Nations Unies

CCPR/C/119/D/2681/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

24 mai 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2681/2015 * , **

Communication p résentée par :

Y. A. A. et F. H. M. (représentés par le Conseil danois pour les réfugiés)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Danemark

Date de la communication :

11 novembre 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 18 novembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

10 mars 2017

Objet :

Traitement inhumain et dégradant ; expulsion vers l’Italie

Question(s) de fond :

Torture ; peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant

Article(s) du Pacte :

7

1.1Les auteurs de la communication sont Y. A. A., né le 3 décembre 1983, et F. H. M, née le 1er janvier 1980, tous deux de nationalité somalienne. Ils présentent la communication en leur nom propre et au nom de leurs quatre enfants mineurs : A., né en 2009 en Italie, S., né en 2011 en Italie, S. I., né en 2013 au Danemark, et A. M., né en 2014 au Danemark. Les auteurs demandent l’asile au Danemark et, à la date de présentation de la communication, étaient en attente de transfert du Danemark vers l’Italie en application du Règlement Dublin II. Ils affirment que leur expulsion vers l’Italie les exposerait, eux et leurs enfants, à un traitement inhumain et dégradant, en violation de l’article 7 du Pacte. Les auteurs sont représentés par le Conseil danois pour les réfugiés. Le premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur pour le Danemark le 23 mars 1976.

1.2Le 18 novembre 2015, en application de l’article 92 de son règlement intérieur et par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, le Comité a demandé à l’État partie de ne pas expulser les auteurs vers l’Italie tant que la communication serait à l’examen.

1.3Le 13 juillet 2016, le Comité, par l’intermédiaire du Rapporteur spécial, a rejeté la demande de levée des mesures provisoires que lui avait adressée l’État partie.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs sont originaires de Mogadiscio. F. H. M. est issue du clan minoritaire Reer Barawe et Y. A. A. du clan Asraf, et tous deux sont musulmans. Ils ont quatre enfants, dont les deux plus âgés sont nés en Italie et les deux plus jeunes au Danemark.

2.2Les auteurs ont fui la Somalie ensemble en 2008. F. H. M. a fui le pays après avoir été durement harcelée en raison de son appartenance à un clan minoritaire. Elle affirme que sa famille avait été abordée et harcelée par la milice du clan, la police et les forces gouvernementales. Y. A. A. a fui la Somalie en raison d’un conflit avec les autorités somaliennes et l’armée éthiopienne. Il avait travaillé pour une chaîne de télévision somalienne et, à une occasion, avait édité des enregistrements vidéo et des photos de soldats éthiopiens tués, qui devaient être diffusés lors des journaux télévisés. Par la suite, un inconnu l’a menacé à plusieurs reprises de mort et d’emprisonnement et l’a accusé d’être responsable de cette diffusion. Les auteurs craignent également que leurs filles ne subissent des mutilations génitales féminines à leur retour.

2.3Les auteurs sont arrivés en Italie en octobre 2008. À leur arrivée à Lampedusa, ils ont été placés dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile à Bari, où ils ont été hébergés quelques mois. Une protection subsidiaire leur a été accordée en janvier 2009. Leur permis de séjour, qui a expiré le 25 mars 2013, n’a pas été renouvelé car ils résidaient alors au Danemark.

2.4Après avoir obtenu un permis de séjour, les auteurs ont reçu l’ordre de quitter le centre d’accueil à Bari et de remettre leur carte de demandeur d’asile, qui leur avait donné accès à la nourriture dans le centre. Ils n’ont reçu aucune aide ni aucun conseil pour trouver un endroit et s’installer en Italie à titre provisoire ou permanent et on leur a conseillé de se rendre dans d’autres pays européens. Se retrouvant sans abri, ils sont partis en Finlande au début de 2009. Après quatre mois, les autorités finlandaises les ont renvoyés à Rome. À leur arrivée à l’aéroport, ils n’ont reçu aucune aide ni aucun conseil de la part des autorités italiennes.

2.5Se retrouvant à nouveau sans abri, les auteurs ont pris conseil auprès d’autres réfugiés somaliens et sont partis à Turin pour vivre dans une clinique abandonnée occupée par des réfugiés et des demandeurs d’asile dans la même situation qu’eux. Les conditions de vie étaient déplorables et le bâtiment était dépourvu des installations de base. Il n’y avait pas d’eau, pas d’électricité et pas de chauffage et les équipements sanitaires étaient en mauvais état. Parmi les occupants, beaucoup étaient souvent sous l’influence de l’alcool et de la drogue, et les auteurs ne se sentaient pas en sécurité, surtout pendant la grossesse de F. H. M. en 2009.

