Nations Unies

CCPR/C/118/D/2118/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

8 décembre 2016

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2118/2011 * , **

Communication présentée par :

Rakesh Saxena (représenté par un conseil, Jeremy McBride)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Canada

Date de la communication :

8 octobre 2011 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 12 décembre 2011 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations :

3 novembre 2016

Objet :

Extradition du Canada vers la Thaïlande

Question ( s ) de procédure :

Incompatibilité des griefs avec le Pacte ; griefs insuffisamment étayés

Question ( s ) de fond :

Poursuites pour des infractions pénales en Thaïlande non mentionnées dans la demande et l’arrêté d’extradition initiaux

Article(s) d u Pacte :

9 et 13

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 3

1.1L’auteur de la communication est Rakesh Saxena, de nationalité indienne, né le 13 juillet 1952. En 2009, il a été extradé du Canada vers la Thaïlande pour y être poursuivi du chef de complot visant à détourner des fonds au préjudice de la Bangkok Bank of Commerce. Il affirme qu’après l’avoir extradé vers la Thaïlande, le Canada a consenti à ce qu’une action pénale soit engagée contre lui pour deux autres infractions, permettant ainsi qu’il soit jugé pour des chefs d’inculpation qui ne figuraient pas sur la demande et la décision d’extradition initiales, en violation de la règle de la spécialité. L’auteur soutient qu’en consentant à cette dérogation à la règle de la spécialité, le Canada a violé les droits qu’il tient des articles 9 et 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Canada le 19 mai 1976. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2L’auteur a sollicité des mesures provisoires et prié le Comité de demander au Canada de refuser toute autre requête de la Thaïlande visant à une dérogation à la règle de la spécialité à l’égard d’infractions non couvertes par la décision d’extradition modifiée, tant que la communication serait à l’examen. Conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas demander l’application de mesures provisoires. L’auteur a été extradé vers la Thaïlande le 29 octobre 2009.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur explique qu’il a travaillé en Thaïlande entre 1985 et 1995 en tant que consultant pour différentes institutions financières, y compris la Bangkok Bank of Commerce, où il a été conseiller du Président pendant un an. En 1996, sa mission de consultant a pris fin et il est parti au Canada.

2.2Ultérieurement, il a été révélé lors d’un débat parlementaire que la Bangkok Bank of Commerce avait consenti des prêts motivés par des considérations politiques, et la Bank of Thailand a pris le contrôle de la Bangkok Bank of Commerce. Le 4 juin 1996, la Bank of Thailand a saisi le Procureur général de la Thaïlande d’une note faisant valoir que le Président de la Bangkok Bank of Commerce et d’autres personnes, dont l’auteur, étaient impliqués dans un complot visant à détourner des fonds au préjudice de la banque.

2.3Le 5 juin 1996, la Division des enquêtes sur la criminalité économique de la police thaïlandaise a émis un mandat d’arrêt contre l’auteur, accusé de « participation à un complot visant au détournement de biens ». La police thaïlandaise demandait aux autorités canadiennes de procéder à l’arrestation de l’auteur en attendant la présentation d’une demande officielle d’extradition par la voie diplomatique, conformément au traité d’extradition des criminels fugitifs de 1911 conclu entre le Royaume-Uni et le Siam.

2.4Le 7 juillet 1996, l’auteur a été arrêté en vertu d’un mandat d’arrestation délivré par un juge conformément à l’article 10 de la loi canadienne sur l’extradition pour « complot visant au détournement de fonds » au détriment de la Bangkok Bank of Commerce. Puis, le 25 juillet 1996, la Division des enquêtes sur la criminalité économique a émis un autre mandat contre l’auteur concernant des infractions à la loi sur les opérations de bourse. Le 30 août 1996, la Thaïlande a demandé l’extradition de l’auteur en se fondant sur des infractions au Code pénal et à la loi sur les opérations de bourse. Les charges portaient sur un prêt consenti à la City Trading Corporation en 1995. La demande d’extradition et les éléments de preuve soumis par la Thaïlande ont été examinés par la Cour suprême de Colombie-Britannique, laquelle a conclu, le 15 septembre 2000, à la probabilité « qu’un juge des faits bien instruit conformément au droit et agissant raisonnablement, rende plutôt un verdict de culpabilité qu’un verdict d’acquittement ». La Cour a rendu une ordonnance d’incarcération en attendant une décision sur la demande d’extradition.

2.5Un arrêté d’extradition a été émis le 18 novembre 2003, puis modifié le 1er décembre 2005. L’arrêté modifié ne mentionnait pas les infractions supposées au Code pénal, car le délai de prescription applicable était expiré. Il ne visait donc que les faits ci-après : « en engageant le Directeur général … à commettre les infractions visées aux articles 307, 308, 309, 311, 313 et 315 [de la loi sur les opérations de bourse] par des instructions, des conseils, des menaces ou tout autre moyen ». Les peines encourues pour ces infractions étaient de cinq à dix ans d’emprisonnement et de très lourdes amendes.

2.6Entre 2006 et 2009, l’auteur a exercé en vain plusieurs voies de recours pour contester l’arrêté d’extradition. Le 15 mai 2009, la Cour d’appel a rejeté sa demande de contrôle judiciaire de l’arrêté d’extradition modifié. Le 29 octobre 2009, la Cour suprême du Canada a rejeté sa demande d’autorisation d’appel et l’auteur a été immédiatement remis aux autorités thaïlandaises qui l’ont mis sur un vol pour la Thaïlande. L’auteur, qui a été victime d’une attaque cérébrale en mars 2009 et doit désormais se déplacer en fauteuil roulant, est détenu à la maison d’arrêt de Bangkok depuis son retour en Thaïlande.

