Nations Unies

CCPR/C/119/D/2140/2012

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

13 juin 2017

Français

Original : anglais/français

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2140/2012 * , ** , ***

Communication p résentée par :

I. T. (représenté par un conseil, Viktoria Tyuleneva)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Kazakhstan

Date de la communication :

23 janvier 2012 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 19 mars 2012 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

28 mars 2017

Objet :

Amende pour non-respect des normes relatives à l’enregistrement du lieu de résidence

Questions de procédure :

Néant

Questions de fond :

Liberté de circuler, droit au respect de la vie privée

Article(s) du Pacte :

12 (par. 1) et 17 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.L’auteur de la communication est I. T., de nationalité malienne, né en 1967. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 12 et du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 septembre 2009. L’auteur est représenté par un conseil, Viktoria Tyuleneva.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur indique qu’il est venu pour la première fois au Kazakhstan (qui était alors la République socialiste soviétique du Kazakhstan) en 1989, pour participer à un programme d’échange pour la formation d’étudiants organisé à l’institut vétérinaire d’Almaty. Après avoir obtenu son diplôme en 1996, il est resté au Kazakhstan. De 2001 à 2003, il était à la tête d’une organisation non gouvernementale (ONG), l’Union des Africains du Kazakhstan, qui avait pour principal objectif la défense des droits de tous les Africains vivant au Kazakhstan.

2.2En 2004, l’auteur a obtenu un permis de séjour valable jusqu’en 2009, délivré par la Police des migrations du Département de l’intérieur d’Almaty. En vertu de la législation kazakhe, toutes les personnes vivant au Kazakhstan sont tenues de s’enregistrer en indiquant l’adresse de leur domicile auprès du Département de l’intérieur de la localité ou de la région où elles résident. Cette règle générale s’applique également aux résidents étrangers. Dans la pratique, ceux-ci peuvent s’enregistrer soit à l’adresse de leur logement, s’ils en sont propriétaires, soit à l’adresse d’une maison ou d’un appartement dont ils sont locataires, auquel cas le propriétaire qui loue le logement doit fournir à l’étranger une autorisation lui permettant de s’enregistrer à cette adresse.

2.3L’auteur a pris un appartement en location, mais le propriétaire n’a pas voulu l’autoriser à s’enregistrer à cette adresse. En conséquence, l’auteur s’est enregistré à l’adresse de l’appartement d’un ami, qui lui a donné l’autorisation requise. Il n’habitait pas dans cet appartement mais avait des contacts réguliers avec son ami qui lui transmettait son courrier. Ainsi, il avait donné aux autorités kazakhes une adresse officielle à laquelle elles pouvaient le contacter.

2.4Le 11 août 2009, l’auteur a déposé auprès de la Police des migrations, à Almaty, une demande de renouvellement de son permis de séjour. On lui a délivré un certificat, signé par le chef adjoint de la Police des migrations, attestant que sa demande de renouvellement de son permis était en cours d’examen par la Police des migrations du Département de l’intérieur d’Almaty. En vertu de la législation kazakhe, la Police des migrations est tenue de délivrer un nouveau permis de séjour à l’étranger qui en fait la demande dans les deux mois qui suivent le dépôt de sa requête.

2.5L’auteur n’ayant reçu aucune réponse de la Police des migrations, il a prié le Bureau international pour les droits de l’homme et l’état de droit du Kazakhstan de le représenter en justice. Le Bureau s’est enquis auprès de la Police des migrations de la suite donnée à la demande de l’auteur et a été informé, par une réponse datée du 3 novembre 2009, qu’un nouveau permis de séjour allait être délivré à l’auteur, mais que des poursuites administratives avaient dû être engagées contre lui au titre de l’article 394 du Code des infractions administratives.

