Nations Unies

CCPR/C/112/D/2051/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

26 novembre 2014

Français

Original: anglais

Comité des droits de l’homme

Communication no 2051/2011

Constatations adoptées par le Comité à sa 112e session(7-31 octobre 2014)

Communication présentée par:

Jit Man Basnet et Top Bahadur Basnet (représentés par un conseil, Track Impunity Always-TRIAL)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Népal

Date de la communication:

8 février 2011 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 21 avril 2011 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

29 octobre 2014

Objet:

Disparition forcée

Question(s) de fond:

Interdiction de la torture et des traitements cruels et inhumains; droit à la liberté et à la sécurité de la personne; respect de la dignité inhérente à la personne humaine; reconnaissance de la personnalité juridique et droit à un recours utile

Question(s) de procédure:

Épuisement des recours internes; griefs insuffisamment étayés

Article(s) du Pacte:

7, 9, 10 et 16 pris isolément et lus conjointement avec l’article 2 (par. 3)

Article(s) du Protocole facultatif:

2 et 5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titredu paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (112e session)

concernant la

Communication no 2051/2011 * , **

Présentée par:

Jit Man Basnet et Top Bahadur Basnet (représentés par un conseil, Track Impunity Always-TRIAL)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Népal

Date de la communication:

8 février 2011 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 29 octobre 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2051/2011 présentée par Jit Man Basnet et Top Bahadur Basnet en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication sont MM. Jit Man Basnet et Top Bahadur Basnet, de nationalité népalaise, nés respectivement le 17 décembre 1975 et le 27 octobre 1981. Ils affirment que l’État partie a violé les droits de Jit Man Basnet au titre des articles 7, 9, 10 et 16, pris isolément et lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, ainsi que les droits de Top Bahadur Basnet au titre de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Ils sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1En raison du conflit armé sévissant dans le pays, les autorités de l’État partie ont proclamé l’état d’urgence en novembre 2001. L’ordonnance relative aux activités terroristes et destructrices (prévention et répression) a autorisé les agents de l’État à procéder à des arrestations sur la base de simples soupçons de participation à des activités terroristes et différents droits de l’homme et libertés fondamentales garantis par la Constitution ont été suspendus. Dans ce contexte, les deux parties au conflit, y compris la police et l’Armée royale népalaise, ont commis des atrocités et les disparitions forcées sont devenues très répandues..En 2003, la caserne du bataillon Bhairavnath de l’Armée royale népalaise à Katmandou, également connue sous le nom de caserne de Maharajgunj (ci-après la caserne), est devenue tristement célèbre comme lieu où des maoïstes présumés étaient placés en détention et victimes de mauvais traitements graves, de torture, de disparition et d’assassinat.

2.2Jit Man Basnet était journaliste et fondateur du journal Sagarmatha Times. Il travaillait également comme avocat spécialiste des droits de l’homme dans un cabinet de Katmandou. Top Bahadur Basnet est son cousin. Ils ont grandi sous le même toit comme une même famille. Le 4 février 2004, Jit Man Basnet a été abordé devant son domicile par trois individus portant des uniformes de l’Armée royale, qui se sont mis à l’insulter tandis que des gens s’attroupaient pour observer son arrestation. On lui a bandé les yeux et on l’a fait monter de force dans un véhicule militaire. Jit Man Basnet a été emmené à la caserne du bataillon Bhairavnath. Il n’a pas été informé des motifs de son arrestation.

2.3Au cours de la première nuit passée à la caserne, Jit Man Basnet a été interrogé par des militaires de l’Armée royale sur les activités menées par les maoïstes et les lieux où ceux-ci se trouvaient. Comme il affirmait ne rien savoir à ce sujet, les militaires lui ont donné des coups de pied et l’ont frappé avec des bâtons de bambou et des tuyaux en polyéthylène; ils lui ont plongé la tête dans un tonneau plein d’eau fétide et ont menacé de le tuer. Jit Man Basnet a perdu connaissance à plusieurs reprises. Au cours de cette première nuit, il a reçu un appel téléphonique de l’un de ses collaborateurs, M. G. L., et a réussi à lui dire qu’il se trouvait dans une «situation délicate» avant que les gardes n’éteignent son téléphone. Le 5 février 2004, M. G. L. a informé la famille Basnet de l’arrestation de Jit Man Basnet. En l’absence d’autre information, sa famille a supposé qu’il avait été arrêté par l’Armée royale. Top Bahadur Basnet s’est rendu, en vain, auprès de plusieurs organismes et autorités afin de savoir ce qui était arrivé à son cousin.

