Communication présentée par:

M. G. C.

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Australie

Date de la communication:

7 avril 2009 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 4 mai 2009 (publiée sous forme de document)

Date des constatations:

26 mars 2015

Objet:

Expulsion vers les États-Unis d’Amérique

Question(s) de procédure:

Défaut de fondement; non-épuisement des recours internes

Question(s) de fond:

Détention arbitraire; expulsion d’étrangers légalement présents sur le territoire; égalité des armes et procédure équitable; immixtion arbitraire dans la vie de famille; intérêt supérieur de l’enfant

Article(s) du Pacte:

9 (par. 1), 13, 14, 17, 18 (par. 4), 23 (par. 1 et 4) et 24 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

1, 2, 3 et 5 [par. 2 b)]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (113e session)

concernant la

Communication no 1875/2009 *

Présentée par:

M. G. C.

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Australie

Date de la communication:

7 avril 2009 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 mars 2015,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1875/2009 présentée par M. G. C. en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est M. G. C., de nationalité américaine, né le 1er juillet 1970. Il affirme que les droits qu’il tient du paragraphe 4 de l’article 18, des paragraphes 1 et 4 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte seraient violés s’il était expulsé vers les États-Unis d’Amérique. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 4 mai 2009, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, a décidé de ne pas demander à l’État partie de s’abstenir d’expulser l’auteur vers les États-Unis d’Amérique. L’auteur a été expulsé d’Australie le 8 mai 2009.

Exposé des faits

2.1L’auteur est arrivé en Australie en juin 1994 avec un visa de tourisme (court séjour) et a épousé une citoyenne australienne en 1999. Il a obtenu un visa de conjoint par le mariage. L’auteur et son épouse ont divorcé le 25 août 2004. Le 20 juillet 2005, l’auteur a eu un fils né d’une union avec une autre femme, également de nationalité australienne, de laquelle il est à présent séparé. Le 29 mai 2006, le Tribunal fédéral de première instance a rendu en faveur de l’auteur des « ordonnances de contact » lui donnant le droit d’avoir des contacts avec son fils avec le consentement de son ancienne compagne.

2.2Entre 1998 et 2002, l’auteur a commis une série d’infractions pénales. Il a notamment frauduleusement demandé à bénéficier de crédits d’impôt sur le revenu et a utilisé de faux comptes bancaires et de fausses cartes de crédit. Le 13 novembre 2003, il a plaidé coupable et a été reconnu coupable par le tribunal du district du Queensland de plusieurs infractions, notamment de fraude et de malhonnêteté. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement. Certains des chefs retenus contre lui ont été ensuite annulés par la Cour suprême du Queensland statuant en appel en raison d’une erreur dans l’acte d’accusation. L’auteur a bénéficié d’une libération conditionnelle en octobre 2004 après avoir purgé une partie de sa peine.

2.3Le 1er juin 2005, un délégué du Ministre de l’immigration et des affaires multiculturelles et autochtones (Ministre de l’immigration) a décidé que l’auteur ne remplissait pas les « critères de personnalité » visés à l’article 501 de la loi sur les migrations, et a exercé le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 2 de l’article 501 de la loi afin d’annuler son visa. L’article 501 [par. 6 a)] dispose qu’une personne qui a des antécédents judiciaires graves ne satisfait pas aux critères de personnalité. Une personne qui a été condamnée à une peine d’emprisonnement de douze mois ou plus est considérée comme ayant des antécédents judiciaires. L’auteur avait été condamné à des peines d’emprisonnement d’une durée supérieure le 13 novembre 2003. Du fait de l’annulation de son visa, l’auteur est devenu un « non-ressortissant en situation irrégulière » et a donc été placé, le 20 octobre 2005, dans un centre de rétention pour immigrants dans lequel il a séjourné jusqu’à ce que toutes les procédures en cours soient achevées.

2.4Le 28 février 2007, le Tribunal des recours administratifs a confirmé la décision du délégué du Ministre de l’immigration. Il a précisé qu’il était tenu d’appliquer l’instruction ministérielle no 21 (refus ou annulation de visa au titre de l’article 501), publiée en vertu de l’article 499 de la loi. Le Tribunal a indiqué que conformément à l’instruction en question, les trois considérations principales à prendre en compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 501 de la loi étaient : la protection des membres de la communauté australienne; les attentes de la communauté australienne; et, dans les affaires où entrait en ligne de compte un lien parental ou un autre lien étroit entre la personne concernée et un enfant, l’intérêt supérieur de l’enfant.

2.5Concernant l’intérêt supérieur de l’enfant, le Tribunal des recours administratifs a admis qu’il était en général dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’être avec ses parents. Toutefois, s’agissant du fils de l’auteur, le Tribunal a aussi constaté que l’enfant n’était âgé que de 19 mois environ au moment de l’audience, que l’auteur en avait été séparé depuis qu’il avait été placé dans un centre de rétention pour immigrants en octobre 2005 et que, « même si l’auteur aurait préféré ne pas subir une aussi longue période de séparation forcée », il n’existait pas de lien établi entre l’auteur et son fils. Compte tenu de son éloignement d’avec la mère de l’enfant, il était peu probable que l’auteur développe des liens étroits avec celui-ci. Bien que la relation entre l’auteur et son ancienne compagne au moment de l’audience ne puisse pas être qualifiée d’hostile, elle était sans aucun doute tendue. En outre, une éventuelle récidive de l’auteur aurait compromis l’éducation de l’enfant. Dans ces circonstances, le Tribunal des recours administratifs a considéré que, pour les raisons énoncées et dans l’intérêt supérieur de l’enfant, le visa de l’auteur devait être annulé.

2.6Le 20 novembre 2007, la Cour fédérale a rejeté le recours formé par l’auteur, et un autre recours introduit devant la chambre plénière de la Cour fédérale a été rejeté le 5 septembre 2008. Dans ces deux recours, trois points principaux étaient soulevés. Premièrement, l’auteur affirmait que le Tribunal des recours administratifs avait commis une erreur en ne tenant pas compte des ordonnances rendues par le Tribunal fédéral de première instance qui l’autorisaient à rendre visite à son fils. Le juge principal de la Cour a estimé que le Tribunal des recours administratifs avait connaissance des ordonnances rendues par le Tribunal fédéral de première instance. Ces ordonnances n’assurant à l’auteur qu’un minimum de contacts avec son fils, il était loisible au Tribunal des recours administratifs de conclure qu’il était peu probable que l’auteur établisse un lien étroit avec l’enfant. L’auteur a également fait valoir que la décision du Tribunal fédéral de première instance de rendre des ordonnances de contact en sa faveur démontrait que ces contacts étaient dans l’intérêt supérieur de son fils. La Cour fédérale a estimé que le Tribunal des recours administratifs n’était pas lié par l’avis exprimé par le Tribunal fédéral de première instance. Pour les mêmes raisons que celles avancées par le juge principal, la chambre plénière a déclaré que le Tribunal des recours administratifs n’avait pas commis d’erreur dans la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant.

2.7Deuxièmement, l’auteur affirmait que le Tribunal des recours administratifs avait dénaturé le pouvoir discrétionnaire qu’il exerçait; un argument qu’ont rejeté tant le juge principal que la chambre plénière.