2.7L’auteur a contesté son extradition au motif, entre autres, que dès qu’il serait renvoyé sur son territoire, il serait inculpé pour des infractions ne figurant pas sur l’arrêté d’extradition, en violation de la règle de la spécialité. Il a soumis comme documents probants une lettre par laquelle la Thaïlande sollicitait l’aide de la Suisse pour des infractions que l’auteur aurait prétendument commises, qui étaient différentes des infractions mentionnées dans la demande d’extradition, et un article du quotidien Bangkok Post, selon lequel la Division des affaires pénales de la police thaïlandaise recueillait des éléments de preuve et prévoyait de l’inculper pour d’autres infractions. Il a aussi produit une copie des extraits d’un dossier pénal comparable au sien, dans lequel, après l’extradition, l’intéressé avait été inculpé d’une infraction non visée dans la demande d’extradition. Dans cette affaire, les versions du traité d’extradition en anglais et en thaï étaient différentes : la première incluait une interdiction de tout procès pour d’autres infractions, tandis que la seconde limitait l’interdiction à l’exécution d’une peine pour de telles infractions. Le Canada a cependant rejeté à plusieurs reprises les arguments de l’auteur à cet égard. Le 18 novembre 2003 et le 19 décembre 2008, le Ministre canadien de la justice a déclaré qu’à son avis rien ne permettait de croire que la Thaïlande ne respecterait pas ses obligations conventionnelles envers le Canada, et la Cour d’appel s’est appuyée sur l’avis du Ministère de la justice pour confirmer l’arrêté d’extradition. Le 29 octobre 2009, l’avocate conseil du Ministère de la justice a donné à l’auteur l’assurance qu’il ne pourrait être poursuivi que pour les infractions pour lesquelles l’extradition avait été ordonnée, et qu’elle avait reçu des autorités thaïlandaises des garanties orales en ce sens.

2.8Après le renvoi de l’auteur en Thaïlande, le parquet thaïlandais a fait parvenir au Ministère canadien de la justice une correspondance relative à d’autres infractions sans lien avec celles pour lesquelles il avait été extradé. Le conseil de l’auteur n’a pas eu connaissance de l’intégralité de cette correspondance, mais il semble que les autorités thaïlandaises aient demandé une dérogation à la règle de la spécialité à l’égard de 16 affaires dans lesquelles l’auteur était impliqué. Le 29 juillet 2010, le Ministre canadien de la justice a fait droit à cette demande de dérogation pour la détention, la poursuite et la condamnation de l’auteur concernant deux des affaires dans lesquelles il était mis en cause. Or, l’auteur a été inculpé de plusieurs autres infractions qui ne figuraient pas dans la dérogation. Le tribunal thaïlandais a demandé si une dérogation à la règle de la spécialité avait bien été obtenue pour ces affaires également, mais le parquet a affirmé que les discussions avec les autorités de l’État partie étaient confidentielles. En Thaïlande, les demandes de libération sous caution de l’auteur ont été systématiquement refusées. L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles et utiles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir que, dans les circonstances d’espèce, la dérogation à la règle de la spécialité à laquelle a consenti le Canada a emporté une violation des droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 9 et de l’article 13 du Pacte.

3.2L’auteur affirme que, pour être conforme à l’article 13 du Pacte, l’extradition doit être décidée conformément à la loi et que la personne extradée doit avoir la possibilité de contester cette mesure et de faire réexaminer la décision en cause. Il affirme que dans son cas l’arrêté d’extradition modifié et la dérogation à la règle de la spécialité devaient être pris simultanément et qu’en accordant la dérogation, les tribunaux canadiens ont enfreint la règle de la spécialité. Il estime donc que la décision d’extradition le concernant n’a pas été prise conformément à la loi de l’État partie.

3.3L’auteur ajoute que même si l’on considérait que son extradition avait une base légale formelle, la décision de l’extrader devrait être jugée arbitraire. Il fait valoir à ce sujet que les déclarations répétées de l’État partie lui donnant l’assurance qu’il ne serait pas poursuivi ont été rendues vaines par l’accord de l’État partie pour déroger à la règle de la spécialité. L’auteur considère qu’en lui donnant à plusieurs reprises l’assurance que la règle de la spécialité ne serait pas enfreinte alors qu’il était prêt à autoriser l’extradition, l’État partie a privé l’auteur des garanties procédurales exigées par l’article 13 pour toute décision d’extradition. Il prétend que les infractions pour lesquelles il peut désormais être poursuivi par suite de la dérogation n’ont pas fait l’objet d’un contrôle judiciaire et qu’il n’a pas eu la possibilité de les contester devant une juridiction canadienne.

3.4L’auteur ajoute que la responsabilité de l’État partie au regard du Pacte peut être engagée lorsque ses décisions entraînent une violation par un autre État des droits et libertés d’un individu, notamment en cas d’extradition. Il fait valoir que son extradition et la dérogation ultérieure à la règle de la spécialité l’ont exposé à subir une peine de prison beaucoup plus longue que si les règles régissant l’extradition dans l’État partie avaient été respectées, et que ces conséquences étaient prévisibles. À ce sujet, l’auteur indique que les règles permettant au juge d’ordonner que les peines soient exécutées concurremment ne s’appliquent pas lorsque les condamnations portent sur des séries de faits sans lien entre elles, comme cela était le cas des infractions couvertes par la dérogation. L’auteur ajoute qu’en raison du dépôt de nouvelles accusations après son extradition, il lui a été impossible d’obtenir une libération sous caution pour les chefs d’inculpation ayant motivé son extradition. Il estime donc que l’État partie l’a exposé à un risque certain d’incarcération prolongée et que toute peine de prison qui sera prononcée pour les infractions couvertes par la dérogation à la règle de la spécialité résultera d’une décision prise arbitrairement, en violation des garanties procédurales exigées par le Pacte.