2.6Au cours de sa première grossesse, en 2009, F. H. M. n’a pas eu accès à des soins de santé. Lorsqu’elle est entrée en travail, l’hôpital l’a rejetée car les auteurs n’avaient pas d’adresse officielle, puisqu’ils vivaient alors dans un bâtiment abandonné à Turin, et n’avaient donc pas de carte d’assurance maladie. Une femme d’un parti communiste local qui s’était occupée des réfugiés leur est venue en aide et s’est arrangée avec l’hôpital afin que F. H. M. puisse être admise pour l’accouchement. Après la naissance de leur fils aîné, les auteurs se sont à nouveau retrouvés sans abri et se sont réfugiés dans des maisons abandonnées à Turin. En raison de l’absence d’installations de base et de la consommation ouverte de drogues dans les lieux, ils ont jugé difficile et dangereux d’y rester avec un très jeune enfant.

2.7Lorsque F. H. M. s’est de nouveau trouvée enceinte, en 2010, les auteurs ont été aidés par la femme du parti communiste, qui leur a trouvé une chambre dans une résidence pour étudiants à Turin. Ils y ont vécu plusieurs mois. Pendant cette période, F. H. M. a donné naissance à son deuxième enfant dans un hôpital, où elle a pu être admise grâce à une nouvelle intervention de la femme du parti communiste. Peu de temps après la naissance de leur deuxième enfant, les auteurs ont été priés de quitter la résidence au motif qu’elle n’était pas destinée aux familles avec enfants. Plus tard, ils ont passé la nuit dans des églises qu’on leur demandait de quitter pendant la journée.

2.8Au cours des trois années que les auteurs ont passées à Turin, les autorités italiennes ne leur ont pas donné accès à un logement, à des prestations sociales ou à un programme d’intégration. Les auteurs ont reçu de l’aide de la part de l’antenne locale du parti communiste et de la nourriture de la part des églises. Y. A. A. a cherché un emploi sans succès. De sa propre initiative, il a suivi des cours de langue et des cours de communication gratuits dans un institut de Turin pendant six mois.

2.9Sans abri et sans accès à un programme d’intégration ou à un emploi, les auteurs sont partis avec leurs deux enfants en Suède et y ont demandé l’asile en avril 2012. Leurs demandes ont été rejetées au motif que les autorités italiennes leur avaient accordé un permis de séjour. Lorsque les autorités suédoises ont préparé leur expulsion vers l’Italie, les auteurs se sont rendus au Danemark et y ont demandé l’asile le 28 août 2012. À leur arrivée au Danemark, leurs permis de séjour en Italie étaient encore valides. F. H. M. a donné naissance au troisième enfant du couple en février 2013 au Danemark.

2.10Le 4 novembre 2013, le Service danois de l’immigration a rejeté la demande d’asile des auteurs. L’affaire a été portée devant la Commission de recours des réfugiés, qui, le 25 février 2014, a confirmé la décision du Service danois de l’immigration, constatant que F. H. M. et, par voie de conséquence, Y. A. A. avaient besoin d’une protection subsidiaire en raison du risque de poursuites en Somalie, mais pouvaient être renvoyés en Italie en application du principe du premier pays d’asile. La Commission a estimé dans sa décision que, bien que leurs permis de séjour ne soient plus valides, on pouvait penser que les auteurs seraient en mesure d’entrer et de séjourner légalement en Italie en demandant le renouvellement des permis venus à expiration.

2.11La décision de la Commission de recours des réfugiés étant définitive, les auteurs ont reçu l’ordre de quitter le Danemark. Le 8 avril 2014, la police nationale danoise a tenté de les expulser avec leurs trois enfants vers l’Italie. Les auteurs sont arrivés à l’aéroport de Rome encadrés de six policiers danois. La police danoise a pris contact avec les autorités italiennes à l’aéroport et a présenté les noms des auteurs et de leurs enfants ainsi qu’une copie de la confirmation par les autorités italiennes de la protection subsidiaire accordée aux auteurs en Italie. Après un certain temps, les autorités italiennes ont dit à la police danoise qu’elles n’avaient pas été informées de l’arrivée des auteurs et qu’elles n’accepteraient pas aussi aisément leur entrée sur le territoire. La police italienne a fait savoir à la police danoise que l’Italie jugeait étrange que le Danemark n’ait pas pris contact avec elle au sujet de cette affaire depuis le dépôt d’une demande au titre du Règlement Dublin II en juin 2013. En outre, la protection subsidiaire avait expiré et n’avait pas été renouvelée. Les auteurs et leurs enfants ont été renvoyés au Danemark le jour même.