2.8Troisièmement, le juge principal et la chambre plénière ont rejeté l’argument selon lequel le Tribunal n’avait pas pris en compte plusieurs éléments pertinents, à savoir les obligations incombant à l’Australie en vertu de certains instruments internationaux, la détresse qu’infligerait à l’auteur la perte de contact avec son fils, et le fait que l’auteur n’avait pas été averti que la commission d’infractions graves pouvait entraîner l’annulation de son visa. La chambre plénière a indiqué qu’il n’y avait pas lieu pour le Tribunal des recours administratifs de prendre en compte les effets des instruments internationaux. S’agissant de la détresse de l’auteur, pour autant qu’elle puisse être considérée comme un argument pertinent, aucun élément de preuve concret permettant d’en attester n’avait été soumis au Tribunal des recours administratifs. De plus, même si cet argument avait été jugé pertinent, l’auteur n’aurait pas pu être mis en garde contre le risque de voir son visa annulé puisqu’à cette date il avait déjà été reconnu coupable de plusieurs infractions. L’auteur a fait appel du jugement de la chambre plénière à deux reprises sans succès, et les procédures ont pris fin le 27 mars 2009.

2.9En parallèle, le 19 septembre 2008, l’auteur a présenté une demande de visa de protection. Le 8 octobre 2008, cette demande a été rejetée au motif que l’auteur ne répondait pas à la définition d’un réfugié. Le 15 octobre 2008, l’auteur a saisi le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, lequel a, le 23 décembre 2008, confirmé la décision du délégué de refuser un visa de protection à l’auteur.

2.10Le 3 avril 2009, l’auteur a écrit au Ministre de l’immigration pour lui demander d’exercer personnellement le pouvoir discrétionnaire que lui conférait l’article 417 de la loi sur les migrations et, ce faisant, de prendre en considération la Convention relative aux droits de l’enfant. Le 8 avril 2009, le Ministre a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire dans le cas de l’auteur.

Teneur de la plainte

3.1Dans sa lettre initiale, l’auteur dénonce une violation du paragraphe 4 de l’article 18, des paragraphes 1 et 4 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte. Dans ses commentaires, il ajoute des griefs de violation des articles 9, 13, 14 et 17 du Pacte (voir les paragraphes 5.1 à 7.12 et le paragraphe 9.4 ci-dessous). L’auteur dénonce également une violation des articles 9 et 27 de la Convention relative aux droits de l’enfant.

3.2Il est indiqué dans l’avis d’expulsion de l’Australie, qui n’est pas daté, que l’auteur ne pourra prétendre à aucun autre visa étant donné que celui qu’il détenait a été annulé au titre de l’article 501 de la loi sur les migrations [art. 501 (par. 6 a)] – antécédents judiciaires graves; et art. 501 [par. 6 c) i) et ii)] – critères de personnalité). Conformément à l’annexe 5 (Critères spéciaux de retour) de la loi sur les migrations, la possibilité d’obtenir un visa est affectée de façon permanente (interdiction définitive du territoire).

3.3L’auteur fait valoir qu’aucune évaluation psychologique visant à déterminer le risque de récidive ou le risque qu’il représentait pour la société australienne n’a été réalisée, ou en tout cas que les résultats ne lui ont pas été communiqués. En outre, il n’a été assisté d’un conseil à aucun stade des diverses procédures engagées alors qu’il se trouvait en rétention.

3.4L’auteur a passé en rétention la majeure partie du temps qui s’est écoulé depuis la naissance de son fils. Il affirme qu’il s’est malgré tout efforcé d’être présent dans la vie de son enfant. Le 29 mai 2006, le Tribunal fédéral de première instance a rendu des ordonnances de contact autorisant l’auteur à rendre visite à son fils avec le consentement de la mère, ce qui signifie que du point de vue du droit australien de la famille, il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant de maintenir le contact avec son père. Ces ordonnances de contact étant fondées sur le consentement de la mère de l’enfant, elles n’obligent en rien celle-ci à garantir les contacts entre l’auteur et son fils. Les ordonnances de contact initialement délivrées (encore en cours de validité) étant d’une durée limitée, le 7 avril 2009 l’auteur a saisi le Tribunal de la famille d’une demande visant à obtenir la garde exclusive de son fils (il n’avait pas encore été statué sur cette demande à la date de la présentation de la communication et la demande n’a pas d’effet suspensif). De plus, le placement de l’auteur en rétention l’a privé de la possibilité d’obtenir la garde parentale conjointe. L’auteur fait valoir que compte tenu des relations difficiles qu’il entretient avec la mère de son enfant, il doute qu’elle fera en sorte qu’il garde des contacts avec son fils une fois qu’il aura été expulsé vers les États-Unis. L’auteur ajoute qu’il a séjourné plus de dix ans en Australie et n’a conservé aucun lien avec les États-Unis, ce qui rendrait son retour dans ce pays particulièrement difficile.

3.5L’auteur affirme que la décision de l’expulser a été prise sans qu’il soit tenu compte de la protection à laquelle la famille avait droit de la part de l’État en vertu du Pacte ni de ses droits en tant que père ou de la protection qu’il était nécessaire d’assurer à son fils du fait de la rupture de sa relation avec son ancienne compagne.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 30 septembre 2010, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication, soulignant que l’auteur n’avait pas étayé ses allégations puisqu’il ne formulait pas de griefs précis au titre des articles invoqués mais affirmait seulement de manière générale qu’il ne pourrait exercer les droits que lui conférait le Pacte qu’à condition d’être autorisé à rester en Australie, et que son expulsion l’empêcherait d’exercer les droits qu’il revendiquait.

4.2L’État partie juge irrecevable le grief de violation de l’article 18 au motif que l’auteur n’a pas démontré en quoi il a été porté atteinte à son droit d’assurer l’éducation religieuse et morale de son fils conformément à ses propres convictions. De plus, rien ne prouve que le fils de l’auteur reçoive une éducation contraire aux convictions de son père.

4.3De surcroît, ces allégations sont infondées. L’auteur n’a communiqué aucun élément qui tendrait à démontrer que l’éducation que reçoit son fils comprend l’enseignement d’une religion ou d’une croyance en particulier ou que l’État partie s’est immiscé dans l’éducation religieuse et morale de son fils. Rien ne laisse penser que la mère de l’enfant, qui est sa tutrice légale, ait exprimé de quelconques préoccupations au sujet de l’éducation religieuse et morale de son fils, ni que le système d’enseignement public de l’État partie en général contrevient à l’article du Pacte invoqué. L’État partie ajoute que rien dans la teneur de l’article 18 ne suggère que l’auteur doive impérativement se trouver dans la même juridiction que son fils afin d’exercer son droit d’assurer l’éducation religieuse et morale de l’enfant. Le fait que l’auteur risque d’avoir peu de contacts avec son fils en raison de son expulsion d’Australie ne signifie pas que l’État partie enfreigne ce droit.

4.4L’État partie considère que l’auteur n’a pas étayé ses griefs de violation de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 car il n’a pas démontré que les autorités de l’État partie n’avaient pas tenu compte de sa situation familiale lorsqu’elles avaient décidé d’annuler son visa. Au contraire, les obligations incombant à l’État partie en vertu des articles 17 et 23 du Pacte avaient été dûment prises en considération par le délégué du Ministre lorsqu’il avait pris sa décision. Cette question avait également été expressément prise en compte dans la décision du Tribunal des recours administratifs, qui avait réexaminé la décision du délégué.

4.5S’agissant du grief de violation des droits que le fils de l’auteur tient du paragraphe 1 de l’article 24, l’État partie le juge irrecevable car les conditions requises à l’article premier du Protocole facultatif pour être considéré comme une victime ne sont pas remplies. La communication a été soumise au nom de l’auteur uniquement, et non de son fils. C’est le droit de l’enfant qui est protégé par la disposition invoquée, et seul le fils de l’auteur, et non l’auteur lui-même, pourrait être considéré comme victime d’une violation du droit qu’elle consacre. Sur le fond, l’expulsion de l’auteur n’a pas eu pour conséquence de priver l’enfant de protection, puisque sa mère continue d’en avoir essentiellement la charge. En outre, rien ne permet de démontrer que le système existant dans l’État partie n’est pas assorti des mesures de protection des mineurs requises. L’État partie a expressément tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant lorsqu’il a décidé si l’auteur devait ou non être expulsé d’Australie.