2.6L’auteur affirme que la Police des migrations lui a dit qu’elle lui délivrerait un permis de séjour à condition qu’il reconnaisse avoir commis une infraction administrative et qu’il s’acquitte d’une amende. Il indique qu’il souhaitait contester en justice la décision le déclarant responsable d’une infraction administrative sans avoir à craindre que sa demande de permis de séjour ne soit rejetée, et qu’il pensait que la Police des migrations tentait de l’intimider en conservant son permis.

2.7Le 20 novembre 2009, l’auteur a saisi le tribunal d’Almalinsky d’un recours contre la décision de la Police des migrations, affirmant que les conditions auxquelles la Police avait subordonné la délivrance de son permis de séjour étaient impossibles à remplir. Le 25 décembre 2009, la Police des migrations a décidé de lui délivrer un nouveau permis de séjour sans lui imposer de conditions et l’auteur a retiré son recours le 12 janvier 2010. Le 4 mars 2010, il a reçu un permis de séjour valable jusqu’au 20 juillet 2014.

2.8L’auteur indique que, pendant les six mois où il attendait la délivrance de son nouveau permis de séjour, il n’a pas pu circuler librement sur le territoire du Kazakhstan car la législation interne l’obligeait à être titulaire d’un permis de séjour ou d’un passeport muni d’un visa valable accordé par les autorités kazakhes et d’une carte d’immigration attestant qu’il était enregistré en tant qu’étranger. Or, la Police des migrations ne lui avait pas délivré de visa ni de carte d’immigration pendant l’examen de sa demande de renouvellement de permis.

2.9Le 10 mai 2010, l’auteur a reçu un appel d’un huissier qui lui a dit qu’il avait pour instruction de recouvrer une amende à laquelle il avait été condamné pour violation de l’article 394 du Code des infractions administratives. Le 12 mai 2010, l’auteur a rencontré l’huissier qui lui a présenté une copie de la décision administrative rendue le 9 novembre 2009 par le chef de la Police des migrations d’Almaty, dans laquelle il était condamné à une sanction administrative pour violation de l’article 394 du Code des infractions administratives. L’huissier lui a fait savoir en outre que, comme il avait refusé de payer l’amende le 26 janvier 2010, un juge du tribunal administratif interrégional spécialisé d’Almaty avait ordonné le recouvrement forcé de l’amende, dont le montant représentait l’équivalent de 85 dollars des États-Unis d’Amérique.

2.10Le 17 mai 2010, le conseil de l’auteur a soumis à la Police des migrations une requête par laquelle il lui demandait de lui fournir l’original de la décision administrative afin que l’auteur puisse former un recours devant un tribunal. Ce document a été reçu par le conseil le 29 juillet 2010 et, le 30 juillet 2010, l’auteur a contesté la décision devant le tribunal administratif interrégional spécialisé. Le 2 août 2010, cette juridiction a rejeté le recours. Les autres requêtes de l’auteur, qui a saisi le Bureau du Procureur général et le Procureur d’Almaty de demandes au titre de la procédure de contrôle, ont également été rejetées. L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles et utiles.

2.11Le 19 octobre 2010, l’auteur a demandé à la Police des migrations d’Almaty s’il devait demander une autorisation pour pouvoir se déplacer à l’intérieur d’Almaty et à l’extérieur de la ville. Dans une réponse datée du 26 octobre 2010, on lui a indiqué qu’il devait informer la Police des migrations s’il changeait d’adresse et s’il quittait Almaty pour plus de dix jours. L’auteur soutient que l’obligation d’informer la police de tous ses déplacements à l’intérieur et à l’extérieur de la ville et la pratique établie consistant à engager des poursuites administratives contre les étrangers qui habitent ailleurs qu’à l’adresse à laquelle ils sont enregistrés sont incompatibles avec la liberté des étrangers vivant légalement au Kazakhstan de circuler et de choisir leur lieu de résidence.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il était en situation régulière au Kazakhstan puisqu’il était titulaire d’un permis de séjour valable et que le paragraphe 1 de l’article 12 du Pacte s’applique donc pleinement en l’espèce. Il aurait dû pouvoir exercer son droit de circuler librement dans le pays sans avoir à demander une autorisation spéciale des autorités et sans aucune restriction de la part de l’État partie. D’après lui, l’obligation de s’enregistrer à une adresse ne constitue pas une restriction au sens de l’article 12 du Pacte, mais la pratique consistant à demander des comptes à un étranger au motif qu’il vit ailleurs qu’à l’adresse à laquelle il est enregistré n’est pas compatible avec la notion de liberté de choix de la résidence et constitue une restriction contraire aux dispositions de l’article 12 du Pacte.

