Nations Unies

CCPR/C/119/D/2245/2013

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

23 juin 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2245/2013 * , **

Communication p résentée par :

Purna Maya (représentée par Advocacy Forum Nepal et REDRESS)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Népal

Date de la communication:

19 décembre 2012

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 23 mai 2013 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

17 mars 2017

Objet :

Violences sexuelles infligées par des militaires à une sympathisante maoïste présumée

Questions de procédure :

Épuisement des recours internes

Questions de fond :

Traitement cruel, inhumain et dégradant ; arrestation et détention arbitraires ; discrimination fondée sur le sexe ; recours utiles

Article(s) du Pacte:

2 (par. 1 et 3), 3, 7, 9, 10 (par. 1) et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

5 (par. 2 b))

1.1L’auteure de la communication est Purna Maya, de nationalité népalaise, née en 1969. Elle affirme être victime d’une violation des articles 2 (par. 1 et 3), 3, 7, 9, 10 (par. 1) et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 mai 1991. L’auteure est représentée par un conseil.

1.2Le 2 octobre 2013, en vertu de l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de rejeter la demande de l’État partie qui souhaitait que la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure est née dans le district de Dailekh, dans le centre-ouest du Népal. Elle s’est mariée et a eu une fille, puis la famille est partie s’installer dans le district avoisinant de Jumla. Deux ans après le mariage, le mari de l’auteure a pris une seconde épouse et l’auteure est retournée vivre dans le district de Dailekh avec sa fille.

2.2Lorsque le conflit armé interne entre le Parti communiste népalais (maoïste) et le Gouvernement, appuyé par l’Armée royale népalaise, a démarré, en 1996, l’auteure vivait avec sa fille à Dailekh dans un cabanon également utilisé comme salon de thé. Les maoïstes faisaient régulièrement exploser des bombes dans la forêt à proximité du village dans lequel vivait l’auteure, et des membres de l’Armée royale népalaise se rendaient souvent dans l’échoppe de l’auteure pour savoir si des maoïstes y étaient venus. Ils réprimandaient l’auteure et l’accusaient d’être une « espionne au service des maoïstes ».

2.3.En septembre 2004, J. T., lieutenant dans l’Armée royale népalaise, s’est présenté au domicile de l’auteure et l’a questionnée au sujet de son mari et des liens que celui-ci était soupçonné d’avoir avec les maoïstes. L’auteure a répondu que son mari travaillait dans le district de Jumla et vivait avec sa seconde épouse. On lui a demandé de téléphoner à son mari et de le faire venir à Dailekh dans un délai d’un mois, faute de quoi « elle en subirait les conséquences ». L’auteure a appelé son mari et lui a demandé de venir à Dailekh, sans succès. À trois reprises, des membres de l’Armée royale népalaise sont revenus s’enquérir de l’endroit où se trouvait son mari et l’ont menacée. Chaque fois, J. T. était présent, accompagné de 40 à 60 soldats. Chaque fois, l’auteure a demandé à son mari de venir à Dailekh, en vain.

2.4Le 23 novembre 2004, vers 15 heures, J. T. est entré chez l’auteure, l’a traînée hors de la pièce en l’accusant d’être une maoïste et l’a emmenée à la caserne Bhawani Bakash pour interrogatoire. À l’arrivée à la caserne, on lui a bandé les yeux et on l’a conduite dans une pièce. Un commandant de l’armée l’a interrogée pendant une heure environ au sujet des liens présumés de son mari avec les maoïstes, et elle lui a répondu qu’elle ne savait rien. J. T. l’a ensuite interrogée pendant une heure, puis il s’est énervé et a commencé à l’insulter. L’auteure a essayé de soulever le bandeau qu’elle avait sur les yeux et J. T. l’a alors frappée à l’aide d’un objet indéterminé, la blessant au majeur de la main droite et à l’arcade sourcilière gauche. Il lui a donné des coups de pied avec ses bottes et des coups de poing répétés sur le ventre, dans le dos, aux jambes et aux cuisses. Ensuite, il lui a arraché son sari. L’auteure a demandé un verre d’eau, espérant avoir ainsi une chance de s’enfuir, mais J. T. lui a dit qu’elle n’avait qu’à uriner et boire son urine. Il l’a empoignée, essayant de la violer, mais elle l’a repoussé d’un coup de pied. Il l’a ensuite traînée à travers la pièce et lui a cogné la tête contre la porte ; le front de l’auteure s’est mis à saigner abondamment. J. T. a alors retiré le jupon de l’auteure, l’a tournée face contre terre et l’a violée à deux reprises. Il l’a aussi mordue au nez, à la joue et aux épaules, des morsures qui lui ont laissé des cicatrices indélébiles. Après que J. T. eut quitté la pièce, au moins trois soldats sont entrés et ont violé l’auteure à tour de rôle jusqu’à ce qu’elle perde connaissance. L’auteure a repris conscience. Elle était toujours allongée sur le sol et a entendu la porte s’ouvrir. Elle a réussi à marcher, soutenue par un soldat, jusqu’à la sortie de la caserne. On l’a laissée vers 20 heures devant l’échoppe d’un voisin, pleurant de douleur et incapable de faire un pas de plus ; elle est restée là jusqu’à ce que le propriétaire de l’échoppe arrive et appelle une ambulance pour l’amener à l’hôpital du district de Dailekh.

2.5Le personnel médical de cet hôpital ne parvenant pas à faire cesser les saignements de l’utérus dont souffrait l’auteure, elle a été transférée à l’hôpital du district de Surkhet, où elle est restée une semaine. Les saignements persistant, l’auteure a été orientée vers l’hôpital Lucknow, en Inde. Cependant, l’auteure n’avait pas les moyens financiers de séjourner dans cet hôpital, et ce n’est qu’en septembre 2005, après avoir vendu un lopin de terre dont elle avait hérité de ses parents, qu’elle a pu se rendre en Inde, à l’hôpital Lucknow, et subir une hystérectomie. À la suite de cette intervention elle a contracté une grave infection pour laquelle elle a dû, à son retour d’Inde, être à nouveau hospitalisée à l’hôpital du district de Surkhet pendant dix jours.

