Nations Unies

CCPR/C/119/D/2602/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

16 mai 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no2602/2015 * , **

Communication présentée par :

Z.H.

Au nom de :

L’auteur, A.H. et leurs trois enfants mineurs

État partie :

Danemark

Date de la communication :

15 février 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 29avril 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

27 mars 2017

Objet:

Expulsion vers l’Albanie

Question(s) de fond:

Droit à la vie ; droit de circuler librement; droit de ne pas être l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans savie privée et son domicile

Question(s) de procédure:

Griefs non étayés; incompatibilité ratione  materiae et ratione loci

Article(s) du Pacte:

6, 12 et 17

Article(s) du Protocole facultatif:

2 et 3

1.1L’auteur de la communication est Z. H., de nationalité albanaise, né en 1976, qui présente la communication en son nom propre et en celui de son épouse A. H., de nationalité albanaise également, née en 1987, et de leurs trois enfants mineurs, nés en 2005, 2010 et 2013, respectivement. Le 25 février 2015, la famille a été déboutée de sa demande d’asile au Danemark par la Commission de recours des réfugiés, et elle risque à présent l’expulsion. L’auteur soutient que son expulsion vers l’Albanie avec sa famille constituerait une violation par le Danemark des articles 6, 12 et 17 du Pacte. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur pour le Danemark le 23 mars 1976. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 29 avril 2015, en application de l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas présenter de demande de mesures provisoires de protection.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1La famille de l’auteur vivait à l’origine dans le nord-ouest de l’Albanie. En 1992, un différend foncier a provoqué entre elle et trois autres familles une vendetta à cause de laquelle huit personnes ont trouvé la mort et plusieurs autres ont été blessées ou victimes de tentatives d’assassinat. L’auteur soutient qu’il a été la cible de deux attentats : le 7 mars 2004, un inconnu a tiré sur son cousin P. H. et sur lui, et le 17 juin 2008, un inconnu, encore, a ouvert le feu sur la voiture dans laquelle il se trouvait avec sa femme, alors enceinte de cinq mois, à la suite de quoi celle-ci a fait une fausse couche.

2.2L’auteur affirme qu’il a quitté l’Albanie après qu’un membre de la famille Hi. a prévenu, en décembre 2012, que la famille H. devait toujours une vie. L’avertissement lui a été transmis par A. B., médiateur spécialisé dans le règlement des vendettas. Pour la famille Hi., P. H. avait assassiné N. Hi. en 2002 et n’avait pas été suffisamment puni parce qu’il n’avait passé que dix-huit mois en détention avant d’être acquitté.

2.3L’auteur est entré au Danemark le 28 janvier 2013, sans son épouse ni ses enfants, et a déposé une demande d’asile le lendemain.

2.4Le 27 février 2013, les services d’immigration danois ont rejeté la demande d’asile de l’auteur.

2.5Le 9 mars 2013, l’épouse de l’auteur, alors enceinte de huit mois, et les deux enfants du couple sont arrivés au Danemark. Le 14 mars 2013, ils ont déposé une demande d’asile. Le 1er novembre 2013, les services d’immigration danois ont rejeté leur demande.

2.6Le 11 juin 2014, la Commission de recours des réfugiés a confirmé le rejet des demandes d’asile de l’auteur et de sa famille pour les motifs suivants. Premièrement, la demande manquait de crédibilité parce que l’auteur et son épouse avaient donné des explications divergentes quant au moment où ils avaient décidé de quitter l’Albanie, l’auteur ayant mentionné décembre 2012, et son épouse novembre 2012. Deuxièmement, l’auteur n’avait pas été directement menacé ou agressé. Troisièmement, la vendetta appartenait au passé car elle n’était plus très intense, les derniers assassinats remontaient à 1997 et 2002 et les responsables avaient été dûment punis. Quatrièmement, c’était une affaire privée et l’auteur pouvait demander la protection des autorités albanaises.

