Nations Unies

CCPR/C/117/D/2378/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

21 novembre 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communicationno 2378/2014 * , ** , ***

Communication p résentée par :

A. S. M. et R. A. H. (représentés par un conseil, Helle Hom Thomsen)

Au nom de :

Les auteurs et leurs trois enfants mineurs

État partie :

Danemark

Date de la communication :

14 avril 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 15 avril 2014 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

7 juillet 2016

Objet :

Expulsion du Danemark vers l’Italie

Question(s) de procédure 

Défaut de fondement des allégations ; incompatibilité ratione materiae

Question(s) de fond :

Torture, peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; droit à un procès équitable ; droit à la protection de la vie privée, de la famille et de la réputation

Article(s) du Pacte :

7, 17 et 24

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 3

1.1Les auteurs de la communication sont A. S. M. et sa femme, R. A. H., de nationalité somalienne, nés le 1er janvier 1985 et le 1er janvier 1990, respectivement. Ils présentent la communication en leur propre nom et en celui de leurs enfants mineurs, X., Y. et Z., nés le 13 octobre 2009 et le 8 juin 2011 en Italie, et en juillet 2014 au Danemark, respectivement. Ils affirment que s’il les renvoyait de force avec leurs enfants en Italie, l’État partie violerait les droits qu’ils tiennent des articles 7, 17 et 24 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Danemark le 23 mars 1976. Les auteurs sont représentés par un conseil.

1.2Le 15 avril 2014, conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser les auteurs et leurs enfants vers l’Italie tant que la communication serait à l’examen. Le 16 avril 2014, la Commission de recours des réfugiés a suspendu leur expulsion jusqu’à nouvel ordre, conformément à la demande du Comité.

Exposé des faits

2.1Les auteurs se sont mariés en 2007 en Somalie. Ils indiquent que R. A. H. appartient au sous-clan murusade hawiye et est musulmane. Elle n’est pas allée à l’école et ne sait ni lire ni écrire. Elle n’a jamais eu d’emploi. A. S. M. appartient au sous-clan quranyow garre et est musulman sunnite. En Somalie, il travaillait pour l’organisation non gouvernementale Primary Alternative Education et était directeur d’école. De juin 2007 jusqu’à ce que le couple quitte la Somalie, il était maire de la ville de Qoryooley. Les auteurs affirment que, le 11 novembre 2008, les Chabab ont attaqué le lieu de travail d’A. S. M., où ils ont tué des agents de sécurité, et que certains membres des Chabab sont ensuite allés chez les auteurs pour y chercher A. S. M. Craignant d’être persécutés par les Chabab, qui les considéraient comme des infidèles parce qu’ils avaient coopéré avec le Gouvernement somalien, les auteurs ont fui la Somalie le 12 novembre 2008.

2.2Le 11 avril 2009, les auteurs sont arrivés en Italie et y ont demandé l’asile. En octobre 2009, ils ont obtenu l’asile (le statut de réfugié conformément à la Convention relative au statut des réfugiés) ainsi qu’une protection subsidiaire pour raisons humanitaires, et ont reçu des permis de séjour d’une durée de cinq ans pour A. S. M. et de trois ans pour R. A. H. D’après la déclaration que les auteurs ont faite au Service de l’immigration danois, lorsqu’ils sont arrivés en Italie A. S. M. a séjourné dans un camp de réfugiés pendant sept mois tandis que R. A. H. a fait un long séjour à l’hôpital pendant sa grossesse et a vécu dans un autre camp de réfugiés. Elle a donné naissance à son premier enfant dans un hôpital en Italie. A. S. M. n’était pas présent lors de l’accouchement. Les auteurs sont restés séparés jusqu’à ce que des permis de séjour leur soient délivrés.

2.3Les auteurs ont reçu des autorités italiennes une aide financière et un logement social. Le 26 octobre 2009, ils ont signé un accord avec le Service d’intégration et de protection pour les réfugiés et les personnes demandant une protection internationale de la commune de Palagiano, où un appartement a été mis à leur disposition pendant six mois dans le cadre du projet « Koiné ». Avant d’occuper cet appartement, ils ont vécu dans différents centres pour demandeurs d’asile pendant trois mois. Ils ont reçu des cartes d’assurance maladie et bénéficié de l’accès aux soins médicaux. Ils affirment toutefois qu’en réalité, ils n’ont eu qu’un accès limité aux services de santé, alors que R. A. H. avait besoin de soins en raison des séquelles d’un accident de voiture qu’elle avait eu en Somalie lorsqu’elle était enfant. En outre, pour une éruption cutanée apparue lorsqu’ils vivaient dans l’appartement de Palagiano, on leur a seulement prescrit une pommade. En juin 2010, ils ont dû quitter l’appartement, l’accord d’hébergement étant venu à expiration. Ils ont alors reçu 600 euros avant d’être livrés à eux-mêmes.

2.4Ne recevant aucune aide des autorités, les auteurs ont décidé, à une date non précisée, de se rendre à Bologne. Ayant déjà bénéficié de l’aide de six mois prévue par le système de protection pour demandeurs d’asile et réfugiés, ils n’ont pas pu obtenir de logement social à Bologne. Ils ont habité quelque temps avec un Somalien, puis ont décidé de se rendre en Allemagne, où ils ont demandé l’asile en juillet 2010. Leur demande a été rejetée au motif qu’ils avaient déjà obtenu un permis de séjour en Italie et, le 22 février 2011, ils ont été renvoyés à Rome, en application du Règlement Dublin sur la détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale. R. A. H. était alors enceinte de son deuxième enfant.

2.5Les auteurs indiquent qu’à leur arrivée à Rome, ils n’ont reçu ni logement ni aide sociale, et que R. A. H. et leur fille ont passé la première nuit dans une église tandis que A. S. M. a dû dormir dans la rue. Le lendemain, ils se sont adressés à Caritas, qui assuré l’hébergement de R. A. H. et de leur fille pendant un ou deux mois. Les auteurs ont également reçu des bons de Caritas leur donnant droit à deux repas par jour pendant deux mois. Ils affirment qu’A. S. M. a continué à vivre dans la rue pendant cette période et qu’il a cherché de l’aide auprès de différents « administrateurs locaux », mais sans succès, la famille n’ayant plus droit à un hébergement puisqu’elle avait déjà été logée pendant six mois.

