Nations Unies

CCPR/C/117/D/2469/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

9 septembre 2016

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2469/2014 * , **

Communication présentée par :

E. U. R. (représenté par un conseil, Marianne Vølund)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Danemark

Date de la communication :

23 octobre 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 24 octobre 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

1er juillet 2016

Objet :

Expulsion vers l’Afghanistan

Question(s) de fond :

Droit à la vie ; risque de torture et de mauvais traitements ; droit à un procès équitable

Question(s) de procédure :

Griefs insuffisamment étayés

Article(s) du Pacte :

7 et 19

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 3

1.1L’auteur de la communication est E. U. R., ressortissant afghan, membre de l’ethnie hazara et musulman chiite, né en 1987. Il affirme que si le Danemark l’expulse vers l’Afghanistan, il risque de faire l’objet d’agressions et de violences de la part des Taliban, en violation de l’article 7 du Pacte. À la suite de la décision rendue par la commission danoise de recours des réfugiés le 31 janvier 2013, l’auteur s’est vu accorder un délai de sept jours pour quitter le Danemark de son plein gré, ce qu’il n’a pas fait. Au moment où l’auteur a soumis sa communication au Comité, son expulsion était prévue le 27 octobre 2014, à 14 h 55. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 24 octobre 2014, lorsque la communication a été enregistrée, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires et en application de l’article 92 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers l’Afghanistan tant que la communication serait à l’examen.

1.3Le 24 avril 2015, dans le cadre de ses observations sur la recevabilité et le fond, l’État partie a demandé au Comité de revoir sa décision d’appliquer des mesures provisoires en l’espèce. Le Comité a maintenu les mesures provisoires en l’espèce.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Depuis le début de 2009 jusqu’en 2010, l’auteur a travaillé sur la base de Maywand, dans la ville de Kandahar, comme garde du corps pour le personnel policier et militaire des forces armées américaines.

2.2Au début de 2010, l’auteur a commencé à travailler comme interprète et a été engagé par la société américaine Mission Essential Personnel. Dans un premier temps, il a travaillé à l’aéroport de Kandahar mais il a été assez rapidement transféré à Qalat, dans la province de Zabol. Il a d’abord travaillé sur la base de Laghman, puis pour la Police nationale afghane à Qalat.

2.3L’auteur a travaillé comme interprète pour différentes délégations américaines jusqu’en mai 2011. Pendant les trois à quatre derniers mois où il exerçait ces fonctions, il a travaillé pour les services de renseignement américains. Son supérieur était M. W.

2.4Dans le cadre de ses fonctions auprès des services de renseignement, l’auteur a interprété quatre conversations entre M. W. et son agent/sa source concernant un officier, A. M. W., un commandant du département logistique au quartier général de l’armée afghane qui avait des liens avec les Taliban. A. M. W. avait été l’instigateur d’une opération terroriste au cours de laquelle un pont avait été détruit par explosifs dans la ville de Shafr Safa. Il était également mentionné que A. M. W. avait été le propriétaire de l’entreprise de construction afghane qui devait reconstruire le pont.

2.5Peu de temps après avoir interprété cette conversation, l’auteur a été contacté par A. M. W., qui lui a demandé de l’avertir de toute conversation le concernant car il voulait savoir ce qui lui arriverait. A. M. W. a dit à l’auteur qu’il le tuerait si celui-ci ne le prévenait pas.

2.6Quelques semaines plus tard, à la fin de juin 2011, A. M. W. aurait été arrêté par les forces spéciales des États-Unis et remis aux autorités afghanes.

2.7L’auteur a demandé un congé pour aller voir sa sœur et le mari de celle‑ci à Kandahar. Deux jours après son départ, il a reçu un appel téléphonique d’un collègue l’informant que A. M. W. avait été relâché. Pendant le séjour de l’auteur auprès de sa famille, alors qu’il était sorti en compagnie de sa sœur, son beau-frère a été tué. La victime avait succombé à des blessures à l’arme blanche et avait été décapitée. Des voisins auraient entendu des hommes à l’extérieur de la maison s’enquérir d’un interprète et de l’auteur, en mentionnant le prénom de celui-ci. L’auteur a cherché à joindre M. W. à plusieurs reprises, mais en vain. Deux jours après l’enterrement de son beau‑frère, l’auteur et sa sœur ainsi que les enfants de cette dernière se sont enfuis en Iran.

2.8L’auteur est arrivé au Danemark le 27 septembre 2011 et a présenté une demande d’asile le 30 septembre, motivée par les craintes qu’il éprouvait à l’égard d’un colonel afghan qui avait des liens avec les Taliban et auquel il avait dissimulé des renseignements. Le service de l’immigration a rejeté sa demande le 13 juillet 2012 en raison d’incohérences dans les dates qui entamaient la crédibilité de l’auteur. La commission de recours des réfugiés a rejeté son appel le 31 janvier 2013. L’auteur affirme avoir épuisé les recours internes.

2.9L’auteur renvoie au rapport établi en 2012 par le service danois de l’immigration sur les risques d’agression et de meurtre encourus par les employés afghans de sociétés occidentales, en particulier les interprètes, de la part de groupes rebelles, notamment des Taliban. À ce propos, l’auteur renvoie également aux pages 34 et 35 des lignes directrices du Haut-Commissariat des Nations Unies aux réfugiés (HCR) pour l’évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile afghans.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur invoque l’article 7 du Pacte. Il soutient que son beau-frère a été tué par des hommes qui seraient liés à A. M. W., lequel a des liens avec les Taliban, et il craint d’avoir été lui-même recherché par les Taliban. Il estime que, s’il était renvoyé en Afghanistan, il courrait le risque de subir des agressions ou des violences de la part des Taliban et de la population locale parce qu’il a travaillé pour les forces armées américaines pendant deux ans et qu’il est considéré comme un traître.

3.2Selon l’auteur, les incohérences dans les dates qu’il avait indiquées s’expliquent par la pression qu’il avait ressentie lors de l’entretien avec les services de l’immigration et par le fait que le calendrier grégorien, utilisé tout au long de la procédure, ne lui était pas familier, à la différence du calendrier afghan.

3.3L’auteur ne peut être sûr que le meurtre de son beau-frère était lié au différend avec A. M. W., mais il sait avec certitude que c’est bien lui que recherchaient les individus qui ont agressé son beau‑frère. Il en conclut donc que ces faits étaient liés au différend avec A. M. W., d’autant plus qu’ils ont coïncidé avec la remise en liberté de ce dernier. L’auteur est convaincu qu’en tant qu’ancien interprète pour les forces armées américaines, il serait persécuté par les Taliban et la population locale en cas de renvoi forcé en Afghanistan, et les droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte seraient violés.

3.4 Le fait que l’auteur a été employé comme interprète par les forces de la coalition entre 2009 et 2011 est attesté par des lettres et des recommandations qui ont été communiquées au Ministère danois des affaires étrangères.