4.6Concernant le droit de l’auteur de demander la garde de son fils, le grief formulé est irrecevable car les recours internes n’ont pas été épuisés. Bien qu’il se trouve à présent en dehors du territoire australien, l’auteur n’est pas empêché de saisir les tribunaux australiens de la famille pour demander que des ordonnances soient rendues au sujet de la garde de son fils. Si les ordonnances parentales déjà rendues sont toujours valables, l’auteur peut demander au tribunal d’en modifier la teneur au motif qu’il s’est produit un changement important dans la situation familiale justifiant le réexamen d’ordonnances définitives. Lorsque l’un des parents réside à l’étranger et ne peut pas entrer sur le territoire australien, les tribunaux déterminent si l’intérêt supérieur de l’enfant est de résider à l’étranger avec ce parent ou de se rendre à l’étranger pour lui rendre visite, suivant la nature des requêtes présentées au tribunal concernant la garde de l’enfant.

4.7Pour le cas où le Comité conclurait à la recevabilité des allégations de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 23, l’État partie affirme que ces allégations sont infondées. L’auteur ne peut pas prétendre qu’il fait partie d’une famille au sens des articles 17 et 23 du Pacte en se fondant sur ses liens avec son fils. En plus des liens du sang et des liens créés par des actes juridiques (comme le mariage ou l’adoption), d’autres critères doivent être réunis pour que l’on puisse parler de « famille ». Dans l’affaire Balaguer Santacana c. Espagne, le Comité a retenu comme critères nécessaires pour parler de famille « la vie commune, les liens économiques, une relation régulière et intense ». Or, les éléments dont disposent les tribunaux australiens démontrent que les contacts entre l’auteur et son fils sont très limités. S’il est prouvé que l’auteur a rendu visite à son fils au domicile de son ancienne compagne les 13, 20 et 28 août 2005, et que d’autres visites devaient avoir lieu ultérieurement dans l’espace de rencontre Building Bridges à Lutwyche, aucun élément attestant de visites ultérieures n’a été présenté au Tribunal des recours administratifs. L’ancienne compagne de l’auteur a par ailleurs apporté au Tribunal la preuve que l’auteur n’avait jamais honoré l’accord financier souscrit entre eux. L’auteur lui-même admet qu’en raison de son séjour en centre de rétention pour immigrants, il ne s’est pas tissé de liens solides avec son fils, qu’il a peu contribué financièrement à l’entretien de l’enfant et qu’il ne l’a pas vu pendant près de quatre ans. Le Tribunal des recours administratifs a estimé qu’en dehors de leur lien biologique, rien ne permettait de considérer l’auteur et son fils comme formant une famille.

4.8Bien qu’il ait pu être difficile pour l’auteur d’établir une telle relation avec son fils alors qu’il se trouvait en rétention, il est à noter que l’auteur a été arrêté parce que, son visa ayant été annulé, il n’avait plus de raison légitime de demeurer en Australie. En outre, le Tribunal des recours administratifs disposait d’éléments attestant que l’auteur savait, avant que son fils ait été conçu, que son visa pouvait être annulé en vertu de l’article 501 de la loi sur les migrations. Quelles que soient les circonstances dans lesquelles l’auteur a été placé après la naissance de son fils, elles étaient prévisibles, et le fait que son fils soit de nationalité australienne n’autorise pas l’auteur à invoquer la protection due à la famille en vertu du Pacte dans le but d’échapper à une mesure d’expulsion.

4.9Pour le cas où le Comité rejetterait l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur et son fils ne forment pas une famille au sens des articles 17 et 23 du Pacte, l’État partie fait observer que le Tribunal des recours administratifs a pris en considération le droit de l’auteur à la vie de famille comme l’intérêt supérieur de l’enfant, et que toute immixtion éventuelle n’était pas arbitraire mais conforme à la législation australienne. L’État partie a le droit d’expulser des non-ressortissants pour des motifs de nature publique et, dans le cas de l’auteur, ses droits familiaux ont été mis en balance avec l’intérêt légitime qu’avait l’État partie à assurer le contrôle de l’immigration. L’auteur a été expulsé d’Australie parce qu’il était un non-ressortissant en situation irrégulière et n’avait pas de raison légitime de demeurer dans le pays. Il a, en conséquence, fait l’objet d’une mesure de renvoi au titre de l’article 198 de la loi sur les migrations. L’auteur est devenu un non-ressortissant en situation irrégulière après que son visa de conjoint a été annulé parce que, ayant commis une série d’infractions entre 1998 et 2002, il ne satisfaisait pas aux critères de personnalité visés à l’article 501 de la loi sur les migrations. Si certains des chefs retenus contre lui, pour lesquels l’auteur avait plaidé coupable, ont été annulés pour des raisons techniques, chacune des six autres infractions dont l’auteur a été reconnu coupable lui a valu une peine d’un an et demi d’emprisonnement.

4.10Pour décider s’il y avait lieu d’exercer le pouvoir discrétionnaire conféré à l’article 501 (par. 2) de la loi sur les migrations, le délégué du Ministre comme le Tribunal des recours administratifs ont appliqué l’instruction ministérielle no 21, en tenant compte des trois considérations essentielles que sont : a) la protection de la communauté australienne et de ses membres; b) les attentes de la communauté australienne; et c) dans tous les cas où entre en ligne de compte un lien parental ou un autre lien étroit entre l’enfant ou les enfants et la personne concernée, l’intérêt supérieur de l’enfant. L’instruction énonce également des critères à prendre en compte dans l’évaluation : a) de la nature et de la gravité du comportement; b) du risque de récidive; et c) de la probabilité que le refus ou l’annulation de visa empêche ou dissuade la récidive.

4.11Contrairement à ce que prétend l’auteur, le Tribunal des recours administratifs a analysé les allégations de l’auteur relatives au traitement de sa toxicomanie et au risque de récidive. Sur la base des preuves dont il était saisi, le Tribunal a conclu que les éléments communiqués par l’auteur concernant le traitement de sa toxicomanie n’étaient guère cohérents et qu’il n’avait donc pas démontré qu’il avait surmonté son addiction et qu’il ne présentait pas de risque de nouvelle infraction.

4.12Contrairement à ce que prétend l’auteur également, le Tribunal des recours administratifs avait examiné la question de la protection de la famille et de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il a tenu compte du fait que le fils de l’auteur était âgé de seulement 19 mois au moment où il rendait son jugement, que l’auteur avait été séparé de son fils alors que celui-ci avait moins de 4 mois, qu’il n’existait pas de lien établi entre l’auteur et son fils, et qu’il était peu probable qu’un tel lien puisse s’établir dans l’avenir. Le Tribunal a également tenu compte du fait qu’une récidive, dont le risque était important, compromettrait l’éducation de l’enfant. Bien que le Tribunal ait relevé que l’auteur souhaitait rester en Australie dans le but de tisser des liens avec son fils, il a considéré qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’annuler le visa de l’auteur. Cette décision a été confirmée à deux reprises par la Cour fédérale.