2.12Par la suite, la police danoise n’a fait aucune autre tentative en vue d’expulser les auteurs vers l’Italie. À son retour au Danemark, Y. A. A. a demandé de l’aide auprès du Service danois de l’immigration, et celui-ci a demandé à la Commission de recours des réfugiés de rouvrir le dossier. Le 2 juillet 2014, la Commission a demandé à la police si elle considérait qu’une expulsion des auteurs vers l’Italie était possible. En septembre 2014, F. H. M. a donné naissance au quatrième enfant du couple au Danemark.

2.13Le 24 mars 2015, le Conseil danois pour les réfugiés a demandé à la Commission de recours des réfugiés de rouvrir le dossier. Il a fait référence au fait que les auteurs n’avaient pas été autorisés à entrer en Italie et que la police danoise n’avait pas tenté de les expulser au cours de l’année précédente.

2.14Le 14 avril 2015, la police danoise a fait savoir à la Commission de recours des réfugiés qu’il était difficile d’imaginer qu’une expulsion vers l’Italie devienne possible. Le 1er juin 2015, la Commission a de nouveau demandé à la police danoise d’indiquer si l’expulsion des auteurs était ou non envisageable. Le 8 juin 2015, la police a demandé au Ministère de la justice de l’aider à répondre à la Commission. Le 30 juin 2015, la police a informé la Commission que, le 11 juin 2015, le Ministère de la justice avait adressé aux autorités italiennes une demande de consultation concernant le retour de ressortissants étrangers en Italie et la possibilité de renouveler des permis de séjour venus à expiration en Italie. Le 21 juillet 2015, la Commission a décidé de ne pas rouvrir le dossier et a fait observer que le Ministère était désormais en contact avec les autorités italiennes. La décision de la Commission était définitive et n’était donc pas susceptible d’appel devant un tribunal.

2.15Par la suite, la Commission de recours des réfugiés a informé par téléphone le Conseil danois pour les réfugiés qu’elle avait reçu, par l’intermédiaire de la police danoise, une réponse datée du 8 août 2015 dans laquelle les autorités italiennes indiquaient qu’elles accepteraient désormais l’entrée de la famille sur le territoire national.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs allèguent que leur expulsion vers l’Italie les exposerait, ainsi que leurs quatre enfants, à un risque de traitement inhumain et dégradant contraire en outre à l’intérêt supérieur de l’enfant, en violation de l’article 7 du Pacte, car ils se retrouveraient sans abri et dans la misère, avec un accès limité aux services de santé. Ils affirment également qu’ils doivent être considérés comme extrêmement vulnérables car ils ont quatre enfants dont le plus jeune a 2 ans.

3.2Les auteurs affirment qu’après avoir bénéficié d’une protection subsidiaire, en janvier 2009, ils n’ont pas pu trouver un hébergement, un travail ni une autre solution humanitaire durable en Italie pour eux-mêmes et leurs enfants. Ils ont eu de grandes difficultés à obtenir des soins médicaux pendant la grossesse de l’auteure et à la naissance de l’enfant. Sans abri, ils vivaient avec d’autres réfugiés et demandeurs d’asile dans des bâtiments abandonnés dépourvus d’installations sanitaires où des gens consommaient ouvertement de l’alcool.

3.3Les auteurs affirment en outre que les conditions d’accueil en Italie pour les réfugiés ayant un permis de séjour valide ou venu à expiration ne sont pas conformes aux obligations internationales en matière de protection. En outre, les personnes sollicitant une protection internationale qui retournent en Italie alors qu’elles y avaient déjà reçu une forme de protection et bénéficié du dispositif d’accueil ne peuvent plus prétendre à être hébergées dans les structures d’accueil du pays. Ils soutiennent que leur expérience dénote des défaillances systémiques en matière d’assistance élémentaire aux demandeurs d’asile et réfugiés en Italie, en particulier aux membres de groupes vulnérables. Ils indiquent que les demandeurs d’asile en Italie éprouvent de graves difficultés à accéder aux services de santé.

3.4Les auteurs ajoutent que leur situation est différente du cas de Mohammed Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie, en ce qu’ils ont déjà fait l’expérience d’un transfert de la Finlande vers l’Italie et qu’ils n’ont jamais reçu d’assistance des autorités italiennes, que ce soit à leur arrivée ou par la suite, pour subvenir aux besoins essentiels de la famille (hébergement, nourriture, assistance médicale lors de l’accouchement) ou chercher un travail, trouver un logement et s’intégrer dans la société italienne.

