassification appliquées au cours de la période considérée ont entraîné le licenciement d’un grand nombre d’agents de la fonction publique sunnites et la dissolution de l’armée iraquienne. Cette situation a favorisé le développement de groupes armés communément qualifiés de milices. Au cours de la pire période de violence, en 2006 et 2007, des dizaines de milliers de personnes ont été victimes de disparition. De 2006 à juin 2007, environ 20 000 corps ont été déposés à l’Institut médico-légal de Bagdad. La plupart d’entre eux n’ont pas pu être identifiés. Par crainte de représailles de la part des services de sécurité, peu de familles se sont rendues à la morgue pour réclamer les corps.

18.Après le retrait des forces américaines, les disparitions, notamment les disparitions forcées, se sont poursuivies, comme au cours de la répression menée par les forces de sécurité iraquiennes en octobre 2011 contre des membres présumés de l’ancien Parti Baas dans plusieurs provinces, dont celle de Tikrit. De nombreuses personnes détenues dans ce contexte ont été victimes de disparition.

19.Au cours d’une campagne militaire appelée « Thar el-Chouhada » ou « La revanche des martyrs », plus de 1 000 personnes ont été arrêtées arbitrairement et d’innombrables autres personnes ont été tuées en l’espace de deux semaines. La première phase de l’opération « La revanche des martyrs » s’est déroulée du 1er au 12 août 2013. Toutes les personnes arrêtées ou tuées ont été qualifiées de « terroristes ». Au 20 août 2013, 1 500 arrestations avaient eu lieu. Le Gouvernement de l’époque a annoncé l’arrestation de milliers de « terroristes », sans fournir aucune preuve de leur affiliation.

La proclamation par Daech d’un califat islamique sur une partie du territoire iraquien et les opérations militaires contre Daech (2014-2017)

20.Le 10 juin 2014, Daech a pris le contrôle de la ville de Mossoul. L’Iraq s’est alors engagé dans un conflit armé interne qui a duré jusqu’en 2017. Parmi les victimes recensées tout au long de cette période, figuraient des personnes affiliées ou considérées comme ayant été affiliées au Gouvernement iraquien, notamment d’anciens fonctionnaires et des agents des bureaux de vote ; des praticiens, notamment des médecins et des avocats ; des journalistes ; des chefs traditionnels et religieux ; des personnes appartenant à des religions minoritaires non islamiques, notamment des chrétiens et des yézidis ; des femmes candidates à des élections. D’autres personnes ont été enlevées ou tuées sous prétexte qu’elles avaient aidé les forces de sécurité gouvernementales ou leur avaient fourni des informations, ou au motif de leur orientation sexuelle supposée. La majorité de ces personnes n’ont pas été retrouvées. Certaines sont présumées mortes ; d’autres seraient encore détenues par Daech ou auraient quitté l’Iraq, victime de la traite.

21.Au cours de la période 2014-2017, Daech s’est également livré à des enlèvements et à des massacres de membres de l’armée et des forces de sécurité iraquiennes, comme le massacre du camp Speicher. Les minorités ethniques et religieuses ont également été la cible d’actes assimilables à des disparitions forcées. Le 3 août 2014, dans le district de Sinjar à majorité yazidi, Daech a enlevé et fait disparaître des milliers de femmes et de filles pour les marier de force ou les soumettre à l’esclavage sexuel, tandis que les hommes et les garçons étaient séparés du reste de la population, massacrés et enterrés dans des charniers. On estime qu’environ 6 800 yézidis ont été enlevés et qu’environ 3 100 ont été tués en l’espace de quelques jours. On estime également que 3 000 des personnes enlevées n’ont toujours pas été retrouvées. Des centaines de femmes chrétiennes assyriennes, shabaks et turkmènes chiites ont également été enlevées dans des zones contrôlées par Daech, et on ignore toujours le sort de beaucoup d’entre elles.

22.Selon les allégations reçues, le conflit avec Daech a également conduit au développement des milices majoritairement chiites en Iraq : après l’effondrement de l’armée iraquienne à Mossoul, le grand ayatollah Sistani a émis une fatwa par laquelle il demandait aux hommes de rejoindre le combat pour sauver leur pays. Il en est résulté la formation des Forces de mobilisation populaire, organisation-cadre de milices nouvelles et existantes qui ont combattu aux côtés des forces armées iraquiennes dans la guerre contre Daech. Les forces de mobilisation populaire ont été placées sous le contrôle du Cabinet du Premier Ministre en 2015 ; elles ont par la suite été légalement incorporées à l’armée iraquienne et ont bénéficié de salaires et de grades équivalents à ceux des soldats de celle-ci. Toutefois, dans la pratique, le contrôle du Gouvernement sur les factions des Forces de mobilisation populaire est limité, chacune d’entre elles ayant une structure de commandement autonome et leur propre idéologie et accordant sa loyauté à divers dirigeants politiques et religieux.

23.Quel que soit le degré d’affiliation, il ressort des informations dont on dispose que les unités des Forces de mobilisation populaire ont participé aux opérations militaires visant à reprendre les grandes villes à Daech et qu’elles géraient des points de contrôle et des centres de détention dans l’ensemble du pays. Elles ont arrêté et détenu des dizaines d’hommes et de garçons, pour la plupart sunnites, qui fuyaient les zones contrôlées par Daech. Dans la province d’Anbar, les forces progouvernementales ont fait disparaître au moins 1 000 hommes et garçons, pour la plupart Arabes sunnites, au cours d’opérations militaires qui se sont déroulées en 2015 et 2016. Ces personnes étaient passées par des centres de contrôle de sécurité mis en place dans les districts de Fallouja et de Ramadi pour intercepter les individus soupçonnés d’être affiliés à Daech. Le Comité a reçu des allégations selon lesquelles le Gouvernement de la Région du Kurdistan et ses forces de renseignement, les Asayish, étaient également impliqués dans des infractions, notamment la disparition forcée de personnes détenues parce qu’elles étaient soupçonnées d’être affiliées à Daech, principalement dans la province de Kirkouk.

