Nations Unies

CCPR/C/116/D/2060/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

3 mai 2016

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2060/2011 * , **

Communication p résentée par :

W. M. G. (représenté par un conseil, Carole Simone Dahan)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Canada

Date de la communication :

10 mai 2011 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 12 mai 2011 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations :

11 mars 2016

Objet :

Expulsion vers le Zimbabwe d’une personne séropositive

Questions de procédure :

Épuisement des recours internes ; irrecevabilité ratione materiae ; griefs insuffisamment étayés

Questions de fond :

Droit à un recours utile ; droit à la vie ; torture, peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; procès équitable ; droit au respect de la vie privée, de la famille et de la réputation ; protection de la famille

Articles du Pacte :

2 (par. 3), 6 (par. 1), 7, 14 (par. 1, 2 et 3 c)), 17 et 23 (par. 1)

Articles du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteur de la communication est W. M. G., de nationalité zimbabwéenne, né le 29 juin 1970. Il affirme que son renvoi au Zimbabwe constituerait une violation des droits qu’il tient des articles 2 (par. 3), 6 (par. 1), 7, 14 (par. 1, 2 et 3 c)), 17 et 23 (par. 1) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 19 août 1976. L’auteur est représenté par un conseil, Carole Simone Dahan.

1.2Le 12 mai 2011, le Comité des droits de l’homme, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires et en application de l’article 92 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers le Zimbabwe tant que la communication serait à l’examen. Le 16 mai 2011, l’État partie a fait savoir qu’à la suite de la demande du Comité, il avait décidé, de ne pas expulser l’auteur.

1.3Le 19 août 2011, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de faire droit à la demande de levée des mesures provisoires présentée par l’État partie. Le 19 octobre 2011, le conseil de l’auteur a informé le Comité que l’auteur avait été expulsé.

Exposé des faits

2.1Le 15 septembre 1990, l’auteur a épousé L. S., elle aussi de nationalité zimbabwéenne. 7 enfants sont nés de leur union. 2 enfants sont nés au Zimbabwe en 1991 et 1997, et ont la nationalité zimbabwéenne ; 1 enfant est né aux États-Unis le 22 décembre 1998 et a la nationalité de ce pays ; et les 4 autres enfants sont nés au Canada en mai 2002, avril 2003, février 2006 et août 2007, respectivement, et ont la nationalité canadienne. En outre, l’auteur a eu un enfant avec B. N., né aux États-Unis le 14 mai 2001, et un autre enfant avec A. M., né au Canada en novembre 2002. Au total, l’auteur a trois enfants nés hors mariage, avec deux femmes différentes.

2.2Le 20 avril 1998, l’auteur a quitté le Zimbabwe avec sa femme et ses enfants, pour se rendre aux États-Unis, où ils ont vécu pendant quatre ans en situation régulière. L’auteur y a terminé ses études pastorales, ce qui lui a permis de devenir ministre du culte. Il a aussi suivi un programme de maîtrise en administration des affaires, avec une spécialisation dans le domaine bancaire et la finance dans une université de Caroline du Nord. Le 18 janvier 2001, l’auteur a été reconnu coupable par un tribunal de Caroline du Nord de tentative d’escroquerie. Condamné à une peine d’emprisonnement pour ce délit, il a bénéficié d’un sursis à condition qu’il quitte les États-Unis et verse une somme de 900 dollars des États-Unis à titre de réparation. L’auteur affirme avoir payé cette somme.

2.3Le 29 juillet 2001, l’auteur est arrivé au Canada avec sa femme et trois enfants. Il affirme que B. N. a elle aussi déménagé au Canada au même moment avec leur enfant. Ils ont été admis dans le pays en tant que visiteurs pour une période de six mois. Le 26 septembre 2001, ils ont présenté une demande d’asile à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR). L’auteur a déclaré qu’il risquait d’être persécuté au Zimbabwe par des membres de l’Association des anciens combattants (War Veterans Association) et par le ZANU‑Front patriotique (Zimbabwe African National Union Patriotic Front), qui était alors au pouvoir. Il affirme en outre qu’une fois au Canada, il a créé avec d’autres personnes une branche locale du Mouvement pour le changement démocratique, parti d’opposition au Gouvernement zimbabwéen.

2.4Les autorités de l’État partie ayant appris la condamnation de l’auteur aux États‑Unis, la Section de l’immigration de la CISR a conclu que l’auteur était interdit de territoire au Canada pour des faits de criminalité, conformément à l’article 36 2) b) de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. À l’issue d’une audience qui a eu lieu le 19 décembre 2002, une décision de renvoi a été prise contre lui.

2.5En 2002 et 2003, l’auteur a été accusé de 12 chefs d’agression contre B. N. et A. M., mais les charges ont été ensuite retirées. Dans ce contexte, le 19 février 2004, l’auteur a fait l’objet d’une ordonnance restrictive l’obligeant à s’abstenir de tout contact avec B. N. et A. M. pendant un an.

2.6Le 8 décembre 2003, la CISR a rejeté la demande d’asile de l’auteur au motif qu’il n’avait apporté aucune preuve concernant ses allégations de persécution par l’Association des anciens combattants et qu’il n’avait pas rectifié ni expliqué les contradictions entre son témoignage lors de l’audition et ses allégations figurant dans son formulaire de renseignements personnels, concernant notamment le moment de sa demande d’asile et les allégations de persécution de sa famille au Zimbabwe. À propos de son affiliation au Mouvement pour le changement démocratique alors qu’il était au Canada, la Commission a noté que l’auteur avait adhéré à ce mouvement quelques mois après avoir demandé l’asile et qu’il n’avait apporté aucune preuve concernant ses prétendues activités de collecteur de fonds de cette organisation.

2.7Le 31 mai 2004, l’auteur a déposé une demande d’examen des risques avant renvoi (demande ERAR) auprès de Citoyenneté et immigration Canada, faisant valoir essentiellement les mêmes risques de persécution que ceux contenus dans sa demande d’asile.

2.8Le 12 juillet 2004, l’auteur a plaidé coupable devant un tribunal de l’Ontario des chefs de fraude pour une valeur dépassant 5 000 dollars canadiens et de non‑respect d’un engagement, en violation des articles 380 1) et 145 3) du Code criminel du Canada, respectivement. Il a été condamné à un jour de prison pour chaque chef d’accusation (à exécuter concurremment, en plus des dix‑huit jours de détention provisoire) et au versement d’une somme de 7 340 dollars canadiens, ce dont il s’est acquitté.

2.9Le 18 octobre 2004, la demande ERAR a été rejetée, l’auteur n’ayant pas démontré qu’il courrait un risque de persécution à son retour au Zimbabwe. L’agent chargé de l’ERAR a notamment conclu que le récit de l’auteur et les éléments justificatifs soumis par lui étaient fabriqués de toutes pièces ou sujets à caution ; qu’il n’avait pas apporté la preuve de ses prétendues activités pour la branche du Mouvement pour le changement démocratique au Canada ni du fait qu’il avait déjà été ou serait considéré comme un opposant au Gouvernement zimbabwéen ou qu’il n’avait pas non plus démontré que les autorités zimbabwéennes avaient eu connaissance d’éventuelles activités du Mouvement pour le changement démocratique auxquelles il aurait participé. En outre, le médiocre bilan du pays en matière de droits de l’homme n’était pas un élément suffisant permettant de conclure que l’auteur risquerait d’être persécuté en cas d’expulsion. À l’issue de la procédure d’examen des risques avant renvoi, l’auteur a informé l’Agence des services frontaliers du Canada qu’il ne pouvait pas se rendre à l’entretien prévu pour la notification de la décision ERAR car il avait déménagé de Mississauga à Calgary. En février 2005, il ne s’est pas non plus présenté à l’Agence de Calgary pour recevoir notification de la décision ERAR. Un mandat d’arrêt a été émis contre lui. En avril 2005, l’auteur a été arrêté puis libéré contre versement d’une caution en espèces. En août 2005, l’auteur est revenu à Mississauga.

2.10Le 9 décembre 2005, l’auteur a été déclaré coupable d’usurpation d’identité dans une affaire concernant une demande de prêt hypothécaire, en violation de l’article 403 a) du Code criminel. Il a été condamné à une peine avec sursis et à dix‑huit mois de probation.

2.11Le 1er février 2007, l’auteur a été accusé de faux et usage de faux, de fraude pour une valeur inférieure à 5 000 dollars canadiens, de non‑respect d’une ordonnance de probation, d’usage non autorisé d’une carte de crédit, de complot en vue de commettre une fraude, de fraude pour une valeur dépassant 5 000 dollars canadiens, de recel de biens d’une valeur dépassant 5 000 dollars canadiens et de la vente d’une marque de commerce contrefaite. Il a été écroué le jour même. Le 5 avril, l’auteur a plaidé coupable et a été condamné à cent jours de prison pour chaque chef d’accusation, à exécuter concurremment, et à soixante‑cinq jours de détention présentencielle. En juin 2007, après avoir purgé sa peine, l’auteur a été placé dans un centre de rétention des services de l’immigration tandis que l’Agence des services frontaliers du Canada prenait des dispositions en vue de son expulsion. C’est durant sa détention, à la fin juillet et en août 2007, que l’auteur a été informé de sa séropositivité (et de sa réaction positive au test de Mantoux) par le médecin de l’établissement. Sa femme et l’enfant née en 2003 ont aussi été diagnostiquées séropositives.

2.12Le 15 novembre 2007, l’auteur et sa femme ont déposé une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (CH). Ils invoquaient la séropositivité de l’auteur, de sa femme et d’une de leurs filles et soutenaient qu’ils n’auraient ni la possibilité ni les moyens d’obtenir un traitement médical et des médicaments antirétroviraux au Zimbabwe ; que la situation politique et socioéconomique au Zimbabwe était très défavorable, y compris en matière de droits de l’homme ; qu’en tant que demandeurs d’asile déboutés, ils seraient gravement maltraités ; et que l’intérêt supérieur de leurs sept enfants commandait qu’ils restent ensemble, en famille, au Canada.

2.13Le 19 novembre 2007, l’auteur a demandé qu’il soit sursis à son expulsion du Canada jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande CH. Le 5 décembre, le fonctionnaire de l’Agence des services frontaliers du Canada responsable a rejeté cette demande. Il a noté qu’un médecin avait conclu que l’auteur, en dépit de sa séropositivité, présentait un système immunitaire pleinement fonctionnel et qu’il n’avait pas encore commencé de traitement antirétroviral ; et que les documents soumis par l’auteur montraient que les médicaments antirétroviraux étaient disponibles au Zimbabwe et que l’auteur pourrait donc s’en procurer en dépit de leur coût. L’agent a également noté que l’auteur n’avait rien indiqué concernant sa participation à l’éducation de ses enfants ; et que c’était leur mère qui s’occupait des enfants, sous la surveillance des services de protection de l’enfance (Children’s Aid Society) de Durham en vertu d’une ordonnance de la Cour supérieure de justice de l’Ontario. De plus, l’expulsion de l’auteur ne ferait que maintenir le statu quo, puisque l’auteur était séparé de sa famille depuis le 10 février 2007 comme suite à son incarcération. Son expulsion était prévue pour le 8 janvier 2008.

2.14Le 12 décembre 2007, l’auteur a saisi la Cour fédérale d’une demande d’autorisation et de contrôle juridictionnel du refus de surseoir à son expulsion durant l’examen de sa demande CH. En conséquence, la Cour fédérale a décidé de surseoir à l’exécution de la mesure d’expulsion. En mars 2008, l’auteur a été remis en liberté. Il a affirmé avoir eu régulièrement des conversations téléphoniques avec sa femme et ses enfants durant sa détention. Le 7 juillet, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle juridictionnel déposée par l’auteur, après avoir conclu à l’absence d’erreur susceptible de révision dans la décision d’expulsion prise par l’agent responsable.

2.15Le 13 août 2008, un nouvel arrêté d’expulsion a été pris par l’Agence des services frontaliers du Canada. Le 26 août, un fonctionnaire de l’Agence a refusé la demande de report présentée par l’auteur. Le 29 août, l’auteur a saisi la Cour fédérale d’une nouvelle demande d’autorisation et de contrôle juridictionnel de la décision de ne pas surseoir à son expulsion vers son pays d’origine durant l’examen de sa demande CH. Le 29 janvier 2009, l’auteur a de nouveau été placé en détention. Le 17 février, la Cour fédérale a annulé la décision de l’agent responsable et décidé de surseoir à l’expulsion de l’auteur jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande CH. En octobre, l’auteur a été remis en liberté moyennant le versement d’une caution en espèces.

2.16Le 27 novembre 2009, Citoyenneté et immigration Canada a décidé d’accorder un permis de résidence pour considérations d’ordre humanitaire à la femme de l’auteur et à leurs trois enfants n’ayant pas la nationalité canadienne ; la demande CH de l’auteur a quant à elle été rejetée. L’Agence a estimé, que bien que l’expulsion de l’auteur signifiait que celui-ci serait séparé de façon permanente de sa femme et de ses sept enfants, sa demande était irrecevable en raison de faits de grande criminalité, conformément à l’article 25 1) de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Plus particulièrement, l’auteur avait un passé délictueux de fraudes commises tant au Canada qu’aux États-Unis ; rien ne démontrait qu’il ait fait de quelconques efforts de redressement ; son comportement était marqué par une succession d’opérations malhonnêtes ; la confiance dont il bénéficiait en raison de son activité de ministre du culte évangélique et organisateur/collecteur de fonds pour sa propre association caritative constituait un facteur aggravant. Il avait en outre noué plusieurs relations extraconjugales qui l’avaient conduit à signer un engagement de ne pas troubler l’ordre public l’obligeant à s’abstenir de tout contact avec les femmes concernées. De plus, il avait enfreint les lois sur l’immigration à plusieurs reprises par la façon dont il était entré sur le territoire de l’État partie, et par son inobservation de différentes demandes d’expulsion de l’Agence des services frontaliers du Canada ainsi que des conditions qui lui étaient imposées lors de sa remise en liberté.

2.17À propos des allégations de l’auteur concernant les difficultés d’obtention de médicaments antirétroviraux au Zimbabwe, Citoyenneté et immigration Canada indiquait que selon les informations communiquées par des médecins désignés par le Canada au Zimbabwe, ces médicaments étaient disponibles dans les pharmacies des principales villes du Zimbabwe ; qu’ils pouvaient être livrés sans difficulté en zone rurale ; que leur prix moyen était de 30 dollars des États‑Unis par mois, et qu’un certain nombre d’établissements proposaient gratuitement le traitement. De plus, l’auteur était un homme valide et instruit, qui devrait être en mesure d’obtenir le traitement dont il avait besoin au Zimbabwe. Enfin, l’auteur n’avait encore suivi aucun traitement antirétroviral, si bien que les effets d’une interruption du traitement consécutive à une expulsion ne sont pas à craindre.

2.18Citoyenneté et immigration Canada a affirmé que la séparation de l’auteur de sa femme et de ses enfants serait difficile à vivre pour lui‑même et sa famille au Canada. Cependant, compte tenu des périodes où il a été incarcéré ou détenu dans un centre de rétention, de sa réinstallation provisoire à Calgary en 2004‑2005 ainsi que de périodes de détention pendant ce laps de temps, l’auteur avait été séparé de ses enfants pour des durées relativement longues, en particulier au cours des trois années précédant la décision de Citoyenneté et immigration. Ainsi, toute séparation ultérieure imposée à l’auteur s’inscrirait dans la continuité de la situation existante. Il était en outre précisé qu’à la suite de l’incarcération de l’auteur et de sa femme, les services de protection de l’enfance de Durham leur avaient retiré leurs enfants, qu’ils avaient placés en foyer d’accueil ; qu’en septembre 2007, les enfants avaient été rendus à la garde de leur mère, sous la surveillance des services de protection de l’enfance ; et qu’elle élevait seule les enfants et avait gagné la confiance des services de protection, qui estimaient qu’elle avait les aptitudes requises pour s’occuper de ses enfants sans son conjoint.

2.19Concernant la situation au Zimbabwe, Citoyenneté et immigration Canada notait que, selon des informations récentes disponibles dans le domaine public, la crise humanitaire et économique au Zimbabwe était maîtrisée et touchait à sa fin ; que l’auteur n’avait pas expliqué pourquoi il était susceptible de subir des mauvais traitements en sa qualité de demandeur d’asile débouté et séropositif ; qu’aucune information récente n’indiquait que les demandeurs d’asile déboutés risquaient de rencontrer des problèmes à leur retour au Zimbabwe ; et que même si le VIH/sida suscitait encore une réprobation susceptible de se traduire par de la discrimination au Zimbabwe, cela ne signifiait pas que des personnes séropositives étaient maltraitées.

2.20Le 6 janvier 2010, l’auteur a saisi la Cour fédérale d’une demande d’autorisation et de contrôle juridictionnel de la décision de ne pas faire droit à sa demande CH, qui a été rejetée le 4 mai 2010.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur a affirmé que son expulsion vers le Zimbabwe constituerait une violation des droits qu’il tient des articles 2 (par. 3), 6 (par. 1), 7, 17 et 23 (par. 1) du Pacte.

3.2L’auteur a soutenu que sa vie serait menacée et qu’il risquerait d’être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en cas de renvoi dans son pays d’origine, en violation des articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte. Il est séropositif pour le VIH et a réagi positivement au test de Mantoux. D’après la lettre d’un médecin datée du 27 avril 2011, s’il restait au Canada, l’auteur recevrait immédiatement un traitement médical pour le VIH alors qu’au Zimbabwe il ne recevrait un traitement qu’à un stade plus avancé de l’infection. Il suivrait aussi un traitement contre la tuberculose, difficile à obtenir au Zimbabwe. L’auteur a ajouté qu’il n’aurait ni la possibilité ni les moyens d’obtenir les antirétroviraux dont il a besoin. Il n’aurait ni appui des pouvoirs publics ni soutien familial, serait très vraisemblablement sans emploi et ne pourrait pas satisfaire ses besoins essentiels, notamment alimentaires. Dans ce contexte, l’auteur a affirmé que sa vie serait gravement menacée s’il était renvoyé au Zimbabwe.

3.3Le Zimbabwe a l’un des taux de prévalence du VIH/sida les plus élevés au monde et est aussi le pays qui compte le plus de personnes vivant avec le sida sans avoir accès à un traitement. À la fin de 2009, moins de 50 % des personnes vivant avec le VIH avaient accès aux traitements antirétroviraux que nécessitait leur état. L’accès aux antirétroviraux est souvent entravé par la corruption. En raison de l’irrégularité de l’approvisionnement, il arrive souvent que les médecins modifient la posologie antirétrovirale, passant à d’autres schémas posologiques, en fonction de la disponibilité des médicaments et non des besoins cliniques. Les établissements de santé connaissent de graves pénuries de fournitures et d’équipements de laboratoire qui sont indispensables pour dispenser des soins aux séropositifs et aux malades du sida. Les personnes séropositives ne bénéficient que d’un soutien modeste en matière de consultations et d’aide sociale. De même, elles sont insuffisamment aidées dans le domaine de la nutrition, de l’accès à une eau salubre et en ce qui concerne d’autres facteurs pertinents pour leur santé. Pour des raisons de coût, la plupart des Zimbabwéens ne peuvent se faire soigner dans des établissements privés, un traitement contre le VIH supposant un budget d’au moins 100 dollars des États-Unis par mois.

3.4L’auteur soutient qu’il serait considéré comme un opposant au régime et serait donc pris pour cible par les autorités zimbabwéennes. Il affirme qu’il serait interrogé par les autorités à son arrivée ; et que les membres des forces de sécurité et de l’ancien parti au pouvoir, le ZANU‑Front patriotique, continueraient de commettre des violations des droits de l’homme, y compris des arrestations arbitraires, des tortures et des exécutions, contre les membres et partisans d’anciens partis d’opposition, comme le Mouvement pour le changement démocratique et ceux qui critiquent le ZANU‑Front patriotique.

3.5Son expulsion vers le Zimbabwe constituerait aussi une immixtion arbitraire et illégale dans sa famille et une violation des droits qu’il tient des articles 17 et 23 du Pacte puisqu’il serait séparé de sa femme et de ses enfants, qui resteraient au Canada. Cette situation le plongerait dans un grand désarroi. Selon ses dires, il a été très impliqué dans son rôle d’époux et de père et sa famille avait besoin de sa présence. Compte tenu de sa séropositivité et de celle de sa femme, et de la précarité de leur état de santé, il était indispensable qu’ils offrent à leurs enfants toutes les chances d’une éducation stable, en particulier si l’un des deux tombait malade ou mourait. De plus, sa femme et une de ses filles étaient également séropositives et devraient rester au Canada pour recevoir un traitement médical, si bien qu’il était improbable que sa femme et ses enfants lui rendent visite au Zimbabwe. Enfin, l’auteur a soutenu que les condamnations pénales se rapportaient toutes à des infractions non violentes et que la peine la plus longue qui lui avait été infligée était de cent jours. Dans ce contexte, la décision d’expulser l’auteur vers son pays d’origine était disproportionnée par rapport à l’objectif de l’État partie de prévenir la délinquance.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 16 août 2011, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable pour incompatibilité avec le Pacte, absence de justification des griefs et non‑épuisement des recours internes. Si le Comité déclarait la communication recevable, l’État partie affirme que le renvoi de l’auteur vers son pays d’origine ne constituerait pas une violation du Pacte.

4.2L’État partie souligne que, depuis son arrivée au Canada, l’auteur a été condamné pour 11 infractions pénales et accusé de nombreuses autres infractions violentes et non violentes (14 pour fraude et 8 pour agression), qui ont été ensuite retirées par le ministère public et n’ont pas donné lieu à un procès. Bien que non démontrées judiciairement, ces accusations illustrent à quel point l’auteur était en conflit avec la loi. En particulier, les accusations d’agression étaient suffisamment graves pour donner lieu à une décision judiciaire interdisant à l’auteur tout contact avec ses victimes présumées, à savoir les deux femmes avec qui il entretenait des relations extraconjugales, B. N. et A. M., pendant un an. Il lui a aussi été interdit de posséder une arme durant cette période. A. M. était visiblement enceinte de l’enfant de l’auteur au moment de l’une des agressions présumées. Le 30 mai 2011, l’auteur a été accusé de deux nouveaux chefs d’agression, dont sa femme aurait été la victime. Lorsque les observations ont été soumises au Comité, l’auteur était en détention provisoire en attendant d’être jugé pour quatre chefs d’accusation de fraude (trois concernant l’utilisation frauduleuse de données de cartes de crédit et un de fraude pour une valeur dépassant 5 000 dollars canadiens). L’État partie fait observer en outre que l’auteur associait sa femme et B. N. à ses activités criminelles. Les deux femmes ont ainsi été arrêtées en raison d’infractions commises par l’auteur, ce qui a entraîné le placement de ses enfants en foyer d’accueil pendant que lui‑même et son épouse étaient incarcérés.

4.3L’auteur a aussi manifesté un mépris total de la loi en violant pratiquement toutes les décisions de justice et les conditions qui lui étaient imposées en matière d’immigration. Surtout, il a rompu l’engagement qu’il avait signé le 19 février 2004 et qui l’obligeait à s’abstenir de tout contact avec B. N. et A. M.

4.4L’État partie soutient que les griefs de l’auteur au titre de l’article 2 (par. 3) du Pacte devraient être déclarés irrecevables en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif car ils sont incompatibles ratione materiae avec les dispositions du Pacte. L’auteur a invoqué l’article 2 (par. 3) pour revendiquer un droit autonome à une voie de recours utile. À titre subsidiaire, la violation alléguée de l’article 2 (par. 3) n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité.

4.5S’agissant des griefs de violation des articles 6 (par. 1) et 7 formulés par l’auteur en relation avec le prétendu risque de persécution politique au Zimbabwe, en tant que demandeur d’asile débouté ou à un autre titre, l’État partie soutient qu’ils sont irrecevables faute d’épuisement des recours internes parce que l’auteur n’a pas usé de la faculté de saisir la Cour fédérale d’une demande de contrôle juridictionnel de la décision négative de la CISR concernant sa demande d’asile ou contre la décision négative relative à l’ERAR, qui toutes deux concernaient ces risques. Compte tenu que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles et utiles en deux occasions distinctes, le Comité devrait déclarer irrecevable son grief concernant le risque de persécution qu’il courrait en tant que demandeur d’asile débouté.

4.6En outre, l’État partie fait valoir que les griefs de l’auteur au titre des articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte ne sont pas étayés. Rien ne laisse penser que l’auteur serait identifié et personnellement visé au Zimbabwe pour quelque raison que ce soit. L’auteur invoque un rapport daté du 8 mars 2011, dans lequel Human Rights Watch dénonce les violations des droits de l’homme qui continuent d’être commises au Zimbabwe contre des membres et des partisans du Mouvement pour le changement démocratique et ceux qui critiquent le ZANU‑Front Patriotique. Or, le rapport ne fait aucune mention des déboutés du droit d’asile qui rentrent au Zimbabwe. L’État partie relève également que rien n’indique que ces personnes seraient considérées comme des opposants au ZANU‑Front patriotique.

4.7S’agissant des allégations de l’auteur qui affirme qu’il est impossible ou très coûteux de se procurer des antirétroviraux au Zimbabwe, l’État partie souligne que ses autorités ont fondé leurs décisions sur des informations provenant de sources libres et sur des avis médicaux de médecins pratiquant dans ce pays, d’où il ressort que les antirétroviraux peuvent être achetés en pharmacie au Zimbabwe pour environ 30 dollars des États‑Unis par mois ou peuvent être obtenus gratuitement dans divers établissements ; que d’autres rapports nationaux plus récents confirment la disponibilité des antirétroviraux au Zimbabwe ; et que l’auteur a de la famille au Zimbabwe sur le soutien de laquelle il peut compter. L’État partie indique que, depuis sa détention le 30 mai 2011, l’auteur a refusé de se soumettre à des examens sanguins qui auraient permis à l’État partie de vérifier le taux actuel de ses cellules CD4. À la date à laquelle les observations ont été soumises au Comité, l’auteur ne prenait aucun médicament.

4.8L’État partie affirme que l’auteur serait en mesure, selon toute vraisemblance, d’acheter des antirétroviraux à titre privé, étant donné le coût de ces médicaments et sa situation personnelle, notamment le fait qu’il a passé l’essentiel de sa vie au Zimbabwe et ne serait pas inconnu du système social et de santé ; que l’auteur a reçu, selon ses propres dires, une éducation poussée et est un homme d’affaires prospère ; qu’il semble être en bonne santé en dépit de sa séropositivité, et qu’il a de la famille au Zimbabwe. Tous ces facteurs donnent à penser que l’auteur serait mieux placé que la très grande majorité des Zimbabwéens pour obtenir un emploi rémunéré ou créer son propre emploi, qui lui permettrait de payer un traitement antirétroviral en cas de nécessité.

4.9Selon l’État partie, l’allégation de l’auteur affirmant qu’il n’avait aucune famille au Zimbabwe n’est pas étayée et manque de crédibilité. Il a commencé par affirmer que ses parents étaient décédés et qu’il n’avait que quatre frères et sœurs, dont aucun au Zimbabwe. Or, dans le contexte de sa demande ERAR, il a dit avoir 6 frères et sœurs, dont 5étaient encore en vie. Il a aussi indiqué qu’un de ses frères lui avait écrit du Zimbabwe. Dans sa demandeCH de novembre 2007, il a mentionné ses trois neveux qui étaient au Zimbabwe. Il a aussi déclaré aux responsables des services d’immigration canadiens que sa belle‑mère et sa belle‑sœur, qui vivent à 60miles au nord de Harare, l’attendraient à son arrivée auZimbabwes’il était expulsé. Dans ce contexte, il pourrait vraisemblablement compter sur un appui familial, y compris pour recevoir un traitement antirétroviral, s’il était renvoyé au Zimbabwe.

4.10S’agissant des griefs de l’auteur tirés des articles 17 (par. 1) et 23 du Pacte, l’État partie soutient qu’ils devraient être déclarés irrecevables faute d’avoir été suffisamment étayés. L’expulsion de l’auteur de l’État partie constituerait une immixtion dans ses rapports familiaux étant donné que sa femme et ses enfants choisiraient vraisemblablement de rester au Canada. Or, l’impact de cette mesure a été évalué de manière approfondie et rationnelle par les autorités dans le cadre de l’examen de la demande CH et de la demande aux fins de sursis à l’expulsion de l’auteur. En l’occurrence, la décision d’expulser l’auteur en dépit de ses liens familiaux au Canada a été motivée par plusieurs considérations, notamment les épisodes de séparation de sa famille depuis son arrivée au Canada, l’aptitude avérée de sa femme à s’occuper de ses enfants en tant que mère célibataire, l’absence de toute preuve de l’implication de l’auteur dans l’éducation de ses enfants, et l’absence de tout commentaire concernant ses trois autres enfants nés de ses deux autres partenaires. En conséquence, l’expulsion de l’auteur ne saurait être considérée comme illégale ou arbitraire aux fins des articles 17 et 23. Les accusations portées contre l’auteur pour agression sur sa femme confortent les conclusions dégagées par les autorités de l’État partie. Ces accusations, même si elles n’ont pas encore été démontrées judiciairement, s’inscrivent dans la logique des précédentes accusations de violence familiale portées contre l’auteur dans le contexte de deux autres relations.

4.11L’expulsion de l’auteur constituerait en l’occurrence une immixtion raisonnable dans sa vie familiale et serait un moyen proportionné de réaliser les objectifs légitimes visés par le Pacte. L’auteur ne saurait prétendre avoir à aucun moment espéré mener une vie familiale au Canada puisqu’il n’a jamais obtenu de statut juridique dans l’État partie qui lui aurait laissé croire qu’il resterait dans le pays. De plus, il n’a pas présenté de preuves pertinentes et suffisantes démontrant qu’il participe activement à la vie de sa famille, en tant que mari et père. Au contraire, les éléments disponibles montrent que les activités délictueuses de l’auteur ont eu des répercussions négatives sur la vie de ses enfants. En particulier, lorsque lui-même et sa femme ont été arrêtés en 2007 et condamnés pour fraude, leurs enfants ont été placés en foyer d’accueil pendant six mois et sont restés jusqu’en mars 2009 sous la surveillance des services de protection de l’enfance. Ces derniers considéraient la famille comme problématique, notamment en raison de son instabilité, du manque de suivi des rendez-vous médicaux et des traitements prescrits pour les enfants, et de l’implication du père dans des affaires de fraude. Un tel manque d’intérêt pour la santé des enfants ne cadre pas avec la présence d’une figure paternelle jouant un rôle actif dans la vie de ses enfants. Dans le cadre des procédures internes, l’auteur n’a jamais exprimé aucun intérêt pour ses enfants nés de ses relations extraconjugales et n’a jamais produit aucune preuve permettant de penser qu’il contribuait d’une quelconque façon à leur prise en charge et à leur éducation.

4.12Dans ces circonstances, l’expulsion de l’auteur vers le Zimbabwe constituerait une ingérence raisonnable dans sa vie familiale et serait un moyen proportionné de réaliser les objectifs légitimes prévus par le Pacte, c’est-à-dire protéger la société contre l’auteur et garantir l’intégrité du système d’immigration de l’État partie. Les effets de cette ingérence sur l’auteur ne seraient pas excessifs par rapport aux dommages que l’expulsion de celui‑ci vise à prévenir. Il est probable que si l’auteur était autorisé à rester dans l’État partie, il récidiverait dans la délinquance, ce qui entraînerait des périodes de plus en plus longues d’incarcération et de séparation de sa famille. Cela ferait peser une charge excessive sur le système judiciaire sans avoir aucun effet, ou en n’ayant qu’un effet marginal, sur sa vie familiale.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1L’auteur, par l’intermédiaire de son conseil, a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond dans une lettre datée du 16 février 2012. Le conseil a informé le Comité qu’en dépit des dispositions précédemment convenues avec l’auteur, il lui était impossible d’entrer en contact avec lui depuis qu’il avait été expulsé vers le Zimbabwe. Elle a réitéré les griefs énoncés dans la communication initiale.

5.2Le conseil affirme que l’auteur a épuisé tous les recours internes utiles. La saisine de la Cour fédérale d’une demande de contrôle juridictionnel de la décision de la CISR relative à sa demande d’asile n’est pas un recours utile car elle n’a aucune chance raisonnable d’aboutir. La compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle juridictionnel est très limitée. L’accès au contrôle juridictionnel de décisions prises en vertu de la législation sur l’immigration est subordonné à une autorisation, et cette condition est interprétée de façon incohérente, et donc arbitraire, par la Cour. En outre, l’autorisation de contrôle juridictionnel est accordée dans 10 % environ des cas et 0,4 % seulement des décisions de la CISR sont réformées par la Cour fédérale. La compétence de la Cour fédérale, lorsqu’elle examine une demande de contrôle juridictionnel, est limitée aux erreurs grossières comme les abus de compétence, l’inobservation d’un principe de justice naturelle ou d’une autre procédure imposée par la loi, des erreurs de droit et des constatations de fait erronées, iniques ou arbitraires ou faites sans égard aux éléments soumis à la Commission.

5.3S’agissant de l’ERAR, le conseil soutient qu’une telle demande ne devrait pas être considérée en soi comme un recours utile, car elle est rarement couronnée de succès. À titre subsidiaire, il n’est pas possible de saisir la Cour fédérale d’une demande de contrôle juridictionnel d’une décision ERAR négative. Dans le cas de l’auteur, l’ERAR lui-même n’était pas un recours utile puisque les autorités qui ont examiné la demande présentée à ce titre n’ont pas procédé à une enquête approfondie et en bonne et due forme. C’est pourquoi l’évaluation effectuée par les autorités dans le cadre de la décision ERAR était entachée d’arbitraire et constituait un déni de justice.

5.4L’expulsion de l’auteur vers le Zimbabwe créait un risque réel et prévisible de préjudice irréparable, en violation des droits garantis par les articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte, comme il avait été exposé dans la communication initiale de l’auteur. La situation politique au Zimbabwe restait fragile, ce que l’État partie reconnaît lui-même, par exemple en appliquant un moratoire sur les expulsions et en interdisant l’exportation d’armes et de matériels connexes vers le Zimbabwe.

5.5L’auteur n’aura ni la possibilité ni les moyens de se procurer des antirétroviraux au Zimbabwe. Ayant vécu hors de ce pays pendant plus de quatorze ans, et eu égard à son état de santé, il est peu probable qu’il puisse obtenir un emploi ou créer une entreprise. Selon la Banque mondiale, le revenu national brut par habitant au Zimbabwe s’élève à un peu plus de 38 dollars des États‑Unis. Dès lors, il est impensable qu’une personne ordinaire puisse gagner un salaire suffisant pour assumer la charge du coût mensuel des antirétroviraux indiqué par l’État partie (30 dollars des États‑Unis). De plus, l’auteur n’a aucun proche au Zimbabwe.

5.6L’État partie a aussi violé les droits que l’auteur tient de l’article 14 (par. 1, 2 et 3 c)) du Pacte. Il n’a pas avancé de motif raisonnable et objectif pour justifier sa décision d’expulser l’auteur avant de lui permettre de faire entendre sa cause équitablement et publiquement afin de se défendre contre les accusations portées contre lui le 30 mai 2011 pour agression, comme suite aux violences familiales prétendument commises contre sa femme. Dès lors, l’État partie n’a pas assuré à l’auteur un procès équitable par un tribunal compétent, indépendant et impartial, en violation des droits garantis par l’article 14 (par. 1). L’État partie s’appuie sur des accusations non démontrées contre l’auteur, bien qu’il n’ait jamais été statué sur ces accusations. Compte tenu du droit à la présomption d’innocence consacré à l’article 14 (par. 2), le Comité, pour se prononcer, ne devrait pas prendre en considération le fait que l’auteur a été accusé d’agression contre sa femme. En ce qui concerne l’article 14 (par. 3 c)), il est affirmé que l’expulsion de l’auteur vers le Zimbabwe a retardé de façon injustifiée la procédure relative aux accusations d’agression. L’auteur n’a pas pu se défendre lui-même ni être présent au procès.

5.7En ce qui concerne les griefs de l’auteur tirés des articles 17 et 23 (par. 1), le conseil soutient que l’État partie s’appuyait dans une large mesure sur les accusations portées contre l’auteur pour agression, dont sa femme aurait été la victime. Or, au moment où ses commentaires ont été soumis au Comité, l’auteur n’avait fait l’objet d’aucune nouvelle condamnation pénale. En outre, son expulsion ne servait pas l’intérêt de l’État partie puisque l’auteur n’avait pas été déclaré coupable d’infraction violente, tandis que, compte tenu de la nature permanente de la mesure d’expulsion, la famille de l’auteur serait dramatiquement affectée. Dès lors, l’expulsion de l’auteur devait être considérée comme une mesure disproportionnée, en particulier du fait que l’auteur sera séparé de façon permanente de ses enfants et de sa femme, et qu’il n’a aucun proche ni aucun lien solide au Zimbabwe. Dans ce pays, l’auteur ne sera pas en mesure de maintenir des liens étroits avec ses enfants, en raison d’obstacles concrets, tels que la mauvaise qualité des services téléphoniques et d’Internet et du prix élevé des communications. De plus, étant donné que sa femme et sa fille doivent suivre un traitement contre le VIH, que cinq de ses enfants sont scolarisés au Canada, qu’une visite de sa famille au Zimbabwe aurait un coût prohibitif, et que la situation politique au Zimbabwe laisse à désirer, il est peu probable que sa famille puisse venir le voir au Zimbabwe.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Pour ce qui est du grief que tire l’auteur de l’article 2 (par. 3) du Pacte concernant la décision de l’expulser vers le Zimbabwe, le Comité rappelle que cette disposition ne peut être invoquée de façon indépendante, et considère donc cette partie de la communication comme irrecevable ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité prend note des allégations de l’auteur au titre de l’article 14 (par. 1, 2 et 3 c)) du Pacte. Il considère cependant qu’elles lui ont été soumises tardivement, qu’elles sont sans rapport avec les griefs qui constituent l’objet essentiel de la communication et qu’elles ne sont pas étayées. En conséquence, le Comité déclare que ces allégations sont irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui soutient que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne ses griefs au titre des articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte, selon lesquels il risquerait d’être persécuté en cas d’expulsion vers le Zimbabwe en raison de ses prétendues activités politiques au Canada et de sa qualité de demandeur d’asile débouté, parce qu’il n’a pas présenté de demande d’autorisation et de contrôle juridictionnel des décisions négatives intervenues dans le cadre de la procédure d’asile devant la CISR et de la procédure d’ERAR. Le Comité prend également note des allégations de l’auteur selon lesquelles, en ce qui concerne ces décisions, le contrôle juridictionnel n’est pas un recours utile car il a très peu de chances d’aboutir. Le Comité rappelle sa jurisprudence dont il ressort que l’auteur doit faire usage de tous les recours judiciaires pour satisfaire à la prescription énoncée à l’article 5 (par. 2 b)) de du Protocole facultatif, dans la mesure où de tels recours semblent être utiles en l’espèce et sont de facto ouverts à l’auteur, et que de simples doutes quant à l’efficacité des recours internes ne dispensent pas l’auteur d’une communication de l’obligation de les épuiser. Le Comité considère que l’auteur a ainsi manqué à son obligation d’épuiser les recours internes en ce qui concerne ses griefs de violation des articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte, s’agissant du risque de persécution qu’entraînerait son expulsion vers le Zimbabwe. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 5 (par. 2 b) du Protocole facultatif.

6.6Le Comité relève que l’État partie n’a pas soulevé la question de l’épuisement des recours internes à propos du grief que tire l’auteur des articles 6 (par. 1) et 7, s’agissant du risque qu’entraînerait son expulsion en raison de sa séropositivité, ainsi que des articles 17 et 23 (par. 1), s’agissant de sa séparation de sa famille. Le Comité observe que l’auteur a fait valoir ces griefs dans le cadre de la procédure CH, qui s’est conclue le 4 mai 2010 par le rejet, par la Cour fédérale, de sa demande d’autorisation et de contrôle juridictionnel. En conséquence, le Comité considère que ces griefs répondent au critère de recevabilité énoncé au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. En outre, il considère qu’ils sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et qu’ils devraient être examinés aufond.

6.7Le Comité conclut donc que la communication de l’auteur est recevable en ce qu’elle soulève des questions au titre des articles 6 (par. 1) et 7, s’agissant du risque auquel serait exposé l’auteur au Zimbabwe en raison de sa séropositivité, et au titre des articles 17 et 23 (par. 1) du Pacte, s’agissant de l’immixtion dans sa famille.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme que son expulsion du Canada vers le Zimbabwe l’a exposé à une violation des droits qui lui sont garantis par les articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte parce qu’il ne pourrait pas avoir accès au traitement médical dont il a besoin du fait de sa séropositivité et de sa réaction positive au test de Mantoux ou n’aurait pas les moyens de se procurer des antirétroviraux, ce qui entraînerait un grave risque pour sa vie et sa santé. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel il est possible, d’après les renseignements recueillis par ses autorités, de se procurer des antirétroviraux dans les pharmacie pour environ 30 dollars des États-Unis par mois ou d’en obtenir gratuitement auprès de plusieurs établissements ; que l’auteur a de la famille au Zimbabwe sur l’aide de laquelle il peut compter ; que durant son séjour dans l’État partie, l’auteur a lui-même décidé de ne suivre aucun traitement antirétroviral ; que l’auteur aurait les moyens d’acheter ces médicaments à titre privé au Zimbabwe ; et que, compte tenu de son expérience professionnelle et commerciale et de son éducation, il est mieux placé que la très grande majorité des Zimbabwéens pour obtenir un emploi rémunéré ou créer son propre emploi de façon à pouvoir lui-même assumer le coût d’un traitement antirétroviral en cas de nécessité.

7.3Le Comité rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il fait référence à l’obligation qu’ont les États parties de ne pas extrader, déplacer ou expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité a également indiqué qu’un tel risque doit être personnel et qu’il faut des motifs sérieux pour conclure qu’il existe un risque réel de préjudice irréparable. C’est pourquoi tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, notamment la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur. Le Comité rappelle que d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée aux fins de déterminer l’existence d’un tel risque, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation a été arbitraire ou manifestement entachée d’erreur ou a représenté un déni de justice.

7.4Quant aux allégations de l’auteur selon lesquelles sa vie serait en danger en cas de renvoi au Zimbabwe du fait de sa séropositivité et parce qu’il n’aurait pas accès à des soins médicaux et à un traitement, le Comité relève qu’il n’est pas contesté qu’au Zimbabwe, il existe un traitement médical pour les séropositifs et qu’il est possible d’obtenir des antirétroviraux auprès des services publics ou d’établissements privés. L’auteur soutient cependant que les services offerts sont insuffisants pour soigner tous ceux qui ont besoin d’un traitement médical et qu’il y a une très longue liste d’attente ; que le coût des antirétroviraux est prohibitif ; et qu’il n’y a pratiquement aucun soutien social du secteur public aux personnes séropositives. Dans ce contexte, l’auteur affirme qu’il n’aura pas la possibilité d’avoir immédiatement accès à des antirétroviraux au Zimbabwe ni les moyens d’en acheter lui-même puisqu’il sera sans emploi ; et qu’il n’a aucun proche au Zimbabwe sur l’appui duquel il puisse compter. Le Comité note toutefois que l’auteur a surtout fourni des informations de caractère général sur la situation économique et les difficultés d’accès à un traitement contre le VIH ; et qu’il a donné des renseignements contradictoires concernant sa famille au Zimbabwe, ce qui ne permet pas d’évaluer dans quelle mesure il peut compter sur l’appui de sa famille. De plus, l’auteur a décidé lui-même de ne pas suivre de traitement antirétroviral dans l’État partie tant que son statut migratoire ne serait pas clairement déterminé. Au vu de ce qui précède, le Comité considère que l’auteur n’a pas démontré que sa vie ou son intégrité physique ou mentale seraient menacées directement et de façon imminente à la suite de son renvoi au Zimbabwe, et que les autorités de l’État partie ont tenu compte de son état de santé et ont procédé aux recherches nécessaires avant d’exécuter la décision d’expulsion. Le Comité estime par conséquent que l’expulsion de l’auteur vers le Zimbabwe n’était pas constitutive d’une violation des droits qu’il tient des articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte.

7.5Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur qui soutient que son renvoi au Zimbabwe a constitué une immixtion arbitraire dans sa vie familiale en violation des articles 17 et 23 (par. 1) du Pacte. À cet égard, le Comité réaffirme qu’il peut y avoir des cas dans lesquels le refus de l’État partie de laisser un membre d’une famille rester sur son territoire représente une immixtion dans la vie de famille de cette personne. Toutefois, le simple fait que certains membres d’une famille aient le droit de rester sur le territoire d’un État partie ne fait pas forcément de l’éviction d’autres membres de la même famille une immixtion du même ordre. Il rappelle en outre que la séparation d’une personne d’avec sa famille par le biais d’une expulsion pourrait être considérée comme une immixtion arbitraire dans la famille et comme une violation de l’article 17 si, dans les circonstances de la cause, les effets de la séparation sur l’auteur étaient disproportionnés par rapport aux objectifs visés.

7.6Dans la présente espèce, le Comité observe que l’expulsion de l’auteur vers le Zimbabwe a constitué une ingérence dans ses relations familiales au Canada. Il doit donc examiner si cette ingérence peut être considérée comme arbitraire ou illégale. Les critères pertinents permettant d’apprécier si l’ingérence spécifique dans la vie de famille peut être objectivement justifiée doivent être considérés, à la lumière, d’une part, de l’importance que revêtent les raisons avancées par l’État partie pour expulser l’intéressé et, de l’autre, du degré de gravité de l’épreuve que cette expulsion entraînerait pour la famille et ses membres. À cet égard, le Comité observe qu’il n’est pas contesté en l’espèce que l’ingérence visait un but légitime, à savoir protéger la société de l’État partie et prévenir la commission d’autres infractions pénales par l’auteur. Il faut noter qu’au cours de son séjour au Canada, l’auteur a été reconnu coupable de 11 infractions pénales (voir, par exemple, les paragraphes 2.8, 2.10 et 2.12) ; et qu’il n’a pas respecté les termes des décisions judiciaires ni les conditions qui lui étaient imposées en vertu de la législation sur l’immigration. Bien qu’elles aient été ensuite retirées, huit autres accusations d’agression étaient suffisamment graves pour qu’un tribunal interdise à l’auteur tout contact avec deux femmes avec qui il entretenait des relations extraconjugales − les victimes présumées − pendant une période d’un an. En outre, au moment où il a été expulsé vers le Zimbabwe, l’auteur était visé par deux accusations d’agression dont la victime supposée était sa femme. Le Comité observe également que l’auteur est né et a vécu au Zimbabwe pendant près de vingt‑huit ans ; que c’est dans ce pays qu’il a étudié, travaillé, s’est marié et a eu ses deux premiers enfants ; que durant son séjour de dix ans au Canada, il n’a jamais été en situation régulière dans ce pays ; qu’en raison de son absence prolongée du domicile familial, sa femme était principalement responsable de l’éducation et de la garde de leurs enfants ; qu’il n’existe aucun élément permettant de savoir s’il avait pourvu aux besoins de ses enfants ; et que les renseignements fournis par l’auteur sont vagues et ne permettent pas au Comité d’apprécier le type de liens qu’il entretenait avec sa femme et ses enfants. Même si sa femme et ses enfants restent au Canada, le Comité estime qu’aucun obstacle juridique ne s’oppose à ce qu’ils rendent visite à l’auteur au Zimbabwe à tout moment. Le Comité estime par conséquent que, dans les circonstances de l’espèce, il n’a pas été démontré que l’ingérence dans la vie familiale de l’auteur est disproportionnée par rapport à l’objectif légitime consistant à prévenir la commission d’autres infractions. Le Comité conclut donc que l’expulsion de l’auteur vers le Zimbabwe n’a pas constitué une violation de ses droits au titre des articles 17 et 23 (par. 1) du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que l’expulsion de l’auteur vers le Zimbabwe n’a pas violé les droits qui lui sont garantis par le Pacte.