4.13Le Tribunal des recours administratifs a porté une attention particulière à l’argument de l’auteur selon lequel en rendant des ordonnances l’autorisant à rendre visite à son fils, le Tribunal fédéral de première instance avait indiqué qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant de permettre à celui-ci d’être en contact avec son père. Le Tribunal a cependant estimé qu’il n’était pas lié par l’avis du Tribunal fédéral de première instance et pouvait se forger sa propre opinion de ce qui était dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Le Tribunal et le délégué du Ministre ont tenu compte des droits de l’auteur découlant des articles 17 et 23 du Pacte et estimé qu’en dehors du fils de l’auteur, aucun des proches de l’auteur résidant en Australie ne subirait de préjudice particulier du fait de son expulsion. Les questions concernant le fils de l’auteur ont été étudiées séparément dans le cadre de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant.

4.14Le Comité a antérieurement affirmé que la séparation d’une personne d’avec sa famille pouvait être considérée comme une immixtion arbitraire « si, dans les circonstances de la cause, la séparation et ses effets sur l’auteur étaient disproportionnés par rapport aux objectifs visés ». Compte tenu du lien ténu existant entre l’auteur et son fils, et de l’intérêt légitime qu’a l’État partie à protéger la communauté australienne contre une récidive de l’auteur, la séparation de l’auteur d’avec son fils n’était pas disproportionnée par rapport à l’objectif visé par l’annulation de son visa. Dans l’affaire Canepa c. Canada, le Comité a admis que lorsque l’expulsion d’un individu visait à protéger la société contre tout nouveau comportement délictueux et qu’il n’existait pas de dépendance financière de l’auteur vis-à-vis de sa famille, il n’y avait pas de circonstances particulières à l’auteur ou à sa famille qui conduiraient le Comité à conclure que son expulsion était une immixtion arbitraire dans sa famille. En outre, le Comité a considéré que la naissance d’un enfant ou le fait qu’en application de la loi cet enfant acquiert la nationalité à la naissance ou ultérieurement ne suffit pas pour rendre arbitraire la perspective d’expulsion d’un parent ou des deux.

4.15L’auteur a fait valoir qu’il n’avait été assisté d’un conseil à aucun stade des diverses procédures engagées alors qu’il se trouvait en rétention. L’État partie reconnaît que l’auteur n’était pas assisté d’un conseil lorsqu’il a comparu devant le Tribunal des recours administratifs. Il était toutefois représenté lors des deux procédures d’appel devant la Cour fédérale ainsi que lorsqu’il a demandé au Ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire au titre de l’article 417 de la loi sur les migrations. Il existe un certain nombre de moyens que l’auteur aurait pu employer afin de se faire assister dans le cadre de la procédure devant le Tribunal des recours administratifs. Il n’est pas prévu d’aide juridictionnelle dans les affaires d’immigration, sauf lorsqu’une personne conteste la légalité de son placement en rétention. Toutefois, les personnes placées en rétention peuvent bénéficier de conseils en matière d’immigration et d’une aide pour la présentation de demandes dans le cadre de programmes menés avec la coopération d’organismes d’aide juridictionnelle. Un avocat commis d’office est présent au greffe du Tribunal des recours administratifs une fois par semaine ou toutes les deux semaines et peut fournir aide et conseil aux personnes assurant leur propre défense. Le Tribunal adresse également ces personnes à des centres d’assistance juridique et à d’autres prestataires susceptibles de leur fournir des conseils ou de les assister. Rien ne prouve que l’auteur, s’il l’avait voulu, n’aurait pas pu se faire assister par un représentant de son choix.

4.16L’État partie relève le grief formulé par l’auteur qui affirme qu’en décidant de l’expulser d’Australie, les autorités n’ont pas tenu compte de ses droits en tant que père, ni de la protection qu’il était nécessaire d’assurer à son fils du fait de la rupture de sa relation avec son ancienne compagne. L’État partie juge ce grief irrecevable car non étayé. Pour le cas où le Comité conclurait à la recevabilité de ce grief, l’État partie affirme qu’il est infondé. Le principe de l’égalité de responsabilité parentale est à la base du droit australien de la famille. L’article 61DA de la loi de 1975 du Commonwealth relative à la famille dispose que lorsqu’il rend une ordonnance relative à la garde d’un enfant, le tribunal doit partir du principe que le partage égal des responsabilités parentales entre les deux parents est dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Le tribunal peut toutefois être saisi de preuves le convainquant que le partage des responsabilités à parts égales ne serait pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant. L’État partie estime que les tribunaux, en l’espèce, ont agi dans le respect du droit lorsqu’ils ont évalué la situation.

4.17L’État partie considère que les griefs de violation de la Convention relative aux droits de l’enfant sont irrecevables ratione materiae car le Comité a seulement compétence pour examiner des allégations de violation de l’un quelconque des droits protégés par le Pacte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1En date du 23 mars 2011, l’auteur signale qu’il considère également que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 9 du Pacte en ce que son placement dans un centre de rétention pour immigrants était arbitraire. Dans une lettre datée du 20 octobre 2005, premier jour de son séjour en rétention, l’auteur a été informé que son « cas » était apparemment « à l’examen » avant qu’il soit décidé de l’envoyer au centre de détention de Baxter, établissement de haute sécurité. L’auteur n’a jamais su ce que ce terme de « cas » renfermait. La loi sur les migrations prévoit le placement en rétention des non-ressortissants en situation irrégulière, mais elle n’exige pas qu’ils soient placés dans des établissements fermés/sécurisés.

5.2L’auteur dénonce également la longueur de sa détention, laquelle n’était, de son point de vue, ni nécessaire ni requise pour protéger la communauté australienne. Le Comité a considéré antérieurement qu’il ne fallait pas donner au mot « arbitraire » le sens de « contraire à la loi » mais qu’il fallait l’interpréter plus largement pour viser ce qui est inapproprié, injuste et imprévisible.

5.3L’auteur fait observer que le Gouvernement avait connaissance de sa condamnation et de tous les détails la concernant. En juin 2004, l’auteur a été remis en liberté après que le Conseil des services correctionnels communautaires du Queensland a évalué son cas et décidé qu’il était apte à réintégrer la communauté australienne. Si le Gouvernement australien avait craint que l’auteur puisse représenter un quelconque danger pour la communauté compte tenu de ses antécédents judiciaires, il aurait eu suffisamment de temps, entre la condamnation du 13 novembre 2003 et la décision de juin 2004 du Conseil des services correctionnels, pour annuler son visa et empêcher sa remise en liberté. L’auteur renvoie à la jurisprudence du Comité dont il ressort que si la rétention d’immigrants à des fins administratives n’est pas en soi arbitraire, une détention prolongée à ces fins peut être arbitraire lorsqu’elle se prolonge au-delà de la période pour laquelle l’État partie est en mesure d’apporter une justification valable. Dans le cas de l’auteur, toutes les peines avaient officiellement été purgées en septembre 2005, soit un mois avant son placement en rétention. À l’époque, cela faisait un an qu’il avait été remis en liberté et il se présentait régulièrement au bureau de libération conditionnelle sans qu’aucun incident ne soit signalé.

5.4L’État partie n’a pas apporté la preuve que des mesures moins intrusives n’auraient pas pu servir le même but, c’est-à-dire faire en sorte que l’auteur se présente aux autorités aux fins de son expulsion, le cas échéant. Par exemple, la mise en place d’un contrôle judiciaire ou le port de capteurs à radiofréquence auraient permis à l’auteur de demeurer au sein de la communauté tout en étant sous surveillance, ce qui était déjà le cas depuis sa libération conditionnelle. À cette époque, il avait un enfant qu’il souhaitait voir régulièrement.