2.6Lorsque le mari de l’auteure a appris qu’elle avait été violée, il a cessé de lui verser la pension alimentaire à laquelle sa fille et elle avaient droit. L’auteure souffrant de flashbacks du fait de la proximité du lieu où elle avait été torturée, elle est partie avec sa fille s’installer dans le district de Surkhet, où elles ont d’abord vécu dans une chambre en location puis dans une cabane construite par l’auteure sur un terrain appartenant à son mari.

2.7En mars 2006, l’auteure s’est rendue au Bureau de l’administration du district pour déposer une demande d’indemnisation en tant que personne déplacée. Lorsqu’elle est entrée, J. T. était présent. Elle l’a désigné du doigt et a dénoncé publiquement les tortures et le viol qu’il lui avait fait subir. Un membre du personnel du Bureau a demandé à J. T. pourquoi il avait torturé une personne innocente. L’administrateur en chef du district, présent lui aussi, a fait observer qu’il « n’aurait pas dû la torturer avant de savoir qui elle était », ce à quoi J. T. n’a pas répondu, demeurant silencieux, tête baissée. L’administrateur en chef a alors rédigé une lettre dans laquelle il recommandait l’octroi à l’auteure, en tant que personne déplacée, d’une « indemnisation provisoire ». Cependant, aucune suite n’a été donnée aux allégations de torture.

2.8En novembre 2010, l’auteure a suivi un programme de réadaptation proposé par Advocacy Forum aux femmes ayant subi un préjudice du fait du conflit. Grâce à cette organisation, elle a aussi reçu des soins médicaux et bénéficié d’une prise en charge psychologique. Après six mois de traitement, elle a commencé à se rétablir physiquement et psychologiquement et, faisant part de sa volonté d’engager une action en justice, elle a commencé à recevoir l’assistance de Advocacy Forum à cette fin.

2.9Le 30 septembre 2011, l’auteure a déposé un First Information Report (FIR), c’est‑à‑dire une plainte destinée à déclencher l’ouverture d’une enquête criminelle, auprès du Bureau de la police de district de Dailekh pour viol et autres actes inhumains et dégradants. Dans sa plainte, elle indiquait qu’elle n’avait pas été en mesure de déposer une plainte plus tôt, parce qu’elle n’avait pas pu faire appel à un conseil et qu’elle avait été gravement traumatisée physiquement et psychologiquement par les actes de torture qu’elle avait subis. Le commissaire de police adjoint du Bureau de la police de district a refusé d’enregistrer la plainte de l’auteure, invoquant l’article 11 du chapitre du Muluki Ain (Code général du Népal, de 1962) consacré au viol, qui fixe à trente-cinq jours le délai dans lequel un viol peut être dénoncé. L’auteure s’est alors rendue au Bureau de l’administration de district de Dailekh pour déposer une plainte en vertu de l’article 3 5) de la loi relative aux affaires dans lesquelles l’État est partie (1992), mais ce bureau a confirmé le refus du Bureau de la police de district d’enregistrer la plainte. Les conseils de l’auteure ont rencontré l’administrateur en chef du district en personne, au Bureau de l’administration du district, et l’ont informé de l’affaire. L’administrateur en chef a confirmé oralement les décisions du Bureau de la police de district et du Bureau de l’administration du district.

2.10Le Bureau de l’administration du district ayant refusé d’enregistrer la plainte de l’auteure, le seul recours encore disponible consistait à saisir la Cour suprême. Le 21 décembre 2011, l’auteure a présenté à la Cour suprême une requête, lui demandant de rendre une ordonnance de certiorari et une ordonnance de mandamus en vertu des articles 32 et 107 2) de la Constitution provisoire de 2007, au motif que les refus de la police d’enregistrer sa plainte avaient violé ses droits constitutionnels à l’égalité devant la loi et à la non-discrimination, l’interdiction de la détention arbitraire, l’interdiction de la discrimination à l’égard des femmes et de la violence contre les femmes, le droit d’être traduit devant un juge dans le plus court délai, l’interdiction de soumettre à la torture ou à d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants les personnes privées de liberté, et le droit des victimes de la torture à une indemnisation. L’auteure a demandé à la Cour suprême d’annuler les décisions de refus d’enregistrement de la plainte prises au niveau du district et d’ordonner l’ouverture d’une enquête sur les infractions signalées. Le greffier de la Cour suprême a rejeté la requête de l’auteure au motif que celle-ci n’avait pas cherché à former un autre recours auprès de l’administrateur en chef du district, comme l’exigeait l’article 3 5) de la loi relative aux affaires dans lesquelles l’État est partie (1992). Le 22 janvier 2012, le juge de la Cour suprême Prakash Wasti a rendu une ordonnance entérinant la décision de refus d’enregistrement de la plainte de l’auteure prise par le greffier.