2.6En avril 2011, quand R. A. H. et sa fille ont dû quitter leur logement à Rome, elles se sont rendues à Pérouse, où Caritas leur a fourni un hébergement temporaire. A. S. M. a de nouveau dû dormir dans la rue ou chez des Somaliens qui le laissaient passer la nuit dans leur jardin ou sur leur balcon. Les auteurs indiquent qu’A. S. M. n’était autorisé à rendre visite à R. A. H. et leur fille que tous les quinze jours, qu’il n’était pas présent lorsque leur deuxième enfant est né en juin 2011et qu’il n’a pu voir sa femme et leur nouveau‑né à l’hôpital que le lendemain de l’accouchement, dans la soirée.

2.7Selon les auteurs, A. S. M. n’a pas pu obtenir un emploi légal parce que, lui a-t-on dit, son niveau d’italien n’était pas suffisant et qu’il lui fallait un permis de conduire. En conséquence, il a travaillé illégalement dans différentes exploitations agricoles où il était sous‑payé. Parfois, il n’était pas payé du tout, mais ne pouvait s’en plaindre à la police parce qu’il travaillait au noir.

2.8Deux mois après la naissance de son deuxième enfant, R. A. H. a dû quitter le foyer de Caritas. La famille est retournée à Rome et a vécu dans la rue. Pendant quelque temps, elle a également habité dans un bâtiment abandonné occupé par des réfugiés, mais ce n’était pas un logement adapté car les occupants se livraient constamment à des actes de violence et de délinquance et à des exactions. Un jour, les affaires des auteurs ont été volées, et R. A. H. a failli être agressée.

2.9Les auteurs ont décidé de se rendre au Danemark, où ils sont arrivés le 18 décembre 2012, et ils y ont demandé l’asile. Ils ont affirmé qu’ils craignaient d’être persécutés par les Chabab et que leur vie serait en péril s’ils retournaient en Somalie. Ils craignaientde devoir vivre dans la rue avec leurs enfants mineurs s’ils retournaient en Italie. Ils soutenaient que les autorités italiennes ne seraient pas en mesure de les protéger contre les mauvais traitements que des particuliers pourraient leur faire subir, qu’ils n’avaient reçu en Italie aucune prestation ni aucun service tel qu’aide sociale, soins de santé, logement social ou éducation, et qu’ayant déjà bénéficié du système de protection pour demandeurs d’asile et réfugiéspendant six mois, ils ne pouvaient pas demander une assistance aux autorités italiennes.

2.10Le 20 décembre 2013, le Service danois de l’immigration a estimé que, puisque les auteurs et leurs enfants avaient déjà un permis de séjour en Italie, ils ne pouvaient pas demander l’asile au Danemark et devaient être renvoyés en Italie, conformément au paragraphe 3 de l’article 7 de la loi sur les étrangers. Le Service a précisé que les allégations des auteurs selon lesquelles ils seraient contraints de vivre dans la rue s’ils retournaient en Italie ne pouvaient conduire à une autre conclusion car ce type de facteur socioéconomique ne relevait pas du champ d’application de l’article 7 de la loi sur les étrangers. Les auteurs ont contesté la décision devant la Commission de recours des réfugiés, faisant notamment valoir qu’ils devaient obtenir l’asile en application du paragraphe 1 de l’article 7 de la loi sur les étrangers parce que leur situation relevait de la Convention relative au statut des réfugiés, qu’en cherchant à déterminer si l’Italie pouvait être le pays de premier asile, les autorités auraient dû tenir compte de la conclusion no 58 (XL) (1989) du Comité exécutif du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), selon laquelle les facteurs socioéconomiques doivent être pris en considération lors de l’évaluation de la mise en œuvre du principe relatif au pays de premier asile, et que leur sécurité physique et leur liberté n’avaient pas été suffisamment protégées en Italie.

2.11Le 3 avril 2014, la Commission de recours des réfugiés a confirmé la décision du Service danois de l’immigration. Elle a fait observer notamment que, d’après la décision rendue le 2 avril 2013 par la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire Samsam Mohammed Hussein et autres c. Pays ‑ Bas et Italie, les personnes qui obtenaient le statut de réfugié, une protection subsidiaire ou un permis de séjour pour raisons humanitaires en Italie avaient droit à un permis de séjour renouvelable, qui donnait aux intéressés le droit de travailler et de bénéficier des prestations prévues par la loi italienne en matière d’aide sociale, de soins médicaux, de logement social et d’éducation, et que, le 25 octobre 2013, le Service danois de l’immigration avait fait savoir aux auteurs qu’il avait reçu des autorités italiennes des documents dont il ressortait que ceux-ci des permis de séjour leur avaient été délivrés en Italie et qu’A. S. M. y avait obtenu le statut de réfugié.

2.12La Commission de recours des réfugiés a aussi noté qu’A. S. M. lui avait dit qu’en 2009 lui-même et sa femme avaient obtenu un logement pour six mois à Palagiano et reçu de l’argent des autorités italiennes dans le cadre du dispositif d’intégration les concernant, qu’ils s’étaient vu délivrer des cartes d’assurance maladie et avaient eu accès aux soins médicaux, qu’il ne se souvenait pas de la durée de validité de ces cartes mais que celles-ci avaient été renouvelées plusieurs fois, qu’ils avaient été enregistrés auprès d’un médecin généraliste qu’ils pouvaient consulter chaque mois et que celui-ci leur avait dit qu’ils allaient bien et qu’il n’était donc pas nécessaire de les orienter vers des spécialistes. L’auteur avait également indiqué avoir travaillé dans une oliveraie à Palagiano avant d’être licencié à cause de la couleur de sa peau et avoir été maltraité alors qu’il travaillait dans une autre exploitation. À leur retour d’Allemagne, Caritas avait fourni un hébergement à R. A. H. et à leur enfant tandis que lui-même avait vécu dans divers endroits, notamment chez des Somaliens et dans la rue. A. S. M. avait pris contact avec le centre de recherche d’emploi de Pérouse, mais que le travail qu’on lui avait proposé était saisonnier et mal payé. R. A. H avait déclaré devant la Commission de recours des réfugiés qu’elle avait été privée de soins médicaux à Rome pendant sa deuxième grossesse, qu’elle avait été examinée une fois à Pérouse avant l’accouchement à l’hôpital et deux fois à Caritas, qu’après l’accouchement son fils avait été examiné à l’hôpital, qu’ils avaient dû quitter Caritas deux mois après la naissance et que, par la suite, l’enfant n’avait plus été examiné par des médecins.

