Nations Unies

C C PR/C/117/D/2415/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr : générale

5 septembre 2016

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif, concernant la communication no 2415/2014 *, **

Communication présentée par :

A. M. M. (représenté par un conseil, Arbab Perveez, d’Adil Advokate)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Danemark

Date de la communication :

2 juin 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 4 juin 2014 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision  :

14 juillet 2016

Objet :

Expulsion vers le Pakistan

Question(s) de procédure :

Fondement des griefs ; recevabilité ratione materiae

Question(s) de fond :

Expulsion d’étrangers ; risque de préjudice irréparable dans le pays d’origine ; droit à la vie ; torture, peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; droit à la liberté politique

Article(s) du Pacte :

6, 7, 14 et 19

Article(s) du Protocole facultatif :

5 (par. 2 a) et b))

1.1L’auteur de la communication est A. M. M., de nationalité pakistanaise, né le 12 mai 1957. Il affirme qu’en le renvoyant dans son pays d’origine, l’État partie violerait les droits qu’il tient des articles 6, 7, 14 et 19 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 6 janvier 1972.

1.2A. M. M. est entré au Danemark le 28 août 2009 avec un visa Schengen délivré par l’ambassade du Danemark à Islamabad. Quand il a présenté la communication, il était en rétention dans l’attente de son expulsion. Il fait valoir qu’en le renvoyant au Pakistan, le Danemark violerait les droits qu’il tient des articles 6, 7, 14 et 18. L’auteur est représenté par un conseil.

1.3Le 4 juin 2014, en application de l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas demander de mesures provisoires de protection.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1A. M. M., de nationalité pakistanaise, est originaire de Lahore, au Penjab ; il est musulman sunnite. Il est issu d’une famille affiliée au Parti du peuple pakistanais, fondé par Zulfikar Ali Bhutto en 1973. Zulfikar Ali Bhutto a été exécuté par pendaison en 1979 en vertu d’une décision de justice. A. M. M. décrit les membres de sa famille comme d’« ardents militants » du Parti du peuple pakistanais, et affirme que dans les années 80 il a été emprisonné et torturé, ainsi que ses frères, pour ses activités de militant du parti. En 1986, trois de ses frères ont fui au Danemark, où ils ont obtenu l’asile politique, mais l’auteur est resté au Pakistan.

2.2Benazir Bhutto, fille de Zulfikar Ali Bhutto, a pris la direction du parti et a été deux fois Premier Ministre, d’abord de 1988 à 1990, puis de 1993 à 1996. Pendant le mandat de Benazir Bhutto, l’auteur a été nommé responsable adjoint de l’administration et du personnel dans un organisme public de Karachi, et l’un de ses frères conseiller en communication. Lorsque Benazir Bhutto a quitté ses fonctions, en 1996, et que Nawaz Sharif, de la Ligue musulmane du Pakistan, est arrivé au pouvoir, l’auteur et sa famille « ont eu de nouveau des ennuis ».

2.3Alors que la Ligue musulmane du Pakistan était au pouvoir, l’auteur a été contacté par un ami de son frère, qui l’a invité à aller en Inde en qualité de membre d’une délégation pour la paix. L’homme s’est occupé du visa et, en février 2005, l’auteur s’est rendu à New Delhi en autocar, au sein d’un groupe de 16 ou 17 personnes. À l’exception de l’auteur, tous les membres de ce groupe étaient des étudiants. L’auteur affirme qu’à son retour un agent des services de renseignement du Pakistan l’a plusieurs fois sollicité par téléphone et en personne. Quelque temps plus tard, une délégation indienne est arrivée au Pakistan dans le cadre du Forum indo-pakistanais pour la paix. Après le départ de la délégation, l’agent des services de renseignement a fait savoir à l’auteur qu’il n’y aurait pas de paix entre l’Inde et le Pakistan et qu’il devait travailler pour les services de renseignement. L’auteur a eu peur de refuser et a tenté d’éviter cet homme mais un jour, alors qu’il ne répondait pas au téléphone, l’homme est venu le trouver en personne et lui a dit : « Nous sommes les amis de nos amis et les ennemis de nos ennemis ; si vous nous évitez, on vous aura ».

2.4D’après l’auteur, les services de renseignement ont alors commencé à perturber la bonne marche de son entreprise de sidérurgie (concessionnaire de l’entreprise publique Pakistan Steel Mills) et la situation est devenue si difficile qu’il n’avait plus eu d’autre choix que de travailler pour eux ou de fuir. Sur les conseils de sa femme et de sa mère, il a déposé une demande de visa pour le Danemark, y étant déjà allé en 1996 pour rendre visite à ses frères. Il a emporté avec lui tous ses documents dans l’intention de demander l’asile politique.