2.11L’auteure affirme qu’elle a épuisé tous les recours internes disponibles. Elle a tenté de déposer une plainte puis a contesté auprès de la Cour suprême le refus d’enregistrer sa plainte qui lui avait été opposé au niveau du district. Le greffier de la Cour suprême a refusé d’enregistrer la requête au motif que l’auteure n’avait pas préalablement saisi l’administrateur en chef du district, alors qu’il était pourtant clairement indiqué la requête que cela avait été fait. En tout état de cause, lorsqu’une infraction devrait faire l’objet d’une enquête d’office, l’État partie concerné doit ouvrir l’enquête dès le moment où il reçoit des informations crédibles portant à croire que l’infraction a effectivement été commise. L’auteure a informé le Bureau de l’administration du district, de la détention arbitraire et des actes de torture dont elle avait été l’objet, en présence de l’administrateur en chef du district et de J. T., qui n’a pas démenti. Cependant, aucune mesure n’a été prise en vue d’enquêter sur ces allégations. De plus, les recours internes sont inopérants et ils n’étaient plus disponibles étant donné que la torture n’est pas criminalisée au Népal ; le délai légal de trente-cinq jours imparti pour la dénonciation d’un viol empêche l’accès à la justice, est contraire aux dispositions du Pacte et ne devrait pas être pris en considération pour déterminer si l’auteure a correctement exercé le recours. En outre, le recours consistant à déposer une plainte de type FIR était inopérant et indisponible dans le cas d’une personne dans la situation de l’auteure, à savoir une personne déplacée gravement traumatisée physiquement et psychologiquement par la torture. Enfin, l’impunité généralisée des crimes commis pendant le conflit au Népal rend inopérants tout recours théoriquement disponible. Pendant le conflit, l’armée et la police étaient placées sous un commandement unifié, ce qui veut dire qu’il était difficile pour les victimes d’une infraction commise par l’armée de dénoncer cette infraction auprès de la police.

2.12L’auteure fait observer que nombre des violences sexuelles, y compris des viols, qui ont été infligées à des femmes et des filles pendant le conflit, tant par des membres de l’Armée royale népalaise que par les maoïstes, n’ont pas été dénoncées, en raison notamment de l’impunité dont jouissent habituellement les auteurs de tels actes, de la stigmatisation à l’égard des victimes inscrite dans la culture, de l’insécurité et de la crainte des représailles, autant d’éléments qui ont dissuadé les victimes de porter plainte. L’auteure souligne que l’État partie n’a pris aucune mesure face aux violations des droits de l’homme, y compris les violences sexuelles, commises pendant le conflit. Pendant le conflit, la Police nationale a systématiquement refusé d’enregistrer les plaintes, arguant qu’il s’agissait d’une question politique. Bien que des plaintes aient été déposées depuis la fin du conflit et que des enquêtes aient été ouvertes au sujet d’homicides commis pendant le conflit, une seule personne a été reconnue coupable à ce jour. Concernant l’infraction de viol, aucune plainte n’a pu être déposée en raison du délai de prescription de trente-cinq jours. Étant donné qu’aucune plainte n’a été enregistrée pendant le conflit, aucune victime de viol ne peut espérer que l’infraction soit poursuivie en vertu de la législation en vigueur. Bien que la Cour suprême ait, à deux reprises, ordonné la révision du délai de prescription applicable à la dénonciation d’un viol en raison de son caractère déraisonnable et irréaliste, ce délai a été maintenu. L’auteure indique que la fréquence des viols s’explique par la tolérance dont l’État fait preuve à l’égard de cette infraction, et par le fait que la plupart des cas ne sont toujours pas dénoncés, parce que la police refuse d’enregistrer les plaintes ou que les victimes sont forcées à trouver un arrangement amiable avec l’auteur.

2.13L’auteure signale que le Gouvernement népalais a versé des indemnités à titre amiable au cas par cas aux victimes de violations des droits de l’homme commises pendant le conflit. Cependant, les victimes de viol et d’autres formes de violence sexuelle sont exclues de cette politique d’indemnisation.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme qu’elle a été victime de tortures physiques et psychologiques, en violation de l’article 7 du Pacte, du fait des actes de violence (bandage des yeux, coups de pied et de poing et viol collectif) qui lui ont été infligés le 23 novembre 2004 dans le but notamment de lui soutirer des informations, de la punir de quelque chose que son mari aurait fait, d’intimider d’autres personnes, et de l’humilier et l’avilir. Le viol était, en soi, indiscutablement un acte de torture. Dans le cas de l’auteure, ces événements ont eu de graves conséquences sur sa vie, touchant à la fois sa santé physique et mentale. L’auteure a toujours des douleurs au dos et à l’abdomen, ainsi que des saignements vaginaux fréquents, et doit se soumettre à des examens médicaux deux fois par mois. On lui a diagnostiqué à la fois un trouble dépressif grave et un syndrome de stress post-traumatique et elle a dû devenir, malgré elle, une personne déplacée. Elle subit l’opprobre d’une partie de la société pour avoir été victime d’un viol et fait face à des difficultés financières parce que son mari, pour la même raison, a cessé de lui verser la pension alimentaire à laquelle elle avait droit pour elle-même et pour sa fille.

3.2L’auteure affirme qu’elle est victime de discrimination fondée sur le sexe, en violation de l’article 2 (par. 1), lu conjointement avec l’article 7 du Pacte. Elle affirme que les faits ont constitué une violation de l’obligation d’assurer des droits égaux aux hommes et aux femmes, garantie par l’article 3 du Pacte. Le viol a été commis à des fins de discrimination fondée sur le sexe. Dès le début, ses agresseurs ont utilisé envers l’auteure des termes à connotation sexuelle dégradants (putain, prostituée, salope). L’auteure fait observer que le viol est une forme de violence sexiste, ce qui signifie qu’il vise notamment, par sa forme et sa finalité, à affirmer ou à perpétuer la domination des hommes sur les femmes. Le viol en réunion était aussi une forme de torture fréquemment utilisée contre les femmes et les filles pendant le conflit armé parce que les agresseurs savaient que, dans le contexte social népalais, il aurait pour les femmes ou les filles concernées des conséquences particulièrement graves.

3.3L’auteure affirme que les violations de l’article 7 dont elle a été victime en détention constituent également des violations de l’article 10 (par. 1) du Pacte. Avoir les yeux bandés pendant deux heures et demi, être torturé et subir des viols répétés de la part d’au moins quatre individus est indiscutablement un traitement contraire au droit des personnes privées de liberté d’être traitées avec humanité.