2.13La Commission de recours des réfugiés a estimé que la plainte relevait du champ d’application du paragraphe 2 de l’article 7 de la loi sur les étrangers du fait que les auteurs craignaient d’être persécutés par les Chabab, et qu’il s’agissait donc de déterminer si l’Italie pouvait être leur pays de premier asile, en application du paragraphe 3 de l’article 7 de la loi. Elle a considéré que les auteurs pouvaient rentrer en Italie et y séjourner légalement le temps de demander le renouvellement de leur permis de séjour. Elle a jugé en outre qu’« en cas de renvoi en Italie, les auteurs seraient protégés contre le refoulement, leur intégrité personnelle et leur sécurité seraient protégées dans la mesure nécessaire et les conditions financières et sociales qui leur seraient proposées seraient adéquates, et [que] compte tenu de ces éléments et des informations à sa disposition, elle [était] d’avis que l’Italie [pouvait] être pour les auteurs le pays de premier asile, en application du paragraphe 3 de l’article 7 de la loi sur les étrangers, en dépit des déclarations [des auteurs] quant aux difficultés rencontrées pendant leur séjour en Italie ».

2.14Les auteurs affirment qu’ils ont épuisé tous les recours internes disponibles, la décision de la Commission de recours des réfugiés en date du 3 avril 2014 étant définitive et non susceptible d’appel devant un tribunal.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment qu’en les renvoyant de force avec leurs enfants en Italie, l’État partie violerait les droits qui leur sont garantis par les articles 7, 17 et 24 du Pacte.

3.2Les auteurs soutiennent que la Commission de recours des réfugiés devrait accorder à A.S.M la protection due aux réfugiés conformément au paragraphe 1 de l’article 7 de la loi sur les étrangers puisqu’il risque d’être persécuté en Somalie par les Chabab en raison de ses activités politiques et de sa fonction de maire de Qoryooley. Ils soutiennent aussi qu’en les renvoyant en Italie, l’État partie violerait les droits qui leur sont garantis par l’article 7 du Pacte car les conditions dans lesquelles ils ont vécu dans ce pays équivalaient à un traitement inhumain et dégradant. S’ils étaient renvoyés en Italie, ils ne recevraient aucune aide sociale des autorités parce qu’ils ont déjà bénéficié du dispositif d’accueil pendant leur premier séjour et seraient donc obligés de vivre dans la rue avec leurs enfants mineurs. Ils affirment que, dans ces circonstances, leur intégrité personnelle ne serait pas raisonnablement protégée en Italie.

3.3Les auteurs affirment qu’en les renvoyant avec leurs enfants en Italie, l’État partie violerait l’article 17 du Pacte. À plusieurs reprises pendant leur séjour en Italie, ils ont été empêchés d’avoir une vie de famille et de vivre ensemble. Un tel renvoi constituerait une violation des droits garantis à leurs enfants par l’article 24 du Pacte, puisque ceux-ci ne bénéficieraient d’aucune mesure de protection. Les auteurs font également valoir que, dans sa décision, la Commission de recours des réfugiés n’a pas pris en considération l’intérêt supérieur de leurs enfants ni le fait qu’ils risquaient d’être maltraités, marginalisés et privés d’accès à l’école et à des soins de santé adéquats.

3.4Dans les « UNHCR Recommendations», le Haut-Commissaire souligne qu’il existe en Italie, dans la loi comme dans la pratique, des failles pouvant entraver les efforts qu’accomplissent les réfugiés pour devenir autonomes, que le système de protection pour demandeurs d’asile et réfugiés, en raison de sa faible capacité, ne permet pas de fournir un hébergement adéquat à tous les bénéficiaires d’une protection internationale, et qu’un nombre croissant de ces personnes se retrouvent sans abri ou installées illégalement dans des locaux inoccupés. Dans son rapport sur les conditions d’accueil en Italie, l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) note : que les bénéficiaires d’une protection internationale n’ont généralement pas accès à un logement financé par le Fonds européen pour les réfugiés (Fondo Europeo per i Refugiati) ni aux centres d’hébergement pour demandeurs d’asile gérés par l’État (Centri di Accoglienza per Richiedenti Asilo) ; qu’il est extrêmement difficile pour les personnes qui ont obtenu une protection et sont renvoyées en Italie de trouver un hébergement ; que, bien que les bénéficiaires d’une protection aient le même statut que les Italiens pour ce qui est des droits sociaux, le système social est, de manière générale, insuffisant ; et que la durée maximale d’un séjour au titre d’un projet de logement proposé dans le cadre du système de protection est de six mois − jusqu’à un an maximum pour les personnes vulnérables −, ce qui n’est pas suffisant pour que les intéressés parviennent à subvenir à leurs propres besoins, compte tenu en particulier de la situation actuelle du marché de l’emploi. L’OSAR note également qu’à Rome un grand nombre de demandeurs d’asile et de bénéficiaires d’une protection internationale occupent illégalement des locaux vides ou vivent dans des taudis, lieux totalement inadaptés aux enfants, et que les femmes et les enfants y sont particulièrement exposés aux menaces et à la violence. En Italie, les familles avec deux parents ne sont pas considérées comme vulnérables. Bien que, selon la loi italienne, tous les enfants doivent avoir un logement et aient le droit de vivre avec leurs parents, ce droit n’est pas toujours garanti et les familles sont souvent séparées. Les personnes vulnérables ont la priorité et des places spéciales leur sont réservées dans les centres d’hébergement. Étant donné le nombre limité de lieux adéquats et la longueur de la liste d’attente, elles risquent toutefois de se retrouver dans la rue.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 15 octobre 2014, l’État partie a communiqué ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable pour défaut de fondement. L’État partie a aussi informé le Comité que R. A. H. avait donné naissance à son troisième enfant en juillet 2014.