3.5L’auteur se dit également victime d’une violation des droits qu’il tient de l’article 19 du Pacte, au motif que son travail en tant qu’interprète, qui est une manifestation de sa liberté d’expression, est considéré par les Taliban comme une trahison. Par suite de son renvoi en Afghanistan, il serait privé de ce droit.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 24 avril 2015, l’État partie a soumis des observations sur la recevabilité et le fond de la communication. L’État partie considère que l’auteur n’a pas démontré qu’il court le risque de subir un préjudice irréparable du fait de son renvoi en Afghanistan et estime pour cette même raison que la communication est irrecevable car manifestement infondée, les griefs étant insuffisamment étayés.

4.2L’État partie explique que les obligations qui lui incombent en vertu des articles 6 et 7 du Pacte sont prises en compte par le paragraphe 2 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers, qui dispose qu’un permis de séjour est accordé à l’étranger qui en fait la demande si l’intéressé encourt la peine de mort ou risque d’être soumis à des actes de torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants en cas de renvoi dans son pays d’origine. Selon sa pratique, la commission de recours des réfugiés considérera généralement que les conditions de délivrance d’un permis de séjour en vertu du paragraphe 2 de l’article 7 de ladite loi sont remplies lorsqu’il existe des éléments précis et particuliers donnant à penser que le demandeur d’asile serait exposé à un risque réel d’être condamné à la peine de mort ou d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants en cas de renvoi dans son pays d’origine.

4.3En ce qui concerne l’appréciation des éléments de preuve, c’est au demandeur d’asile qu’il incombe de démontrer que les conditions d’octroi de l’asile sont remplies. L’appréciation des éléments de preuve par la commission de recours des réfugiés n’est pas régie par des règles de preuve particulières. La commission se fonde sur une évaluation globale des déclarations du demandeur d’asile et de son comportement lors de l’audience, éléments qu’elle rapproche des autres informations pertinentes en l’espèce, notamment les documents d’information dont elle dispose sur le pays d’origine du demandeur d’asile. Lorsqu’elle statue sur un cas, la commission s’emploie à déterminer quelle appréciation des faits elle doit faire en se fondant sur les éléments de preuve. Si les déclarations du demandeur d’asile semblent cohérentes et concordantes, la commission, en principe, accepte les faits présentés comme établis. Lorsque les déclarations faites par le demandeur d’asile tout au long de la procédure comportent des incohérences, des variations, des exagérations ou des omissions, la commission tente d’en éclaircir les raisons. Cependant, des déclarations divergentes concernant des éléments déterminants des motifs pour lesquels il demande l’asile peuvent entamer la crédibilité du demandeur. En cas d’incertitude sur la crédibilité du demandeur d’asile, la commission évalue dans quelle mesure il convient d’accorder le bénéfice du doute.

4.4Dans la présente affaire, l’État partie rappelle que le 13 juillet 2012, le service danois de l’immigration a rejeté la demande d’asile de l’auteur et que le 31 janvier 2013, la commission de recours des réfugiés a confirmé cette décision. Le 13 mai 2013, le conseil de l’auteur a demandé la réouverture de la procédure d’asile. Cette demande a été rejetée le 25 février 2014 au motif que l’auteur était porté absent du centre d’accueil des demandeurs d’asile.

4.5Le 13 octobre 2014, la Police nationale danoise ayant informé la commission de recours des réfugiés que l’auteur avait été détenu, la commission a accepté de réexaminer l’opportunité de rouvrir la procédure d’asile sur la base de la précédente requête de l’auteur. Le 2 mars 2015, la commission a refusé de rouvrir la procédure d’asile, estimant qu’il n’existait aucun motif justifiant la réouverture du dossier ou la prorogation du délai fixé pour le départ de l’auteur.

4.6L’État partie rappelle que pour motiver sa demande d’asile, l’auteur avait mentionné qu’il craignait, au cas où il serait renvoyé en Afghanistan, d’être tué par un colonel local affilié aux Taliban parce qu’il lui avait dissimulé des renseignements. Dans le cadre de ses fonctions pour le compte de la société privée Mission Essential Personnel, le demandeur avait servi d’interprète pour les forces armées américaines en Afghanistan et, à ce titre, il avait eu accès à des renseignements secrets. C’est ainsi qu’il avait appris que le colonel était soupçonné de collaborer avec les Taliban. Lors d’un incident précis en juin 2011, le colonel en question avait contacté le demandeur et menacé de le tuer s’il ne lui transmettait pas les renseignements en sa possession. Le demandeur avait refusé de s’exécuter et le colonel avait été arrêté par les forces américaines quatre ou cinq jours plus tard. En juillet 2011, le demandeur avait appris que le colonel avait été relâché. Le même jour, le beau‑frère du demandeur avait été tué par des individus inconnus du demandeur, qui s’étaient enquis de l’endroit où se trouvait ce dernier.

4.7La commission de recours des réfugiés a admis comme un fait établi que l’auteur avait rempli les fonctions d’interprète auprès des forces internationales de sécurité mais a estimé que cet élément, à lui seul, ne constituait pas un motif d’octroi de l’asile. La commission a rejeté les dires de l’auteur concernant le différend qu’il aurait eu avec A. M. W. et le fait que son beau-frère avait été tué en raison de ce différend. La commission a en outre relevé des incohérences dans les déclarations de l’auteur sur des circonstances importantes, concernant notamment ses tentatives pour entrer en contact avec l’agent des services de renseignement américains M. W. et la date à laquelle il avait appris l’arrestation imminente de A. M. W. L’auteur a toujours affirmé que A. M. W. avait été arrêté à la fin de juin 2011 et que lui-même (l’auteur) était parti en congé avec sa sœur à Kandahar au début de juillet 2011.

4.8La commission de recours des réfugiés a estimé que l’auteur n’était pas crédible car, suite à une demande d’information émanant du Ministère des affaires étrangères, la société Mission Essential Personnel avait indiqué le 12 juin 2012 que le dernier jour de travail de l’auteur était le 1er mai 2011, et qu’il avait démissionné de ses fonctions pour raisons familiales. La commission a également conclu qu’il n’y avait pas d’éléments suffisamment probants pour étayer la thèse selon laquelle un lien devait être établi entre le meurtre du beau-frère de l’auteur et le conflit qui aurait opposé ce dernier à A. M. W. À la lumière de ces considérations, la commission a confirmé la décision du service danois de l’immigration en date du 13 juillet 2012, refusant l’octroi de l’asile à l’auteur.

4.9La commission de recours des réfugiés a contesté l’authenticité d’un document produit par l’auteur, émanant des autorités de police de la province de Kandahar, et qui confirmait que le beau‑frère de l’auteur avait été tué parce que des terroristes recherchaient l’auteur. La commission a relevé en premier lieu que, de par sa forme et son contenu, ce document semblait avoir été forgé de toutes pièces. En outre, elle n’a pas manqué de remarquer que l’auteur, après le rejet de sa demande d’asile par la commission, avait pris contact avec un avocat qui avait demandé, au nom de son client, que la police enquête sur un meurtre survenu en 2011. Aucune explication n’a été fournie concernant les raisons pour lesquelles le meurtre allégué du beau-frère n’avait pas été signalé précédemment aux autorités. L’État partie prend note de l’observation de la commission selon laquelle en Afghanistan, il est possible d’acheter toutes sortes de documents qui sont des faux.