3.5Pour les raisons énoncées plus haut, l’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 9 et 13 du Pacte, en l’extradant vers la Thaïlande pour certaines infractions et en autorisant ensuite l’engagement de poursuites contre lui pour d’autres infractions en violation de la règle de la spécialité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1En date du 11 juin 2012, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication.

4.2L’État partie rappelle que la règle de la spécialité est une obligation existant entre les partenaires d’extradition à laquelle il peut être dérogé de façon licite par l’État qui a procédé à l’extradition. La demande de la Thaïlande tendant à obtenir une dérogation à la règle de la spécialité n’a pas emporté violation de cette règle, pas plus que le consentement donné par le Canada à cette dérogation.

4.3 En ce qui concerne les allégations de l’auteur au titre de l’article 13 du Pacte, l’État partie objecte que l’auteur a admis que la procédure d’extradition le concernant au Canada était conforme aux exigences du Pacte. Ses griefs ne portent que sur les nouveaux chefs d’inculpation auxquels il doit désormais faire face en Thaïlande, alors qu’ils n’ont pas été précédemment contrôlés par les juridictions canadiennes. L’État partie fait valoir que l’article 13 est limité à la procédure d’expulsion et ne s’applique pas au consentement à la dérogation à la règle de la spécialité, lequel n’a été donné qu’après l’extradition de l’auteur vers la Thaïlande. L’État partie estime toutefois que l’auteur n’a pas étayé son allégation selon laquelle le contrôle par une juridiction canadienne des nouveaux chefs de poursuite contre lui en Thaïlande est un droit reconnu par le Pacte.

4.4Pour ce qui est des griefs de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, l’État partie considère que l’auteur ne les a pas étayés : il ne prétend pas que son procès en Thaïlande est d’une quelconque manière inéquitable, si bien que sa détention ne peut pas être considérée comme arbitraire. Le seul grief avancé par l’auteur au titre de l’article 9 est que le consentement de l’État partie à une dérogation à la règle de la spécialité l’a exposé à subir une peine d’emprisonnement beaucoup plus longue s’il était déclaré coupable des nouvelles accusations portées contre lui en Thaïlande. L’État partie fait valoir que lorsqu’il a consenti à la dérogation, l’auteur se trouvait déjà en Thaïlande et ne relevait plus de la juridiction ni du contrôle effectif du Canada. De plus, un procès équitable et une éventuelle incarcération par suite d’une déclaration de culpabilité sur plusieurs chefs d’inculpation ne correspondent pas au type de « préjudice irréparable » envisagé par le Comité pour attribuer à un État la responsabilité d’éventuelles violations des droits de l’homme dans un autre État. L’État partie estime de plus que le consentement donné par le Canada à l’engagement de poursuites contre l’auteur sur de nouvelles charges, alors que son droit à un procès équitable est garanti et qu’il a bénéficié d’assurances diplomatiques garantissant qu’il serait bien traité, n’emporte pas violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. À ce sujet, l’État partie soutient que le paragraphe 1 de l’article 9 ne s’applique pas au consentement à une dérogation à la règle de la spécialité, même s’il peut en résulter de nouvelles accusations et une condamnation dans un autre État. Le fait de devoir répondre de nouveaux chefs d’inculpation, d’être jugé de façon équitable et de se voir éventuellement condamné à une peine d’emprisonnement plus lourde à la suite d’une dérogation à la règle de la spécialité ne constitue pas une détention arbitraire au sens du paragraphe 1 de l’article 9 ni une expulsion arbitraire au regard de l’article 13 du Pacte. Si le Comité devait déclarer la communication recevable, l’État partie objecte que les griefs de l’auteur ne sont pas étayés.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans ses commentaires datés du 9 août 2012, l’auteur fait valoir qu’il a été condamné pour les infractions pour lesquelles il avait été initialement remis à la Thaïlande par l’État partie. Il affirme que le consentement de l’État partie à la dérogation à la règle de la spécialité, le 28 juin 2012, concernait une affaire différente des deux affaires visées dans sa communication initiale. L’auteur fait valoir notamment que la Thaïlande a engagé des poursuites pénales dans les affaires Somprasong Intercommunication (Somprasong) et Zilar International Service Co. Ltd. (Zilar) le 29 mars 2011, avant d’avoir reçu le consentement du Canada à la dérogation à la règle de la spécialité, afin d’éviter la prescription en droit thaïlandais, le 3 juillet 2011 et le 7 mai 2011 respectivement.

5.2L’auteur affirme que la règle de la spécialité n’entre en jeu dans l’État partie qu’au stade de l’exécution dans la procédure d’extradition et que les infractions pour lesquelles l’extradition a été accordée et par rapport auxquelles il a été dérogé à la règle de la spécialité découlaient toutes de la même série de circonstances.

5.3L’auteur fait aussi valoir que les trois raisons qu’avance l’État partie pour dire que l’article 13 est inapplicable en l’espèce sont infondées. Selon lui, la violation de l’article 13 est la conséquence du lien inextricable entre l’arrêté d’extradition modifié pris par l’État partie et le consentement ultérieur de celui-ci à une dérogation à la règle de la spécialité, en dépit des assurances répétées qu’il avait données à l’auteur qu’il ne serait jugé que pour les infractions pour lesquelles il était extradé. L’auteur soutient aussi que l’État partie a donné son consentement à une dérogation à la règle de la spécialité dans l’affaire Somprasong sans avoir sollicité ou obtenu aucune déclaration de sa part concernant les nouvelles infractions, en violation de l’article 14 du traité type d’extradition.