5.5L’auteur affirme qu’une rétention de trois ans et demi est déraisonnable et injuste quelles que soient les circonstances, eu égard au fait qu’il avait passé deux ans et demi en prison pour ce qui pouvait être considéré comme des motifs plus graves; qu’en Australie, il n’existe aucun moyen auquel il aurait pu avoir recours pour faire contrôler les motifs de sa détention au-delà de la question de savoir s’il répondait ou non à la définition d’un « non-ressortissant en situation irrégulière ».Les arguments de l’État partie concernant les déclarations fausses et mensongères qu’il aurait faites en 2004 dataient de plus de cinq ans au moment de son expulsion en mai 2009 et que le Gouvernement australien a invoqué ces arguments comme obstacle à sa remise en liberté et/ou à l’octroi d’un visa.Indépendamment de ce qui précède, l’auteur considère que les décisions d’annuler son visa étaient illégales, et que par conséquent sa détention et son expulsion étaient contraires à la loi.

5.6L’État partie n’a pas fourni la preuve que la mesure de placement en rétention le concernant ait été réexaminée ou, si elle l’a été, que ledit examen ait été mené dans le respect des règles élémentaires d’équité. Le Gouvernement australien n’a pas contesté ce point. L’absence de réexamen judiciaire de la détention a donné lieu à de nombreux débats et suscité beaucoup de critiques.

5.7L’article 198 (par. 6) de la loi sur les migrations, en vertu duquel l’auteur a été expulsé, dispose qu’un non-ressortissant doit être expulsé s’il a présenté une demande de visa qui a été rejetée de manière définitive. L’auteur a été placé en rétention après que son visa a été annulé en vertu de l’article 501 de la loi sur les migrations et non parce qu’un visa lui avait été refusé. L’auteur était en possession d’un visa valide jusqu’à ce que celui-ci soit annulé en septembre 2008, et les procédures engagées auprès du Tribunal des recours administratifs et des tribunaux fédéraux avaient pour unique objectif non pas l’obtention d’un visa mais l’infirmation de la décision d’annulation de son visa. La disposition pertinente en matière d’expulsion n’aurait pas pu s’appliquer à l’auteur avant, au plus tôt, septembre 2008, ce qui signifie que toute rétention antérieure à cette date était arbitraire et visait un but autre que ceux qui pouvaient être légalement atteints au moyen de la loi de 1958 sur les migrations. Aucune disposition de la loi sur les migrations n’est censée donner autorité au Gouvernement australien pour, entre autres, détenir une personne aux fins de son expulsion d’Australie si cette personne a été placée en détention après que son visa a été annulé en vertu de l’article 501. L’auteur considère qu’il faut donner aux termes utilisés leur signification ordinaire. Il affirme par conséquent que sa rétention était abusive, inutile, disproportionnée, inappropriée, injustifiée et arbitraire au sens du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

5.8L’auteur fait également valoir que son expulsion n’était pas conforme à la loi, et qu’elle était donc contraire à l’article 13 du Pacte. Il affirme que les autorités australiennes ont enfreint les règles élémentaires d’équité et/ou d’équité procédurale lorsqu’elles ont pris leurs décisions (que ce soit la décision initiale du délégué du Ministre de l’immigration ou celle du Tribunal des recours administratifs). Au cours de la procédure, l’ancienne compagne de l’auteur a été citée en tant que témoin et a prétendu avoir subi des violences de la part de l’auteur. Ce dernier dit qu’il n’a pas eu connaissance des preuves présentées par son ancienne compagne et que le contre-interrogatoire a été mené sans que les preuves lui aient été communiquées à l’avance. L’auteur affirme en outre que des éléments concernant sa relation avec son ancienne compagne ont été utilisés contre lui dans la procédure alors qu’il ne savait pas qu’un tel comportement constituait une infraction au regard du droit australien. Pour toutes ces raisons, l’auteur estime que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 13 du Pacte.

5.9L’auteur affirme que les faits exposés ci-dessus constituent également une violation de l’article 14 car le principe de l’égalité des armes n’a pas été respecté. L’État partie a eu connaissance des accusations portées par l’ancienne compagne de l’auteur dès avril 2005, soit bien avant la date de l’audience devant le Tribunal des recours administratifs. L’auteur ne comprend pas pourquoi cet élément de preuve ne lui a pas été communiqué à l’avance de façon qu’il soit en mesure de le contester avant le contre-interrogatoire. Parce qu’il a été détenu arbitrairement dans un centre de rétention pour immigrants pendant une longue période, il n’a pas pu prouver qu’il pouvait vivre au sein de la société australienne sans représenter une menace. Sa détention l’a également privé de la possibilité de maintenir un lien avec son fils et donc de servir l’intérêt supérieur de l’enfant. L’auteur ajoute qu’avant que le Ministre de l’immigration rende sa décision le concernant, il avait publiquement déclaré qu’« un grand nombre des personnes actuellement en détention représent[ai]ent une grave menace pour la communauté » et qu’il n’avait « aucune intention de les remettre en liberté ». Le fait que le Ministre ait prononcé de tels propos avant de statuer sur le cas de l’auteur constituait une violation du droit à une procédure équitable car le Ministre s’était déjà fait une opinion avant d’examiner les preuves.

5.10En ce qui concerne le terme « famille », il ressort de la jurisprudence du Comité que les objectifs du Pacte exigent qu’aux fins de l’article 17, ce terme soit interprété au sens large, de manière à comprendre toutes les personnes qui composent la famille telle qu’elle est perçue dans la société de l’État partie concerné. Pendant sa rétention, l’auteur a saisi le Tribunal de la famille, qui a rendu des ordonnances l’autorisant à entretenir des contacts avec son fils. Ces ordonnances sont la preuve que l’organe faisant autorité pour ce qui est du droit de la famille a reconnu qu’il existait un lien familial entre l’auteur et son fils. Tous deux constituent donc une famille au sens de l’article 17. L’auteur considère qu’il y a eu immixtion illégale dans sa vie de famille car les décisions d’annuler son visa et le placement en rétention qui s’en est ensuivi n’étaient pas conformes à la loi, comme il l’a expliqué dans les arguments exposés au titre de l’article 13. De plus, son placement en rétention est la seule cause de sa séparation d’avec son fils. S’il a pu, malgré la rétention, obtenir des ordonnances de contact lui permettant de voir son fils, l’auteur estime qu’il aurait pu maintenir des liens bien plus solides avec celui-ci s’il était resté en liberté. L’éloignement entre l’auteur et son ancienne compagne ne devrait pas servir de prétexte pour considérer que le maintien de liens entre l’auteur et son fils n’était guère probable.

5.11Le fait que l’auteur et son fils aient eu peu de contacts en raison du placement en rétention ne peut pas amener à considérer qu’ils ne forment plus une famille; sinon, il en irait de même de nombreux pères séparés de leur enfant pour des raisons indépendantes de leur volonté. Dans ses observations, l’État partie a suggéré un certain nombre de moyens auxquels l’auteur pouvait avoir recours pour voir son fils ou avoir des contacts avec lui. Cependant, l’ancienne compagne de l’auteur s’étant montrée peu disposée à régler la question en privé et l’auteur n’ayant pas les moyens financiers de saisir la justice, il n’aurait probablement pas pu recourir aux possibilités suggérées par l’État partie et, même s’il l’avait pu, son ancienne compagne n’avait guère de raison de se plier aux ordonnances du tribunal. De plus, l’auteur ne devrait pas avoir à recourir aux moyens suggérés par l’État partie alors que ce sont précisément les décisions prises illégalement par celui-ci qui sont la cause directe de la séparation d’avec son fils.

5.12L’auteur conclut que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 9, 13, 14 et 17 du Pacte. Il suggère diverses mesures de réparation des violations commises à son égard, dont une indemnisation et son retour en Australie.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 1er novembre 2012, l’État partie a contesté le bien-fondé des griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 9, estimant que le pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 198 (par. 6) avait été exercé valablement et que le placement de l’auteur dans un centre de rétention pour immigrants dans l’attente de son expulsion n’était pas arbitraire.