3.4Selon l’auteure, les menaces répétées dont elle a fait l’objet de la part d’agents de l’État pendant les mois qui ont précédé son arrestation ont constitué une violation du droit à la sécurité de la personne qu’elle tient de l’article 9 (par. 1) du Pacte. De plus, son arrestation et sa détention, le 23 novembre 2004, étaient arbitraires et contraires aux dispositions des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 9 puisqu’elle a été arrêtée sans mandat, n’a pas été informée des accusations portées contre elle, et a été libérée peu après. De surcroît, il était injuste et inapproprié de faire venir entre 40 et 60 soldats armés pour procéder à son arrestation alors qu’elle n’était accusée d’aucune infraction. L’auteure fait également valoir que le fait que le Gouvernement ne lui ait pas accordé une indemnisation en dépit des nombreux recours qu’elle avait introduits constitue une violation de l’article 9 (par. 5) du Pacte.

3.5L’auteure fait observer que, bien que les autorités aient eu connaissance de l’infraction signalée, aucune enquête n’a encore été engagée sur ses allégations de torture et qu’à plusieurs reprises, elle s’est vu refuser un recours devant une autorité judiciaire compétente, en violation de l’article 2 (par. 3) du Pacte.

3.6L’auteure fait valoir en outre que le délai de prescription de trente-cinq jours pour le viol prévu par l’article 11 du Code général de 1962 constitue une atteinte au droit à un recours utile énoncé à l’article 2 (par. 3) du Pacte, lu conjointement avec l’article 7. Ce délai de prescription est déraisonnablement court compte tenu de la gravité et de la nature de l’infraction considérée, du contexte de conflit armé et de la vulnérabilité et de la position de faiblesse des victimes. À l’impossibilité de déposer une plainte pendant le conflit viennent immanquablement s’ajouter d’autres obstacles plus personnels, tels que des sentiments de honte et de culpabilité, la défiance à l’égard du système judiciaire et de la police, la crainte des représailles, le souci de protéger la vie privée et la peur de la stigmatisation. Au Népal, il s’ajoute dans le cas des femmes des obstacles de nature culturelle, aggravés par l’analphabétisme et la pauvreté, qui concourent à rendre extrêmement difficile la dénonciation d’un viol, en particulier dans un si court délai, comme l’a reconnu la Cour suprême népalaise. Compte tenu de l’obligation faite aux États de combattre l’impunité des crimes graves et de leur obligation positive de combattre la violence sexiste, et au vu des difficultés avérées que rencontrent les victimes de viol qui veulent dénoncer ce crime, il est manifeste que le délai de prescription fixé par la législation népalaise est excessivement court et doit être considéré comme un obstacle contrevenant à l’obligation de l’État d’enquêter sur les cas de violence sexiste et de poursuivre les auteurs de tels faits. Afin de s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu du Pacte et de réparer le préjudice causé par les violations commises en l’espèce, l’État partie devrait supprimer tout délai de prescription applicable aux plaintes pour torture, y compris pour viol, pour tenir compte du fait que la torture est reconnue comme une violation d’une norme de jus cogens .

3.7L’auteure fait valoir que le délai de prescription de trente-cinq jours est également contraire aux articles 3 et 26 du Pacte parce qu’il limite l’accès à la justice des victimes d’une infraction visant principalement des femmes, et qu’il a donc pour les femmes des conséquences excessivement lourdes. Un tel délai n’est pas appliqué dans le cas d’infractions comme le meurtre (pour lequel le délai de prescription est de vingt ans), l’adultère (un an), l’incendie volontaire (un an), l’agression entraînant de graves dommages corporels (trois mois), le pillage (trois mois), l’enlèvement (six mois) ou la mise à mort d’une vache (six mois). Il n’y a pas de raison objective ni raisonnable de traiter un crime aussi grave différemment. De plus, l’État partie, en vertu des articles 3 et 26 du Pacte, a l’obligation positive de lutter contre les violences faites aux femmes, notamment contre le viol, qui porte atteinte à la jouissance par les femmes de leurs droits individuels et libertés fondamentales.

3.8En ce qui concerne la réparation, l’auteure prie le Comité de demander à l’État partie de prendre les mesures spécifiques suivantes : a) faire procéder à une enquête approfondie et diligente sur les infractions dont elle a été victime et traduire les auteurs en justice ; b) faire procéder à une enquête approfondie et diligente sur le refus du Bureau de l’administration du district de donner suite à sa plainte ; c) accorder à l’auteure une indemnisation appropriée pour le préjudice financier et non financier qu’elle a subi du fait de la torture − y compris les frais médicaux qu’elle a dû engager pour faire soigner ses blessures (450 000 roupies népalaises, soit environ 5 300 dollars des États-Unis), subir des examens médicaux réguliers et suivre un traitement de psychothérapie −, qui l’a empêchée de disposer d’un revenu suffisant pour elle et sa fille ; d) lui fournir des moyens de réadaptation ; e) faire des excuses publiques au nom du Gouvernement népalais pour les violations qu’elle a subies. L’auteure prie également le Comité de demander que l’État partie prenne les mesures plus générales suivantes : a) supprimer le délai de prescription applicable en matière de viol ; b) réformer la procédure de dépôt de plainte afin de mettre en place des garanties suffisantes contre tout obstacle à l’ouverture d’une enquête criminelle ; c) criminaliser la torture et supprimer les dispositions qui en permettent l’impunité; d) engager un débat national sur la question de la violence sexuelle, afin de faire mieux connaître le problème et d’améliorer le statut des victimes dans la société népalaise ; e) adopter des mesures visant à garantir l’accès des victimes de viol à la justice, notamment en garantissant leur anonymat des victimes et en assurant leur protection au moment du dépôt de la plainte et pendant l’enquête et le procès, en augmentant le nombre de femmes parmi les policiers et les procureurs, en mettant en place dans les hôpitaux des politiques visant à garantir la confidentialité des dossiers médicaux des victimes de violences sexuelles et en accordant une indemnisation provisoire aux personnes qui ont subi des violences sexuelles pendant le conflit.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations en date du 15 août 2013, l’État partie avance que l’auteure n’a pas épuisé les recours internes disponibles via le système de justice pénale et le mécanisme de justice transitionnelle, celui-ci étant la voie appropriée pour obtenir que la lumière soit faite sur les crimes commis durant le conflit armé.