24.Selon les informations communiquées au Comité, la recherche de personnes susceptibles d’être d’affiliées à Daech s’est intensifiée en 2017, en particulier dans la région de Mossoul. Des familles fuyant la ville auraient été arrêtées à des points de contrôle gérés par les Forces iraquiennes, les Forces de mobilisation populaire et les forces kurdes : les hommes et les garçons ont été séparés de leurs familles et leurs noms ont été comparés à ceux figurant sur les listes, établies par les autorités nationales, de personnes affiliées à Daech et recherchées. Toutefois, les listes de personnes recherchées comprenaient également les noms de personnes présumées avoir occupé des fonctions non militaires au sein de Daech (par exemple, des cuisiniers ou des chauffeurs), de personnes dont un proche était affilié à Daech et de personnes qui avaient été accusées par des membres de leur communauté d’appartenir à Daech. Sachant que certains noms sont très répandus en Iraq, il est possible que des personnes soient détenues simplement parce qu’elles portent le même nom qu’une personne figurant sur cette liste. Les hommes et les garçons jugés suspects lors des contrôles ont été conduits ailleurs, sans que leur famille en soit informée. Depuis lors, les familles concernées recherchent leurs parents ; beaucoup d’entre elles affirment que les agents de l’État nient les détenir ou refusent de fournir des informations sur le lieu où ils se trouvent.

25.Tout au long de la visite, la délégation a reçu un large éventail d’allégations concordantes de disparitions forcées perpétrées par des forces armées iraquiennes, notamment les Forces de mobilisation populaire, au cours des opérations menées pour reprendre à Daech le contrôle des provinces d’Anbar, de Diyala, de Kirkouk, de Ninive et de Salaheddin, ainsi que de certaines parties des provinces de Bagdad et de Babel. La plupart des membres des familles de personnes disparues ont déclaré que celles-ci pouvaient être détenues dans divers centres de détention inaccessibles aux familles et aux organisations nationales et internationales, notamment dans la région de Jourf el-Sakr, située dans la province de Babel.

Les manifestations de 2018 à 2020

26.La vague suivante de disparitions forcées présumées est survenue dans le contexte des manifestations des années 2018 à 2020, auxquelles des personnes de toutes origines ethniques ont participé : tout d’abord en juillet 2018 à Bassora, pour contester contre la pollution des eaux, les coupures d’électricité et la pénurie de services de base. À partir du 1er octobre 2019, des manifestations ont eu lieu à Bagdad et dans d’autres villes. Dans chaque cas, les agents de sécurité auraient fait un usage excessif de la force, utilisant notamment des balles réelles pour disperser des manifestants, ce qui aurait fait des morts et des blessés. Des cas d’enlèvement, de détention arbitraire et de disparition de manifestants ont eu lieu au cours des deux vagues de protestation. Des manifestants ont été arrêtés dans la rue ou à leur retour d’une manifestation, par les forces de sécurité ou par des groupes armés communément qualifiés de milices.

27.Il ressort des témoignages reçus par le Comité que, si certains détenus sont encore considérés comme des personnes disparues, la plupart d’entre eux ont eu la possibilité d’informer leur famille du lieu où ils se trouvaient, mais seulement plusieurs jours ou plusieurs semaines après leur arrestation. Entre-temps, ils n’ont souvent pas eu accès aux services d’un avocat, et lorsque leur famille a demandé aux autorités compétentes où ils se trouvaient, elle n’ont obtenu aucune réponse. De tels schémas font que la plupart des arrestations mentionnées constituent des cas de détention secrète et de disparition forcée, en violation des articles 1, 2 et 17 de la Convention.

La situation actuelle

28.Au lendemain des manifestations des années 2018 à 2020, la délégation a reçu un grand nombre d’allégations similaires concernant des disparitions forcées survenues à la suite d’une arrestation ou d’une détention illégale, ou d’une détention dans un lieu inconnu. Des témoins ont fait état d’une participation directe des autorités d’État du Gouvernement central ou des autorités du Gouvernement de la Région du Kurdistan, telles que les peshmergas, la police municipale et les Asayish. Certaines des victimes entendues ont dit que leurs proches avaient été enlevés alors qu’ils vaquaient à leurs occupations quotidiennes à leur domicile, ou sur le chemin du travail, de l’école ou d’un centre commercial. Certaines personnes ont été vues au moment où elles étaient enlevées par des groupes d’hommes portant des uniformes ou des insignes associés à la police locale ou aux forces de sécurité, ou par des miliciens en uniforme. Selon les informations fournies au Comité, il est courant que des individus armés tirent en l’air pour empêcher les gens de s’approcher, afin qu’ils ne puissent pas filmer la scène ou enregistrer les numéros de plaque d’immatriculation.

29.Au cours de sa visite, le Comité a reçu un témoignage qui illustre bien une situation courante : « Mon fils est allé rendre visite à son cousin. Je l’ai appelé peu après son départ car il avait oublié le pain que je voulais qu’il offre à mon neveu. Il m’a répondu qu’il se trouvait à un poste de contrôle, que des hommes en uniforme le contrôlaient, et qu’il m’appellerait immédiatement après. Il ne l’a jamais fait. Quand j’ai essayé de le rappeler, il n’a pas répondu. Il n’est jamais arrivé chez mon neveu. Depuis, je le cherche partout, dans toutes les prisons, auprès de toutes les autorités. Mais rien, rien, rien. ». Le Comité a reçu de nombreuses allégations similaires, qui mettent en lumière la violence multidimensionnelle de la situation à laquelle les victimes se heurtent.

30.D’autres situations courantes de disparition et de disparition forcée signalées au Comité dans différentes provinces correspondent à des actes commis par des acteurs non étatiques, parfois avec la collusion d’agents de l’État. La première de ces situations correspond à des disparitions forcées qui seraient survenues dans un contexte de traite des personnes, principalement à des fins de trafic de drogue, d’exploitation sexuelle et de travail forcé. Des acteurs tels que les Forces de mobilisation populaire et les tribus se livreraient à de tels actes, parfois avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement d’agents de l’État. Les femmes, les enfants et les migrants sont particulièrement touchés. Les victimes disparaissent entre les mains de membres de réseaux de trafiquants, sans aucune possibilité de contacter leur famille ou leurs proches. L’action extrêmement limitée des autorités compétentes ne permet pratiquement jamais de retrouver les personnes disparues et engage la responsabilité de l’État en application de l’article 2 ou de l’article 3 de la Convention.