2.4Au cours des deux jours suivants, Jit Man Basnet a de nouveau été interrogé et soumis à la torture et à des mauvais traitements graves durant plusieurs heures. En une occasion, le colonel R. B. l’a menacé de torture jusqu’à ce que mort s’ensuive, comme cela était arrivé à un autre journaliste. Pendant toute la durée de sa détention, soit deux cent cinquante-huit jours, Jit Man Basnet a été soumis à des conditions de détention inhumaines et à des actes de torture répétés. Il a dû passer des jours et des nuits allongé sur un mince matelas posé à même le sol, menotté dans le dos et les yeux bandés. En hiver, par des températures inférieures à zéro, il vivaitdans une tente au toit troué et n’avait qu’une mince couverture pour dormir. La nourriture était de très mauvaise qualité et les rations étaient maigres. Il n’y avait qu’un W.C. pour plus de 100détenus. En outre, Jit Man Basnet ne pouvait avoir aucun contact avec l’extérieur, y compris avec sa famille et ses avocats. Les détenus n’étaient pas autorisés à parler entre eux et étaient déplacés et cachés dans des quartiers différents de la caserne à chaque visite du Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

2.5La détention de Jit Man Basnet ayant été très médiatisée, un avocat, M. B. L., a saisi de sa propre initiative la Cour suprême népalaise d’une requête en habeas corpus, le 1er mars 2004, en demandant aux autorités de révéler où Jit Man Basnet était détenu et de le remettre en liberté. Il était indiqué dans la requête que la famille de M. Basnet n’avait connaissance ni du lieu où il était détenu, ni des motifs de son arrestation.

2.6Le 8 mars 2004, Top Bahadur Basnet a saisi la Commission nationale des droits de l’homme d’une demande d’enquête sur la disparition de son cousin.

2.7Le 11 mars 2004, l’Armée royale népalaise a informé la Cour suprême qu’elle ne détenait pas Jit Man Basnet. Le même jour, celui-ci a été contraint de signer de faux aveux par lesquels il déclarait qu’il était maoïste et qu’il avait participé à des activités violentes et des assassinats. Cette déclaration indiquait également qu’il n’avait pas été torturé.

2.8Malgré ses efforts, la famille Basnet avait reçu des informations contradictoires au sujet du sort de Jit Man Basnet et ne savait pas avec certitude s’il était, ou non, vivant et détenu à la caserne de Bhairavnath. Top Bahadur Basnet a rencontré le commandant de la caserne de Bhairavnath, le Directeur de la force de police armée et des représentants de la Cellule des droits de l’homme de l’Armée royale népalaise, mais ceux-ci l’ont menacé et ont refusé de lui dire où son cousin se trouvait et ce qui lui était arrivé.

2.9Le 4 juin 2004, dans le cadre de la procédure d’habeas corpus, la Cour suprême a ordonné à la Commission nationale des droits de l’homme d’enquêter auprès de l’Armée royale népalaise et de la police sur l’arrestation et la détention illégales présumées de Jit Man Basnet et de lui présenter un rapport. En juillet 2004, Top Bahadur Basnet a informé la Commission nationale des droits de l’homme qu’il avait rencontré d’anciens détenus de la caserne de Bhairavnath, dont deux lui avaient dit que Jit Man Basnet s’y trouvait, qu’il portait le numéro matricule 97 et que ces personnes refusaient, par peur de représailles, de confirmer ces informations devant les autorités.

2.10Au cours de la première semaine d’octobre 2004, Top Bahadur Basnet a réussi à pénétrer dans la caserne de Bhairavnath et à voir Jit Man Basnet, grâce à un ami, M. R. C., officier de l’Armée royale. Le 18 octobre 2004, Jit Man Basnet a été remis en liberté. Un officier lui a dit qu’il avait fait l’objet d’une enquête mais qu’il avait été reconnu innocent. Il a également été menacé; on lui a ordonné de ne révéler aucune information sur la caserne; il a été contraint de signer un document indiquant qu’il avait été détenu pendant quatre-vingt-dix jours et on lui a ordonné de se présenter tous les quinze jours aux autorités militaires, à Katmandou.

2.11En conséquence des conditions de détention auxquelles il avait été soumis, Jit Man Basnet avait des problèmes de vue et son état de santé était fragile. Il a indiqué qu’il s’était présenté trois fois aux autorités militaires, puis avait cessé de le faire, par crainte d’une nouvelle arrestation. Le 25 novembre 2004, il a introduit auprès de la Commission nationale des droits de l’homme une demande d’indemnisation pour sa détention illégale.

2.12Le 24 décembre 2004, Jit Man Basnet a fourni à la Commission nationale des droits de l’homme une déposition détaillant les conditions de sa détention à la caserne de Bhairavnath et une liste de noms de détenus, sous réserve d’anonymat. Néanmoins, son nom a été mentionné dans un rapport publié par la Commission en janvier 2005, en tant que source d’information dans une affaire de disparition dont les médias avaient fait état. Après cela, Jit Man Basnet a reçu des menaces de mort à plusieurs reprises.

2.13Le 19 janvier 2005, la Commission nationale des droits de l’homme a conclu que Jit Man Basnet avait été détenu illégalement par l’Armée royale népalaise à la caserne de Bhairavnath et qu’il avait été victime de torture. Elle a déclaré que malgré le refus de la police et du Ministère de l’intérieur de reconnaître son arrestation, la déposition de Jit Man Basnet, ainsi que les photographies et le rapport médical établi par l’Institut de médecine de l’Université de Tribhuvan, qui lui avaient été soumis après la libération de l’intéressé, étayaient cette conclusion. Elle a notamment recommandé aux autorités de diligenter une enquête afin d’identifier et de punir les personnes responsables, et a accordé au plaignant 50 000 roupies à titre d’indemnisation. Cependant, à la date de présentation de la communication, aucune de ces recommandations n’avait été suivie d’effet et l’indemnisation n’avait pas été versée.

