Nations Unies

CCPR/C/117/D/2101/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

30 août 2016

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication°2101/2011 * , **

Communication présentée par  :

Valentin Evzrezov (non représenté par un conseil)

Au nom de  :

L’auteur

État partie  :

Bélarus

Date de la communication :

5 août 2011 (date de la lettre initiale)

Références  :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 22 septembre 2011 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations  :

14 juillet 2016

Objet  :

Refus d’autoriser une réunion pacifique ; liberté d’expression

Question(s) de procédure  :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond  :

Liberté d’expression ; liberté de réunion

Article(s) du Pacte  :

19 (par. 2) et 21

Article(s) du Protocole facultatif  :

2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Valentin Evzrezov, de nationalité bélarussienne, né en 1954. Il affirme être victime d’une violation par le Bélarus des droits qu’il tient des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Bélarus le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 7 février 2011, l’auteur a demandé au Comité exécutif du district de Zhlobin l’autorisation de tenir un piquet d’une vingtaine de participants au maximum le 23 février 2011. Le piquet devait se tenir dans le parc « Pridneprovsky » de la ville de Zhlobin. Les participants entendaient protester contre les persécutions politiques exercées contre d’anciens candidats à la Présidence du Bélarus et les membres de leurs équipes électorales.

2.2Le 15 février 2011, la demande de l’auteur a été rejetée par le Comité exécutif du district au motif qu’une manifestation sportive devait avoir lieu le même jour au même endroit. Les autorités ont également mentionné dans leur décision de refus que le Code pénal du Bélarus ne définissait pas le terme « persécution politique ».

2.3Le 3 mars 2011, l’auteur a formé un recours contre la décision du Comité exécutif de district auprès du Comité exécutif régional de Gomel, lequel a été rejeté le 23 mars 2011. Le 28 mars 2011, il a saisi le tribunal de district de Zhlobin, qui l’a débouté le 19 avril 2011. Le 27 avril 2011, l’auteur a fait appel devant le tribunal régional de Gomel, qui l’a également débouté le 9 juin 2011. L’auteur n’a pas exercé d’autres recours au titre de la procédure de contrôle, estimant que celle-ci ne constitue pas un recours utile, vu la pratique interne établie dans des affaires comparables.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que des restrictions ont été imposées à son droit à la liberté d’expression en violation de l’article 19 du Pacte en raison du refus injustifié des autorités de l’État partie de l’autoriser à tenir un piquet. Il soutient aussi que son droit de réunion garanti par l’article 21 du Pacte a été enfreint par le refus injustifié des pouvoirs publics d’autoriser le piquet.

Observations de l’État partie

4.1Dans une note verbale datée du 28 novembre 2011, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles comme l’exige l’article 2 du Protocole facultatif puisqu’il n’a pas exercé de recours au titre de la procédure de contrôle. Selon l’État partie, cette procédure constitue un recours utile, comme le montre le fait que, sur 4 565 recours exercés en 2011 au titre de cette procédure, 239 ont été accueillis par la Cour suprême. L’État partie soutient qu’aucun fondement juridique ne justifie l’examen de la communication présentée par l’auteur dès lors que celle-ci a été enregistrée en violation de l’article premier du Protocole facultatif.

4.2Dans une note verbale du 25 janvier 2012, l’État partie explique, à propos d’un certain nombre de communications, dont celle présentée par l’auteur, qu’en devenant partie au Protocole facultatif, il a reconnu la compétence du Comité en vertu de l’article premier de ce texte pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui se déclarent victimes d’une violation, par lui‑même, des droits énoncés dans le Pacte. Il fait cependant observer que cette compétence est reconnue sous réserve de l’application d’autres dispositions du Protocole facultatif, notamment celles énonçant les conditions à remplir par les auteurs des communications et les critères de recevabilité de celles-ci, en particulier les articles 2 et 5. Il soutient que le Protocole facultatif ne fait pas obligation aux États parties d’accepter le règlement intérieur du Comité ni l’interprétation donnée par celui-ci des dispositions du Protocole facultatif, laquelle ne peut être efficace que lorsqu’elle est faite conformément à la Convention de Vienne sur le droit des traités. L’État partie ajoute, s’agissant de la procédure d’examen des communications, que les États parties devraient s’appuyer en premier lieu sur les dispositions du Protocole facultatif, et que la pratique bien établie du Comité, ses méthodes de travail et sa jurisprudence, auxquelles le Comité renvoie, ne relèvent pas du Protocole facultatif. L’État partie indique aussi qu’il considérera toute communication enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif comme incompatible avec celui-ci et qu’il la rejettera sans faire d’observations sur la recevabilité ou sur le fond, et que toute décision prise par le Comité concernant les communications ainsi rejetées sera considérée par ses autorités comme « nulle et non avenue ». L’État partie réaffirme que la présente communication a été enregistrée en violation du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.Dans une lettre du 29 janvier 2012, l’auteur présente ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il fait valoir que la procédure de contrôle ne saurait être considérée comme un recours utile dans des affaires mettant en cause des droits politiques car elle dépend du pouvoir discrétionnaire d’un procureur ou d’un juge, qui peut soit rejeter le recours soit le transmettre à une juridiction supérieure pour examen. L’auteur signale qu’aucune opinion dissidente n’a jamais été présentée dans des affaires concernant des droits politiques individuels dans l’État partie.