4.10L’État partie rappelle en outre que la commission de recours des réfugiés s’est interrogée sur les raisons pour lesquelles l’auteur avait produit une attestation émanant du major J. S., et non pas de M. W. que l’auteur avait mentionné à plusieurs reprises comme étant son principal contact. Dans sa lettre de recommandation, J. S. indiquait que l’auteur avait servi comme interprète pour les forces internationales de sécurité au quartier général de la police de Qalat, dans la province de Zabol, durant la période allant du 1er juillet 2010 au 31 mai 2011. Lors de l’entretien mené le 13 janvier 2012 par le service danois de l’immigration, l’auteur avait déclaré qu’il avait commencé à travailler pour les services de renseignement aux alentours de mars 2011 et que par la suite il ne travaillait plus avec J. S. Il semble donc singulier que J. S. ait été en mesure de confirmer que l’auteur avait été employé jusqu’au 31 mai 2011 alors que celui-ci ne travaillait plus pour lui à cette époque. Pour les raisons ci‑dessus, la commission n’a pas accordé de valeur probante à cette attestation, estimant qu’il s’agissait d’un faux établi pour l’occasion.

4.11La commission de recours des réfugiés a en outre noté que l’auteur avait fourni des déclarations contradictoires concernant la période pendant laquelle il avait travaillé pour la société Mission Essential Personnel. Dans le rapport établi le 30 septembre 2011 aux fins de l’enregistrement de sa demande d’asile, l’auteur avait déclaré avoir commencé à travailler pour cette société à la fin de 2009, environ un an après son retour du Pakistan. À la même occasion, il avait déclaré qu’il avait travaillé comme interprète pendant un an et quatre ou cinq mois, soit plus précisément de 2010 jusqu’au 5 mai 2011.

4.12Lors de l’entretien mené par le service danois de l’immigration le 13 janvier 2012, l’auteur avait déclaré qu’il avait postulé pour un emploi avec la société Mission Essential Personnel vers le début de janvier 2010 et qu’il avait travaillé pour cette société jusqu’à son départ au début de juillet 2011, sans avoir démissionné de ses fonctions à aucun moment.

4.13Lors de son audience devant la commission de recours des réfugiés le 23 janvier 2013, l’auteur a déclaré qu’il avait commencé à travailler pour la société Mission Essential Personnel en 2010, qu’il avait servi d’interprète lors d’une réunion entre M. W. et A. M. W. en juin 2011 et qu’il était parti en congé à Kandahar en juin 2011 après avoir reçu des menaces de A. M. W. Ce congé avait été prescrit par la société Mission Essential Personnel, les interprètes étant tenus de prendre un congé au terme d’une période d’emploi de trois mois. Toutefois, la lettre de recommandation de J. S. indique que l’auteur avait travaillé comme interprète pour les forces internationales de sécurité du 1er mai 2010 au 31 mai 2011.

4.14Dans la requête en réouverture de la procédure qu’il a présentée le 23 octobre 2014, l’auteur a déclaré avoir travaillé pour la société Mission Essential Personnel entre 2010 et mai 2011. Toutefois, après son congé en juin 2011, l’auteur n’était pas rentré.

4.15Lors de l’entretien mené par le service danois de l’immigration le 13 janvier 2012, l’auteur a fait trois déclarations différentes concernant la date à laquelle il avait eu connaissance de l’arrestation de A. M. W. Après une évaluation globale, la commission de recours des réfugiés a établi que l’auteur n’avait pas fourni une déclaration crédible concernant les motifs de sa demande d’asile et qu’il n’avait pas démontré la probabilité qu’en cas de renvoi en Afghanistan, il courrait un risque réel de subir des persécutions ou des violences relevant de l’article 7 de la loi relative aux étrangers.

4.16L’État partie observe que les allégations de l’auteur portées à la connaissance du Comité sont en grande partie analogues à celles présentées dans la requête qu’il a soumise à la commission de recours des réfugiés le 23 octobre 2014 aux fins de réouverture de la procédure.

4.17Selon l’État partie, l’auteur n’a pas établi qu’à première vue sa communication est recevable au titre de l’article 7 du Pacte. Il n’a pas été établi qu’il existait des motifs sérieux de penser que l’auteur risquerait d’être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en cas de renvoi vers l’Afghanistan.

4.18En ce qui concerne les allégations relatives à l’article 19 du Pacte, l’État partie observe que l’auteur cherche à faire appliquer les obligations découlant de cet article de manière extraterritoriale, étant donné que ses griefs ne se rapportent à aucun traitement qu’il aurait subi au Danemark, dans une zone sous le contrôle effectif des autorités danoises ou en raison d’un comportement de ces autorités. En conséquence, l’État partie fait valoir que le Comité n’a pas compétence pour se prononcer sur de telles allégations de violations à l’égard du Danemark et que cette partie de la communication est donc irrecevable ratione loci et ratione materiae,et incompatible avec les dispositions du Pacte.

4.19Dans l’éventualité où le Comité jugerait la communication recevable, le Gouvernement soutient que l’auteur n’a pas suffisamment établi que son renvoi vers l’Afghanistan constituerait une violation de l’article 7 du Pacte, étant donné le manque de crédibilité de ses déclarations concernant plusieurs éléments cruciaux de sa demande d’asile.

4.20En outre, l’État partie renvoie aux rapports figurant parmi la documentation de référence dont dispose la commission de recours des réfugiés et sur lesquels elle s’est fondée pour rendre sa décision, notamment le rapport du HCR concernant l’évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile afghans et le rapport de 2012 de la mission d’enquête à Kaboul du service danois de l’immigration intitulé « Afghanistan − Country of Origin Information for Use in the Asylum Determination Process ». Sur la base de cette documentation, il apparaît que le facteur déterminant tient à la question de savoir si, après avoir évalué les renseignements fournis en l’espèce à la lumière de la documentation de base actuellement disponible, il est établi que la personne concernée courrait personnellement un risque spécifique d’être persécutée si elle retournait en Afghanistan.

4.21L’État partie renvoie également à l’arrêt rendu le 9 mars 2013 par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire H. et B. c. Royaume-Uni (requêtes nos 70073/10 et 44539/11), concernant, entre autres, un requérant afghan qui avait travaillé antérieurement comme interprète pour les forces armées américaines en Afghanistan. Dans cet arrêt, la Cour a estimé que le requérant ne pouvait pas prétendre être en danger à Kaboul en raison de ses antécédents et des conditions de sécurité dans cette ville. La Cour a considéré que le seul fait d’avoir travaillé antérieurement comme interprète pour les forces armées américaines ne suffisait pas pour que le requérant soit en danger à Kaboul, et qu’elle devait plutôt examiner sa situation particulière, la nature de son réseau relationnel et son profil.

