Nations Unies

CCPR/C/117/D/2464/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

16 septembre 2016

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communicationno 2464/2014 * , **

Communication présentée par :

A. A. S. (représenté par un conseil, Helle Holm Thomsen)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Danemark

Date de la communication :

2 octobre 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 7 octobre 2014 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations:

4 juillet 2016

Objet :

Expulsion vers la Somalie

Question ( s ) de procédure :

Griefs non étayés

Question ( s ) de fond :

Torture, peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; non-refoulement

Article ( s ) du Pacte :

7

Article ( s ) du Protocole facultatif :

2

1.1L’auteur de la communication est A. A. S., de nationalité somalienne et originaire de Mogadiscio, né en 1986. Il est sous le coup d’une mesure d’expulsion vers la Somalie, à la suite du rejet de sa demande d’asile au Danemark. Il affirme que le Danemark, en l’expulsant vers la Somalie, violerait les droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 7 octobre 2014, en application de l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires de protection, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers la Somalie tant que la communication serait à l’examen. L’État partie a accédé à cette demande.

1.3Le 29 janvier 2016, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires de protection, a rejeté la demande de levée des mesures provisoires formulée par l’État partie.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En 1992, à l’âge de 5 ans, l’auteur a quitté la Somalie avec sa famille en raison de la guerre civile qui sévissait dans le pays. Il a vécu au Yémen avec sa famille jusqu’en septembre 2011, date à laquelle, avec son frère, M. A., il a quitté ce pays pour la Grèce en raison d’un conflit avec une cellule de résistance appelée Balatika, qui pourchassait les Somaliens et s’opposait aux autorités yéménites. Ils sont arrivés en Grèce par bateau depuis la Turquie le 2 octobre 2011. L’auteur a été arrêté à son arrivée, ses empreintes digitales ont été relevées, puis il a été remis en liberté, muni « d’un document » lui ordonnant de quitter la Grèce dans un délai d’un mois. Le 26 septembre 2012, l’auteur a été arrêté et emprisonné en Grèce. Il a contracté la tuberculose et a reçu un traitement à l’hôpital pendant environ huit mois. Le 26 septembre 2012, date de l’arrestation de l’auteur, le frère de celui-ci a quitté la Grèce, est entré au Danemark et a demandé l’asile. Le 20 mars 2013, le frère de l’auteur s’est vu accorder le statut de personne protégée par le Service danois de l’immigration en vertu de l’article 7 (par. 2) de la loi relative aux étrangers.

2.2L’auteur est entré au Danemark le 24 août 2013, sans document de voyage valide. Il s’est rendu à Copenhague en avion depuis l’Italie, et a été arrêté à l’aéroport parce qu’il avait un faux passeport italien. La photo dans le passeport était celle de l’auteur mais le passeport avait été délivré au nom d’un tiers. L’auteur a été détenu pendant quatre jours, puis a été remis en liberté. Il a déposé une demande d’asile le 29 août 2013. Il a motivé sa demande par la crainte que lui inspiraient les conditions générales de sécurité dans lesquelles il se trouverait en cas de retour en Somalie. L’auteur a mentionné le fait qu’il n’avait pas de réseau familial à Mogadiscio. Il a également déclaré que son père lui avait dit qu’il ne pouvait pas rentrer en Somalie, sans en expliquer la raison. Il a appris par la suite que sa famille avait fui Mogadiscio parce qu’elle appartenait à un clan minoritaire opprimé, le clan Bagadi. Pendant la guerre civile en Somalie, les grands clans avaient opprimé les clans minoritaires dans le pays. Deux des oncles paternels de l’auteur, dont l’un était pilote et l’autre avocat, avaient été tués. En raison du nettoyage ethnique dont le clan Bagadi faisait l’objet, la famille élargie de l’auteur avait décidé de fuir la Somalie et s’était dispersée en chemin, la famille de ses parents se retrouvant finalement au Yémen.