2.14Le 18 septembre 2006, Jit Man Basnet a introduit une requête auprès de la Cour suprême tendant à obtenir le prononcé d’une ordonnance d’outrage au tribunal, à l’encontre du commandant en chef de l’Armée royale népalaise, du chef de l’état-major, du général de brigade chef du service juridique, des porte-parole de l’Armée royale népalaise, ainsi que du chef de bataillon et du major du bataillon Bhairavnath. Il faisait valoir que ces individus s’étaient rendus coupables d’outrage au tribunal pendant la procédure d’habeas corpus introduite par l’avocat B. L., car ils avaient induit la Cour en erreur en niant que le plaignant avait été détenu à la caserne de Bhairavnath et torturé. En conséquence, l’auteur demandait à la Cour de prononcer la peine maximale prévue à l’article 7, paragraphe 1, de la loi no 2048 de 1991 relative à la Cour suprême. Le 19 septembre 2006, le vice-greffier en chef de la Cour suprême a refusé d’enregistrer la requête de l’auteur au motif qu’elle visait des défendeurs qui n’étaient pas tous visés par la requête initiale en habeas corpus et qu’elle ne précisait pas quels actes étaient constitutifs d’outrage au tribunal. Le 22 septembre 2006, l’auteur a demandé à la Cour suprême d’annuler la décision du vice‑greffier en chef. La Cour a rejeté cette demande le 14 décembre 2006.

2.15Parallèlement, le 29 octobre 2006, Jit Man Basnet a introduit une requête en vue d’obtenir une ordonnance d’exécution auprès de la Cour suprême, dans laquelle il affirmait avoir été détenu illégalement et soumis à des mauvais traitements et à la torture. Il demandait que la Cour ordonne aux autorités d’instituer une commission judiciaire indépendante de haut niveau pour enquêter sur la disparition de personnes détenues à la caserne de Bhairavnath. Le 22 décembre 2006, le lieutenant-colonel R. J. K., au nom du bataillon Bhairavnath, a informé la Cour suprême que l’auteur avait été arrêté par les forces de sécurité en raison de sa participation à des activités terroristes et placé en détention «conformément aux ordres de l’autorité compétente en vertu de la loi». Il a également indiqué que M. Basnet n’avait subi ni torture, ni mauvais traitements. Le 2 janvier 2007, le service juridique de l’Armée a réaffirmé ces éléments devant la Cour suprême. Le 3 mars 2009, la Cour suprême a débouté M. Basnet au motif de l’absence de son avocat à une audience. Les auteurs ont cependant fait valoir que leur avocat avait manqué une seule audience sur les 15 qui avaient été tenues.

2.16Le 6 mars 2010, Jit Man Basnet a présenté une demande d’indemnisation auprès du Ministère de la paix et de la reconstruction en lien avec son arrestation et sa détention illégales par l’Armée royale népalaise. À la date à laquelle la communication a été présentée, il n’avait reçu aucune indemnisation.

2.17Les auteurs affirment qu’ils ont épuisé tous les recours internes. En dépit de leurs efforts, l’État partie n’a mené aucune enquête et personne n’a été puni pour la détention arbitraire de Jit Man Basnet, sa disparition forcée et les actes de torture dont il a été victime. En outre, la Commission nationale des droits de l’homme ne peut être considérée comme offrant un recours utile. Les auteurs indiquent qu’ils n’ont pas tenté de déposer un premier rapport d’information («First Information Report») auprès de la police car cette procédure ne s’applique qu’aux infractions énumérées à l’annexe 1 de la loi de 1992 sur les affaires dans lesquelles l’État est partie, laquelle ne mentionne pas les disparitions forcées, ni la torture. En 2007, la Cour suprême a ordonné au Gouvernement d’incriminer la disparition forcée, mais aucune mesure n’a été prise à cet égard. En raison des lacunes de la législation en vigueur en ce qui concerne les disparitions forcées et la torture, il est presque impossible de poursuivre et punir les auteurs de ces crimes.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que Jit Man Basnet a été victime de disparition forcée et que l’État partie a violé ses droits au titre des articles 7, 9, 10 et 16, pris isolément et lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2. En ce qui concerne Top Bahadur Basnet, les droits qu’il tient de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, ont été violés.

3.2Jit Man Basnet a été victime de disparition forcée, car il a été arbitrairement privé de liberté par des agents de l’État partie, maintenu au secret à la caserne de Bhairavnath entre le 4 février et le 18 octobre 2004 et ainsi soustrait à la protection conférée par la loi. Sa disparition forcée et sa détention au secret sont en elles-mêmes constitutives de traitement contraire à l’article 7. De plus, pendant sa détention, il a été soumis à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements physiques et psychologiques. Les auteurs demandent au Comité d’examiner ces violations dans le contexte général de violations systématiques des droits de l’homme qui prévaut dans l’État partie, et en particulier à la caserne de Bhairavnath, en ce qui concerne les personnes soupçonnées d’être maoïstes.