4.2En ce qui concerne le système de justice pénale ordinaire, l’État partie fait observer qu’il n’est pas exceptionnel de fixer un délai pour le dépôt d’une plainte et que l’auteure n’a pas déposé la sienne dans le délai établi et n’a pas suivi la procédure prescrite pour l’infraction de viol. La loi relative à l’indemnisation en cas de torture (1996) dispose que les personnes qui ont été victimes d’actes de torture peuvent présenter une demande d’indemnisation dans un délai de trente-cinq jours suivant la date de la commission de l’acte de torture ou de la remise en liberté, et l’auteure ne s’est pas prévalue de ce recours auprès du tribunal de district.

4.3En ce qui concerne le système de justice transitionnelle, la Constitution provisoire du Népal (2007) fait obligation à l’État d’établir un mécanisme de justice de transition chargé de connaître des violations des droits de l’homme commises pendant le conflit armé. Le 14 mars 2013, le Gouvernement a promulgué le décret no 2069 (2013) portant création de la Commission d’enquête sur les personnes disparues et pour la vérité et la réconciliation, mandatée pour enquêter sur les violations graves liées au conflit, y compris les cas de viol. Cette commission est notamment habilitée à recommander au Procureur général d’engager une action. Ainsi, une fois que la commission aura été mise en place, l’auteure pourra saisir le mécanisme de justice de transition pour obtenir réparation.

4.4L’État partie ajoute que les allégations de l’auteure concernant sa détention et les actes de torture qu’elle a subis ne sont étayées par aucun élément de preuve et que l’affaire n’a été enregistrée par aucune autorité compétente au Népal.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie quant à la recevabilité

5.1Dans ses commentaires en date du 28 août 2013, l’auteure note que l’État partie avance deux arguments contradictoires s’agissant du non-épuisement des recours internes : d’une part, il indique que l’auteure n’a pas exercé les recours dans les délais fixés par la loi et, d’autre part, il signale que dans la mesure où la violation en question est en rapport avec le conflit, c’est au mécanisme de justice transitionnelle, plutôt qu’à la justice pénale ordinaire, qu’il revient d’en connaître.

5.2L’auteure fait observer que le recours au système de justice pénale ordinaire est en l’espèce inutile, d’une part parce que la torture n’est pas érigée en infraction pénale dans le droit népalais et, d’autre part, parce que la loi relative à l’indemnisation en cas de torture (1996), qui prévoit la possibilité de demander des indemnités d’un montant maximum de 100 000 roupies népalaises (soit environ 900 dollars des États-Unis) dans un délai de trente‑cinq jours suivant l’acte de torture ou la remise en liberté, n’est pas un recours utile pour ce type de violations. L’auteure réaffirme que le délai impératif de trente-cinq jours pour le dépôt d’une plainte pour viol est contraire au Pacte parce qu’il revêt un caractère discriminatoire, qu’il est impossible à tenir, qu’il a été jugé inconstitutionnel par la Cour suprême du Népal elle-même, et qu’il est sans aucune commune mesure avec la gravité de l’infraction.

5.3En ce qui concerne le mécanisme de justice de transition établi par le décret no 2069 (2013) portant création de la Commission d’enquête sur les personnes disparues et pour la vérité et la réconciliation, l’auteure fait observer que cette voie de recours excède des délais raisonnables puisque la commission n’a toujours pas été mise en place, et qu’elle n’est pas disponible car la Cour suprême a prononcé le 1er avril 2013 une injonction contre la mise en œuvre du décret. En tout état de cause, ce recours n’est ni utile ni approprié car il s’agit d’un recours non judiciaire sans caractère obligatoire, que la procédure laisse beaucoup à désirer, qu’elle autorise l’amnistie de violations graves des droits de l’homme, qu’elle promeut la réconciliation sans le consentement des victimes, et qu’elle ne reconnaît pas le droit à réparation.

Observations de l’État partie sur le fond

6.Le 27 novembre 2013, l’État partie a indiqué que l’armée népalaise n’avait pas trace de la détention de l’auteure, que le lieutenant mis en cause n’était pas en poste au moment et à l’endroit indiqués dans la communication et que la description physique (corps et visage) qui était donnée dans la communication ne lui correspondait pas.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie quant au fond

7.Dans ses commentaires du 3 février 2014, l’auteure a noté que l’État partie rejetait ses allégations en des termes généraux, sans donner aucune explication sur les enquêtes menées, les personnes interrogées ou les preuves qui auraient été utilisées. En revanche, l’auteure a fourni des témoignages détaillés, des comptes rendus médicaux et des documents légaux à l’appui de ses allégations. De plus, ses allégations ainsi que les éléments de preuve qu’elle fournis concordent avec les violations systématiques commises au Népal pendant le conflit. En conséquence, le Comité, en l’absence de preuves contraires, devrait accorder de l’importance à ses allégations. En tout état de cause, l’argument selon lequel la détention n’a pas été consignée n’est pas valable étant donné que pendant le conflit, l’armée aurait régulièrement enfreint les prescriptions légales relatives à l’arrestation et à la détention. Étant donné que l’auteure a été détenue dans un lieu de détention non officiel (une caserne, où des violations graves des droits de l’homme lui ont été infligées), il n’est pas surprenant que l’on n’ait pas gardé trace de sa détention. Quant à l’argument de l’État partie selon lequel le lieutenant mis en cause n’était pas en poste dans la région au moment des événements, l’auteure note qu’aucune preuve n’a été fournie pour étayer cette affirmation. Elle a fourni, tant à la police qu’au Comité, des éléments de preuve concrets et des témoignages sous serment concernant son arrestation et les tortures qu’elle a subies. L’identité des soldats déployés dans la région à l’époque des faits et des personnes qui commandait ces opérations fait partie des informations dont l’État partie a évidemment connaissance.