3.2L’auteur affirme en outre qu’en habitant à une autre adresse que celle à laquelle il était enregistré, il ne menaçait nullement la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui. En conséquence, il estime que l’action administrative engagée contre lui constitue une mesure disproportionnée et qu’elle ne saurait être considérée comme une restriction légitime au sens de l’article 12 du Pacte.

3.3L’auteur affirme de plus que l’obligation faite aux étrangers d’informer la Police des migrations de tous leurs déplacements à l’intérieur et à l’extérieur de la ville dans laquelle ils habitent est incompatible avec la notion de liberté de circulation et constitue une violation des droits qu’il tient de l’article 17 du Pacte. Il soutient en outre que cette obligation n’est pas imposée en vertu d’une loi, mais en vertu d’une ordonnance promulguée avant l’entrée en vigueur pour l’État partie du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, et qu’elle représente une mise sous surveillance des étrangers par la police et une immixtion disproportionnée dans leur vie privée.

Observations de l’État partie concernant le fond

4.1Dans des notes verbales datées du 19 juin et du 8 novembre 2012, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond de la présente communication. Il explique qu’en vertu de l’article 16 de la loi relative au statut juridique des étrangers et de l’article 5 de la loi relative aux migrations, les étrangers ont le droit de circuler librement sur le territoire du Kazakhstan et de choisir leur résidence.

4.2En vertu de l’article 77 de l’instruction no 215, du 9 avril 2004, tous les étrangers sont tenus de s’enregistrer à l’adresse de leur lieu de résidence. Cela ne limite pas leur liberté de circuler étant donné qu’ils peuvent d’abord déménager, puis s’enregistrer à leur nouvelle adresse.

4.3En outre, cette obligation est imposée non seulement aux étrangers, mais aussi aux nationaux. Conformément à la résolution no 1063 adoptée le 12 juillet 2000 par le Gouvernement, les citoyens kazakhs, les étrangers et les apatrides doivent s’enregistrer à l’adresse de leur lieu de résidence permanente.

4.4L’État partie conclut que, compte tenu de ces éléments, les allégations de violation des dispositions du Pacte faites par l’auteur sont dénuées de fondement.

Observations supplémentaires de l’auteur

5.1Dans des lettres datées du 4 septembre 2012 et du 21 janvier 2013, l’auteur répond que, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, le système d’enregistrement du lieu de résidence tel qu’il est appliqué au Kazakhstan est contraire aux dispositions du Pacte, comme il l’a exposé dans sa lettre initiale. Il reconnaît la nécessité pour l’État partie de disposer d’un tel système, celui-ci pouvant être utile aux autorités pour la planification des activités, la fourniture de prestations de sécurité sociale ou la délivrance de documents d’identité.

5.2L’auteur objecte cependant que ses droits ont été violés par l’État partie car il a été condamné à une amende administrative au motif qu’il n’habitait pas à l’adresse à laquelle il était enregistré. Le paragraphe 3 de l’article 12 du Pacte prévoit un certain nombre de restrictions qui peuvent être imposées par l’État partie pour limiter les libertés garanties par le paragraphe 1 de l’article. L’auteur affirme que les restrictions dont il a fait l’objet ne relèvent d’aucune des restrictions légitimes énumérées dans ledit article. Les restrictions imposées par l’État partie ne doivent pas porter atteinte à l’essence du droit lui-même. En l’espèce, l’État partie prétend respecter le droit à la liberté de circulation, mais condamne l’auteur à une amende pour avoir choisi d’habiter ailleurs qu’à l’adresse à laquelle il est enregistré.