2.7Le 27 juin 2014, l’auteur a demandé à la Commission de rouvrir la procédure pour les motifs suivants. Premièrement, les explications que son épouse et lui avaient données au sujet de la date de leur départ de l’Albanie avaient été mal interprétées. Les services d’immigration auraient dû tenir compte du fait qu’en Albanie, pour des raisons culturelles, les femmes n’étaient pas informées des moindres détails des vendettas, et que son épouse était faible d’esprit et incapable de relater le déroulement exact des événements. Deuxièmement, les agressions de 2004 et de 2008 étaient directement liées à la vendetta et il avait été personnellement menacé, ce qui l’avait poussé à décider de quitter l’Albanie et montrait qu’il risquait d’être persécuté et peut-être assassiné s’il retournait dans ce pays. Troisièmement, il y a des indications claires que la vendetta est toujours d’actualité, étant donné, notamment, que d’autres garçons des familles concernées, ayant atteint la majorité, sont à présent susceptibles de la perpétuer et qu’en Albanie, les querelles meurtrières entre familles tendent à être tenaces. Le dernier acte de violence commis dans le contexte de la vendetta s’était produit le 16 août 2014, lorsque le neveu de l’auteur, A. H., avait été victime d’une tentative d’assassinat. Celle-ci avait été signalée à la police, mais l’agresseur n’a toujours pas été identifié. Le neveu ayant atteint l’âge de 22 ans, il est considéré comme étant suffisamment âgé pour payer une dette de sang. L’intensité de la vendetta, qui avait donné lieu à plusieurs meurtres, agressions, enlèvements et actes de torture et conduit à des cas de prostitution forcée, et les conséquences qu’elle avait eues pour la vie des proches de l’auteur, contraints de vivre dans la peur et l’isolement permanents, devaient être examinées dans le contexte de leur durée. Quatrièmement, la police albanaise n’était pas en mesure d’assurer la protection de l’auteur et de sa famille, non seulement en raison de la corruption généralisée qui régnait dans ses rangs, mais aussi parce que les policiers hésitaient à s’interposer dans une vendetta de peur de mettre en danger leur propre famille. Étant donné que la police percevait la vendetta comme une querelle interfamiliale, l’auteur estimait qu’il n’était pas logique de demander sa protection.

2.8Le 20 novembre 2014, l’un des cousins de l’auteur a obtenu la protection subsidiaire en France au motif qu’il était victime de la même vendetta et que les autorités albanaises n’étaient pas en mesure de le protéger comme il se doit. Conformément à la législation européenne, la protection subsidiaire peut être accordée à l’étranger qui est exposé à une menace de la part d’un acteur non gouvernemental et dont l’État d’origine ne peut ou ne veut pas assurer la protection. L’auteur a demandé à la Commission de recours des réfugiés de tenir compte de la décision des autorités françaises et de cette législation.

2.9Le 25 février 2015, la Commission de recours des réfugiés a rejeté la demande présentée par l’auteur aux fins de la réouverture de la procédure d’asile.

2.10L’auteur et sa famille devaient être expulsés vers l’Albanie le 26 février 2015. Toutefois, pour des raisons qu’ils ignorent, leur expulsion a été suspendue douze heures avant le moment prévu.

2.11L’auteur fournit trois documents à l’appui de ses allégations. Le premier, en date du 9 janvier 2013, est une déclaration par laquelle le chef du village de G. et le maire de la municipalité de F. K. attestent que la famille H. est partie à une querelle avec d’autres familles. Depuis 1992, celle-ci a fait trois morts et deux blessés, ce qui est confirmé par des décisions de justice. Malgré le temps écoulé, les relations entre les familles concernées ne se sont pas améliorées car en Albanie, le droit coutumier est strict, de sorte que les membres de la famille H. sont toujours en danger.

2.12Le deuxième document est la traduction d’un certificat établi par le ministère public le 2 septembre 2014, qui indique que le tribunal de première instance du district de K. avait engagé une procédure pénale (affaire no 344) pour blessures légères volontaires et possession illégale d’armes à feu, visées aux articles 89 et 278/4 du Code pénal, à la suite des faits survenus le 16 août 2014 dans le district de K., où A. H., habitant du village de G., a été blessé par balle à la jambe.