2.5L’auteur est arrivé au Danemark le 28 août 2009 avec un visa de tourisme et a été hébergé par ses frères. Il a demandé une prolongation de son visa, mais sa demande a été rejetée et sur les conseils de ses frères, il n’a pas demandé l’asile, de crainte d’être arrêté et expulsé vers le Pakistan. Il a par la suite pris contact avec Amnesty International, qui lui a recommandé de présenter une demande d’asile le plus tôt possible, ce qu’il a fait le 19 janvier 2012.

2.6Après avoir présenté sa demande d’asile, l’auteur a séjourné une année dans différents centres pour demandeurs d’asile. Pendant les interrogatoires de police, l’auteur était mal à l’aise en racontant en détail son histoire, parce que l’interprète désigné le connaissait ainsi que sa famille. Il affirme qu’au cours de cette procédure, il recevait des messages menaçants des services de renseignement pakistanais, mécontents qu’il ait quitté le pays. Il ajoute que s’il était expulsé vers le Pakistan, il serait arrêté à l’aéroport par les services de renseignement et qu’il craint pour sa vie une fois entre leurs mains. À ce propos, il affirme que ces services ont fait pression sur lui en permettant que l’un des dirigeants de Pakistan Steel Mills abuse de sa position. En conséquence, l’auteur fait désormais l’objet d’une enquête.

2.7La demande d’asile de l’auteur a été rejetée le 11 mai 2012 par le Service danois de l’immigration. Le 10 octobre 2012, la Commission danoise de recours pour les réfugiés a confirmé la décision de rejet, considérant que l’auteur n’avait pas donné d’explications cohérentes et convaincantes concernant les sollicitations des services de renseignement. L’auteur a demandé à la Commission de rouvrir son dossier, une première fois en soumettant des documents supplémentaires, puis une seconde fois en invoquant la situation générale qui prévalait au Pakistan. La Commission a refusé de rouvrir le dossier, la première fois le 21 mars 2014, puis le 4 juin 2014, au motif qu’aucune nouvelle information pertinente ne lui avait été présentée, et elle a confirmé sa décision du 10 octobre 2012.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir que son expulsion vers le Pakistan aboutirait à son arrestation par les services de renseignement qui, à terme, le tueraient ou le tortureraient, et que l’État partie violerait son droit à la vie et son droit de ne pas être soumis à la torture, garantis par les articles 6 et 7 du Pacte, respectivement.

3.2L’auteur dénonce également une violation de l’article 14 du Pacte, au motif que les décisions de la Commission de recours pour les réfugiés deviennent définitives sans qu’il y ait possibilité de recours judiciaire, ce qui constitue à son avis une discrimination à l’égard des demandeurs d’asile au Danemark. Il se dit également victime d’une violation du droit à la liberté politique, garanti par l’article 18 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans une lettre datée du 4 décembre 2014, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication.

4.2L’État partie fait valoir que la communication devrait être déclarée irrecevable. Si toutefois le Comité la déclarait recevable, il objecte que le renvoi de l’auteur au Pakistan ne constituerait pas une violation des dispositions des articles 6, 7, 14 et 18 du Pacte.

4.3L’État partie souligne que l’auteur est entré au Danemark en possession d’un passeport pakistanais authentique et d’un visa Schengen délivré par l’ambassade du Danemark à Islamabad, valable du 16 août 2009 au 11 novembre 2009. Le 19 octobre 2009, le Service danois de l’immigration a rejeté la demande de prolongation du visa présentée par l’auteur. Le 19 janvier 2012, l’auteur a demandé l’asile. Du 12 novembre 2009 au 19 janvier 2012, il a vécu au Danemark sans titre de séjour.

4.4Le 11 mai 2012, le Service danois de l’immigration a rejeté la demande d’asile de l’auteur et le 10 octobre 2012, la Commission danoise de recours pour les réfugiés a confirmé la décision de rejet. Le 22 octobre 2012, l’auteur a demandé par écrit à la Commission de rouvrir la procédure d’asile, et cette demande a été rejetée le 21 mars 2014. Le 26 mars 2014, l’auteur s’est présenté en personne au secrétariat de la Commission pour demander la réouverture de la procédure d’asile, demande qui a été rejetée le 4 juin 2014.

