Nations Unies

CED/C/IRQ/VR/1 (Recommendations)

Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées

Distr. générale

19 avril 2023

Français

Original : anglais

Comité des disparitions forcées

Rapport du Comité des disparitions forcées sur la visite qu’il a effectuée en Iraq en application de l’article 33 de la Convention * , **

Observations et recommandations (art. 33 (par. 5))

1.Le Comité considère qu’il est de la plus haute priorité que l’État partie établisse les bases de la lutte contre les disparitions forcées. Les mesures décrites dans la première partie du rapport de visite constituent des conditions préalables à toute action efficace dans ce domaine. Pour permettre leur mise en application, l’État partie devrait établir une stratégie claire visant à agir de manière transversale dans les domaines prioritaires qui ont été définis pour prévenir et éliminer les disparitions forcées (voir section I ci-dessous) et pour répondre aux besoins des victimes (voir section II ci-dessous).

2.Cette stratégie, dans le cadre de laquelle il convient de définir et d’appliquer, en collaboration avec les parties prenantes nationales et internationales travaillant sur les disparitions forcées, un plan d’action assorti d’échéances précises, doit être élaborée en coordination avec la communauté internationale et avec son soutien (voir section III ci‑dessous).

I.Objectifs à inscrire au rang des priorités de la stratégie nationale visant à prévenir et éliminer les disparitions forcées

A.Établir les bases pour des recherches et des enquêtes efficaces

3.Le silence de la loi en ce qui concerne les disparitions forcées s’accompagne de l’absence de procédures portant expressément sur la recherche des personnes disparues et les enquêtes correspondantes. Les disparitions doivent être signalées et enregistrées, aux fins de la conduite d’enquêtes, au titre des dispositions en vigueur pour d’autres infractions. Or, aucune disposition ne précise comment et à qui signaler la disparition d’une personne. En outre, les règles régissant les recherches et les enquêtes dans de tels cas sont éparpillées dans plus de 30 textes législatifs distincts et restent très générales.

4.Aux termes du Code de procédure pénale, les enquêtes pénales sont dirigées par des juges d’instruction, et les procureurs peuvent agir en tant que magistrats instructeurs lorsqu’aucun juge d’instruction n’est disponible. Cependant, étant donné le rôle limité des procureurs en Iraq, les juges d’instruction sont les figures centrales des processus d’enquête criminelle. Ils dirigent également la collecte des preuves, estiment leur valeur et déterminent si l’affaire doit être renvoyée devant un tribunal pour y être jugée.

5.Dans la première phase de la procédure, le juge d’instruction doit s’assurer de la véracité du signalement, en convoquant les plaignants et jusqu’à deux témoins. Cette étape supplémentaire prend nécessairement du temps. Si le juge d’instruction estime que la véracité du signalement est établie, il peut lancer les recherches. Un avis de disparition est alors envoyé aux postes de police, aux autorités chargées du contrôle des frontières, aux bureaux d’état civil et à la Direction des services correctionnels du Ministère de la justice, le but étant de vérifier si la personne disparue a été arrêtée ou si elle est enregistrée auprès d’une autorité quelconque. En général, les recherches et les enquêtes ne vont pas au-delà de ces vérifications administratives, qui consistent à comparer les différentes listes de personnes disparues tenues par les autorités compétentes.

6.L’étape suivante consiste à déterminer si la personne disparue peut être déclarée décédée, ce qui permettra à la famille de solliciter des aides, de demander réparation et d’essayer de clarifier sa situation administrative et légale. À cette fin, les tribunaux du statut personnel enquêtent sur le « sort des personnes disparues ». Là encore, l’« enquête » se limite à un processus administratif, dans le cadre duquel le tribunal du statut personnel demande à la famille de la personne disparue de soumettre le dossier ouvert par le juge d’instruction pour que celui-ci rende un « rapport de véracité ».

7.Plusieurs interlocuteurs ont fait part de leurs préoccupations face à la tendance dominante à considérer que les recherches et les enquêtes sont des procédures administratives. Ils ont souligné que les visites in situ et l’utilisation de preuves scientifiques par les procureurs, les enquêteurs et les juges restaient limitées, faute de ressources. Le Comité regrette que, malgré plusieurs demandes, la délégation n’ait pas eu accès à des informations claires sur les autres types de mesures qui pourraient être prises à des fins de recherche et d’enquête, ou sur le nombre de poursuites engagées.

8.La responsabilité de l’État concernant l’ouverture d’office d’une enquête dans les cas où la victime n’est pas en mesure d’engager une procédure n’est pas clairement établie.

9.Conformément à la loi sur la Haute Commission des droits de l’homme, la Haute Commission peut recevoir des plaintes concernant des disparitions et mener ses propres enquêtes préliminaires. Ces enquêtes commencent par l’envoi aux autorités compétentes de lettres officielles leur demandant de vérifier les registres des personnes privées de liberté. Une fois l’action engagée, la Haute Commission peut saisir le ministère public pour qu’il prenne les mesures juridiques nécessaires, y compris le renvoi de la plainte devant les tribunaux. Si le Procureur général estime qu’une action en justice n’est pas nécessaire, aucun recours n’est possible. Malgré les demandes répétées qu’elle a formulées au cours de sa visite, la délégation n’a pas obtenu de données officielles sur la proportion d’affaires renvoyées devant les tribunaux ou sur l’issue de ces renvois.

10.Des mécanismes ad hoc ont été mis en place : en 2016, l’État partie a créé une commission d’établissement des faits chargée d’enquêter sur les personnes portées disparues à Al-Sejar et à Saqlaouïya entre le 26 mai et le 10 juin 2016. En mai 2018, il a mis en place la « Commission 46 ». Ces commissions sont chargées de dresser des listes de victimes, y compris de personnes disparues, mais elles n’ont pas de mandat d’enquête clair et solide. Pour que les auteurs présumés des faits puissent être poursuivis, il faut que les commissions d’enquête transmettent les dossiers au Conseil supérieur de la magistrature. Selon les chiffres fournis par l’État partie, 314 affaires ont été enregistrées par le Conseil supérieur de la magistrature entre 2020 et 2023 (122 en 2020, 117 en 2021 et 15 en 2022). Cependant, aucune information n’est disponible quant à la teneur et au statut de ces affaires, et la Commission 46 n’a toujours pas présenté de rapport public.

11. L ’ État partie doit établir d ’ urgence une stratégie globale de recherche et d ’ enquête qui garantisse que les affaires récentes comme les affaires plus anciennes font l ’ objet d ’ une enquête approfondie et indépendante, en application de la compétence de l ’ État partie telle que définie à l ’ article 9 de la Convention, indépendamment de l ’ origine ethnique, religieuse ou nationale de la personne disparue, de l ’ origine nationale de l ’ auteur présumé, ou de la date, du lieu et des circonstances de la disparition.

12. Dans le cadre de cette stratégie, il faudrait définir un plan d ’ action et un calendrier clairs, y compris pour la mise en place de structures juridiques et institutionnelles communes comprenant des unités spécialisées chargées d ’ examiner les circonstances particulières dans lesquelles les disparitions se sont produites.

13. À cet égard, l ’ État partie devrait établir, en s ’ inspirant des enseignements tirés au niveau national comme au niveau international et des bonnes pratiques nationales et internationales, des protocoles publics particuliers qui respectent pleinement les normes relatives aux droits de l ’ homme. En ce qui concerne les recherches et les enquêtes relatives à des actes commis par des agents d ’ autres États ou avec l ’ autorisation, l ’ appui ou l ’ acquiescement d ’ autres États, ces protocoles devraient comprendre la promotion de la coopération et de l ’ entraide entre les pays concernés aux fins de l ’ assistance aux victimes, de la recherche, de la localisation et de la libération des personnes disparues et, en cas de décès, de l ’ exhumation, de l ’ identification et de la restitution de leurs restes.

14.Le Comité rappelle que, dès qu ’ elles ont connaissance d ’ une disparition par quelque moyen que ce soit, ou qu ’ elles disposent d ’ indices donnant à penser qu ’ une personne a été soumise à une disparition forcée, les autorités chargées des recherches ont l ’ obligation de rechercher et de localiser cette personne ; les autorités compétentes doivent engager d ’ office, immédiatement et avec diligence les recherches, même si aucune plainte ni aucune demande n ’ a été officiellement déposée, et même en cas de doute quant à la réalité de la disparition en question. Le fait que les proches ou les plaignants n ’ aient pas donné d ’ informations ne saurait être invoqué pour justifier le fait que des activités de recherche visant à localiser la personne disparue n ’ ont pas été engagées immédiatement .

15.Les protocoles de recherche et d ’ enquête devraient inclure les principes énoncés dans les Principes directeurs concernant la recherche de personnes disparues établis par le Comité, et devraient clairement spécifier que les processus ne sauraient se limiter à un croisement administratif des bases de données et des registres. Ces protocoles doivent être contrôlés par les victimes et toutes les personnes ayant un intérêt légitime, et devraient être révisés périodiquement de manière que les enseignements tirés de l ’ expérience et les innovations soient pris en considération. Toute mise à jour ou révision des protocoles doit être motivée et transparente .