3.3Les autorités ont arrêté Jit Man Basnet sans l’informer des motifs de cette arrestation. Sa détention n’a été consignée dans aucun registre officiel ni enregistrée et ses proches et son avocat n’ont pas été autorisés à le voir. Il n’a jamais été présenté à un juge ou à une autre autorité habilitée par la loi à exercer le pouvoir judiciaire et n’a pas eu la possibilité d’introduire un recours devant un tribunal aux fins de contester la légalité de sa détention. Ces faits sont constitutifs de violations de l’article 9.

3.4La détention au secret et la disparition forcée de Jit Man Basnet, ainsi que les conditions de détention auxquelles il a été soumis, sont en elles-mêmes constitutives de violations de l’article 10 du Pacte.

3.5La détention au secret de Jit Man Basnet pendant plus de neuf mois l’a soustrait à la protection conférée par la loi. À cet égard, les auteurs signalent que chaque fois que des représentants de la Commission nationale des droits de l’homme ou des délégués du CICR se sont rendus à la caserne de Bhairavnath, Jit Man Basnet a été déplacé et caché dans d’autres quartiers de la caserne afin de l’empêcher d’obtenir une protection sous quelque forme que ce soit ou d’avoir accès à un possible recours. Il en résulte que l’État partie est responsable de la violation de ses droits au titre de l’article 16.

3.6L’État partie n’a pas procédé d’office à une enquête diligente, impartiale, approfondie et indépendante au sujet de la détention arbitraire, de la disparition forcée, des actes de torture et des graves mauvais traitements subis par Jit Man Basnet, et les responsables de ces actes n’ont pas été punis. Le cadre juridique existant n’est pas utile et il laisse, de fait, les victimes et leurs proches sans recours, favorisant ainsi encore davantage l’impunité. Le recours à l’habeas corpus est dans la pratique illusoire en cas de disparition forcée. Il semblerait que les décisions rendues par les tribunaux en matière d’habeas corpus contre les forces de sécurité ne soient pas appliquées. En outre, le succès de cette procédure dépend du fait que les forces de sécurité admettent qu’elles détiennent la personne en cause. Ce n’est que dans ce cas que l’on peut demander aux autorités militaires d’expliquer pourquoi une personne doit être maintenue en détention. Or, l’un des problèmes centraux posé par ces affaires est que les agents publics ne sont pas considérés comme des «témoins» et ne sont tenus de dire la vérité par aucune disposition légale.

3.7En ce qui concerne les droits de Top Bahadur Basnet, celui-ci a été plongé dans une angoisse et une détresse profondes liées à l’arrestation arbitraire de son cousin et à la disparition forcée qui a suivi, ainsi qu’à l’absence d’enquête sur ces faits. De surcroît, alors qu’il cherchait à savoir où se trouvait son cousin, il a été victime de façon répétée d’actes d’intimidation et de harcèlement. L’État partie n’a pas dûment empêché ces faits de se produire, ni diligenté d’enquête après qu’ils se sont produits. De plus, en l’absence de son cousin, Top Bahadur Basnet a dû assumer ses responsabilités de chef de famille à sa place et subvenir aux besoins de ses quatre sœurs et de son père. Sa vie en a été bouleversée car il a dû renoncer à l’exercice de ses activités commerciales et emprunter de fortes sommes d’argent. Il continue à souffrir des conséquences psychologiques de la profonde angoisse dans laquelle il a vécu. Il n’a cependant reçu aucune indemnisation pour le préjudice matériel et moral subi et n’a bénéficié d’aucune mesure de réadaptation. Il affirme en conséquence que ces faits sont constitutifs d’une violation de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

3.8Les auteurs demandent au Comité de recommander à l’État partie de: a) traduire devant les autorités civiles compétentes les auteurs de la privation arbitraire de liberté, des actes de torture et de la disparition forcée dont Jit Man Basnet a été victime afin qu’ils soient poursuivis, jugés et punis, et rendre publics les résultats de ces mesures; b) suspendre provisoirement tous les officiers de l’Armée à l’égard desquels il existe un commencement de preuve qu’ils ont pris part aux crimes commis contre Jit Man Basnet, en attendant le résultat de l’enquête; c) veiller à ce que les personnes suspectées d’avoir commis ces crimes ne soient pas dans une position qui leur permette d’influer sur le déroulement de l’enquête au moyen de pressions, d’actes d’intimidation ou de représailles contre les plaignants, les témoins, leurs familles, leurs conseils ou d’autres personnes participant à l’enquête; d) veiller à ce que les auteurs de la communication obtiennent une réparation intégrale et une indemnisation rapide, juste et appropriée; et e) veiller à ce que les mesures de réparation couvrent le préjudice matériel et moral et que des mesures de restitution, de réadaptation et de satisfaction soient prises et des garanties de non-répétition formulées. Ils demandent notamment que l’État partie reconnaisse sa responsabilité internationale à l’occasion d’une cérémonie publique en présence des autorités et des auteurs qui devraient recevoir des excuses officielles, et que l’État partie nomme une rue ou érige un monument ou pose une plaque à Katmandou à la mémoire de toutes les personnes qui ont été victimes de disparition forcée au cours du conflit armé interne, en mentionnant expressément le cas de Jit Man Basnet de sorte que celui-ci soit complètement réhabilité. L’État partie devrait également fournir aux auteurs une prise en charge médicale et psychologique immédiate et gratuite par l’intermédiaire de ses institutions spécialisées, et leur permettre d’accéder à l’aide juridictionnelle, en tant que de besoin, afin de leur garantir des recours disponibles, utiles et suffisants. Pour garantir que de tels actes ne se reproduisent pas, l’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que les disparitions forcées et la torture, ainsi que les différentes formes de participation à ces crimes, constituent des infractions autonomes en vertu de son Code pénal, punies de peines appropriées tenant compte de leur extrême gravité.Enfin, l’État partie devrait mettre en place dès que possible des programmes d’éducation au droit international des droits de l’homme et au droit international humanitaire à l’intention de l’ensemble des membres des forces armées, des forces de sécurité et du personnel judiciaire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale du 24 juin 2011, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés.