4.22En l’espèce, l’État partie rappelle les conclusions de la commission de recours des réfugiés selon lesquelles l’auteur avait fait des déclarations contradictoires sur plusieurs éléments cruciaux concernant les motifs de sa demande d’asile et estime qu’il tente d’utiliser le Comité comme un organe de recours pour obtenir une réévaluation des circonstances de fait avancées à l’appui de sa demande d’asile. L’État partie soutient que le Comité doit accorder un poids considérable aux conclusions de la commission de recours, qui est mieux placée pour évaluer les circonstances factuelles dans le cas de l’auteur. En conclusion, l’État partie réaffirme que l’auteur n’a pas établi qu’à première vue sa communication est recevable au titre des articles 7 et 19 du Pacte, et que le Comité devrait la déclarer irrecevable. Au cas où le Comité jugerait la communication recevable, le Gouvernement fait observer qu’il n’a pas été établi qu’il existait de sérieux motifs de croire que le renvoi de l’auteur en Afghanistan constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 3 juillet 2015, l’auteur a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il indique que depuis son arrivée au Danemark, il a fait une demande de « visa spécial d’immigrant » aux États‑Unis par l’intermédiaire d’un cabinet d’avocats américain agissant comme conseil pro bono en partenariat avec le Projet d’aide aux réfugiés iraquiens, qui fournit des services d’assistance juridique aux Iraquiens et Afghans qui encourent un risque parce qu’ils ont travaillé comme interprètes pour l’armée américaine. L’auteur joint une lettre datée du 23 juin 2015 de ce cabinet d’avocats, qui décrit la procédure engagée par l’auteur pour obtenir un visa spécial d’immigrant et où il est indiqué que ses conseils aux États‑Unis ont cherché à de multiples reprises à prendre contact avec l’un de ses supérieurs, M. W., mais sans succès à ce jour. Cet échec tient peut-être au fait que l’intéressé est impliqué dans des affaires de renseignement, ce qui oblige les agents à modifier fréquemment leurs coordonnées. Le cabinet d’avocats a également pu recueillir des attestations de deux interprètes qui travaillaient sur la même base que l’auteur. L’auteur a tenté à plusieurs reprises de contacter M. W., mais en vain. Il rejette donc la conclusion de la commission de recours des réfugiés selon laquelle aucune explication n’avait été fournie quant aux raisons pour lesquelles l’auteur avait produit une attestation émanant d’un commandant et non pas de M. W. que l’auteur avait mentionné à plusieurs reprises comme étant son principal contact.

5.2En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie, reprenant à son compte la conclusion de la commission de recours des réfugiés qui avait estimé étrange et peu vraisemblable que la police confirme par écrit que le beau-frère de l’auteur avait été tué par des terroristes à cause de l’auteur, ce dernier répète sa déclaration antérieure et joint l’original du rapport de police en dari, ainsi que les traductions de ce document en danois et en anglais. Il renvoie en outre à la page 35 du rapport du HCR intitulé « Beyond proof − Credibility Assessment in European Union Asylum Systems », où il est dit que le constat d’invraisemblance doit être fondé sur des déductions raisonnables justifiables par des faits objectifs et que la personne qui examine le dossier d’asile ne doit pas se livrer à des spéculations sur la façon dont les événements auraient pu ou dû se dérouler ni sur la façon dont le demandeur ou une tierce partie aurait dû se comporter. L’auteur souligne qu’en tout état de cause la question essentielle n’est pas, en l’espèce, de savoir si oui ou non son beau‑frère a été tué à cause du conflit entre lui-même et A. M. W. Il est impossible à l’auteur ou à la police de Kandahar d’établir, preuves à l’appui, les circonstances dans lesquelles le beau‑frère de l’auteur a été tué. Il ne peut cependant être exclu que ce meurtre ait été un acte de représailles parce que l’auteur travaillait comme interprète. L’élément le plus fondamental est la question du risque encouru par l’auteur s’il rentre en Afghanistan.

5.3S’agissant du problème de dates, l’auteur rappelle qu’il a commencé à travailler avec la police afghane depuis le début de 2009 jusqu’au début de 2010. Il a été ensuite embauché par la société Mission Essential Personnel, qui établit des contrats entre des interprètes et des entreprises, en l’occurrence les forces armées américaines et les forces internationales de sécurité. En d’autres termes, l’auteur était employé par la société Mission Essential Personnel mais sous contrat avec les forces armées américaines et les forces internationales de sécurité depuis le début de 2010 jusqu’en mai 2011.

5.4L’auteur a travaillé dans trois équipes différentes : d’abord au camp de Laghman, avant de rejoindre au bout de six mois une équipe au quartier général de la police de Qalat, sous la direction de J. S., jusqu’à ce qu’on lui fasse enfin savoir, deux mois plus tard, qu’il devrait remplir les fonctions d’interprète pour les services de renseignement, sous la direction de M. W.

5.5L’État partie s’est appuyé sur la décision de la commission de recours des réfugiés du 2 mars 2015 pour mettre en doute la crédibilité de l’auteur concernant les dates. Il s’est référé en particulier à une lettre de recommandation émanant de J. S, dans laquelle il était indiqué que l’auteur avait travaillé comme interprète pour les forces internationales de sécurité au quartier général de la police de Qalat (province de Zabol) du 1er juillet 2010 au 31 mai 2011. La commission s’est également appuyée sur l’entretien de l’auteur avec le service danois de l’immigration le 13 janvier 2012, au cours duquel l’auteur avait affirmé avoir commencé à travailler pour les services de renseignement vers le mois de mars 2011 et qu’alors il ne travaillait donc plus avec J. S.

5.6L’auteur indique qu’il est exact qu’il a déclaré au service danois de l’immigration avoir commencé à travailler pour les services de renseignement vers le mois de mars 2011. Il n’a pas dit qu’il ne travaillait plus avec J. S., une telle déduction étant uniquement le fait de la commission de recours des réfugiés. En réalité, J. S. était l’officier responsable de l’ensemble des troupes au quartier général de la police de Qalat (province de Zabol), y compris les services de renseignement. L’auteur a travaillé sous les ordres de différents supérieurs, mais il était basé au quartier général de la police de Qalat de juillet 2010 à mai 2011.

5.7La lettre de recommandation non datée de J. S., où il est indiqué que l’auteur a travaillé pour les forces internationales de sécurité du 1er juillet 2010 au 31 mai 2011, avait pour but d’aider les interprètes qui avaient besoin d’une recommandation pour leur demande de visa spécial d’immigrant auprès des autorités des États-Unis. Ce document n’est pas censé fournir un état détaillé des emplois occupés, avec indication précise du début et de la fin des activités exercées. Il s’agissait sans doute d’une lettre type, où J. S. se contentait de modifier les noms et les régiments pour chacun des interprètes nécessitant une lettre de recommandation.

