Nations Unies

CCPR/C/117/D/2387/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

16 mars 2017

Français

Original : anglais et espagnol

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 2387/2014 * , ** , ***

Communication présentée par :

A. B. (représenté par un conseil, Laura Brittain, puis Benjamin Liston)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Canada

Date de la communication :

29 avril 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 5 mai 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

15 juillet 2016

Objet :

Expulsion du Canada vers la Somalie

Question(s) de procédure :

Non-épuisement des recours internes ; griefs insuffisamment étayés ; incompatibilité avec le Pacte

Question(s) de fond :

Droit à un recours utile ; droit à la vie ; risque d’être soumis à la torture ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant ; droit au respect de la vie privée, de la vie de famille et de la réputation ; protection de la famille

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 6 (par. 1), 7, 17 et 23 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteur de la communication est A. B., de nationalité somalienne, né en 1979. Il appartient au clan somalien Darood. Il a obtenu le droit d’asile au Canada en 1993. Il est néanmoins sous le coup d’une ordonnance d’expulsion en raison de ses activités criminelles au Canada. L’auteur affirme que, si le Canada le renvoyait en Somalie, cela constituerait une violation des droits qu’il tient du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 6, des articles 7 et 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte), car il craint d’être tué ou torturé. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Canada le 19 mai 1976. L’auteur était représenté par un conseil, Mme Laura Brittain ; le 4 février 2016, celle-ci a été remplacée par un nouveau conseil, Benjamin Liston.

1.2Le 5 mai 2014, le Comité, en application de l’article 92 de son règlement intérieur et agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers la Somalie tant que la communication serait à l’examen. Le 13 mars 2015, l’État partie a informé le Comité qu’il avait temporairement sursis à l’exécution de l’ordonnance d’expulsion qui pesait sur l’auteur, et lui a demandé la levée des mesures provisoires en ce qui concerne l’auteur, au motif que celui-ci n’avait pas suffisamment étayé ses griefs, pas même à première vue, qu’il avait un casier judiciaire et que sa communication ne contenait aucun nouvel élément de preuve. Le Comité a rejeté cette demande le 27 juillet 2015. L’auteur réside actuellement au Canada et demeure détenu dans un centre pour immigrants.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est né à Mogadiscio, où il a vécu jusqu’à l’âge de 11 ans. Il appartient à une famille très en vue sur le plan politique. Sa mère est la fille d’un des fondateurs de la République fédérale de Somalie et il est apparenté au premier et au deuxième Présidents du pays ainsi qu’au premier chef de la police. Le premier mari de sa mère a été maire de Galkayo, puis Ministre de l’intérieur et parlementaire de 1964 à 1969. Son second mari, le père de l’auteur, membre de la Ligue de la jeunesse somalienne, était un homme d’affaires et un conseiller politique influent. Il possédait des terrains jouxtant ceux du premier Président de la Somalie, et il serait toujours connu dans tout le pays.

2.2En 1990, l’auteur et sa mère ont quitté la Somalie pour le Kenya. Le 5 décembre 1992, il est arrivé au Canada, en compagnie de sa mère et trois de ses frères et sœurs. Sa mère a demandé l’asile au Canada pour elle-même et ses quatre enfants. Le 12 mars 1993, l’auteur, sa mère et ses trois frères et sœurs ont obtenu le statut de réfugiés. En 2007, le demi-frère de l’auteur est rentré en Somalie, en passant par le Kenya, pour faire valoir ses droits sur les biens fonciers de la famille. Il a publiquement critiqué les Chabab et l’Union des tribunaux islamiques. Il a été tué dans le mois suivant son retour au pays, en raison de ses prises de position politiques. Le cousin de l’auteur et l’un de ses oncles ont eux aussi été tués dans le mois qui a suivi leur retour en Somalie.

2.3L’auteur a été condamné au Canada à douze reprises depuis 1998, notamment pour utilisation d’armes, menaces de coups et blessures, traque furtive, harcèlement, voies de fait graves et vol à main armée. Il fait valoir que ces infractions étaient liées à son alcoolisme et à sa toxicomanie. Le 7 avril 2008, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a délivré à l’encontre de l’auteur une ordonnance d’expulsion pour « grande criminalité » au sens de l’article 64 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Bien que cette ordonnance ait été exécutoire, aucune date n’a été fixée pour l’expulsion. Comme il n’a pas de documents de voyage, l’auteur craint d’être expulsé vers la Somalie sur la base d’une déclaration solennelle que l’Agence des services frontaliers du Canada lui a demandé de signer, ce qu’il a refusé parce qu’il a peur. Son refus de signer la déclaration a empêché l’État partie de l’expulser et l’auteur est toujours détenu dans un centre pour immigrants.

2.4Le 1er mai 2008, l’auteur a déposé un recours contre l’ordonnance d’expulsion auprès de la Section d’appel de l’immigration. Le 8 avril 2009, celle-ci a rejeté son recours, se disant incompétente compte tenu du paragraphe 2 de l’article 64 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui prive toute personne condamnée à deux ans au moins d’emprisonnement du droit de former un recours. Le 19 novembre 2009, l’Agence des services frontaliers du Canada a demandé au Ministre de l’immigration et de la citoyenneté d’émettre un avis de danger au sens du paragraphe 2 de l’article 115 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et le cas de l’auteur a été renvoyé au Ministre à cette fin. Le 15 juin 2012, la représentante du Ministre a conclu que l’auteur ne courrait pas de risque personnel s’il était renvoyé en Somalie et qu’il représentait un danger pour le public au Canada, compte tenu de la gravité et de la nature des infractions pénales qu’il avait commises et de la probabilité qu’il récidive. Dans cette décision, il était indiqué que les considérations d’ordre humanitaire ne l’emportaient pas sur le danger que l’auteur représentait pour le public au Canada. Le 16 juillet 2012, l’auteur a demandé l’autorisation de former un recours en contrôle juridictionnel de l’avis de danger qui avait été rendu par la représentante du Ministre. Le 30 novembre 2012, la Cour fédérale du Canada a rejeté sa demande. Le 10 avril 2014, l’auteur a demandé au Ministre de revenir sur son avis de danger et d’examiner les documents présentés à l’appui de sa demande. Au 13 mars 2015, la décision concernant cette demande était toujours pendante.