16.La stratégie de recherche et d ’ enquête doit encourager l ’ application de l ’ analyse de contexte et la prise en considération de toutes les informations disponibles, ce qui permet de comprendre de manière globale les disparitions et de recenser les méthodes efficaces, de définir les responsabilités tout au long de la chaîne de commandement et d ’ élaborer des stratégies efficaces pour l ’ engagement de poursuites à l ’ échelle du système. L ’ État partie devrait créer des unités d ’ analyse du contexte, nommer des procureurs et des juges d ’ instruction spécialisés, et mettre en place des mécanismes aux fins de la coordination systématique de leur travail avec toutes les autorités concernées.

17.L ’ État partie doit : a) faire en sorte que la stratégie de recherche et d ’ enquête soit régulièrement évaluée et que le principe de la diligence raisonnable soit respecté à toutes les étapes de la procédure ; b) veiller à ce que les professionnels concernés soient compétents et indépendants ; c) définir les mesures à prendre de manière intégrée, efficace et coordonnée ; et d)  veiller à ce que ces mesures s ’ accompagnent de la mise en place des moyens et procédures nécessaires pour retrouver les personnes disparues et enquêter sur leur disparition .

18. L ’ État partie devrait promouvoir l ’ utilisation de preuves scientifiques pour les recherches et les enquêtes en mettant en place une formation spécialisée, et il devrait veiller à ce que les autorités compétentes disposent de tout l ’ équipement nécessaire.

19. Dans tous les cas, l ’ État partie devrait veiller à ce que les autorités compétentes enquêtent systématiquement sur les chaînes de commandement possibles, les auteurs indirects et les autres formes de perpétration et de participation.

20. Le Comité rappelle que l ’ État partie doit donner la priorité aux efforts visant à retrouver les personnes disparues vivantes et à obtenir leur libération , veiller à ce que les recherches se poursuivent jusqu ’ à ce que les personnes disparues aient été localisées, et veiller à ce que toute enquête sur la disparition de personnes soit poursuivie jusqu ’ à ce que la lumière ait été faite sur les faits et que leurs auteurs aient été identifiés . L ’ État partie doit garantir que tous les agents participant aux recherches et aux enquêtes auront à répondre de leurs actes et doit prévenir tout manquement à leurs devoirs, enquêter sur de tels manquements et les sanctionner, conformément aux normes internationales .

21.L ’ État partie doit renforcer la Haute Commission des droits de l ’ homme de sorte qu ’ elle puisse s ’ acquitter efficacement de son mandat, y compris en nommant d ’ urgence son nouveau conseil, en pleine conformité avec les Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l ’ homme (Principes de Paris). Il doit également veiller à ce qu ’ il soit dûment donné suite aux plaintes pour disparition qui sont déposées auprès de la Commission, à ce que des enquêtes efficaces soient menées, à ce que les auteurs des faits soient poursuivis et à ce que les victimes obtiennent réparation.

22. Les autorités de l ’ État doivent prendre d ’ urgence des mesures pour que la commission d ’ établissement des faits établie en 2018 achève ses travaux et pour que les disparitions mises en évidence dans ses conclusions comme dans celles de la commission établie en 2016 fassent l ’ objet d ’ enquêtes et que les auteurs des faits soient poursuivis.

B.Éradiquer l’impunité

23.La disparition forcée n’étant toujours pas reconnue comme une infraction autonome dans la législation nationale, elle ne peut pas, en tant que telle, donner lieu à des poursuites en Iraq. En théorie, des poursuites peuvent être engagées en application du Code pénal et de la loi antiterroriste. Les crimes du régime du parti Baas qui ont conduit à des disparitions ont été jugés par une Cour pénale suprême d’Iraq ad hoc. Néanmoins, aucune information n’a été communiquée par l’État partie concernant les décisions rendues dans des affaires s’apparentant à des disparitions forcées, malgré les questions posées à ce sujet aux représentants du pouvoir judiciaire, et malgré les demandes d’information envoyées pendant et après la visite.

24.Malgré ce manque d’informations, il apparaît clairement que très peu d’enquêtes ont débouché sur un procès, y compris dans les affaires les plus récentes. En règle générale, l’impunité prévaut. Dans ce contexte, le Comité est particulièrement préoccupé par les allégations selon lesquelles des proches de personnes disparues, des juges, des enquêteurs et des militants demandant l’engagement de poursuites ont fait l’objet de menaces et d’actes d’intimidation ou d’agressions violentes, souvent de la part de personnes qui seraient liées à des éléments armés ou qui soutiendraient de tels éléments. Il juge également préoccupant que les membres de la Commission ne soient pas protégés contre les représailles et autres manœuvres d’intimidation et, à cet égard, ne jouissent pas de l’immunité dans l’exercice de leurs fonctions. D’anciens membres de la Commission qui avaient publiquement dénoncé des cas de disparition forcée ont récemment fait les frais de cette absence de protection, qui favorise l’inaction des institutions compétentes.

25.Le Comité note également qu’en application de l’article 130 du Code de procédure pénale, si l’auteur de l’infraction est inconnu, un juge d’instruction peut décider de classer l’affaire provisoirement. Cette disposition est particulièrement préoccupante dans un contexte où les victimes ne connaissent généralement pas l’identité de l’auteur de l’infraction, et où les membres de la famille de la personne disparue, ses proches et les organisations qui les soutiennent craignent de nommer les auteurs présumés, qui gardent souvent un contrôle ou de l’influence sur les territoires où ils vivent. Enfin, d’après les informations disponibles, la pratique consistant à indiquer que le nom de l’auteur présumé est « inconnu » est institutionnalisée : les victimes affirment que, lorsqu’elles présentent leur affaire à la Commission d’indemnisation et aux autorités d’enquête, il leur est demandé de ne pas indiquer le nom de l’auteur présumé, même si elles le connaissent.

26.La gestion actuelle des demandes de « contrôle de sécurité » contribue également à l’impunité. Ces contrôles restent nécessaires pour déposer une plainte, demander la recherche d’une personne disparue ou bénéficier des droits attachés à la reconnaissance comme martyr. Si la personne disparue figure sur l’une des listes de personnes recherchées, sa famille et ses proches perdent tous leurs droits et n’ont accès à aucune forme de vérité et de justice. Cette réalité a été soulignée lors des entretiens menés au cours de la visite. Elle ressort également de la plupart des réponses apportées par l’État partie aux demandes d’action en urgence du Comité, dans lesquelles les autorités déclarent que les personnes disparues étaient affiliées à des groupes terroristes, sans fournir d’autres renseignements ou éléments sur les procédures engagées, les accusations précises portées contre elles ou les mandats d’arrêt dont elles faisaient l’objet.

27.De telles pratiques alimentent le sentiment de discrimination et le désir de vengeance. Elles sont d’autant plus préoccupantes que, d’après les entretiens menés pendant la visite, la liste des personnes recherchées n’est pas unifiée et est appréciée différemment selon l’agent en charge du dossier. En outre, selon les allégations présentées à la délégation, les homonymes étant fréquents en Iraq, des personnes portant le même nom que des personnes accusées de terrorisme sont placées en détention, notamment dans les provinces de Salaheddin, d’Anbar, de Ninive, de Diyala et de Kirkouk. Selon les informations disponibles, aucune mesure de diligence raisonnable n’est appliquée pour vérifier l’identité de la personne détenue. Par conséquent, si la personne détenue disparaît, sa famille n’a pas accès à des mesures de soutien, à la justice ou à des moyens de réparation.

28.L’impunité a aussi été renforcée par l’adoption de lois d’amnistie générale. La législation de 2016, par exemple, a été largement comprise comme visant à désamorcer les tensions politiques entre sunnites et chiites en permettant la libération des sunnites arrêtés pour des raisons politiques. Elle contient une série d’exclusions, mais ne fait pas expressément référence aux disparitions forcées − à l’exception d’une référence aux crimes énumérés dans la loi no 10 de 2005 relative à la Cour pénale suprême d’Irak (qui ne s’applique qu’aux violations de l’ère baassiste).

29.Dans l’ensemble, la situation est celle d’un système régi par l’impunité, qui favorise la récurrence et la dissimulation des actes de disparition forcée. L’impunité est devenue une caractéristique structurelle qui contribue à la revictimisation et sape les effets de toute initiative visant à mettre un terme aux disparitions forcées. La lutte contre l’impunité dont jouissent les auteurs de disparitions en Iraq est une action prioritaire que l’on ne peut plus reporter.