4.2L’État partie considère que les auteurs n’ont pas fourni d’éléments suffisants pour démontrer qu’à première vue leur plainte au titre de l’article 7 du Pacte était recevable. Comme il n’y a pas de motifs sérieux de croire que les auteurs risquent d’être soumis à la torture ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant s’ils sont renvoyés en Italie, la communication est manifestement dénuée de fondement et doit être déclarée irrecevable.

4.3Pour ce qui est des allégations que les auteurs formulent au titre des articles 17 et 24 du Pacte, l’État partie affirme que les auteurs cherchent à faire appliquer les obligations découlant de ces articles de manière extraterritoriale. Les allégations des auteurs ne reposent pas sur un traitement qu’eux-mêmes ou leurs enfants auraient subi au Danemark ou dans une zone sous le contrôle effectif des autorités danoises, mais plutôt sur les conséquences qu’aurait, d’après eux, leur renvoi en Italie. Le Comité n’est donc pas compétent pour examiner les violations en question en ce qui concerne le Danemark, et cette partie de la communication est incompatible avec les dispositions du Pacte. L’article premier du Protocole facultatif dispose que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de la juridiction d’un État partie qui prétendent être victimes d’une violation, par cet État partie, de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte. L’extradition, la reconduite à la frontière, l’expulsion ou l’éloignement par d’autres moyens d’une personne qui craint qu’un autre État ne viole les droits garantis par les articles 17 et 24 du Pacte ne causerait pas de préjudices irréparables tels que ceux visés aux articles 6 et 7 du Pacte. En conséquence, cette partie de la communication devrait être déclarée irrecevable ratione loci et ratione materiae conformément à l’article 96 d) du règlement intérieur du Comité, lu conjointement avec son article 96 a) et l’article 2 du Protocole facultatif.

4.4L’État partie fournit une description détaillée de la procédure d’asile prévue par la loi sur les étrangers, ainsi que de la procédure suivie par la Commission de recours des réfugiés pour examiner les dossiers dont elle est saisie et se prononcer à leur sujet.

4.5Pour le cas où le Comité déclarerait la communication recevable, l’État partie soutient qu’il n’y aurait pas violation de l’article 7 du Pacte si les auteurs et leurs trois enfants mineurs étaient renvoyés en Italie. L’État partie fait remarquer que les auteurs n’ont fait part au Comité d’aucune information ou opinion sur leur situation autre que les renseignements qui ont déjà été pris en compte pendant la procédure d’asile. La Commission de recours des réfugiés a estimé que les auteurs relevaient du paragraphe 2 de l’article 7 de la loi sur les étrangers (relatif à la protection), qu’ils avaient déjà obtenu un permis de séjour provisoire en Italie en 2009 parce qu’ils avaient affirmé avoir été persécutés en Somalie, et qu’ils pouvaient rentrer en Italie et y résider légalement en attendant le renouvellement de leur permis de séjour. À cet égard, la Commission s’est référée aux informations de base relatives à la situation des demandeurs d’asile en Italie, notamment à la décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire Samsam Mohammed Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie, pour estimer que l’Italie pouvait être pour les auteurs le « pays de premier asile ». En conséquence, elle a confirmé la décision du 20 décembre 2013 par laquelle le Service de l’immigration danois avait refusé d’accorder l’asile aux auteurs en application du paragraphe 3 de l’article 7 de la loi sur les étrangers.

4.6Lorsqu’elle applique le principe du pays de premier asile, la Commission de recours des réfugiés exige au minimum que le demandeur d’asile soit protégé contre le refoulement et qu’il soit en mesure d’entrer et de s’établir légalement dans le pays concerné. Une telle protection comprend certains éléments sociaux et économiques, puisque les demandeurs d’asile doivent être traités conformément à des normes humanitaires fondamentales et que leur intégrité personnelle doit être préservée. L’élément essentiel d’une telle protection est que la sécurité personnelle des intéressés doit être assurée, tant au moment de leur entrée que pendant leur séjour dans le pays de premier asile. L’État partie considère toutefois que l’on ne saurait exiger que les demandeurs d’asile aient exactement la même situation sociale et le même niveau de vie que les nationaux du pays d’accueil. Parmi les autres exigences minimales, les demandeurs d’asile doivent être protégés contre tout renvoi dans le pays de persécution ou dans un pays où ils ne seraient pas protégés contre un renvoi dans le pays de persécution.

4.7En réponse aux allégations des auteurs selon lesquelles ils n’auraient pas accès à un logement en Italie et ne seraient donc pas en mesure d’atteindre un niveau de vie minimum, l’État partie rappelle qu’en l’affaire Samsam Mohammed Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie, la Cour européenne des droits de l’homme a fait observer que les personnes obtenant une protection subsidiaire recevaient un permis de séjour de trois ans, renouvelable par la commission territoriale qui l’avait délivré. La Cour a estimé qu’en l’absence de motifs humanitaires exceptionnels s’opposant au renvoi, le fait que celui-ci se traduise par une dégradation notable des conditions de vie du requérant sur les plans matériel et social ne suffisait pas à lui seul à constituer une violation de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle a considéré que « si la situation générale et les conditions de vie en Italie des demandeurs d’asile, des réfugiés acceptés et des étrangers ayant obtenu un permis de séjour à des fins de protection internationale ou à des fins humanitaires peuvent révéler quelques défaillances,il n’est pas établi qu’elles font ressortir une incapacité systémique à offrir un soutien et des structures destinées aux demandeurs d’asile en tant que personnes appartenant à un groupe particulièrement vulnérable ». La Cour a relevé qu’une personne ayant obtenu une protection subsidiaire en Italie recevait un permis de séjour d’une durée de trois ans, renouvelable, qui donnait à l’intéressé le droit de travailler, d’obtenir un document de voyage pour étrangers et de bénéficier du regroupement familial et des prestations générales en matière d’aide sociale, de soins médicaux, de logement social et d’éducation. En outre, un étranger dont le permis de séjour avait expiré pouvait en solliciter le renouvellement au moment où il rentrait en Italie.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

5.1Le 23 décembre 2014, les auteurs ont fait parvenir leurs commentaires sur les observations de l’État partie et ont maintenu leurs allégations de violation des articles 7, 17 et 24 du Pacte.