2.13Le troisième document est une communication en date du 26 décembre 2014 par laquelle l’association Albanian Human Rights Group informe Asylret, une organisation danoise de défense des réfugiés, que la vendetta est toujours un problème très grave en Albanie. Cette coutume emporte l’obligation sociale de prendre une vie pour laver l’honneur sali par un meurtre ou par un affront. Si l’on ignore encore le nombre exact de crimes de sang commis à ce titre, on sait qu’il est en augmentation et que le phénomène de la vendetta se propage, touchant de nouvelles régions. La famille H. est prise au piège de la violence meurtrière. Le 2 septembre 2014, le parquet du tribunal de première instance du district de K. a engagé des poursuites (affaire no 344) contre les auteurs présumés des blessures infligées à A. H. le 16 août 2014. En décembre 2012, toutes les tentatives pour réconcilier les quatre familles ont échoué. Les intéressés vivent sous tension et les menaces constantes les ont poussés à perpétuer la querelle qui les oppose. Cette situation a contraint l’auteur à fuir au Danemark en 2013, ses proches et lui craignant pour leur vie. L’Albanian Human Rights Group conclut que, en dépit de la coopération entre les structures compétentes, aucune mesure concrète n’a été prise pour mettre fin aux vendettas. Le Gouvernement ne vient pas, ou presque pas, en aide aux familles qui en sont prisonnières, et lorsque la médiation échoue, celles-ci n’ont plus aucune protection. Dans bien des cas, les policiers hésitent à s’interposer entre les familles car ils craignent de se voir pris dans leur querelle. La corruption et l’indifférence des autorités publiques font qu’il est difficile d’éliminer le phénomène de la vendetta, qui coûte aussi la vie à des femmes et à des enfants. Bien que les vendettas aient tendance à se produire dans le nord de l’Albanie, elles se répandent parce que les familles concernées vont se réfugier ailleurs. Cela étant, les intéressés sont trahis par le dialecte du nord qu’ils parlent et, dans bien des cas, ils sont retrouvés et assassinés. Ceux qui veulent venger leurs proches traquent leurs victimes jusqu’à ce qu’ils les retrouvent, ce qui est d’autant plus facile que le pays est petit. En ce qui concerne la famille H., l’Albanian Human Rights Group a souligné que la seule solution qui puisse lui garantir une vie normale est la réinstallation à l’étranger, les institutions albanaises n’étant pas en mesure de protéger son intégrité physique dans le pays.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient que son expulsion et celle de sa famille vers l’Albanie constitueraient une violation des droits qui leur sont reconnus aux articles 6, 12 et 17 du Pacte.

3.2Invoquant l’article 6 du Pacte, l’auteur avance que, s’il est expulsé de force, ses jours seront en danger parce qu’avant qu’il arrive au Danemark en janvier 2013, sa famille était prise dans une vendetta. Il a été victime d’attaques violentes à deux reprises en conséquence de cette vendetta et soutient qu’en tant que membre de sexe masculin de la famille H., il risque d’être assassiné. Les autorités albanaises ne sont pas en mesure de le protéger comme il se doit.

3.3L’auteur fait valoir que sa famille et lui seront victimes d’une atteinte au droit de circuler librement car ils seront contraints de vivre reclus chez eux de peur de subir les conséquences de la vendetta. En outre, comme tous les citoyens albanais qui rentrent dans leur pays après avoir demandé l’asile à l’étranger, ses proches et lui seront frappés d’une interdiction légale de quitter l’Albanie pendant cinq ans, en violation du paragraphe 2 de l’article 12 du Pacte.

3.4Invoquant l’article 17 du Pacte, l’auteur soutient que les tentatives de vengeance dont ses proches et lui-même feront l’objet porteront atteinte à leur droit de ne pas être l’objet d’immixtions dans leur vie privée et leur domicile et que la police albanaise n’est pas en mesure de les protéger comme il se doit.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication, qu’il a présentées le 29 octobre 2015, l’État partie relève que l’auteur n’a pas démontré qu’il serait exposé à un risque de préjudice irréparable en Albanie et que le grief qu’il tire de l’article 6 du Pacte est donc irrecevable car manifestement infondé. L’État partie soutient en outre que les griefs que l’auteur tire des articles 12 et 17 du Pacte sont irrecevables ratione loci et ratione materiae.

4.2L’État partie rappelle que l’épouse et les deux enfants de l’auteur sont arrivés au Danemark le 9 mars 2013 et ont demandé l’asile le même jour. Le 11 novembre 2013, les Services d’immigration danois ont rejeté leur demande. Le 11 juin 2014, la Commission de recours des réfugiés a rejeté le recours formé par l’auteur et sa famille. Le 25 février 2015, elle a refusé de rouvrir la procédure d’asile les concernant.