31.Des victimes ont également évoqué la disparition forcée présumée d’enfants, en particulier d’enfants d’origine yazidie, nés à la suite de l’exploitation sexuelle de leur mère dans des camps de Daech. La délégation a été informée de cas où, après leur retour en Iraq, des mères avaient dû laisser leurs enfants dans des orphelinats, avec l’intention de les récupérer dès que possible. Cependant, lorsqu’elles sont retournées à l’orphelinat, ces mères ont appris que leurs enfants avaient été « donnés » à une autre famille ; selon les allégations reçues, des agents de l’État sont directement impliqués. Personne ne répond aux mères qui demandent où se trouvent leurs enfants. Cette situation s’explique notamment par le fait que, selon les informations disponibles, des centaines voire des milliers d’enfants nés sous le régime de Daech ou nés de père étranger n’ont pas été enregistrés à la naissance et n’ont pas de documents d’état civil. Bien qu’il existe un cadre législatif permettant aux enfants nés de violences sexuelles d’obtenir des documents d’identité, divers témoignages reçus par le Comité révèlent que, dans la pratique, il est particulièrement difficile d’obtenir ces documents, notamment parce que la procédure impose aux femmes d’exposer publiquement ce à quoi elles ont survécu − des expériences que leur famille, leur culture, leur tribu et leur religion considèrent comme profondément honteuses.

32.Parallèlement, des centaines de familles sont toujours à la recherche de leurs proches, soupçonnant qu’ils se trouvent dans des camps en Türkiye, en République arabe syrienne ou en République islamique d’Iran, où ils n’ont aucune possibilité d’entrer en contact avec le monde extérieur. Cette hypothèse s’appuie généralement sur les informations fournies par des personnes revenues au pays. Il s’agit notamment d’enfants: des garçons ayant disparu après avoir été poussés, par la contrainte ou par manipulation, à appuyer des groupes armés ou qui ont dû le faire pour assurer leur propre survie, et des filles ayant été enlevées à leur famille pour être mariées de force et soumises à l’exploitation sexuelle. Dans tous ces cas, il incombe à l’Iraq et aux pays voisins de rechercher les personnes disparues, d’enquêter sur leur disparition ou leur disparition forcée présumées et d’accorder une réparation aux victimes.

33.D’une manière générale, le Comité constate que l’Iraq a été exposé, dans son histoire récente, à la pratique de la disparition forcée et a pleinement conscience des nombreuses et graves difficultés auxquelles l’État partie doit faire face pour remédier à cette situation. Dans ce contexte et au vu des informations recueillies tout au long de la visite, le Comité se déclare à nouveau profondément préoccupé par la pratique généralisée de la disparition forcée sur une grande partie du territoire de l’État partie et au cours de différentes périodes, et par le fait que l’impunité et la revictimisation sont monnaie courante . Il engage l’État partie à aborder cette réalité, dans toutes ses dimensions et sous toutes ses formes, en respectant pleinement les droits des victimes.

34. La dimension, l’étendue et la diversité des difficultés rencontrées exigent que l’État partie, mais aussi les pays voisins et la communauté internationale dans son ensemble, interviennent d’urgence et de manière concertée. Le Comité réaffirme sa volonté inébranlable d’appuyer toute initiative visant à prévenir et faire cesser les disparitions, notamment les disparitions forcées, en I raq.

B.Mesures prises par l’État partie

35.Les effets des cinq vagues successives de disparitions, de disparitions forcées et d’autres graves violations des droits de l’homme, que le peuple iraquien a subies depuis 1968, se font sentir dans l’ensemble du pays. De nombreux acteurs se sont efforcés de promouvoir la vérité, la justice et le droit à réparation. Les autorités compétentes ont pris diverses mesures législatives et créé de nombreuses institutions pour faire face à la situation. Le Comité a pleinement conscience de l’ampleur des difficultés auxquelles se heurte l’État partie face à la situation générale des disparitions en Iraq et il en tient dûment compte tout au long du présent rapport. Il souligne que la visite de ses membres et le présent rapport ont pour principal objectif d’apporter un appui au pays, de manière constructive, en formulant des recommandations tendant à permettre à l’État partie et à la société iraquienne dans son ensemble de faire cesser les disparitions forcées et de les prévenir, pour le bénéfice de tous.

36.Dans cette perspective et sans prétendre être exhaustif, le Comité tient à mettre en avant quelques mesures positives prises par les autorités de l’État. Tout d’abord, il remercie une nouvelle fois l’État partie d’avoir accepté de soumettre la situation dans le pays à l’examen de la communauté internationale. C’est la clef du succès de toute initiative visant à faire cesser les disparitions forcées et à les prévenir, puisqu’il s’agit d’une condition préalable à toute action conjointe à cette fin.

37.Le Comité se félicite de la formation du comité interministériel dirigé par la Direction des droits de l’homme du Ministère de la justice, chargé de recueillir des informations sur les personnes disparues, en particulier celles dont la disparition a été signalée dans le cadre de sa procédure d’action en urgence, ainsi que de l’adoption de la loi sur les rescapées yézidies et de la création de la Direction des affaires relatives aux rescapées yézidies.

38.Comme il l’a indiqué dans ses observations finales et au cours de ses précédents échanges avec l’État partie, le Comité apprécie les efforts qu’a faits le Gouvernement pour répondre aux allégations de disparition forcée en créant deux commissions d’enquête (en 2016 et 2018) et attend avec intérêt d’avoir accès à leurs rapports d’enquêtes respectifs, qui n’ont toujours pas été rendus publics.

39.Le Comité se félicite des mesures que l’État partie a prises pour former les agents de l’État aux questions relatives aux disparitions forcées et aux questions connexes, notamment au moyen du Guide des droits de l’homme publié par le Ministère de la défense, qui contient des informations sur la prévention de la torture et des disparitions forcées.

40.Le Comité estime que le plan national des droits de l’homme (2021-2025) gagnerait à contenir des éléments supplémentaires portant sur la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, mais considère que l’adoption de ce plan est une avancée sur le plan de la gestion des priorités, notamment en ce qui concerne la lutte contre les disparitions forcées. Il salue le lancement du plan relatif aux droits de l’homme dans la Région du Kurdistan (2021-2025) et l’élaboration du projet de plan d’action relatif au droit de savoir la vérité (2022-2026).