6.2Ainsi qu’il est indiqué dans la notice « Your Removal From Australia » (Votre expulsion d’Australie) qui a été remise à l’auteur, l’article 198 (par. 6) de la loi sur les migrations autorise l’expulsion d’un non-ressortissant détenu dont la demande de visa a été rejetée de manière définitive. L’auteur a présenté une demande de visa de protection en bonne et due forme, qui a été rejetée le 8 octobre 2008. La décision a été confirmée de manière définitive par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés le 23 décembre 2008 et l’auteur a été expulsé d’Australie le 8 mai 2009. L’article 198 (par. 6) a donc été valablement appliqué.

6.3La détention de l’auteur a été conforme aux procédures établies par la loi et elle était donc légale. Notant que le Comité a estimé que la détention de non-ressortissants ne possédant pas de visa valide n’était pas arbitraire en soi, l’État partie fait valoir qu’il faut, pour démontrer que la loi n’est pas arbitraire ni contraire à l’article 9, tenir compte de la logique qui sous-tend la législation relative à la rétention d’immigrants. Il peut être nécessaire de placer en rétention des non-ressortissants en situation irrégulière qui ont fini de purger une peine d’emprisonnement pour s’assurer que des personnes qui ne possèdent pas de visa valide puissent être expulsées si rien ne justifie leur présence légale en Australie. Cette procédure est conforme au principe fondamental de souveraineté en droit international, dont découle le droit d’un État de contrôler l’entrée de non-ressortissants sur son territoire. La détention de l’auteur s’est poursuivie tandis qu’il présentait des recours, sur une période de trois ans, contre la décision initiale d’annulation de son visa prise par le Tribunal des recours administratifs.

6.4L’État partie conteste la recevabilité des griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 13 au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés. Les manquements aux règles élémentaires d’équité dénoncés par l’auteur auraient valablement pu faire l’objet d’une procédure d’appel devant la Cour fédérale, en vertu de l’article 44 de la loi de 1975 sur le Tribunal des recours administratifs, si l’auteur estimait que le Tribunal avait fait une erreur sur un point de droit. Cependant, l’auteur n’a invoqué aucun grief de cette nature dans les recours qu’il a introduits devant la Cour fédérale, la chambre plénière de la Cour fédérale et la Haute Cour d’Australie. Sur le fond, pour les raisons mentionnées ci-dessus, l’article 198 (par. 6) a été valablement appliqué. L’annulation du visa de l’auteur a été conforme aux dispositions pertinentes de la loi et l’auteur a pu faire valoir les raisons qui militaient contre son expulsion et faire examiner sa cause par les autorités compétentes. L’auteur affirmait en outre ne pas avoir été informé que des déclarations fausses ou mensongères au Ministre de l’immigration risquaient d’être considérées comme une violation du droit pénal australien et comme un motif d’annulation de son visa. Cependant, le visa de l’auteur a été annulé en vertu de l’article 501 de la loi en raison de ses antécédents judiciaires graves. Les griefs de violation de l’article 13 sont par conséquent sans fondement.

6.5L’État partie considère que les griefs de violation de l’article 14 sont irrecevables ratione materiae étant donné que l’article 13 s’applique à toutes les procédures tendant à contraindre un étranger à quitter le pays, que la législation nationale qualifie ce départ d’expulsion ou qu’elle emploie un autre terme. Si la légalité de l’entrée ou du séjour d’un étranger fait l’objet d’un litige, toute décision pouvant entraîner l’expulsion de l’étranger doit être prise dans le respect de l’article 13. Le Comité a confirmé cette approche dans sa jurisprudence, dont il ressort que de telles affaires relèvent de l’article 13, et non de l’article 14, du Pacte. L’État partie fait valoir également que le grief que l’auteur tire de l’article 14 est irrecevable pour non-épuisement des recours internes, comme c’est le cas également des griefs soulevés au titre de l’article 13. En outre, la déclaration générale faite par le Ministre (voir par. 5.9 ci-dessus) ne prouve en rien que celui-ci manque d’objectivité lorsqu’il détermine si une personne représente ou non un danger grave pour la communauté. L’auteur n’a pas démontré l’existence d’un quelconque lien entre la déclaration du Ministre et le cas de l’auteur.

6.6Sur le fond, l’État partie fait valoir que le but de l’intervention du Ministre est de faire office de « filet de sécurité » pour certains cas exceptionnels et que le Ministre peut utiliser son pouvoir discrétionnaire à cette fin. L’auteur a eu toute possibilité d’être entendu équitablement devant le Tribunal des recours administratifs, la Cour fédérale et la chambre plénière de la Haute Cour d’Australie. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 14.

6.7Concernant l’article 17, en dehors d’arguments généraux au sujet des pères séparés de leurs enfants, l’auteur n’a fourni aucun élément de nature à suggérer qu’il existe des liens étroits avec son fils ou qu’il pourrait en exister à l’avenir. La décision d’annuler son visa et de l’expulser a été prise en raison des infractions commises par l’auteur. L’État partie avait un intérêt légitime à protéger la communauté. Les liens entre l’auteur et son fils ont été pleinement pris en considération par le Tribunal des recours administratifs et l’auteur n’a fourni aucun élément qui permette de conclure que l’évaluation ait été incomplète ou erronée; l’auteur n’a pas non plus soulevé cette question dans les recours formés auprès de la Cour fédérale ou de la Haute Cour d’Australie. L’État partie réaffirme qu’il existe de nombreux moyens auxquels l’auteur aurait pu recourir pour avoir des contacts avec son fils. Sur le fond, l’État partie réaffirme les arguments déjà avancés.

Réponses complémentaires des parties

7.1Dans des lettres datées du 4 novembre 2012 et du 21 janvier 2013, l’auteur réitère ses allégations et ajoute qu’il est victime d’un manquement aux règles élémentaires d’équité étant donné que les autorités nationales ont constaté un comportement délictueux alors qu’il n’existait pas de chef d’accusation pour les faits en cause et qu’il n’avait pas été notifié à l’auteur que ceux-ci seraient retenus contre lui. De fait, en 2003, l’auteur a été inculpé de quatre infractions au droit de l’État et de 15 infractions au droit du Commonwealth. Les quatre condamnations pour infraction au droit de l’État ont été annulées. Toutefois, en 2005, la Cour suprême du Queensland, siégeant en tant que cour d’appel, aurait pris en compte ces quatre condamnations dans la détermination de la peine à infliger pour les infractions au droit du Commonwealth.

7.2Le fait que l’auteur ait demandé et se soit vu refuser un visa de protection ne justifie pas le temps passé en détention entre le 20 octobre 2005 et la date de la demande de visa, en septembre 2008. Même si l’expulsion de l’auteur en application de l’article 198 (par. 6) de la loi sur les migrations visait un objectif réalisable en vertu de la loi, cet objectif n’existait pas avant la demande de visa déposée en septembre 2008.

7.3Concernant les propos que le Ministre a tenus avant de prendre sa décision sur le cas de l’auteur, celui-ci réaffirme qu’ils constituent une violation de son droit à ce que sa cause soit entendue équitablement.

7.4Concernant l’article 17, l’auteur maintient que l’État partie a illégalement créé une grande distance entre son fils et lui et qu’il cherche ensuite à en tirer parti en appelant l’attention sur ce que l’auteur considère comme un élément insuffisant pour étayer l’argument selon lequel aucun lien étroit ne pourra s’établir avec son fils. Depuis qu’il a été expulsé d’Australie, l’auteur a gardé le contact avec son fils par téléphone et par Skype.