4.3L’État partie renvoie à la décision du 11 juin 2014, dans laquelle la Commission de recours des réfugiés a admis, dans une certaine mesure, que l’auteur avait effectivement été partie, sans y jouer un rôle central, à une querelle impliquant quatre familles en Albanie, mais a aussi relevé des incohérences dans les déclarations de l’intéressé. La Commission a ainsi noté que, d’après l’auteur, sa famille avait décidé de quitter le pays en décembre 2012, après avoir été l’objet de menaces, tandis que d’après son épouse, cette décision remontait au moment où elle avait obtenu un passeport, en novembre de la même année. De même, la Commission a noté que l’auteur avait déclaré que c’était sa famille qui avait commis les derniers meurtres en date, alors que son oncle paternel avait dit le contraire. En conséquence, elle a conclu que l’auteur n’était pas concerné au premier chef par la vendetta et que l’intensité de celle-ci ne justifiait pas que l’asile lui soit accordé. Elle a souligné que les familles impliquées dans la vendetta n’avaient pas pris contact avec l’auteur, ne s’en étaient pas prises à lui ni ne l’avaient expressément menacé, y compris lors des attentats de 2004 et 2008, et que son impression qu’elles le pourchassaient reposait uniquement sur des suppositions. L’argument de l’auteur, selon qui des membres des autres familles avaient atteint l’âge de 20 ans et pouvaient donc se venger sur lui, ne changeait rien à la conclusion de la Commission, à savoir que l’auteur n’avait pas été la cible directe des attaques ni des menaces. À propos de l’intensité de la vendetta, la Commission a souligné que les derniers meurtres remontaient à 1997 et 2002 et que la police avait enquêté à leur sujet, à la suite de quoi plusieurs personnes avaient été déclarées coupables et condamnées à des peines qu’elles avaient exécutées. Elle a aussi constaté qu’en 2004, l’auteur avait séjourné en Italie sans y demander l’asile et qu’il avait continué de résider en Albanie jusqu’en janvier 2013. Étant donné que la vendetta relevait du droit privé, si l’auteur et sa famille étaient expressément menacés ou pris pour cible, ils devaient demander la protection des autorités albanaises. Selon le rapport du 14 juin 2013 que l’Office suédois des migrations a consacré aux vendettas en Albanie, la police albanaise et les autorités nationales chargées des poursuites ont créé des cellules expressément chargées de lutter contre ce phénomène et le Ministère albanais de l’intérieur a établi un plan d’action à cet effet. Partant, l’auteur et sa famille pouvaient demander l’aide des autorités, ainsi que celle de volontaires, et aller s’installer dans une autre région du pays.

4.4Compte tenu de ce qui précède, la Commission de recours des réfugiés n’a pas ajouté foi aux explications de l’auteur concernant l’ampleur de la vendetta. Elle a rejeté la requête de l’auteur tendant à faire suspendre la procédure en attendant l’issue de sa demande d’obtention d’une déclaration du médiateur au motif que les lettres de ce type étaient monnaie courante. En ce qui concerne l’épouse de l’auteur, la Commission a souligné que celle-ci avait invoqué uniquement les mêmes motifs que son mari à l’appui de sa demande d’asile, sans faire valoir d’autres arguments. La Commission a donc conclu que, contrairement à ce qu’exige l’article 7 de la loi sur les étrangers, l’auteur et sa famille n’avaient pas démontré qu’il était probable qu’ils courraient personnellement un risque précis d’être persécutés, ni un risque réel d’être victimes de mauvais traitements.