4.2En ce qui concerne Top Bahadur Basnet, aucune violation de ses droits par des agents de l’État au cours du conflit armé n’a été signalée. La communication n’indique pas expressément auxquels de ses droits il a été porté atteinte, dans quelles circonstances et quelles démarches il a entreprises à cet égard. L’État partie soutient qu’une communication abstraite ne peut être examinée par le Comité et qu’en conséquence les griefs visant les droits de cet auteur devraient être déclarés irrecevables.

4.3Quant à Jit Man Basnet, il a été remis en liberté, indemne, par les forces de sécurité, le 18 octobre 2004. En outre, son nom figure sur les registres du Ministère de la paix et de la reconstruction en tant que victime de disparition forcée et, en vertu d’une recommandation de la Commission nationale des droits de l’homme, il a droit à une indemnisation de 50 000 roupies. L’État partie a alloué 120 millions de roupies à l’indemnisation des victimes du conflit armé. L’article 5 des Procédures de 2066 (2009) relatives à l’aide, à l’indemnisation et au soutien financier dispose qu’une personne victime d’un enlèvement ou d’une disparition, ou ses héritiers, peut obtenir une aide pécuniaire de 25 000 roupies par l’intermédiaire du Bureau de l’administration du district compétent. Si l’auteur n’a pas encore reçu les 50 000 roupies octroyées à titre d’indemnisation provisoire, il peut encore en faire la demande.

4.4L’article 33 q) et s) de la Constitution provisoire du Népal de 2007 et l’article 5.2.5 de l’Accord de paix global prévoient la création de mécanismes de justice transitionnelle, tels qu’une commission vérité et réconciliation de haut niveau, chargés d’enquêter sur les violations flagrantes des droits de l’homme perpétrées au cours du conflit armé et de créer un climat social favorable à la réconciliation. À cette fin, le Gouvernement a présenté au Parlement un projet de loi relatif à la Commission vérité et réconciliation et un projet de loi relatif aux disparitions forcées (infractions et sanctions). L’objectif principal de ces projets est de mettre en place des commissions indépendantes, impartiales et autonomes chargées de mener des enquêtes approfondies et crédibles sur l’ensemble des allégations de disparitions et de violations graves des droits de l’homme survenues entre le 13 février 1996 et le 21 novembre 2006. À la date de la présentation des observations de l’État partie, lesdits projets étaient en cours d’examen par la Commission des lois du Parlement pour approbation. L’État partie soutient que, dans ce contexte et eu égard aux efforts sincères qu’il a consentis pour créer ces mécanismes de justice transitionnelle, on ne saurait conclure que les recours internes ont excédé des délais raisonnables. Il en résulte que les auteurs n’ont pas épuisé ces recours internes.

5.Le 11 janvier 2012, l’État partie a informé le Comité que les deux projets de loi se trouvaient dans la dernière phase de leur examen par la Commission des lois du Parlement et demandé au Comité de s’abstenir d’examiner la communication, eu égard à sa volonté sincère de mettre en place des mécanismes de justice transitionnelle pour traduire en justice les auteurs des actes visés et aux mesures adoptées à cet effet.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

6.1Le 9 mars 2012, les auteurs ont rejeté les observations de l’État partie. Ils soutiennent que leur communication indique expressément en quoi consistent les violations des droits que Top Bahadur Basnet tient de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Cette communication rend compte de manière détaillée des démarches qu’a entreprises Top Bahadur Basnet auprès d’organismes privés et auprès des autorités pour apprendre où se trouvait Jit Man Basnet et obtenir sa remise en liberté. Malgré les risques pour sa sécurité personnelle, Top Bahadur Basnet a pris contact et s’est entretenu avec de hauts gradés de l’Armée, dont certains, comme le colonel R. B., commandant de la caserne de Bhairavnath, et M. S. K. B, Directeur de la force de police armée, étaient impliqués dans la disparition forcée de son cousin et les actes de torture subis par celui-ci. Le fait que l’État partie n’ait pas trouvé de trace des violations des droits de l’homme dont a été victime Top Bahadur Basnet ne signifie pas que ces droits n’ont pas été violés. Top Bahadur Basnet a en effet dûment établi qu’il était proche de Jit Man Basnet; il a décrit en détail les efforts qu’il avait faits pour rechercher son cousin et l’indifférence des autorités face à ses demandes d’informations sur le sort de son cousin et l’endroit où il se trouvait, ainsi que les incidences de ces faits sur sa santé mentale.