41.Enfin, comme il l’a déjà mentionné dans ses observations finales, le Comité se félicite des mesures prises pour élaborer et examiner le projet de loi sur la protection des personnes contre les disparitions forcées, ainsi que les divers projets de loi relatifs à la question des disparitions forcées, dont le projet de loi sur l’entité ou l’organe national chargé(e) des personnes portées disparues et des personnes disparues et le projet de loi sur le droit de savoir la vérité.

42. Les mesures décrites ci-dessus sont en cours de mise en œuvre, et on ne peut pas encore en apprécier le résultat. Aussi, le Comité recommande à l’État partie de poursuivre son action concernant toutes ces mesures, afin de garantir leur pleine conformité avec la Convention et les autres normes du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire, ainsi que leur application effective. Le présent rapport comporte des recommandations relatives à certaines de ces mesures, et le Comité invite l’État partie et tous les acteurs concernés à en tenir compte.

43. La coopération entre les autorités publiques, les mécanismes internationaux relatifs aux droits de l’homme et les autres acteurs internationaux doit être maintenue et développée, dans un esprit de confiance, avec le souci de l’efficacité et dans le plein respect de la Convention et des autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme.

44. Le Comité recommande à l’État partie de faire appel aux organisations internationales et à la communauté internationale pour établir des mécanismes de coopération et de coordination des actions entreprises pour lutter contre les disparitions. Il est urgent de faire en sorte que ces actions soient menées de manière plus concertée afin d’éviter les chevauchements et de combler les lacunes existantes en matière de protection.

45. Compte tenu du caractère continu de la disparition forcée , le Comité recommande également à l’État partie de s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu de la Convention en ce qui concerne toutes les disparitions survenues dans le pays, y compris celles qui se sont produites entre 1968 et 2003 .

C.Cadres juridique et institutionnel actuels

46.Le manque de clarté concernant la portée et l’étendue de ce que recouvre la notion de disparition forcée, ainsi que la complexité du système, sont au cœur des difficultés rencontrées par l’État partie lorsqu’il essaie de s’attaquer à ce phénomène de manière efficace et efficiente. Il en résulte des incertitudes supplémentaires, qui alimentent la suspicion et la méfiance à l’égard des institutions de l’État.

47.Le cadre juridique national ne prévoit pas de procédures spécifiques de recherche des personnes disparues et d’enquête sur les disparitions forcées alléguées. De fait, les lois, les politiques et les pratiques concernant les personnes disparues catégorisent ces personnes de manière excessive, en fonction de caractéristiques de groupe ou des circonstances présumées de leur disparition, et manquent souvent de cohérence. De nombreuses entités gouvernementales, telles que la police, les tribunaux du statut personnel, le Ministère de la santé, la Fondation des martyrs et la Haute commission iraquienne des droits de l’homme s’occupent de la question, chacune d’entre elles ayant un mandat précis. L’accumulation de dispositions et d’institutions a débouché sur des cadres juridiques et institutionnels fragmentés, qui se chevauchent et qui prêtent à confusion.

III.Établir les fondements de l’action contre les disparitions forcées : une priorité pressante

48.Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que l’État partie doit, à titre de priorité absolue, prendre des mesures immédiates pour établir les fondements de l’action contre les disparitions forcées. Cela implique : a) de préciser la notion de disparition forcée, et ce, pour tous les acteurs concernés ; b) de revoir le cadre juridique national et d’ériger la disparition forcée en infraction autonome ; c) de préciser et de renforcer le cadre institutionnel et de garantir une coordination interinstitutions systématique et efficace ; d) de créer un registre national consolidé et fiable des disparitions. Ces mesures indispensables constituent des conditions préalables à la mise en place d’une stratégie efficace de prévention et d’éradication des disparitions forcées en Iraq.

A.Préciser la notion de disparition forcée

49.Tout au long de la visite, les échanges avec les autorités nationales ont mis en évidence un manque de clarté quant à la notion de disparition forcée. Il règne aussi un certain flou au sein du grand public, et un large éventail de termes − tels qu’enlevé, disparu, manquant et kidnappé − sont souvent utilisés de manière interchangeable.

50.Ainsi, le Comité relève que, tout au long de la visite, lorsqu’il leur a été demandé de fournir des chiffres précis sur les cas de disparition forcée, les autorités de l’État partie avec lesquelles il s’est entretenu ont fait référence à plusieurs reprises aux 555 demandes d’action en urgence enregistrées au titre de l’article 30 de la Convention. Or ces cas ne sauraient être considérés comme constituant l’ensemble des disparitions forcées alléguées en Iraq : le Comité rappelle que le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires a porté un total de 16 575 cas à l’attention de l’État partie entre 1980 et 2013. Le Comité tient également à souligner que des centaines d’allégations de disparition forcée ont été reçues dans différentes provinces au cours de la visite.

51.Le Comité souligne également que la plupart des interlocuteurs de la délégation ont utilisé le terme « porté disparu ». Si la notion de « porté disparu » recouvre effectivement les cas de disparition forcée, elle englobe des situations qui vont des disparitions causées par une catastrophe naturelle aux disparitions constitutives de crime contre l’humanité. Le terme « disparition » désigne exclusivement des actes commis par des personnes et comprend trois sous-catégories : a) les disparitions forcées, commises par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de personnes agissant avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État ; b) les actes définis à l’article 2 de la Convention commis par des acteurs non étatiques sans l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État ; c) les disparitions forcées en tant que crime contre l’humanité, y compris lorsqu’elles sont commises par des acteurs non étatiques.

« Personnes portées disparues », « disparition » et « disparition forcée » : précision des notions

52.Le Comité rappelle que l’article 2 de la Convention dispose que les États parties sont responsables des disparitions forcées commises par des agents de l’État, quelles que soient les circonstances dans lesquelles elles se produisent. Ce même article dispose que les États parties sont aussi responsables des disparitions forcées commises par des personnes ou des groupes de personnes, tels que des organisations criminelles, qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État. Une telle imputation est possible dans n’importe quel contexte, notamment en temps de paix ou en temps de conflit armé national ou international. Dans ce contexte, l’expression « autorisation » désigne le fait pour l’État, par l’intermédiaire de ses agents, de donner oralement ou par écrit la permission à des personnes ou à des groupes de personnes de commettre une disparition. L’expression « appui » désigne le fait pour l’État d’avoir fourni une certaine assistance aux personnes ou aux groupes de personnes qui ont commis une disparition forcée, notamment par le partage d’informations ou la fourniture de moyens tels que des infrastructures, des fonds, des armes ou des formations, ou de moyens logistiques. Aux fins d’une imputation dans ce contexte, il n’est pas nécessaire que l’appui ait été fourni dans le but exprès de commettre une disparition forcée. L’expression « acquiescement » désigne le fait que l’État savait, avait des raisons de savoir ou aurait dû savoir qu’une disparition forcée avait était commise ou qu’il y avait un risque réel et imminent qu’une disparition forcée soit commise par des personnes ou un groupe de personnes, mais : a) qu’il a accepté ou toléré cette situation, ou qu’il y a consenti, même de manière implicite ; b) qu’il s’est délibérément abstenu, en toute connaissance de cause, par action ou par omission, de prendre des mesures pour prévenir l’infraction et pour enquêter sur les auteurs des faits et les punir ; c) qu’il a agi de connivence avec les auteurs des faits, ou avec le mépris le plus complet pour la situation des victimes potentielles, en facilitant les actions des acteurs non étatiques qui ont commis les faits ; d) qu’il a créé les conditions qui ont permis la commission des faits. En particulier, il y a acquiescement au sens de l’article 2 lorsque des disparitions sont commises de manière récurrente selon un mode opératoire connu et que l’État n’a pas pris les mesures voulues pour empêcher de nouvelles disparitions, pour enquêter sur les faits et pour en traduire les auteurs en justice.

53.Il ne faut pas pour autant déduire de ce qui précède que les États parties sont exempts de toute responsabilité en lien avec les disparitions commises par des personnes ou des groupes de personnes agissant sans l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État. Même dans ces cas, les États parties engagent leur responsabilité s’ils n’enquêtent pas sur les disparitions et n’en traduisent pas les responsables en justice. Leur responsabilité est aussi engagée s’ils ne recherchent pas et ne retrouvent pas la personne disparue et, dans l’éventualité du décès de cette personne, s’ils n’en restituent pas la dépouille à sa famille et à ses proches dans la dignité ; d’une manière générale, les États parties engagent leur responsabilité s’ils ne satisfont pas à leurs obligations à l’égard des victimes, y compris les enfants. En outre, le Comité rappelle qu’en vertu du droit international, les États ont l’obligation stricte d’agir avec la diligence voulue lorsqu’ils ont connaissance d’une disparition ou qu’ils savent qu’il y a un risque réel et imminent qu’une disparition soit perpétrée par un acteur non étatique. Cette obligation est particulièrement stricte lorsque des femmes ou des filles sont impliquées, en raison du lien que la disparition peut avoir avec des actes de violence sexuelle ou des faits de fémicide ou de traite des femmes, entre autres.

54. L’État partie doit s’employer sans plus attendre à assurer une interprétation claire et une utilisation clairement définie des notions de «  porté disparu  » , de «  disparition  » et «  disparition forcée  » , afin de déterminer ce que recouvre chacune de ces catégories et de préciser les différentes formes de responsabilité qui incombe à l’État partie. Toutes les parties prenantes doivent tenir compte de la distinction entre ces notions afin de garantir l’utilisation du terme approprié et de permettre la détermination des responsabilités correspondantes de l’État partie et des autres acteurs, ainsi que l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies adaptées et efficaces visant à prévenir et à éradiquer les disparitions forcées.

B.Revoir le cadre juridique national et ériger la disparition forcée en infraction autonome

55.Actuellement, plusieurs dispositions de différentes lois portent sur la question des personnes disparues en Iraq. Ce cadre juridique complexe comprend plus de 30 textes législatifs allant de la Constitution à des lois et instructions − par exemple, le Code pénal (loi no 111 de 1969), tel que modifié en 2010, qui réprime l’appréhension illégale, l’enlèvement et la détention, le Code de procédure pénale (loi no 23 de 1971), la loi sur la protection des charniers (loi no 5 de 2005), modifiée en 2015 pour devenir la loi sur les affaires relatives aux charniers (loi no 13 de 2015), la loi sur la médecine légale (loi no 37 de 2013), la loi sur l’enregistrement des naissances et des décès (loi no 148 de 1971), la loi sur la Fondation des martyrs (loi no 3 de 2006), telle que modifiée en 2015, la loi sur le Ministère des martyrs et des affaires relatives à l’Anfal de la Région du Kurdistan de l’Iraq (loi no 8 de 2006), la loi sur les personnes disparues lors de la campagne de génocide menée contre les Kurdes iraquiens (loi no 3 de 1999 de la Région du Kurdistan d’Iraq), la loi sur les droits et privilèges des seuls survivants de la campagne de l’Anfal (loi no 14 de 2015) et la loi de 2021 sur les rescapées yézidies. Ces lois et d’autres sont le résultat de plus de soixante-dix ans d’évolution législative et créent un système très dispersé et fragmenté, dont les mandats et les procédures qu’il prévoit se chevauchent. Aucune de ces lois ou instructions n’énonce une définition de la disparition forcée.

56.Comme l’a souligné le Comité dans ses observations finales de 2015 et 2020 et dans son rapport de suivi de 2022, l’absence dans la législation nationale de définition explicite de la disparition forcée en tant qu’infraction autonome est très préoccupante. Ce silence normatif entretient la confusion entre les notions, empêchant ainsi une détermination claire du champ de l’infraction et de la responsabilité de l’État. Ce manque de clarté limite considérablement la possibilité d’élaborer des plans d’action efficaces pour lutter contre la disparition forcée. En effet, quels que soient les modalités et les objectifs des mesures élaborées, il est illusoire de penser que l’on peut lutter contre une infraction qui n’existe pas dans le cadre juridique national.

57.Le Comité est pleinement conscient qu’il a été tenté à diverses reprises d’introduire un projet de loi sur les disparitions forcées en Iraq. En 2017, le Comité des droits de l’homme du Parlement iraquien a présenté un projet de loi, qui a été soumis en première lecture au Parlement. En 2018, le Ministère de la justice a présenté un projet de loi distinct, qui a été examiné par le Conseil d’État et transmis au service juridique du Conseil des ministres pour observations supplémentaires. Parallèlement à cela, un projet de loi sur les « portés disparus » et un projet de réforme du Code pénal sont à l’examen.

58.Les échanges que la délégation a eus au cours de sa visite avec des acteurs de la société civile et des représentants d’institutions de l’État qui devraient être consultés sur les amendements apportés au projet de loi ont mis en évidence un manque de clarté quant à la version devant être examinée. Actuellement, la stratégie législative suivie semble encourager une approche fragmentée plutôt que promouvoir une analyse globale et intégrée des projets existants.

59. Pour mettre en place les fondements d’un système permettant de lutter efficacement contre les disparitions, y compris les disparitions forcées, l’État partie doit réviser et simplifier son cadre juridique relatif aux disparitions. À cette fin, il devrait éviter d’adopter des textes législatifs ad hoc portant sur des cas précis, et devrait créer un cadre juridique unique portant sur tous les cas de disparition et qui précise les différentes notions et les divers mandats et procédures.

60. À cet égard, l’État partie doit, sans plus attendre, déterminer la manière dont il souhaite procéder pour que sa législation nationale érige la disparition forcée en infraction autonome, en pleine conformité avec la Convention . Cette mesure constitue une obligation faite à l’État partie par la Convention et est une condition préalable qui doit être remplie pour assurer l’efficacité et l’efficience de toute stratégie et politique future relative à la disparition forcée.

61. Quelle que soit la stratégie retenue (une loi expresse sur les disparitions forcées, une loi sur les «  portés disparus  » , l’inscription d’une infraction autonome de disparition forcée dans le Code pénal ou une combinaison d’éléments de ce qui précède), l’État partie doit veiller à ce qu’il soit clairement et systématiquement distingué entre les notions de «  porté disparu  » , de disparition et de disparition forcée, conformément à la Convention (voir par. 51 ci-dessus).

62. L’État partie doit également veiller à ce que le principe de non-rétroactivité ne fasse pas obstacle à la poursuite des faits de disparition forcée. Le futur cadre juridique devrait comprendre un article qui affirme le caractère continu de la disparition forcée et qui dispose que l’infraction ne prend fin que lorsque le lieu où se trouve la victime a été déterminé.

C.Clarifier et renforcer le cadre institutionnel, et assurer une coordination systématique et efficace

63.Le cadre juridique national ne prévoit pas de procédures spécifiques de recherche des personnes disparues et d’enquête sur les disparitions forcées présumées. Jusqu’à sa suppression en 2015, c’est au Ministère des droits de l’homme qu’incombait la responsabilité première en matière de disparitions. Depuis, la Fondation des martyrs s’est vu confier la responsabilité principale des fosses communes, tandis que d’autres compétences ont été transférées au Ministère de la justice et à la Haute Commission des droits de l’homme. Dans la Région du Kurdistan, le Ministère des martyrs et des affaires relatives à l’Anfal est responsable des fosses communes et du soutien aux familles des victimes. En 2007, la loi sur les droits et privilèges des familles des martyrs et des victimes de l’Anfal a été adoptée, laquelle définit les avantages et les prestations auxquelles ont droit les membres survivants des familles.

64.Actuellement, plus de 17 institutions ou autorités publiques ont des responsabilités liées aux disparitions. Au nombre de celles-ci figurent la Direction des affaires relatives aux charniers de la Fondation des martyrs du Gouvernement iraquien ; le Ministère de la santé de l’Iraq fédéral, par l’intermédiaire de sa Direction des services médicaux-légaux à Bagdad et de ses services médicaux-légaux dans les provinces ; le Ministère des martyrs et des affaires relatives à l’Anfal du Gouvernement régional du Kurdistan ; la Commission d’enquête et de recherche des preuves ; la Haute commission iraquienne des droits de l’homme ; le Ministère de la justice, qui compte : i) une direction des droits de l’homme chargée de veiller à ce que l’Iraq s’acquitte des obligations qui lui incombent en vertu du droit international, notamment la Convention ; ii) une direction des services pénitentiaires, qui supervise les établissements pénitentiaires ; iii) une direction de la protection des mineurs, qui s’occupe de la gestion des avoirs et des biens des personnes disparues ; et iv) un département des personnes portées disparues, « qui traite les demandes relatives aux personnes portées disparues qui concernent des personnes se trouvant dans un établissement de détention et ou qui sont signalées comme portées disparues par l’intermédiaire de la Haute Commission des droits de l’homme » ; le Ministère de l’intérieur et son laboratoire d’analyse de l’ADN ; le Ministère de la défense ; le Ministère du travail et des affaires sociales, et la Direction des affaires relatives au rescapées yézidies, qui en relève ; les autorités provinciales ; le Conseil supérieur de la magistrature et ses éventuelles structures d’exercice de l’action pénale et structures judiciaires d’enquête et de poursuite.

65.Selon les circonstances d’une disparition forcée ou disparition alléguée donnée, les juridictions et autorités suivantes peuvent intervenir : les tribunaux du statut personnel, les tribunaux d’instruction et de jugement, la Cour pénale centrale d’Iraq et des représentants des services de sécurité nationale, qui relèvent directement du Premier Ministre.

66.Outre la confusion qui règne autour de la notion de disparition forcée et l’absence de structure et de stratégie institutionnelles ayant spécifiquement pour objet de traiter les cas de disparition forcée, les échanges avec les institutions de l’État tout au long de la visite ont mis en évidence un grave manque de coordination et d’échange entre les institutions. Bien que certaines institutions travaillent de concert, nombre d’entre elles exercent leurs fonctions concurremment, sans qu’aucun mécanisme de coordination ne soit en place. Cette situation découle d’une interprétation littérale des mandats des institutions, qui favorise le cloisonnement des activités et va à l’encontre d’une approche globale des procédures de recherche et d’enquête. Par exemple, le préambule de la loi sur les affaires relatives aux charniers fait référence à la soumission au pouvoir judiciaire des éléments de preuve pénale recueillis dans les charniers afin de faciliter la mise en cause des auteurs de crimes de génocide et d’inhumation illégale, ainsi que d’autres crimes commis contre les victimes. Cependant, les preuves recueillies dans les fosses communes ont rarement été utilisées dans le cadre d’enquêtes et de poursuites pénales visant les auteurs de tels actes. Un autre exemple concerne les institutions médico-légales : la Direction des services médicaux-légaux à Bagdad et les services médicaux-légaux dans les provinces sont chargés d’identifier les dépouilles mortelles, notamment aux moyens de tests d’ADN. Interrogés sur l’usage que font les autorités chargées des enquêtes de ces informations, des agents ont expliqué que leur travail consistait à identifier les dépouilles et à les rendre à leur famille, et qu’il ne leur appartenait pas d’appuyer l’usage ultérieur de ces informations.

67.Certains facteurs pratiques limitent également la coordination et la coopération entre institutions. Par exemple, les agents de diverses autorités publiques ont indiqué que leurs échanges avec d’autres institutions pâtissaient du manque d’infrastructures numériques : toutes les demandes d’information et les réponses à ces demandes sont transmises au moyen de lettres qui peuvent mettre des semaines à arriver à destination et qui se perdent parfois.

68.La multiplicité des institutions et le manque de coopération et de coordination entre elles rendent les choses très confuses pour les victimes et leur cause une grande lassitude. En moyenne, elles doivent s’adresser à un minimum de sept institutions, parfois beaucoup plus, pour entamer les procédures de base. Pour chacune de ces institutions, les victimes doivent fournir des informations dans un format différent, ainsi que des documents précis, de sorte que la procédure de déclaration devient un obstacle administratif. Ces exigences découragent souvent l’enregistrement de cas auprès des autorités compétentes, empêchant ainsi le déclenchement de l’enquête qui en découlerait ; un certain nombre de victimes ont témoigné de la souffrance supplémentaire causée par l’obligation de répéter leur histoire « encore et encore ». Comme l’a indiqué la mère de trois hommes disparus : « Chaque fois que j’explique la disparition de mes fils aux autorités, je me sens très mal. Je tremble, je pleure et je ne peux plus dormir. J’ai perdu tout espoir. Et maintenant, je suis très malade. Des papiers, encore des papiers, et rien d’autre ne se passe. Nous n’avons aucun soutien. ».

69.De multiples organisations, organismes, missions et mécanismes internationaux s’occupent également de questions liées aux disparitions, avec des mandats spécifiques: le Comité international de la Croix-Rouge, l’Équipe d’enquêteurs à l’appui des efforts engagés à l’échelle nationale pour amener Daech à répondre des actes qui peuvent être constitutifs de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide commis en Iraq, établie par la résolution2379 (2017) du Conseil de sécurité, la MANUI et le Bureau des droits de l’homme de la MANUI, l’Organisation internationale pour les migrations, le Fonds des NationsUnies pour l’enfance (UNICEF), l’Entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes (ONU-Femmes) et la Commission internationale pour les personnes disparues. Tous jouent un rôle clef dans l’appui aux institutions de l’État et aux victimes.

70.Le Comité constate toutefois que la confusion règne en ce qui concerne le rôle et les fonctions des acteurs internationaux s’agissant des disparitions, ainsi que des rapports qu’ils entretiennent. Le frère d’une personne disparue a déclaré : « Souvent, il semble que personne ne se parle et que les organisations internationales ne veulent pas travailler ensemble. Lorsque j’ai parlé de notre cas, ils ont semblé ne pas vouloir que je demande de l’aide à d’autres – ce cas leur appartenait. ». D’autres ont indiqué qu’ils étaient déconcertés par les informations contradictoires qu’ils recevaient d’organisations nationales et internationales, par exemple en ce qui concernait les dates de certaines exhumations prévues.

71.Globalement, le manque de coordination entre les institutions et de coopération entre les organes a un effet préjudiciable sur l’ensemble du système : certaines actions sont exécutées en double, certaines étapes critiques de la procédure ne font l’objet d’aucune action et la collecte de données et d’éléments de preuves relatives aux disparitions s’en trouve entravée. Le fait de ne pas suivre une approche multidisciplinaire et coordonnée pour traiter les cas a des conséquences dommageables sur les résultats des recherches et des enquêtes, ainsi que sur l’ensemble des connaissances relatives aux disparitions et sur l’action menée pour les combattre et les prévenir.

72.Le Comité prend note du projet en cours visant à créer une « entité nationale pour les portés disparus », qu’il serait préférable d’appeler « système national des personnes disparues ». Il se félicite également de l’établissement, en 2022, d’un plan directeur d’exécution de ce projet. Toutefois, le Comité regrette que ce projet soit encore dans sa phase préliminaire, et considère que de nombreux points du projet de loi devraient être revus pour assurer sa pleine conformité avec la Convention.

73.Le Comité considère que clarifier le cadre institutionnel de la prise en charge des cas de disparition en Iraq constitue une priorité À cette fin, l’État partie devrait concrétiser son projet de création d’un système national unique des personnes disparues. Ce système devrait être chargé de tous les cas de disparition, conformément aux compétences de l’État partie visées à l’article 9 de la Convention, indépendamment de l’appartenance ethnique, religieuse ou nationale des victimes, de l’origine nationale des auteurs présumés des faits ou du moment ou du lieu où se produisent les disparitions, ou des circonstances de celles-ci. L’État partie devrait établir des stratégies spécifiques qui soient adaptées aux circonstances des cas tout en s’inscrivant dans un cadre commun.

74. L’État partie devrait veiller à ce que toutes les institutions qui ont actuellement des responsabilités en ce qui concerne les cas de disparition et le futur «  Système national des personnes disparues  » disposent des ressources humaines et financières nécessaires pour mener leurs activités aux niveaux fédéral, régional et local. À cette fin, chaque institution concernée devrait établir un plan périodique détaillé afin de déterminer les ressources dont elle a besoin pour s’acquitter efficacement de ses tâches. Dans le même temps, les autorités fédérales, les régions et les provinces doivent allouer des budgets qui tiennent compte de la planification et des priorités des entités nationales et locales.

75. Dans le même ordre d’idées, l’État partie devrait donner la priorité à la formation et à l’embauche de personnel spécialisé, ainsi qu’à la mise en place de procédures de sélection et de contrôle des antécédents du personnel.

76. En outre, la recherche de personnes disparues et la conduite d’enquêtes pénales visant les responsables des disparitions doivent être conçues comme se renforçant mutuellement . Pour permettre cela, l’État partie doit de toute urgence mettre en place des mécanismes efficaces de coordination et de coopération entre les institutions et les organismes aux niveaux fédéral et local.