3.5Les auteurs affirment que la décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme dans Tarakhelc. Suisse est pertinente en l’espèce car il y est fait référence aux conditions de vie en Italie pour les demandeurs d’asile et les bénéficiaires d’une protection internationale et aux difficultés qu’ils y rencontrent pour trouver un hébergement. Ils font observer que, dans cette décision, la Cour a invité les autorités suisses à obtenir de leurs homologues italiennes des garanties concernant une prise en charge des requérants (une famille) dans des installations et à des conditions adaptées à l’âge des enfants ; faute de quoi, la Suisse commettrait une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en transférant les requérants en Italie. Les auteurs font valoir que, au vu de cette conclusion, la situation éprouvante dans laquelle se retrouvent les demandeurs d’asile et les bénéficiaires d’une protection internationale renvoyés en Italie relève aussi de l’article 3 de la Convention et de l’article 7 du Pacte. Ils réaffirment donc que leur expulsion vers l’Italie constituerait une violation de l’article 7 du Pacte. Ils ajoutent que la décision rendue en l’affaire Tarakhelc.Suisse montre que des garanties individuelles, visant en particulier à préserver les enfants expulsés de la misère et de conditions d’hébergement éprouvantes, sont nécessaires.

Observations de l’État partie

4.1Le 18 mai 2016, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il décrit la structure, la composition et le fonctionnement de la Commission de recours des réfugiés ainsi que la législation applicable aux cas relevant du Règlement Dublin.

4.2En ce qui concerne la recevabilité et le fond de la communication, l’État partie fait valoir que les auteurs n’ont pas démontré que leur communication était à première vue recevable au titre de l’article 7 du Pacte. Plus particulièrement, il n’a pas été établi qu’il y avait de sérieux motifs de croire qu’en Italie, les auteurs et leurs enfants risqueraient d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Donc, la communication est manifestement dénuée de fondement et devrait être déclarée irrecevable. Il ressort de la jurisprudence du Comité que les États parties ont l’obligation de ne pas extrader, déplacer ou expulser une personne de leur territoire ou la transférer par d’autres moyens si cette mesure a pour conséquence nécessaire et prévisible d’exposer l’intéressé à un risque réel de préjudice irréparable, comme les traitements visés à l’article 7 du Pacte, que ce soit dans le pays vers lequel doit être effectué le renvoi ou dans tout autre pays vers lequel l’intéressé pourrait être renvoyé par la suite. Le Comité a en outre établi qu’un tel risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable.

4.3Plus précisément, l’État partie considère que les auteurs n’ont fait part d’aucune nouvelle information ou considération essentielle concernant leur situation, hormis les informations déjà utilisées pendant la procédure d’asile, que la Commission de recours des réfugiés avait déjà prises en compte dans sa décision en date du 25 février 2014. L’État partie fait valoir que le Comité ne saurait jouer le rôle d’un organe d’appel qui réexaminerait les éléments de fait exposés par les auteurs dans leur demande d’asile devant les autorités danoises, et qu’il doit accorder un poids important aux constatations de fait de la Commission de recours des réfugiés, qui est mieux placée pour évaluer les circonstances factuelles de l’affaire des auteurs. L’État partie renvoie en outre à la jurisprudence du Comité dont il ressort qu’« il incombe généralement aux organes des États parties d’examiner les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou entachée d’erreur ou qu’elle a représenté un déni de justice ».

4.4L’État partie ajoute que la Commission de recours des réfugiés a considéré que les auteurs avaient déjà bénéficié d’une protection subsidiaire en Italie et qu’ils pouvaient donc y rentrer et y séjourner légalement avec leurs enfants ; par conséquent, l’Italie est considérée comme « premier pays d’asile », ce qui justifie le refus des autorités danoises d’accorder l’asile aux auteurs, conformément à l’article 7 (par. 3) de la loi relative aux étrangers. L’État partie fait aussi valoir que la Commission exige au minimum que le demandeur d’asile ou le réfugié soit protégé contre le refoulement depuis le premier pays d’asile. Il doit également être en mesure d’entrer et de séjourner légalement dans ce pays, où son intégrité personnelle et sa sécurité doivent être protégées. Cette notion de protection a également une dimension sociale et économique puisque les demandeurs d’asile doivent être traités conformément aux normes humanitaires fondamentales. Toutefois, il ne saurait être exigé que les intéressés aient exactement le même niveau de vie que les nationaux. Ce qui est essentiel dans la notion de protection, c’est en effet l’idée que les intéressés ont droit au respect de leur sécurité personnelle aussi bien au moment de leur entrée dans le premier pays d’asile qu’au cours de leur séjour dans ce pays. De surcroît, l’Italie est liée par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et par le Pacte international.

4.5L’État partie fait observer en outre que l’allégation relative au manque d’accès de F. H. M. à des soins de santé et à un traitement médical en Italie repose uniquement sur des informations non étayées qu’ont fournies les auteurs. Il indique que les demandeurs d’asile et les bénéficiaires d’une protection internationale jouissent du même droit à un traitement médical que les Italiens, vu qu’ils doivent s’inscrire au Service national de santé en Italie, et qu’ils bénéficient de services de santé gratuits sur la base d’une autodéclaration indiquant qu’ils sont sans ressources, à présenter au conseil de santé local.