6.2L’État partie n’a pas donné d’informations pertinentes pour contester la recevabilité des griefs relatifs aux droits de Jit Man Basnet. Le fait que celui-ci ait été libéré n’exonère en aucune manière l’État partie de sa responsabilité du fait de la violation desdits droits.

6.3La somme de 50 000 roupies dont la Commission nationale des droits de l’homme avait recommandé le versement à titre d’indemnisation pour les violations dont Jit Man Basnet a été victime représente un montant dérisoire au regard du préjudice matériel et moral subi par l’intéressé et ne saurait être considérée comme constituant un recours interne utile au sens du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. En outre, une simple indemnisation d’ordre pécuniaire n’est pas suffisante pour des violations des droits de l’homme de cette nature. Dans le cas de violations flagrantes des droits de l’homme, les réparations doivent comprendre des mesures de restitution, de réadaptation, de satisfaction et des garanties de non-répétition.

6.4À la date où les commentaires des auteurs ont été présentés, il n’y avait aucune certitude quant à la mise en place des futures Commission vérité et réconciliation et Commission sur les disparitions. En outre, les projets de loi comportaient une clause prévoyant une amnistie générale pour les auteurs de violations graves du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, y compris les disparitions forcées. Les procédures d’établissement des faits par des organes non judiciaires, bien qu’elles soient essentielles pour établir la vérité, ne sauraient en aucun cas remplacer l’accès à la justice et à des voies de recours pour les victimes de violations graves des droits de l’homme, le système de justice pénale constituant la meilleure voie pour obtenir l’ouverture immédiate d’une enquête pénale et des sanctions. À ce sujet, les auteurs font observer que les Commissions ne seraient pas des organes judiciaires et ne seraient habilitées qu’à formuler des recommandations à l’intention des organes compétents, notamment du Bureau de l’Attorney général.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie, selon qui les griefs de Top Bahadur Basnet concernant la violation de ses droits sont formulés de manière abstraite, car ils n’indiquent pas expressément lesquels de ses droits ont été violés, ni dans quelles circonstances. Il relève cependant que Top Bahadur Basnet allègue des violations des droits qu’il tient de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, liées aux événements auxquels il a dû faire face en raison de la détention illégale de son cousin, Jit Man Basnet, de la disparition forcée de celui-ci et des actes de torture dont il aurait été victime. Le Comité estime que Top Bahadur Basnet a suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité.

7.4En ce qui concerne l’obligation d’épuiser les recours internes, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que les auteurs n’ont pas épuisé ces recours, que le cas de Jit Man Basnet devrait être examiné dans le cadre des mécanismes de justice transitionnelle devant être mis en place conformément à la Constitution provisoire de 2007 et à l’Accord de paix global de 2006, et que, compte tenu des recommandations faites par la Commission nationale des droits de l’homme, Jit Man Basnet peut prétendre à une indemnisation de 50 000 roupies pour sa détention illégale et les actes de torture subis, en tant que victime du conflit armé. Le Comité prend également note des affirmations des auteurs, qui indiquent que le 8 mars 2002, Top Bahadur Basnet a saisi la Commission nationale des droits de l’homme d’une demande d’enquête sur la disparition de son cousin, que Jit Man Basnet a lui-même demandé après sa remise en liberté l’ouverture d’enquêtes sur sa détention illégale, sa disparition et les actes de torture qu’il avait subis et que, bien que dix ans se soient écoulés depuis la commission des violations alléguées, ces enquêtes n’ont pas encore abouti. Le Comité note que l’État partie a contesté en termes généraux que les recours internes aient été épuisés, mais ne lui a pas expliqué quels recours concrets permettraient aux auteurs de recevoir une satisfaction appropriée et efficace quant aux griefs que chacun a formulés. Le Comité rappelle sa jurisprudence dont il ressort qu’en cas de violation grave un recours judiciaire doit être ouvert. À ce sujet, il relève que les instances de justice transitionnelle qui doivent être mises en place ne sont pas des organes juridictionnels et il estime que l’enquête liée à l’affaire de Jit Man Basnet a excédé les délais raisonnables. En conséquence, il conclut que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne s’opposent pas à ce qu’il examine la communication.

7.5Compte tenu de ce qui précède, et en l’absence d’autre obstacle à la recevabilité, le Comité considère que la communication est recevable et procède à l’examen des allégations concernant Jit Man Basnet au titre des articles 7, 9, 10 et 16, lus isolément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2; et concernant Top Bahadur Basnet au titre de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2Le Comité prend note des allégations non réfutées des auteurs, selon qui Jit Man Basnet a été arrêté le 4 février 2004 par des personnes portant des uniformes de l’Armée et conduit à la caserne du bataillon Bhairavnath, où il a été détenu au secret sans contact avec sa famille, son avocat ou toute autre personne extérieure, jusqu’à la première semaine d’octobre 2004, et durant cette période, les autorités ont refusé d’informer sa famille qu’il était détenu à la caserne de Bhairavnath, ou ailleurs. En outre, les autorités n’ont pas collaboré à l’enquête menée par la Commission nationale des droits de l’homme aux fins de connaître le sort de Jin Man Basnet et le lieu où il se trouvait. Le Comité considère donc que la privation de liberté de Jin Man Basnet, suivie du refus des autorités de la reconnaître et de la dissimulation du sort qui lui avait été réservé, sont constitutifs de disparition forcée.