5.2Les auteurs soutiennent que le Comité est compétent ratione loci pour examiner leurs allégations au titre des articles 17 et 24 du Pacte. S’il existe un risque réel, personnel et prévisible de violation du droit à la vie de famille, à la vie privée ou au bénéfice d’une mesure de protection d’un enfant, les États parties ont l’obligation positive de protéger les personnes contre un tel risque. Dans le cas des auteurs, le manque d’hébergement en Italie a eu des répercussions sur leur vie de famille et sur les droits de leurs enfants en ce qu’il les a empêchés de vivre ensemble au même endroit et les a contraints à vivre dans la rue. Pour le cas où le Comité considérerait que les articles en question ne sont pas directement applicables, il devrait estimer qu’il faut les lire conjointement avec l’article 7 du Pacte, car les allégations formulées au titre de ces trois dispositions sont étroitement liées.

5.3Les auteurs soutiennent qu’ils devraient être considérés comme des demandeurs d’asile et non comme des réfugiés reconnus comme tels. Au moment où ils faisaient parvenir leurs commentaires au Comité, le permis de séjour d’A. S. M. avait déjà expiré et celui de R. A. H. devait venir à expiration en juillet 2015. Les deux auteurs n’étaient donc plus en possession de leurs permis de séjour italiens. À ce sujet, la Cour européenne des droits de l’homme, en l’affaire Samsam Mohammed Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie, a fait observer qu’il était possible d’obtenir le renouvellement d’un permis de séjour délivré à une personne admise en tant que réfugié, ou accordé au titre de la protection subsidiaire ou pour des raisons humanitaires impérieuses, en remplissant une demande auprès du service d’immigration de la police qui est compétent. Cependant, le fait que pareille demande doive en principe être accompagnée du permis original peut constituer un problème important pour les personnes de retour en application du règlement Dublin, qui d’ordinaire n’ont plus ce document en leur possession lorsqu’elles sont transférées en Italie.

5.4Les auteurs affirment que les demandeurs d’asile et les personnes ayant obtenu le statut de réfugié doivent être considérés des personnes défavorisées et vulnérables ayant besoin d’une protection spéciale. Ils font référence à un rapport établi par le Service jésuite des réfugiés, selon lequel un véritable problème se pose à ceux qui sont renvoyés en Italie et qui ont déjà bénéficié d’une certaine forme de protection ; ils ont peut-être déjà utilisé au moins une des solutions d’hébergement disponibles à leur arrivée mais, s’ils ont quitté le centre volontairement avant le délai fixé, ils ne peuvent plus prétendre à être hébergés dans les centres pour demandeurs d’asile. La plupart des personnes qui occupent des bâtiments abandonnés à Rome appartiennent à cette dernière catégorie. Il apparaît que le manque de places d’hébergement est un problème de taille, en particulier pour ceux qui sont renvoyés en Italie, lesquels bénéficient, pour la plupart, d’une protection internationale ou humanitaire.

5.5Les auteurs affirment qu’ils sont pleinement dépendants de l’aide de l’État vu qu’ils ne parlent pas la langue du pays et n’ont ni relations, ni logement, ni travail. Il n’existe pas en Italie de dispositif d’intégration efficace, et ceux qui se voient accorder une protection internationale sont livrés à eux-mêmes. Rien ne permet de penser que les autorités italiennes prépareraient le retour des auteurs dans le respect des normes fondamentales relatives aux droits de l’homme.

5.6Selon les auteurs, l’arrêt plus récent rendu le 4 novembre 2014 par la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire Tarakhel c. Suisse, qui porterait sur des faits similaires, vient confirmer qu’ils ne devraient pas être renvoyés en Italie. Dans cet arrêt, la Cour a noté que la présomption selon laquelle un État participant au système mis en place par le Règlement Dublin respectait, les droits fondamentaux énoncés dans la Convention européenne des droits de l’homme n’était pas irréfragable. Elle a considéré que, vu la situation actuelle en Italie, « l’hypothèse qu’un grand nombre de demandeurs d’asile renvoyés vers ce pays soient privés d’hébergement ou hébergés dans des structures surpeuplées dans des conditions de promiscuité, voire d’insalubrité ou de violence, n’[était] pas dénuée de fondement ». La Cour a demandé aux autorités suisses de s’assurer auprès de leurs homologues italiennes que les requérants (une famille) seraient accueillis dans des installations et des conditions adaptées à l’âge des enfants ; si de telles assurances n’étaient pas obtenues, la Suisse commettrait une violation de l’article 3 de la Convention européenne de droits de l’homme en renvoyant les requérants en Italie. Les auteurs avancent qu’à la lumière de cette conclusion et de leur expérience, il devrait être conclu que, s’ils étaient renvoyés en Italie, ils seraient exposés à une situation constituant une violation de l’article 7 du Pacte. Dans son appréciation, l’État partie aurait dû également tenir compte de l’incidence qu’aurait leur retour sur les droits qui leur sont garantis aux articles 17 et 24 et, en particulier, du point de savoir si les membres de la famille pourraient vivre ensemble en Italie.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 18 mai 2016, l’État partie a repris les arguments qu’il avait formulés concernant la recevabilité et le bien‑fondé de la communication et a présenté des observations complémentaires. Il a informé le Comité que, dans le cadre de consultations tenues durant le troisième trimestre de 2015, les autorités italiennes lui avaient fait savoir que le titulaire d’un permis de séjour italien bénéficiant du statut de réfugié ou de personne protégée pouvait, à son retour sur le territoire italien, demander le renouvellement de son permis de séjour, fût-il expiré. Il lui fallait pour cela se présenter au bureau de la police de l’immigration ayant délivré le permis, qui transmettrait sa demande aux autorités compétentes afin qu’elles vérifient que toutes les conditions requises étaient remplies. En février 2016, les autorités italiennes ont confirmé que cette règle s’appliquait aux étrangers dont le permis de séjour était venu à expiration pendant un séjour au Danemark. Les auteurs pourront donc retourner en Italie et y demander le renouvellement de leur permis de séjour, quand bien même celui-ci a expiré. L’État partie soutient qu’aucune obligation supplémentaire ne peut lui être imposée pour ce qui est de s’assurer que les auteurs pourront rentrer sur le territoire italien et prétendre au droit de séjour en Italie.

