Nations Unies

CCPR/C/112/D/1968/2010

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

17 novembre 2014

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 1968/2010

Constatations adoptées par le Comité à sa 112e session(7-31 octobre 2014)

Communication présentée par:

Bronson Blessington et Matthew Elliot (représentés par le Human Rights Law Centre)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Australie

Date de la communication:

14 avril 2010 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 12 août 2010 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

22 octobre 2014

Objet:

Réclusion à perpétuité prononcée contre des mineurs

Question(s) de fond:

Traitement cruel, inhumain ou dégradant; objectif essentiel du système pénitentiaire; application rétroactive de la loi pénale; droit des mineurs à la protection

Question ( s ) de procédure:

Aucune

Article(s) du Pacte:

7, 10 (par. 3), 15 (par. 1), 24 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif:

Aucun

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titredu paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (112e session)

concernant la

Communication no 1968/2010 *

Présentée par:

Bronson Blessington et Matthew Elliot (représentés par le Human Rights Law Centre)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Australie

Date de la communication:

14 avril 2010 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 22 octobre 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1968/2010 présentée par Bronson Blessington et Matthew Elliot en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication datée du 14 avril 2010 sont Bronson Matthew Blessington, né le 21 octobre 1973, et Matthew James Elliott, né le 16 avril 1972, tous deux de nationalité australienne. Au moment du dépôt de la communication, les deux auteurs exécutaient une peine d’emprisonnement à vie, le premier au Mid North Coast CorrectionalCentre et le deuxième au Junee Correctional Centre, Nouvelle-Galles du Sud (Australie). Ils se déclarent victimes de violations par l’Australie des droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte, du paragraphe 3 de l’article 10, du paragraphe 1 de l’article 15 et du paragraphe 1 de l’article 24. Les auteurs sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les parents de M. Blessington se sont séparés alors qu’il avait 6 ans et ont divorcé quelques années plus tard. Après la séparation, il a vécu avec sa mère et sa jeune sœur. Les enfants étaient souvent laissés sans surveillance pendant que leur mère travaillait. Les rapports psychologiques et psychiatriques qui ont été dressés par la suite indiquent qu’il a très mal vécu la séparation de ses parents et que ses problèmes de comportement semblent avoir commencé à ce moment-là, se manifestant par des fugues, des difficultés scolaires, une mauvaise conduite générale et le mensonge. Il ressort aussi de ces rapports que, pendant l’enfance, M. Blessington a eu plusieurs pneumonies et qu’il a subi des violences de la part du nouveau compagnon de sa mère. À partir de l’âge de 13 ans, il a vécu avec son père dans différents endroits: parcs de caravanes, foyers pour jeunes et centres d’accueil des sans-abri. Quand il vivait dans des parcs de caravanes il a été victime de plusieurs agressions sexuelles, perpétrées par deux hommes, dont l’un était un ami de son père. Bien qu’il se soit plaint de ces agressions à son père et à des professionnels de la santé, rien n’a été fait.

2.2Entre 1978 et 1988, M. Blessington a fréquenté au moins 13 écoles. En 1987, quand il était à la Raymond Terrace High School, son état a été évalué par un psychologue clinicien et par un psychiatre, qui ont tous deux recommandé qu’il continue à être suivi. C’est aussi vers l’âge de 13 ans qu’il a commencé à consommer des drogues, notamment à renifler de l’essence, ce qui lui a donné des tics faciaux. Ses bras sont constellés de cicatrices, causées par des brûlures de cigarettes qu’il s’est infligées lui‑même. Les rapports psychiatriques entendus au procès ont fait apparaître qu’il souffrait de graves troubles du comportement et d’une «anomalie mentale due à une cause intrinsèque», qui existait au moment de l’infraction et justifiait que la défense plaide la responsabilité atténuée. Selon le psychiatre, cet état était de nature passagère et devait se régler avec le temps.

2.3Pendant toute son enfance, M. Elliott a subi la violence de son père, qui lui infligeait des punitions extrêmement dures, allant jusqu’à le frapper avec une batte de cricket et à l’étrangler, comme il ressort des rapports psychologiques. Un rapport médical établi par le Royal Alexandra Hospital for Children de Camperdown, le 19 mars 1985, indique que l’enfant présentait «des contusions multiples, probablement causées par des coups de poings, et des marques sur le cou indiquant une tentative de strangulation. Des blessures d’une telle gravité ne sauraient être accidentelles et sont caractéristiques d’une agression». À son entrée à l’école secondaire, de graves problèmes de comportement ont fait leur apparition. À partir de 1985, il a passé beaucoup de temps en détention, dans différents centres et institutions pour mineurs, à la suite des condamnations prononcées contre lui pour toute une série d’infractions: cambriolage, vol de voitures, recel de biens volés et vandalisme. Cette même année, alors qu’il avait 13 ans, il a été sexuellement agressé par un homme de 40 ans, qui était fiché comme pédophile par le Département des services à la famille et à la communauté de la Nouvelle-Galles du Sud. Deux semaines plus tard, M. Elliott s’est enfui du centre de détention de Reiby, où il était placé, et a mis le feu au domicile de son agresseur, infraction pour laquelle il a été condamné à quinze mois de détention. À la fin de 1985, son avocat, qui a par la suite été accusé de s’en être pris à d’autres jeunes garçons, a commis une tentative d’agression sexuelle. M. Elliott affirme qu’il a de nouveau été agressé en 1987 par un homme contre qui des poursuites ont été engagées, mais les charges n’ont pas été retenues faute de preuves. Un rapport psychologique établi par la suite posait le diagnostic de «troubles du comportement». En juillet 1988, il a quitté la maison familiale et commencé à vivre dans les rues de Sydney. C’est là qu’il a rencontré M. Blessington en 1988.

2.4Le 6 septembre 1988, les auteurs, âgés à l’époque de 14 et 15 ans respectivement, ont attaqué W. P. avec un marteau, infraction pour laquelle ils ont été condamnés en 1990. Pour l’un comme pour l’autre, c’était le premier crime violent qu’ils commettaient. Le 8 septembre 1988, les auteurs et trois autres enfants des rues ont enlevé, sous la menace d’un couteau, Mme J. B., qui se trouvait dans le parking d’une gare, et l’ont emmenée dans son propre véhicule près de Minchinbury. Ils l’ont violée, ligotée, puis emmenée jusqu’à un lac tout proche, où elle a été noyée. Laissant son corps dans le lac, ils sont repartis dans le même véhicule, après avoir volé plusieurs objets de valeur appartenant à la victime, deux bagues, une montre et sa carte de retrait bancaire. Plus tard les auteurs se sont rendus à Gosford, où ils ont volé un autre véhicule.

2.5Au procès portant sur ces faits, trois des coaccusés, dont M. Blessington et M. Elliot, ont été considérés comme les auteurs principaux de l’agression commise contre Mme J. B. et jugés conjointement pour meurtre, enlèvement et viol, bien qu’ils aient plaidé non coupables des chefs de viol et de meurtre. Le 21 juin 1990, après un mois de procès, les auteurs ont été condamnés pour le viol et le meurtre de Mme J. B.

2.6Les auteurs ont été jugés en tant qu’adultes, mais la loi de 1987 sur les enfants (procédure pénale) (Nouvelle-Galles du Sud), qui régit la conduite de poursuites pénales engagées contre des enfants, a été respectée et il a été tenu compte de leur âge. Le juge du fond a conclu que les viols avaient été perpétrés par M. Blessington et le troisième coaccusé. Le juge a également conclu que M. Elliott n’avait pas directement commis le viol. Il a néanmoins été accusé de viol et déclaré coupable de ce crime, sur la base du dessein commun poursuivi par les auteurs. La culpabilité à raison de la noyade de Mme J. B. a été répartie de manière égale entre les deux auteurs et le troisième coaccusé. Le 18 septembre 1990, le juge Newman de la Cour suprême de la Nouvelle-Galles du Sud (chambre pénale) a prononcé les peines. Le juge a tenu compte de leur jeunesse et des principes appliqués dans différentes affaires concernant des mineurs. Il a toutefois conclu: «les faits entourant la commission de ces crimes sont si barbares que je pense n’avoir d’autre choix que de condamner les deux défendeurs, malgré leur jeune âge, à la réclusion à perpétuité. Cette affaire est si grave que je recommande qu’aucun des intéressés ne recouvre jamais la liberté». Dans le prononcé de la peine, le juge Newman a indiqué que sa tâche avait été difficile, en raison du très jeune âge des accusés et compte tenu des principes de droit qu’il était tenu d’appliquer.