4.5L’État partie fait valoir que la décision rendue le 10 octobre 2012 par la Commission de recours pour les réfugiés tenait compte des informations communiquées par l’auteur sur ses activités politiques et l’incarcération qu’elles lui avaient valu dans les années 80, ainsi que sur sa participation à la mission pour la paix menée en Inde en 2005, à la suite de laquelle les services de renseignement pakistanais l’avaient invité plusieurs fois à travailler pour leur compte et, celui-ci ayant refusé, avaient commencé à perturber la bonne marche de son entreprise. Il ajoute qu’il ne peut tenir pour des faits établis les motifs invoqués par l’auteur à l’appui de sa demande d’asile et que l’auteur n’a pas expliqué de façon plausible pourquoi il avait attendu deux ans et demi avant de demander l’asile.

4.6L’État partie affirme que, pour rendre sa décision, la Commission de recours pour les réfugiés a tenu compte du fait que l’auteur n’avait pas apporté d’informations cohérentes et convaincantes sur les sollicitations des services de renseignement, et qu’il avait donné des chiffres variables quant au nombre de celles-ci. La Commission n’a pu considérer comme un fait établi que les services de renseignement avaient sollicité l’auteur quelques fois seulement sur une période de plusieurs années et avaient accepté ses réponses évasives, s’ils tenaient réellement à ce qu’il collabore avec eux, et elle a fait observer que l’auteur n’avait pas fait l’objet de représailles. La Commission a également tenu compte du fait que l’auteur avait été autorisé à quitter le Pakistan en toute légalité, en présentant son propre passeport et un visa touristique Schengen. Elle a donc conclu que l’auteur ne risquait pas réellement d’être persécuté au sens du paragraphe 1 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers, ni de subir les peines ou traitements visés au paragraphe 2 du même article s’il était renvoyé au Pakistan.

4.7L’État partie indique que la Commission de recours pour les réfugiés a considéré la lettre envoyée par l’auteur le 22 octobre 2012 comme une demande de réouverture de son dossier. Cette lettre, qui avait apparemment été envoyée par une personne du nom d’A. G., indiquait que l’auteur risquait d’être persécuté et harcelé s’il retournait au Pakistan puisque Benazir Bhutto avait été renversée et que son successeur, Asif Ali Zardari, considérait l’auteur comme un ennemi. Dans la demande, l’auteur ajoutait que la situation générale était difficile au Pakistan depuis le 11 septembre 2011 en raison de la présence des Talibans et d’Al-Qaida.

4.8L’État partie souligne que la Commission de recours pour les réfugiés a décidé le 21 mars 2014 de ne pas rouvrir le dossier car elle a estimé que la lettre ne contenait pas de nouveaux renseignements sur les difficultés particulières que connaîtrait l’auteur au Pakistan en plus des éléments dont elle avait déjà connaissance et dont elle avait tenu compte pour rendre sa décision du 10 octobre 2012, et que l’auteur n’avait pas montré qu’il risquait réellement d’être persécuté ou victime de mauvais traitements au sens de l’article 7 de la loi relative aux étrangers s’il était renvoyé au Pakistan. La Commission a en outre considéré que la situation générale difficile au Pakistan ne pouvait pas en soi justifier la délivrance d’un permis de séjour au titre de l’article 7 de la loi relative aux étrangers.

4.9L’État partie indique que le 26 mars 2014 l’auteur a demandé une nouvelle fois la réouverture de la procédure d’asile et a présenté trois documents à l’appui de sa demande. Le premier, daté du 27 septembre 2012, était, semble-t-il, une notification du directeur adjoint M. A. concernant une action engagée contre l’auteur pour la vente par Pakistan Steel Mills de produits à un prix inférieur aux prix du marché, action qui serait abandonnée si l’auteur payait 3 082 roupies pakistanaises. Le second document, daté du 18 février 2011, semblait être une notification d’un avocat − M. G. D. − informant l’auteur qu’il devait payer 404 052,73 roupies à titre d’indemnisation d’une perte financière subie par Pakistan Steel Mills. Le troisième document était identique à celui que l’auteur avait joint à la première demande de réouverture de son dossier qu’il avait adressée à la Commission de recours pour les réfugiés. Dans un courrier électronique daté du 7 avril 2014, l’auteur ajoutait que les actions en question avaient été engagées contre son entreprise, qu’un directeur commercial de Pakistan Steel Mills s’était appropriée, et que lui-même avait été menacé et arrêté en lien avec ces affaires. Il expliquait en outre que pendant son séjour au Danemark, il avait reçu un message des services de renseignement pakistanais lui signifiant qu’il était inacceptable qu’il ait quitté le Pakistan sans les en informer.