5.4L’auteur ajoute que l’argument de l’État partie qui objecte que sa responsabilité au regard de l’article 9 n’est pas engagée par son consentement à une dérogation à la règle de la spécialité est infondé, vu que ce consentement l’a directement exposé au risque d’une détention prolongée, en dépit de l’assurance qu’il ne porterait pas atteinte à la règle de la spécialité que l’État partie lui avait donnée.

5.5En ce qui concerne l’argument avancé par l’État partie qui affirme que ses griefs au titre des articles 9 et 13 du Pacte ne sont pas étayés, l’auteur soutient que la dérogation à la règle de la spécialité a réduit à néant la protection procédurale exigée par l’article 13. Il fait valoir que toute condamnation à la prison pour les infractions considérées résulte d’une décision arbitraire, prise en violation des garanties procédurales.

5.6L’auteur ajoute que l’État partie n’explique pas pourquoi il considère que la communication devrait être considérée comme dépourvue de fondement.

5.7Compte tenu de ce qui précède, l’auteur demande au Comité de déclarer la communication recevable et de constater une violation du paragraphe 1 de l’article 9 et de l’article 13 du Pacte, de déclarer que l’État partie est tenu de lui offrir un recours utile, y compris une indemnisation, conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte et de veiller à ce qu’il ne soit pas poursuivi en Thaïlande pour des faits non couverts par l’arrêté d’extradition modifié.

5.8Le 12 février 2013, l’auteur a fait savoir que l’État partie avait refusé d’accorder une dérogation à la règle de la spécialité dans l’affaire Zilar, qui était en cours d’examen quand il a fait parvenir ses commentaires précédents. Nonobstant ce refus, le tribunal pénal de Bangkok Sud a décidé, le 4 décembre 2012, de joindre l’affaire Zilar à l’affaire Somprasong, pour laquelle la dérogation à la règle de la spécialité avait été accordée. D’autres actes de procédure dans les affaires ainsi jointes devaient intervenir en avril 2013.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Dans ses observations supplémentaires du 6 mai 2013, l’État partie répond aux nouveaux arguments de l’auteur. Il prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles le Canada a consenti le 28 juin 2012 à une dérogation à la règle de la spécialité dans l’affaire Somprasong et se demandait s’il allait en faire de même dans l’affaire Zilar. Il note aussi que, selon l’auteur, la Thaïlande a engagé des poursuites pénales dans les deux affaires le 29mars 2011, avant d’avoirreçu le consentement du Canada, afin d’éviter la prescription en droit thaïlandais. L’État partie affirme que, en vertu du traité d’extradition en vigueur entre le Canada et la Thaïlande, la règle de la spécialité interdit seulement une mise en détention ou un procès et que le dépôt d’accusations avant le consentement à la dérogation à la règle de la spécialité n’emporte pas violation de cette règle.

6.2L’État partie estime que tant que l’auteur n’était pas placé en détention ou jugé en raison des infractions pour lesquelles la dérogation à la règle de la spécialité était demandée, il n’y avait pas violation de cette règle au regard du traité de 1911 conclu entre le Royaume-Uni et le Siam concernant l’extradition des criminels fugitifs, puisque rien n’interdit le dépôt d’accusations. L’État partie fait observer qu’il existe dans de nombreux États des délais de prescription pour engager des poursuites pénales, et que des poursuites peuvent être engagées en dehors du délai s’il y a, comme en l’espèce, consentement à une dérogation à la règle de la spécialité.

6.3En ce qui concerne le grief de l’auteur relatif à l’affaire Zilar, l’État partie répond qu’après avoir appris qu’il avait refusé de déroger à la règle de la spécialité dans cette affaire, le Procureur général de la Thaïlande a renoncé aux poursuites, d’où un rejet de l’action par le tribunal pénal de Bangkok le 1er avril 2013.

6.4L’État partie ajoute que le traité type d’extradition n’a pas valeur juridique au Canada, ni à l’échelon international, et que l’article 14 de cet instrument n’impose pas à l’État requis l’obligation d’obtenir une déclaration de l’intéressé. En vertu de cette disposition, ce serait plutôt la Thaïlande, en qualité d’État requérant, qui aurait éventuellement l’obligation de produire une déclaration faite par l’auteur. L’État partie soutient aussi que l’instrument pertinent pour l’extradition de l’auteur est le traité d’extradition de 1911 entre le Royaume-Uni et le Siam.

6.5Bien qu’il présente ses allégations de différentes façons, l’auteur tire principalement grief devant le Comité de ce que, durant la procédure d’extradition au Canada, l’État partie lui avait à plusieurs reprises affirmé que la règle de la spécialité ne serait pas enfreinte dans son cas, et l’État partie a agi contrairement à ces déclarations en consentant ultérieurement à une dérogation à la règle de la spécialité. L’État partie souligne qu’il est possible de déroger de façon licite à la règle de la spécialité et que, même s’il a peut-être confirmé à l’auteur que la règle de la spécialité ne serait pas enfreinte dans son cas, il n’a jamais dit qu’il ne consentirait pas à une dérogation à cette règle. L’État partie estime donc que l’argument de l’auteur selon lequel les juridictions canadiennes n’auraient pas dû autoriser son extradition alors qu’elles savaient que la règle de la spécialité serait enfreinte manque de pertinence, puisque la règle n’a pas été enfreinte.