5.3L’auteur affirme que les informations données dans les formulaires d’enregistrement sont utilisées par l’État partie pour permettre à la police d’effectuer des contrôles dans les lieux de résidence des étrangers. Dans la pratique, cela signifie que la police entre dans le logement des étrangers et leur demande leurs papiers d’identité. Outre des entraves à la liberté de circulation, ces immixtions constituent des violations des dispositions du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’auteur dit avoir épuisé tous les recours internes disponibles. En l’absence d’objection de la part de l’État partie, le Comité estime que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

6.4Le Comité prend note des griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 12 du Pacte formulés par l’auteur (voir par. 3.1 et 3.2). Il constate toutefois que l’auteur, résident étranger, ne s’est pas enregistré à sa véritable adresse de résidence, comme l’exigeait le droit interne, et a de ce fait été condamné à une amende. Le Comité note aussi que, dans les circonstances de l’affaire, l’amende infligée ne peut pas être considérée, en soi, comme une restriction déraisonnable à la liberté de circulation de l’auteur. Il note à ce sujet que le permis de résidence avait été renouvelé avant que l’auteur n’ait payé l’amende. Par conséquent, dans les circonstances particulières de l’affaire et en l’absence de tout autre élément utile versé au dossier, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses griefs, aux fins de la recevabilité. Il considère donc que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité prend également note des griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 17 (voir par. 3.3). Toutefois, en l’absence de tout autre élément ou explication dans le dossier, il estime que l’auteur n’a pas étayé ses allégations, aux fins de la recevabilité. Il déclare donc cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

Annexe

[Original : français]

Opinion dissidente d’Olivier de Frouville et de Sarah Cleveland

1.Le Comité a déclaré la présente communication irrecevable au motif que l’auteur n’aurait pas suffisamment étayé ses griefs au titre des articles 12 et 17 du Pacte. Nous sommes en désaccord avec cette conclusion s’agissant de l’article 12.

2.Nous considérons qu’un système qui, d’une part, fait obligation à toute personne résidant légalement sur le territoire d’enregistrer son adresse de résidence auprès de la police et qui, d’autre part, soumet à une sanction, même modeste, le fait de résider à une adresse autre que celle qui a été déclarée constitue une restriction de choisir librement son domicile et de circuler librement sur le territoire de l’État concerné. Une telle restriction peut s’avérer légitime, à partir du moment où elle poursuit un but d’ordre public, tel que ceux énumérés au paragraphe 3 de l’article 12, et où elle est nécessaire dans une société démocratique au but légitime visé. Autrement dit, l’État partie doit démontrer qu’une telle mesure, qui équivaut à une forme de contrôle policier de la population, répond à un besoin social impérieux et constitue la mesure la moins restrictive qui puisse être envisagée pour atteindre un but d’intérêt public.

3.Or, dans cette affaire, l’État n’a nullement fait cette démonstration. Il se borne à décrire ce système et à soutenir sa légitimité en général, en insistant sur le fait qu’il est applicable tant aux citoyens kazakhs qu’aux étrangers. Il ne dit pas quel est le but légitime poursuivi par cette amende et il ne dit pas non plus en quoi infliger une amende à l’auteur aurait été nécessaire à la poursuite d’un quelconque but d’intérêt public.