4.10L’État partie affirme que la décision de la Commission de recours pour les réfugiés, en date du 4 juin 2014, de ne pas rouvrir le dossier a tenu compte du fait que l’auteur n’avait présenté aucun élément ni argument important qui soit nouveau par rapport aux informations dont la Commission était déjà saisie. La Commission a relevé qu’elle ne pouvait accepter les motifs invoqués par l’auteur pour justifier sa demande d’asile, parce que l’auteur n’avait pas expliqué de façon crédible pourquoi il avait laissé s’écouler deux ans et demi après son arrivée au Danemark avant de demander l’asile ni donné aucune information cohérente et convaincante au sujet de son conflit avec les services de renseignement. Elle a aussi relevé que les déclarations de l’auteur présentaient des contradictions à d’autres égards, et qu’il avait quitté le Pakistan en toute légalité, muni de son passeport pakistanais. La Commission a rappelé qu’elle ne pouvait pas tenir pour des faits établis les motifs avancés par l’auteur pour justifier sa demande d’asile et a conclu que les documents produits, compte tenu du moment où ils avaient été présentés, de leur nature et de leur teneur, semblaient être des faux et ne justifiaient pas une appréciation différente de la crédibilité de ces motifs. Elle a tenu compte des informations figurant dans le rapport intitulé « Country of Origin Information Report » publié par le Ministère britannique de l’intérieur le 9 août 2013, dont il ressort que l’usage de faux est courant au Pakistan et qu’il est facile de s’en procurer.

4.11Pour ce qui est du fondement juridique de ses décisions, la Commission considère généralement que les conditions de délivrance d’un permis de séjour au titre du paragraphe 2 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers sont réunies lorsque des facteurs précis et particuliers donnent à penser que le demandeur d’asile risque réellement d’être condamné à mort ou d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants s’il est renvoyé dans son pays d’origine. Cette loi dispose en outre que le rejet d’une demande d’asile doit toujours être accompagné d’une décision établissant si l’intéressé peut être expulsé du Danemark s’il ne quitte pas volontairement le pays, et qu’un étranger ne peut pas être renvoyé dans un pays où il risque d’être condamné à mort ou d’être victime de tortures ou de peines ou de traitements inhumains ou dégradants, ni dans un pays où il ne serait pas à l’abri d’un renvoi dans un pays où il court les mêmes risques (art. 31 et 32 a)). L’État partie précise que pour garantir le respect de ces obligations, la Commission et le Service de l’immigration ont élaboré conjointement plusieurs mémorandums décrivant en détail la protection juridique conférée aux demandeurs d’asile par le droit international, en particulier par la Convention relative au statut des réfugiés, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Convention européenne des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

4.12L’État partie fait valoir qu’aux fins de l’appréciation des preuves, l’article 40 de la loi relative aux étrangers oblige le demandeur d’asile à fournir tous les renseignements nécessaires pour déterminer s’il relève de l’article 7 de ladite loi. C’est donc au demandeur d’asile qu’il incombe de démontrer que les conditions d’octroi de l’asile sont remplies. Si les déclarations du demandeur semblent cohérentes et concordantes, normalement la Commission de recours pour les réfugiés les accepte comme des faits établis. En revanche, des déclarations divergentes sur des éléments fondamentaux des motifs pour lesquels l’asile est demandé peuvent amoindrir la crédibilité du demandeur.

4.13Pour ce qui est des griefs tirés des articles 6 et 7 du Pacte, l’État partie objecte que l’auteur n’a pas établi prima facie le bien-fondé de sa position aux fins de la recevabilité, et qu’il n’y a aucun motif sérieux de penser qu’il risquerait, s’il était renvoyé au Pakistan, d’être privé de la vie ou soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il estime donc que cette partie de la communication est manifestement dénuée de fondement et devrait être déclarée irrecevable.