Délibérations du Comité

Défaut de coopération de l’État partie

6.1Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme qu’aucun fondement juridique ne justifie l’examen de la communication de l’auteur puisque celle-ci a été enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif, qu’il n’est pas tenu de reconnaître le règlement intérieur du Comité ni l’interprétation que celui-ci donne des dispositions du Protocole facultatif et que toute décision que le Comité pourrait prendre concernant la présente communication sera considérée par ses autorités comme « nulle et non avenue ».

6.2Le Comité fait observer que tout État partie au Pacte qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (Protocole facultatif, préambule et art. 1er). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et aux particuliers (art. 5 (par. 1 et 4)). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations est incompatible avec ces obligations. C’est au Comité qu’il appartient de déterminer si une communication doit être enregistrée et, en n’acceptant pas la compétence du Comité pour déterminer s’il y a lieu d’enregistrer une communication et en déclarant d’emblée qu’il n’acceptera pas la décision du Comité sur la recevabilité et le fond de la communication, l’État partie viole les obligations qui lui incombent en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’observation de l’État partie qui affirme que l’auteur n’a pas exercé de recours dans le cadre de la procédure de contrôle des décisions rendues par les juridictions nationales. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle qu’une demande de contrôle d’une décision judiciaire passée en force de chose jugée présentée à un procureur ne constitue pas un recours utile et n’est pas une voie de droit qu’il faut avoir épuisée aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif . Il considère également que le dépôt, auprès du président d’un tribunal, d’une demande de contrôle visant des décisions judiciaires devenues exécutoires et qui dépendent du pouvoir discrétionnaire d’un juge constitue un recours extraordinaire, et que l’État partie doit montrer qu’il existe des chances raisonnables qu’une telle demande constitue un recours utile dans les circonstances de l’espèce.Le Comité prend note des statistiques fournies par l’État partie sur le nombre de demandes de contrôle de décisions judiciaires présentées à la Cour suprême auxquelles celle-ci a fait droit. Il note toutefois que ces statistiques n’indiquent pas si les demandes soumises au Président du tribunal régional ou à la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle ont été couronnées de succès dans des affaires concernant le droit à la liberté d’expression et le droit de réunion pacifique ni, le cas échéant, quel est le nombre de ces affaires. Dans ces circonstances, le Comité considère que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à l’examen de la communication présentée par l’auteur.

7.4Le Comité considère que les griefs de l’auteur au titre des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, il les déclare recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles son droit à la liberté d’expression a été arbitrairement restreint en ce que l’autorisation d’organiser un piquet public et d’exprimer publiquement ses opinions lui a été refusée. Le Comité considère que la question dont il est saisi est celle de savoir si l’interdiction de tenir un piquet public imposée à l’auteur par les autorités municipales de Zhlobin constitue une violation des articles 19 et 21 du Pacte.

8.3Le Comité renvoie à son observation générale no 34 (2011), sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, où il dit que la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu et sont essentielles pour toute société. Elles constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Le Comité rappelle que le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte autorise certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et être nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Toute restriction à l’exercice de ces libertés doit répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Les restrictions doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objet spécifique qui les inspire. Le Comité rappelle que c’est à l’État partie qu’il incombe de démontrer que les restrictions apportées aux droits que l’auteur tient de l’article 19 étaient nécessaires et proportionnées.

8.4Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle son droit à la liberté de réunion garanti par l’article 21 du Pacte a également été violé par le refus des autorités municipales de l’autoriser à tenir le piquet. Dans ce contexte, le Comité rappelle que le droit de réunion pacifique, garanti à l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental, essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et indispensable dans une société démocratique. Ce droit suppose notamment la possibilité d’organiser une réunion pacifique, y compris un rassemblement immobile (par exemple, un piquet) dans un lieu public, et d’y participer. Les organisateurs d’une réunion ont en général le droit de choisir un lieu à portée de vue et d’ouïe du public visé par la manifestation, et l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui. Lorsqu’il impose des restrictions au droit de réunion d’un particulier en vue de concilier ce droit avec l’intérêt général, un État partie doit s’efforcer d’en faciliter l’exercice plutôt que de s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés. L’État partie est donc tenu de justifier la limitation du droit garanti à l’article 21 du Pacte.

8.5Le Comité observe qu’en l’espèce, la demande de l’auteur tendant à l’autorisation d’un piquet a été rejetée par les autorités municipales au motif que le terme « persécution politique » n’est pas défini dans le Code pénal et qu’il y avait déjà une manifestation sportive prévue au même endroit le même jour. Le Comité note que le fait d’interdire une manifestation de protestation contre les persécutions politiques au motif que la « persécution politique » n’est pas qualifiée par le droit pénal ne semble pas remplir les conditions de nécessité et de proportionnalité prévues au paragraphe 3 l’article 19 et à la seconde phrase de l’article 21 du Pacte. Le Comité observe en outre que, même s’il y avait un second motif de refus, potentiellement légitime, à savoir une manifestation sportive déjà autorisée, rien n’indiquait dans la décision du Comité exécutif du district de Zhlobin ou des tribunaux nationaux, à la lumière de la première objection soulevée par le Comité exécutif, que l’auteur aurait été autorisé à organiser un piquet à une autre heure ou date. Par conséquent, le Comité conclut que, dans la présente affaire, l’État partie a violé les droits que l’auteur tient des articles 19 et 21 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder pleine réparation aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre les mesures voulues pour indemniser l’auteur comme il se doit et éviter que des violations analogues ne se reproduisent.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans le pays en biélorusse et en russe.