Renseignements complémentaires communiqués par les parties

8.Le 4 juillet 2014, l’auteure a fait savoir au Comité que le Parlement avait adopté, le 25 avril 2014, la loi no 2071 (2014) portant création de la Commission d’enquête sur les personnes disparues et pour la vérité et la réconciliation. La loi vise tous les cas de violations graves des droits de l’homme commises dans le cadre du conflit. Deux analyses, conduites l’une par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme et l’autre par un groupe de trois organisations non gouvernementales (Advocacy Forum, REDRESS et TRIAL), ont montré que cette loi est incompatible avec le Pacte, notamment parce qu’elle : a) autorise des mesures d’amnistie pour des violations graves des droits de l’homme ; b) donne aux autorités le pouvoir discrétionnaire d’ouvrir ou non une enquête criminelle sur des violations ; c) ne reconnaît pas le droit des victimes à réparation ; d) ne garantit pas suffisamment l’indépendance et l’impartialité de la Commission. Bien que l’infraction de viol soit exclue du champ d’application de la disposition prévoyant l’amnistie, une procédure de réconciliation entre victime et auteur(s) de cette infraction peut être menée sans le consentement de la victime, excluant alors toute possibilité de poursuites. Les autres violations dénoncées par l’auteure, c’est-à-dire la détention arbitraire et la torture, sont susceptibles d’amnistie.

9.Le 7 juillet 2014 et le 11 décembre 2014, l’État partie a signalé qu’il avait entrepris d’établir un mécanisme de justice transitionnelle et qu’il était pleinement déterminé à faire procéder à une enquête approfondie sur la présente affaire au moyen de ce mécanisme. L’État partie a informé le Comité de la mise en place de divers programmes et politiques d’aide, de réadaptation et de réinsertion en faveur des victimes du conflit. La loi portant création de la Commission d’enquête sur les personnes disparues et pour la vérité et la réconciliation est en cours d’examen par la Cour suprême. Elle ne prévoit pas d’amnistie générale mais définit précisément les conditions dans lesquelles une amnistie peut être accordée et prévoit l’obligation pour la Commission de tenir d’étroites consultations avec la victime avant d’accorder une amnistie. Les commissions créées par la loi jouissent d’une pleine indépendance structurelle et fonctionnelle et ne peuvent pas procéder à une réconciliation sans le consentement des victimes.

10.1Le 17 mars 2015, l’auteure a indiqué que, le 26 février 2015, la Cour suprême avait estimé que la loi portant création de la Commission d’enquête sur les personnes disparues et pour la vérité et la réconciliation était contraire à la Constitution provisoire et au droit international. La Cour a annulé l’article 26 relatif à l’amnistie et précisé que la réconciliation ne pouvait avoir lieu qu’avec l’accord de la victime.

10.2L’auteure fait observer que la mise en place de programmes et de politiques d’aide aux victimes ne saurait être considérée comme constituant un recours utile contre des violations graves des droits de l’homme.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

11.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

11.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

11.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que les recours internes n’ont pas été épuisés parce que, d’une part, l’auteure n’a pas saisi le mécanisme de justice transitionnelle établi par la loi portant création de la Commission d’enquête sur les personnes disparues et pour la vérité et la réconciliation adoptée le 25 avril 2014 et, d’autre part, elle n’a pas déposé de plainte pénale pour viol ni de demande d’indemnisation pour torture dans le délai légal.

11.4S’agissant du mécanisme de justice transitionnelle, le Comité prend note de l’argument de l’auteure qui objecte que ce mécanisme n’est pas disponible car la Commission vérité et réconciliation n’a pas encore été établie, et qu’il ne constitue pas un recours utile du fait de son caractère non contraignant et des nombreuses failles constatées entre autres par la Cour suprême elle-même, qui a estimé que la loi portant création de la Commission d’enquête sur les personnes disparues et pour la vérité et la réconciliation était inconstitutionnelle et contraire au droit international. Le Comité rappelle également sa jurisprudence, dont il ressort qu’il n’est pas nécessaire d’épuiser toutes les voies de recours devant des organes non judiciaires pour satisfaire à la condition énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité considère que la Commission établie par la loi susmentionnée ne constituerait pas un recours utile pour l’auteure.

11.5En ce qui concerne les recours offerts par le système de justice pénale, le Comité relève que l’auteure a présenté une plainte (FIR) pour viol et autres actes inhumains et dégradants après du Bureau de la police du district, qui l’a rejetée au motif du dépassement du délai de prescription de trente-cinq jours, et qu’elle a introduit plusieurs recours contre cette décision et a même saisi la Cour suprême. Le Comité note que l’auteure a expliqué tant dans sa plainte que dans la communication soumise au Comité qu’elle n’avait pas été en mesure de déposer plainte dans le délai légal parce qu’elle avait été gravement traumatisée physiquement et psychologiquement par les actes de torture qu’elle avait subis et qu’elle n’avait pas bénéficié d’une aide juridique. Au vu des obstacles juridiques et pratiques que rencontrent les victimes qui veulent déposer une plainte pour viol dans l’État partie, et compte tenu des efforts déployés par l’auteure pour déposer une telle plainte, le Comité considère que ce recours n’était ni utile ni disponible dans le cas de l’auteure.

11.6En ce qui concerne le recours prévu par la loi relative à l’indemnisation en cas de torture (1996), le Comité rappelle que l’indemnisation pour des infractions aussi graves que celles dénoncées en l’espèce ne saurait se substituer à l’obligation qui incombe aux autorités de l’État d’enquêter et de poursuivre les auteurs présumés. Il relève aussi que les demandes d’indemnisation faites à ce titre sont limitées à un montant maximum de 100 000 roupies népalaises et sont soumises à un délai de prescription de trente-cinq jours. Le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort que le délai légal de trente-cinq jours imparti pour le dépôt d’une plainte au titre de la loi relative à l’indemnisation en cas de torture est clairement sans commune mesure avec la gravité de l’infraction. Il estime donc que ce recours n’était lui aussi ni utile ni disponible dans le cas de l’auteure. Par conséquent, le Comité conclut qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la communication.

11.7Tous les autres critères de recevabilité étant satisfaits, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

12.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

12.2Le Comité prend note des allégations de l’auteure, qui affirme que le 23 novembre 2004, alors qu’elle était détenue dans une caserne militaire, des membres de l’Armée royale népalaise lui ont infligé un viol collectif et d’autres formes de torture dans le but de lui soutirer des informations sur le soutien présumé de son mari aux maoïstes, de la punir, de l’intimider et d’intimider d’autres personnes, et de l’humilier et l’avilir. L’État partie n’a pas contesté ces allégations mais s’est contenté d’affirmer qu’elles n’étaient étayées par aucune preuve. Le Comité rappelle que la charge de la preuve ne saurait incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours également accès aux éléments de preuve et que souvent, l’État partie est le seul à disposer des renseignements nécessaires. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte formulées contre lui et ses représentants et de communiquer au Comité les renseignements qu’il détient. Dans les cas où les allégations sont corroborées par des éléments crédibles soumis par l’auteur et où tout autre éclaircissement dépend d’informations que détient uniquement l’État partie, le Comité peut considérer que les allégations de l’auteur sont étayées lorsque l’État partie n’a pas fourni de preuves ou d’explications satisfaisantes démontrant le contraire. Au vu de la description détaillée et cohérente que l’auteure a faite du viol collectif et des autres actes de torture qu’elle a subis, qui est corroborée par les comptes rendus médicaux qu’elle a fournis et cadre avec les violations systématiques décrites par plusieurs sources intergouvernementales et non gouvernementales, y compris les violences sexuelles infligées à des femmes soupçonnées d’être maoïstes ou sympathisantes maoïstes dans le cadre d’interrogatoires menés par les forces de sécurité népalaises pendant le conflit interne, et en l’absence d’explications de l’État partie à cet égard, il convient d’accorder tout le poids voulu aux allégations de l’auteure. Le Comité note également que malgré les nombreux recours introduits par l’auteure, l’État partie n’a ouvert aucune enquête sur ses allégations de torture.

12.3Le Comité considère que le viol collectif et les autres actes de torture que l’auteure a subis de la part de membres de l’Armée royale NÉPALAISE alors qu’elle était en détention et le fait qu’il n’y ait pas eu d’enquête sur ses allégations ni de poursuites et qu’aucune réparation ne lui ait été accordée ont constitué des violations des droits que l’auteure tient de l’article 7, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte.

12.4Le Comité prend note en outre de l’argument de l’auteure, qui n’a pas été contesté, selon lequel le viol collectif qu’elle a subi a été commis à des fins discriminatoires, comme en témoignent les termes employés à son égard et la manière dont elle a été traitée ainsi que le recours généralisé au viol collectif pendant le conflit du fait des lourdes conséquences que cette pratique a pour les femmes qui en sont victimes dans la société népalaise (voir par. 2.12, 2.13 et 3.2 ci-dessus). Le Comité rappelle que les femmes sont particulièrement vulnérables en période de conflit armé interne ou international et que, dans de telles circonstances, les États doivent prendre toutes les mesures voulues pour les protéger contre le viol, l’enlèvement et toutes autres formes de violence fondée sur le sexe. Au vu du contexte dans lequel s’est produit le viol dont l’auteure a été victime (voir par. 2.4), ainsi que du complet manquement de l’État partie à l’obligation d’enquêter sur de tels crimes et d’en établir les responsabilités, le Comité considère que l’État partie a violé le droit de ne pas faire l’objet de discrimination sexiste que l’auteure tient des articles 2 (par. 1) et 3 lus conjointement avec les articles 7 et 26 du Pacte.

12.5Le Comité relève en outre que les motifs invoqués par les autorités népalaises pour refuser d’enregistrer la plainte de l’auteure étaient fondés sur le délai de prescription de trente-cinq jours prévu par la législation nationale pour le dépôt d’une plainte pour viol. Le Comité considère qu’un délai aussi déraisonnablement court pour le dépôt d’une plainte pour viol est clairement sans commune mesure avec la nature de l’infraction et a des conséquences excessivement lourdes pour les victimes, qui sont majoritairement des femmes. Par conséquent, le Comité conclut que le délai de prescription de trente-cinq jours prévu par la législation népalaise pour le dépôt d’une plainte pour viol a empêché l’auteure d’accéder à la justice et constitue une violation de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec les articles 7 et 26 du Pacte.

12.6Au vu de ce qui précède, le Comité décide qu’il n’examinera pas séparément les griefs tirés par l’auteure de l’article 10 (par. 1) du Pacte.

12.7Le Comité prend note des griefs tirés des paragraphes 1, 2, 3 et 5 de l’article 9 par l’auteure, qui affirme qu’elle a été constamment menacée et harcelée par des membres de l’Armée royale népalaise, qu’elle a été détenue sans mandat par un groupe constitué de nombreux soldats, sans être informée des accusations portées contre elle, qu’elle a été enfermée dans une caserne militaire durant plusieurs heures avant d’être remise en liberté, et qu’elle n’a jamais reçu d’indemnisation pour cette détention malgré les nombreux recours qu’elle a introduits à ce sujet. L’État partie a indiqué qu’il n’existait pas de trace de la détention de l’auteure mais n’a pas fourni d’explications pour réfuter les allégations de celle-ci ni mené les enquêtes nécessaires sur ces allégations. Le Comité estime que l’auteure a soumis un dossier crédible sur sa détention, et qu’exiger des personnes qui ont été victimes d’une détention arbitraire et illégale qu’elles en apportent la preuve écrite reviendrait à demander une probatio diabolica (preuve impossible). Il considère que c’est à l’État partie qu’il incombe de réfuter les éléments de preuve fournis par l’auteure. Par conséquent, le Comité considère que la détention de l’auteure par des membres de l’Armée royale népalaise dans le contexte du conflit interne et le fait que l’État partie n’ait pas indemnisé l’auteure constituent une violation des droits que celle-ci tient de l’article 9 du Pacte.

13.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3), des articles 2 (par. 1) et 3 lus conjointement avec l’article 7, de l’article 26, de l’article 2 (par. 3) lu conjointement avec les articles 7 et 26 et de l’article 9.

14.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile. Cela signifie qu’il doit accorder une réparation complète aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est notamment tenu : a) de mener une enquête approfondie et diligente sur les faits décrits par l’auteure, en particulier sur le traitement qu’elle a subi le 23 novembre 2004 ; b) de poursuivre en justice les auteurs de la détention arbitraire, des actes de torture et de harcèlement dont elle a été victime et, s’ils sont reconnus coupables, de les condamner à des peines appropriées, et de rendre publics les résultats des mesures prises à cet effet ; c) d’indemniser l’auteure de manière adéquate et de prendre des mesures de satisfaction appropriées en sa faveur pour les violations subies, notamment pour les frais médicaux qu’elle a engagés pour faire soigner les blessures résultant de la torture ; d) de veiller à ce que l’auteure bénéficie des mesures de réadaptation psychologique et du traitement médical nécessaires. L’État partie est également tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent.

15.À cet égard, et conformément aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 2 (par. 2) du Pacte, l’État partie devrait : a) supprimer le délai de trente-cinq jours imparti pour le dépôt d’une plainte pour viol ; b) lever les obstacles qui empêchent les victimes de viol de déposer plainte et d’accéder à la justice, notamment en garantissant leur anonymat et leur protection au moment du dépôt de la plainte ainsi qu’au long de l’enquête et la procédure, en augmentant le nombre de femmes parmi les policiers et les procureurs, en établissant des politiques visant à garantir dans les hôpitaux la confidentialité des dossiers des victimes de violences sexuelles, et en accordant une indemnisation provisoire aux personnes qui ont subi des violences sexuelles pendant le conflit ; c) criminaliser la torture et supprimer de la législation les dispositions qui assurent l’impunité de ce crime ; d) engager un dialogue national sur la question des violences sexuelles afin de faire mieux connaître le problème et d’améliorer le statut des victimes dans la société népalaise ; e) mener des campagnes de formation et de sensibilisation à la question de la violence à l’égard des femmes et assurer une protection appropriée aux victimes.

16.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est également invité à rendre celles-ci publiques, à les faire traduire dans sa langue officielle et à les diffuser largement.

Annexe

Opinion individuelle (concordante) d’Anja Seibert-Fohr

1.Je souscris à la conclusion du Comité selon laquelle l’État partie a violé les droits que l’auteure tient des articles 7, 9 et 26 du Pacte. J’écris séparément afin d’expliquer sur quelle base le Comité a constaté que le refus de l’État partie de faire procéder à une enquête sur le viol collectif constituait une violation du droit à un recours utile (voir par. 12.5 de la communication).

2.Selon le paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, chaque État partie s'engage à garantir que toute personne dont les droits et libertés auront été violés disposera d'un recours utile. Dans son observation générale no 20, le Comité a expliqué que les plaintes pour de mauvais traitements prohibés par l’article 7 « doivent faire l’objet d’enquêtes rapides et impartiales des autorités compétentes pour rendre les recours efficaces ». Ainsi, le Comité a reconnu dans Maharjan c. Népal que le délai de prescription de trente-cinq jours à partir de l’acte de torture ou de la date de la remise en liberté, imposé par la loi de l’État partie sur l’indemnisation en cas de torture, était sans commune mesure avec la gravité de l’infraction.

3.D’après l’affirmation de l’auteure, qui n’a pas été contestée, l’État partie prévoit également un délai de prescription de trente-cinq jours pour le signalement d’un viol, à l’article 11 du chapitre du Muluki Ain relatif au viol. Ce délai est tout aussi déraisonnablement court compte tenu de la gravité de l’infraction et du traumatisme qu’engendre le viol pour les personnes qui en sont victimes. Il constitue donc une violation du droit à un recours utile contre tout mauvais traitement prohibé à l’article 7. On voit mal comment le délai de prescription de trente-cinq jours, applicable à la torture comme au viol et quel que soit le sexe de la victime, pourrait constituer également une discrimination fondée sur le sexe, mais son application dans le cas de l’auteure constitue clairement une violation de son droit à un recours utile contre le viol collectif qu’elle a subi, dont le Comité a constaté qu’il constituait une violation de ses droits au titre de l’article 26.

4.En d’autres termes, ce n’est pas l’effet négatif disproportionné du délai de prescription en général (tel que relevé au paragraphe 12.5) qui a engendré une violation des droits que l’auteure tient de l’article 2 (par. 3) lu conjointement avec l’article 26, mais le refus des autorités d’enquêter sur les infractions motivées par le sexe dont l’auteure a été victime (voir par. 12.4). Après tout, le délai excessivement court dont il est question s’applique également dans le cas d’autres infractions graves que le viol, et il est donc difficile de l’assimiler à une discrimination fondée sur le sexe.

5.La constatation d’une violation en l’espèce ne devrait donc pas porter à croire que les effets disproportionnés de la législation suffisent pour que les lois soient elles-mêmes contraires à l’article 26, lu seul ou conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte. Une telle conclusion serait non seulement prématurée mais également inutile, étant donné qu’en l’espèce le refus d’enquêter sur les allégations de l’auteure constitue clairement une violation de l’article 26, lu seul ou conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte. C’est pourquoi il serait plus avisé que le Comité se concentre sur le cas de chaque victime plutôt que de faire des déclarations générales manquant de consistance et dépourvues de la force de persuasion voulue.