2.3Le 19 mars 2014, le Service danois de l’immigration a rejeté la demande de permis de séjour déposée par l’auteur au titre de l’article 7 de la loi relative aux étrangers. Le 4 septembre 2014, la Commission de recours des réfugiés a confirmé la décision du Service danois de l’immigration. Le frère de l’auteur et sa tante paternelle, qui vit au Danemark, ont tous deux témoigné au cours de la procédure. Si la Commission a considéré comme établis les faits relatés par l’auteur dans sa déclaration, la majorité de ses membres ont conclu que la situation personnelle invoquée par l’auteur, notamment ses compétences linguistiques, son appartenance clanique et l’absence de réseau social, n’étaient pas de nature à justifier la délivrance d’un permis de séjour au titre de l’article 7 de la loi relative aux étrangers. Le fait que sa famille avait dû quitter la Somalie en 1992 en raison de ses liens avec Siad Barre ne saurait modifier l’appréciation faite. La majorité des membres de la Commission ont souligné que les faits remontaient à longtemps et que l’auteur ne semblait pas être une personne en vue. La majorité des membres de la Commission ont également fait observer que la situation générale en Somalie, y compris à Mogadiscio, ne saurait justifier à elle seule la délivrance d’un titre de séjour en vertu de l’article 7. En conséquence, la majorité des membres de la Commission ont conclu que l’auteur n’avait pas démontré que les conditions énoncées à l’article 7 de la loi relative aux étrangers étaient remplies. L’auteur dit avoir épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son renvoi forcé en Somalie constituerait une violation de l’article 7 du Pacte car il courrait le risque d’être soumis à la torture et à des traitements inhumains ou dégradants. Il affirme également qu’il doit être considéré comme appartenant à un groupe social particulier au sens de l’article premier (sect. A, par. 2) de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, car il appartient au clan minoritaire Bagadi. Il fait référence à la déclaration faite par sa tante à la Commission de recours des réfugiés, selon laquelle sa famille avait fui leur village en Somalie pour aller à Mogadiscio parce qu’ils étaient opprimés par le clan Al‑Hawiye, qui était dominant dans la région. Cette déclaration cadre avec les informations générales figurant dans le rapport de l’Austrian Centre for Country of Origin & Asylum Research and Documentation (ACCORD) sur les clans somaliens, publié en 2009. Selon ce rapport, le clan Bagadi, qui est lié au clan Digil et appartient au groupe Rahanweyn, est politiquement opprimé en Somalie.

3.2L’auteur affirme qu’il n’a plus de famille en Somalie. Il renvoie en outre à un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) sur la Somalie et affirme que, sans un réseau d’appui, il est très difficile de survivre à Mogadiscio pour les personnes appartenant à des clans minoritaires et les nouveaux venus − les « Somaliens étrangers ». Il affirme qu’il ne saurait pas comment se comporter et se débrouiller dans le pays, qu’il a fui à l’âge de 5 ans.

3.3L’auteur affirme en outre qu’en cas de retour en Somalie il serait considéré comme une personne déplacée à l’intérieur de son propre pays. Faisant référence à un rapport publié par le Service danois de l’immigration et l’organisation Landinfo en janvier 2013, il ajoute que les enfants et les jeunes déplacés sont considérés comme les groupes les plus vulnérables à Mogadiscio en ce qui concerne la malnutrition et l’absence de soins médicaux. À cet égard, il fait observer qu’il a contracté la tuberculose pendant son séjour en Grèce, qu’il y a été traité pendant huit mois, et qu’en l’absence de véritable suivi la maladie risquerait de se réactiver. Il affirme enfin qu’en cas de retour à Mogadiscio, il risquerait d’être enrôlé de force par les Chabab.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note en date du 7 avril 2015, l’État partie fait valoir que le requérant n’a pas établi qu’à première vue sa communication était recevable. Par conséquent celle-ci est manifestement dénuée de fondement et devrait être considérée comme irrecevable. Dans l’éventualité où le Comité déclarerait la communication recevable, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas suffisamment démontré que son renvoi en Somalie constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

4.2L’État partie décrit la structure et les compétences de la Commission de recours des réfugiés. La Commission est un organe quasi juridictionnel indépendant qui est considéré comme un tribunal au sens de l’article 39 de la directive du Conseil de l’Union européenne relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (2005/85/CE). Les décisions de la Commission sont définitives. Les étrangers peuvent toutefois faire appel devant les juridictions ordinaires, qui sont habilitées à trancher toute question concernant les limites des compétences d’une autorité publique. Comme l’a déterminé la Cour suprême, l’examen par les tribunaux ordinaires des décisions de la Commission de recours des réfugiés porte uniquement sur des points de droit, et l’appréciation des éléments de preuve par la Commission n’est pas susceptible de réexamen.