6.6En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur selon laquelle le Canada a violé l’article 9 du Pacte en ce qu’il l’a exposé à un risque prévisible d’emprisonnement prolongé en Thaïlande en consentant à une dérogation à la règle de la spécialité bien qu’il lui ait donné à plusieurs reprises l’assurance catégorique que la règle de la spécialité ne serait pas enfreinte, l’État partie réaffirme que, dès lors qu’il n’y a pas eu atteinte à la règle de la spécialité, il ne peut pas y avoir eu violation de l’article 9. En conséquence, l’État partie réaffirme que la communication est irrecevable parce qu’elle est incompatible avec les dispositions du Pacte ou, à titre subsidiaire, parce qu’elle n’est pas étayée.

6.7Si le Comité devait déclarer la communication recevable, l’État partie soutient pour les mêmes motifs qu’elle est dépourvue de fondement.

Commentaires de l’auteur sur les observations supplémentaires de l’État partie

7.1Dans une réponse du 21 juillet 2013, l’auteur a soumis de nouveaux commentaires sur les observations supplémentaires de l’État partie. Il réitère ses arguments et ajoute qu’il convient d’envisager son extradition conjointement avec le consentement donné ultérieurement à une dérogation à la règle de la spécialité, qui a été adopté en violation des garanties procédurales consacrées à l’article 13 en cas d’expulsion.

7.2L’auteur fait valoir que la violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte découle de la violation de l’article 13 en ce que, par l’effet de son extradition, conjuguée au consentement à une dérogation à la règle de la spécialité, il risque une peine d’emprisonnement beaucoup plus longue que s’il n’avait été jugé que pour les faits pour lesquels l’État partie avait autorisé son extradition.

7.3L’auteur ajoute qu’il était prévisible pour l’État partie que la Thaïlande ne respecterait pas la règle de la spécialité, et qu’il avait soulevé cette question avec l’exécutif, ainsi que dans le contexte des différentes procédures judiciaires relatives à la décision d’extradition vers la Thaïlande. Les tribunaux canadiens n’ont pas considéré que cela était susceptible de se produire. L’auteur maintient aussi qu’il n’aurait pas pu être extradé pour les nouveaux chefs de poursuite sans qu’un complément de preuve soit produit.

7.4L’auteur souligne en outre que dans l’affaire Zilar, l’action a effectivement été rejetée le 1er avril 2013, mais que le Procureur général de la Thaïlande n’a pas renoncé aux poursuites « après avoir appris que le Canada avait refusé de déroger à la règle de la spécialité dans cette affaire » ; la renonciation est intervenue au moins sept mois après ce refus. Il ajoute que les infractions supposées dans l’affaire Somprasong ont été prescrites le 12 septembre 2010, et non le 7 juillet 2011. L’auteur conteste les arguments de l’État partie concernant : a) le dépôt d’accusations, qui ne constituerait pas une violation de la règle de la spécialité ; b) l’affirmation selon laquelle l’auteur n’a pas été détenu ni jugé pour des faits autres que ceux pour lesquels il avait été extradé ; c) le fait que des poursuites peuvent être engagées en dehors du délai de prescription en cas de consentement à une dérogation à la règle de la spécialité. Il affirme que le consentement à une dérogation à la règle de la spécialité dans l’affaire Somprasong, donné par l’État partie en dehors du délai de prescription pour les infractions supposées, a entraîné une violation par la Thaïlande de la règle de la spécialité et l’engagement d’une action pénale qui était prescrite. L’État partie avait précédemment refusé d’agir ainsi, puisqu’il avait modifié l’arrêté d’extradition pour en supprimer les infractions pour lesquelles le délai de prescription était expiré.

7.5L’auteur considère que la conclusion de l’État partie qui affirme que le dépôt d’accusations a effectivement permis d’interrompre le délai de prescription car il correspondait à l’engagement de poursuites en vue d’un procès implique qu’il y a eu violation de la règle de la spécialité par la Thaïlande lorsque l’auteur a été inculpé en mars 2010 dans les affaires Silver Star Investment Corporationet Special Passing Card 112J . L’auteur ajoute qu’il a été placé en détention dans le contexte de l’affaire Somprasong en vertu d’un mandat d’incarcération du tribunal pénal de Bangkok Sud en date du 29 mars 2011, alors que le délai de prescription était expiré. L’auteur a ainsi été jugé pour une infraction pour laquelle il n’avait pas été extradé, et il a été emprisonné pour l’infraction dont il devait répondre dans l’affaire Somprasong, en violation de la règle de la spécialité.

7.6Concernant l’argument de l’État partie qui soutient que l’article 14 du traité type d’extradition ne constitue pas une norme internationale contraignante mais est un résumé de bonnes pratiques internationales, l’auteur précise qu’il y a fait référence seulement pour souligner que l’État partie n’avait fait aucun effort pour protéger ses intérêts avant de consentir à une dérogation à la règle de la spécialité. L’auteur affirme en outre que l’État partie savait déjà que l’écoulement du délai de prescription était un élément à prendre en considération dans le cadre des procédures engagées contre lui, puisque cela avait empêché de viser certains des chefs de poursuite dans la demande initiale d’extradition. Il ajoute que, s’il avait été consulté à propos de la demande de dérogation à la règle de la spécialité dans l’affaire Somprasong, il aurait alerté l’État partie sur le fait que l’action dans cette affaire était prescrite et qu’il n’y avait donc pas lieu de déroger à la règle de la spécialité.

7.7L’auteur réaffirme que la violation de l’article 13 et, partant, celle du paragraphe 1 de l’article 9, en l’espèce, résulte du fait que l’État partie a consenti à une dérogation à la règle de la spécialité après que la Thaïlande eut déjà engagé une procédure contre lui dans les trois affaires en cause, pour tenter, apparemment, de se soustraire au jeu du délai de prescription applicable. En engageant l’action pénale contre l’auteur et en autorisant sa détention, la Thaïlande a violé la règle de la spécialité. On ne saurait considérer que cette violation a été régularisée avec le consentement donné ultérieurement par l’État partie à une dérogation à cette règle.