4.5Le 25 février 2015, rappelant sa décision du 11 juin 2014, la Commission de recours des réfugiés a refusé de rouvrir la procédure d’asile engagée par l’auteur. Elle a fait observer que, si elle avait jugé véridique le déroulement des événements décrit par l’auteur, elle n’avait pas pu ajouter foi au témoignage de celui-ci concernant l’ampleur de la vendetta. Elle a réaffirmé que celle-ci relevait du droit privé et que l’auteur devait demander la protection des autorités locales. En outre, elle a constaté que les autres familles n’avaient pas personnellement menacé l’auteur ni pris contact avec lui depuis très longtemps, que les meurtres commis dans le contexte de la vendetta avaient fait l’objet d’une enquête qui avait abouti à la condamnation des coupables, et qu’au lieu de demander l’asile lors de son séjour en Italie, l’auteur était retourné en Albanie où il s’était installé. Le fait que l’auteur soit le seul homme de la famille à vivre encore en Albanie ne changeait rien à ces conclusions. La Commission a de surcroît jugé que la tentative de meurtre commise contre le neveu de l’auteur le 16 août 2014 n’avait aucun lien avec la vendetta et que la lettre d’Asylret datée du 27 octobre 2014 et la tentative de meurtre elle-même paraissaient fabriquées de toutes pièces. Pour cette raison également, elle n’a accordé aucun poids aux lettres que l’Albanian Human Rights Group lui a adressées à l’appui de la demande de l’auteur. Elle a aussi rejeté l’argument selon lequel l’auteur pouvait prétendre à une protection subsidiaire au titre de la législation européenne, au motif que les règles applicables en matière de protection subsidiaire n’étaient pas reconnues dans la législation danoise. Compte tenu de ces circonstances, la Commission a conclu que l’auteur et sa famille n’avaient pas démontré qu’en cas de retour forcé en Albanie, ils seraient exposés à un risque réel de persécution ou de mauvais traitements au sens de l’article 7 de la loi sur les étrangers.

4.6L’État partie a fourni une description détaillée des fonctions et de la composition de la Commission, du type de dossiers dont elle est saisie et des fondements juridiques sur lesquels reposent ses décisions.

4.7L’État partie est d’avis que l’auteur n’a pas établi qu’il existait des raisons suffisantes de penser que sa vie et celle de sa famille seraient menacées en cas d’expulsion vers l’Albanie. Par conséquent, il estime que le grief de violation de l’article 6 du Pacte est manifestement dénué de fondement et donc irrecevable. Au cas où le Comité le déclarerait recevable, l’État partie avance que ce grief n’est pas étayé.

4.8L’État partie s’appuie sur les conclusions des 11 juin 2014 et 25 février 2015, dans lesquelles la Commission de recours des réfugiés n’a pas ajouté foi à la description faite par l’auteur de l’ampleur et de l’intensité de la vendetta, estimant que l’auteur n’était pas concerné au premier chef par la querelle et que les autres familles n’avaient pas pris contact avec lui, ni ne l’avaient expressément menacé ou pris pour cible. Les derniers meurtres en date remontaient à 1997 et 2002. La police avait enquêté sur les meurtres commis dans le contexte de la vendetta, dont les auteurs avaient été condamnés. Après s’être rendu en Italie en 2004, l’auteur n’avait pas demandé l’asile dans ce pays, mais était retourné en Albanie. La crainte de l’auteur d’être pris pour cible s’il retourne en Albanie ne repose que sur des hypothèses, et l’État partie estime qu’elle est démentie par le fait que l’intéressé n’a pas demandé l’asile en Italie. En outre, l’auteur et son épouse ont tenu des propos contradictoires quant à la raison de leur départ de l’Albanie, l’un ayant argué des menaces reçues en décembre 2012, et l’autre de la délivrance de son passeport, en novembre de la même année. Ces incohérences n’ont pas été suffisamment expliquées, ce qui a nui à la crédibilité de l’auteur. Il n’a pas été démontré que les attentats commis contre l’auteur en 2004 et en 2008 et la tentative de meurtre dont son neveu a été victime en 2014 étaient liés à la vendetta, et l’argument de l’auteur qui prétend que les autorités albanaises ne pourront pas le protéger contre la vendetta est en contradiction avec les informations disponibles sur l’Albanie. Le fait que le cousin de l’auteur ait obtenu l’asile en France ne suppose pas que l’auteur l’obtienne au Danemark, où la Commission de recours des réfugiés évalue les demandes au cas par cas. La Commission n’avait aucune obligation de vérifier l’authenticité des documents soumis par l’auteur à l’appui de ses prétentions. Pour décider de le faire ou non, elle doit se fonder sur l’appréciation générale de plusieurs éléments, notamment la nature et le contenu des documents en question au regard de la probabilité que la vérification conduise à les apprécier sous un jour nouveau, la date de la demande d’asile et les circonstances dans lesquelles elle a été présentée, et la crédibilité des déclarations du demandeur compte tenu des informations générales disponibles sur la situation dans le pays. La législation de l’Union européenne relative à la protection subsidiaire n’a pas été incorporée dans le droit danois parce que le pays a décidé de ne pas l’adopter, et son application ne relève pas de la compétence du Comité.