4.3L’article 7 (par. 1) de la loi relative aux étrangers dispose qu’un permis de séjour peut être accordé à un étranger si sa situation relève des dispositions de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. L’article 7 (par. 1) reprend les dispositions de l’article premier (sect. A) de la Convention, de sorte qu’en principe, les réfugiés ont légalement droit à un permis de séjour. Un permis de séjour est délivré sur demande à un étranger si celui-ci risque d’être condamné à mort ou d’être soumis à la torture ou à d’autres formes graves de peines ou de mauvais traitements en cas de renvoi dans son pays d’origine. Le paragraphe 2 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers est très proche de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et, d’après les notes explicatives qui l’accompagnent, les autorités d’immigration doivent, dans l’application de cette disposition, suivre la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière et se conformer aux obligations internationales de l’État partie. Dans la pratique, la Commission de recours des réfugiés considère généralement que les conditions de délivrance d’un permis de séjour sont remplies lorsque des facteurs spécifiques et individuels montrent que le demandeur d’asile serait exposé, s’il était renvoyé dans son pays d’origine, à un risque réel d’être condamné à mort ou de subir des mauvais traitements. De plus, en application du paragraphe 1 de l’article 31 de la loi relative aux étrangers, un étranger ne peut pas être renvoyé dans un pays où il courrait le risque d’être condamné à la peine de mort ou d’être soumis à des formes graves de mauvais traitement, ou dans un pays où il ne serait pas protégé contre le renvoi dans un tel pays (principe de non-refoulement). Cette obligation est absolue et protège tous les étrangers.

4.4La Commission de recours des réfugiés commet gratuitement un conseil à tous les demandeurs d’asile et l’ensemble du dossier est transmis au conseil suffisamment tôt avant l’audition. La procédure devant la Commission se déroule oralement et en présence notamment du demandeur d’asile et de son conseil, ainsi que d’un interprète. Pendant l’audition, le demandeur d’asile peut faire une déclaration et répondre à des questions. Après les déclarations finales du conseil et du représentant du Service danois de l’immigration, le demandeur d’asile peut faire une dernière déclaration. La décision de la Commission est, en principe, communiquée au demandeur immédiatement après l’audition et, à cette occasion, le président de l’audition explique brièvement les motifs de la décision. L’État partie fait observer que les décisions de la Commission de recours des réfugiés sont fondées sur une évaluation spécifique et individuelle du dossier et que les motifs du demandeur d’asile sont évalués à la lumière de tous les éléments de preuve pertinents, y compris des informations générales sur la situation dans le pays d’origine. Le demandeur d’asile doit fournir tous les renseignements requis afin que les autorités puissent établir s’il relève de l’article 7 de la loi relative aux étrangers, et c’est donc à lui qu’il incombe de démontrer que les conditions nécessaires pour lui accorder l’asile sont remplies.

4.5La Commission de recours des étrangers est notamment saisie des déclarations faites par le demandeur d’asile lui-même à la police et au Service danois de l’immigration. Ces renseignements figurent dans : les rapports de police établis à l’occasion de l’entrée du demandeur d’asile sur le territoire ou de la demande d’asile ; les rapports de l’examen préliminaire de la demande d’asile réalisé par le Service danois de l’immigration ; le formulaire de renseignements sur la famille rempli par le demandeur d’asile dans sa langue maternelle ou dans une autre langue qu’il maîtrise ; les rapports des entretiens conduits ultérieurement par le Service danois de l’immigration. La Commission peut aussi entendre des témoins. Si les déclarations du demandeur d’asile semblent cohérentes et concordantes, la Commission accepte en principe de considérer les faits présentés comme établis, mais si les déclarations qu’il a faites tout au long de la procédure comportent des incohérences, elle tentera d’en éclaircir les raisons. Des déclarations divergentes concernant des points déterminants des motifs pour lesquels l’intéressé demande l’asile peuvent toutefois ébranler sa crédibilité. En cas de doute sur la crédibilité du demandeur d’asile, la Commission évalue toujours la mesure dans laquelle le principe du bénéfice du doute peut être appliqué. Elle dispose en outre de données provenant de différentes sources, notamment du Conseil danois des réfugiés, d’autres gouvernements, du HCR et d’organisations telles qu’Amnesty International ou Human Rights Watch.

4.6L’État partie rappelle ensuite les faits sur lesquels est fondée la présente communication et fait référence à la décision de la Commission de recours des réfugiés en date du 4 septembre 2014. L’État partie relève que la communication soumise par l’auteur au Comité n’apporte pas d’information nouvelle et précise sur sa situation. Tous les rapports généraux auxquels l’auteur se réfère étaient connus de la Commission de recours des réfugiés à la date de la dernière décision qu’elle a rendue concernant ce cas et ont été pris en compte dans l’examen du dossier. La Commission a accepté la déclaration de l’auteur concernant la raison de son départ de la Somalie en 1992 comme un fait établi, mais a conclu que sa situation personnelle ne justifiait pas l’octroi de l’asile ou du statut de personne protégée en vertu de l’article 7 de la loi relative aux étrangers. Elle a également conclu que l’auteur ne courrait pas actuellement le risque d’être soumis, en cas de retour en Somalie, à des persécutions justifiant de lui accorder l’asile. L’État partie souligne à ce propos que l’appréciation de la question de savoir si un étranger risquerait, s’il était renvoyé dans son pays d’origine, d’être victime de persécutions ou de mauvais traitements qui justifieraient de lui accorder l’asile se fait à la lumière des informations disponibles au moment de la prise de décisions.