8.Dans une lettre du 23 décembre 2013, l’État partie déduit des nouvelles allégations de l’auteur que celui-ci prétend que, dans la mesure où le Ministre de l’immigration de l’époque se serait fondé sur des condamnations soi-disant illégales pour annuler son visa, le faire placer en détention et l’expulser, ces mesures seraient elles aussi illégales. L’État partie considère que ces allégations n’ont pas été étayées et sont dénuées de fondement. Il estime que le juge a agi conformément aux obligations lui incombant en vertu de la loi de 1914 sur les infractions pénales (infractions au droit du Commonwealth) et que la seule erreur de détermination de peine identifiée a été corrigée en 2005 avec l’annulation des condamnations concernant les infractions au droit de l’État commises par l’auteur. En outre, et malgré l’annulation de ces condamnations, l’auteur a néanmoins des antécédents judiciaires graves, vu qu’il a perçu frauduleusement des sommes d’argent de la part du Gouvernement, de banques et d’autres institutions du Commonwealth. C’est donc à juste titre que le Ministre a tenu compte des condamnations prononcées pour infractions au droit du Commonwealth lorsqu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire d’annuler le visa de l’auteur. Les décisions d’annuler le visa de l’auteur ont été réexaminées et aucune erreur de droit n’a été décelée.

9.1Dans une lettre datée du 13 janvier 2014, l’auteur fait valoir que la Cour suprême du Queensland a fait des erreurs de droit mais qu’il n’en a eu connaissance qu’une fois rentré aux États-Unis. Si ces erreurs avaient été décelées à temps et si l’auteur avait été correctement assisté pendant les procédures, il aurait été condamné à une peine inférieure à douze mois, période au-delà de laquelle un individu ne satisfait plus aux critères de personnalité, et n’aurait peut-être pas été expulsé d’Australie. En prononçant, le 13 novembre 2003, des condamnations à des peines de douze mois ou plus pour infraction au droit du Commonwealth, le tribunal du district du Queensland avait abusivement tenu compte des condamnations prononcées pour infraction au droit de l’État en vertu de la loi de 1914 sur les infractions pénales. La décision du tribunal du district du Queensland est donc juridiquement nulle et ne pouvait pas servir de base pour conclure aux « antécédents judiciaires graves » de l’auteur et constituer un motif d’expulsion d’Australie.

9.2L’auteur fait valoir en outre que pendant sa détention, il lui a été interdit de travailler pour rémunérer les services d’un défenseur devant le Tribunal des recours administratifs. Il y a donc eu violation de l’article 14 dans la mesure où il n’a pas été équitablement entendu par le Tribunal.

9.3S’agissant de l’argument de l’État partie qui prétend qu’il n’a pas épuisé tous les recours internes, l’auteur répond qu’il a formé un recours contre la décision du Ministre devant le Tribunal des recours administratifs. Il a ensuite saisi la Cour fédérale, puis la chambre plénière de la Cour fédérale et enfin la Haute Cour d’Australie. Il a donc épuisé tous les recours internes. Si d’autres recours n’ont pas été épuisés, c’est que l’auteur n’a pas pu s’en prévaloir faute de moyens financiers.

9.4L’auteur considère donc que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 9 (par. 1), 13, 14 et 17 (par. 1) du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.3Le Comité relève que l’État partie conteste la recevabilité des griefs de violation de l’article 13 au motif que les recours internes n’auraient pas été épuisés car les divers manquements aux règles élémentaires d’équité et/ou à l’équité procédurale dénoncés par l’auteur auraient pu valablement faire l’objet d’une procédure d’appel devant la Cour fédérale si l’auteur estimait que le Tribunal des recours administratifs avait fait une erreur sur un point de droit. Le Comité prend note de la réponse de l’auteur, qui dit n’avoir eu connaissance de ces manquements qu’une fois de retour aux États-Unis et qu’en tout état de cause, il a épuisé les recours internes disponibles en Australie en faisant appel de la décision du Tribunal des recours administratifs auprès de la Cour fédérale, de la chambre plénière de la Cour fédérale et de la Haute Cour d’Australie et qu’il n’avait pas les moyens financiers d’introduire de nouveaux recours. Le Comité relève que dans les recours qu’il a introduits contre la décision du Tribunal des recours administratifs, l’auteur n’a pas soulevé les mêmes griefs que ceux qui sont soumis au Comité dans la présente communication. En conséquence, le Comité considère que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes à cet effet. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que des considérations financières ou des doutes quant à l’efficacité d’un recours interne ne dispensent pas l’auteur d’épuiser les voies de recours. Il déclare par conséquent cette partie de la communication irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

10.4Le Comité prend note également du grief que l’auteur a tiré de l’article 14, à savoir qu’il n’aurait pas eu droit à une procédure équitable devant le Tribunal des recours administratifs parce qu’il n’a pas eu la possibilité d’examiner les preuves présentées contre lui avant l’audience. L’auteur affirme aussi que la déclaration publique faite par le Ministre avant de prendre la décision de refuser d’intervenir a préjugé du résultat de cette décision. L’État partie a contesté cette allégation de l’auteur au motif qu’elle n’avait pas été étayée et pour non-épuisement des recours internes. Sur ce dernier point, le Comité constate que l’auteur n’a en effet pas soulevé le grief de violation de l’article 14 devant les autorités nationales compétentes. Le Comité déclare cette partie de la communication irrecevable pour non-épuisement des recours internes, en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

10.5Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité du grief soulevé par l’auteur au titre du paragraphe 4 de l’article 18 du Pacte au motif que l’auteur n’a pas démontré en quoi son droit de veiller à ce que l’éducation religieuse et morale de son fils soit conforme à ses propres convictions avait été violé. Le Comité constate que l’auteur n’a pas répondu aux arguments de l’État partie. Il déclare donc cette partie de la communication irrecevable pour défaut de fondement en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.6Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur qui affirme que l’État partie a violé les droits qui lui sont garantis par le paragraphe 1 de l’article 24. Il note l’argument de l’État partie selon lequel cette allégation est irrecevable ratione personae. L’auteur n’a pas contesté cet argument. Le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

10.7Le Comité relève également que l’auteur a invoqué deux dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant. Il rappelle qu’il n’a compétence que pour surveiller l’application du Pacte par les États parties. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

10.8Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur qui affirme que son expulsion a entraîné une immixtion arbitraire dans sa vie de famille, en violation des articles 17 et 23 du Pacte. L’État partie conteste la recevabilité de cette allégation car il estime qu’il n’est pas démontré que les autorités n’ont pas tenu compte de la situation de la famille de l’auteur avant de l’expulser. Dans ses commentaires, l’auteur est passé de griefs au titre de l’article 23 à un grief au titre de l’article 17. Le Comité fait observer que les deux griefs sont interdépendants et étroitement liés au fond de l’affaire. Il considère en outre que l’auteur a suffisamment étayé ses allégations aux fins de la recevabilité. En conséquence, le Comité déclare que les griefs soulevés par l’auteur au titre des articles 17 et 23 sont recevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.9Le Comité prend note enfin de l’allégation de l’auteur qui affirme que son placement en rétention était arbitraire et a été prolongé sans raison valable et qu’il n’a pas eu la possibilité de contester la légalité de sa détention devant les tribunaux australiens, en violation de l’article 9 du Pacte. Le Comité relève que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de cette allégation de l’auteur. Il estime que l’auteur a suffisamment étayé le grief tiré de l’article 9 aux fins de la recevabilité, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.10 Le Comité déclare que la communication est recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard des articles 9, 17 et 23 du Pacte, et procède donc à son examen au fond.