4.9L’État partie avance que, en saisissant le Comité, l’auteur et sa famille ont exprimé leur désaccord avec l’appréciation que la Commission de recours des réfugiés a faite de leurs demandes d’asile. Toutefois, les intéressés n’ont mis en évidence aucune irrégularité dans le processus décisionnel, ni aucun facteur de risque dont la Commission n’aurait pas tenu dûment compte. Dans ces circonstances, l’État partie soutient que le Comité doit accorder un poids considérable aux conclusions de la Commission, celle-ci étant la mieux placée pour apprécier les faits de l’espèce. À la lumière des décisions de la Commission, l’État partie réaffirme que l’auteur n’a pas établi que, s’il était renvoyé en Albanie, il courrait un risque de persécution ou de mauvais traitements suffisamment élevé pour justifier qu’il bénéficie de l’asile. En conséquence, le renvoi de l’auteur et de sa famille en Albanie ne constituerait pas une violation de l’article 6 du Pacte.

4.10L’État partie soutient que les griefs tirés des articles 12 et 17 du Pacte sont irrecevables pour incompatibilité ratione loci et ratione materiae en ce que l’auteur revendique l’application extraterritoriale des obligations que le Pacte met à la charge du Danemark. L’Albanie étant hors du territoire et de la juridiction du Danemark, le Comité n’est pas compétent pour connaître des violations alléguées à l’égard du Danemark. Comme indiqué au paragraphe 12 de l’observation générale no 31 (2004) du Comité sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, l’article 2 du Pacte impose à l’État partie de ne pas extrader, déplacer ou expulser une personne ou la transférer par d’autres moyens de son territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a, dans le pays de renvoi ou dans tout pays vers lequel la personne pourrait être renvoyée par la suite, un risque de préjudice irréparable, tel que ceux envisagés aux articles 6 et 7 du Pacte. Or, éloigner une personne qui craint qu’un autre État ne viole les droits garantis par les articles 12 et 17 du Pacte n’est pas susceptible d’entraîner pareil préjudice. L’État partie relève que l’auteur n’a pas étayé la thèse selon laquelle sa famille serait frappée d’une interdiction de quitter le pays pendant cinq ans si elle était renvoyée en Albanie, et notamment qu’il ne s’est pas adressé aux autorités albanaises compétentes.

Renseignements complémentaires communiqués par l’auteur

5.1Dans une communication du 10 janvier 2016, l’auteur expose de nouveau ses griefs dans le détail. Il soutient qu’un retour forcé en Albanie mettrait directement en danger sa vie et celle de ses proches, ce qui constituerait une violation de l’article 6 du Pacte, et que la menace que la vendetta fait planer sur les siens les fait vivre dans la peur constante d’être tués. L’auteur conteste l’argument de l’État partie qui affirme que sa demande d’asile n’est pas solidement étayée. Alors que la Commission de recours des réfugiés a reconnu qu’une vendetta avait effectivement opposé quatre familles, dont la sienne, elle a rejeté la demande d’asile soumise par celle-ci, accordant un poids décisif aux incohérences mineures entre ses propos et ceux tenus par son épouse au sujet de la date de leur départ de l’Albanie, ainsi qu’au fait que, selon elle, il n’y avait aucun lien entre les attentats de 2004 et 2008 et la vendetta. L’auteur soutient qu’il a établi l’existence d’un tel lien, prouvant qu’il est concerné au premier chef par la vendetta et que sa famille et lui courraient un danger de mort s’ils étaient renvoyés en Albanie. Cette thèse est étayée par plusieurs éléments, à savoir la protection subsidiaire accordée par la France au cousin de l’auteur, les rapports d’organisations basées en Albanie et dans d’autres pays dont il ressort que les autorités albanaises ne sont pas en mesure de protéger les victimes de vendettas, la tentative de meurtre dont le neveu de l’auteur a été victime en 2014, et les menaces formulées par la famille Hi., qui, en 2012, a prévenu la famille de l’auteur qu’elle avait toujours une dette de sang.