4.14Pour ce qui est du grief de violation de l’article 14, l’État partie renvoie aux constatations du Comité, qui a établi que les procédures relatives à l’expulsion d’un étranger n’impliquaient pas de décision sur des « droits et obligations de caractère civil » au sens du paragraphe 1 de l’article 14 et qu’elles relevaient de l’article 13 du Pacte, et fait valoir que cette partie de la communication devrait de ce fait être déclarée irrecevable ratione materiae en application de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.15Pour ce qui est du grief tiré de l’article 18 et de l’argument de l’auteur selon lequel la décision de l’expulser vers le Pakistan serait « contraire au droit à la liberté politique », l’État partie fait observer que l’article 18 garantit le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, et relève que l’auteur n’a pas précisé en quoi l’État partie avait ou aurait une quelconque responsabilité à ce sujet. D’après l’État partie, cette partie de la communication doit être considérée comme manifestement dénuée de fondement et déclarée irrecevable puisque l’auteur n’a pas apporté d’élément donnant à penser qu’il risquait d’y avoir violation de l’article 18 du Pacte, et n’a pas suffisamment montré qu’il existait des motifs sérieux de penser que ses droits seraient violés s’il était renvoyé au Pakistan.

4.16L’État partie fait également observer que l’auteur ne prétend pas que les droits consacrés par l’article 18 ont été violés alors qu’il se trouvait sur le territoire de l’État partie, ou dans une zone placée sous son contrôle effectif ou encore en raison du comportement des autorités de l’État partie et que, dans sa communication, l’auteur cherche à obtenir l’application extraterritoriale des obligations découlant de l’article 18 du Pacte. Il fait valoir que le Comité n’est pas compétent pour se prononcer sur cette allégation pour ce qui concerne l’État partie et que cette partie de la communication est incompatible avec les dispositions du Pacte. Il ajoute qu’il ne saurait être tenu pour responsable de violations de l’article 18 qui pourraient être commises par un autre État partie en dehors du territoire et de la juridiction du Danemark. Il considère que l’extradition, l’expulsion ou le transfert par d’autres moyens d’une personne qui craint une violation par un autre État partie des droits garantis par l’article 18 du Pacte n’entraînerait pas un préjudice irréparable tel que les traitements visés aux articles 6 et 7 du Pacte, et affirme que cette partie de la communication devrait également être déclarée irrecevable ratione loci et ratione materiae, en application de l’article 96 a) et d) du règlement intérieur du Comité et de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.17L’État partie fait valoir que, si le Comité devait déclarer la communication recevable, l’auteur n’a pas suffisamment montré que son renvoi au Pakistan constituerait une violation des articles 6 et 7 du Pacte. Il souligne que la communication ne fait pas apparaître de nouveaux éléments et fait sienne l’appréciation de la Commission de recours pour les réfugiés, qui a estimé que les motifs invoqués par l’auteur ne pouvaient pas être considérés comme crédibles. Il fait observer en outre que le militantisme de l’auteur au Parti du peuple pakistanais remonte à très longtemps et que les informations sur les sollicitations des services de renseignement pakistanais semblent incohérentes et insuffisamment étayées. Il indique également que le fait que les frères de l’auteur aient obtenu l’asile au Danemark dans les années 80 ne peut pas conduire à une appréciation différente de la demande de l’auteur, étant donné que celui-ci a pu rester au Pakistan pendant de nombreuses années sans être inquiété pour ses opinions politiques ou en raison des activités de ses frères. L’État partie partage l’avis de la Commission de recours pour les réfugiés qui estime que la situation générale au Pakistan ne saurait en soi justifier la délivrance d’un permis de séjour à l’auteur en vertu de l’article 7 de la loi relative aux étrangers.

4.18L’État partie fait observer que la Commission de recours pour les réfugiés, qui est un organe collégial de caractère quasi juridictionnel, a rendu sa décision le 12 décembre 2012 à l’issue d’une procédure dans le cadre de laquelle l’auteur a eu la possibilité de présenter ses arguments, par écrit et oralement, avec l’assistance d’un conseil, et que la Commission a procédé à un examen complet et approfondi de tous les éléments versés au dossier. L’État partie indique qu’en n’apportant pas de nouvelles précisions sur sa situation, l’auteur tente d’utiliser le Comité comme un organe d’appel pour obtenir que celui-ci réexamine les faits présentés dans sa demande d’asile. Enfin, il souligne que le Comité doit accorder un poids considérable aux conclusions de la Commission de recours pour les réfugiés, qui est la mieux placée pour apprécier les circonstances factuelles de l’affaire.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.Le 15 septembre 2015, l’auteur a fait parvenir ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il maintient que les informations contenues dans sa communication au Comité montrent que son renvoi au Pakistan entraînerait une violation des droits consacrés aux articles 6 et 7 du Pacte. Il rappelle qu’il risque d’être privé de la vie, comme il l’a indiqué dans sa communication initiale, et indique que des tribunaux militaires ont été récemment institués au Pakistan, que le moratoire sur l’application de la peine de mort a été levé, et qu’en tant que membre du Parti du peuple pakistanais, il est personnellement et directement touché par les politiques et les pratiques en vigueur au Pakistan. Il précise que la référence au droit à la liberté politique renvoyait à l’article 19 du Pacte. Il affirme qu’il peut avoir la certitude d’être pris pour cible à son retour au Pakistan en raison de ses opinions ou convictions politiques sachant que « la culture des persécutions politiques au Pakistan est profondément ancrée dans l’élite sociale et politique et qu’elle est encore très forte et solidement enracinée dans la société ».