6.2L’État partie a fait observer qu’à la différence de la communication no 2360/2014 (Warda Osman Jasin et autres c. Danemark, constatations adoptées le 22 juillet 2015), qui concernait l’expulsion vers l’Italie d’une mère célibataire et de ses trois enfants mineurs, il s’agit en l’espèce de l’expulsion d’un couple et de ses trois enfants mineurs. Le fait que les auteurs se soient placés dans une situation dans laquelle leur permis de séjour est venu à expiration pendant qu’ils se trouvaient hors du territoire italien ne saurait justifier qu’ils soient aujourd’hui considérés comme des demandeurs d’asile.

6.3En outre, les circonstances de l’espèce diffèrent sensiblement de celles de l’affaire Naima Mohammed Hassan et autres c. Pays ‑ Bas et Italie (requête no 40524/10), dans laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a statué le 27 août 2013. En effet, dans cette affaire. les autorités italiennes avaient refusé d’accorder au requérant la protection internationale demandée au motif qu’il avait quitté le pays pour une destination inconnue, ce que le commissariat de police local avait confirmé. Or, A. S. M. et R. A. H. étaient titulaires d’un permis de séjour au moment où ils ont quitté l’Italie.

6.4L’État partie soutient que l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Tarakhel c. Suisse, qui concerne une famille ayant demandé l’asile en Italie, s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence concernant les personnes et les familles bénéficiaires d’un permis de séjour italien, notamment la décision rendue par cette même cour dans l’affaire Samsam Mohammed Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie. Partant, il maintient qu’on ne saurait déduire de l’arrêt rendu dans l’affaire Tarakhel c. Suisse que les États membres sont tenus d’obtenir des garanties individuelles auprès des autorités italiennes avant d’expulser vers l’Italie une personne ou une famille nécessitant une protection et qui est déjà titulaire d’un permis de séjour italien.

6.5L’argument des auteurs selon lequel ils seraient soumis à de pires conditions que les demandeurs d’asile s’ils retournaient en Italie en tant que réfugiés ne cadre pas avec le récit qu’ils ont fait de leur séjour dans ce pays. L’État partie fait notamment observer que, d’après ce que les auteurs ont déclaré tant au Service danois de l’immigration que devant la Commission de recours des réfugiés, A. S. M a passé sept mois dans un camp de réfugiés ; R. A. H a été longuement hospitalisée en Italie du fait d’une grossesse difficile ; le couple a bénéficié d’une allocation de logement pendant six mois, après quoi il a reçu la somme de 600 euros ; A. S. M a de sa propre initiative suivi une formation de six mois ; le couple s’est vu délivrer des cartes d’assurance maladie, avait accès aux soins médicaux et était enregistré chez un médecin généraliste ; les auteurs ont été hébergés par Caritas tant à Rome qu’à Pérouse, où A. S. M. a contacté l’agence pour l’emploi, qui l’a informé qu’un emploi était disponible mais nécessitait un aller-retour en bus matin et soir et était mal payé ; avant de donner naissance à son fils, R. A. H a été examinée à l’hôpital de Pérouse, où elle a accouché et où le nouveau‑né a également été examiné ; et R. A. H. et ses enfants ont pu continuer d’être logés par Caritas pendant les deux mois qui ont suivi la naissance.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité relève que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il note que les auteurs ont déposé une demande d’asile au Danemark, qui a donné lieu à une décision définitive de rejet de la Commission de recours des réfugiés en date du 3 avril 2014. En conséquence, le Comité considère que les recours internes ont été épuisés.

7.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs que les auteurs tirent de l’article 7 devraient être déclarés irrecevables pour défaut de fondement. Il considère toutefois qu’aux fins de la recevabilité, les auteurs ont correctement expliqué les raisons pour lesquelles ils craignent que leur retour forcé en Italie engendre un risque de traitement contraire à l’article 7 du Pacte.

7.5Le Comité prend note des allégations des auteurs selon lesquelles, en cas de renvoi en Italie avec leurs enfants, ils subiraient un traitement contraire aux articles 17 et 24 du Pacte. À cet égard, il relève que l’État partie a fait valoir que ces griefs étaient irrecevables ratione loci et ratione materiae. Le Comité rappelle que l’article 2 du Pacte impose aux États parties l’obligation de ne pas déplacer une personne de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable dans le pays vers lequel doit être effectué le renvoi, tel le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. En conséquence, dans la mesure où les griefs que les auteurs tirent des articles 17 et 24 ont trait à des violations dont eux‑mêmes et leurs enfants seraient, selon eux, victimes après leur retour en Italie, le Comité considère que ces griefs sont incompatibles ratione materiae avec les dispositions du Pacte et les déclare irrecevables en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.6Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que la communication est recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard de l’article 7 du Pacte et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité prend note du grief des auteurs, qui affirment que leur expulsion avec leurs trois enfants mineurs vers l’Italie, en application du principe du « pays de premier asile » énoncé dans le Règlement Dublin, les exposerait à un risque de traitement contraire à l’article 7 du Pacte. Les auteurs se fondent, notamment, sur la situation socioéconomique dans laquelle ils se trouveraient en Italie et sur le fait qu’ils n’y auraient pas accès à l’aide sociale, comme ils en ont fait l’expérience après avoir obtenu un permis de séjour en octobre 2009, ainsi que sur les conditions générales d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés dans ce pays. Ils affirment que, ayant déjà bénéficié du dispositif d’accueil lorsqu’ils sont arrivés pour la première fois en Italie, ils n’auraient accès ni à un logement social ni à un hébergement provisoire en foyer, qu’ils ne seraient pas en mesure de trouver un logement ou un emploi et, qu’en conséquence, ils se retrouveraient de nouveau sans abri et seraient obligés de vivre dans la rue avec leurs enfants mineurs.

8.3Le Comité rappelle son observation générale no 31, dans laquelle il signale que les États parties ont l’obligation de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel que le préjudice envisagé à l’article 7 du Pacte. Le Comité a aussi établi dans sa jurisprudence qu’un tel risque devait être personnel et qu’il fallait dûment démontrer qu’il y avait des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Le Comité, renvoyant à sa jurisprudence, rappelle qu’un poids considérable doit être accordé à l’évaluation faite par l’État partie et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte qu’il appartient d’examiner et d’apprécier les faits et les preuves en vue de déterminer l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que l’appréciation en question était manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice .

8.4 Le Comité note qu’il n’est pas contesté qu’en octobre 2009, l’Italie a accordé à A. S. M. et à R. A. H. le bénéfice de l’asile et de la protection subsidiaire, ni que les intéressés ont obtenu des permis de séjour, puis une assistance financière et une aide sociale sous la forme d’un logement jusqu’en juin 2010. Les auteurs avancent que, par la suite, ils n’ont plus reçu aucune forme d’aide de la part des autorités italiennes et se sont donc retrouvés sans abri et dans la misère. De ce fait, ils soutiennent que, s’ils étaient renvoyés en Italie, ils ne recevraient aucune aide sociale de la part des autorités car ils ont déjà bénéficié du dispositif d’accueil à leur première arrivée dans le pays, ne pourraient trouver ni logement ni emploi et risqueraient donc de nouveau d’être sans abri, contraints de vivre dans la rue avec leurs enfants mineurs. À l’appui de leurs arguments, ils citent des rapports concernant la situation générale des demandeurs d’asile et des réfugiés en Italie dont il ressort notamment que la durée de l’hébergement social (six mois) ne suffit pas pour que les intéressés puissent par la suite subvenir à leurs besoins, qu’il est extrêmement difficile pour les personnes protégées et renvoyées en Italie de trouver un logement ou un emploi, que même si ces personnes ont les mêmes droits sociaux que les Italiens, le système social est dans l’ensemble insuffisant et que de plus en plus de bénéficiaires d’une protection internationale sont sans abri ou squattent des immeubles inoccupés.

8.5Le Comité note qu’au troisième trimestre de 2015 et en février 2016, l’État partie a tenu des consultations avec les autorités italiennes, qui lui ont confirmé que les réfugiés et les bénéficiaires de la protection subsidiaire titulaires d’un permis de séjour italien étant venu à expiration pendant un séjour au Danemark pouvaient demander le renouvellement de leur permis à leur retour en Italie.

8.6Le Comité constate qu’il ressort des éléments dont il dispose, ainsi que d’informations relevant du domaine public, qu’il n’y a pas en Italie suffisamment de places disponibles dans les centres d’accueil destinés aux demandeurs d’asile et aux personnes renvoyées en application du Règlement Dublin ; que les personnes renvoyées qui, comme les auteurs, ont déjà bénéficié d’une forme de protection et du dispositif d’accueil lorsqu’elles étaient en Italie ne peuvent prétendre à un hébergement dans les centres d’hébergement pour demandeurs d’asile gérés par l’État ; et que si l’Italie accorde aux personnes protégées le droit de travailler et de bénéficier du système de protection sociale, il n’en reste pas moins que celui‑ci ne permet généralement pas de prendre en charge toutes les personnes dans le besoin, à plus forte raison dans le contexte socioéconomique actuel Toutefois, et nonobstant les difficultés auxquelles les auteurs doivent faire face, le Comité estime que le simple fait que les auteurs, qui sont mariés, puissent se trouver dans une telle situation ne signifie pas en soi que leur retour en Italie les placerait nécessairement dans une situation de vulnérabilité à ce point particulière et différente de celle à laquelle bon nombre d’autres familles font face qu’il constituerait une violation des obligations mises à la charge de l’État partie par l’article 7 du Pacte. En l’espèce, le Comité constate que, pendant leur séjour en Italie, les auteurs ont reçu des cartes d’assurance maladie lorsqu’ils ont obtenu l’asile et ont eu accès aux soins médicaux, notamment à l’occasion de la naissance de leurs deux premiers enfants. Bien qu’ils prétendent n’avoir eu qu’un accès limité aux services de santé, les auteurs n’ont pas exposé au Comité les circonstances précises dans lesquelles eux‑mêmes ou leurs enfants auraient été privés des soins médicaux dont ils avaient besoin. A. S. M. a pu obtenir quelques emplois en Italie dans le passé et n’a pas expliqué de manière convaincante pourquoi il ne serait pas en mesure d’y travailler de nouveau et de solliciter la protection des autorités italiennes en cas de mauvais traitements de la part d’un employeur. Dans ces circonstances, le Comité estime que, bien qu’ils contestent la décision des autorités de l’État partie de les renvoyer en Italie, les auteurs n’ont pas démontré qu’elle était manifestement déraisonnable ou arbitraire, ni fait valoir une quelconque irrégularité dans les procédures engagées devant le Service danois de l’immigration et la Commission de recours des réfugiés. Partant, il ne saurait conclure que l’expulsion des auteurs et de leurs enfants vers l’Italie constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

9. Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, considère que l’expulsion des auteurs et de leurs enfants vers l’Italie ne constituerait pas une violation des droits garantis par l’article 7 du Pacte. Il compte toutefois que l’État partie informera dûment les autorités italiennes du retour des auteurs et de leurs enfants afin qu’elles puissent les prendre en charge dès leur arrivée d’une manière adaptée à l’âge des enfants, et que les membres de la famille ne seront pas séparés.