5.8L’auteur joint également une lettre de recommandation datée du 29 janvier 2015, rédigée par J. A., dans laquelle ce dernier déclare avoir été le supérieur direct de l’auteur du 15 juillet 2010 au 20 mai 2011 alors que lui-même était affecté à la Police nationale afghane à Zabol, précisant que l’auteur avait travaillé « personnellement pour lui comme linguiste de confiance au quartier général de la police ». Il est mentionné en outre dans cette lettre que parce qu’il avait travaillé pour l’armée américaine, l’auteur était exposé à une menace permanente en Afghanistan et que, s’il rentrait dans son pays, il serait en danger en raison des agissements d’individus et de groupes opposés à la présence américaine.

5.9L’auteur renvoie également à un courriel du 24 juin 2015 de S. B., l’un des avocats fournissant à titre gracieux une assistance juridique à l’auteur pour sa demande de visa spécial d’immigrant. En se fondant sur sa propre collaboration avec l’armée américaine, S. B. confirme que de tels décalages entre les dates n’ont rien d’inhabituel et que les attestations et lettres de remerciements ne sont pas censées constituer des relevés officiels d’emploi, et mentionnent souvent les dates auxquelles telle ou telle unité était présente et non pas les dates précises auxquelles l’interprète a commencé ou fini de travailler. De même, il n’est pas surprenant selon lui que l’auteur ait continué de travailler avec l’unité de J. S., tout en prêtant son concours à d’autres membres des services de renseignement.

5.10L’auteur explique que c’est par erreur qu’il a mentionné juin et juillet au lieu de mai et juin. Le seul point qui reste en suspens est celui de savoir s’il a cessé ses fonctions le 1er mai, le 31 mai ou un autre jour en mai 2011. Il ne se rappelle pas les dates exactes, mais il affirme être parti en congé à Kandahar à la fin de mai 2011. Il a ensuite quitté Kandahar à la mi‑juin et rentrait avec sa sœur et les enfants de celle-ci fin juin ou début juillet, lorsqu’il a fui l’Afghanistan.

5.11Toutefois, l’auteur soutient que le point essentiel est, non pas la date précise à laquelle il a officiellement mis fin à son contrat d’interprète auprès des forces armées américaines, mais bien plutôt le fait qu’il avait exercé ces fonctions pendant près d’un an et demi, période au cours de laquelle il a eu un différend avec A. M. W., puissant colonel et propriétaire d’entreprises de construction.

5.12L’auteur ajoute que tous ceux qui travaillent sous contrat avec les forces internationales courent un risque élevé d’être victimes de violences et de meurtre de la part de groupes rebelles, notamment des Taliban. Les interprètes courent un risque particulier car ils sont perçus comme « les yeux des Américains ».

Nouvelles observations de l’État partie

6.1Dans une lettre datée du 24 février 2016, l’État partie réaffirme ses observations antérieures. Il rappelle que la commission de recours des réfugiés a admis comme un fait que l’auteur avait travaillé en tant qu’interprète pour les forces armées américaines, et qu’il avait notamment interprété des conversations menées avec A. M. W. Toutefois, la commission a contesté l’allégation de l’auteur concernant les différends qu’il aurait eus ensuite avec A. M. W., estimant que l’auteur avait fait à ce sujet des déclarations qui n’étaient pas crédibles et ne concordaient pas. L’État partie ajoute que la commission a examiné attentivement chacune des allégations de l’auteur, et analysé tout particulièrement celles concernant les menaces que l’auteur aurait reçues en Afghanistan, et qu’elle les a jugées contradictoires et invraisemblables à plusieurs égards.

6.2L’État partie ajoute que les attestations faites par deux interprètes en faveur de l’auteur ne sauraient être considérées comme fournissant des informations de première main sur le différend qui aurait opposé l’auteur à A. M. W. ; elles confirment simplement qu’un personnage puissant nommé A. M. W. opérait dans la région, ce que la commission de recours des réfugiés n’a pas contesté.

6.3L’État partie maintient que l’auteur n’a pas établi qu’à première vue sa communication est recevable au titre des articles 7 et 19 du Pacte, et que la communication est par conséquent manifestement infondée et devrait être déclarée irrecevable. Au cas où le Comité jugerait la communication recevable, l’État partie fait valoir qu’il n’a pas été établi qu’il existait de sérieux motifs de croire que le renvoi de l’auteur en Afghanistan constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

Commentaires complémentaires de l’auteur

7.1Dans une lettre du 28 avril 2016, l’auteur fait valoir que l’État partie s’appuie exclusivement sur un courrier daté du 12 juin 2012 adressé par la société Mission Essential Personnel au Ministère danois des affaires étrangères, où il était indiqué que l’auteur avait travaillé d’avril 2010 au 1er mai 2011 et qu’il avait démissionné de ses fonctions pour des raisons familiales.

7.2En août 2015, le conseil de l’auteur a contacté la société Mission Essential Personnel qui a confirmé que l’auteur n’avait jamais donné officiellement sa démission à la société, mais avait seulement informé oralement son « point de contact » de sa démission, dont la société Mission Essential Personnel avait ensuite été avisée.

7.3L’auteur ajoute qu’il avait quitté son travail et l’Afghanistan sans en informer quiconque. Lors de son entretien avec le service danois de l’immigration le 11 juillet 2012, il a déclaré qu’il se pouvait qu’un de ses collègues afghans, chef du service d’interprétation, ait dit que l’auteur avait démissionné pour raisons familiales, de façon à ne pas compromettre ses chances de reprendre ses fonctions par la suite, et que cette explication avait été retenue ultérieurement comme motif officiel de sa démission. Le fait que l’auteur a démissionné et quitté le pays sans en avertir quiconque est confirmé par un courriel que lui a envoyé M. W. le 15 janvier 2013, ainsi libellé : « Après avoir pris vos congés en juin, vous avez disparu ».

7.4L’auteur admet qu’il y a des contradictions dans les dates : dans la lettre de J. S., il est indiqué que l’auteur a rempli les fonctions d’interprète pour les forces internationales de sécurité au quartier général de la police de Qalat (province de Zabol) du 1er juillet 2010 au 31 mai 2011 ; dans la lettre datée du 12 juin 2012 adressée au Ministère danois des affaires étrangères par la société Mission Essential Personnel en réponse aux questions qui lui avaient été posées, il est indiqué que l’auteur a travaillé d’avril 2010 jusqu’au 1er mai 2011 ; enfin, il ressort de la lettre produite par S. B. − le conseil de l’auteur aux États‑Unis − reçue de J. A., que ce dernier a été le supérieur de l’auteur du 15 juillet 2010 au 20 mai 2011. En conséquence, selon l’auteur, ces divergences corroborent le fait que sa démission ne peut être datée avec exactitude, étant donné qu’il n’a jamais démissionné officiellement.