4.Ce n’est pas la première fois que le Comité doit se pencher sur le système d’enregistrement obligatoire du domicile en vigueur dans l’État partie. À deux reprises, il a exprimé sa préoccupation à l’égard de ce système, en lien avec l’article 12. En dernier lieu, dans ses observations finales concernant le deuxième rapport périodique adoptées en 2016 (voir CCPR/C/KAZ/CO/2, par. 41 et 42), le Comité a adopté la position suivante :

« Le Comité reste préoccupé (voir CCPR/C/KAZ/CO/1, par. 18) par le système d’enregistrement obligatoire du domicile actuellement en vigueur. S’il prend note de l’argument avancé par l’État partie selon lequel l’enregistrement n’est utilisé qu’à des fins statistiques et n’est soumis à aucune condition, le Comité constate que le fait de ne pas se conformer à l’obligation de procéder à cet enregistrement constitue une infraction administrative, punissable d’une amende ou d’une détention administrative d’une durée de 10 jours à 3 mois (art. 12) ».

5.En conséquence, le Comité a recommandé à l’État partie d’« aménager le système d’enregistrement obligatoire du domicile pour le mettre en pleine conformité avec le Pacte ».

6.Au vu de cette position, il est surprenant que le Comité n’ait rien trouvé à redire au fait que l’auteur s’est vu infliger une amende de 85 dollars pour avoir manqué de fournir à la police son adresse effective, alors même qu’il avait procuré une adresse qui, selon ses dires, qui n’ont pas été contestés par l’État partie, permettait aux autorités de le contacter. Il est également étrange que le Comité n’ait pas relevé, en l’absence de toute explication de l’État partie, les allégations de l’auteur selon lesquelles il lui a été prescrit d’informer la police des migrations s’il quittait Almaty pour plus de dix jours (par. 2.11).

7.Le système d’enregistrement en vigueur opère une distinction entre nationaux et étrangers : à savoir que les locataires étrangers, contrairement aux nationaux, ne peuvent transmettre leur adresse à la police sans l’autorisation de leur propriétaire. Or, en l’espèce, c’est précisément faute d’avoir obtenu cette autorisation que l’auteur a été contraint de fournir une adresse différente de celle de sa résidence. L’État partie n’a pas expliqué ce qui justifiait cette différence de traitement entre nationaux et étrangers résidant régulièrement sur le territoire.

8.En l’absence d’explications satisfaisantes de l’État partie sur ce qui justifie une restriction à un droit reconnu par le Pacte, il ne revient pas au Comité de se substituer à l’État partie et de spéculer sur de telles justifications. Or, c’est pourtant à une telle spéculation que se livre le Comité dans cette décision d’irrecevabilité, en insistant notamment sur le fait que l’auteur avait la qualité d’étranger, sous-entendant par là qu’il est légitime en général que l’État exerce un contrôle de police sur les populations étrangères sur son territoire, même en situation régulière.

9.Pourtant, dans son observation générale no 27 (1999) sur la liberté de circulation, le Comité a considéré qu’« [u]ne fois qu’un étranger se trouve légalement sur le territoire d’un État, toute restriction aux droits qui lui sont garantis aux paragraphes 1 et 2 de l’article 12 ainsi que toute différence de traitement par rapport aux nationaux doivent être justifiées au regard du paragraphe 3 de l’article 12 » (par. 4).

10.Le Comité semble également retenir deux autres éléments : la faiblesse de l’amende et le fait que l’auteur ne se serait pas conformé à la loi en vigueur. Certes, l’amende infligée à l’auteur ne représentait pas une somme très importante − même s’il faut noter que par rapport au salaire moyen au Kazakhstan, 85 dollars représente un montant non négligeable. Mais si la doctrine de de minimis non curat praetor a été intégrée récemment dans deux instruments internationaux (le Protocole no 14 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, amendant le système de contrôle de la Convention, et le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), elle n’est pas prévue par le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Comité ne l’a jamais utilisée. La faiblesse du montant de l’amende ne saurait donc, en tant que telle, venir à l’appui de l’irrecevabilité de la demande. Dans le même ordre d’idée, l’irrecevabilité ne saurait être fondée sur le constat que l’auteur a violé la loi du pays, car il n’existe pas non plus de doctrine des « mains propres » devant le Comité, pas plus d’ailleurs que devant d’autres instances juridictionnelles internationales. Et cela d’autant moins que l’on peut raisonnablement douter de la conformité de la législation nationale avec l’article 12 du Pacte, comme l’a d’ailleurs relevé le Comité dans ses observations finales citées plus haut. Le fait que l’auteur ait commis une infraction au regard de la législation nationale ne rend pas celle-ci conforme au Pacte et ne dispense pas l’État partie de justifier les restrictions apportées à l’exercice des droits garantis par l’article 12.