Observations complémentaires de l’État partie

6.Le 13 janvier 2016, l’État partie a indiqué que les informations données par l’auteur le 15 septembre 2015 n’appelaient pas de nouveaux commentaires de sa part. Concernant la référence, nouvelle, à l’article 19 du Pacte, l’État partie objecte que cette partie de la communication devrait également être déclarée irrecevable ratione loci et ratione materiae en application de l’article 96 du règlement intérieur du Comité et de l’article 2 du Protocole facultatif. L’État partie maintient donc que la communication devrait être déclarée irrecevable. Toutefois, si le Comité décide de la déclarer recevable, il réaffirme que le renvoi de l’auteur vers le Pakistan n’entraînerait pas de violation des dispositions du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte formulée dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel son expulsion vers le Pakistan l’exposerait à une violation des articles 6 et 7 du Pacte en raison de l’intérêt que lui portent les services de renseignement. Il prend également note de l’argument de l’État partie qui objecte que les griefs tirés des articles 6 et 7 doivent être déclarés irrecevables parce que insuffisamment étayés. Le Comité relève que les griefs tirés des articles 6 et 7 du Pacte ont été soigneusement examinés par les autorités de l’État partie, qui ont conclu que les déclarations de l’auteur concernant les motifs de sa demande d’asile, ainsi que la relation des événements qui lui faisaient craindre d’être tué ou torturé s’il était renvoyé au Pakistan, n’étaient ni cohérentes, ni crédibles.

7.4Le Comité rappelle son observation générale no 31, dans laquelle il se réfère à l’obligation des États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser ou transférer par d’autres moyens une personne de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire que celle-ci court un risque réel de préjudice irréparable, tel le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité a aussi établi qu’un tel risque devait être encouru personnellement et que les motifs pour conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable devaient être graves. Il rappelle sa jurisprudence, d’où il ressort qu’un poids considérable doit être accordé à l’appréciation de la situation faite par l’État partie et que c’est en général aux organes des États parties au Pacte qu’il appartient d’examiner ou d’apprécier les faits et les preuves afin de déterminer l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou entachée d’irrégularités ou a constitué un déni de justice. Le Comité constate que l’auteur n’est pas d’accord avec les conclusions des autorités de l’État partie concernant les faits, mais les éléments dont il dispose ne montrent pas que ces conclusions sont manifestement déraisonnables ni que les autorités n’ont pas tenu compte des facteurs de risque, comme elles étaient tenues de le faire. En outre, l’auteur n’a pas signalé d’irrégularité dans les procédures suivies par le Service danois de l’immigration et la Commission de recours pour les réfugiés pour prendre leurs décisions.

7.5.Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé les griefs qu’il tire des articles 6 et 7 du Pacte aux fins de la recevabilité. En conséquence, il les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme que les décisions de la Commission de recours pour les réfugiés deviennent définitives sans qu’il y ait possibilité de recours devant les tribunaux et que l’État partie viole de ce fait l’article 14 du Pacte. À ce sujet, le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme que les procédures relatives à l’expulsion d’un étranger n’impliquent pas de décision sur des « droits et obligations de caractère civil » au sens du paragraphe 1 de l’article 14 mais relèvent de l’article 13 du Pacte. L’article 13 offre une partie de la protection garantie par le paragraphe 1 de l’article 14 mais ne garantit pas le droit de recours. Le Comité considère donc que le grief que l’auteur tire de l’article 14 est irrecevable ratione materiae au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.7Pour ce qui est des griefs de violation de l’article 19 du Pacte, le Comité considère qu’ils ne peuvent pas être dissociés de ceux qui se rapportent aux articles 6 et 7 et sont donc aussi insuffisamment étayés et irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide que :

a)La communication est irrecevable au regard des articles 2 et 3 du Protocole facultatif ;

b)La présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.