77. À cet égard, toutes les autorités impliquées dans les processus de recherche et d’enquête doivent collaborer à l’établissement immédiat d’une base de données nationale consolidée sur les personnes disparues, y compris les personnes qui ont été soumises à une disparition forcée (voir les paragraphes 82 à 89 ci-dessous). Elles doivent également mettre en place un mécanisme unifié de signalement des cas, en adoptant un format commun qui réponde à leurs besoins respectifs.

78. L’État partie doit veiller à ce que l’ensemble des agences, organismes, missions et mécanismes nationaux et internationaux qui s’occupent de questions liées aux disparitions échangent et se coordonnent. Il devrait établir une structure de coordination interinstitutions qui pose les fondements de la recherche, de la localisation et de l’identification des personnes disparues, de la prévention des disparitions et des enquêtes sur celles-ci, de la sanction des auteurs des faits et des réparations accordées aux victimes.

79.L’État partie doit aussi promouvoir les échanges et la coordination entre toutes les institutions nationales qui s’occupent de questions en lien avec les disparitions. À  cette fin, il devrait : a) établir des mécanismes et des canaux de communication intra et interinstitutions qui permettent d’échanger des informations de manière systématique, instantanée et souple, selon les besoins ; b) faire en sorte que les informations soient accessibles et gérées de manière efficace ; c) garantir la participation de toutes les institutions ayant compétence pour rechercher, localiser et identifier les personnes disparues, pour prévenir les disparitions et enquêter sur celle s ‑ ci, pour punir les auteurs des faits et pour accorder réparation aux victimes.

80. Dans le même temps, l’État partie devrait élaborer et appliquer des méthodes et des indicateurs afin d’évaluer périodiquement le fonctionnement dans les faits des mécanismes de coordination et les résultats des recherches de personnes et des enquêtes sur les disparitions, et de corriger toute insuffisance.

81. Le Comité recommande à l’État partie de faire appel aux organisations internationales et à la communauté internationale pour établir des mécanismes d’échange efficaces afin de promouvoir la coordination des actions entreprises pour lutter contre les disparitions. Cette coordination devrait être encouragée à titre d’urgence afin d’éviter les doubles emplois et les contradictions et de combler les lacunes en matière de protection.

D.Créer un registre national consolidé et fiable des disparitions

82.La complexité du cadre juridique et institutionnel actuel relatif aux disparitions a également des conséquences directes sur la capacité de l’État partie à mettre en place un système efficace et efficient d’enregistrement des cas de disparition.

83.Toutes les institutions qui ont été visitées ont des registres ou des bases de données. Toutefois, ceux-ci ne comportent pas toujours d’entrées distinctes relatives aux disparitions forcées ou aux infractions existantes qui pourraient être considérés comme apparentées à la disparition forcée. En outre, ces registres ne sont pas interconnectés: d’après ce que la délégation a pu constater lors de ses visites, chaque institution dispose de sa propre base de données et, parfois, les services d’une même institution ont chacun leur propre registre, avec des formats et des contenus différents. Les systèmes en place ne permettent pas l’accès à l’information entre les institutions, ni même entre les différents services d’une même institution.

84.La délégation a également été surprise de constater que les rapports officiels fournis par les institutions visitées ne contenaient pas de données sur les disparitions forcées, alors que ces mêmes institutions ont fourni, à titre officieux, des données précises sur l’enregistrement de tels cas. De telles incohérences compromettent la fiabilité des informations fournies.

85.La plupart des interlocuteurs de la délégation au cours de la visite ont souligné qu’il était urgent de créer une base de données nationale consolidée pour enregistrer tous les cas de disparition, y compris de disparition forcée. Plusieurs projets ont été lancés à cette fin, mais à ce jour aucun d’entre-eux n’a été mené à terme. Actuellement, il n’y a pas de données fiables disponibles sur le nombre de cas présumés de disparition forcée en Iraq.

86. Il doit être remédié d’urgence à l’absence de données fiables, car elle empêche de définir des stratégies efficaces pour promouvoir la recherche des personnes disparues et pour enquêter sur leur disparition. Le Comité renouvelle donc sa recommandation tendant à ce que l’État partie établisse un registre national consolidé de tous les cas de disparition survenus en Irak depuis 1968. À cette fin, les renseignements provenant de diverses sources doivent être compilés et organisés de manière systématique, de façon à pouvoir être incorporés dans ce registre. En outre, ce registre devrait être mise à jour systématiquement et rapidement, afin que les autorités puissent établir des statistiques fiables.

87. Le registre national devrait être accessible à toutes les personnes ayant un intérêt légitime, étant entendue que la protection des informations personnelles et des données sensibles doit être garantie. Afin de garantir que tous les phénomènes touchant des groupes déterminés de la population puissent être repérés et pris en compte en tant qu’éléments de fait dans les processus de recherche et d’enquête, le Comité réaffirme sa position selon laquelle le registre devrait comprendre à tout le moins les éléments suivants  :

a) Le nombre total de personnes disparues et l’identité de toutes ces personnes ;

b) Le sexe, l’identité de genre, l’orientation sexuelle, l’âge, la nationalité et, s’il y a lieu, l’appartenance ethnique ou religieuse de la personne disparue ;

c) L’état de la procédure de recherche et de l’enquête, notamment des informations détaillées, s’il y a lieu, sur les procédures d’exhumation et d’identification et les résultats de l’autopsie ;

d) Le lieu, la date et les circonstances de la disparition, y compris tous les éléments utiles pour déterminer s’il s’agit d’un cas de disparition forcée.

88. Une fois le registre national mis en place, les autorités chargées des recherches, des enquêtes et des poursuites, ainsi que celles chargées d’apporter une assistance aux victimes et de leur assurer une réparation, devraient utiliser l’ensemble des informations et de la documentation recueillies pour mener à bien les activités nécessaires à l’accomplissement de leurs obligations.

89. La gravité des disparitions ainsi que la diversité et l’ampleur de leurs effets sur les victimes et l’ensemble de la société iraquienne appellent l’adoption et l’application sans délai d’une politique nationale visant à les prévenir et les faire cesser. Le Comité engage instamment l’État partie à donner suite à l’ensemble des observations et recommandations formulées dans les deux parties de son rapport de visite , notamment en ce qui concerne la transversalisation du respect des normes relatives à l’obligation de diligence et de l’adoption d’une approche différenciée et fondée sur les droits de l’homme.