30.Le Comité exhorte l ’ État partie à éliminer toutes les causes structurelles de l ’ impunité. À cette fin, l ’ État partie doit notamment : a) inscrire immédiatement la disparition forcée en tant qu ’ infraction autonome dans la législation nationale ; b) revoir tous les aspects de sa législation qui favorisent l ’ impunité, comme l ’ article 130 du Code de procédure pénale, les lois d ’ amnistie et la mise en place de cadres ad hoc ; c) mettre fin aux pratiques qui entravent l ’ accès à la justice et perpétuent les disparitions forcées, notamment en modifiant la législation qui conditionne l ’ exercice par les victimes de leurs droits aux résultats de contrôles de sécurité peu fiables.

31.L ’ État partie doit également mettre en place un système efficace obligeant toutes les institutions chargées de la recherche des personnes disparues et des enquêtes, des poursuites et des sanctions concernant les disparitions à rendre compte de l ’ efficacité et de l ’ efficience de leur action. À cet égard, le Comité rappelle que la Convention ne prévoi t aucune exception à l ’ obligation de rechercher toute personne disparue et d ’ enquêter sur sa disparition, indépendamment de son profil ou des soupçons de participation à des activités terroristes dont elle pouvait faire l ’ objet 14.

32. Il est également primordial que toutes les autorités reconnaissent les différentes formes de responsabilité de l ’ État partie dans les affaires de disparition et les prennent en compte lorsqu ’ elles revoient le cadre juridique et institutionnel et les pratiques.

33.L ’ État partie devrait mettre en place un programme complet de protection pour les fonctionnaires qui participent à des recherches et à des enquêtes. Il devrait tenir compte en particulier des risques inhérents aux lieux contrôlés par des groupes armés illégaux.

34. L ’ État partie devrait aussi immédiatement faire en sorte que les membres de la Haute Commission des droits de l ’ homme puissent exercer leurs fonctions en toute indépendance et soient protégés contre les manœuvres d ’ intimidation, le harcèlement, les ingérences indues et les représailles .

35. L ’ État partie devrait veiller à ce que le cadre juridique qu ’ il adoptera pour ériger la disparition forcée en infraction autonome prévoie des sanctions appropriées. Le Comité des disparitions forcées se joint au Comité contre la torture pour inviter l ’ État partie à réexaminer, à la lumière de ses obligations internationales, l ’ application des lois antiterroristes et des autres lois qui pourraient entraîner l ’ application de la peine de mort. L ’ État partie devrait aussi renforcer les garanties juridiques et les garanties d ’ une procédure régulière à tous les stades de la procédure et envisager de ratifier le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort .

36. En ce qui concerne les enquêtes, les poursuites et les réparations relatives aux disparitions forcées qui seraient le fait d ’ agents d ’ autres États ou de personnes ou groupes de personnes agissant avec l ’ autorisation, l ’ appui ou l ’ acquiescement d ’ autres États, l ’ État partie devrait promouvoir l ’ entraide avec les autorités respectives de ces États, conformément aux articles 14 et 15 de la Convention, y compris par l ’ adoption de traités d ’ entraide judiciaire pertinents.

C.Renforcer et élargir les capacités médico-légales du pays

37.En 2006, un mécanisme juridique a été créé en application de la loi sur la protection des charniers (loi no 5 de 2005) dans le but de localiser les personnes disparues sous le régime baassiste de Saddam Hussein, de procéder à des fouilles et d’identifier les restes humains exhumés des charniers. Cette même loi vise également à protéger les charniers contre les dégradations et contre les fouilles non réglementées ou non autorisées, et à faciliter l’engagement de poursuites. Le Ministère des droits de l’homme de l’époque a été chargé de diriger les efforts d’exhumation et d’indexation et de collecter des preuves pouvant être utilisées devant un tribunal.

38.En 2015, la loi sur les affaires relatives aux charniers a été adoptée, élargissant le mandat du Ministère à la recherche et à l’identification des personnes disparues depuis 2014 du fait de Daech. Le Ministère a été dissous peu après, et la Direction des affaires relatives aux charniers et de la protection des charniers a été placée sous la responsabilité de la Fondation des martyrs, qui est fédérale.

39.La loi sur les charniers dispose que, lorsqu’un charnier est découvert, une commission composée de représentants des autorités fédérales et provinciales (Commission 6) est chargée de mener l’enquête. La Direction des affaires relatives aux charniers et le Département de médecine légale dirigent le processus en coordination avec le Ministère de la défense, en procédant à des fouilles et en collectant et identifiant les restes et autres éléments de preuve trouvés.

40.En 2017, par sa résolution 2379, le Conseil de sécurité a créé l’Équipe d’enquêteurs des Nations Unies chargée de concourir à amener Daech/État islamique d’Iraq et du Levant à répondre de ses crimes. L’Équipe a pour mandat d’appuyer les efforts engagés à l’échelle nationale pour amener Daech à rendre des comptes, en recueillant, conservant et stockant des éléments de preuve en Iraq d’actes commis par Daech qui pourraient être constitutifs de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de crimes de génocide. Elle contribue aux enquêtes sur les charniers en coordination avec l’Institut des charniers et d’autres acteurs concernés, tels que la Commission internationale pour les personnes disparues. En juillet et août 2020, l’État partie a signé des accords de coopération avec la Commission internationale pour les personnes disparues afin de soutenir la collecte de données pertinentes pour la localisation et l’identification des personnes disparues, d’améliorer les capacités techniques nationales en matière d’archéologie et d’anthropologie médico-légales et de protection des lieux de crime, et de renforcer la coopération entre les proches des personnes disparues ainsi qu’entre les familles et les autorités.

41.Le Comité se félicite de ces projets et accords de coopération, qui sont essentiels pour permettre à l’État partie de traiter le grand nombre de charniers qui n’ont toujours pas été fouillés et d’identifier les restes qui ont été trouvés. À Sinjar, la délégation a assisté à deux exhumations et visité un centre provisoire d’identification par l’ADN géré conjointement par l’État partie, la Commission internationale pour les personnes disparues et l’Équipe d’enquêteurs des Nations Unies chargée de concourir à amener Daech/État islamique d’Iraq et du Levant à répondre de ses crimes. Le travail accompli et son importance pour la communauté dans son ensemble sont énormes.

42.Les interlocuteurs du Comité ont évoqué les difficultés auxquelles se heurtaient les efforts visant à ce que toutes les autorités concernées échangent dûment des informations et coordonnent leurs plans, y compris leurs plans d’exhumation. Les difficultés qu’ont les autorités responsables à répondre à toutes les demandes d’exhumation, à analyser les preuves et les informations recueillies et à empêcher leur utilisation abusive sont très préoccupantes. Les interlocuteurs de la délégation ont indiqué à plusieurs reprises qu’une fois les dépouilles localisées, les échantillons d’ADN prélevés ne permettaient généralement pas de les identifier, car il n’existait pas d’autres données permettant de faire des recoupements. Ces préoccupations grandissent à mesure que le nombre de charniers localisés s’accroît. Selon les informations fournies par l’État partie le 24 février 2023, 139 charniers liés à la guerre entre la République islamique d’Iran et l’Iraq ont été fouillés à ce jour, et 120 charniers ont actuellement le statut de charniers enregistrés, en attente d’exhumation. Un certain nombre d’interlocuteurs de la délégation ont affirmé qu’il existait de nombreux autres charniers qui n’avaient pas encore été localisés.

43.D’autres interlocuteurs ont souligné que les procureurs et les juges n’utilisaient guère les preuves scientifiques disponibles et ont dit craindre qu’une grande partie de ces informations ne se perde ou ne devienne inutilisable. Ils ont expliqué que cette attitude était la conséquence d’un manque de connaissances concernant le potentiel et la pertinence de ces preuves et les limites des outils disponibles. À cet égard, le Comité se félicite de la poursuite du développement du registre national des empreintes digitales, notamment au moyen de la diffusion de la carte d’identité nationale unifiée. Ce document biométrique remplace le document d’identification civile, le certificat de nationalité et la carte de logement, et est délivré par le Ministère de l’intérieur depuis novembre 2019. Néanmoins, outre qu’il reste très difficile d’obtenir des documents d’état civil, notamment pour les personnes déplacées à l’intérieur du pays et pour celles qui reviennent après avoir été déplacées, le registre permettant l’identification des personnes n’a pas une couverture et une interconnexion suffisantes pour pouvoir être utilisé de manière efficace pour la recherche et l’identification des personnes disparues.

44. Le Comité demande instamment à l ’ État partie de veiller à ce que l ’ accès aux procédures d ’ exhumation et aux services de médecine légale soit garanti pour toutes les victimes de disparitions présumées et de disparitions forcées, indépendamment de l ’ origine ethnique, religieuse ou nationale des personnes disparues, ou de la date, du lieu et des circonstances des disparitions.

45. L ’ État partie devrait créer un centre national d ’ identification médico-légale doté de bureaux régionaux et d ’ unités spécialisées dans les cas de disparition et de disparition forcée. Il doit veiller à ce que les autorités existantes et le centre national d ’ identification médico-légale disposent du budget, de la structure organisationnelle et de l ’ équipement nécessaires à l ’ accomplissement de leurs tâches et jouissent de l ’ indépendance voulue.

46. Les institutions concernées doivent disposer d ’ un personnel dûment formé et des équipements et ressources techniques dont elles ont besoin, y compris des registres numériques contenant des informations détaillées, actualisées et protégées, bénéficier d ’ une formation spécialisée sur l ’ utilisation de preuves scientifiquement fondées, et être dotées des infrastructures nécessaires. L ’ État partie devrait également mettre en place des mécanismes efficaces et indépendants visant à faire en sorte que ces institutions aient à répondre de leur action.

47. Ces institutions devraient appliquer un système multidisciplinaire d ’ identification médico-légale des personnes disparues ayant pour objectif d ’ analyser toutes les informations médico-légales disponibles, en donnant la priorité aux procédures techniques qui augmentent la probabilité d ’ identification.

48. Les institutions devraient également adopter d ’ urgence des protocoles pour les différentes disciplines médico-légales, notamment un protocole pour la notification de l ’ identification et la remise, dans la dignité, des restes des personnes disparues, et un protocole sur la transmission des preuves médico-légales et leur utilisation par les autorités judiciaires.

49. La priorité devrait être donnée à la systématisation des mécanismes de coordination intra et inter-agences entre les institutions nationales et internationales chargées des exhumations et de l ’ identification des corps et des restes.

50.Le Comité souligne combien il est urgent que l ’ État partie crée une banque de données médico-légales nationale, un registre national des personnes disparues non identifiées et non réclamées et un registre national des charniers et des fosses clandestines. Cette banque de données devrait être interopérable avec d ’ autres banques de profils génétiques d ’ autres pays.

51. L ’ État partie devrait mettre en place une campagne nationale de collecte et d ’ enregistrement de l ’ ADN. Dans ce cadre, la priorité devrait être donnée au prélèvement d ’ échantillons de référence sur des membres de la famille de toutes les personnes disparues, de manière à ce qu ’ ils puissent être comparés avec l ’ ADN des restes humains non identifiés.

52. L ’ État partie devrait également promouvoir la mise en place d ’ accords, de mécanismes et de pratiques avec les pays voisins afin d ’ accroître les possibilités de croisement de données génétiques, en garantissant le plein respect des principes de protection des données individuelles, conformément aux dispositions de l ’ article 19 de la Convention.

53. L ’ État partie devrait veiller à ce que le registre national d ’ identification des personnes contienne systématiquement les empreintes digitales et des photographies des personnes, ainsi que des données personnelles couvrant toute leur vie et pouvant permettre leur identification. Il devrait également mettre en place un système informatique interopérable auquel les autorités auraient accès, afin que la comparaison des empreintes digitales puisse être faite rapidement, dans le plein respect des normes internationales en matière de protection des données à caractère personnel, y compris l ’ article 19 de la Convention.

54. L ’ État partie devrait faire en sorte que toute personne décédée non identifiée soit inhumée dans une tombe individuelle et que des informations détaillées la concernant soient enregistrées dans une base de données opérationnelle.

55.Tout en assurant la protection des données sensibles, l ’ État partie devrait fournir périodiquement et publiquement des informations sur les activités qu ’ il mène et les difficultés qu ’ il rencontre, notamment en ce qui concerne le nombre de charniers localisés, fouillés et non encore fouillés. Il est essentiel qu ’ il fournisse des informations claires à cet égard, pour rendre ses efforts visibles, pour pouvoir recenser les besoins et y répondre, et pour promouvoir la confiance dans les institutions concernées.

D.Veiller à ce que l’administration des prisons et autres lieux de privation de liberté s’acquitte de sa responsabilité de prévenir et d’éradiquer les disparitions forcées

56.Le rôle de l’administration des prisons et des autres lieux de privation de liberté dans la prévention et l’éradication des disparitions forcées est clairement énoncé dans les articles 17 à 21 de la Convention, qui portent notamment sur l’interdiction de la détention secrète, l’obligation d’enregistrer dûment toutes les personnes privées de liberté et la possibilité pour toute personne privée de liberté de rester en contact avec le monde extérieur.

57.En Iraq, l’administration des prisons et des centres de détention relève de la responsabilité du Ministère de la justice, du Ministère de la défense et du Ministère de l’intérieur, ainsi que du Premier ministre (en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, les services de sécurité nationale et les services nationaux de renseignement). Selon les informations transmises au Comité, 34 lieux de privation de liberté, dont cinq accueillant des enfants, relèvent du Ministère de la justice. Aucune donnée précise n’a été obtenue quant au nombre exact de lieux de privation de liberté relevant des autres ministères. Les informations fournies au cours de la visite indiquent seulement qu’il y a des locaux de détention dans chaque unité militaire, poste de police ou autre service de sécurité.

58.Après avoir obtenu l’autorisation de l’État, la délégation s’est rendue dans quatre lieux de privation de liberté relevant de différents ministères afin de vérifier le contenu et le fonctionnement des registres, et de s’enquérir des mécanismes mis en place pour que les détenus puissent garder le contact avec le monde extérieur, y compris leur famille et leurs avocats. Ces lieux de détention étaient : a) le centre de détention antiterroriste d’Erbil (relevant de la Direction de la lutte contre le terrorisme) ; b) le centre de détention de Faisala, à Mossoul (relevant du Ministère de l’intérieur) ; c) le centre de détention de Mouthanna, à Bagdad (relevant du Ministère de la défense) ; d) le centre de détention antiterroriste de l’aéroport international de Bagdad (relevant du Ministère de l’intérieur). Le Comité note avec préoccupation que la structure et le fonctionnement actuels des lieux de privation de liberté ne permettent pas aux autorités compétentes de contribuer pleinement à l’éradication et à la prévention des disparitions forcées.

Fragmentation de l’administration des prisons

59.Lors de ses échanges avec les autorités de l’État, des victimes, des organisations de la société civile et des acteurs internationaux, la délégation a constaté que le fait que les prisons relèvent de différents ministères, y compris des autorités militaires, était source de confusion. Le Comité rappelle que l’administration des prisons doit être confiée à des civils et ne pas faire partie d’une structure militaire ou policière.

Urgence de l’établissement d’un registre national des personnes privées de liberté

60.Dans les quatre lieux de privation de liberté dans lesquels la délégation s’est rendue, il existe un registre manuscrit appuyé par une base de données numérique, dans lequel sont consignées les informations demandées au titre de l’article 17 de la Convention : nom, date de naissance, âge, noms complets du père et de la mère de la personne détenue (pour contourner les difficultés soulevées par le grand nombre d’homonymes en Iraq), photographie du détenu et documents judiciaires. Selon les autorités, toutes les personnes détenues ont été arrêtées en application d’un mandat d’arrêt ; après l’arrestation, un comité médical vérifie l’état de santé de la personne et enregistre les informations médicales pertinentes, qui sont consignées dans le dossier du détenu ; chaque fois que les autorités chargées de l’administration des prisons sont informées qu’une personne disparue pourrait être détenue, elles vérifient minutieusement leurs registres respectifs.

61.Ces registres ne sont pas interconnectés et il n’existe pas de registre national des personnes privées de liberté. En outre, les informations conservées par les agences de sécurité du gouvernement régional du Kurdistan ne sont pas reliées aux bases de données du gouvernement fédéral. Plusieurs recommandations ont déjà été adressées à l’État partie concernant l’urgence de créer un tel registre. Des projets ont été élaborés dans ce but, mais aucun registre n’a encore été mis en place. De plus, alors que le registre de détention tenu par la Cour pénale centrale devrait comprendre les noms de toutes les personnes qui ont été traduites devant une autorité judiciaire, il se passe parfois beaucoup de temps avant que ces informations soient traitées. Les détenus qui n’ont pas été traduits devant une autorité judiciaire ne figurent pas dans le registre. Chaque lieu de privation de liberté possède ses propres registres, et les registres des différents lieux ont des caractéristiques et des formats différents et ne sont pas reliés entre eux.

62.Les interlocuteurs de la délégation ont confirmé que l’absence de registre centralisé des personnes privées de liberté pose des problèmes majeurs pour les victimes comme pour les autorités chargées de rechercher les personnes disparues et d’enquêter sur leur disparition forcée présumée.

63.Les proches des personnes disparues dont ils pensent qu’elles ont été arrêtées ont souligné les difficultés auxquelles ils se heurtent lorsqu’ils essaient de se rendre dans le plus grand nombre possible de lieux de privation de liberté à la recherche de ces personnes. Ils doivent s’adresser à différentes autorités pour pouvoir consulter leur registre. Lorsqu’ils n’y trouvent pas le nom de leurs proches, ils ne peuvent pas obtenir d’autres renseignements dans le lieu où ils se trouvent. Aucune autorité ne procède à un recoupement systématique et exhaustif de tous les registres existants.

64.Les effets psychologiques et matériels de cette situation alimentent le désespoir et la souffrance des familles, d’autant plus qu’ils sont aggravés par la multiplicité des autorités à consulter, les doutes concernant la localisation de certains sites de détention officiels, et les allégations répandues selon lesquelles il pourrait y avoir des « lieux de détention secrets » sur le territoire national.