8.3Le Comité reconnaît le degré de souffrance qu’entraîne une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie. Il rappelle son Observation générale no20(1992) relative à l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret. Il note en l’espèce que Jit Man Basnet a été détenu au secret du 4 février à la première semaine d’octobre 2004, sans contact avec le monde extérieur. Il prend également note des allégations des auteurs qui affirment que JitMan Basnet a été torturé pendant les interrogatoires, en particulier au cours des premiers jours de sa détention. Le Comité relève que l’État partie s’est contenté de répondre en affirmant que Jit Man Basnet avait été remis en liberté, indemne, par les forces de sécurité à l’issue de sa détention, le 18 octobre 2004. Cependant, l’État partie n’a apporté aucune réponse aux allégations des auteurs relatives aux conditions précises de la détention de Jit Man Basnet, ni réfuté les allégations de torture et les conclusions de la Commission nationale des droits de l’homme à cet égard. En conséquence, le Comité conclut que le fait d’avoir détenu Jit Man Basnet, sans contact avec sa famille ni avec le monde extérieur, et de lui avoir fait subir des actes de torture constitue une violation des droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte.

8.4Le Comité prend note de l’angoisse et de la détresse causées à Top Bahadur Basnet par la disparition de son cousin, Jit Man Basnet, entre le moment de son arrestation et la première semaine d’octobre 2004, où il a réussi à avoir accès à la caserne de Bhairavnath et à obtenir la confirmation que son cousin était en vie. Le Comité relève que pendant cette période, Top Bahadur Basnet a assumé les responsabilités de chef de famille et subvenu aux besoins des quatre sœurs et du père de son cousin, et que les deux auteurs ont non seulement un lien de parenté, mais une relation très étroite, car ils ont grandi sous le même toit comme une même famille. Il relève également que peu après la disparition de Jit Man Basnet, Bahadur Basnet a saisi la Commission nationale des droits de l’homme d’une demande d’enquête et s’est adressé à plusieurs autorités et organismes privés afin de savoir où se trouvait son cousin, et qu’il a reçu des informations contradictoires sur le sort de son cousin et l’endroit où il se trouvait de la part des autorités, qui officiellement niaient sa détention. Dans les circonstances particulières de l’espèce, le Comité considère que les faits dont il est saisi font aussi apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard de Top Bahadur Basnet.

8.5En ce qui concerne le grief de violation de l’article 9, le Comité prend note des allégations des auteurs, selon qui Jit Man Basnet a été arrêté le 4 février 2004, sans mandat, détenu au secret à la caserne de Bhairavnath de l’Armée royale népalaise et n’a à aucun moment été présenté à un juge ou à tout autre agent habilité par la loi à exercer le pouvoir judiciaire, pas plus qu’il n’a eu la possibilité d’introduire une action devant un tribunal afin de contester la légalité de sa détention. L’État partie n’a pas réfuté ces allégations. En conséquence, en l’absence d’explication satisfaisante de la part de l’État partie, le Comité considère que la détention de Jit Man Basnet constitue une violation des droits qui lui sont reconnus par l’article 9 du Pacte.

8.6S’agissant du grief tiré du paragraphe 1 de l’article 10, le Comité réaffirme que les personnes privées de liberté ne doivent pas subir de privations ou de contraintes autres que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté, et qu’elles doivent être traitées avec humanité et dans le respect de leur dignité. En l’espèce, le Comité prend note des allégations des auteurs, qui affirment que Jit Man Basnet a été menotté dans le dos et a eu les yeux bandés pendant de longues périodes, qu’il était détenu dans une tente trouée inadaptée aux conditions hivernales, qu’il n’y avait qu’un W.C. pour plus de 100 détenus, que la nourriture était de très mauvaise qualité et que les rations étaient maigres. Compte tenu de la détention au secret de l’auteur, du traitement qui lui a été infligé et de la dureté de ses conditions de détention, le Comité conclut à la violation des droits que l’auteur tient du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

8.7En ce qui concerne l’article 16, le Comité rappelle sa jurisprudence constante et réaffirme que la soustraction intentionnelle d’une personne à la protection de la loi pour une période prolongée peut constituer un refus de reconnaissance de sa personnalité juridique si la victime était entre les mains des autorités de l’État quand elle a été vue pour la dernière fois et si, en même temps, il a été fait systématiquement obstacle aux efforts faits par ses proches pour avoir accès à des recours potentiellement utiles, y compris de nature juridictionnelle (voir art. 2, par. 3, du Pacte). En l’espèce, les autorités ont détenu Jit Man Basnet au secret durant huit mois environ et, malgré les démarches effectuées par sa famille, elles ont refusé de donner à celle-ci des informations sur le lieu où il se trouvait et officiellement nié qu’il soit détenu dans des locaux de l’armée. En outre, il n’a pas été contesté que les autorités avaient déplacé et caché les détenus, dont Jit Man Basnet, dans des quartiers différents de la caserne à chaque visite de la Commission nationale des droits de l’homme et du CICR. Le Comité conclut, en conséquence, que la disparition forcée de Jit Man Basnet a soustrait celui-ci à la protection de la loi au cours de cette période, en violation de l’article 16 du Pacte.