5.2En outre, les tentatives faites par l’auteur pour trouver une solution lui permettant de rester en Albanie, et notamment le recours à plusieurs médiateurs officiels dans l’espoir de régler la vendetta, n’ont pas abouti. La famille de l’auteur a décidé de quitter l’Albanie lorsque, pendant la médiation, elle a reçu des menaces de mort émanant de la famille Hi. L’auteur estime que l’argument de la Commission de recours des réfugiés, selon qui la tentative d’assassinat commise contre son neveu en 2014 et les documents fournis à l’appui de sa thèse paraissaient fabriqués de toutes pièces pour étayer sa demande d’asile, est dénué de fondement. Il soutient que la Commission a été saisie de documents officiels authentiques, ce dont elle a été engagée à s’assurer auprès des autorités albanaises. Le 17 août 2015, l’auteur a déposé auprès de la Commission et du médiateur danois une plainte concernant le fait que la Commission n’avait pas tenu compte des documents qu’il lui avait présentés et qui, selon lui, étayent l’existence de la vendetta, le danger de mort que celle-ci fait peser sur lui et sur les siens et le fait que la police n’est pas capable de les protéger contre les persécutions. L’auteur soutient que la Commission est un organe quasi judiciaire et que ses décisions ne sont pas susceptibles d’appel devant les tribunaux nationaux.

5.3Dans une communication du 4 décembre 2016, l’auteur indique que ses enfants considèrent le Danemark comme leur seul pays, car ses deux aînés n’ont aucun souvenir d’avoir vécu en Albanie et que le plus jeune est né au Danemark. Les enfants s’épanouissent à l’école et à la crèche, où ils sont bien intégrés. Ils parlent couramment le danois et sont d’excellents élèves. En Albanie, ils ne pourront pas aller à l’école car, pour leur sécurité, ils devront vivre reclus, ce qui constituera une violation de leurs droits fondamentaux.

5.4L’auteur et sa famille vivent actuellement au Danemark, leur expulsion ayant été suspendue douze heures avant l’heure prévue. L’auteur ajoute que la famille du Procureur général de l’Albanie, A. L., a dû quitter l’Albanie parce qu’elle était menacée, et il joint à sa communication un article de presse à ce sujet. Selon lui, cela confirme que les autorités albanaises ne sont pas en mesure de protéger les citoyens albanais. L’auteur et sa famille suivent une psychothérapie, notamment une thérapie familiale, pour faire face aux souffrances que leur causent la peur d’être renvoyés en Albanie et le fait que l’examen de leur dossier par les autorités de l’État partie se prolonge.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur, qui dit avoir épuisé tous les recours internes utiles disponibles. En l’absence de toute objection de l’État partie sur ce point, il considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

6.4Le Comité prend note du grief de l’auteur, qui affirme que sa famille et lui seront victimes d’une violation des droits consacrés par les articles 12 et 17 du Pacte en cas de retour forcé en Albanie en ce qu’ils devront vivre reclus chez eux contre leur volonté et seront frappés d’une interdiction de quitter le pays pendant cinq ans. Il prend note également de l’argument de l’État partie, qui estime que ce grief est irrecevable pour incompatibilité ratione loci et ratione materiae au motif que les articles 12 et 17 du Pacte ne sont pas d’application extraterritoriale et que le Danemark ne saurait donc être tenu pour responsable des violations commises par un autre État et sur un territoire ne relevant pas de sa juridiction. Il note en outre que l’État partie soutient que l’auteur n’a pas étayé ses allégations, et notamment qu’il ne s’est pas adressé aux autorités albanaises compétentes. Il note que l’auteur n’a pas fourni d’autres renseignements ou éléments de preuve indiquant en quoi les droits que lui-même et sa famille tiennent des articles 12 et 17 du Pacte ont été ou seraient violés par l’État partie, en raison de leur renvoi en Albanie, d’une manière qui leur ferait courir un risque de préjudice irréparable, tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Compte tenu des circonstances de l’espèce, il estime que les griefs que l’auteur tire des articles 12 et 17 du Pacte sont incompatibles avec l’article 2 du Pacte et sont donc irrecevables au titre de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les griefs que l’auteur tire de l’article 6 du Pacte sont manifestement dénués de fondement. Il estime toutefois que l’auteur a expliqué de façon suffisamment détaillée, aux fins de la recevabilité, le risque que pourrait entraîner pour la sécurité de sa famille et pour lui-même un renvoi en Albanie. En conséquence, il déclare la communication recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au titre de l’article 6 du Pacte et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note de l’argument de l’auteur, qui allègue qu’en tant que membre de sexe masculin de la famille H., engagée depuis 1992 dans une querelle violente et meurtrière avec trois autres familles albanaises, il risquerait d’être persécuté et tué s’il était renvoyé de force en Albanie. Le Comité prend note également de l’observation de l’État partie, qui souligne que la Commission de recours des réfugiés a jugé que l’auteur était effectivement concerné par une vendetta entre quatre familles, mais n’a pas ajouté foi aux déclarations de l’intéressé concernant l’ampleur de cette vendetta et le fait qu’elle le mettait personnellement en danger. La Commission a fait observer que l’épouse de l’auteur n’avait pas invoqué d’autres motifs d’asile que ceux présentés par son mari.