11.Enfin, nous ne voyons pas comment réconcilier la décision prise par le Comité dans cette affaire et celle prise dans ses constatations en l’affaire Ory c. France. Dans cette affaire, l’auteur s’était vu infliger une amende de 150 euros (ramenée à 50 euros en appel), sur la base de la législation française imposant à toute personne dépourvue de domicile fixe depuis plus de six mois d’être muni d’un « carnet de circulation ». Ce carnet devait être visé tous les trois mois par la police pour que l’intéressé puisse circuler en France. Le Comité a considéré qu’il y avait là une restriction à la liberté de circulation prévue par le paragraphe 1 de l’article 12 (par. 8.3). Il a constaté que la restriction était « prévue par la loi » (par. 8.4). Il a noté que l’État partie avait affirmé que cette restriction poursuivait le but de maintien de l’ordre public. Il s’est ensuite demandé si la restriction était « nécessaire et proportionnelle au but visé ». À cet égard, il a reconnu « la nécessité pour l’État partie de contrôler, à des fins de sécurité et d’ordre public, que les personnes qui changent régulièrement de lieu de résidence soient et demeurent identifiables et joignables ». Il a cependant conclu, au paragraphe 8.5 de ses constatations, à une violation de l’article 12 dans les termes suivants :

« Le Comité observe toutefois que l’État partie n’a pas démontré que la nécessité de faire viser le carnet de circulation à intervalles rapprochés, ainsi que d’assortir cette obligation de contraventions pénales (art. 20 du décret no 70-708 du 31 juillet 1970), sont des mesures nécessaires et proportionnelles au résultat escompté. Le Comité en conclut qu’une telle restriction au droit à la liberté de circulation de l’auteur n’était pas compatible avec les conditions établies au paragraphe 3 de l’article 12 et a constitué en conséquence une violation du paragraphe 1 de l’article 12 à son égard. ».

12.En conséquence, au paragraphe 10 des mêmes constatations, et en conformité avec le paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité a dit que l’État partie était tenu « d’assurer à l’auteur un recours utile, qui comprenne notamment l’expurgation de son casier judiciaire et une indemnisation adéquate pour le préjudice subi, ainsi que la révision du cadre législatif pertinent et de son application dans la pratique, en tenant compte de ses obligations en vertu du Pacte ».

13.Dans l’affaire Ory, l’État partie avait pris la peine d’expliquer les raisons pour lesquelles il considérait que la restriction apportée à la liberté de circulation était justifiée au regard de la poursuite d’un but légitime : le maintien de l’ordre public. Dans la présente affaire, le Kazakhstan n’a pas fait cet effort argumentatif. Dans les deux affaires, l’amende était d’un faible montant (plutôt plus faible dans l’affaire française que dans l’affaire kazakhe). Dans les deux cas, le système d’enregistrement limitait la liberté de circulation des auteurs. Dans le cas Ory, l’auteur était un citoyen de l’État partie, alors que dans la présente affaire, l’auteur est étranger mais en situation régulière, bénéficiant donc pleinement de la liberté de circulation sur le territoire. En définitive, et en l’absence de toute explication satisfaisante de la part de l’État partie, les différences entre les deux affaires nous paraissent minimes et ne justifiaient certainement pas de parvenir à un constat de violation dans un cas et à une décision d’irrecevabilité dans l’autre.