Examen au fond

11.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

11.2En ce qui concerne le grief de violation de l’article 9, le Comité prend note de l’allégation de l’auteur qui affirme que son placement dans un centre de rétention d’immigrants était arbitraire et a été prolongé sans raison valable, et qu’il n’a pas eu la possibilité de contester la légalité de sa détention. Le Comité prend note également des arguments de l’État partie, qui affirme que la détention de l’auteur était conforme aux procédures établies par la loi sur les migrations, que le placement en détention de non-ressortissants en situation irrégulière après qu’ils ont terminé de purger une peine de prison peut être nécessaire pour s’assurer que des personnes qui ne possèdent pas de visa de séjour valide en Australie pourront être expulsées si rien ne justifie leur présence légale en Australie, et que la détention de l’auteur s’est poursuivie pendant qu’il présentait des recours, sur une période de trois ans, contre la décision initiale d’annulation de visa prise par le Tribunal des recours administratifs.

11.3Le Comité estime que la détention de l’auteur et son expulsion étaient conformes aux dispositions du droit australien, qui autorisait l’annulation du visa de l’auteur en vertu de l’article 501 de la loi sur les migrations en raison de ses antécédents judiciaires graves, sa détention en vertu de la loi sur les migrations, en tant que « non-ressortissant en situation irrégulière », et son expulsion en vertu de l’article 198 (par. 6) à l’issue de sa dernière tentative pour demeurer en Australie à la faveur d’un visa de protection. En dépit de ces considérations, le Comité doit déterminer si cette détention, bien que conforme au droit australien, était arbitraire comme le prétend l’auteur.

11.4Le Comité note qu’il n’est pas contesté que l’auteur a été remis en liberté en juin 2004 après que le Conseil des services correctionnels communautaires du Queensland a décidé qu’il était apte à être réintégré dans la communauté australienne. Il note en outre que l’auteur a bénéficié d’une libération conditionnelle et qu’il s’est apparemment présenté aux autorités régulièrement pendant un an sans qu’aucun incident ne soit signalé avant que le délégué du Ministre de l’immigration décide d’annuler son visa au motif qu’il avait des antécédents judiciaires graves. L’auteur a été placé dans un centre de rétention d’immigrants un an après sa libération conditionnelle, le 20 octobre 2005. Il y est demeuré jusqu’à la date de son expulsion, le 8 mai 2009, trois ans et demi plus tard.

11.5Le Comité rappelle qu’il ne faut pas donner au mot « arbitraire » le sens de « contraire à la loi » mais qu’il faut l’interpréter plus largement pour viser ce qui est inapproprié, injuste et imprévisible ainsi que le non-respect des garanties d’une procédure régulière. La détention pendant une procédure aux fins du contrôle de l’immigration n’est pas arbitraire en soi mais doit être justifiée, raisonnable, nécessaire et proportionnée compte tenu des circonstances, et la mesure doit être réévaluée si elle est prolongée. Le maintien d’immigrants en détention pendant l’examen de leur demande serait arbitraire en l’absence de raisons particulières propres à l’individu, comme un risque de fuite, d’atteinte à autrui ou d’acte contre la sécurité nationale. Il convient d’étudier les éléments pertinents au cas par cas et de ne pas fonder la décision sur une règle obligatoire applicable à une vaste catégorie de personnes; il convient également d’envisager des moyens moins intrusifs d’obtenir le même résultat, comme l’obligation de se présenter à la police, le versement d’une caution ou d’autres moyens d’empêcher le demandeur de passer dans la clandestinité; il faut en outre que la décision fasse l’objet d’un réexamen périodique et d’un contrôle juridictionnel.

11.6Selon les informations dont dispose le Comité, l’auteur est devenu un « non-ressortissant en situation irrégulière » du fait de l’annulation de son visa et, conformément à la loi de 1958 sur les migrations, a automatiquement été placé dans un centre de rétention d’immigrants jusqu’à son expulsion, qui a finalement eu lieu trois ans et demi plus tard. Pendant ce temps, les autorités de l’État partie n’ont pas procédé à une évaluation individuelle de la nécessité de maintenir l’auteur en rétention. Le Comité considère que l’État partie n’a pas démontré que dans le cas particulier de l’auteur, une détention continue pour une période prolongée était justifiée. L’État partie n’a pas non plus démontré que d’autres mesures moins contraignantes n’auraient pas permis d’atteindre le même objectif, à savoir répondre à la nécessité pour l’État partie de s’assurer que l’auteur pourrait être expulsé (voir par. 6.3 ci-dessus). De plus, l’auteur a été privé de la possibilité de contester la légalité de sa détention de durée indéterminée quant au fond. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que l’examen judiciaire de la légalité de la détention ne doit pas consister uniquement à vérifier si la détention est compatible avec le droit national mais doit inclure la possibilité d’ordonner la libération du détenu si sa détention est déclarée incompatible avec les dispositions du Pacte. Pour toutes ces raisons, le Comité conclut que dans les circonstances de l’espèce, la détention de l’auteur a constitué une violation des droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

11.7Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur qui affirme que son expulsion constitue une immixtion arbitraire dans sa vie de famille, contraire aux articles 17 et 23 du Pacte. Le Comité note tout d’abord l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur et son fils ne forment pas une famille au sens des articles 17 et 23 car ils n’ont que très peu de contacts.

11.8Le Comité rappelle son Observation générale no 16 et réaffirme que la notion de famille doit être interprétée au sens large. Elle vise non seulement le foyer familial pendant le mariage ou la cohabitation, mais aussi les relations en général entre parents et enfants. Le Comité ne peut exclure que l’auteur et son fils avaient des liens familiaux autres que les seuls liens biologiques étant donné que l’auteur avait obtenu des ordonnances de contact du Tribunal fédéral de première instance, ordonnances qui n’ont pas été exécutées pour diverses raisons, notamment parce que l’ancienne compagne de l’auteur et celui-ci entretenaient une relation tendue et aussi simplement parce que l’auteur se trouvait dans un centre de rétention d’immigrants. Par conséquent, le Comité considère que la décision de l’État partie d’expulser l’auteur, avec pour conséquence que cela pourrait avoir une incidence permanente sur sa relation avec son fils, associée à une interdiction définitive du territoire, doit être considérée comme une « immixtion » dans la vie de famille.

11.9La question se pose de savoir si cette immixtion est arbitraire et contraire à l’article 17 et au paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte. Le Comité rappelle que même une immixtion prévue par la loi doit être conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte et être raisonnable eu égard aux circonstances particulières. Compte tenu des éléments dont il dispose, le Comité conclut que la décision de l’État partie d’annuler le visa de l’auteur était fondée sur des critères objectifs et raisonnables, à savoir les antécédents judiciaires graves de l’auteur, et que dans leur décision, tant le délégué du Ministre que le Tribunal des recours administratifs ont pris en considération la situation de famille de l’auteur. Dans les circonstances particulières de l’espèce, le Comité considère que la situation familiale de l’auteur a été examinée de manière approfondie par les autorités compétentes et que l’immixtion dans la vie de famille de l’auteur, qui a bien eu lieu, n’était pas donc pas arbitraire au sens de l’article 17 du Pacte. Le Comité conclut que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation des articles 17 et 23 du Pacte.

12.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 9 du Pacte.

13.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation effective et appropriée, y compris sous la forme d’une indemnisation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas. À cet égard, il devrait revoir sa législation sur les migrations en vue de la mettre en conformité avec les dispositions de l’article 9 du Pacte.

14.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les constatations du Comité, à les faire traduire dans la langue officielle de l’État partie et à les diffuser largement.