7.5Cependant, l’auteur relève que la principale raison avancée pour rejeter sa demande tient précisément aux divergences dans les dates de sa démission, bien que la commission de recours des réfugiés ait admis comme un fait qu’il avait travaillé en tant qu’interprète pour les forces armées américaines en Afghanistan. L’auteur répète qu’en confirmant le rejet de sa demande d’asile, l’État partie l’a exposé à un grand risque en ce qui concerne son droit à la vie et son droit de ne pas subir des actes de torture ou d’autres traitements dégradants, au cas où il serait renvoyé en Afghanistan.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité relève qu’il n’est pas contesté que l’auteur a épuisé tous les recours internes disponibles, comme l’exige le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.3 Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme qu’en tant qu’interprète, ce qui implique une manifestation de son droit à la liberté d’expression, son renvoi en Afghanistan constituerait une violation des droits qu’il tient de l’article 19. Le Comité relève à cet égard que, d’après l’État partie, le grief que tire l’auteur de l’article 19 est irrecevable ratione loci et ratione materiae. Le Comité rappelle qu’en vertu de l’article 2 du Pacte, les États parties ont l’obligation de ne pas expulser une personne de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable dans le pays vers lequel doit être effectué le renvoi, tel le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Par conséquent, étant donné que les griefs de violation de l’article 19 soulevés par l’auteur reposent sur les conséquences qu’il subirait, selon lui, s’il était renvoyé en Afghanistan, et compte tenu du fait que l’article 19 n’est pas d’application extraterritoriale, le Comité considère que cette partie de la communication de l’auteur est incompatible ratione materiae avec les dispositions du Pacte et la déclare irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

8.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le grief que tire l’auteur de l’article 7 du Pacte devrait être déclaré irrecevable pour défaut de fondement, car l’auteur « n’a pas établi qu’à première vue sa communication est recevable ». Dans le même temps, cependant, le Comité prend note des affirmations détaillées de l’auteur concernant les risques qu’il courrait en cas d’expulsion vers l’Afghanistan, du fait qu’il a travaillé comme interprète pour les forces armées américaines en Afghanistan pendant près de deux ans, notamment pour les services de renseignement américains. Le Comité prend également note des affirmations de l’auteur selon lesquelles, en raison de ces activités pour les services de renseignement des États-Unis, il avait eu un différend avec un officier et entrepreneur local puissant ayant des liens avec les Taliban, qui était peut‑être impliqué dans le meurtre de son beau‑frère. L’auteur affirme que ces éléments donnent des motifs sérieux de croire qu’il courrait le risque d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants s’il était renvoyé en Afghanistan. Le Comité considère donc qu’aux fins de la recevabilité l’auteur a suffisamment étayé les griefs qu’il tire de l’article 7 du Pacte.

8.5Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que la communication est recevable en ce qu’elle soulève des questions relevant de l’article 7 du Pacte, et il procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité doit déterminer si le renvoi de l’auteur vers l’Afghanistan constituerait une violation par l’État partie des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 7 du Pacte.

9.3Le Comité rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il fait référence à l’obligation qu’ont les États parties de ne pas extrader, déplacer ou expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité a également indiqué qu’un tel risque doit être personnel et qu’il faut des motifs sérieux de conclure à son existence. C’est pourquoi tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, notamment la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur.

9.4Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle, par suite des fonctions qu’il a exercées en tant qu’interprète pour les forces armées des États-Unis en Afghanistan entre 2009 et 2011, notamment pour les services de renseignement, et en raison du différend qu’il a eu dans ce cadre avec un personnage puissant ayant des liens avec les Taliban, il court personnellement un risque réel d’être victime d’une violation des droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte s’il est expulsé vers l’Afghanistan.

9.5Le Comité prend note de l’observation de l’État partie selon laquelle les obligations qui lui incombent en vertu des articles 6 et 7 du Pacte sont prises en compte par l’article 7 2) de la loi relative aux étrangers, qui dispose qu’un permis de séjour est accordé à l’étranger qui en fait la demande si l’intéressé encourt la peine de mort ou risque d’être soumis à des actes de torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants en cas de renvoi dans son pays d’origine. Le Comité prend également note des observations de l’État partie qui indique que c’est au demandeur d’asile qu’il incombe d’étayer sa demande, que la commission de recours des réfugiés accepte comme des faits les déclarations qui semblent cohérentes et logiques, et que des déclarations contradictoires risquent d’entamer la crédibilité du demandeur d’asile.

9.6En ce qui concerne les circonstances particulières de l’affaire, le Comité observe que l’État partie a rejeté les allégations de l’auteur, essentiellement au motif que ce dernier avait fait plusieurs déclarations contradictoires. Dans la décision qu’elle a rendue le 31 janvier 2013, et qui a été confirmée le 2 mars 2015, la commission de recours des réfugiés a contesté en particulier les déclarations de l’auteur concernant les points ci-après : les tentatives qu’il avait faites pour établir le contact avec l’agent de renseignement des États‑Unis, M. W. ; la date à laquelle il avait pris connaissance de l’arrestation imminente de A. M. W. ; et la période pendant laquelle il avait travaillé pour la société Mission Essential Personnel. La commission a également rejeté l’allégation selon laquelle le beau‑frère de l’auteur avait été tué par des individus qui étaient à la recherche de ce dernier.

9.7Le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort qu’il convient d’accorder un poids important à l’appréciation faite par les autorités de l’État partie, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice, et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte d’examiner ou d’apprécier les faits et les preuves en vue d’établir l’existence d’un risque réel.

9.8Le Comité estime, compte tenu des circonstances, et en dépit des incohérences mises en évidence par l’État partie, qu’il n’a pas été prêté une attention suffisante aux allégations de l’auteur concernant le risque réel auquel celui-ci serait exposé en cas d’expulsion vers son pays d’origine. L’État partie renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme pour appuyer son argument selon lequel, indépendamment du fait qu’il avait travaillé auparavant comme interprète pour les forces armées américaines, l’auteur devrait démontrer qu’en raison de sa situation particulière, il court un risque s’il est renvoyé dans son pays. Le Comité constate cependant que la commission de recours des réfugiés n’a pas procédé à une telle analyse et qu’elle a fondé sa décision uniquement sur l’évaluation de la crédibilité de l’auteur.

9.9Le Comité note l’affirmation de l’auteur selon laquelle il a mélangé les dates en raison de la pression ressentie pendant l’entretien avec le service de l’immigration et parce que le calendrier grégorien ne lui était pas familier. Le Comité observe en outre que l’auteur a fait de nombreuses tentatives convaincantes pour s’efforcer de clarifier les incohérences dans les dates (la question étant de savoir s’il avait cessé ses activités le 1er mai, le 20 mai ou le 31 mai 2011), incohérences qui, en tant que telles, ne peuvent être considérées comme suffisantes pour entamer la crédibilité de l’ensemble de ses allégations.