7.8L’auteur souligne qu’il ne prétend pas qu’un individu extradé devrait bénéficier d’une immunité à l’égard de faits non couverts par l’arrêté d’extradition. Il considère cependant qu’un État partie viole le Pacte lorsqu’il méconnaît les assurances qu’il a données à cet individu qu’il ne serait pas poursuivi pour des questions non couvertes par un arrêté d’extradition. Alors que les motifs de la demande d’extradition avaient fait l’objet d’un contrôle judiciaire, ce qui a permis à l’auteur de vérifier la qualité des éléments justifiant que le procès porterait sur une infraction pouvant donner lieu à extradition, ce contrôle n’a pas été possible en ce qui concerne les faits pour lesquels le consentement à une dérogation à la règle de la spécialité avait été donné.

Observations complémentaires de l’État partie

8.1Dans une note du 12 février 2014, l’État partie répond aux allégations de l’auteur en date du 21 juillet 2013 qui affirme qu’il a été emprisonné en Thaïlande, dans l’affaire Somprasong, pour des infractions pour lesquelles il n’avait pas été extradé et qui étaient déjà prescrites quand la dérogation à la règle de la spécialité a été accordée par le Canada. L’État partie rappelle que l’État qui a procédé à l’extradition peut déroger de façon licite à la règle de la spécialité, en tant qu’obligation entre partenaires d’extradition. En conséquence, il estime que cette règle n’a pas été violée par la Thaïlande lorsqu’elle a demandé au Canada d’y déroger, ni par le Canada lorsqu’il a consenti à la dérogation.

8.2L’État partie réaffirme que l’article 13 du Pacte s’applique uniquement à l’expulsion de l’auteur du Canada dans le cadre de son extradition et à la procédure juridique applicable à la décision de l’extrader alors qu’il se trouvait encore au Canada, mais qu’il n’est nullement applicable au consentement en vue de déroger à la règle de la spécialité. Il maintient qu’en donnant son consentement à la poursuite de l’auteur par la Thaïlande, pour de nouvelles infractions et conformément aux principes d’un procès équitable, le Canada n’a pas agi en violation du droit de ne pas faire l’objet d’une détention arbitraire garanti à l’auteur par le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

8.3L’État partie conteste en outre l’affirmation de l’auteur selon laquelle le tribunal thaïlandais a ordonné sa détention en vertu du mandat du 29 mars 2011 alors que le Canada n’a consenti à déroger à la règle de la spécialité à l’égard de l’affaire Somprasong que le 28 juin 2012. L’État partie dit avoir été informé par les autorités thaïlandaises, lorsque l’auteur a été initialement extradé vers la Thaïlande le 29 octobre 2009 pour y répondre d’accusations dans l’affaire City Trading Corporation, qu’il était détenu sans possibilité de mise en liberté sous caution par décision du tribunal. D’après les autorités thaïlandaises, vu que l’auteur était déjà en détention, aucun autre mandat d’incarcération n’était nécessaire dans les affaires Somprasong, Special Passing Card 112J ou Silver Star Investment Corporation puisqu’il existait déjà un mandat de détention en vigueur contre lui. L’État partie est d’avis que les autorités thaïlandaises ont respecté la règle de la spécialité.

8.4L’État partie admet qu’il n’a pas une connaissance particulière du droit pénal thaïlandais, et qu’il s’en remet à la bonne foi des autorités thaïlandaises quant à l’exactitude des renseignements reçus à propos du cas de l’auteur. Il ajoute que les subtilités du droit pénal thaïlandais concernant les motifs de détention de l’auteur ne relèvent pas de la compétence du Comité.

Commentaires complémentaires de l’auteur

9.1Dans une réponse en date du 10 juin 2014, l’auteur note que l’État partie ne conteste pas : a) le fait que le non-respect probable par la Thaïlande de la règle de la spécialité a été soulevé par l’auteur non seulement auprès de l’exécutif mais aussi dans le cadre de plusieurs procédures judiciaires relatives à la décision de l’extrader vers la Thaïlande, et que les tribunaux n’ont pas considéré que cela était susceptible de se produire ; et b) que l’auteur ne pouvait pas être extradé pour de nouveaux chefs de poursuite sans qu’il soit nécessaire de produire des éléments de preuve supplémentaires significatifs.

9.2L’auteur relève aussi que l’État partie n’a pas contesté l’argument selon lequel le consentement à une dérogation à la règle de la spécialité ne pouvait pas, contrairement à ce que l’État partie avait affirmé dans ses observations supplémentaires du 6 mai 2013, autoriser l’engagement de poursuites en dehors du délai de prescription. Les infractions supposées dans l’affaire Somprasong étaient déjà prescrites bien avant le 29 mars 2011, lorsque le Procureur a demandé au tribunal pénal de Bangkok Sud de retenir les accusations contre l’auteur, puisque le délai de prescription applicable à ces infractions avait expiré en septembre 2010 − quinze ans après la date de commission de la dernière infraction supposée. En outre, le 23 janvier 2012, avant que l’État partie consente à une dérogation à la règle de la spécialité dans l’affaire Somprasong, le tribunal pénal de Bangkok Sud a fait droit à la demande du parquet tendant à un report de l’audience. L’instance pénale contre l’auteur s’est donc ouverte en violation de la règle de la spécialité et en infraction au traité d’extradition. L’auteur fait valoir que, en consentant à une dérogation à la règle de la spécialité le 28 juin 2012, après l’ouverture de son procès, l’État partie a avalisé une violation de la règle de la spécialité et la poursuite d’une action qui était déjà prescrite.