2.5L’auteur fait valoir qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles et utiles. Il indique que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que, si on le renvoie de force en Somalie, il sera exposé à un risque important d’être privé de son droit à la vie et d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 et du paragraphe 1 de l’article 7 du Pacte. Il est exposé à ce risque parce qu’il appartient à une famille très en vue sur le plan politique, notamment parce que son demi-frère a critiqué publiquement les Chabab et parce que, ayant grandi au Canada et revenant d’un pays occidental, il ne pourra pas compter sur sa famille ou sur son clan pour le protéger. Il risquerait d’être recruté de force ou accusé d’espionnage par les Chabab. Bien que ceux-ci se soient retirés de Mogadiscio au début d’août 2011, la situation dans la capitale est des plus instables et dangereuses. L’auteur ne peut pas se réinstaller dans le sud ou dans le centre du pays ni trouver refuge dans les régions semi-autonomes de la Somalie parce que, n’étant pas originaire de ces lieux, il y serait considéré comme un étranger, et donc comme une menace. Il fait valoir que l’évaluation du danger auquel serait exposée une personne si elle était renvoyée dans son pays ne devrait pas porter uniquement sur le risque encouru personnellement, mais aussi sur le risque général de torture ou de peines ou traitements cruels et inhabituels auquel est exposée la population dans son ensemble. Il renvoie à la jurisprudence de l’affaire Warsame c. Canada , dans laquelle le Comité avait conclu que l’expulsion vers la Somalie de l’auteur, qui était aussi un homme jeune ayant été élevé au Canada, aurait violé les droits qui lui étaient reconnus par le paragraphe 1 de l’article 6, les articles 7 et 17 et le paragraphe 1 de l’article 23, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

3.2L’auteur affirme que son expulsion vers la Somalie constituerait une immixtion arbitraire ou illégale dans sa vie privée, contraire aux articles 17 et 23 du Pacte. Ses liens familiaux seraient irrémédiablement rompus s’il était expulsé en Somalie, puisque sa famille ne pourrait pas lui rendre visite et qu’il lui serait difficile d’entretenir une correspondance régulière avec elle. De plus, il lui serait impossible pendant longtemps de demander un visa pour rendre visite à sa famille au Canada. L’auteur a vécu au Canada pendant plus de vingt ans et n’a plus aucun lien avec la Somalie en dehors de sa nationalité. Sa mère, ses sœurs et ses frères résident tous au Canada. Sa mère est très malade et, avant sa détention, l’auteur était son principal soutien et s’occupait de ses travaux ménagers et de sa santé, ses frères et sœurs et les autres membres de la famille au Canada n’ayant pas le temps de l’aider. En conséquence, s’il était expulsé il ne pourrait plus prodiguer à sa mère souffrante les soins quotidiens dont elle a besoin. L’auteur peut aussi compter sur un réseau solide d’amis de la famille et de modèles d’identification, dont beaucoup ont témoigné leur soutien dans des attestations écrites. S’il était expulsé vers la Somalie, il serait donc privé du réconfort des membres de sa famille, ce qui constituerait une immixtion grave dans sa vie de famille. Il renvoie à la jurisprudence du Comité, dont il ressort qu’une telle immixtion serait disproportionnée par rapport aux objectifs légitimes poursuivis par l’État partie, à savoir la prévention d’infractions pénales. L’auteur explique que la plupart de ses condamnations pénales étaient dues à l’abus d’alcool et que sa famille a témoigné des changements qu’elle avait pu constater en lui sur ce plan.

3.3De plus, l’auteur invoque une violation du paragraphe 4 de l’article 12 et des articles 13 et 18 du Pacte, en se contentant de renvoyer à l’affaire Warsame c. Canada, sans autre élément à l’appui de ce qu’il avance.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 13 mars 2015, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il indique que l’auteur a une longue carrière criminelle au Canada, qui a commencé en 1998 alors qu’il avait 18 ans et s’est poursuivie pendant plus de treize ans. L’auteur a fait l’objet de 12 condamnations pénales, dont plusieurs à raison d’infractions violentes, dont des coups et blessures et l’utilisation d’une arme à feu, qui sont passibles de longues peines d’emprisonnement. Il a commis son infraction la plus récente, à savoir un vol à main armée, alors qu’il était en liberté conditionnelle de sa détention dans le centre pour immigrants. Le tribunal pénal qui a rendu le jugement dans cette affaire a affirmé que l’auteur « avait fait preuve d’un mépris évident pour la vie humaine ».

4.2En raison de son lourd passé criminel, l’auteur a été interdit de territoire au Canada le 28 janvier 2002, à la suite de ses condamnations de janvier 1998 pour agression ayant entraîné des coups et blessures et entrave à un agent de la paix, et le 20 février 2008 à la suite de sa condamnation de septembre 2007 pour voies de fait graves. Sur la base de cette interdiction de territoire, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a émis une ordonnance d’expulsion le 7 avril 2008. L’auteur a fait appel de l’ordonnance d’expulsion devant la Section d’appel de l’immigration de la Commission. Son recours a été rejeté le 8 avril 2009, l’article 64 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés disposant que, si l’intéressé a été interdit de territoire pour des faits de grande criminalité, il n’a pas le droit de faire appel auprès de la Section d’appel de l’immigration.

4.3Compte tenu de la qualité de réfugié de l’auteur, et conformément au paragraphe 2 de l’article 33 de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, l’avis du Ministre de la citoyenneté et de l’immigration du Canada a été sollicité sur la question de savoir s’il fallait l’interdire de territoire au motif qu’il constituait un danger pour le public. La représentante du Ministre a conclu que l’auteur représentait, et continuerait de représenter à l’avenir, un danger pour la sécurité publique au Canada en raison des infractions graves qu’il avait commises. En outre, elle a examiné les preuves documentaires, dont les écritures supplémentaires de l’auteur, et estimé qu’elles étaient insuffisantes pour conclure que l’auteur risquait personnellement d’être tué ou d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels ou inhabituels s’il était renvoyé en Somalie. Cela étant, elle a aussi entrepris de soupeser le danger et le risque avant de conclure que le danger que l’auteur faisait courir au public l’emportait largement sur le risque auquel il serait exposé en Somalie. De plus, les considérations d’ordre humanitaire en l’espèce étaient insuffisantes pour infirmer cette conclusion. L’auteur a reçu notification de son ordonnance d’expulsion le 15 juin 2012 et est détenu dans un centre pour immigrants depuis le 1er novembre 2012. Le 30 novembre 2012, la Cour fédérale a rejeté la demande introduite par l’auteur aux fins d’un examen juridictionnel de l’avis de danger, y compris de l’appréciation du risque encouru.

4.4L’État partie fait valoir que la communication de l’auteur est irrecevable pour trois motifs. En premier lieu, l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles parce qu’il n’a pas demandé à obtenir le statut de résident permanent pour motifs d’ordre humanitaire et qu’il n’a pas demandé l’examen juridictionnel de la décision de la Section d’appel de l’immigration. En deuxième lieu, la communication de l’auteur est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif parce que l’auteur n’a pas prouvé, pas même à première vue, qu’il courrait un risque réel d’être tué, torturé ou soumis à des mauvais traitements à son retour en Somalie, et en particulier à Mogadiscio, où il serait renvoyé. Les dernières informations sur le pays indiquent que les Chabab ne contrôlent plus Mogadiscio, ayant retiré les forces qui occupaient certains secteurs de la ville en août 2011. L’État partie rappelle que des allégations générales relatives à des violations des droits de l’homme et à l’instabilité du pays ne suffisent pas à établir que l’auteur courrait personnellement un risque à son retour dans le pays. Au contraire, il ressort de rapports dignes de foi et faisant autorité que certaines circonstances personnelles doivent être présentes pour qu’un civil somalien soit exposé à un risque réel. L’auteur ne relève d’aucune des « catégories à risque » établies dans les lignes directrices sur la protection des réfugiés élaborées par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en janvier 2014. Il n’a pas prouvé, et les rapports sur le pays ne corroborent pas, qu’il serait comme il l’affirme pris pour cible par les Chabab en raison de son profil personnel, en tant que membre d’une famille en vue sur le plan politique, en tant que rapatrié revenant d’un pays occidental ou en tant que jeune musulman non extrémiste. De ce fait, les éléments communiqués par l’auteur ne corroborent pas la conclusion selon laquelle la conséquence nécessaire et prévisible de l’expulsion serait contraire au paragraphe 1 de l’article 6 et à l’article 7. En troisième lieu, l’État partie fait observer que le Comité n’a pas pour rôle d’examiner la manière dont les autorités nationales ont apprécié les faits et la preuve ou évalué la crédibilité des éléments dont elles étaient saisies.

4.5L’État partie considère que l’auteur n’a pas étayé les allégations qu’il formule au titre de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 et que la décision de le renvoyer était légitime et avait été adoptée à l’issue d’un examen minutieux de son affaire. Le fait que l’expulsion pouvait constituer une immixtion dans la vie de famille de l’auteur a été mis en balance avec l’intérêt légitime du Canada de prévenir la commission d’autres infractions sur le territoire, et le renvoi dans le pays d’origine a été jugé raisonnable et proportionné à la gravité des infractions commises par l’auteur. Par conséquent, l’État partie considère que les allégations de l’auteur au titre de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte sont irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.6En ce qui concerne le renvoi par l’auteur au paragraphe 3 de l’article 2, au paragraphe 4 de l’article 12 et aux articles 13 et 18 du Pacte, l’État partie affirme que l’auteur ne formule aucune allégation et ne fournit aucun élément de preuve à cet égard. Il fait par conséquent valoir que les griefs correspondants sont manifestement non étayés et irrecevables.

4.7En ce qui concerne l’allégation de l’auteur au titre du paragraphe 3 de l’article 2, l’État partie considère qu’il s’agit d’une référence à un droit autonome à un recours utile. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité, qui établit le caractère accessoire du paragraphe 3 de l’article 2, et soutient par conséquent que cette allégation est irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.8L’État partie réfute l’argument de l’auteur, selon qui il ne peut être dérogé au principe du non-refoulement, au sens du paragraphe 2 de l’article 115 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qu’en cas de crise extrême, lorsque le danger que représente l’intéressé ne laisse au Gouvernement aucun autre choix que le refoulement, et que le risque encouru n’est pas un risque de mort, de torture ou de peine ou de traitement cruel ou inhabituel. L’État partie fait observer qu’il n’appartient pas au Comité d’examiner le système de protection des réfugiés en général, mais seulement les procédures qui s’appliquent à l’auteur de la communication. Dans ce contexte, l’État partie réfute l’argument de l’auteur, selon qui l’évaluation du danger auquel serait exposée une personne si elle était renvoyée dans son pays ne devrait pas porter uniquement sur le risque encouru personnellement, mais aussi sur le risque général de torture ou de peines ou traitements cruels ou inhabituels auquel est exposée la population dans son ensemble. L’État partie rappelle que, selon la Cour fédérale, si la situation générale du pays est pertinente aux fins de l’enquête, l’auteur doit néanmoins montrer qu’il serait personnellement exposé à un risque s’il était renvoyé dans son pays d’origine. L’État partie réaffirme aussi que, dans le cas de personnes qui, comme l’auteur, peuvent être renvoyées dans leur pays au motif d’activités criminelles graves et représentent un danger pour le public, les allégations faisant état d’un risque personnel sont minutieusement examinées et évaluées aux différents stades de la procédure d’avis de danger. L’auteur, par le truchement de son conseil, a eu la possibilité, dont il s’est prévalu, de présenter des preuves et des écritures concernant le risque personnel qu’il courrait s’il était renvoyé en Somalie, et ce, à chaque étape de la procédure. De plus, pour rendre l’avis de danger, lareprésentante du Ministre a examiné les circonstances d’ordre humanitaire propres à la situation de l’auteur. C’est pourquoi l’État partie considère que les allégations de l’auteur concernant le système de protection des réfugiés et les procédures internes sont injustifiées.

4.9L’État partie fait observer que l’auteur n’a fourni aucun nouvel élément à l’appui de ses griefs, qui devraient par conséquent être déclarés irrecevables faute d’avoir été suffisamment étayés. Au cas où le Comité déclarerait la communication recevable, l’État partie fait valoir qu’elle est sans fondement et prie le Comité de lever les mesures provisoires.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 24 juillet 2015, l’auteur a fait parvenir ses commentaires sur les observations de l’État partie, dans lesquels il réaffirme les griefs qu’il tire du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 6, des articles 7 et 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte et regrette la confusion qui a été causée par sa référence dans sa communication initiale au paragraphe 4 de l’article 12 et aux articles 13 et 18.

5.2L’auteur fait valoir que les arguments de l’État partie sont sans fondement, puisque des informations récentes concernant la situation en Somalie corroborent les griefs qu’il a formulés au titre du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7 du Pacte. Il fait également valoir que les procédures internes ne constituent pas une évaluation complète de sa situation personnelle et sont gravement entachées d’erreurs.

5.3Rappelant la jurisprudence du Comité, l’auteur affirme que les mesures provisoires sont essentielles au rôle et au mandat du Comité, et que son expulsion avant l’examen de sa plainte vers un endroit où il risque de subir un préjudice « rend[rait] l’action du Comité sans objet et l’expression de ses constatations sans valeur et de nul effet ». Il fait valoir que, lorsqu’il y a un risque de préjudice irréparable, le droit à un recours utile exige que, avant d’être exposée à ce préjudice, la victime potentielle ait la possibilité de présenter une communication au Comité et que celui-ci l’examine. Il maintient que le fait d’imposer un seuil plus élevé à certaines catégories de personnes implique que certaines personnes méritent plus que d’autres la protection prévue par le Pacte, ce qui constitue une atteinte au droit à l’égalité devant la loi consacré à l’article 26 du Pacte.

5.4L’auteur fait valoir que, étant donné qu’il ne peut être dérogé aux articles 6 et 7 du Pacte, le casier judiciaire d’une personne ne doit pas entrer en ligne de compte dans l’examen d’une plainte par le Comité. L’auteur indique qu’il est actuellement détenu dans un centre pour immigrants et rappelle que sa dernière condamnation portait sur une infraction commise le 8 septembre 2010, et que l’État partie n’a fait état d’aucun élément portant à croire qu’il présenterait actuellement un danger pour le public au Canada. Il maintient qu’il n’y a aucune urgence à l’expulser du Canada et indique qu’il a proposé un plan pour sa libération, qui est extrêmement strict, de nature à apaiser toute préoccupation relative à son passé criminel et n’est pas financé par des fonds publics. En ce qui concerne l’assertion de l’État partie, selon qui la communication de l’auteur ne contient aucun nouvel argument ni élément de preuve additionnel, il fait valoir que les informations sur les risques encourus qu’il a exposées sont plus récentes que celles qui ont été examinées par les autorités nationales lorsqu’elles ont statué sur son cas le 15 juin 2012.

5.5L’auteur soutient que, dans une situation aussi instable que celle de la Somalie, il importe de se fonder sur les informations les plus récentes pour évaluer le risque qu’il encourt personnellement. Il fait valoir que la procédure interne suivie dans son affaire était arbitraire et manifestement injuste. Il soutient que l’observation de l’État partie, selon qui les mesures provisoires ne sont pas contraignantes, n’est pas conforme à la position du Comité à ce sujet.

5.6L’auteur affirme être victime d’une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte parce que les procédures internes applicables n’ont pas empêché la violation des droits qui lui sont garantis par le paragraphe 1 de l’article 6 et l’article 7 du Pacte. Il affirme que le risque de torture auquel il est exposé aurait dû être mieux évalué. Il fait valoir que la procédure relative à l’avis de danger était manifestement injuste et arbitraire, car l’évaluation du risque n’était fondée que sur des éléments disponibles avant la décision du 15 juin 2012. Il considère que dans sa conclusion, la représentante du Ministre a rejeté les autres éléments sans justification, ne tenant aucun compte des arguments indiquant que le danger que l’auteur représentait pour le public au Canada ne l’emportait pas sur l’interdiction absolue de refoulement de personnes exposées à un risque de mort, de torture ou de mauvais traitements. Il ajoute que ses allégations de violation de son droit à une vie de famille n’ont pas été dûment examinées, affirmant que l’État partie a manqué à son obligation de lui offrir un recours utile pour contester son expulsion, conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6, les articles 7 et 17 et le paragraphe 1 de l’article 23.

5.7En ce qui concerne la violation alléguée du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7, l’auteur affirme que l’État partie n’a pas tenu compte de la situation actuelle du pays, et note que des civils continuent de subir des exactions liées aux conflits, dont des assassinats, des déplacements forcés ainsi que le détournement ou le vol de l’aide humanitaire par des groupes armés, principalement les Chabab. Il fait valoir qu’il serait en danger du fait qu’il reviendrait d’un pays occidental, ce qui l’exclurait du système local de protection, et il réaffirme que le profil de sa famille l’expose à des persécutions de la part des Chabab ou du Gouvernement fédéral et des forces progouvernementales. Dans ce contexte, il affirme que son profil personnel correspond à plusieurs catégories à risque recensées par le HCR:

a)Les personnes perçues comme critiques à l’égard des Chabab, sur la base de la conduite de son frère ;

b)Les personnes perçues comme des partisans du Gouvernement fédéral somalien et de la communauté internationale, parce qu’il est occidentalisé.

5.8En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte, l’auteur affirme que son expulsion le couperait définitivement de sa vie de famille ; il ne pourrait plus soutenir sa mère souffrante, ce qui aurait un effet disproportionné par rapport aux objectifs poursuivis par l’État partie, en violation des articles mentionnés.

5.9L’auteur réaffirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles et utiles. Il soutient que sa requête en contrôle juridictionnel de la décision de la Section d’appel de l’immigration n’aurait aucune chance d’aboutir, puisqu’elle ne se fondait ni sur une thèse « un tant soit peu défendable » ni sur une « question grave sur laquelle il restait à statuer ». L’auteur renvoie à la jurisprudence du Comité, dont il ressort que « le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif n’exige pas d’avoir épuisé des recours qui n’ont objectivement aucune chance d’aboutir ». De plus, même s’il était fait droit à sa requête en examen juridictionnel, il lui faudrait encore prouver que la Section d’appel de l’immigration avait commis une erreur de droit ou de compétence. L’auteur fait valoir qu’une demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire n’était pas un recours utile parce qu’elle n’aurait pas suspendu ou évité son expulsion vers la Somalie. Il affirme qu’une telle demande aurait été examinée par le même service qui avait déjà évalué lesdits motifs dans le cadre de la décision rendue par la représentante du Ministre, en vertu du paragraphe 2 de l’article 115. Il fait valoir que la représentante du Ministre a conclu que les considérations d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisamment convaincantes, et il soutient en conséquence que la procédure au titre des considérations d’ordre humanitaire ne constitue pas un recours utile qui doit être épuisé, en raison de sa nature entièrement discrétionnaire.

5.10L’auteur soutient également que sa demande de réexamen de l’avis de danger ne constitue pas un recours interne qui doit être épuisé, car elle serait examinée par la même représentante du Ministre. Une telle demande n’aurait pas non plus pour effet d’empêcher son expulsion vers la Somalie, car seuls de nouveaux éléments de preuve peuvent être examinés dans ce cadre.

5.11L’auteur prie le Comité : a) de déclarer sa communication recevable ; b) de rejeter la demande de l’État partie tendant à ce que les mesures provisoires soient levées ; c) de conclure que son expulsion vers la Somalie constituerait une violation du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 6, des articles 7 et 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte ; d) de prier l’État partie de ne pas renvoyer l’auteur en Somalie ; et e) de l’autoriser à demeurer dans l’État partie.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 6 mai 2016, l’État partie a communiqué des observations complémentaires, reprenant les arguments qu’il avait présentés dans ses observations initiales. Il maintient que la communication est irrecevable parce que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles, que certaines parties de la communication sont incompatibles avec le Pacte et que l’auteur n’a pas étayé ses allégations. À titre subsidiaire, il considère que la communication devrait être considérée comme dénuée de fondement faute d’être étayée.

6.2L’État partie indique que l’auteur n’a pas fait de demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire, conformément au paragraphe 1 de l’article 25 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Bien que la soumission d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire n’ait pas pour effet de suspendre automatiquement une mesure d’expulsion exécutoire, une suspension réglementaire de l’expulsion aurait été accordée jusqu’à ce qu’une décision définitive ait été prise au sujet de la demande de résidence permanente. En outre, les décisions relatives aux demandes pour motifs d’ordre humanitaire peuvent, sur autorisation, être examinées par la Cour fédérale.

6.3L’État partie conteste que les agents du Ministère de la citoyenneté et de l’immigration, qui examinent les demandes pour motifs d’ordre humanitaire, ne soient pas suffisamment indépendants parce qu’ils sont dans le même ministère que celui qui examine les avis de danger. Même si les demandes pour motifs d’ordre humanitaire peuvent être considérées comme un recours discrétionnaire, celui-ci reste utile, comme l’a montré l’affaire J. K. M. c. Canada, dont le Comité a décidé d’interrompre l’examen. Dans l’affaire S. S. c. Canada, le Comité a suspendu l’examen de la communication. L’État partie rappelle la position constante du Comité, selon qui de simples doutes sur l’efficacité des recours internes ne dispensent pas un auteur de l’obligation d’épuiser ces recours. Étant donné que l’auteur affirme que sa situation a changé et mérite d’être réexaminée, notamment qu’il aurait pris des mesures pour régler ses problèmes de colère et d’alcool, trouver un emploi et renouer ses liens avec sa famille proche, il lui incombe de formuler une demande pour motifs d’ordre humanitaire.

6.4L’État partie réaffirme que les griefs que l’auteur tire du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte devraient être jugés irrecevables en application de l’article 3 du Protocole facultatif. Les allégations de l’auteur concernant le caractère entaché d’irrégularités de la procédure interne dans son cas sont identiques à celles qu’il a soumises à la Cour fédérale dans sa demande d’autorisation de former un recours en contrôle juridictionnel de l’avis de danger. La Cour fédérale a déterminé que l’auteur n’avait pas satisfait au critère qu’elle retenait pour faire droit à une telle demande, car il n’avait pas démontré qu’il se fondait sur une thèse « un tant soit peu défendable » ou sur une « question grave sur laquelle il restait à statuer ». L’État partie conteste que, dans l’avis de danger, la représentante du Ministre ait méconnu les facteurs de risque spécifiques que l’auteur avait exposés dans les documents qu’il lui avait soumis. L’État partie rappelle que l’auteur est expulsé conformément au paragraphe 2 a) de l’article 115 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, ce qui oblige la représentante à démontrer que l’auteur a été interdit de territoire pour des faits de grande criminalité et qu’il présente un danger pour le public au Canada. L’expulsion de l’auteur est une réponse proportionnée.

6.5L’État partie soutient que l’auteur n’a pas étayé ses griefs au titre du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7 aux fins de la recevabilité. En particulier, l’auteur n’a pas étayé l’affirmation indiquant qu’il devrait personnellement faire face à un risque s’il était renvoyé en Somalie. L’État partie soutient que la plupart des profils à risque allégués (rapatrié exclu du système local de protection, menacé par les Chabab, menacé par les forces gouvernementales ou pro-gouvernementales) se rapportent en réalité au fait d’être un rapatrié « occidentalisé » sans relations locales. En ce qui concerne le risque lié au profil allégué de la famille de l’auteur en Somalie, l’État partie soutient que la persécution subie par la famille en 1991 n’est plus une préoccupation valable compte tenu des nombreux changements politiques survenus dans le pays depuis cette date. En outre, rien ne porte à croire que d’autres membres de la famille couraient un risque en 2007 en raison des activités menées par le frère contre les Chabab, et les considérations relatives à la protection internationale publiées par le HCR en 2014 ne recensent pas les profils cités par l’auteur parmi les profils à risque reconnus. L’État partie se réfère aux conclusions rendues par le Tribunal supérieur du Royaume-Uni en matière de directives relatives au pays en l’affaire MOJ &  O thers (Return to Mogadishu) , dans lesquelles aucun des profils invoqués par l’auteur n’était reconnu comme facteurs de risque et les civils ordinaires n’étaient pas considérés comme risquant d’être persécutés ou de subir un préjudice à leur retour à Mogadiscio.

6.6L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas étayé les griefs qu’il tire des articles 17 et 23, et il invite le Comité à constater que la communication est irrecevable dans sa totalité au regard de l’article 2 du Protocole facultatif. Il estime que l’expulsion de l’auteur ne saurait être considérée comme une immixtion arbitraire ou illégale dans sa vie de famille. La décision d’expulser l’auteur a été prise conformément à la législation canadienne. L’auteur a eu la possibilité, à chaque étape de la procédure, de présenter des écritures, et il l’a fait avec l’assistance d’un avocat. Dans sa décision, la représentante du Ministre a examiné les circonstances suivantes et leurs incidences sur la famille de l’auteur : le degré limité d’établissement de l’auteur au Canada ; le fait qu’il soit un adulte célibataire ; les interruptions fréquentes et prolongées de ses relations familiales dues à ses périodes régulières d’incarcération et de détention depuis l’âge de 19 ans ; l’existence d’un soutien indépendant pour sa mère ; ses contacts limités avec ses frères et sœurs ; le fait que sa famille ne participe pas à sa réinsertion ; le fait que les liens de l’auteur avec sa famille et le soutien de celle-ci ne l’aient pas empêché de commettre des infractions pénales. La Cour fédérale a refusé d’interférer avec la décision de la représentante du Ministre. Alors que l’auteur s’efforce de donner l’impression qu’il a entretenu une relation étroite avec sa mère et ses sœurs, il n’était pas proche de sa famille au Canada avant le 4 décembre 2009 ; sa famille aurait pu contribuer à favoriser sa réinsertion, mais elle n’est pas parvenue à exercer une influence positive sur son mode de vie, comme en témoigne son casier judiciaire.

6.7L’État partie souligne qu’il n’a pas pour seul but de prévenir la perpétration d’infractions pénales à l’avenir, mais de protéger le public au Canada contre un individu dangereux. Bien que l’auteur affirme que son casier judiciaire est en grande partie dû à l’abus d’alcool, problème qui serait à présent réglé, l’État partie a du mal à se fier à ses promesses. Il souligne qu’il n’a pas pris de mesures pour expulser l’auteur lorsque celui-ci a fait l’objet d’un rapport d’interdiction du territoire en janvier 2002, mais lui a accordé six années supplémentaires pour arrêter de commettre des infractions pénales. La détention a été le seul dispositif efficace à ce jour pour empêcher l’auteur de commettre des infractions pénales et protéger le public.

6.8L’État partie conclut que, en vertu du droit international, les États ont le droit de contrôler l’entrée, la résidence et l’expulsion des étrangers et de renvoyer ceux dont il a été déterminé qu’ils n’ont pas besoin de protection. La reconnaissance de ce principe est particulièrement importante lorsque de telles personnes représentent un risque important pour la sécurité des citoyens d’un État. L’État partie rappelle que, entre janvier 1998 et son placement en détention en juillet 2011, l’auteur s’est rendu coupable d’actes délictueux, dont la fréquence et la gravité sont allées crescendo. Lorsqu’il a été libéré sur ordonnance judiciaire, l’auteur a systématiquement fait preuve d’un mépris flagrant à l’égard de ces ordonnances et du système judiciaire national en général. L’État partie conclut que l’auteur présente un grave danger pour le public au Canada et n’est pas exposé à un danger réel en Somalie et qu’il peut donc être expulsé.

6.9L’État partie prie le Comité de réexaminer sa demande de mesures provisoires, car l’auteur n’a pas montré, pas même à première vue, qu’il courrait personnellement un risque de préjudice irréparable s’il était renvoyé en Somalie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité prend note des nombreuses demandes présentées par l’auteur pour ne pas être expulsé vers la Somalie, notamment un appel de son ordonnance d’expulsion, des écritures en réponse à une demande d’avis de danger prononcée contre lui et une demande de contrôle juridictionnel de l’avis de danger en question. Il note que, selon l’État partie, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles parce qu’il n’a pas présenté de demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire, et n’a pas non plus présenté devant la Cour fédérale de demande d’autorisation de contrôle juridictionnel de la décision négative rendue par la Section d’appel de l’immigration en date du 8 avril 2009. Le Comité note également que l’auteur affirme que le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel de l’immigration en 2009 n’avait objectivement aucune chance d’aboutir et que, compte tenu du caractère discrétionnaire de l’examen des motifs d’ordre humanitaire, ces recours n’étaient pas utiles et qu’il n’était donc pas tenu de s’en prévaloir.

7.4Le Comité rappelle sa jurisprudence dont il ressort que l’auteur doit faire usage de tous les recours internes dans la mesure où de tels recours semblent être utiles en l’espèce et sont de facto ouverts à l’auteur. Le Comité constate qu’une demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire ne protège pas l’auteur d’une expulsion vers la Somalie au cours de l’examen de sa demande et ne constitue donc pas un recours utile. Pour ce qui est du fait que l’auteur n’a pas fait appel de l’avis négatif rendu par la Section d’appel de l’immigration, le Comité constate que la décision était fondée sur le paragraphe 2 de l’article 64 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui prévoit que les interdits de territoire qui ont été condamnés pour grande criminalité ne peuvent interjeter appel. En 2008, l’auteur a été interdit de territoire et une ordonnance d’expulsion a été prononcée le 7 avril 2008. Le 1er mai 2008, il a fait appel de cette décision devant la Section d’appel de l’immigration. Il a été débouté le 8 avril 2009. Le Comité constate qu’un appel n’aurait abouti que si l’auteur avait pu présenter une thèse « un tant soit peu défendable », une « question grave sur laquelle il restait à statuer » ou une erreur de droit ou de compétence. Il note que l’État partie n’a pas expliqué comment l’auteur aurait pu satisfaire à ces critères compte tenu de la clarté de la législation nationale et de la jurisprudence interne à cet égard. Dans les circonstances particulières de l’espèce, il estime donc qu’une demande d’autorisation d’interjeter appel devant la Cour fédérale ne constituait pas un recours utile. En conséquence, il estime qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la présente communication.

7.5Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses allégations de violation du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6, l’article 7, le paragraphe 4 de l’article 12, les articles 13, 17 et 18 et le paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte. Il considère que ces questions sont intimement liées au fond de l’affaire et estime que les griefs soulevés au titre de la violation du paragraphe 3 de l’article 2, qui est par nature accessoire des droits fondamentaux qui auraient été violés, ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité.

7.6En ce qui concerne les griefs que l’auteur tire du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7 du Pacte, le Comité note que, le 15 juin 2012, la représentante du Ministre a conclu que l’auteur ne risquait pas de subir personnellement un préjudice grave, qu’il représentait un danger pour le public canadien pour cause de « grande criminalité » et que, malgré son statut de réfugié, il pouvait être renvoyé dans son pays d’origine. Le Comité note que l’auteur a donné des détails sur le risque qu’il courrait de perdre la vie ou d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements. Il prend note en outre des griefs de l’auteur qui affirme qu’il courrait un risque généralisé de préjudice irréparable en raison de l’insécurité et des conditions de vie en Somalie, de son profil familial et du fait qu’il est un jeune musulman non extrémiste. Le Comité prend de plus note des déclarations de l’auteur relatives à l’assassinat de membres de sa famille, à l’absence de protection par son clan, à son identité et son apparence occidentales ainsi qu’au fait qu’il ne connaît pas les habitudes et pratiques locales et ne dispose pas de réseaux sociaux. Le Comité considère en conséquence que les griefs que l’auteur tire du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7 ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité.

7.7Pour ce qui est des allégations de l’auteur qui affirme que son expulsion vers la Somalie et sa séparation d’avec sa famille constitueraient une immixtion arbitraire ou illégale dans sa vie de famille, le Comité relève l’argument de l’auteur, selon qui son expulsion porterait atteinte à ses relations et à sa capacité de maintenir le contact avec ses proches et son important réseau d’amis au Canada. Il note également l’argument de l’auteur qui affirme qu’avant sa détention, il apportait un soutien quotidien à sa mère souffrante et lui prodiguait des soins. Le Comité considère donc que la situation de l’auteur soulève des questions au regard de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23, et procède à leur examen au fond.

7.8Le Comité note que l’auteur a indiqué avoir renoncé à faire valoir ses griefs au titre du paragraphe 4 de l’article 12 et des articles 13 et 18 du Pacte et ne les a pas étayés. Il conclut donc que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.9En conséquence, le Comité déclare la communication recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 6, des articles 7 et 17 et du paragraphe 1 de l’article 23, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, et il procède à leur examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

Paragraphe 1 de l’article 6 et article 7

8.2Le Comité relève l’affirmation de l’auteur, qui prétend qu’il serait exposé à la torture ou à des mauvais traitements s’il retournait en Somalie car son profil correspond à plusieurs catégories à risque établies par le HCR, et qu’il encourt personnellement des risques en Somalie. Le Comité relève aussi que, selon l’État partie, les autorités nationales compétentes ne sont pas convaincues que l’auteur serait pris pour cible par les Chabab s’il était renvoyé en Somalie.

8.3Le Comité rappelle son observation générale no 31 sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il a fait référence à l’obligation qu’ont les États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte (par. 12). Le Comité a également indiqué qu’un tel risque doit être personnel et qu’il faut des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. C’est pourquoi tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, notamment la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur. Le Comité rappelle que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée aux fins de déterminer l’existence d’un tel risque, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation a été arbitraire ou manifestement entachée d’erreur ou a représenté un déni de justice.

8.4Tout en prenant note des affirmations de l’auteur au sujet de la situation de sa famille, de l’assassinat de ses parents, de l’absence de protection par son clan, de son identité et de son apparence occidentales, et du fait qu’il ne connaît pas les habitudes et pratiques locales et ne dispose pas de réseaux sociaux, le Comité constate que les griefs de l’auteur ont été soigneusement examinés par les autorités de l’État partie dans le contexte de sa demande d’examen des risques avant renvoi et de l’avis de danger émis le 15 juin 2012 par la représentante du Ministre. Celle-ci a conclu que les violations générales des droits de l’homme et les mauvaises conditions prévalant dans le pays ne suffisaient pas à établir que l’auteur courrait un risque personnel s’il était renvoyé en Somalie. Elle a aussi conclu que l’auteur représentait un danger pour la sécurité publique au Canada pour cause de « grande criminalité ».

8.5Le Comité relève que, bien que l’auteur conteste l’évaluation et la conclusion de la représentante du Ministre concernant le risque de préjudice auquel il serait exposé en Somalie, il n’a présenté aucun nouvel élément de preuve pour étayer ses allégations au titre des articles 6 et 7. Le Comité considère que les informations disponibles montrent que l’État partie a tenu compte de tous les éléments dont il disposait pour apprécier le risque auquel l’auteur était exposé, et que celui-ci n’a fait apparaître aucune irrégularité dans le processus de prise de décisions. Le Comité considère également que, bien qu’il conteste les conclusions factuelles des autorités de l’État partie, l’auteur n’a pas montré qu’elles étaient arbitraires ou manifestement erronées ni qu’elles constituaient un déni de justice. Compte tenu de ce qui précède, le Comité ne peut pas conclure que les informations dont il est saisi montrent que les droits que l’auteur tient du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7 du Pacte seraient violés s’il était renvoyé en Somalie.

Article 17 et paragraphe 1 de l’article 23

8.6Pour ce qui est des allégations de violation de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort qu’il peut se produire des cas où le refus de l’État partie de laisser une personne rester sur son territoire représente une ingérence dans la vie de famille de l’intéressé. Toutefois, le simple fait que certains membres d’une famille aient le droit de rester sur le territoire d’un État partie ne fait pas forcément de l’expulsion d’autres membres de la même famille une ingérence du même ordre. Le Comité rappelle également ses observations générales no 16 (1988) sur le droit à la vie privée et no 19 (1990) sur la famille, dans lesquelles il a indiqué que la notion de famille doit être interprétée au sens large. Il rappelle en outre que la séparation d’une personne d’avec sa famille par l’intermédiaire d’une expulsion peut être considérée comme une immixtion arbitraire dans la famille et comme une violation de l’article 17 si, dans lescirconstances de la cause, les effets de la séparation sur l’auteur sont disproportionnés par rapport aux objectifs visés.

8.7Dans la présente espèce, le Comité considère que l’expulsion de l’auteur vers la Somalie constituerait une « immixtion » dans ses relations familiales au Canada au sens de l’article 17 du Pacte. Il doit donc déterminer si cette immixtion pourrait être considérée comme arbitraire ou illégale. Il rappelle que la notion d’« arbitraire » comprend des éléments tels que le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires, ainsi que les principes du caractère raisonnable, de la nécessité et de la proportionnalité. Il rappelle aussi que les critères pour établir si l’immixtion dans la vie de famille des intéressés peut ou ne peut pas être justifiée objectivement doivent être considérés d’une part eu égard à l’importance des motifs avancés par l’État partie pour expulser l’intéressé et d’autre part eu égard à la situation de détresse dans laquelle la famille et ses membres se trouveraient suite à l’expulsion.

8.8Le Comité note que, dans la présente espèce, la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de l’État partie prévoit expressément que le statut de résident permanent d’un étranger peut être révoqué en cas de condamnation pour une infraction grave punie d’une peine d’au moins deux ans d’emprisonnement. Il prend note également de l’observation formulée par l’État partie, selon qui les autorités n’ont agi ni illégalement ni arbitrairement et la perturbation minime causée à la vie de famille de l’auteur est sans commune mesure avec la gravité des infractions commises. Il prend note en outre du casier judiciaire de l’auteur, qui a été condamné pour la première infraction en 1998, à l’âge de 19 ans, et a accumulé 12 condamnations pénales en plus de treize ans, notamment pour des infractions violentes et passibles de longues peines d’emprisonnement. Il note que, du fait de ses condamnations, l’auteur a été interdit de territoire la première fois en janvier 2002 et a fait l’objet d’un arrêté d’expulsion le 7 avril 2008.

8.9Le Comité note également que l’auteur affirme entretenir des liens étroits avec sa mère, ses sœurs et son frère ; qu’il était le principal soutien de sa mère ; qu’il prévoit de continuer de la soutenir ; que son expulsion entraînerait une rupture totale de ses liens familiaux puisque sa famille ne pourrait pas aller en Somalie et qu’il n’aurait pas la possibilité de solliciter un visa pour rendre visite à sa famille au Canada pendant longtemps.

8.10Le Comité constate que l’auteur ne réside plus en Somalie depuis 1990 et qu’il n’a pas de famille dans ce pays ; qu’il vit depuis plus de vingt-trois ans au Canada où sa mère, ses sœurs et son frère vivent tous ; qu’il n’aurait qu’un soutien limité de son clan dans son pays d’origine ; qu’il n’aurait que des possibilités limitées de maintenir une correspondance régulière entre lui et sa famille. Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur, qui indique que les infractions pénales qu’il a commises étaient dues à son alcoolisme et qu’il s’est engagé à suivre un traitement contre la dépendance à l’alcool. Le Comité note aussi que l’étroitesse des liens familiaux de l’auteur avec sa mère et ses sœurs et ses frères est remise en cause par l’État partie, qui fait valoir que l’auteur a des contacts limités avec ses frères et sœurs, qu’en raison de sa détention, sa famille ne participe pas à sa réinsertion et que les liens de l’auteur avec sa famille et le soutien de celle-ci ne l’ont pas empêché de commettre des infractions pénales. Il prend note en outre de l’assertion de l’État partie, qui affirme que la mère de l’auteur dispose d’un soutien indépendant, que l’auteur a vécu en Somalie jusqu’à l’âge de 11 ans, qu’il parle somali, même si c’est avec quelque difficulté, et qu’il fait partie du clan majoritaire.

8.11Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que l’immixtion dans la vie de famille de l’auteur, bien que non négligeable, ne serait pas disproportionnée par rapport à l’objectif légitime de prévenir la commission d’autres infractions et de protéger le public. Il conclut par conséquent que, si elle était exécutée compte dûment tenu de la nécessité constante d’évaluer la situation en matière de sécurité à Mogadiscio et dans le sud ou dans le centre du pays, notamment pour les rapatriés dits occidentalisés qui ne peuvent guère compter sur leur famille ou sur leur clan, la décision d’expulser l’auteur vers la Somalie ne constituerait pas une violation de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi ne lui permettent pas de conclure que l’expulsion de l’auteur vers la Somalie, si elle était exécutée, constituerait une violation des droits que celui-ci tient du paragraphe 1 de l’article 6, des articles 7 et 17 et du paragraphe 1 de l’article 23, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

Annexe I

[Original : français]

Opinion individuelle de Yadh Ben Achour

1.Je rejoins le Comité dans sa décision de rejeter au fond la communication no 2387/2014, A.B. c.  Canada. Cependant, je voudrais souligner que le Comité n’a pas tenu compte d’un certain nombre d’éléments qui me semblaient essentiels, pour arriver aux mêmes conclusions sur le fond.

2.Dans le paragraphe 8.5 des constatations, le Comité affirme qu’il ne peut pas conclure que les informations dont il est saisi montrent que les droits de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 6 ou de l’article 7 du Pacte seraient violés s’il était renvoyé en Somalie. Par conséquent, ni le droit à la vie, ni le droit à la protection contre la torture ou les peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants ne sont ici en cause.

3.Dans ces conditions, il est impératif de rappeler les devoirs qui incombent à chaque étranger, qu’il soit résident temporaire, résident permanent, demandeur d’asile ou réfugié, se trouvant sur le territoire d’un pays d’accueil. Ces devoirs sont reconnus par le droit international, en particulier la Convention relative au statut des réfugiés et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

4.L’auteur avait, sur le territoire canadien, le statut de réfugié. Ce statut comporte des obligations définies par les articles 2 et 33 de la Convention relative au statut des réfugiés. L’article 2 dispose : « Tout réfugié a, à l’égard du pays où il se trouve, des devoirs qui comportent notamment l’obligation de se conformer aux lois et règlements ainsi qu’aux mesures prises pour le maintien de l’ordre public. ». Quant à l’article 33, qui protège contre toute expulsion ou refoulement de réfugiés, il soumet cependant cette interdiction à une condition sine qua non définie par l’alinéa 2 dudit article : « Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays. ».

5.Ces dispositions applicables aux réfugiés s’appliquent à l’égard de tout étranger. L’article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose : « Un étranger qui se trouve légalement sur le territoire d’un État partie au présent Pacte ne peut en être expulsé qu’en exécution d’une décision prise conformément à la loi et, à moins que des raisons impérieuses de sécurité nationale ne s’y opposent, il doit avoir la possibilité de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion. ». Si des raisons impérieuses de sécurité nationale peuvent s’opposer à la possibilité pour la victime d’une expulsion de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion, ces mêmes raisons impérieuses peuvent, a fortiori, être la cause de l’expulsion elle-même. Rappelons que, en l’occurrence, cette décision d’expulsion a été prise par les autorités canadiennes « conformément à la loi » et selon une procédure régulière qui a donné à l’auteur la possibilité de défendre sa cause.

6.Ces obligations ont été très gravement violées par l’auteur de la communication dont les actes antisociaux ont atteint un degré élevé de criminalité. Il ne s’agit pas de simples contraventions, mais de crimes. L’auteur est donc devenu, de son propre fait, un élément menaçant l’ordre public au Canada. C’est donc avec raison que le Gouvernement canadien soutient que l’auteur constitue un danger pour le public.

7.Les risques relatifs au droit à la vie et à la protection contre la torture étant écartés, comme indiqué au paragraphe 2 de la présente annexe, il fallait donc établir un juste équilibre à la fois entre les devoirs de l’auteur et ses droits, notamment son droit d’être protégé contre une expulsion et entre le danger qu’il fait courir à l’ordre public et les risques qu’il encourt s’il était renvoyé en Somalie. À ce niveau, le principe de proportionnalité s’impose. Or, de ce point de vue, le Comité n’a pas assez tenu compte de cette considération d’équilibre entre les devoirs et les droits de tout étranger en pays d’accueil, ni de la position du Gouvernement canadien faisant valoir que le danger que l’auteur faisait courir au public l’emportait largement sur le risque auquel il serait exposé en Somalie et que la mesure d’expulsion n’était pas disproportionnée par rapport au risque que l’auteur faisait courir à la population sur le territoire canadien (par. 3 des constatations).

8.L’accueil et la protection des réfugiés sont un devoir de l’État et un droit du réfugié. Mais ce droit doit se mériter et il n’est pas admissible qu’un réfugié se transforme en criminel sur le sol de l’État d’accueil. Dans ses constatations, le Comité aurait dû tenir compte de ces considérations essentielles, pour rejeter au fond la communication.

Annexe II

[Original : espagnol]

Opinion individuelle de Víctor Manuel Rodríguez Rescia

1.Je regrette de ne pouvoir m’associer à l’opinion de la majorité des membres du Comité en ce qui concerne la communication no 2387/2014.

2.Je considère que, même si le profil criminel de l’auteur était source de préoccupation pour l’État, il existe en l’espèce des éléments de déracinement du pays et de déracinement familial et culturel qui placeraient l’auteur dans une situation de risque imminent pour sa sécurité personnelle s’il était expulsé vers la Somalie, pays qui ne lui garantit pas un minimum de sécurité, les réseaux familiaux et claniques étant essentiels pour soutenir les personnes présentant des profils tels que celui de l’auteur. L’expulsion de celui-ci vers un pays tiers aurait pu être moins grave que la solution qui a été retenue.

3.L’État, cependant, a inscrit au cœur de cette affaire le fait que l’auteur représentait « un danger public pour le Canada », danger qui l’emportait largement sur « le risque minime auquel il serait exposé en Somalie », ajoutant que « les considérations d’ordre humanitaire en l’espèce étaient insuffisantes pour infirmer cette conclusion ». À mon avis, il y avait d’autres raisons que des raisons d’ordre humanitaire de ne pas expulser l’auteur vers la Somalie, pays qu’il avait quitté depuis plus de vingt ans et avec lequel il n’avait plus aucun lien en dehors de sa nationalité.

4.Si l’auteur est expulsé vers la Somalie, non seulement il sera forcé d’être un « étranger dans son propre pays », mais son éloignement pendant une très longue période a fait de lui un déraciné « occidentalisé » exposé à des risques pour sa sécurité physique et mentale en raison du profil de sa famille qui était très en vue sur le plan politique − et qui a dû fuir au Canada − et sa condition de personne qui ne peut pas compter sur sa famille ni sur son clan le placera dans une situation de vulnérabilité extrême, comme l’a déclaré le Comité dans une affaire similaire (communication no 1959/2010, Warsame c. Canada, constatations adoptées le 21 juillet 2011). Je considère que le profil de l’auteur le fait entrer dans certaines des catégories à risque recensées par le HCR en ce qui concerne la situation en Somalie.

5.Toute restriction qu’un État décide d’apporter aux droits énoncés dans le Pacte au sujet d’une personne qui relève de sa compétence doit satisfaire aux critères de légalité, de nécessité, de caractère raisonnable et de proportionnalité. J’estime que, dans la présente espèce, l’État n’a pas montré que la mesure d’expulsion serait raisonnable, et encore moins proportionnée à l’objectif. Ce n’était pas non plus une mesure nécessaire pour assurer la sécurité de sa population, car des mesures moins graves auraient suffi.

6.Compte tenu de ce qui précède, je considère que, s’il expulse l’auteur, l’État violera les droits consacrés par les articles 6, 7, 17 et 23 du Pacte, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

Annexe III

[Original : espagnol]

Opinion individuelle (dissidente) de Fabián Omar Salvioli

1.Je regrette d’être en désaccord avec la majorité des membres du Comité en ce qui concerne le raisonnement qu’elle a suivi et les conclusions auxquelles elle est parvenue dans l’affaire A.  B. c. Canada, pour les raisons exposées ci-dessous.

2.En ce qui concerne le risque pour la vie et l’intégrité dans le cas où l’auteur serait expulsé vers la Somalie, si l’État estime qu’il n’existe pas de risque grave, il lui appartient d’expliquer les raisons qui l’amènent à cette conclusion. Les affirmations de l’État à ce sujet ont un caractère général qui ne me permet pas de conclure que l’évaluation interne a satisfait aux précautions qu’exige généralement le Comité. Il semble au contraire que l’État se borne à considérer que l’auteur présente un danger pour la sécurité du Canada ; or le principe de non-refoulement est une règle impérative qui s’applique lorsque les deux éléments qu’elle envisage sont établis, sans que rien d’autre n’entre en considération − et certainement pas le comportement de la personne, aussi condamnable soit-il.

3.J’estime de même que dans la présente espèce, l’État violerait les droits protégés par l’article 17 du Pacte s’il procédait à l’expulsion de l’auteur. Dans ses constatations, le Comité estime que l’immixtion dans la vie de famille de l’auteur ne serait pas disproportionnée par rapport à l’objectif légitime de prévenir la commission d’autres infractions et de protéger la société (par. 8.11).

4.Je ne peux pas accepter ce raisonnement : l’État n’a pas expliqué pourquoi il n’applique pas en l’espèce des mesures qui seraient moins graves pour la vie de famille de A. B. (et de sa famille).

5.Toute restriction qu’un État décide d’apporter aux droits énoncés dans le Pacte au sujet d’une personne qui relève de sa compétence doit satisfaire aux critères de légalité, de nécessité, de caractère raisonnable et de proportionnalité. J’estime que, dans la présente espèce, l’État n’a pas montré que la mesure d’expulsion serait raisonnable, et encore moins proportionnée à l’objectif. Ce n’était pas non plus une mesure nécessaire pour assurer la sécurité de sa population, car des mesures moins graves auraient suffi.