9.10Le Comité a pris note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle, en raison de ses activités passées, il fait partie d’un groupe à risque recensé dans les lignes directrices du HCR pour l’évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile afghans, ce que l’État partie n’a pas contesté. L’auteur a également affirmé que son beau‑frère avait été tué par des individus qui recherchaient l’auteur, allégation que la commission de recours des réfugiés a rejetée, l’estimant insuffisamment étayée. Cependant, le Comité note que ni le service danois de l’immigration ni la commission de recours des réfugiés n’ont ouvert d’enquête sur l’authenticité et la validité des éléments de preuve produits à l’appui de ces allégations, se contentant de rejeter un rapport de police produit par l’auteur suite à son signalement du crime auprès des autorités policières afghanes.

9.11Dans ces circonstances, et en réaffirmant que la commission de recours des réfugiés a fondé sa décision de rejeter la demande d’asile de l’auteur sur de simples contradictions qui ne sont pas d’une importance décisive au regard de l’allégation générale relative au risque encouru par l’auteur en tant qu’ancien interprète pour les forces armées américaines en Afghanistan, le Comité conclut que les éléments dont il est saisi montrent qu’il n’a pas été accordé suffisamment de poids aux allégations de l’auteur. Tout en respectant l’appréciation qu’ont faite les autorités d’immigration des éléments de preuve dont elles étaient saisies, le Comité estime que l’État partie n’a pas dûment pris en compte les circonstances personnelles de l’auteur, qui méritaient un examen plus approfondi.

9.12Par conséquent, le Comité conclut que le renvoi de l’auteur en Afghanistan constituerait une violation par l’État partie des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 7 du Pacte.

10.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, considère que le renvoi de l’auteur vers l’Afghanistan par l’État partie constituerait une violation des droits que l’auteur tient de l’article 7 du Pacte.

11.Conformément au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, selon lequel les États parties s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le Pacte, l’État partie est tenu de faire procéder à un réexamen de la décision d’expulser l’auteur vers l’Afghanistan, en tenant compte des obligations qui lui incombent en vertu du Pacte et des présentes constatations. L’État partie est également prié de ne pas expulser l’auteur tant que sa demande d’asile sera à l’examen.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a eu violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques, à les faire traduire dans la langue officielle et à les diffuser largement.

Annexe I

Opinion conjointe (dissidente) de Yuval Shany, YujiIwasawa, Sir Nigel Rodley et Konstantin Vardzelashvili

1.Nous regrettons de ne pas pouvoir souscrire à l’avis de la majorité des membres du Comité qui a conclu que le Danemark manquerait à ses obligations au titre de l’article 7 du Pacte s’il mettait à exécution sa décision d’expulser l’auteur.

2.Au paragraphe 9.7 des constatations, le Comité rappelle « qu’il convient d’accorder un poids important à l’appréciation faite par les autorités de l’État partie, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice, et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte d’examiner ou d’apprécier les faits et les preuves en vue d’établir l’existence d’un risque réel ». En dépit de cette affirmation, la majorité des membres du Comité a entrepris de procéder à ce qui nous apparaît comme une analyse indépendante de la crédibilité de l’auteur, qui supposait une évaluation des contradictions dans ses déclarations et leur portée (« l’auteur a fait de nombreuses tentatives convaincantes pour s’efforcer de clarifier les incohérences dans les dates (la question étant de savoir s’il avait cessé ses activités le 1er mai, le 20 mai ou le 31 mai 2011), incohérences qui, en tant que telles, ne peuvent être considérées comme suffisantes pour entamer la crédibilité de l’ensemble de ses allégations » (par. 9.9) ; « la commission de recours des réfugiés a fondé sa décision de rejeter la demande d’asile de l’auteur sur de simples contradictions qui ne sont pas d’une importance décisive au regard de l’allégation générale relative au risque encouru par l’auteur en tant qu’ancien interprète pour les forces armées américaines en Afghanistan » (par. 9.11)).

3.Nous considérons que la volonté du Comité de réexaminer la crédibilité des déclarations de l’auteur et de déduire de celles-ci une conclusion différente de celle de la commission de recours des réfugiés va à l’encontre de la règle relative à une « appréciation manifestement arbitraire ou un déni de justice » énoncée au paragraphe 9.7 des constatations, et de l’idée affirmée par le Comité dans de précédentes constatations qu’il n’est pas « une quatrième instance compétente pour réexaminer les conclusions de fait ».

4.Dans de précédentes affaires dans lesquelles il a estimé que la décision des organes de l’État d’expulser une personne était contraire au Pacte, le Comité s’est efforcé de fonder sa position sur des carences du processus décisionnel interne, comme le fait qu’il n’ait pas été tenu suffisamment compte des preuves disponibles ou des droits spécifiques que l’auteur tenait du Pacte, qu’il y ait eu de graves failles dans la conduite de la procédure interne d’examen ou l’incapacité de l’État partie de donner à sa décision une justification raisonnable. En l’espèce cependant, le Comité ne constate pas qu’il n’a pas été tenu suffisamment compte d’un élément d’information important, et ne relève aucune faille procédurale ni absence de justification de la décision d’expulsion. Au lieu de cela, la majorité des membres du Comité paraît avoir procédé à une appréciation indépendante de la crédibilité de l’auteur, sans avoir eu la possibilité de s’entretenir directement avec celui-ci et sans expliquer suffisamment les raisons pour lesquelles les multiples incohérences de ses déclarations concernant des parties décisives de son récit (les dates auxquelles avaient eu lieu les faits ayant entraîné le risque supposé) et les sérieux doutes quant à l’authenticité des documents qu’il avait soumis à la commission de recours des réfugiés, n’auraient pas dû conduire un décideur raisonnable à considérer son récit comme dépourvu de crédibilité. De même, nous ne sommes pas convaincus par la raison donnée par l’auteur (et adoptée inconditionnellement par la majorité) pour expliquer les incohérences, à savoir que le calendrier grégorien ne lui était pas familier bien qu’il ait travaillé pendant plus de deux ans avec les forces internationales en Afghanistan en qualité de garde du corps et d’interprète. Nous estimons par conséquent que le Comité n’aurait pas dû critiquer après coup les conclusions de la commission selon lesquelles les déclarations de l’auteur manquaient de crédibilité.

5.La majorité des membres du Comité observe à juste titre que les conclusions relatives à la crédibilité ne dispensent pas totalement l’État partie de procéder à une évaluation du risque encouru par l’auteur en cas de renvoi (par. 9.8), mais nous ne trouvons dans le dossier aucun élément permettant d’affirmer que l’État partie n’a pas procédé à une telle évaluation. Au contraire, la commission s’est appuyée sur un arrêt récent de la Cour européenne des droits de l’homme pour justifier la conclusion selon laquelle le seul fait que l’auteur avait exercé les fonctions d’interprète pour les forces internationales ne l’exposerait pas à un risque réel en cas de renvoi à Kaboul. Nous relevons en outre que l’auteur a lui-même admis ne pouvoir « être sûr que le meurtre de son beau-frère était lié au différend avec A. M. W. » (par. 3.3) et qu’il n’a pas démontré que les autorités afghanes ne seraient pas en mesure de protéger une personne discrète comme lui contre la violence des Taliban. En conséquence, il ne nous semble pas qu’il y ait eu appréciation manifestement arbitraire ou déni de justice lorsque la commission de recours des réfugiés a considéré que l’auteur ne courrait pas un risque réel de subir un préjudice irréparable s’il était renvoyé en Afghanistan.