9.3L’auteur réaffirme aussi que le Ministre de la justice n’a jamais tenté de recueillir ses observations sur les demandes de la Thaïlande tendant à une dérogation à la règle de la spécialité à l’égard des affaires Somprasong, Special Passing Card 112Jet Silver Star Investment Corporation . Il considère que cette omission est fautive, compte tenu de l’assurance que l’État partie lui avait donnée de façon répétée avant son extradition vers la Thaïlande que la règle de la spécialité serait respectée. Ainsi, l’État partie semble être mal informé de la nature de toutes les infractions pour lesquelles la Thaïlande a demandé une dérogation à la règle de la spécialité.

9.4L’auteur note en outre que le Ministre canadien de la justice et ses agents, dans deux lettres datées du 29 juillet 2010 et du 28 juin 2012 adressées à la Thaïlande, ont légitimement exprimé la crainte qu’une nouvelle demande d’extradition ne retarde la demande déjà existante au point que les chefs de poursuite restants dans l’affaire City Trading Corporation seraient alors prescrits. De fait, si l’auteur n’avait pas été extradé le 29 octobre 2009, les chefs de poursuite restants auraient été prescrits dès juillet 2010. L’auteur considère que cela étaye l’argument selon lequel la violation de l’article 13 du Pacte et, partant, celle de l’article 9 découlent du fait que l’État partie était pleinement conscient de l’intention, déjà annoncée par la Thaïlande, d’engager une action contre lui concernant des infractions non couvertes par la demande d’extradition.

9.5L’auteur réaffirme ainsi que l’État partie a consenti à une dérogation à la règle de la spécialité après que la Thaïlande eut déjà engagé une action contre lui dans les trois affaires en cause pour tenter de contourner le délai de prescription qui leur était applicable. La Thaïlande a enfreint la règle de la spécialité, et on ne peut considérer que cela a été « régularisé » avec le consentement ultérieur de l’État partie à une dérogation à cette règle, vu que ce consentement était incompatible avec les assurances répétées que l’État partie avait données à l’auteur.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.3Le Comité relève que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication en ce qui concerne l’épuisement des recours internes. Il note aussi que l’auteur a exercé en vain plusieurs recours contre l’arrêté d’extradition du 18 novembre 2003, tel que modifié le 1er décembre 2005, que la Cour d’appel a rejeté sa demande de contrôle judiciaire de l’arrêté d’extradition, et que la Cour suprême du Canada l’a débouté de sa demande d’autorisation d’appel de cette décision, à la suite de quoi l’auteur a été extradé vers la Thaïlande. En conséquence, le Comité considère que l’auteur a épuisé tous les recours internes disponibles.

10.4Le Comité prend note de l’objection de l’État partie, qui soutient que les allégations de violation de l’article 13 formulées par l’auteur devraient être déclarées irrecevables en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif, dès lors que la procédure d’extradition au Canada était conforme aux exigences du Pacte, et que son consentement à la dérogation à la règle de la spécialité ne violait ni cette règle ni les assurances qu’il avait données à l’auteur que cette règle serait respectée en l’espèce. L’État partie affirme en outre que l’auteur n’a pas étayé ses allégations selon lesquelles le Pacte lui reconnaîtrait le droit de faire examiner par une juridiction canadienne les nouveaux chefs de poursuite pénale de la Thaïlande contre lui. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie, qui affirme qu’une incarcération faisant suite à une condamnation dans un autre État ne constitue pas, en l’absence de toute preuve d’arbitraire, une détention arbitraire au sens du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte et considère que les griefs de l’auteur à ce sujet sont donc irrecevables ratione loci et ratione materiae. Le Comité relève toutefois que l’État partie n’a pas sollicité les vues de l’auteur sur la demande de consentement à la dérogation à la règle de la spécialité, malgré l’assurance donnée dans le cadre de la procédure d’extradition qu’il n’aurait pas à répondre d’autres chefs d’inculpation une fois extradé en Thaïlande. Il considère par conséquent que les griefs que l’auteur tire des articles 9 et 13 sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. Le Comité estime donc que ces griefs sont recevables et procède à leur examen au fond.

Examen au fond

11.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont été communiquées par les parties.

11.2Le Comité doit déterminer avant tout si le consentement donné par le Canada, après l’extradition de l’auteur vers la Thaïlande, à ce que celui-ci fasse l’objet de poursuites pour deux infractions qui n’étaient mentionnées ni dans la demande d’extradition initiale ni dans l’arrêté d’extradition, constituait une violation des droits que l’auteur tient des articles 9 et 13 du Pacte.

11.3Le Comité prend note des allégations de l’auteur qui affirme que, postérieurement à son extradition vers la Thaïlande, le Canada a violé l’article 13 du Pacte en consentant à ce qu’il soit dérogé à la règle de la spécialité, après que la Thaïlande eut engagé des poursuites contre lui dans les trois affaires dans lesquelles l’action était prescrite. Il prend également note de ses allégations selon lesquelles, étant donné que la procédure dans laquelle l’État partie a consenti à ce qu’il soit dérogé à la règle de spécialité était étroitement liée à la procédure d’extradition, il aurait dû bénéficier des garanties prévues à l’article 13 du Pacte. L’auteur soutient en particulier que, durant la procédure tendant à accorder ce consentement il n’a pas bénéficié des garanties procédurales visées à l’article 13 du Pacte car le Canada n’a pas sollicité ses vues sur la demande de consentement, que les infractions en cause étaient prescrites et il n’y a eu aucun contrôle judiciaire des motifs du consentement à la dérogation. Le Comité note également que l’auteur affirme que la violation par la Thaïlande de la règle de la spécialité ne peut pas être considérée comme « régularisée » par le consentement donné ultérieurement par l’État partie à la dérogation à cette règle, dès lors que ce consentement était incompatible avec les assurances que l’État partie avait données de façon répétée à l’auteur. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie qui objecte que l’article 13 ne porte que sur la procédure d’expulsion et n’est pas applicable au consentement à la dérogation à la règle de la spécialité, lequel peut être régulièrement accordé en vertu de l’accord bilatéral d’extradition pertinent.