4.7D’après les informations générales disponibles, la situation à Mogadiscio à l’heure actuelle n’est pas de telle nature que l’on puisse considérer que toute personne retournant à Mogadiscio ou dans les environs courrait un risque réel d’être soumise à des mauvais traitements, en violation de l’article 7 (par. 2) de la loi relative aux étrangers et de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, du seul fait de sa présence dans cette zone.

4.8Tout comme la Commission de recours des réfugiés, l’État partie ne peut pas accepter comme un fait établi qu’actuellement l’auteur risquerait d’être soumis à la torture et à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Somalie, en raison de son appartenance clanique. Il ressort des informations générales disponibles que l’appartenance clanique ne joue plus le même rôle qu’auparavant à Mogadiscio et que personne ne risque d’y être agressé ou persécuté du seul fait de son appartenance clanique. En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur selon laquelle, en cas de retour à Mogadiscio, il n’aurait aucune protection de son clan parce qu’il appartenait au clan Bagadi, l’État partie estime qu’elle ne saurait modifier l’appréciation faite. D’après les informations générales mentionnées plus haut, la protection des personnes ne dépend plus de leur appartenance clanique.

4.9Le fait que la famille de l’auteur, avant son départ de la Somalie en 1992, était perçue comme appuyant Siad Barre en raison de son appartenance clanique ne saurait conduire à une conclusion différente, pas plus que l’allégation de l’auteur selon laquelle des meurtres continuent d’être commis à titre de vengeance. Les conflits de la famille de l’auteur avec des personnes s’opposant à Siad Barre et à ses partisans remontent à très longtemps et l’auteur n’a pas été personnellement impliqué dans les conflits précédents qu’a eus sa famille, de sorte qu’il ne semble pas avoir attiré l’attention sur lui dans le cadre de ces conflits. L’auteur a déclaré lors de l’audience devant la Commission de recours des réfugiés, le 4 septembre 2014, que son père n’avait jamais discuté avec lui des conflits qu’avait eus sa famille en Somalie, y compris des liens étroits de sa famille avec Siad Barre, et il a également déclaré qu’il n’avait aucune connaissance approfondie de la Somalie, notamment de la situation politique dans le pays.

4.10Pour ce qui est de la déclaration de l’auteur concernant sa situation personnelle, notamment le fait qu’il n’a pas de famille ni de réseau social en Somalie et qu’il ne sait rien de la société et des traditions somaliennes, l’État partie fait observer que cela ne justifie pas en soi l’octroi de l’asile.

4.11L’État partie ne peut pas accepter comme un fait établi que l’auteur serait considéré comme une personne déplacée dans son propre pays en cas de retour en Somalie. Il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport d’entretien établi par le Service danois de l’immigration le 28 janvier 2014 et de la déclaration faite par l’auteur devant la Commission de recours des réfugiés le 4 septembre 2014, que celui‑ci est né à Mogadiscio et qu’il y a vécu jusqu’à l’âge de 5 ans. Le fait que la famille de l’auteur ait fui son village d’origine pour se rendre à Mogadiscio n’est pas pertinent s’agissant de l’appréciation de la question de savoir si l’auteur doit être considéré comme une personne déplacée dans son propre pays.

4.12En ce qui concerne la déclaration de l’auteur selon laquelle il devrait être considéré comme appartenant à un groupe particulièrement vulnérable en Somalie parce qu’il n’a été traité pour la tuberculose que pendant huit mois, l’État partie conclut que cela ne saurait modifier l’appréciation faite. À cet égard, l’État partie souligne que, pendant l’audience devant la Commission de recours des réfugiés, l’auteur a produit un certificat médical en langue grecque daté du 21 janvier 2013. À la demande de la Commission de recours des réfugiés, ce certificat médical a été traduit en danois le 25 juillet 2014. Il en ressort que l’auteur a été hospitalisé du 15 avril 2012 au 15 janvier 2013, et qu’au cours de cette hospitalisation il a reçu un traitement complet pour la tuberculose. En outre, au cours de la procédure devant la Commission de recours des réfugiés, un certificat médical a été obtenu du service de santé du Centre d’accueil de Jelling, le 14 avril 2014. Selon ce certificat médical, l’auteur n’a présenté aucun symptôme de tuberculose aiguë pendant son séjour au Danemark.

4.13L’État partie estime qu’il ne peut pas accepter comme un fait établi que l’auteur risquerait d’être enrôlé de force par les Chabab en cas de retour en Somalie. Il ressort des informations générales disponibles qu’il n’y a plus de recrutement forcé par les Chababà Mogadiscio. Il semble en outre que « le recrutement par les Chabab à Mogadiscio ne se [fasse] que sur une base individuelle », et que « cet enrôlement [soit] volontaire ».

4.14L’État partie souligne, en conclusion, que la Commission de recours des réfugiés, organe collégial de caractère quasi juridictionnel, a rendu sa décision du 4 septembre 2014 à l’issue d’une procédure au cours de laquelle l’auteur a eu la possibilité de présenter ses arguments, tant par écrit qu’oralement, avec l’assistance d’un conseil. La Commission a conduit un examen exhaustif et approfondi des éléments de preuve dont il est fait état dans la communication.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires en date du 25 janvier 2016 sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond, l’auteur réaffirme que sa communication est recevable pour les raisons expliquées dans sa lettre initiale et que l’État partie n’a pas montré en quoi elle devrait être considérée comme manifestement dénuée de fondement.

5.2Pour ce qui est des observations de l’État partie sur le fond, l’auteur renvoie à la position du HCR concernant le niveau de preuve, selon laquelle l’autorité décisionnaire doit statuer sur la question de savoir si, sur la base des éléments de preuve fournis et de la véracité des déclarations du requérant, il est raisonnablement probable que le requérant soit fondé à craindre d’être persécuté. La même position a été adoptée par la suite par d’autres organes internationaux, et tout dernièrement par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. L’auteur renvoie également à la position du HCR selon laquelle bien que la crainte doive être fondée, cela ne signifie pas qu’il doit y avoir effectivement eu persécution.

5.3Faisant référence aux Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, élaborés par le HCR, l’auteur fait valoir que la Commission de recours des réfugiés n’a pas évalué l’effet cumulatif de ses expériences passées. Il affirme que cette décision est entachée d’irrégularités de procédure car la crainte qu’il éprouve est fondée sur les facteurs cumulatifs suivants : les conflits qu’a eus sa famille dans le passé ; son appartenance clanique ; le fait qu’il n’a pas de famille ni de réseau social en Somalie ; le risque d’être déplacé ; ses problèmes de santé ; le risque qu’il soit enrôlé de force par les Chabab.

5.4L’auteur renvoie à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Sufi et Elmic. Royaume- Uni, dans lequel la Cour a conclu que compte tenu de la crise humanitaire et de la pression que celle-ci exerçait à la fois sur les individus et la structure clanique traditionnelle, dans la pratique, elle n’estimait pas qu’un rapatrié puisse trouver refuge ou un appui dans une zone où il n’avait pas de liens familiaux étroits. La Cour a considéré que si une personne rapatriée n’avait pas de tels liens ou si elle ne pouvait pas se rendre en toute sécurité dans une région où elle avait de tels liens, il y a des probabilités raisonnables qu’elle soit contrainte de chercher refuge dans un camp de personnes déplacées ou de réfugiés. La Cour a considéré en outre qu’il était improbable qu’un Somalien n’ayant aucune expérience récente de la vie en Somalie soit suffisamment armé pour « jouer le jeu », et qu’il courrait le risque d’attirer l’attention des Chabab, soit pendant qu’il se déplacerait, soit après s’être installé dans une zone contrôlée par les Chabab. La Cour a considéré que ce risque serait encore accru pour les Somaliens qui avaient été hors du pays assez longtemps pour être « occidentalisés », certains attributs, tels qu’un accent étranger, étant impossibles à dissimuler. Bien que la Cour européenne des droits de l’homme, dans un arrêt ultérieur rendu dans l’affaire K .  A .  B .c.Suède, ait conclu que les renseignements disponibles concernant le pays n’indiquaient pas que la situation ait été de nature à faire courir à toute personne se trouvant à Mogadiscio un risque réel d’être soumise à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, elle a souligné qu’il était important de tenir compte dans son appréciation de la situation personnelle du requérant. Dans sa décision la plus récente concernant la situation à Mogadiscio, R. H .c.Suède, la Cour a confirmé les vues qu’elle avait exprimées dans l’affaire K. A. B .c. Suède, soulignant toutefois que la situation générale à Mogadiscio sur le plan de la sécurité restait grave et fragile et qu’il importait de tenir compte de la situation personnelle du demandeur dans l’appréciation faite.

5.5Compte tenu des faits considérés comme établis, à savoir que l’auteur a fui la Somalie avec sa famille lorsqu’il n’avait que 5 ans, qu’il n’a pas de famille ou de réseau social à Mogadiscio et qu’il n’a aucune expérience de la vie en Somalie, la crainte de l’auteur d’être persécuté est fondée. En outre, l’auteur est particulièrement vulnérable au recrutement forcé par les Chabab et risque d’être exposé à la violence et aux mauvais traitements en raison de son manque de compréhension de la culture et des traditions somaliennes.

5.6L’auteur rappelle qu’il appartient au clan Bagadi, qui fait partie du clan Rahanweyne, associé aux familles claniques Digil et Mirifle, ce qui fait remonter leur lignée à Saab. Aucun des deux n’a de forte présence dans quelque district de Mogadiscio que ce soit et les Saab parlent maay-tiri, un dialecte distinct du maxaa-tiri, utilisé par les autres familles claniques. L’auteur fait valoir que l’absence de réseau social et de protection clanique conjuguée au fait qu’il parle un dialecte distinct et à son faible degré de compréhension de la culture l’exposerait inévitablement au risque du subir un préjudice irréparable. L’auteur fait référence à plusieurs sources citées par le Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord :

« La Somalie a longtemps été dominée par une politique clanique, bien que le système des clans se soit effondré à Mogadiscio lorsque les Chabab [étaient] au pouvoir. Le retrait des Chabab de Mogadiscio, en août 2011, a laissé un vide de pouvoir que le Gouvernement fédéral de transition n’a pas rempli. Au lieu de cela, la politique clanique est réapparue et des personnes et des milices puissantes, souvent issues de clans dominants, sont venues combler le vide. Les rivalités claniques sont manifestes, et un grand nombre de milices qui ont été intégrées dans les Forces armées nationales somaliennes continuent d’avoir une obligation de loyauté envers leurs chefs de clans et leurs groupes. L’identité clanique est essentielle en Somalie pour s’assurer une protection. Là où il n’y a pas de protection clanique, les civils sont davantage exposés à la discrimination ou à des violations des droits de l’homme ciblées […] Les personnes retournant en Somalie de l’étranger sont extrêmement vulnérables, sauf si elles ont de solides liens claniques et familiaux, ainsi que les moyens économiques de s’établir. Les Somaliens qui ont quitté le pays, en particulier ceux qui ont été dans des pays occidentaux, tendent à être considérés comme des étrangers et peuvent être perçus comme servant les intérêts de l’Occident. Cela en soi les expose à un risque accru d’être persécutés [...]. Il est peu probable que ceux qui reviennent en Somalie puissent accéder à un niveau de vie acceptable s’ils n’ont pas accès aux ressources économiques et aux individus ou réseaux puissants dans la ville. ».

5.7L’auteur fait valoir en outre que même si l’appartenance clanique n’apporte plus la même protection à Mogadiscio, cette appartenance conserve son importance : « […] par exemple, pour des personnes au pouvoir, et pour plusieurs clans, elle reste déterminante. Pour les membres des groupes Hawiye originaires de Mogadiscio, les questions de clan sont sans importance. Mais pour les membres d’autres clans somaliens, tels que les Darod, et pour les personnes déplacées, la protection clanique reste très importante ». Pour ce qui est de la forte présence de clans dans les districts de Mogadiscio, l’auteur affirme que :

« [comme] de nombreux quartiers de Mogadiscio sont, selon certaines informations, dominés par un clan et parfois par les milices armées qui leur sont rattachées, un membre d’un autre clan qui se trouverait dans de telles zones pourrait, selon les circonstances, se trouver en danger. Des informations continuent de faire état de tensions entre clans, lesquelles s’inscrivent dans un contexte de lutte pour le contrôle des districts, et les milices des clans sont une source supplémentaire d’insécurité. ».

5.8L’auteur fait référence à un rapport de Norwegian Organisation for Asylum Seekers, selon lequel trois critères doivent être remplis pour pouvoir bénéficier d’une protection clanique à Mogadiscio : « a) être membre d’un clan dominant ; b) être de Mogadiscio et c) avoir des liens familiaux étroits ». À cet égard, il rappelle qu’il appartient à un clan distinct, peu présent à Mogadiscio, qu’il n’a pas vécu à Mogadiscio depuis l’âge de 5 ans et qu’il n’y a pas de liens familiaux.

5.9L’auteur conclut que, compte tenu de sa situation personnelle et de l’effet cumulatif des éléments de cette situation, il a établi qu’il y avait un risque réel qu’il subisse un préjudice irréparable en Somalie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte formulée dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en application du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes. En l’absence d’objection de la part de l’État partie à ce sujet, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

6.4Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs que l’auteur tire de l’article 7 du Pacte doivent être déclarés irrecevables pour défaut de fondement. Il considère toutefois que l’auteur a suffisamment expliqué les faits sur lesquels reposent ses allégations et qu’il a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire de l’article 7 du Pacte.

6.5En conséquence, le Comité considère que la communication est recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard de l’article 7 du Pacte, et il procède à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il fait référence à l’obligation qu’ont les États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel que le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité a en outre indiqué que le risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux pour conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. C’est pourquoi tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, notamment la situation des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur.

7.3Le Comité rappelle également sa jurisprudence, dont il ressort qu’il convient d’accorder un poids important à l’appréciation faite par l’État partie et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte d’examiner ou d’apprécier les faits et les preuves en vue d’établir l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été arbitraire ou manifestement entachée d’erreur, ou qu’elle a représenté un déni de justice.

7.4Le Comité note que l’auteur affirme craindre à juste titre d’être soumis à la torture et à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Somalie en raison des facteurs cumulatifs suivants : a) les conflits qu’a eus sa famille en Somalie dans le passé ; b) l’appartenance de sa famille au clan minoritaire Bagadi ; c) le fait qu’il n’a pas de famille ni de réseau social en Somalie ; d) le risque qu’il soit déplacé ; e) ses problèmes de santé ; f) le risque qu’il soit enrôlé de force par les Chabab. Il prend également note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle la Commission de recours des réfugiés, qui a confirmé le rejet par le Conseil danois de l’immigration de sa demande d’asile, n’a pas apprécié sa situation personnelle ni l’effet cumulatif des éléments de celle-ci sur le risque qu’il courrait d’être soumis à un traitement contraire à l’article 7 du Pacte s’il était renvoyé en Somalie.

7.5Le Comité prend note en outre de l’argument de l’État partie selon lequel les autorités décisionnaires nationales ont conclu que l’auteur ne courrait pas actuellement le risque d’être soumis à des persécutions justifiant que l’asile ou le statut de personne protégée lui soit accordé en cas de retour en Somalie. La Commission de recours des réfugiés, en particulier, a conclu que la situation personnelle mise en avant par l’auteur, notamment ses compétences linguistiques, son appartenance clanique et l’absence de réseau social, n’étaient pas de nature à justifier la délivrance d’un permis de séjour au titre de l’article 7 de la loi relative aux étrangers. Elle a également conclu que le fait que la famille de l’auteur avait dû quitter la Somalie en 1992 en raison de ses liens avec Siad Barre ne saurait modifier l’appréciation faite, que les faits remontaient à longtemps et que l’auteur ne semblait pas être une personne en vue. La Commission a également indiqué que la situation générale en Somalie, y compris à Mogadiscio, ne saurait justifier à elle seule la délivrance d’un titre de séjour en vertu de l’article 7.

7.6Cela étant, le Comité relève également que la Commission de recours des réfugiés a considéré comme établis les faits suivants cités par l’auteur à l’appui de sa demande d’asile : a) l’auteur a quitté la Somalie avec sa famille en 1992 à l’âge de 5 ans en raison de la guerre civile qui sévissait dans le pays ; b) il appartient au clan Bagadi ; et c) il a vécu au Yémen avec sa famille jusqu’en 2011 etn’a pas de réseau familial à Mogadiscio ou ailleurs en Somalie. Bien que les services de l’immigration de l’État partie aient conclu que la situation personnelle de l’auteur n’était pas de nature à justifier que l’asile lui soit accordé en vertu de l’article 7 de la loi relative aux étrangers et que la situation en Somalie n’était pas de telle nature que l’on puisse considérer que toute personne retournant à Mogadiscio ou dans les environs courrait un risque réel d’être soumise à des traitements assimilables à de la torture et à des traitements inhumains ou dégradants du seul fait de sa présence dans cette zone, le Comité constate que les rapports récents disponibles publiquement sur la situation des droits de l’homme en Somalie, ainsi que ceux auxquels les parties ont fait référence, indiquent que les mauvais traitements et la discrimination à l’égard des clans minoritaires sont très fréquents, que les milices des clans et les Chabab continuent de commettre de graves violations dans l’ensemble du pays, que les personnes revenant en Somalie sont extrêmement vulnérables, sauf si elles ont de solides liens claniques et familiaux, et que les Somaliens qui reviennent de pays occidentaux ont tendance à être considérés comme des étrangers ayant adopté les points de vue, les intentions et les motivations de l’Occident.

7.7Compte tenu des renseignements fournis par l’auteur, des informations dont dispose actuellement le Comité et de la situation en Somalie en ce qui concerne les violations des droits de l’homme, le Comité considère que les services de l’immigration de l’État partie n’ont pas, en évaluant le risque que l’auteur courrait d’être soumis à des traitements contraires à l’article 7 du Pacte s’il était expulsé vers la Somalie, accordé un poids suffisant à sa situation personnelle ainsi qu’aux effets cumulatifs des éléments de cette situation, qui le rendent particulièrement vulnérable. Le Comité estime que la situation de l’auteur se distingue de celle d’autres ressortissants somaliens qui ont demandé l’asile à l’étranger au motif de la situation générale en Somalie car l’auteur a quitté son pays d’origine à l’âge de 5 ans et n’a plus de famille ou de réseau social en Somalie, ne sait presque pas lire ou écrire le somali, appartient à un clan minoritaire et a été atteint de tuberculose dans un passé récent. Dans ces circonstances, le Comité est d’avis que l’expulsion de l’auteur vers la Somalie, en l’absence d’un examen plus approfondi de l’effet cumulatif des éléments susmentionnés, lui ferait courir un risque réel de subir un préjudice irréparable, tel que celui envisagé à l’article 7 du Pacte, en particulier compte tenu du fait que son frère s’est déjà vu accorder le statut de personne protégée par les services de l’immigration de l’État partie.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que le renvoi de l’auteur en Somalie constituerait une violation par l’État partie de l’article 7 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, selon lequel les États parties s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte, l’État partie est notamment tenu de faire procéder à un réexamen de la demande d’asile de l’auteur, qui tienne compte des obligations qui incombent à l’État partie au titre du Pacte ainsi que des présentes constatations. L’État partie est également prié de ne pas expulser l’auteur tant que sa demande d’asile sera à l’examen.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts (180) jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques, à les faire traduire dans la langue officielle du pays et à les diffuser largement.

Annexe

Opinion individuelle (dissidente) de Yuval Shany, Yuji Iwasawa et Konstantin Vardzelashvili

1.Nous regrettons de ne pas pouvoir souscrire à l’avis de la majorité des membres du Comité qui a conclu que le Danemark manquerait à ses obligations au titre de l’article 7 du Pacte s’il mettait à exécution sa décision d’expulser l’auteur.

2.Au paragraphe 7.3 des présentes constatations, le Comité rappelle qu’il « convient d’accorder un poids important à l’appréciation faite par les autorités de l’État partie, et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve en vue d’établir l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été arbitraire ou manifestement entachée d’erreur, ou qu’elle a représenté un déni de justice ». Malgré cela, la majorité du Comité a rejeté les conclusions du Service danois de l’immigration et de la Commission de recours des réfugiés selon lesquelles l’auteur n’a pas démontré qu’il risquerait, en raison de sa situation personnelle, de subir un préjudice grave, et a estimé au paragraphe 7.7 que :

« Les services de l’immigration de l’État partie n’ont pas, en évaluant le risque que l’auteur courrait d’être soumis à des traitements contraires à l’article 7 du Pacte s’il était expulsé vers la Somalie, accordé un poids suffisant à sa situation personnelle ainsi qu’aux effets cumulatifs des éléments de cette situation, qui le rendent particulièrement vulnérable. Le Comité estime que la situation de l’auteur se distingue de celle d’autres ressortissants somaliens qui ont demandé l’asile à l’étranger au motif de la situation générale en Somalie car l’auteur a quitté son pays d’origine à l’âge de 5 ans et n’a plus de famille ou de réseau social en Somalie, ne sait presque pas lire ou écrire le somali, appartient à un clan minoritaire et a été atteint de tuberculose dans un passé récent. ».

3.Nous estimons qu’en procédant à ce qui semble être une évaluation indépendante des risques, la majorité du Comité n’a pas dûment appliqué le critère relatif à une appréciation « manifestement arbitraire », qu’il a lui-même établi, et n’a pas suivi la tradition de longue date selon laquelle le Comité « n’est pas une quatrième instance compétente pour réexaminer les conclusions de fait ».

4.Dans de nombreux précédents où le Comité a constaté que la décision d’expulsion prise par les autorités de l’État partie était contraire au Pacte, il s’est appuyé sur l’existence de failles dans la procédure interne, en relevant par exemple que les preuves disponibles ou les droits de l’auteur au titre du Pacte n’ont pas été pris en compte , que la procédure interne d’examen était gravement viciée, ou encore que l’État partie n’a pas su justifier sa décision par des motifs raisonnables. Toutefois, aucune faille dans la procédure interne n’a été relevée en l’espèce.

5.Il semble que la majorité du Comité n’ait tout simplement pas été d’accord avec l’évaluation des risques effectuée par les autorités danoises, qui sont pourtant arrivées à leurs conclusions au terme d’un processus d’établissement des faits sérieux, ne présentant pas de lacune procédurale et, à nos yeux, constituant un fondement plus solide que les investigations que le Comité a pu mener. Nous considérons toutefois que les informations contenues dans le dossier, notamment le fait que les événements qui ont amené la famille à quitter la Somalie aient eu lieu il y a longtemps, le fait que l’auteur appartienne à un clan majoritaire, le fait qu’il parle et comprenne le somali et l’amélioration des conditions de sécurité à Mogadiscio, portent à conclure que l’évaluation des risques effectuée par les autorités danoises n’a été ni manifestement arbitraire ni entachée d’erreur, et qu’elle ne constitue pas un déni de justice.