6.Enfin, s’agissant de la position adoptée par la majorité des membres du Comité selon laquelle l’État partie aurait dû ouvrir une enquête indépendante sur les faits qui, selon l’auteur, seraient survenus en Afghanistan (par. 9.10), nous estimons qu’une telle obligation d’ouvrir une enquête ne peut être commandée que par des déclarations qui établissent qu’à première vue il existe un risque réel de préjudice irréparable. Or, tel n’était pas le cas des déclarations de l’auteur, en raison du caractère vague de ses allégations quant au risque qu’il court actuellement en Afghanistan, de son manque de certitude quant aux circonstances de la mort de son beau-frère et de son manque de crédibilité.

7.Nous exprimons donc notre désaccord sur la position adoptée par la majorité des membres du Comité dans la présente affaire. Il va sans dire que notre désaccord ne saurait être interprété comme une approbation de la moralité du comportement des responsables de pays fournisseurs de contingents à la force internationale de sécurité, qui n’ont pas pris d’arrangements appropriés pour le personnel recruté localement qui a collaboré avec eux.

Annexe II

Opinion individuelle (dissidente) d’Anja Seibert-Fohr

1.Je ne suis pas en mesure de souscrire à l’opinion de la majorité des membres du Comité, qui considère que le Danemark violerait les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 7 s’il procédait à l’expulsion de l’auteur vers l’Afghanistan, et cela pour les raisons suivantes.

2.Selon la jurisprudence établie du Comité, les États parties ont l’obligation « de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable […], tel le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte ». Le Comité réaffirme ce principe au paragraphe 9.3 des constatations, en soulignant en outre que le risque doit être personnel et qu’il faut des motifs sérieux de conclure à son existence.

3.C’est donc à l’auteur d’une communication qu’il incombe de présenter des preuves suffisantes pour démontrer qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il serait exposé à un risque réel de traitement contraire à l’article 6 ou à l’article 7. Lorsque ces éléments de preuve sont apportés, il appartient à l’État partie de dissiper les éventuels doutes les concernant. Le Comité réaffirme au paragraphe 9.7 que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte, et non au Comité, d’examiner ou d’apprécier les faits et les preuves en vue d’établir l’existence d’un risque réel. C’est pourquoi dans le passé, le Comité a considéré que des décisions prises par les autorités locales de l’immigration emportaient une violation du Pacte si l’auteur pouvait mettre en évidence des irrégularités substantielles dans les procédures décisionnelles, comme le fait de ne donner aucun motif pour justifier une décision, de ne pas tenir suffisamment compte des droits garantis à l’auteur par le Pacte ou de ne pas examiner des éléments de preuve pertinents.

4.En l’espèce, je ne suis pas en mesure de constater de telles défaillances. La commission de recours des réfugiés a examiné la situation en Afghanistan et a jugé, par référence à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, que le fait d’avoir exercé les fonctions d’interprète pour les forces internationales de sécurité ne constituait pas en soi un motif d’octroi de l’asile. Dès lors, il convenait d’apprécier le grief de l’auteur au titre de l’article 7 à l’aune de son affirmation concernant le risque de voies de fait auquel il serait exposé pour avoir refusé de communiquer des informations à un officier local de l’armée afghane lié aux Taliban. Dans sa communication, l’auteur affirme avoir interprété des conversations secrètes concernant cet officier et avoir été peu après menacé de mort par celui-ci s’il ne l’informait pas de ces conversations. L’auteur affirme aussi que c’est à cause de son différend avec l’officier que son beau-frère a été ensuite assassiné.

5.Les autorités danoises ont examiné les allégations de l’auteur. S’agissant du meurtre du beau-frère de l’auteur, la commission de recours des réfugiés a mis en doute qu’il ait eu un lien avec l’auteur et a estimé que le document émanant des autorités locales de police confirmant le lien paraissait forgé pour l’occasion. De plus, la commission a considéré que le récit de l’auteur relatif à son différend supposé avec l’officier manquait de crédibilité. Lors de l’audience, l’auteur avait situé les faits en juin 2011. Par la suite, lorsque la commission a obtenu des renseignements indiquant qu’il avait démissionné de son poste en mai, l’auteur a expliqué sa confusion, entre juin et juillet et mai et juin respectivement, par la pression qu’il avait ressentie lors de l’entretien avec les services de l’immigration et par le fait que le calendrier grégorien ne lui était pas familier.

6.Après avoir procédé à une évaluation d’ensemble, la commission de recours des réfugiés a conclu que le récit de l’auteur n’était pas crédible. Elle a fondé sa décision, entre autres, sur les déclarations contradictoires concernant la période durant laquelle l’auteur avait été employé comme interprète et sur des incohérences dans les dates auxquelles il avait situé les faits d’où découlait le risque allégué, et a conclu que l’auteur n’avait pas étayé l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable.

7.Compte tenu de ce qui précède, je ne peux souscrire à la critique exprimée par la majorité du Comité qui reproche à l’État partie de n’avoir pas évalué la situation particulière de l’auteur. Au contraire, l’État partie, après avoir examiné les preuves soumises par l’auteur et analysé les menaces que celui-ci disait avoir reçues en Afghanistan, a expliqué pourquoi il jugeait ces éléments contradictoires et invraisemblables. Les dates mentionnées de façon incohérente se rapportaient aux faits censés être à l’origine du risque allégué et ne pouvaient donc être considérées comme d’importance secondaire pour la communication.

8.Je suis aussi en désaccord sur la critique formulée par la majorité du Comité à propos de l’enquête sur le meurtre, à savoir le fait que l’État partie n’a pas avoir ouvert d’enquête sur l’authenticité et la validité des éléments de preuve produits. L’auteur concède qu’il est impossible d’établir, preuves à l’appui, les circonstances du meurtre et maintient qu’il ne peut être au moins exclu que ce meurtre ait été un acte de représailles contre lui. Cette vague affirmation ne saurait cependant constituer une preuve suffisante pour démontrer qu’il y a des motifs sérieux de croire à l’existence d’un risque réel et ne requiert donc pas de mesures d’enquête plus approfondies de la part de l’État partie.

9.Il ne peut donc être reproché au Danemark, ni de n’avoir pas examiné des éléments de preuve pertinents ni d’avoir évalué de façon incorrecte les renseignements produits par l’auteur. La majorité des membres du Comité considère néanmoins qu’il n’a pas été accordé suffisamment de poids aux allégations de l’auteur, et que l’État partie n’a pas dûment pris en compte les circonstances personnelles de l’auteur. Je ne vois pas quelles sont les autres circonstances individuelles que, selon la majorité du Comité, la commission de recours des réfugiés a omis d’analyser et ne souscris donc pas aux constatations du Comité.