11.4Pour ce qui est du grief au titre de l’article9,le Comité prend note de l’argument de l’auteur qui affirme que le Canada, en l’extradant et en donnant ensuite son consentement à la dérogation à la règle de la spécialité, sans solliciter ses vues ou sans qu’il ait été entendu par un tribunal, l’a exposé au risque de devoir subir une détention et un emprisonnement beaucoup plus longs que si l’État partie avait refusé ce consentement et si ses règles régissant l’extradition avaient été respectées. Le Comité note aussi l’argument de l’État partie selon lequel lorsque le consentement à une dérogation à la règle de la spécialité a été donné, l’auteur était déjà en Thaïlande et ne relevait plus de la juridiction duCanada. Enoutre, selon l’État partie, l’auteur bénéficiera d’un procès équitable, et une éventuelle incarcération suivant sa condamnation pour plusieurs infractions ne correspond pas à la notion de « préjudice irréparable », telle que l’interprète le Comité pour attribuer à un État la responsabilité d’une éventuelle violation des droits par un autre État.

11.5Le Comité note que l’auteur s’est prévalu de toutes les garanties procédurales énoncées dans l’article 13 du Pacte durant la procédure d’extradition au Canada et qu’il a été extradé vers la Thaïlande en octobre 2009 et s’y trouvait en détention lorsque que le Canada a donné son consentement à la dérogation à la règle de la spécialité. Le Comité prend note de l’observation de l’État partie qui souligne qu’il a consenti à déroger à la règle de la spécialité conformément au traité d’extradition de 1911 en vigueur, mais il fait observer que cet accord a permis que l’auteur fasse l’objet de poursuites pour des faits autres que ceux pour lesquels il a été extradé du Canada vers la Thaïlande. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’extradition relève de la protection du Pacte.

11.6Le Comité note que, durant la procédure d’extradition, l’auteur s’étaitdit préoccupé par le fait qu’il pouvait être inculpé, poursuivi et jugé pour des faits autres que ceux pour lesquels il était extradé et que les autorités judiciaires et administratives de l’État partie lui avaient donné l’assurance que la règle de la spécialité serait respectée. Le Comité note en outre que, conformément à l’article 13 du Pacte, l’autorité compétente en matière d’extradition est un tribunal alors que, dans les circonstances particulières de l’espèce, le consentement à la dérogation à la règle de la spécialité a été accordé par le Ministre de la justice, sans examen judiciaire et en l’absence d’autres garanties de procédure.

11.7Le Comité prend également note des allégations de l’auteur selon lesquelles les autorités thaïlandaises ont fait part de leur intention d’engager des poursuites contre l’auteur pour des faits supplémentaires avant son extradition effective en octobre 2009, mais ont attendu pour engager une autre procédure pénale après que l’auteur ait été extradé, soumettant une demande de dérogation à la règle de la spécialité peu après l’arrivée de l’auteur en Thaïlande. Le Comité note également que l’État partie ne donne aucune explication sur la raison pour laquelle les chefs d’inculpation concernant ces dernières infractions ne figuraient pas sur l’arrêté d’extradition initial de 2003 ni sur l’arrêté modifié de 2005, alors que l’auteur était en détention et faisait l’objet d’une enquête depuis 1996.

11.8Le Comité note que l’État partie ne nie pas qu’il n’aurait pas consenti à la dérogation à la règle de la spécialité s’il avait su que l’auteur serait inculpéd’autres infractions commises avant la délivrance de l’arrêté d’extradition, qui n’étaient pas couvertes par l’arrêté d’extradition. Il note aussi que la dérogation a été accordée malgré la ferme assurance qu’il avait donnée de façon répétée qu’il ne serait pas porté atteinte à la règle de la spécialité, c’est-à-dire qu’il ne serait pas jugé en Thaïlande pour des infractions autres que celles pour lesquelles il avait été extradé. Il note en outre que l’auteur n’a pas eu la possibilité de contester la décision relative au consentement à la dérogation à la règle de la spécialité, ce qui l’a privé des garanties d’une procédure régulière auxquelles il avait droit conformément à l’article 13 du Pacte et que, du fait de la procédure, l’auteur courrait le risque d’une détention et d’un emprisonnement beaucoup plus longs. Le Comité fait en outre observer que, pendant la procédure relative à la demande de consentement à la dérogation à la règle de la spécialité formulée par la Thaïlande, l’auteur continuait de relever de la juridiction du Canada.

12.Le Comité conclut en conséquence qu’en privant l’auteur de la possibilité de formuler des observations sur la demande de dérogation à la règle de la spécialité et en excluant toute possibilité pour l’auteur de demander l’examen de cette demande par un tribunal, l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article13 du Pacte. Eu égard à ses conclusions concernant l’article 13, le Comité n’examinera pas plus avant les griefs que l’auteur tire de l’article 9 du Pacte.

13.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Cela signifie qu’il doit réparer intégralement le préjudice causé aux personnes dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. Par conséquent, l’État partie est notamment tenu de revoir et de modifier sa législation relative à l’extradition, y compris la procédure requise pour accorder une dérogation à la règle de la spécialité, de façon à s’acquitter pleinement des obligations découlant du Pacte et à donner effet aux présentes constatations du Comité.

14.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques.