Communication présentée par:

M. T. (représentée par des conseils, the Redress Trust et la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

18 décembre 2012 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 5 février 2013 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

23 juillet 2015

Objet:

Militante des droits de l’homme condamnée sur des accusations mensongères et torturée en détention

Question(s) de procédure:

Recevabilité; justification des allégations

Question(s) de fond:

Torture, détention arbitraire, mauvais traitements, procès équitable, immixtion arbitraire dans la vie privée, liberté d’expression, d’association et de réunion, discrimination, recours utile

Article(s) du Pacte:

2 (par. 3), lu séparément et conjointement avec 7, 9 (par. 1, 2 et 4), 10 [par. 1 et 2 a)], 14 (par. 1, 3 b) et e) et 5), 17, 19 (par. 2), 21, 22 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (114e session)

concernant la

Communication no 2234/2013 *

Communication présentée par:

M. T. (représentée par des conseils, the Redress Trust et la Fédération internationale des ligues des droits de l’§homme)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

18 décembre 2012 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 23 juillet 2015,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2234/2013 présentée en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. T., ressortissante ouzbèke née en 1962. Elle réside en France, où elle a obtenu le statut de réfugié, depuis le 15 mars 2009. C’est une journaliste indépendante, fondatrice de l’organisation des droits de l’homme O’tyuraklar. Elle affirme être victime de violations par l’Ouzbékistan de l’article 2 (par. 3), lu séparément et conjointement avec les articles 7, 9 (par. 1, 2 et 4), 10 [par. 1 et 2 a)], 14 (par. 1, 3 b) et e) et 5), 19 (par. 2), 21, 22 et 26 du Pacte. L’auteur est représentée par des conseils.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 1er juillet 2002, l’auteur a été arrêtée par deux policiers, qui ne l’ont pas informée des raisons de cette arrestation. Elle a ensuite été interrogée par le chef et le chef adjoint du Département de la police de la région de Kirgulin au sujet de ses activités en faveur des droits de l’homme, battue et menacée de viol. Le 2 juillet 2002, elle a été accusée d’insulte à agent et de refus d’obtempérer. Un juge a ordonné sa remise en liberté mais a renvoyé l’affaire au parquet du district pour complément d’enquête. L’affaire a finalement été classée, faute de preuve. Le 5 septembre 2002, une enquête criminelle a été ouverte sur l’arrestation de l’auteur et les mauvais traitements subis, mais elle a été clôturée sans qu’aucune charge ne soit retenue.

2.2Le 15 juin et le 20 août 2003, l’auteur a formé un piquet devant le Bureau du Procureur régional pour protester contre des violations des droits de l’homme. Les deux fois, elle a été agressée par des groupes de femmes qui, selon elle, étaient des prostituées payées par les autorités à cette fin , qui l’ont frappée, ont détruit ses affiches et lui ont volé des objets personnels. À la suite de la deuxième agression, elle a dû être hospitalisée pendant quatorze jours. Bien que présentes lors des agressions, les autorités ne sont pas intervenues et, la seconde fois, ont même filmé les faits. Les deux fois, les charges pour tenue de manifestation illégale portées contre l’auteur n’ont cependant pas été retenues par le tribunal, le 14 août 2003 et le 2 février 2004 respectivement.

2.3Le 15 avril 2005, des agents non identifiés en civil ont appréhendé l’auteur et l’ont déférée devant le Département des affaires intérieures du district de Bektemir, où elle a été interrogée sur ses activités dans le domaine des droits de l’homme et accusée de diffuser de la propagande contre le Gouvernement. Après cela, l’un des policiers l’a conduite dans un bureau où trois hommes non identifiés l’ont frappée et violée à tour de rôle à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’elle perde connaissance. Elle a finalement été libérée le même jour, sans inculpation. Après avoir été menacée par le responsable de l’Unité de police judiciaire et de lutte contre le terrorisme du Département de la police de Ferghana, elle a renoncé à porter plainte.

2.4Le 13 mai 2005, le jour où se sont déroulés les événements d’Andijan, l’auteur a été arrêtée, puis elle a été gardée à vue au Département de la police de Ferghana jusqu’au 16 mai 2005 sans qu’aucune accusation ne soit portée contre elle. Pendant sa garde à vue, elle n’a pas été autorisée à voir son avocat ni sa famille.

2.5Le 7 octobre 2005, 30 policiers lourdement armés ont appréhendé l’auteur chez elle. Avant d’être conduite au poste de police, elle a été inculpée d’extorsion. Son appartement et ses bureaux ont été perquisitionnés et des objets personnels et professionnels ont été saisis en son absence. Elle a été interrogée plusieurs heures durant au sujet de l’organisation qu’elle dirigeait et de son financement. Ses requêtes répétées demandant la présence de son avocat ont été rejetées.

2.6Le 8 octobre 2005, vers 6 heures du matin, l’auteur a été transférée dans une cellule de garde à vue au sous-sol du poste de police. Elle a été autorisée à voir son avocat pour la première fois aux alentours de 17 heures ce même jour. La police a continué de l’interroger pendant environ trois heures, en présence de son avocat. Le procès-verbal de l’interrogatoire sur lequel il lui a été demandé d’apposer sa signature ne rendant pas compte de sa déposition, elle a refusé de le signer. L’auteur n’a pas été présentée devant un juge pour que soit examinée la légalité de son arrestation. Contrairement à ce que prévoit la législation ouzbèke, elle n’a pas été déférée devant un procureur pendant les dix premiers jours de sa détention.

2.7Le 18 octobre 2005 ou aux environs de cette date, l’auteur a été transférée au centre de détention provisoire no 10 de Ferghana, où elle est restée jusqu’en janvier 2006. Le 29 janvier 2006, l’auteur a été transférée dans une cellule située au sous-sol du commissariat de police du district de Kuyi Chirchik, où elle est restée jusqu’au 6 mars 2006, date de la fin de son procès. Pendant sa détention, des soins médicaux lui ont été refusés. Elle était détenue avec des condamnés. Ses avocats ont été empêchés de la voir à plusieurs occasions et n’ont pas été autorisés à s’entretenir avec elle en privé. Le 24 décembre 2005, le ministère public a informé les avocats de l’auteur que le nombre de chefs d’accusation la concernant était passé de 2 à 18. Les avocats de l’auteur n’ont eu que quinze jours pour étudier les 13 volumes du dossier avant l’ouverture du procès, le 30 janvier 2006.

2.8Pendant le procès, l’auteur n’a pas été autorisée à voir ses avocats en dehors du prétoire. Ses avocats n’ont pas pu faire entendre des témoins essentiels pour sa défense, et le tribunal ne les a pas autorisés à interroger des témoins clefs de l’accusation. Le parquet a omis de communiquer à ses avocats trois volumes de son dossier et le tribunal n’a pas accédé à la requête de l’avocat qui demandait à pouvoir consulter ces volumes. Le 6 mars 2006, le tribunal pénal de Tachkent a déclaré l’auteur coupable de 13 chefs d’accusation et l’a condamnée à huit ans d’emprisonnement. La chambre d’appel de la division pénale du tribunal régional de Tachkent a débouté l’auteur, le 30 mai 2006, de l’appel qu’elle avait formé contre cette décision.

2.9Le 6 mars 2006, l’auteur a été incarcérée dans le quartier des femmes du centre de détention no 1. Le 7 juillet 2006, elle a été transférée dans une colonie pénitentiaire de femmes, où elle est restée jusqu’à sa libération, le 2 juin 2008. Lorsqu’elle est arrivée dans cette colonie, elle a été placée dans une unité psychiatrique avec des toxicomanes et de dangereuses criminelles. L’administration de la colonie a fait valoir que, puisque l’auteur avait eu besoin d’une assistance médicale pendant son procès, il valait mieux pour elle qu’elle se trouve dans une unité psychiatrique pour pouvoir s’adapter à la colonie. L’auteur, avant ou pendant son procès, n’avait pas sollicité de traitement psychiatrique et n’en avait pas eu besoin et elle n’a jamais subi aucun examen psychiatrique. Pendant qu’elle se trouvait dans cette unité, elle a été menacée par une autre détenue; elle a été blessée au cours d’une rixe opposant des détenues et le personnel médical, mais n’a reçu aucun traitement médical; le personnel médical a voulu lui faire des injections pour traiter son « état » mais a refusé de lui dire de quel médicament il s’agissait. Les avocats de l’auteur ont réussi à la faire transférer dans une autre partie de la colonie pénitentiaire après dix jours passés en unité psychiatrique.

2.10Pendant sa détention, l’auteur était forcée de travailler neuf heures par jour, avant de devoir rester parfois sept heures debout. Ses réclamations relatives à ces faits n’ont pas été transmises par les gardiens ou ont été ignorées par l’administration et le procureur. De juillet 2006 à avril 2008, les gardiens n’ont cessé d’accuser l’auteur d’enfreindre le règlement de l’établissement pénitentiaire, mais il ne lui a pas été permis d’examiner les documents sur lesquels reposaient ces accusations. Lorsque l’auteur a entamé une grève de la faim, en novembre 2006, pour protester contre la manière dont elle était traitée, trois gardiens de la prison l’ont conduite dans une cellule disciplinaire, où ils l’ont menottée et suspendue à un crochet fixé au mur. L’un d’eux a mis le bout d’un tuyau sale dans les toilettes et l’a menacée de l’alimenter de force avec ce tuyau. On l’a laissée suspendue au mur et montrée à un groupe d’étudiants en droit qui avaient été conduits dans sa cellule. Suite à une visite de son frère, en janvier 2007, au cours de laquelle l’auteur avait informé celui-ci de ses conditions de détention, des gardiens de la colonie l’ont obligée à rester dehors sous la pluie pendant deux heures par un temps glacial.

2.11L’auteur affirme avoir passé cent douze jours au total à l’isolement. Les périodes de détention d’une durée supérieure à quinze jours sont interdites par la loi. Plusieurs fois, l’auteur a été libérée au bout de quinze jours pendant quelques heures avant d’être replacée à l’isolement. Elle a délibérément été exposée à des conditions glaciales, ce qui a provoqué une détérioration de son état de santé. Elle a été agressée physiquement par les gardiens de la prison, qui l’ont forcée à rester nue dans le froid jusqu’à ce qu’elle perde connaissance. Elle n’a pas eu accès à ses avocats du 8 juillet 2006 au 2 juin 2008. Elle n’a pas été autorisée à recevoir de visites de sa famille ou de ses amis entre janvier et août 2007.

2.12Le 18 mars 2008, l’auteur a été opérée contre son gré. Les autorités ne l’ont pas informée des raisons de l’opération et ne lui ont pas dit qu’elle allait subir une hystérectomie. Après avoir été ramenée dans la colonie, où aucun médicament ne lui a été donné, elle a été libérée le 2 juin 2008 pour raisons médicales.

2.13Après sa libération, l’auteur a sollicité des soins médicaux; mais ses médecins n’ont pas pu obtenir de la colonie l’intégralité de son dossier médical, la demande qu’elle avait faite à cet effet s’étant heurtée à un refus. L’auteur précise que le 13 octobre 2008, elle s’est rendue en Allemagne pour s’y faire soigner. Elle a en outre subi une opération en Suisse. Les médecins, tant en Allemagne qu’en Suisse, ont eu du mal à établir les raisons pour lesquelles l’auteur avait été opérée. Craignant pour sa sécurité et celle de sa famille, l’auteur a quitté l’Ouzbékistan pour la France en mars 2009.

2.14Par suite des tortures subies et de son incarcération, l’auteur a des difficultés pour marcher et souffre de diabète sévère, d’importants problèmes de vue, de dépression, de troubles de la mémoire et d’anxiété. Elle a été examinée par des médecins spécialistes de TRACES et du centre médical de l’organisation non gouvernementale Parcours d’exil, qui ont constaté qu’elle souffrait de troubles de stress post-traumatique et que ses allégations coïncidaient avec leurs propres conclusions.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’en violation de l’article 7 du Pacte, elle a été victime, de juillet 2002 à juin 2008, d’une campagne de harcèlement, de mauvais traitement et de torture, avec l’aval des autorités, à cause de ses activités en faveur des droits de l’homme. Pendant qu’elle se trouvait dans le centre de détention provisoire no 10 de Ferghana et en prison, l’auteur a été soumise par les gardiens et l’administration pénitentiaire à toutes sortes de mauvais traitements graves destinés à briser sa résistance pour la forcer à avouer qu’elle dirigeait une organisation illégale et à solliciter la grâce présidentielle. L’auteur affirme qu’une personne en détention ne devrait être soumise à aucune procédure médicale sans son consentement éclairé. L’opération forcée qu’elle a subie impliquait une stérilisation forcée, ce qui constitue une violation supplémentaire de l’article 7.

3.2L’auteur affirme en outre que l’État partie, en n’enquêtant pas comme il était tenu de le faire sur ses allégations de torture, a violé le paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7.

3.3En ce qui concerne l’article 10, l’auteur affirme être victime d’une violation de plusieurs dispositions de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, n’ayant par exemple pas bénéficié de soins médicaux suffisants, ni été séparée des condamnés, ni été autorisée à se défendre contre les mesures disciplinaires qui lui ont été imposées. Elle a été systématiquement privée de tout contact avec le monde extérieur pendant de longues périodes. Les autorités ont en outre rejeté à plusieurs reprises ses demandes d’accès à son dossier médical.

3.4En ce qui concerne son arrestation, le 7 octobre 2005, l’auteur déclare que les autorités ne l’ont pas informée rapidement des raisons de son arrestation et de sa détention, en violation du paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte, et qu’elles ne l’ont pas présentée devant un juge et ne lui ont pas permis de contester la légalité de sa détention, en violation des paragraphes 3 et 4, respectivement, de l’article 9 du Pacte.

3.5L’auteur affirme également que l’État partie n’a pas respecté son droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, ni son droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et de communiquer avec ses avocats, en violation du paragraphe 3 b) de l’article 14; il lui a aussi refusé les garanties procédurales énoncées au paragraphe 3 e) de l’article 14. L’auteur soutient en outre que le réexamen des minutes du procès et l’examen par la chambre d’appel de son recours ont été effectués et rejetés par le tribunal régional de Tachkent, à savoir par le tribunal même, sinon les mêmes juges, qui avait rendu le jugement contre elle. Il ne s’agit donc pas d’une juridiction supérieure, contrairement à ce que prévoit le paragraphe 5 de l’article 14. Les requêtes aux fins de réexamen et d’appel soumises par l’auteur à la Cour suprême ont été rejetées.

3.6L’auteur affirme que son arrestation, le 7 octobre 2005, par plus de 30 agents des forces de l’ordre lourdement armés et la descente effectuée dans son appartement et ses bureaux en son absence constituent une violation du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte.

3.7L’auteur affirme que lorsqu’elle a été agressée pendant qu’elle formait des piquets de protestation, en mai et en août 2003, les autorités n’ont pas dûment enquêté sur les agressions, et que, les deux fois, elle a été accusée de tenir une manifestation illégale. Même si ces accusations ont finalement été abandonnées, les agressions, le fait que les responsables de celles-ci n’ont pas eu à en rendre compte et les poursuites intentées contre l’auteur s’expliquaient par l’action de celle-ci en faveur des droits de l’homme, et constituaient donc des atteintes à son droit à la liberté d’expression et d’opinion qui n’étaient justifiées par aucune des exceptions prévues aux alinéas a) et b) du paragraphe 3 de l’article 19. L’auteur a en outre été détenue, inculpée, accusée puis condamnée et emprisonnée pour avoir prétendument distribué du matériel de propagande, menacé l’ordre public et établi une organisation publique non enregistrée.

3.8Les autorités chargées de faire appliquer la loi l’ont accusée d’avoir organisé des manifestations illégales, s’agissant des piquets de protestation qu’elle avait formés en mai et en août 2003. Ces restrictions à sa liberté de réunion n’étaient pas justifiées puisqu’elles n’étaient pas nécessaires dans l’intérêt de la sécurité nationale ou de la sûreté publique, ni nécessaires pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui. Ces mesures étaient en outre disproportionnées, en violation de l’article 21 du Pacte.

3.9L’auteur a été détenue, inculpée, accusée, condamnée et emprisonnée pour avoir établi une organisation publique non enregistrée. La restriction sévère imposée à sa liberté d’association ne répondait à aucun des critères énumérés au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte.

3.10L’auteur déclare que le viol en réunion commis sur sa personne le 15 avril 2005 au Département des affaires intérieures du district de Bektemir, ainsi que la stérilisation qu’elle a subie sans son consentement constituent des violations de l’article 26, puisqu’elles équivalent à une discrimination fondée sur le sexe. L’auteur affirme qu’en l’arrêtant, en la détenant, en la poursuivant et en la condamnant arbitrairement et illégalement pour ses activités en faveur des droits de l’homme, l’État partie a également violé les droits qu’elle tient de l’article 26, qui protège contre toute discrimination fondée sur l’opinion politique ou toute autre opinion.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1En date du 4 juillet 2014, l’État partie indique que la plainte de l’auteur a été examinée par les autorités compétentes en Ouzbékistan, qui ont conclu que ses allégations étaient fausses et tendancieuses. La vérification des faits établit qu’entre 2002 et octobre 2005, aucune enquête pénale n’a été ouverte contre l’auteur et que le tribunal régional de Ferghana n’a été saisi d’aucune affaire administrative la concernant.

4.2L’État partie déclare que, le 6 octobre 2005, l’auteur a été appréhendée par des agents du Bureau du Procureur régional de Ferghana alors qu’elle était en train de recevoir de l’argent d’un certain M. M. Le 7 octobre 2005, une enquête pénale a été ouverte pour extorsion et, le 8 octobre 2005, l’auteur a été inculpé de ce chef. Elle a été gardée à vue et, le 14 octobre 2005, a été placée dans le centre de détention provisoire no 10 de Ferghana. Le 21 janvier 2006, l’auteur a été transférée dans le centre de détention provisoire no 1 de Ferghana, conformément à la décision du tribunal régional de Tachkent en date du 18 janvier 2006.

4.3En application du verdict rendu le 6 mars 2006 par le tribunal régional de Tachkent, qui a été confirmé en appel le 30 mai 2006, l’auteur a été déclarée coupable du chef de 13 infractions différentes et a été condamnée à huit années d’emprisonnement. Selon le verdict, l’auteur avait fondé l’organisation illégale O’tyuraklar; elle se livrait à la production et à la diffusion de matériels contenant des menaces pour la sécurité publique et l’ordre public. Ayant reçu une aide financière de différentes organisations étrangères pour le fonctionnement de l’organisation illégale susmentionnée, elle utilisait ces fonds d’une manière ne correspondant pas aux buts pour lesquels ils avaient été octroyés et se soustrayait au paiement de l’impôt. De plus, ayant gagné la confiance de deux individus, elle leur avait extorqué 100 000 sum ouzbeks et 900 dollars des États-Unis; elle avait en outre tenté d’extorquer de l’argent à la famille d’un certain M. M. et avait été appréhendée alors qu’elle se faisait remettre 600 000 sum ouzbeks. En sa qualité d’administratrice de la société Hakikat, elle avait falsifié des documents afin d’obtenir un prêt de 800 000 sum. La culpabilité de l’auteur a été pleinement établie par les dépositions des victimes et d’autres éléments de preuve. Le verdict et la décision rendue en deuxième instance ont été modifiés par un arrêt de la Cour suprême en date du 2 juin 2008 qui a ramené la peine à trois ans d’emprisonnement avec sursis.

4.4L’État partie affirme que les allégations de l’auteur faisant état de traitements proscrits à son égard pendant qu’elle se trouvait en détention avant jugement ont été examinées et n’ont pas pu être confirmées. L’État partie fait observer que les détenus peuvent rencontrer leur représentant légal et des membres de leur famille avec l’autorisation écrite de l’agent responsable du dossier pénal et que les administrateurs des centres de détention ne font pas partie des agents habilités à délivrer des autorisations de visite. Tous les colis destinés à l’auteur parvenus au centre de détention ont été remis sans tarder à celle-ci par l’administration. Pendant qu’elle se trouvait dans le centre de détention provisoire, l’auteur n’a pas sollicité d’assistance médicale auprès du personnel médical du centre. Elle ne s’est pas plainte de son état de santé lors de l’inspection quotidienne des cellules ni lorsqu’elle était questionnée par le personnel du centre.

4.5L’État partie déclare qu’en vertu du paragraphe 56 du Code d’application des peines, les condamnés sont placés à leur arrivée dans une unité d’admission pendant une période maximale de quinze jours, afin que leur personnalité et leur mode d’adaptation à l’incarcération puissent être examinés. L’unité d’admission n’est pas un établissement médical ou psychiatrique. Lorsqu’elle est arrivée, le 7 juillet 2006, au centre de détention de Tachkent, l’auteur a été placée dans l’unité d’admission et a subi une visite médicale complète, des examens cliniques et une analyse biochimique. On lui a diagnostiqué un épuisement émotionnel, une névrose cardiaque et une hypertension. Elle a reçu des soins hospitaliers et ambulatoires. À la fin de la période d’ajustement, l’auteur a rejoint les autres détenues dans un état satisfaisant. Elle ne s’est pas plainte d’une détérioration de son état de santé. Aucun fait ne vient corroborer ses dires concernant une altercation avec le personnel médical ou des tentatives visant à lui administrer des injections. Ses affirmations selon lesquelles, au bout de dix jours dans l’unité psychiatrique, son avocat a pu obtenir qu’elle soit transférée dans une autre unité de la colonie sont « absurdes et dictées par des considérations tactiques », puisque la durée de la période d’ajustement pour les personnes condamnées est fixée par l’article 56 du Code pénal et que les avocats de la défense n’ont aucune influence à cet égard.

4.6Pendant le temps qu’elle a passé dans les centres de détention, l’auteur n’a pas sollicité l’assistance médicale des médecins en poste. L’État partie affirme que les griefs de l’auteur selon lesquels elle aurait été obligée de travailler neuf heures et de rester debout sept heures par jour sont forgés de toutes pièces. En vertu de l’article 88 du Code pénal, les détenus effectuent un travail déterminé en fonction de leur sexe, de leur âge, de leur état de santé et de leur aptitude à travailler. Les conditions de travail sont réglementées par la législation du travail applicable; la durée de la journée de travail des détenus est fixée par le Code du travail et n’excède pas quarante heures par semaine; l’auteur travaillait dans l’atelier de fabrication de l’unité de couture, ce qui est incompatible avec la station debout sept heures durant. L’employée de l’atelier dont le nom est cité dans la communication de l’auteur était instructrice dans le quartier des délinquants mineurs et n’a pu en aucun cas être en contact avec l’auteur.

4.7L’État partie soutient que l’auteur n’a été soumise à aucun acte illégal, de brutalité ou de torture, de la part de l’administration pénitentiaire. L’accès à l’administration ou au procureur ne lui a pas été refusé. L’administration pénitentiaire effectue une tournée quotidienne et interroge les détenues, en particulier sur la façon dont elles sont traitées par le personnel. Chaque semaine, le procureur spécial chargé du contrôle des prisons se rend dans la colonie (il s’entretient aussi avec les condamnées pour détecter les traitements interdits, les violations des conditions de détention, etc.). Il existe dans la colonie une boîte pour la correspondance destinée au procureur, qui est située dans un endroit très visible et dont l’accès est réservé à un membre du bureau du procureur.

4.8L’État partie affirme que durant l’exécution de sa peine, l’auteur n’a fait état d’aucune « grève de la faim » et qu’elle n’a jamais été montrée suspendue à un mur à des étudiants en droit. La visite de colonies pénitentiaires ne fait pas partie du programme d’études des facultés de droit.

4.9S’agissant des allégations selon lesquelles l’auteur aurait été placée à l’isolement à 10 reprises et aurait passé cent douze jours dans différentes cellules d’isolement, l’État partie déclare que l’auteur défiait systématiquement les règles du régime cellulaire, que le personnel pénitentiaire avait dû à de nombreuses occasions s’entretenir avec elle à titre instructif et préventif, mais qu’elle n’en avait tiré aucune leçon et avait continué d’enfreindre délibérément le règlement. Suite à plusieurs avertissements pour infractions flagrantes aux règles du régime cellulaire, l’administration de l’établissement avait placé la détenue dans un quartier disciplinaire pour quinze jours.

4.10L’État partie affirme que le centre de détention UYa 64-7 est situé au centre de Tachkent et est relié au réseau municipal d’approvisionnement en eau et de chauffage et qu’il n’y avait pas de problèmes de chauffage des différents quartiers (y compris les quartiers disciplinaires) dans l’établissement. Dans tout le périmètre de celui-ci, les fenêtres sont vitrées et les sols sont en bois et secs. Le personnel du quartier disciplinaire effectue des tournées journalières d’inspection des locaux. Lorsqu’une cellule a besoin de réparation, les détenus sont transférés dans une autre cellule. Pendant la période que l’auteur a passée dans le quartier disciplinaire, elle ne s’est jamais plainte de quoi que ce soit. Ses allégations concernant les traitements proscrits qui lui auraient été infligés par le personnel pénitentiaire ont fait l’objet d’une enquête mais n’ont pas pu être confirmées. Le grief de l’auteur est une invention, ce que confirme le caractère contradictoire de ses allégations. Par exemple, elle a indiqué dans un paragraphe qu’après avoir passé cinquante-huit jours sans interruption dans une cellule d’isolement en novembre et décembre, elle avait perdu connaissance et avait été envoyée seulement ensuite au service médical; dans un autre paragraphe, elle prétend avoir passé jusqu’à quarante jours à l’isolement.

4.11L’État partie soutient que l’auteur, lorsqu’elle était à l’isolement, n’a été soumise à aucune pression physique ou psychologique de la part de l’administration pénitentiaire, et n’a adressé à l’administration aucune plainte ou déclaration, notamment sur une éventuelle détérioration de son état de santé. Ses griefs selon lesquels elle aurait été obligée, en février 2007, de rester debout, nue dans le froid du couloir, « ne sont pas fondés en fait et sont de nature manifestement diffamatoire à l’égard des employés de l’établissement ». S’agissant des allégations de l’auteur selon lesquelles elle aurait été privée de soins médicaux, l’État partie affirme qu’à son arrivée dans le centre de détention, l’auteur a été soumise à un examen médical. Pendant l’exécution de sa peine, elle a fait l’objet d’un suivi régulier, et sur la recommandation des médecins, s’est vu dispenser à plusieurs reprises des soins qualifiés, en ambulatoire et en service hospitalier. Le personnel médical de l’établissement pénitentiaire et des spécialistes du Ministère de la santé ont examiné l’auteur à l’aide de différentes techniques de diagnostic et les soins médicaux que nécessitait son état de santé lui ont été prodigués.

4.12L’État partie affirme que, s’agissant de l’opération pratiquée pour des raisons médicales en mars 2008, l’auteur a été informée en temps voulu de la nécessité de l’intervention chirurgicale qui allait avoir lieu dans un établissement civil, et que cette intervention n’aurait pu être pratiquée sans son consentement. Après l’opération, en avril 2008, l’auteur a été ramenée dans un état satisfaisant dans l’établissement pénitentiaire et a été admise en observation au service médical. En mai 2008, son état de santé s’étant amélioré, l’auteur a quitté le service médical et a rejoint les autres détenues.

4.13En ce qui concerne la possibilité qu’ont les détenus de présenter des déclarations et des plaintes, il est indiqué que tous les détenus peuvent se plaindre auprès de l’administration pénitentiaire et des membres du bureau du procureur. Toutes les requêtes sont enregistrées en fonction des faits signalés et donnent lieu à une enquête approfondie. Rien n’empêchait l’auteur de saisir l’administration de l’établissement ou le bureau du procureur. Tous ses griefs à cet égard sont sans fondement. Les faits décrits dans la communication ne se sont pas produits et n’auraient pas pu se produire. Les agents des organes chargés de faire appliquer la loi ont agi dans les strictes limites de leurs obligations professionnelles. Les établissements pénitentiaires d’Ouzbékistan prennent en temps utile les mesures voulues pour empêcher que se produisent des actes pouvant porter atteinte aux droits des individus qui ont été placés en détention ou condamnés à des peines d’emprisonnement. Si un cas d’utilisation de la force physique ou de traitement proscrit est découvert, les coupables sont strictement sanctionnés à titre disciplinaire ou poursuivis pénalement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1En date du 11 septembre 2014, l’auteur déclare qu’elle a présenté dans sa communication un récit détaillé et cohérent de la campagne de persécution que les autorités de l’État partie ont dirigée contre elle à cause de ses activités en faveur des droits de l’homme, et qui a duré du début 2002 jusqu’à ce qu’elle soit obligée de quitter l’Ouzbékistan, en mars 2009. Cette campagne a notamment été caractérisée par des arrestations arbitraires et des détentions illégales, des actes de torture et d’autres formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que par une violation du droit de l’auteur à un procès équitable. L’auteur fournit, à l’appui du récit de ces violations, des rapports médicaux et psychologiques, des témoignages et des copies de décisions de justice, de décisions d’autorités rejetant ses plaintes, de jugements et d’articles de presse, et des rapports d’organisations non gouvernementales et d’organisations internationales, notamment de l’Organisation des Nations Unies.

5.2L’auteur souligne que l’État partie, dans ses observations, nie en bloc ses allégations, et qu’il ne produit aucun élément à l’appui de sa propre version des faits et ne tient aucun compte des preuves avancées par l’auteur. Celle-ci fait observer que l’État partie a décidé de ne pas faire cas de plusieurs violations invoquées dans sa plainte, en particulier du fait qu’elle n’a pas eu accès à sa famille et à ses avocats pendant qu’elle était détenue dans la colonie pénitentiaire de femmes, en violation des articles 7 et 10, et de la violation des articles 17, 19 à 21 et 26 du Pacte.

5.3Face au refus de l’État partie de reconnaître qu’elle a été soumise à la torture ou à toute autre forme de mauvais traitements, l’auteur présente un récit détaillé des différents types de persécution que lui ont fait subir des agents de l’État entre 2002 et 2005, allant des arrestations arbitraires et détentions illégales répétées aux viols en réunion, coups, menaces et autres formes de torture et de mauvais traitements. La version des faits présentée par l’auteur est étayée par de multiples éléments de preuve précis et concordants, notamment sa déclaration sous serment dans laquelle elle a identifié les responsables des mauvais traitements qui lui ont été infligés, une décision de justice en date du 5 septembre 2002 ordonnant l’ouverture d’une enquête contre les responsables de l’arrestation de l’auteur et des mauvais traitements à son égard, des clichés photographiques montrant les blessures de l’auteur, des articles de presse et une évocation des faits dans le rapport établi par le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à la suite de sa mission en Ouzbékistan (voir A/HRC/7/3/Add.1).

5.4L’État partie rejette le récit qu’a fait l’auteur du viol en réunion commis sur sa personne par trois agents de sécurité. L’auteur a décrit ce viol en détail dans sa déposition. Étant donné la difficulté qu’il y a à établir la réalité d’actes de viol, en particulier lorsqu’ils ont lieu en détention, la déposition de l’auteur constitue une preuve suffisante. Rien n’indique que l’État partie ait mené la moindre enquête effective et impartiale sur les faits allégués.

5.5L’État partie indique que l’auteur a été arrêtée le 6 octobre 2005 et que, après avoir été inculpée, le 8 mai 2005, d’infractions visées aux articles 165 et 168 du Code pénal, elle a fait l’objet d’une ordonnance de placement en détention. Selon l’État partie, cependant, elle n’a été conduite au centre de détention provisoire no 10 de Ferghana que le 14 octobre 2005. Tout en soutenant qu’elle y a été conduite vers le 18 octobre 2005, l’auteur note que l’État partie admet qu’elle est restée détenue dans une cellule de garde à vue pendant huit jours, en violation du Code de procédure pénale ouzbek, qui fixe à soixante-douze heures la durée maximale de la détention en cellule de garde à vue. L’État partie semble donc reconnaître que l’auteur a été détenue illégalement, en violation du paragraphe 1 de l’article 9.

5.6L’auteur réaffirme que l’État partie n’a pas fait en sorte que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial, ni garanti et protégé son droit à l’égalité des moyens. L’auteur présente des allégations détaillées indiquant notamment que ses avocats ont été menacés et n’ont pas disposé de suffisamment de temps pour préparer la défense, qu’ils ont été délibérément empêchés par le parquet de s’entretenir avec elle et d’accéder à l’intégralité du dossier, et qu’ils n’ont pas été autorisés à interroger des témoins clefs de l’accusation. L’État partie a décidé de ne répondre à aucune des allégations ou éléments de preuve spécifiques présentés par l’auteur montrant qu’elle n’avait pas bénéficié d’un procès équitable. L’auteur affirme qu’elle s’est pour sa part acquittée de la charge de la preuve et a établi à première vue que l’État partie était responsable d’une violation de l’article 14.

5.7L’État partie prétend qu’il a enquêté sur les allégations de mauvais traitements subis par l’auteur pendant sa détention avant jugement, et que ces allégations étaient sans fondement. L’auteur soutient qu’elle avait indiqué précisément les différents épisodes de mauvais traitements survenus et fourni de nombreuses preuves à l’appui. L’État partie était donc en mesure d’enquêter sur les mauvais traitements puisque l’auteur avait donné des dates et le nom des témoins et des auteurs de ces faits. L’État partie ne produit cependant aucun élément prouvant qu’il a mené la moindre enquête sur ces allégations. Selon l’auteur, il n’est donc pas suffisant que l’État affirme avoir enquêté sur les allégations de mauvais traitements.

5.8L’auteur redit qu’elle a communiqué au Comité deux requêtes de son avocat se plaignant de ne pas avoir accès à sa cliente et que l’État partie n’a pas réagi à ces éléments. L’auteur répète qu’à l’exception d’une visite d’une heure de sa fille en octobre 2005, les autorités pénitentiaires ont refusé les visites de sa famille et d’amis pendant plus de trois mois. L’auteur réaffirme que, contrairement aux affirmations de l’État partie, elle n’a pas reçu les colis de nourriture et de vêtements envoyés par ses parents au centre de détention provisoire no 1 de Ferghana.

5.9L’État partie ne produit aucun élément prouvant qu’un personnel médical qualifié est employé dans les centres, notamment un médecin qualifié ayant des connaissances en psychiatrie, comme le prévoit l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus. L’auteur soutient que l’administration du centre de détention provisoire no 10 de Ferghana ne lui a pas donné les médicaments dont elle avait besoin à plusieurs occasions, et n’a pas diagnostiqué les effets que produisaient sur elle ses conditions de détention et qui l’ont conduite à faire une tentative de suicide fin décembre 2005.

5.10L’État partie affirme qu’à son arrivée dans la colonie de femmes, le 7 juillet 2006, l’auteur a été placée dans une unité d’admission, conformément à l’article 56 du Code pénal. Mais il n’apporte aucune preuve à l’appui de cette affirmation ou montrant comment l’article 56 a été respecté en l’espèce. L’État partie feint aussi d’ignorer les preuves fournies par l’auteur, notamment le recours formé par son avocat auprès de l’administration pénitentiaire et la réponse de cette dernière en date du 24 juillet 2006 confirmant la présence de l’auteur dans le service psychiatrique. La pratique de l’État partie obligeant les prisonniers politiques à subir un traitement psychiatrique comme forme de punition et de représailles est bien connue.

5.11L’auteur affirme en outre que l’État partie ne fait pas de distinction entre les heures de travail et l’obligation faite aux prisonniers d’être « de service », c’est-à-dire se tenir debout et effectuer des gardes à différents postes de la colonie. Tous les prisonniers doivent ainsi effectuer ce service une ou deux fois par mois pendant environ deux heures, mais l’administration a pour pratique de forcer les prisonniers politiques à le faire plusieurs fois par mois pendant une durée pouvant aller jusqu’à sept heures, avec interdiction de quitter son poste. L’auteur répète qu’elle a souvent dû travailler pendant neuf heures avant d’être « de service » pendant sept heures.

5.12L’État partie conteste les dires de l’auteur selon lesquels une gardienne de prison l’a humiliée, agressée, maltraitée et torturée, au motif que cette gardienne était instructrice dans le quartier des délinquants mineurs et n’avait pu donc être en contact avec l’auteur. L’auteur affirme avoir relaté ces mauvais traitements dans une lettre à sa fille qu’elle avait pu faire sortir clandestinement de l’établissement. Dès que le récit des mauvais traitements subis par l’auteur avait été relayé par des groupes internationaux de défense des droits de l’homme, le 3 janvier 2007, l’administration pénitentiaire avait mis fin au contrat de la gardienne en question. L’auteur soutient que ceci est une preuve supplémentaire à l’appui de ses allégations. Elle a été placée à plusieurs reprises en cellule disciplinaire, sous prétexte qu’elle aurait enfreint les règles du régime cellulaire, mais aucune information n’est fournie sur la manière dont elle aurait enfreint ces règles. L’État partie rejette ensuite l’affirmation de l’auteur selon laquelle elle aurait passé au total cent douze jours à l’isolement, arguant que sa version des faits est inventée et contradictoire; il ne répond cependant pas à ses allégations comme quoi l’administration a fait en sorte qu’elle ne reste pas plus de quinze jours d’affilée en cellule disciplinaire, la libérant au bout de quinze jours avant de l’y replacer quelques heures plus tard ou le lendemain.

5.13L’auteur a décrit avec force détails l’état déficient des cellules disciplinaires en particulier, et elle maintient sa description, que l’on retrouve aussi dans les lettres qu’elle a envoyées à diverses organisations des droits de l’homme alors qu’elle était encore en détention.

5.14S’agissant des soins médicaux reçus en prison, l’auteur répète que si certains soins lui ont été dispensés, c’était généralement après que son état de santé se fut tellement détérioré que les autorités ne pouvaient l’ignorer et après que de nombreuses demandes de soins eurent été rejetées. De plus, l’État partie n’a fourni aucune précision quant au traitement qui aurait été administré à l’auteur, comme les raisons de ce traitement ou les résultats des différents examens. Il n’a pas non plus apporté la moindre preuve, comme par exemple des rapports médicaux, à l’appui de sa déclaration selon laquelle les soins médicaux nécessaires avaient été dispensés. L’affirmation selon laquelle l’auteur a reçu les soins médicaux voulus contredit les rapports (voir par. 2.14 ci-dessus) confirmant que l’état de santé de l’auteur s’était nettement détérioré du fait de ses conditions de détention.

5.15En ce qui concerne l’opération qu’elle a subie en mars 2008, l’auteur soutient que l’État partie n’a fourni aucune preuve à l’appui de son affirmation selon laquelle l’opération était nécessaire pour des raisons médicales, et qu’il n’a pas indiqué le traitement administré ni communiqué le moindre rapport médical montrant la nécessité de l’hystérectomie. Faute d’informations fournies par l’État partie, plus de six ans après cette opération, l’auteur ne sait toujours pas pourquoi elle a fait l’objet d’une stérilisation forcée. L’État partie n’a pas non plus indiqué comment il aurait informé l’auteur de la nécessité de cette opération. Il est remarquable que l’État partie ne réfute pas expressément l’affirmation de l’auteur selon laquelle elle n’a pas donné son consentement à l’hystérectomie. L’État partie ne commente pas les nombreuses preuves d’expert communiquées par l’auteur qui montrent que l’opération lui a causé des séquelles physiques durables et de graves séquelles mentales. L’auteur soutient qu’elle a établi à première vue d’une manière plus que crédible que l’hystérectomie a été effectuée sans son consentement, lui a causé des douleurs et des souffrances intenses et a constitué un acte de torture en violation de l’article 7.

5.16L’auteur affirme qu’au cours des vingt-trois mois de sa détention, le procureur spécial est venu la voir seulement deux fois, le 20 septembre 2006 et le 28 mars 2007, ou aux alentours de ces dates. Les deux fois, l’administration pénitentiaire avait placé l’auteur en cellule disciplinaire. Lors de la seconde visite, l’administration l’a autorisée à sortir de la cellule disciplinaire pour rencontrer le procureur, mais bien qu’elle ait fait part à celui-ci de ses griefs de mauvais traitements, le procureur n’a pas ouvert d’enquête ni pris de mesures pour donner suite à ces griefs. L’auteur affirme que l’administration pénitentiaire examine régulièrement les requêtes déposées dans la boîte aux lettres publique de la colonie de femmes. Cette boîte aux lettres est située en un lieu visible dans la colonie, et il est impossible d’y déposer une requête à l’insu de l’administration. Les détenues qui se plaignaient étaient alors « punies » et placées à l’isolement.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles qui lui étaient ouverts. En l’absence de toute objection de l’État partie à ce sujet, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

6.4Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme que les droits qu’elle tient du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte ont été violés parce que l’État partie ne lui a pas offert de moyens effectifs pour protéger les droits qui lui sont reconnus dans le Pacte. Le Comité rappelle toutefois que le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte ne peut être invoqué par des particuliers qu’en relation avec d’autres dispositions du Pacte et ne peut être invoqué isolément dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif. Il considère par conséquent que le grief soulevé par l’auteur à cet égard est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme que le réexamen des minutes du procès et l’examen par la chambre d’appel de la division pénale de son recours contre le verdict ont été effectués et rejetés par le tribunal régional de Tachkent, à savoir le même tribunal que celui qui avait rendu le jugement initial, et que les requêtes aux fins de réexamen et d’appel soumises à la Cour suprême ont été rejetées, tous ces faits étant constitutifs d’une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le Comité juge cependant ce grief irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif, faute d’être suffisamment étayé.

6.6Le Comité note que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication, et il considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses autres griefs qui soulèvent des questions au regard des articles 7, 9 (par. 1, 2 et 4), 10 [par. 1 et 2 a)], 14 [par. 1 et 3 b) et e)], 17 (par. 1), 19 (par. 2), 21, 22 et 26 du Pacte, ainsi que de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec les articles susmentionnés. Il déclare la communication recevable au titre de ces dispositions du Pacte et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité a aussi pris note des griefs de l’auteur selon lesquels : le 1er juillet 2002, elle a été insultée verbalement, avilie et humiliée par le chef et le chef adjoint du Département de la police, qui lui ont infligé d’intenses douleurs et souffrances physiques et mentales en lui donnant des coups de pied et en la frappant avec une matraque, en lui cognant la tête contre la porte de sa cellule, et en déchirant ses vêtements et en menaçant de la violer; le 15 avril 2005, elle a été victime d’un viol en réunion qui lui a causé des douleurs et souffrances telles qu’elle a perdu connaissance; les autorités pénitentiaires du centre de détention provisoire no 10 de Ferghana ont délibérément soumis l’auteur à un régime de détention destiné à lui faire avouer qu’elle dirigeait une organisation illégale; alors qu’elle exécutait sa peine, l’auteur a été soumise pendant un an et huit mois par les gardiens et l’administration pénitentiaire de la colonie de femmes à diverses formes de mauvais traitements graves destinés à briser sa résistance morale et physique pour la forcer à avouer qu’elle dirigeait une organisation illégale; elle a subi une opération chirurgicale sans son consentement, y compris une stérilisation forcée, tous ces faits étant constitutifs de violations de l’article 7 du Pacte.

7.3À cet égard, le Comité note que l’auteur a donné d’amples détails sur les différents types de persécution dont elle a été victime, et que son récit est étayé par des éléments de preuve précis et bien documentés. Il note aussi que l’auteur a saisi officiellement diverses autorités pour se plaindre de ces violations. Le Comité relève que l’État partie n’a pas réfuté ces allégations mais s’est contenté d’affirmer que les vérifications effectuées n’avaient pas permis de les confirmer; et qu’au lieu de fournir au Comité des informations et des explications précises en guise de réfutation, l’État partie a accusé l’auteur d’avoir présenté des allégations « fausses et tendancieuses ». Le Comité prend note en particulier de l’affirmation de l’État partie qui prétend que la stérilisation de l’auteur « n’aurait pu être pratiquée sans son consentement », mais il considère que cela ne saurait contredire de façon crédible l’allégation de l’auteur quant au caractère forcé de la procédure médicale à laquelle elle a été soumise.

7.4À ce sujet, le Comité rappelle que, dès lors qu’une plainte concernant des mauvais traitements prohibés par l’article 7 a été déposée, celle-ci doit faire l’objet d’une enquête rapide et impartiale de la part des autorités de l’État partie. Le Comité rappelle en outre que l’État partie est responsable de la sécurité de toutes les personnes placées en détention et qu’en présence d’allégations de torture et de mauvais traitements, il incombe à l’État partie d’apporter des preuves réfutant les allégations de l’auteur. En l’absence d’explications complètes de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux griefs de l’auteur, en particulier aux allégations de sévices sexuels, une forme de violence extrême liée au genre. Par conséquent, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître de multiples violations graves de l’interdiction de la torture et des droits que l’auteur tient de l’article 7 du Pacte.

7.5Le Comité prend note des griefs de l’auteur selon lesquels l’État partie n’a pas procédé à une enquête rapide et efficace sur ses allégations de torture. Le Comité rappelle qu’il attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits de l’homme. Il rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, qui indique que le fait pour l’État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’absence d’explications complètes de l’État partie concernant l’enquête sur les allégations de torture de l’auteur, le Comité considère que les autorités compétentes de l’État partie n’ont pas examiné avec l’attention et la diligence voulues les plaintes présentées par l’auteur dénonçant des tortures. Le Comité conclut que les informations dont il dispose font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 7.

7.6Le Comité a pris note des griefs de l’auteur selon lesquels le viol en réunion commis contre elle ainsi que la stérilisation qu’elle a subie sans son consentement sont constitutifs de violations de l’article 26, car ils équivalent à une discrimination fondée sur le sexe; en l’arrêtant et la détenant arbitrairement et illégalement, puis en la poursuivant et la condamnant pour ses activités en faveur des droits de l’homme, l’État partie a en outre violé les droits qu’elle tient de l’article 26, lequel protège contre toute discrimination fondée sur l’opinion politique ou toute autre opinion. Le Comité note que l’État partie n’a pas expressément réfuté ces allégations mais s’est contenté d’affirmer, en termes généraux, qu’aucune violation des droits de l’auteur n’avait été commise en l’espèce. Dans ces circonstances, le Comité considère qu’il faut accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur. Le Comité observe que la stérilisation de l’auteur contre son gré ainsi que le viol commis contre sa personne montrent que les agressions la visaient spécifiquement en tant que femme. Par conséquent, il estime que dans les circonstances de l’espèce, les faits tels qu’ils ont été présentés par l’auteur constituent une violation des droits que celle-ci tient de l’article 26 du Pacte.

7.7Le Comité a pris note des griefs de l’auteur selon lesquels : l’État partie ne l’a pas informée rapidement des raisons de son arrestation et de son placement en détention, en violation du paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte, et ne l’a pas déférée devant un juge ou autorisée à contester la légalité de sa détention, en violation, respectivement, des paragraphes 3 et 4 de l’article 9 du Pacte; l’État partie n’a pas respecté son droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial, en violation du paragraphe 1 de l’article 14, ni son droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et de communiquer avec ses avocats, en violation du paragraphe 3 b) de l’article 14, et il lui a refusé les garanties procédurales énoncées au paragraphe 3 e) de l’article 14; lorsque des femmes l’ont agressée pendant qu’elle formait des piquets de protestation en mai et en août 2003, les autorités n’ont pas dûment enquêté sur ses agresseurs, et elle a été accusée les deux fois de tenir une manifestation illégale, ce qui fait que l’État partie a violé les droits qu’elle tient de l’article 19 du Pacte; les autorités chargées de faire appliquer la loi l’ont accusée d’avoir organisé une manifestation illégale s’agissant des piquets de protestation qu’elle avait formés en mai et en août 2003, ce qui a constitué des restrictions au droit à la liberté de réunion qu’elle tient de l’article 21, restrictions qui n’étaient pas justifiées puisqu’elles n’étaient pas nécessaires dans l’intérêt de la sécurité nationale et de la sûreté publique ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui; l’auteur a été détenue, inculpée, accusée puis condamnée et emprisonnée pour avoir établi une organisation publique non enregistrée, ce qui a constitué une grave restriction à son droit à la liberté d’association en violation du paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte.

7.8Le Comité note que l’État partie n’a pas expressément réfuté ces allégations mais s’est contenté d’affirmer, en termes généraux, qu’aucune violation des droits de l’auteur n’avait été commise en l’espèce. Dans ces circonstances, le Comité considère qu’il faut accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur. Par conséquent, il estime que dans les circonstances de l’espèce, les faits tels qu’ils ont été présentés par l’auteur constituent une violation des droits consacrés par les articles 9 (par. 1, 2 et 4), 14 [par. 1 et 3 b) et e)], 19 (par. 2), 21 et 22 du Pacte.

7.9Compte tenu des conclusions ci-dessus, le Comité n’examinera pas séparément les allégations de l’auteur au titre des articles 10 et 17 (par. 1) du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que l’État partie a violé, à l’égard de l’auteur, les articles 7, 9 (par. 1, 2 et 4), 14 [par. 1 et 3 b) et e)], 19, 21, 22 et 26 du Pacte, ainsi que l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec l’article 7.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile, consistant notamment à mener une enquête impartiale, efficace et approfondie sur les allégations de torture et de mauvais traitements, à engager des poursuites pénales contre les responsables et à lui offrir une indemnisation appropriée. L’État partie est en outre tenu de prendre des mesures pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques, à les faire traduire dans la langue officielle, sous une forme accessible, et à les diffuser largement.

Appendice I

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de Dheerujlall Seetulsingh

1.Au paragraphe 7.6 des constatations, la majorité du Comité estime que l’État partie a violé l’article 26 du Pacte parce que, en 2005, alors qu’elle était en garde à vue, l’auteur a été violée par trois hommes non identifiés et en 2008, les autorités de l’État partie lui ont fait subir, sans son consentement, une opération chirurgicale consistant en une hystérectomie (et, partant, une stérilisation forcée). La majorité considère que ces deux actes ont constitué une agression spécifique contre l’auteur en tant que femme. L’auteur aurait ainsi été victime d’une discrimination en raison de son genre. Il n’y a aucune autre explication à cet égard ni aucune analyse approfondie montrant en quoi l’article 26 est applicable à ce cas. Bien que l’État partie ait communiqué ses observations, le Comité note que l’État partie n’a pas expressément réfuté ces allégations. Je me permets de ne pas souscrire à l’idée que l’article 26 peut trouver application en l’espèce.

2.Au paragraphe 7 de l’observation générale no 18 (1989) sur la non-discrimination, il est traité de la discrimination en ces termes :

Le Comité considère que le terme « discrimination », tel qu’il est utilisé dans le Pacte, doit être compris comme s’entendant de toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée notamment sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation, et ayant pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par tous, dans des conditions d’égalité, de l’ensemble des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

3.L’article 26 dispose que toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. En son état actuel, la jurisprudence du Comité relative à la discrimination fondée sur le sexe concerne des lois ou des modalités d’application de certaines lois qui favorisent un sexe par rapport à l’autre, lequel est ainsi désavantagé, lorsqu’une telle distinction n’est pas raisonnable. L’État est tenu de veiller à ce que tous les citoyens soient traités de manière égale. Pour ce qui est du genre, il convient d’accorder aux hommes et aux femmes le même traitement qu’il s’agisse, entre autres, de la législation en matière d’immigration ou d’expulsion, des régimes matrimoniaux, de la nationalité, de l’impôt sur le revenu ou des prestations de chômage. Les lois doivent être appliquées d’une manière non discriminatoire. Si les lois sont discriminatoires, c’est leur légitimité même qui est remise en cause. Cela a été bien développé par le Comité lors de son examen des communications no 35/78, Cziffra et consorts c. Maurice et no 172/84, Broeks c. Pays-Bas.

4.Dans la présente affaire, l’auteur a été soumise à un traitement absolument illégal et en marge de la loi. Elle a été arrêtée et emprisonnée en raison de ses opinions politiques. La question des critères raisonnables et objectifs ne se pose même pas dès lors que les actes faisant grief sont des faits illégaux de torture et de peine inhumaine et dégradante.

5.Il n’est guère justifié de considérer que l’auteur a été victime de discrimination lorsqu’elle a été violée en 2005 par trois individus non identifiés. Elle a certes été victime d’une grave violence de nature sexuelle, laquelle n’a cependant aucun lien avec une discrimination sexuelle. En 2008, l’auteur a été victime d’un autre acte de caractère sexuel lorsqu’elle a été opérée contre son gré et subi l’ablation de l’utérus. On ne sait pas si, dans l’État partie, des hommes eux aussi auraient pu être victimes de violence sexuelle et soumis à des peines cruelles. Rien ne prouve non plus que, dans l’État partie, toutes les femmes se trouvant dans une situation analogue sont soumises à un traitement aussi horrible. Le fait qu’un tel traitement soit administré à une personne par la force n’est pas un indice de discrimination en soi au regard de l’article 26. Il est difficile de rattacher ces faits à une discrimination telle que celle-ci est entendue par le Comité dans son observation générale no 18, dans la jurisprudence du Comité et telle qu’elle est généralement définie en droit. Il s’agit d’actes brutaux de répression de la dissidence. S’il en allait autrement, tout acte de torture et tout acte de répression pourrait être interprété comme une discrimination. Même la législation de l’État partie ne permet pas de tels actes.

6.Il y a eu assurément, et cela est regrettable, une grave violation de l’article 7 du Pacte quand l’auteur a été violée successivement par trois individus non identifiés lors de sa garde à vue en 2005 et quand elle a été opérée sans avoir été informée des raisons de l’opération et sans avoir donné son consentement durant son incarcération en 2008. Ces crimes odieux et ce comportement inqualifiable dont l’État est responsable sont sévèrement condamnés.

7.Par ailleurs, au paragraphe 7.6, les vues de la majorité ne sont pas totalement claires quant à une éventuelle constatation de discrimination fondée sur l’opinion politique ou toute autre opinion. La majorité prend note des griefs de l’auteur, qui ne sont pas expressément réfutés par l’État partie, et en tire la conclusion générale que « dans les circonstances de l’espèce » il y a eu violation des droits que l’auteur tient de l’article 26 du Pacte. Or, s’il est vrai que l’arrestation et la détention arbitraires de l’auteur, les poursuites engagées contre elle, sa condamnation et son incarcération en raison de ses activités en faveur des droits de l’homme violent incontestablement les droits qui lui sont garantis par les articles 9, 14, 19, 21 et 22 comme cela est indiqué au paragraphe 7.7 des constatations de la majorité, ces faits ne sont pas constitutifs de discrimination au sens de l’article 26 du Pacte.

Appendice II

Opinion individuelle (concordante) de Sarah Cleveland et Olivier de Frouville

1.Dans la présente affaire, le Comité constate que le comportement d’agents de l’État a violé, entre autres dispositions, celles de l’article 26 du Pacte interdisant toute discrimination fondée sur le sexe. Nous souscrivons à cette conclusion et rédigeons la présente opinion afin d’expliciter les raisons qui la justifient.

2.L’article 26 garantit une égale protection de la loi et interdit toute distinction « fondée sur » les motifs qui y sont énumérés comme le sexe ou les opinions politiques, sauf si la distinction vise un but légitime et est fondée sur des critères raisonnables et objectifs1. Dans le contexte de la discrimination fondée sur le sexe, le Comité applique systématiquement cette norme pour constater la non-validité d’une législation établissant une distinction entre les hommes et les femmes2. L’article 26 concerne cependant non seulement la discrimination en droit, mais aussi la « discrimination de fait » à l’égard d’une personne, de la part soit des pouvoirs publics, soit de particuliers3. Le Comité a ainsi reconnu qu’il y a aussi violation de l’article 26 lorsque des agents de l’État, se fondant sur des motifs interdits, réservent à certaines personnes un traitement différent qui ne vise aucun but légitime et ne répond pas à des critères raisonnables et objectifs. À cet égard, le Comité a récemment constaté qu’en ne tenant pas dûment compte du handicap d’un individu pour appliquer sa législation relative à la naturalisation, un État avait enfreint l’article 264. Dans d’autres affaires, le Comité a constaté que le fait de réserver un traitement différent à certaines personnes sur la base de leurs opinions politiques constituait une violation de l’article 265. Dans le contexte de la discrimination fondée sur le sexe, le Comité a estimé que le comportement des autorités policières, sanitaires et judiciaires tendant à mettre en doute la moralité d’une mineure autochtone qui avait été victime d’un viol constituait une discrimination fondée sur sa condition de fille et son appartenance ethnique, en violation de l’article 266. Le Comité a aussi considéré qu’en ne fournissant pas un recours judiciaire utile suite au refus des responsables médicaux d’autoriser un avortement légal, un État avait violé l’article 2 (par. 3) lu conjointement avec les articles 3, 7 et 177.

3.Dans la présente affaire, l’auteur produit des éléments prouvant de manière irréfutable qu’elle a subi, notamment, un viol en réunion et une stérilisation forcée due à l’hystérectomie pratiquée sans son consentement par les autorités de l’État. La question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si l’auteur a été soumise à cette forme particulièrement odieuse de violence sexuelle en raison de sa qualité de femme. Comme l’ont reconnu d’autres instances de protection des droits de l’homme, dont le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et la Cour européenne des droits de l’homme, la violence fondée sur le sexe ou le genre constitue une discrimination8. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes définit la violence fondée sur le sexe comme la violence exercée contre une femme parce qu’elle est une femme ou qui touche spécialement la femme9. Selon cette approche, tous les actes de violence commis contre des femmes ne relèvent pas de la discrimination; la violence est fondée sur le sexe si elle est motivée par des facteurs liés au genre, comme le besoin d’affirmer le pouvoir et le contrôle masculins, d’imposer le respect des rôles assignés à chaque sexe ou de punir ce qui est considéré comme un comportement féminin déviant10. Le simple fait que des sévices comme le viol ou la stérilisation forcée soient également susceptibles d’être commis sur des hommes n’exclut pas la possibilité qu’ils soient constitutifs d’une discrimination fondée sur le sexe.

4.Dans la présente affaire, l’auteur produit des preuves irréfutables montrant qu’elle a particulièrement visée par des actes odieux de harcèlement, de violence et de torture en raison de ses opinions politiques en tant que militante des droits de l’homme. Mais le caractère singulièrement sexiste de ces violences – menaces de viol par la police, viol en réunion durant sa détention et stérilisation forcée par ablation de l’utérus – établit sans conteste que les agents de l’État ont choisi d’exercer cette forme de violence sur elle parce qu’elle était une femme. Il ne fait aucun doute que ce comportement, que le Comité qualifie correctement aussi de torture et de violence extrême liée au genre, ne peut s’appuyer sur aucune justification raisonnable et objective ni aucun but légitime. Le Comité conclut donc à juste titre que l’auteur a été victime de discrimination en raison de son sexe, en violation de l’article 26.