Annexe I

[Original : français]

Opinion individuelle (dissidente) de Yadh Ben Achour

1.Je regrette de ne pouvoir me rallier aux constatations du Comité dans l’affaire A. S. M. et R. A. H. c. Danemark, objet de la communication no 2378/2014. La conclusion du Comité est que « l’expulsion des auteurs et de leurs enfants vers l’Italie ne constituerait pas une violation des droits garantis par l’article 7 du Pacte ». De mon point de vue, il existe en l’espèce un risque de violation de l’article 7, en cas d’expulsion des auteurs vers l’Italie.

2.Comme dans l’affaire Jasin (communication no 2360/2014), l’expulsion des auteurs et de leurs trois enfants mineurs vers l’Italie les exposerait à un risque élevé de préjudice irréparable. Il est vrai que les auteurs ont reçu des autorités italiennes une aide financière et un logement social, qu’ils ont obtenu de la commune de Palagiano un appartement pour six mois dans le cadre du projet « Koiné », qu’ils ont vécu dans différents centres pour demandeurs d’asile pendant trois mois et qu’ils ont reçu des cartes d’assurance maladie et ont bénéficié de l’accès aux soins médicaux.

3.Cependant, d’un autre côté, cette famille a connu des conditions de vie déplorables en Italie comme cela est souligné dans les paragraphes 2.5 à 2.8 des constatations. La famille, en particulier le mari, a vécu dans la rue, le mari n’a pu assister à l’accouchement de sa femme, n’a pu obtenir un emploi ou a occupé des emplois illégaux sous-payés ou non payés.

4.Depuis son entrée au Danemark, la famille s’est agrandie d’un troisième enfant, ce qui est de nature à aggraver sa situation et sa vulnérabilité en cas d’expulsion. Comme je l’ai déjà indiqué dans mon opinion sur l’affaire A. A. I. et A. H. A. c.Danemark (communication no 2402/2014), cette situation de vulnérabilité aggravée, associée aux insuffisances avérées des conditions d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés en Italie, font apparaître pour les auteurs un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 7 du Pacte. La présence d’enfants, la souffrance du déracinement et le degré de vulnérabilité de la famille dans le pays du premier accueil sont les critères déterminants pour évaluer le risque. Le Comité n’a pas suffisamment tenu compte de ces critères.

Annexe II

Opinion conjointe (concordante) de Sarah Cleveland et Sir Nigel Rodley

1.Nous joignons la présente opinion afin de commenter la décision du Comité de déclarer irrecevables les griefs que les auteurs tirent des articles 17 et 24.

2.Au paragraphe 7.5, le Comité conclut que le grief selon lequel l’Italie violerait les droits garantis aux auteurs et à leurs enfants par les articles 17 et 24 est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif au motif qu’il est incompatible ratione materiae avec les dispositions du Pacte. Cette conclusion est correcte étant donné que l’Italie n’est pas partie à la présente communication.

3.Nous relevons toutefois que, dans sa décision d’irrecevabilité, le Comité n’examine pas un argument de l’auteur selon lequel l’État expulsant violerait lui‑même les articles 17 et 24 en raison du préjudice que l’expulsion ferait subir aux auteurs ou à la famille. En effet, le Comité examine systématiquement ce grief sur le fond.

4.Le Comité ne répond pas non plus à l’argument des auteurs selon lequel l’expulsion des auteurs par l’État partie, en l’espèce le Danemark, exposerait ceux-ci à une situation dans laquelle il y aurait des motifs sérieux de croire qu’ils courraient un risque réel de préjudice irréparable résultant de la violation des articles 17 et 24, tel que le préjudice qui est envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte.

5.Comme le Comité l’a signalé dans son observation générale no 31, l’obligation de respecter et de garantir les droits énoncés dans le Pacte prévue à l’article 2 impose aux États parties de s’abstenir de déplacer quelqu’un ou de le transférer par d’autres moyens de leur territoire « s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable […], tel le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte ».

6.Les articles 6 et 7 garantissent le droit à la vie et l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Comité n’a jamais examiné en détail dans quelle mesure un préjudice irréparable résultant de la violation de droits autres que ceux énoncés aux articles 6 et 7 du Pacte pouvait donner lieu à l’obligation de non‑refoulement définie dans l’observation générale no 31. Il n’a toutefois pas exclu la possibilité de reconnaître l’existence d’une telle obligation et n’a pas non plus estimé que le droit au non-refoulement fondé sur d’autres articles était en soi incompatible ratione materiae avec les dispositions du Pacte. Au contraire, le Comité a déjà accepté comme étant suffisamment étayés et recevables des griefs formulés au titre de l’article 18, selon lesquels une personne serait exposée à un risque réel de préjudice irréparable résultant de la violation du droit à la liberté de religion dans le pays d’accueil. Dans d’autres affaires, le Comité a conclu que les allégations de violation des articles 18 et 19 « ne [pouvaient] pas être dissociées » des griefs tirés de l’article 7 aux fins de la recevabilité. Toutefois, en règle générale, le Comité n’examine pas séparément les griefs quant au fond et les griefs parallèles formulés au titre des articles 6 et 7. De même, il a admis comme étant potentiellement recevables des griefs relatifs au principe de non‑refoulement tirés de l’article 9.

7.En conséquence, nous ne pensons pas que le paragraphe 7.5 exclut la possibilité pour un auteur de valablement soutenir qu’il serait exposé à un risque réel de préjudice irréparable en raison de la violation des articles 17 et 24 ou d’autres droits consacrés par le Pacte. Il est incontestable, du moins lorsque le grief se rapporte à un préjudice qui pourrait également constituer un dommage irréparable au regard du droit à la vie garanti par l’article 6, un acte de torture ou une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l’article 7, qu’un tel grief, s’il est suffisamment étayé, devrait être recevable et faire l’objet d’une décision sur le fond, et qu’il faudrait dans le même temps conclure à la violation des dispositions de l’un de ces articles ou des deux.

Annexe III

[Original : espagnol]

Opinion individuelle (concordante) de Fabián Salvioli

Je souscris à l’opinion conjointe formulée par Sarah Cleveland et Sir Nigel Rodley dans l’affaire A. S. M et R. A. H c. Danemark, dont les motifs constituent la meilleure approche juridique pour traiter la question examinée par le Comité en application du Pacte et du Protocole facultatif.