4.6L’État partie note que les allégations des auteurs selon lesquelles ils risquent d’être sans abri et ne recevront pas l’aide nécessaire de la part des autorités italiennes s’ils sont expulsés vers l’Italie ne semblent pas étayées et ne concordent pas avec les documents généraux de référence disponibles sur les conditions de vie des demandeurs d’asile et des réfugiés en Italie. Il fait observer que, selon leurs déclarations, les auteurs se sont vu offrir une chambre dans une résidence pendant plusieurs mois et Y. A. A. a suivi gratuitement des cours de langue et a étudié à l’université de Turin pendant six mois.

4.7L’État partie renvoie en outre à la décision prononcée par la Cour européenne des droits de l’homme dans Mohammed Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie, et affirme qu’elle est applicable à la présente affaire. Dans cette décision, la Cour a déclaré que l’évaluation d’une éventuelle violation de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales devait être rigoureuse et comprendre une analyse des conditions dans le pays d’accueil au regard des normes établies par cette disposition de la Convention. En particulier, la Cour a indiqué qu’en l’absence de motifs humanitaires exceptionnellement impérieux qui s’opposeraient au renvoi, le fait que les conditions de vie matérielles et sociales du requérant seraient nettement moins bonnes s’il devait être renvoyé de l’État contractant ne suffisait pas en soi à constituer une violation de l’article 3. L’État partie considère en outre qu’il ne saurait être déduit de l’arrêt rendu par la Cour dans Tarakhelc. Suisse que des garanties individuelles doivent être obtenues auprès des autorités italiennes en l’espèce, puisque les auteurs de la communication ont déjà bénéficié d’une protection subsidiaire en Italie, tandis que dans Tarakhelc. Suisse, la demande d’asile des auteurs en Italie était toujours pendante lorsque la Cour a examiné l’affaire.

4.8L’État partie fait valoir également que la situation des auteurs diffère de celle examinée par le Comité dans ses constatations concernant Warda Osman Jasin et consorts c. Danemark . Il note qu’en l’espèce, les auteurs détenaient déjà des permis de séjour en Italie, qui venaient à expiration le 25 mars 2013, lorsqu’ils ont demandé l’asile au Danemark le 28 août 2012. L’État partie fait valoir en outre que le fait qu’en quittant l’Italie, les auteurs se sont placés dans une situation où leurs permis de séjour ont expiré ne signifie pas qu’ils peuvent être considérés comme des demandeurs d’asile aujourd’hui.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Le 4 juillet 2016, les auteurs ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils soutiennent qu’ils ont suffisamment expliqué les raisons pour lesquelles ils craignent que leur expulsion vers l’Italie ne conduise à une violation de l’article 7 du Pacte et considèrent que leurs allégations à cet égard ont été dûment étayées. Ils ajoutent que l’évaluation à laquelle a procédé la Commission de recours des réfugiés ne répond pas aux exigences d’une appréciation individualisée du risque auquel ils seraient exposés s’ils étaient expulsés vers l’Italie. Les auteurs font observer qu’en Italie, lorsqu’ils avaient un permis de séjour, ils vivaient dans une clinique abandonnée, dépourvue des installations les plus élémentaires telles que l’eau courante et l’électricité. Ce n’est que pendant quelques mois, alors que F. H. M. attendait son deuxième enfant, que la famille s’est vu offrir une chambre dans une résidence pour étudiants. Lorsqu’elle est entrée en travail, elle a été rejetée par l’hôpital, et c’est uniquement grâce à l’intervention d’une personne qui avait une certaine influence au niveau local qu’elle y a été de nouveau admise pour l’accouchement. Pendant la grossesse, elle n’a pas eu accès aux soins de santé. Les auteurs étaient nourris par l’église. Pendant trois ans, les autorités italiennes ne leur ont donné accès ni à un logement, ni aux prestations sociales, ni aux programmes d’intégration, même si Y. A. A. a en effet assisté à des cours de langue et de communication pendant un certain temps, et ils ont vécu dans des conditions inacceptables pendant presque tout leur séjour en Italie.

5.2Les auteurs indiquent en outre que les demandeurs d’asile et les bénéficiaires d’une protection internationale en Italie rencontrent souvent les mêmes difficultés importantes pour ce qui est de trouver un abri et d’avoir accès aux services de santé et à l’alimentation. Ils citent un rapport du Département d’État des États-Unis d’Amérique sur l’Italie :

Les autorités ont mis en place des centres temporaires pour héberger des populations de migrants mixtes, y compris des réfugiés et des demandeurs d’asile, mais n’ont pas pu suivre le rythme élevé des arrivées... Les organisations non gouvernementales ont signalé que des milliers d’étrangers en situation régulière ou irrégulière, y compris des migrants et des réfugiés, vivaient dans des bâtiments abandonnés à Rome et dans d’autres grandes villes et n’avaient qu’un accès limité aux services publics. La presse a fait état d’un manque de soins de santé, d’installations inadéquates et surpeuplées et d’un manque d’accès à des services de conseil juridique et à l’éducation de base. Des représentants du Haut-Commissariat pour les réfugiés, de l’Organisation internationale pour les migrations et d’autres organisations humanitaires ont dénoncé des conditions de vie inhumaines, notamment la surpopulation, dans les centres d’accueil.

Les auteurs renvoient également à un rapport de l’organisation Médecins sans frontières selon lequel :

Bien que, selon la législation italienne, les demandeurs d’asile et les réfugiés aient droit à l’enregistrement auprès du Service national de santé et à l’assistance médicale au même titre que les Italiens, l’accès à ce droit est sérieusement limité par les conditions de marginalisation sociale que ce groupe de population subit dans notre pays, en particulier à l’intérieur des établissements informels … Le renouvellement du permis de séjour, notamment pour des raisons humanitaires, est rendu difficile par les commissariats de police, qui demandent une résidence ou un domicile local enregistré même si aucune disposition légale ne l’impose. Selon la police, le domicile doit être prouvé par un contrat de location, ou au moins par une déclaration d’hébergement émanant du propriétaire ou du locataire du bien. En l’absence de ce document, et si la police refuse une attestation fictive fournie par les organisations d’aide, les migrants n’ont pas d’autre choix que d’« acheter » un faux contrat de location ou autre certificat de domicile ou bien de faire renouveler leur permis dans des postes de police moins exigeants, parfois dans d’autres provinces ou régions que là où ils vivent véritablement. En pareil cas, ils ne peuvent avoir accès aux médecins généralistes et aux pédiatres dans les zones où ils vivent puisque l’inscription au Service national de santé dépend du domicile indiqué dans le permis de séjour.

5.3Les auteurs renvoient également aux constatations du Comité dans Warda Osman Jasin et consorts c. Danemark, dans lesquelles le Comité a souligné la nécessité d’accorder suffisamment de poids au risque réel et personnel auquel une personne pourrait être exposée si elle était expulsée. Ils indiquent que l’État partie n’a pas obtenu d’assurances précises de la part de l’Italie à propos des points suivants : a) l’acceptation du retour des auteurs ; b) le renouvellement des permis de séjour des auteurs ; c) la garantie que les auteurs ne seront pas expulsés vers la Somalie ; d) la mise en place de conditions adaptées à la famille et aux enfants. Les auteurs estiment qu’il est nécessaire de procéder à une évaluation individualisée du risque encouru par l’intéressé, plutôt que de se fonder sur des informations générales et de partir de l’idée que, ayant bénéficié d’une protection subsidiaire par le passé, il ou elle aurait en principe le droit de travailler et de bénéficier de prestations sociales. Ils affirment que la Commission de recours des réfugiés n’a pas procédé à une évaluation suffisamment individualisée du risque auquel ils seraient exposés en Italie. En outre, l’application d’un seuil déraisonnablement élevé pour ce qui est des motifs sérieux de penser qu’il existe un risque réel de préjudice irréparable rend la décision de la Commission à la fois déraisonnable et arbitraire. De surcroît, les auteurs affirment qu’ils ont déjà subi des conditions de vie inacceptables en Italie alors qu’ils avaient un permis de séjour valide. Les documents de référence disponibles attestent l’existence de conditions de vie intolérables, tant pour les réfugiés que pour les demandeurs d’asile, ainsi que l’absence d’aide de la part des autorités italiennes, et donnent des raisons sérieuses de croire à l’existence d’un risque réel que les auteurs aient de nouveau à subir de telles conditions s’ils sont expulsés en Italie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte formulée dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que les auteurs disent avoir épuisé tous les recours internes utiles qui leur étaient ouverts. L’État partie n’ayant pas donné d’information contraire à ce sujet, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

6.4Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que le grief que les auteurs tirent de l’article 7 du Pacte n’est pas étayé. Le Comité estime toutefois que, compte tenu de sa jurisprudence passée dans des affaires relatives au règlement Dublin II, des réelles difficultés que les auteurs ont rencontrées lors de leur précédent séjour en Italie, du très jeune âge de leurs quatre enfants et des renseignements dont il dispose sur le caractère limité des assurances fournies par les autorités en Italie, il ne saurait considérer que la communication est clairement dénuée de fondement. En conséquence, le Comité déclare la communication recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard de l’article 7 du Pacte, et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note du grief des auteurs selon lequel leur expulsion vers l’Italie avec leurs quatre enfants, en application du principe du premier pays d’asile énoncé dans le Règlement Dublin, les exposerait à un risque de préjudice irréparable contraire à l’article 7 du Pacte. Les auteurs fondent leur argumentation, notamment, sur le traitement qui leur a été effectivement réservé après qu’ils ont obtenu un permis de séjour en Italie et sur les conditions générales d’accueil des demandeurs d’asile et des bénéficiaires d’une protection internationale en Italie, décrites dans de nombreux rapports. Le Comité prend note de l’argument des auteurs selon lequel ils se retrouveraient sans abri, dans la misère et avec un accès limité aux soins de santé, comme l’a montré l’expérience qu’ils ont vécue après avoir obtenu une protection subsidiaire en janvier 2009. Le Comité prend note en outre de l’affirmation des auteurs quant au fait qu’ayant déjà bénéficié du dispositif d’accueil la première fois qu’ils sont arrivés en Italie, et vu qu’ils avaient déjà obtenu une forme de protection, ils n’auraient pas accès à un hébergement dans les centres d’accueil.

7.3Le Comité rappelle le paragraphe 12 de son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il indique que les États parties ont l’obligation de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable tel que celui envisagé à l’article 7 du Pacte, qui interdit les traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Comité a aussi établi qu’un tel risque devait être personnel et qu’il fallait dûment démontrer qu’il y avait des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Le Comité, renvoyant à sa jurisprudence, rappelle qu’un poids important doit être accordé à l’évaluation faite par l’État partie et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte qu’il appartient d’examiner et d’apprécier les faits et les preuves en vue de déterminer l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que l’appréciation en question était manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice.

7.4Le Comité note que, selon les auteurs, après s’être vu accorder une protection subsidiaire, ils se sont retrouvés sans abri, ont vécu avec d’autres réfugiés dans un bâtiment abandonné dépourvu d’installations sanitaires adéquates et où des gens consommaient ouvertement de l’alcool, et n’ont pas pu trouver de travail. Il note également les affirmations des auteurs selon lesquelles F. H. M. a eu de grandes difficultés en matière d’accès à des soins de santé pendant ses grossesses et à la naissance de leurs deux enfants en Italie, et a été rejetée par l’hôpital lorsqu’elle est entrée en travail parce qu’elle n’avait pas de carte d’assurance maladie vu qu’elle n’avait pas d’adresse officielle. Elle n’a pu être admise à l’hôpital que grâce à l’intervention d’une tierce personne qui venait en aide aux réfugiés. Le Comité note également qu’après que les auteurs se sont rendus en Finlande et ont été renvoyés en Italie, les autorités italiennes ne leur ont donné accès ni à un logement, ni à des soins médicaux, ni à des prestations sociales, ni à un programme d’intégration. Le Comité relève qu’en 2012 les auteurs sont allés en Suède, puis au Danemark où ils ont demandé l’asile en août de la même année.

7.5Le Comité prend note des différents rapports soumis par les auteurs. Il relève en outre que des rapports récents ont souligné le manque de places disponibles dans les structures d’accueil en Italie pour les demandeurs d’asile et les personnes renvoyées en application du Règlement Dublin II. Le Comité prend note, en particulier, de l’affirmation des auteurs selon laquelle les personnes renvoyées en Italie qui, comme eux, s’étaient déjà vu accorder une forme de protection et avaient bénéficié des structures d’accueil quand elles se trouvaient dans ce pays ne peuvent prétendre à être hébergées dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile gérés par le Gouvernement.

7.6Le Comité prend note de la conclusion de la Commission de recours des réfugiés selon laquelle l’Italie devrait être considérée en l’espèce comme « premier pays d’asile », ainsi que de la position de l’État partie affirmant que le premier pays d’asile est tenu de fournir aux demandeurs d’asile certaines conditions sociales et économiques conformément aux normes humanitaires fondamentales, mais qu’il n’est pas exigé que ces personnes aient exactement les mêmes conditions sociales et le même niveau de vie que les nationaux du pays d’accueil. Il relève en outre que l’État partie renvoie à une décision de la Cour européenne des droits de l’homme dont il ressort que le fait qu’en cas d’expulsion depuis l’État contractant (le Danemark), les requérants connaîtraient une dégradation importante de leurs conditions de vie matérielles et sociales ne suffit pas en soi à constituer une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

7.7Le Comité rappelle que, lorsqu’ils examinent des recours formés contre des décisions d’expulsion de leur territoire, les États parties devraient accorder un poids suffisant au risque réel et personnel auquel les personnes visées seraient exposées si l’expulsion avait lieu. En particulier, pour apprécier s’il est ou non probable que les personnes expulsées subissent des conditions de vie équivalant à un traitement cruel, inhumain ou dégradant contraire à l’article 7 du Pacte, ils doivent s’appuyer non seulement sur une évaluation de la situation générale dans le pays d’accueil, mais aussi sur la situation personnelle des intéressés. Cela inclut des facteurs d’accroissement de la vulnérabilité propres à ces personnes, qui peuvent transformer une situation générale tolérable pour la plupart des personnes expulsées en une situation intolérable pour certaines d’entre elles. Cela devrait inclure également, dans les affaires relevant du Règlement Dublin II, des informations relatives à l’expérience qu’ont déjà vécue les personnes expulsées dans le premier pays d’asile, pouvant mettre en relief les risques particuliers qu’elles sont susceptibles d’encourir et qui peuvent faire de leur retour dans le premier pays d’asile une expérience particulièrement traumatisante pour elles.

7.8En l’espèce, le Comité considère que la position de l’État partie, telle qu’elle ressort des décisions du Service danois de l’immigration et de la Commission de recours des réfugiés, ne tient pas suffisamment compte de la situation de vulnérabilité particulière des auteurs et de leur famille ni des renseignements fournis par les auteurs, qui sont fondés sur leur expérience personnelle et montrent que, bien qu’ils aient obtenu un permis de séjour en Italie, ils y avaient des conditions de vie intolérables. À ce sujet, le Comité relève que l’État partie n’explique pas comment, en cas de renvoi en Italie, les permis de séjour protégeraient effectivement les auteurs et leurs quatre enfants des difficultés et du dénuement extrêmes qu’ils ont déjà connus dans ce pays.

7.9Le Comité rappelle que les États parties devraient accorder suffisamment de poids au risque réel et personnel qu’une personne pourrait courir si elle était expulsée et estime qu’il incombait à l’État partie de procéder à une évaluation individualisée du risque auquel les auteurs et leurs quatre enfants en bas âge seraient exposés en Italie, plutôt que de se fonder sur des rapports généraux, qui ne vont pas tous dans le sens des conclusions de l’État partie, et sur l’idée que, les auteurs ayant déjà bénéficié d’une protection subsidiaire dans le passé, ils auraient toujours, en principe, droit au logement, au travail et à des prestations sociales en Italie. Le Comité considère que l’État partie n’a pas dûment pris en considération la vulnérabilité particulière des auteurs et de leurs enfants. Nonobstant leur droit formel à une protection subsidiaire en Italie, ils étaient sans domicile fixe, vivaient dans un bâtiment abandonné et n’arrivaient pas à trouver du travail, F.H.M. avait eu de graves difficultés à accéder aux soins de santé pendant sa grossesse et à la naissance de leurs deux enfants en Italie et, après que les auteurs se sont rendus en Finlande et ont été renvoyés en Italie, les autorités italiennes ne leur ont pas offert d’accès à un logement, à des soins médicaux, àdes prestations sociales ou à un programme d’intégration. Le Comité considère que, bien que l’État partie affirme avoir obtenu le consentement des autorités italiennes pour l’admission des auteurs sur le territoire national après l’échec de la tentative d’expulsion des auteurs vers l’Italie le 8 avril 2014, l’État partie n’a pas demandé aux autorités italiennes des assurances suffisantes que les auteurs et leurs quatre enfants seraient pris en charge dans des conditions compatibles avec leur situation de demandeurs d’une protection internationale ayant droit à la protection et aux garanties prévues à l’article 7 du Pacte, en priant l’Italie de s’engager, notamment, à : a) renouveler les permis de séjour des auteurs et de leurs enfants afin qu’ils ne soient pas expulsés d’Italie ; b) délivrer des permis de séjour aux deux enfants les plus jeunes nés au Danemark ; et c) accueillir les auteurs et leurs enfants dans des conditions adaptées à l’âge de ces derniers et à la situation de vulnérabilité de la famille, ce qui leur permettrait de rester en Italie et d’y jouir d’une protection internationale de facto. En conséquence, le Comité considère que, compte tenu des circonstances particulières de l’espèce et des manquements relevés dans les décisions prises par les autorités danoises, l’expulsion des auteurs et de leurs quatre enfants vers l’Italie, sans les assurances susmentionnées, constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que l’expulsion des auteurs et de leurs quatre enfants vers l’Italie, sans les assurances voulues, constituerait une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

9.Conformément au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, selon lequel les États parties s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur juridiction les droits reconnus dans le Pacte, l’État partie est tenu de procéder à un réexamen des griefs des auteurs, compte tenu des obligations mises à sa charge par le Pacte, des présentes constatations et de la nécessité d’obtenir de l’Italie les assurances voulues, décrites au paragraphe 7.9 ci-dessus. L’État partie est de surcroît prié de surseoir à l’expulsion des auteurs et de leurs quatre enfants vers l’Italie tant que leur demande d’asile n’a pas été réexaminée.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans sa langue officielle.