8.8Les auteurs invoquent le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, qui fait obligation aux États parties de garantir à chacun des recours accessibles, utiles et exécutoires permettant de faire valoir les droits garantis dans le Pacte. Le Comité réaffirme l’importance qu’il accorde à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les allégations de violation de droits conformément au droit interne. Il renvoie à son Observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il déclare que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, il relève que Jit Man Basnet n’a pas eu accès à un recours utile durant sa détention et après sa remise en liberté. Pendant la détention de son cousin, Top Bahadur Basnet s’est adressé à plusieurs autorités dans le cadre de ses recherches, notamment celles de la caserne de Bhairavnath, qui l’ont menacé et ont refusé de lui donner des informations sur le lieu où se trouvait son cousin et le sort qui lui était réservé. En dépit des efforts faits par les auteurs et des recommandations formulées le 19 janvier 2005 par la Commission nationale des droits de l’homme qui préconisait une enquête, près de dix ans après l’arrestation de Jit Man Basnet aucune enquête approfondie et efficace n’avait été menée par l’État partie en vue d’élucider les circonstances entourant sa détention et de traduire en justice les auteurs des actes allégués De plus, les 50 000 roupies accordées à Jit Man Basnet par la Commission nationale des droits de l’homme à titre d’indemnisation ne constituent pas une réparation appropriée proportionnée à la gravité des violations infligées. En conséquence, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 7, 9, 10 (par. 1) et 16, à l’égard de Jit Man Basnet; et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7, à l’égard de Top Bahadur Basnet.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles 7 et 9, du paragraphe 1 de l’article 10 et de l’article 16, ainsi que du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 7 et 9, le paragraphe 1 de l’article 10 et l’article 16 du Pacte, à l’égard de Jit Man Basnet, et de l’article 7 et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7, à l’égard de Top Bahadur Basnet.

10.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de garantir aux auteurs un recours utile et notamment: a) de mener une enquête approfondie et efficace sur les circonstances entourant la détention de Jit Man Basnet et le traitement auquel il a été soumis à la caserne de Bhairavnath, et de poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises; b) de donner aux auteurs des informations détaillées quant aux résultats de cette enquête; c) d’indemniser de manière appropriée les auteurs pour les violations subies; d) de veiller à ce que les auteurs bénéficient de mesures de réadaptation psychologique et d’un traitement médical adéquats; e) de prendre des mesures de satisfaction appropriées. L’État partie est aussi tenu de prendre des mesures pour empêcher que de telles violations se reproduisent. À ce sujet, il devrait veiller à ce que sa législation permette d’engager des poursuites pénales contre les auteurs d’actes qui constituent des violations du Pacte.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans ses langues officielles.

Appendice

[Original: anglais]

Opinion individuelle (en partie concordante et en partie dissidente) de Yuval Shani

1.Si j’approuve les conclusions de la majorité en ce qui concerne le premier auteur − Jit Man Basnet −, je ne peux pas approuver la déclaration de recevabilité pour les parties de la communication qui concernent le deuxième auteur − Top Bahadur Basnet. Le paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif impose au Comité de s’assurer que le particulier a épuisé tous les recours internes disponibles. Or rien dans le dossier n’indique que le deuxième auteur a fait la moindre démarche pour se prévaloir d’un recours interne ni même alerté l’État partie sur le fait qu’il s’estimait lui-même victime d’une violation des droits de l’homme, avant d’adresser sa communication au Comité. De fait, l’objection de l’État partie qui affirme qu’aucune initiative n’a été prise dans ce sens n’a pas été contestée par le deuxième auteur.

2.La majorité a considéré que l’État partie n’avait pas «expliqué quels recours concrets permettraient aux auteurs de recevoir une satisfaction appropriée et efficace quant aux griefs que chacun a formulés». Cette affirmation correspond à la position générale du Comité selon laquelle les États parties qui estiment que les recours internes n’ont pas été épuisés doivent «préciser quels sont les recours disponibles et utiles que l’auteur de la communication n’a pas épuisés». Toutefois, je pense qu’il faudrait admettre une exception dans le cas où un auteur n’a rigoureusement rien fait pour se prévaloir d’un recours et n’a même pas appelé l’attention de l’État partie sur la qualité de victime qu’il invoque. Dans ces circonstances, et en absence de toute explication de la part de l’auteur montrant pourquoi il n’a pas fait ces démarches, il m’est difficile d’accepter que l’État partie a eu une possibilité raisonnable de remédier à la violation avant que la communication ne soit présentée au Comité. Je considère par conséquent que dans les circonstances particulières de l’espèce le Comité n’est pas en mesure de s’assurer que les recours ont été épuisés en ce qui concerne la plainte du deuxième auteur.