7.3Le Comité rappelle son observation générale no 31, dans laquelle il a souligné l’obligation faite aux États parties de ne pas extrader, déplacer ou expulser une personne ou la transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable tel que les préjudices envisagés aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité a en outre indiqué que le risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Tous les faits et circonstances pertinents doivent donc être pris en considération, notamment la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur.

7.4Le Comité rappelle également sa jurisprudence, dont il ressort qu’un poids important doit être accordé à l’appréciation faite par l’État partie et qu’il appartient généralement aux organes des États parties d’examiner les faits et les éléments de preuve en vue de déterminer l’existence du risque susmentionné, sauf s’il peut être établi que leur appréciation a été de toute évidence arbitraire, manifestement entachée d’erreur ou a représenté un déni de justice.

7.5Dans ce contexte, le Comité note que l’auteur soutient que les autorités de l’État partie n’ont pas pris en considération le risque qui mettrait en péril sa vie et la vie des siens s’ils retournaient en Albanie. S’il constate que, selon certaines informations, des violations des droits de l’homme sont effectivement commises en Albanie dans le contexte des vendettas (CCPR/C/ALB/CO/2, par. 10), le Comité relève néanmoins que les demandes d’asile présentées par l’auteur et sa famille ont été soigneusement examinées par les autorités de l’État partie, qui, estimant que ni l’auteur ni sa famille n’étaient directement visés par la vendetta et que les attentats perpétrés contre l’auteur en 2004 et 2008 et contre son neveu en 2014 n’étaient pas nécessairement en rapport avec celle-ci, ont conclu que les intéressés n’avaient pas démontré qu’en cas de renvoi, ils seraient exposés personnellement à un risque particulier de préjudice irréparable. Il a été établi que les attentats dont il est tiré argument ont été commis par des personnes agissant indépendamment, l’auteur n’a pas allégué avoir demandé la protection des autorités albanaises, et rien dans le dossier ne permet de penser qu’il ne pourrait pas le faire à l’avenir. Étant donné que le dernier meurtre a été commis en 2002 et que nul n’a pris contact avec l’auteur ni ne l’a menacé personnellement depuis longtemps, les autorités ont estimé que la vendetta n’était plus très intense et appartenait largement au passé. De surcroît, elles ont relevé des contradictions entre les explications données par l’auteur et par son épouse quant à la date à laquelle ils avaient décidé de quitter l’Albanie et aux raisons qui les avaient poussés à le faire, ce qui a nui à la crédibilité des intéressés. En effet, si l’auteur avait expliqué son départ par des menaces reçues de la part d’une des familles ennemies, son épouse l’avait attribué à la délivrance d’un passeport. En outre, il ne semblait guère logique, compte tenu du fait que sa famille était engagée dans une querelle meurtrière, que l’auteur ne se soit pas installé en Italie lorsqu’il s’y est rendu en 2004 et n’ait pas demandé l’asile dans ce pays. Bien que l’auteur conteste les constatations formulées par les autorités de l’État partie à l’égard de sa demande d’asile, il n’a pas démontré que la décision de ne pas lui accorder la protection prévue par l’article 7 de la loi sur les étrangers était manifestement arbitraire ou constituait un déni de justice. En outre, il n’a mis en évidence aucune irrégularité dans les décisions prises par le Service danois de l’immigration et la Commission de recours pour les réfugiés. Compte tenu de ce qui précède, le Comité ne saurait conclure que les informations dont il dispose montrent que la décision d’expulser l’auteur et sa famille vers l’Albanie est arbitraire ou représente un déni de justice. En conséquence, il ne saurait non plus conclure que le renvoi forcé de l’auteur et de sa famille vers l’Albanie constituerait une violation par l’État partie des droits consacrés par l’article 6 du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que le renvoi de l’auteur et de sa famille vers l’Albanie ne constituerait pas une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 6 du Pacte.