65.Faute de registre centralisé et interconnecté, les autorités chargées des recherches et des enquêtes doivent adresser des demandes d’information à chacun des ministères compétents, qui doivent ensuite les transmettre aux différents lieux de privation de liberté placés sous leur responsabilité. Des mécanismes tels que la centralisation des demandes par le Ministère de la justice ont été mis en place pour accélérer la procédure. Le processus reste toutefois chronophage pour toutes les autorités concernées. La réception et l’envoi des informations, qui se font par la poste, prennent beaucoup de temps : les réponses mettent souvent des semaines ou des mois à parvenir à l’institution requérante, ce qui a des conséquences importantes sur l’efficacité et l’efficience des recherches et des enquêtes.

66.Aucune information n’est disponible concernant les personnes privées de liberté dans des institutions privées comme des hôpitaux, des établissements psychiatriques, des centres de jour ou des établissements d’aide et de protection de remplacement accueillant des enfants et des adolescents ou des personnes handicapées.

67. L ’ État partie doit immédiatement mettre en place une équipe spéciale indépendante chargé e de contrôler systématiquement, pour tous les lieux de privation de liberté, quelle que soit l ’ institution à laquelle ils sont rattachés, si les noms de toutes les personnes détenues figurent sur les registres. L ’ équipe spéciale doit veiller à ce que toutes les personnes placées dans des lieux de détention soient enregistrées et à ce que leurs proches soient dûment informés de l ’ endroit où elles se trouvent.

68. L ’ État partie doit mettre fin à la fragmentation de l ’ administration des prisons, dont il doit garantir le caractère civil. Il doit également établir sans délai un registre central interconnecté de tous les lieux de privation de liberté présents sur le territoire national.

69.Ce registre doit inclure toutes les privations de liberté, sans exception, et contenir, au minimum, les informations requises par l ’ article 17 (par. 3) de la Convention. Il doit être rempli et tenu à jour avec précision et sans retard et faire l ’ objet de vérifications régulières. Les autorités chargées de rechercher les personnes disparues et d ’ enquêter sur leur disparition, ainsi que toutes les personnes ayant un intérêt légitime doivent y avoir accès sans délai. En cas d ’ irrégularités, l ’ État partie doit garantir que les fonctionnaires responsables seront sanctionnés de manière adéquate .

70. Simultanément, l ’ État partie doit mettre en place des moyens de contrôle de l ’ enregistrement des personnes qui sont privées de liberté dans des institutions privées comme des hôpitaux, des établissements psychiatriques, des centres de jour et des établissements d ’ aide et de protection de remplacement accueillant des enfants et des adolescents ou des personnes handicapées. Il convient de faire un recensement périodique dans ces institutions, afin d ’ assurer l ’ enregistrement des personnes qui y résident.

Contact avec le monde extérieur et accès immédiat à un avocat

71.La loi relative au redressement des détenus provisoires et condamnés, applicable dans l’Iraq fédéral, dispose que les familles ou les autres personnes désignées doivent être informées en cas de placement en détention ou de transfèrement. Les détenus interrogés au cours de la visite ont indiqué avoir pu informer leur famille de l’endroit où ils se trouvaient. La délégation a également visité des parties des locaux où les détenus peuvent passer des appels téléphoniques. Néanmoins, selon les témoignages, l’autorisation de passer des appels est souvent accordée avec du retard, en particulier pendant la phase d’enquête, et peut être refusée à certains détenus.

72.D’autres témoins ont indiqué qu’ils avaient été détenus, puis avaient été libérés après des années passées sans aucun contact avec le monde extérieur, y compris avec leurs avocats et leurs familles, qui n’avaient eu aucune information sur le lieu où ils se trouvaient. Ces témoignages concernent différents lieux, dont un très grand bâtiment divisé en deux parties, dans lequel se trouvent des milliers de personnes disparues de la province de Kirkouk : « La partie avant du bâtiment est la façade officielle. Aucun organisme gouvernemental ou non gouvernemental n’est autorisé à pénétrer dans cette prison, à l’exception de la Croix-Rouge, qui doit préalablement obtenir une autorisation. La partie arrière serait sous le contrôle des services de renseignement kurdes. La prison est entourée d’un dispositif militaire, ce qui la fait ressembler à un camp de sécurité. Elle comprend plusieurs salles, dont des salles souterraines, qui sont bondées de détenus ». Chaque détenu serait identifié par un numéro attribué par l’administration pénitentiaire, mais sa famille n’a accès à aucune information sur le lieu où il se trouve.

73.Le Comité souligne que de telles pratiques et, plus généralement, le refus du droit de recevoir des visites et du droit de communiquer, combiné à l’absence d’accès à un avocat, peuvent s’apparenter à une détention secrète et constituer une violation des articles 17 et 18 de la Convention.

74.Conformément à l ’ article 18 (par. 1) de la Convention, l ’ État partie doit veiller à ce que toute personne ayant un intérêt légitime puisse accéder rapidement , sur tout le territoire, au registre central qui doit être créé , ainsi qu ’ aux registres des institutions privées.

75. Le Comité rappelle que toute personne privée de liberté, y compris les personnes soupçonnées de terrorisme, doit avoir accès à un avocat dès le début de la privation de liberté. Elle doit pouvoir communiquer sans délai avec ses proches et recevoir la visite de ses proches, de son conseil ou de toute personne de son choix et un étranger doit pouvoir communiquer avec ses autorités consulaires .

76. L ’ État partie devrait autoriser systématiquement les visites de la Haute Commission des droits de l ’ homme, des organisations non gouvernementales et des organismes internationaux de surveillance dans tous les lieux de privation de liberté, quel que soit le ministère de tutelle. La volonté de se soumettre au contrôle est absolument nécessaire pour favoriser la confiance dans le système.

Interdiction absolue de la détention illégale

77.Conformément à l’article 37 (par. 2) de la Constitution iraquienne et aux articles 109 et 110 du Code de procédure pénale, nul ne peut être détenu à moins qu’un juge compétent n’émette une ordonnance à cet effet. Néanmoins, la délégation a reçu plusieurs allégations de victimes affirmant que leurs proches avaient disparu après avoir été arrêtés par les autorités de l’État sans mandat d’arrêt.

78.Cette tendance est également observée dans la plupart des demandes d’action en urgence enregistrées par le Comité. Dans ces cas, le Comité demande à l’État partie de transmettre le mandat d’arrêt correspondant, et il se félicite que les autorités de l’État l’aient fait récemment. Toutefois, certains mandats ont été émis après la date de la disparition présumée ; d’autres n’ont pas encore été transmis ; et aucune des familles concernées n’avait été informée au préalable de la détention ou de ses motifs.

79.  L ’ État partie doit veiller : a) à ce que la privation de liberté ne soit ordonnée que par des fonctionnaires habilités par la loi à arrêter et à détenir des personnes, dans le plus strict respect de la loi, et à ce que les raisons de la détention soient toujours expliquées et un mandat d ’ arrêt immédiatement fourni à la personne détenue ; b) à ce que toute personne privée de liberté soit placée uniquement dans des lieux de privation de liberté officiellement reconnus et contrôlés  ;

Allégations relatives aux lieux de détention secrets

80.Les allégations persistantes relatives à l’existence de « lieux de détention secrets » exacerbent encore la colère et le sentiment d’impuissance des victimes et rendent encore plus compliquée la tâche des autorités chargées des recherches et des enquêtes. Il existe deux types d’allégations : dans certains cas, il est fait mention de situations équivalant à une détention secrète dans des lieux de détention officiels et connus, tels que la prison Cropper à l’aéroport international Al-Muthanna de Bagdad, la prison Al-Hoot à Nasiriyah et la prison de Chamchamal, dans le district du même nom de la province de Sulaymaniyah (Région du Kurdistan). Dans d’autres cas, il est fait mention de lieux de privation de liberté secrets auxquels « personne ne peut avoir accès ». Parmi les exemples qui ont été donnés au comité, on peut citer des centres de détention à Jurf al-Sakhar et une prison qui se trouverait « sous Abu Zainab al-Hashd al-Sha’abi, derrière le centre commercial “La vie”, avant l’intersection qui est en bas du pont à deux étages ». Les personnes qui ont parlé à la délégation ont également évoqué des « lieux de détention secrets » à la frontière avec la Turquie et la République arabe syrienne. Aucun de ces exemples n’a pu être vérifié par le Comité ou par une autre entité ou autorité : selon les informations disponibles, même les représentants du Gouvernement de haut rang se voient refuser l’accès à ces lieux. L’État partie a toujours rejeté ces allégations.

81.Cette situation engendre à la fois de l’angoisse, de la peur et de l’espoir chez les victimes, mais aussi une très grande méfiance de la société en général à l’égard des autorités de l’État. Des mesures doivent être prises d’urgence à ce sujet.

82.Le Comité réaffirme que l ’ État partie devrait «  mener d ’ urgence une enquête indépendante et impartiale sur toutes les allégations de détention secrète  » . À cette fin, l ’ État partie devrait mettre en place une commission impartiale et indépendante chargée d ’ effectuer une mission d ’ enquête, avec la participation d ’ experts indépendants nationaux et internationaux, afin de vérifier l ’ existence de lieux de détention secrets dans les zones où ils ont été signalés, en utilisant tous les moyens techniques pertinents, tels que des images satellites et des drones.

83.Cette commission devrait accomplir sa mission en consultation et en coordination avec toutes les parties prenantes, en particulier les organisations de la société civile et les victimes, afin que les allégations existantes soient dûment prises en compte. Un rapport attestant l ’ existence ou l ’ inexistence des lieux présumés de détention secrète devrait être établi et publié à l ’ issue de la mission. Lorsque de tels lieux sont découverts ou que des détentions secrètes sont recensées, l ’ État partie devrait établir une liste complète de toutes les personnes détenues et la mettre à la disposition de leur famille, ainsi que des autorités chargées des recherches et des enquêtes.

II.Répondre aux besoins des victimes et respecter pleinement leurs droits

84.Selon la législation applicable aux disparitions, les critères permettant de qualifier une personne de « victime » sont principalement l’origine ethnique, religieuse ou nationale de la personne ou le moment, le lieu et les circonstances de sa disparition. Aucune disposition ne garantit que, conformément à l’article 24 (par. 1) de la Convention, « toute personne physique ayant subi un préjudice direct du fait d’une disparition forcée » est considérée comme une victime et a donc accès aux droits correspondants.

Participation des victimes et des organisations de la société civile

85.Le cadre juridique national autorise les familles et les proches à participer au processus de localisation et d’identification des disparus, mais leur participation reste limitée. L’article 6.2 de la loi sur les affaires relatives aux charniers fait référence à la participation des familles aux fouilles et aux processus d’identification menés par la Commission 6. L’article 14 autorise le Ministère des droits de l’homme à demander l’aide d’organisations de la société civile « pour atteindre les objectifs de cette loi ». Cette compétence relève désormais de la Direction des affaires relatives aux charniers et de la protection des charniers.

86.Des projets tels que ceux développés par la Direction des affaires relatives aux charniers en coordination avec l’Équipe d’enquêteurs des Nations Unies chargée de concourir à amener Daech/État islamique d’Iraq et du Levant à répondre de ses crimes et la Commission internationale pour les personnes disparues ont encouragé cette participation. La délégation a pu attester la présence de victimes pendant les opérations d’exhumation menées à Sinjar. Ces pratiques doivent être garanties dans tous les processus similaires, à tous les stades des opérations de recherche et des enquêtes, afin que les victimes et leurs représentants puissent exercer leur droit à la vérité, à la justice et à la réparation.

87.Selon les informations disponibles, la présence des victimes aux audiences du tribunal reste rare. Les personnes qui ont parlé au Comité ont attribué cette situation au manque d’informations accessibles sur les dates des audiences et à la crainte de participer et de rencontrer les auteurs de la disparition forcée présumée.

88.Dans l’ensemble, la participation aux processus est entravée par la crainte de représailles, qui s’explique principalement par l’implication supposée des autorités de l’État dans la disparition, ou par la participation possible des responsables des disparitions aux recherches et à l’enquête ou à la protection des charniers.

89.La délégation a également reçu des témoignages selon lesquels des victimes, des défenseurs des droits de l’homme, des avocats, des acteurs de la société civile et d’autres personnes participant activement au processus de recherche et d’enquête auraient fait l’objet de menaces, de représailles et d’actes d’intimidation, sous la forme d’appels téléphoniques, de courriels et de lettres de menaces, ainsi que sur les médias sociaux. D’autres personnes ont évoqué des meurtres, comme la mort dramatique de Jaseb Hattab, le père de l’avocat défenseur des droits de l’homme Ali Jassib (Jaseb) − qu’une faction des Forces de mobilisation populaire a fait disparaître en octobre 2019 dans la ville d’Amarah −, en représailles à sa participation à la recherche de son fils et à l’enquête sur la disparition forcée de celui-ci. Cette tendance se confirme dans le cadre de la procédure d’action en urgence, 30 cas de représailles ayant été enregistrés.

90.Face à tous ces obstacles, de nombreuses victimes s’abstiennent à contrecœur de signaler les disparitions forcées, ce qui les rend invisibles et contribue à l’impunité des auteurs de ces actes. Le Comité regrette que le projet de loi sur la protection des témoins examiné en 2015 n’ait pas été développé davantage.

91.Les acteurs de la société civile hésitent à mener leurs activités en raison des poursuites auxquelles ils s’exposent. Le Comité est préoccupé par les récentes vagues de poursuites pénales visant des défenseurs des droits de l’homme et d’autres acteurs pour « diffamation » ou « atteinte aux bonnes mœurs ». Ces poursuites seraient engagées contre les personnes qui expriment des opinions critiques à l’égard de politiques ou d’actions des pouvoirs publics, le fait de publier ce qui est considéré comme une déclaration diffamatoire constituant une circonstance aggravante. L’accusé encourt une amende et une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à sept ans pour diffamation et jusqu’à deux ans pour atteinte aux bonnes mœurs. Selon les témoignages reçus, les moyens de défense de l’accusé ne sont généralement pas pleinement pris en compte. Ces pratiques portent atteinte à la liberté d’expression et dissuade la société civile de participer aux activités liées à la question hautement sensible et controversée des disparitions forcées.

92.La pratique de l’extorsion, qui semble répandue, est un autre facteur de menace et de revictimisation qui a été signalé à la délégation : dans toutes les réunions, certaines victimes ont expliqué qu’on leur avait demandé de payer d’importantes sommes d’argent en échange de photos de leur proche disparu ou d’informations sur celui-ci ou de sa libération. Dans certains cas, des photos de la personne disparue sont effectivement remises, mais elles montrent la plupart du temps l’intéressé dans un lieu de détention impossible à identifier. Il arrive aussi que la personne disparue soit remise en liberté. Dans d’autres cas, l’argent est empoché mais le proche disparu ne réapparaît jamais.

93. Conformément à l ’ article 24 de la Convention, l ’État partie doit prendre des mesures législatives et judiciaires pour que toute personne ayant subi un préjudice direct du fait d ’ une disparition soit officiellement considérée comme une victime et bénéficie des droits énoncés dans la Convention. Le rôle central des victimes dans les processus de recherche, d ’ enquête et de réparation doit être clairement énoncé dans la législation applicable .

94.L ’ État partie doit établir dans la loi un mécanisme transparent et efficace qui fournisse directement aux proches des personnes disparues les informations permettant de faciliter leur participation effective à tous les stades de la recherche, de l ’ enquête, des poursuites et de la réparation s ’ ils le souhaitent. Des campagnes d ’ information à ce sujet devraient être menées dans les médias, les écoles et les services publics.

95. Le soutien des organisations de la société civile doit être encouragé, non seulement «  à la demande des autorités nationales  » , mais aussi chaque fois que les victimes le souhaitent. Le rôle des organisations de la société civile, qui aident les victimes à accéder aux informations pertinentes, préparent leur participation à tous les stades des procédures et leur apportent un soutien, doit être officiellement reconnu et renforcé.

96. L ’ État partie doit s ’ abstenir de criminaliser les activités de la société civile et commencer par reconnaître et appliquer pleinement le droit à la liberté d ’ opinion et d ’ expression .

97.Dans le même ordre d ’ idées, l ’ État partie doit : a) empêcher tout acte d ’ intimidation et de représailles visant les victimes, les défenseurs des droits de l ’ homme, les avocats, les acteurs de la société civile et les autres personnes qui participent activement au processus de recherche et d ’ enquête ; b) enquêter sur toutes les allégations concernant de tels faits ; c) punir les auteurs identifiés. Le futur texte législatif visant à ériger la disparition forcée en infraction distincte doit comporter des dispositions à cet effet .

98. Parallèlement, l ’ État partie doit mettre en œuvre un programme de protection des victimes, des défenseurs des droits de l ’ homme, des avocats, des acteurs de la société civile et des autres personnes qui participent activement au processus de recherche et d ’ enquête, ainsi qu ’ un plan d ’ action concret et réaliste doté de ressources humaines et financières suffisantes et des mécanismes de coopération internationale et d ’ assistance mutuelle.

99. L ’ État partie doit veiller à ce que les personnes soupçonnées d ’ avoir participé à une disparition forcée présumée ne participent à aucune phase des processus de recherche, d ’ enquête ou aux activités connexes, telles que la protection des éléments de preuve pertinents. Il doit également garantir que toutes les allégations relatives à des extorsions dont auraient fait l ’ objet des victimes de disparition donneront lieu à une enquête et à des sanctions appropriées et que toutes les informations pertinentes seront prises en compte dans les processus de recherche et d ’ enquête.

100. Personne ne peut faire l ’ objet d ’ actes d ’ intimidation ou de représailles pour avoir coopéré avec le Comité ou lui avoir fourni des renseignements. C ’ est aux États parties qu ’ incombe au premier chef la responsabilité de prévenir tout acte de ce type dirigé contre les personnes et les groupes qui cherchent à coopérer, coopèrent ou ont coopéré avec le Comité .

Réparation et aide offertes aux victimes

101.Les familles de personnes disparues ont généralement des conditions de vie particulièrement difficiles, lorsqu’elles se retrouvent privées de leurs principales sources de revenus, de leurs terres agricoles et de leur bétail, avec les évidentes répercussions socioéconomiques concomitantes. Les conséquences transgénérationnelles des disparitions sont également très préoccupantes : au-delà des conséquences psychologiques d’une disparition, les enfants des personnes disparues sont souvent privés d’accès à l’éducation par manque de ressources et parce qu’ils doivent travailler pour subvenir aux besoins de leur famille.

102.La législation nationale sur la réparation fait référence à l’indemnisation, à la restitution, à la réadaptation, à la satisfaction et à la mémorialisation. Le droit des victimes à une réparation dépend généralement du profil des victimes et des auteurs présumés et de la désignation juridique de la personne disparue en tant que « martyr », terme dont la définition varie selon les textes de loi.

103.La loi fédérale de 2006 sur la Fondation des martyrs et la loi sur les droits et privilèges des familles des martyrs et des victimes de l’Anfal de la Région du Kurdistan d’Iraq visaient initialement les victimes du régime baassiste et de la campagne Anfal. La loi sur la fondation des martyrs a été modifiée en 2015 et son application a été étendue aux membres non civils des forces armées et aux paramilitaires et à la période allant au delà de 2014. En vertu de la loi no 20 de 2009 sur l’indemnisation des victimes d’opérations militaires, d’erreurs militaires et d’actions terroristes, une indemnisation peut être accordée en cas de décès, de disparition, de handicap, de blessures, de dommages matériels et de désavantages liés à l’emploi ou à l’éducation. En 2021, l’État partie a adopté la loi sur les rescapées yézidies, qui prévoit un plan de réparation pour les femmes, les enfants et les hommes yézidis, chrétiens, turkmènes et shabaks rescapés et victimes de Daech. La Direction des affaires relatives aux rescapées yézidies, rattachée au Ministère du travail et des affaires sociales, est chargée d’apporter les soins nécessaires aux personnes visées par la loi, qui en est encore à sa phase initiale de mise en œuvre.

104.Le cadre juridique actuel prévoit différentes possibilités pour la mémorialisation, notamment la commémoration, les édifices et les pierres tombales, les cérémonies, les monuments, les statues et les expositions. Des événements commémoratifs ont été organisés, comme ceux en l’honneur des victimes du massacre de Camp Speicher du 12 juin 2014. La loi sur les rescapées yézidies dispose que le 3 août est la journée nationale de commémoration des crimes commis par Daech. Toutefois, lorsque les victimes et les parties prenantes ont été interrogées sur les monuments érigés en l’honneur des victimes de disparition, elles n’ont pu en nommer aucun.

105.L’indemnisation a été le principal objectif des stratégies de réparation mises en œuvre. Des progrès ont été réalisés, en particulier pour ce qui est des victimes d’opérations militaires, d’erreurs militaires et d’actions terroristes. Toutefois, certaines catégories de personnes disparues restent exclues des systèmes d’indemnisation, comme les enfants de parents affiliés au régime baassiste, les membres de la famille de ceux qui ont servi le régime baassiste à quelque titre que ce soit, y compris les membres des forces de sécurité, les personnels de justice, les enseignants et les fonctionnaires, et toute personne considérée comme étant affiliée à un groupe terroriste. L’absence de référence explicite aux disparitions forcées dans la législation nationale exclut les rescapés de disparitions ou les personnes dont le décès n’a pas été établi. Cette situation est source de discrimination et de revictimisation, lesquelles sont aggravées par l’absence d’une approche différenciée qui permettrait d’adapter le régime d’indemnisation aux besoins particuliers des victimes.

106.Malgré les modifications apportées en 2015 à la loi no 20 en vue d’accélérer le processus, la mise en œuvre des cadres d’indemnisation continue de pâtir de la lenteur des procédures, de la pénurie de personnel et du manque de moyens financiers et de terrains disponibles qui permettraient aux victimes d’obtenir l’indemnisation à laquelle elles ont légalement droit. De nombreuses provinces ont accumulé du retard en raison du nombre élevé de demandes soumises, et les victimes se heurtent encore à des difficultés d’ordre pratique lorsqu’il s’agit d’accéder au « cadre des martyrs ».

107.Pour satisfaire aux exigences en matière de preuve, les victimes doivent obtenir des documents auprès de différentes autorités de l’État. Cela entraîne des coûts élevés, notamment en termes de temps et de transports, et devient ingérable pour les personnes déplacées à l’intérieur du pays et celles qui résident dans des camps. Des exceptions ont été prévues pour faciliter la procédure : dans le cas des réclamations relatives aux biens, par exemple, la Commission centrale autorise désormais les victimes des zones rurales à présenter une attestation établie par un chef de village ou une autre autorité compétente certifiant qu’elles sont propriétaires du bien si elles ne possèdent pas de documents officiels. De telles exceptions sont toutefois rares.

108.Les victimes ont insisté sur les souffrances causées par ces exigences. Elles ont notamment évoqué le certificat de décès qu’elles doivent présenter pour demander une indemnisation, même lorsqu’elles espèrent encore que leurs proches sont en vie. Comme l’a déclaré l’une des victimes : « J’ai dû me rendre dans plus de 17 institutions pour rassembler les documents. J’étais épuisé et je n’avais pas d’argent. J’ai dû emprunter de l’argent pour aller [en ville] afin de me rendre dans les institutions. Là, un homme m’a dit : “Vous dites que votre fils a disparu. Ne soyez pas stupide : il est certainement mort. Et je suis sûr que vous êtes très heureux de pouvoir gagner de l’argent. Vous avez de la chance...”. Le pire, c’est sans doute d’avoir dû dire que mon fils était mort pour obtenir le certificat. Je ne peux pas accepter cela, je suis sûr qu’il est encore en vie, quelque part ». Cette souffrance est encore aggravée par le coût et la durée de la procédure.

109.Le même certificat de décès doit être présenté par les victimes afin d’accéder à l’aide sociale et aux programmes de réadaptation. Une aide sociale peut être apportée aux victimes de disparition qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, en vertu de la loi sur la protection sociale (loi no 11 de 2014). Le Comité note que les établissements de santé financés par l’État offrent des services de soins psychologiques aux victimes de violations des droits de l’homme, mais que cela reste insuffisant.

110.En fait, ce type d’aide n’était pas envisagé dans les lois de 2006 et 2009, tandis que l’article 5 de la loi sur les rescapées yézidies prévoit l’ouverture de « centres de santé et de réadaptation psychologique » et de « centres de soins en Iraq et en dehors du territoire iraquien ». La Direction des affaires relatives aux rescapées yézidies est également chargée d’offrir des possibilités d’éducation et d’emploi aux rescapées. Néanmoins, les ressources et les structures en place ne permettent pas à la Direction de répondre aux besoins. Les équipes ont besoin de recevoir une formation spécialisée et d’être renforcées, et des programmes précis doivent être mis en place. En ce qui concerne l’éducation, par exemple, il serait nécessaire de créer des structures appropriées pour que les nombreuses victimes qui retournent en Iraq à l’adolescence ou à l’âge adulte après avoir passé des années aux mains de Daech puissent bénéficier d’une éducation primaire de base.

111.Le Comité prend note des diverses initiatives prises par les organisations de la société civile nationales et internationales pour combler les lacunes existantes en matière de soutien psychosocial. Cela a été crucial pour de nombreuses victimes. Malheureusement, leurs interventions ne s’inscrivent pas dans une stratégie globale et dépendent de la disponibilité de financements extérieurs. Des acteurs de la société civile et des agents de l’État se sont inquiétés du manque de durabilité de ces interventions.

112. Le Comité considère qu ’ il est prioritaire que l ’ État partie adopte une stratégie globale d ’ accès aux mesures de réparation, y compris l ’ indemnisation et la réadaptation, dont puissent bénéficier toutes les victimes de disparition, indépendamment de leur origine ethnique, religieuse ou nationale, ainsi que du moment, du lieu et des circonstances − et de l ’ auteur − de la disparition. Cette stratégie doit garantir une approche différenciée permettant d ’ adapter les mesures de réparation aux besoins précis des victimes.

113. Cette approche différenciée doit accorder une attention particulière aux besoins précis des femmes, des enfants, des personnes âgées et des personnes handicapées, et doit prendre en compte toutes les caractéristiques personnelles des victimes qui peuvent être pertinentes. À cet égard, une stratégie précise doit être mise en place pour répondre aux besoins éducatifs des victimes, en fonction de leur âge et de leur niveau d ’ éducation, en dotant les autorités compétentes des infrastructures et des ressources humaines et financières nécessaires.

114. L ’ État partie devrait multiplier les efforts de mémorialisation, tels que la construction de mémoriaux, l ’ organisation périodique d ’ activités commémoratives et l ’ inclusion de la question des disparitions et des disparitions forcées dans les programmes d ’ éducation générale. Les souffrances quotidiennes des victimes de disparitions forcées passées et présentes doivent être largement reconnues, aux niveaux national et international.

115. Des mesures doivent être prises pour renforcer la confiance de la population dans les institutions chargées des programmes de réparation, notamment par la mise en œuvre effective de mécanismes de responsabilité transparents, en particulier dans les cas d ’ allégations de corruption, de mauvais traitements ou d ’ inefficacité.

116. À cette fin, l ’ État partie doit également préciser les droits des victimes, notamment en procédant à une analyse approfondie, réaliste et transparente de la capacité du système à permettre à toutes les victimes d ’ accéder à la réparation à laquelle elles ont droit, indépendamment de leur origine ethnique, religieuse ou nationale, ainsi que du moment, du lieu et des circonstances de la disparition.

117.La procédure de soumission des demandes de réparation devrait être simplifiée et les circonstances dans lesquelles une flexibilité supplémentaire est permise lorsque les victimes démontrent qu ’ elles ont des difficultés à fournir tous les documents demandés devraient notamment être élargies. Ces exceptions devraient être définies de manière claire pour tous, sur la base de consultations publiques larges et transparentes.

118. L ’ exigence d ’ un certificat de décès doit être définitivement supprimée de toutes les procédures jusqu ’ à ce que le sort de la personne disparue soit pleinement éclairci. En revanche, l ’ État partie doit prévoir dans la loi la délivrance de déclarations d ’ absence pour cause de disparition.

119. L ’ État partie doit également veiller à ce que la prise en charge psychologique et le soutien social soient systématiquement intégrés dans tous les programmes de réparation et dans la législation pertinente, en tant que droit fondamental des victimes, et fournir aux autorités responsables les ressources financières et les ressources humaines spécialisées nécessaires pour qu ’ elles puissent s ’ acquitter correctement de leurs tâches.

III.Sensibiliser le public aux disparitions forcées en Iraq et renforcer les capacités nationales en matière de lutte contre ces disparitions

120.L’ampleur des disparitions forcées en Iraq n’est généralement pas reconnue. Il est urgent d’informer la population iraquienne et la communauté internationale de l’ampleur et de la réalité des disparitions forcées et de ce qu’il faut faire lorsqu’une personne a disparu. Le Comité se félicite des initiatives menées, généralement par des organisations de la société civile, pour diffuser des informations sur cette question. Ces initiatives devraient être renforcées et élargies.

121.Le Comité note qu’il est fait mention de la Convention dans les programmes de formation organisés par le Ministère de la défense, le Ministère de l’intérieur, les écoles militaires, l’École de police, la Haute Commission aux droits de l’homme, l’École de la magistrature, l’Institut de formation judiciaire, le Département pénitentiaire, les services de sécurité, l’appareil exécutif et les autorités judiciaires de la Région du Kurdistan et les facultés de droit, ainsi que dans les programmes organisés par la société civile et le Département des droits de l’homme du Ministère de la justice.

122.Le Comité prend note des programmes de formation organisés par des acteurs nationaux et internationaux et du fait que certains employés de l’État organisent des visites dans les institutions compétentes à l’étranger pour s’informer des bonnes pratiques. Toutefois, ces programmes ne traitent pas toujours de manière détaillée de la question des disparitions, ne s’inscrivent pas dans une stratégie globale et coordonnée et ne sont généralement pas assortis d’indicateurs d’impact précis. Dans l’ensemble, les discussions qui ont eu lieu au cours de la visite ont révélé une connaissance limitée de la jurisprudence et des recommandations antérieures du Comité, ainsi que des autres normes internationales pertinentes.

123.La nécessité de renforcer les connaissances des organisations de la société civile susceptibles d’aider les victimes à soumettre leur affaire aux institutions nationales et aux mécanismes internationaux relatifs aux droits de l’homme est également apparue clairement au cours des discussions qui ont eu lieu pendant la visite. Les droits, obligations et procédures prévus par la Convention sont à peine connus, et les violations ne sont pas suffisamment signalées.

124.La création et le renforcement des équipes chargées des procédures de recherche, d ’ enquête, de poursuite et de réparation et des activités visant à prévenir les disparitions nécessitent la mise en œuvre immédiate de programmes de formation continue spécialisés. Ces programmes devraient viser à ce que les équipes tiennent compte des normes, des outils, des procédures, de la jurisprudence et des réglementations nationales et internationales concernant les disparitions et la lutte contre l ’ impunité. Ils devraient fixer des objectifs et des indicateurs et prévoir un suivi périodique tendant à mesurer leur impact et la mise en œuvre des contenus enseignés.

125. Dans le même temps, les institutions chargées des procédures de recherche, d ’ enquête et de poursuite liées aux affaires de disparition, de la prise en charge des victimes et des mesures de réparation, ainsi que de la prévention des disparitions devraient régulièrement établir des plans de travail détaillés et coordonnés, assortis d ’ objectifs clairs, qui garantissent l ’ utilisation des outils disponibles, permettent de faire face à la charge de travail de manière stratégique et efficace, fassent l ’ objet d ’ un suivi et soient soumis à des mécanismes de responsabilité. Les enseignements tirés et les bonnes pratiques recensées aux niveaux national et international devraient être pris en compte pour la définition de ces objectifs.

126. Le Comité souligne qu ’ il est important que les programmes universitaires prévoient un enseignement sur les sujets en lien avec la disparition de personnes, ainsi que la diffusion d ’ informations et des travaux de recherche sur ces sujets, selon une approche pluridisciplinaire.

127.L ’ État partie devrait lancer de toute urgence une vaste campagne nationale et internationale d ’ information et de sensibilisation sur les disparitions et les disparitions forcées en Iraq. Cette campagne devrait permettre de diffuser largement des messages clairs et accessibles sur les mécanismes mis en place pour traiter les cas de disparition et sur les résultats obtenus et les difficultés rencontrées, et de lutter contre la stigmatisation et le manque de soutien auxquels les victimes sont confrontées au quotidien. Elle devrait toucher toutes les catégories de la population iraquienne − et être notamment menée dans les écoles et dans les principaux médias − ainsi que la communauté internationale dans son ensemble.

128. Conformément aux articles 14 et 15 de la Convention, l ’ Iraq et les autres États parties devraient unir leurs efforts pour renforcer leurs capacités nationales de lutte contre les disparitions forcées, par la mise en place d ’ une communauté durable d ’ experts participant aux enquêtes, aux poursuites et à la prévention des disparitions, et pour offrir une aide et des mesures de réparation aux victimes. Cette communauté devrait promouvoir l ’ échange d ’ informations sur les bonnes pratiques et fournir des réponses aux États qui demandent des avis sur les questions législatives, procédurales, techniques et stratégiques pertinentes.

IV.Conclusion

129. Pour qu ’ il puisse jeter les bases de la prévention efficace et de l ’ éradication des disparitions forcées, l ’ Iraq doit prendre en considération de toute urgence les questions recensées dans les deux parties du présent rapport, en mettant l ’ accent sur la nature du crime, indépendamment de la date à laquelle il a été commis ou du profil des victimes.

130. L ’ État partie doit prendre en compte tous les points soulignés dans les présents rapports au moyen d ’ un plan d ’ action à court, moyen et long terme à mettre en œuvre en coopération avec les acteurs nationaux et internationaux, de manière transparente et en garantissant l ’ obligation pour les autorités responsables de rendre pleinement compte de leur action. À cette fin, il devrait mettre en place un mécanisme de suivi de l ’ application des recommandations associant la société civile et toutes les autorités de l ’ État et les autorités autonomes.

131.Le Comité remercie l ’ Iraq de sa coopération et de l ’ appui qu ’ il a fourni avant et pendant la visite. Il ne doute pas que l ’ État partie s ’ acquittera des obligations que lui impose la Convention, appliquera les recommandations formulées dans les deux parties du rapport et s ’ attaquera au fléau des disparitions forcées auquel est confrontée la société iraquienne dans son ensemble. Le Comité réaffirme qu ’ il est pleinement disposé à coopérer à ce processus.

132. En application de l ’ article 97 (par. 2) de son règlement intérieur, le Comité accorde à l ’ État partie un délai de quatre mois pour lui faire part des commentaires qu ’ il jugera pertinents sur le présent rapport. Ces commentaires seront publiés sur la page Web du Comité. À l ’ expiration du délai fixé, le Comité examinera la suite donnée à ses recommandations, conformément aux dispositions de l ’ article 29 (par. 4) de la Convention et de l ’ article 98 de son règlement intérieur, en coordination et en coopération avec l ’ État partie et les divers acteurs concernés.