2.7En 1988, lorsque les infractions ont été commises, le meurtre était, selon l’article 19 de la loi de 1900 sur les crimes (Nouvelle-Galles du Sud), passible d’une peine de réclusion à perpétuité pour les adultes. Pour les mineurs, la peine était laissée à la discrétion du juge. À cette époque, une peine de réclusion à perpétuité ne signifiait pas que le condamné resterait en prison pendant toute sa vie. La durée de la détention dépendait d’autres processus judiciaires et administratifs. Après avoir exécuté dix ans de leur peine, les condamnés pouvaient demander leur libération conditionnelle. En janvier 1990, ce régime a été aboli et remplacé par un système donnant aux condamnés le droit de demander à la Cour suprême de la Nouvelle-Galles du Sud, au bout de huit ans de réclusion, de déterminer la durée de leur peine. Les auteurs ont été condamnés le 18 septembre 1990.

2.8En 1997, 2001 et 2005, des modifications introduites dans la législation relative aux peines ont progressivement amoindri et finalement supprimé le droit de demander une détermination de la peine de réclusion à perpétuité. À la suite de ces modifications, les auteurs doivent exécuter trente ans de leur peine avant de pouvoir en demander la détermination. Toute demande à cet effet doit spécifier les raisons qui justifieraient une telle détermination. S’il est fait droit à une telle demande, la Cour suprême de la Nouvelle‑Galles du Sud se borne à fixer une période de sûreté, à la suite de quoi l’autorité de probation n’accorde la libération conditionnelle que si, entre autres conditions, les auteurs sont «en danger de mort imminent» ou «dans un état d’incapacité physique tel qu’ils ne sont plus en mesure de causer du tort à autrui». Ces conditions s’appliquent indépendamment de la conduite des intéressés en détention ou des progrès accomplis dans leur réhabilitation. Si la demande est rejetée, aucune période de sûreté ne peut être fixée et les auteurs doivent rester en prison jusqu’à leur mort.

2.9En 1992, les auteurs ont formé un recours contre leur condamnation pour meurtre et demandé l’autorisation d’interjeter appel des peines prononcées contre eux devant la chambre criminelle de la Cour d’appel de la Nouvelle-Galles du Sud, en application de l’article 5 de la loi de 1912 sur les appels en matière pénale (Nouvelle-Galles du Sud) (premier recours). M. Blessington a renoncé à son recours pendant l’audience et l’appel formé par M. Elliott contre sa condamnation a été rejeté. Les deux auteurs ont obtenu l’autorisation de faire appel de leur peine, mais leurs recours ont été rejetés à l’unanimité. La cour a jugé que l’imposition de peines de réclusion à perpétuité n’outrepassait pas le pouvoir discrétionnaire du juge et se justifiait au regard des faits et des circonstances de la cause.

2.10Le Président de la cour d’appel, le juge Gleeson, a fait observer dans son arrêt: «Aucune erreur de fait ou de principe n’entache les commentaires du juge Newman sur les peines, et les peines prononcées ne sauraient être qualifiées de manifestement excessives. En vertu de la législation applicable, les appelants auront le droit, après une certaine période de temps, de demander à un juge de la présente cour de changer des peines d’une durée indéterminée en peines d’une durée déterminée. Une décision peut être prise à la lumière de tous les facteurs pertinents, notamment la façon dont les appelants se sont conduits en détention jusqu’au dépôt de la demande.». Le juge Gleeson a également relevé qu’en raison du jeune âge des intéressés au moment où ils avaient commis leurs crimes, leur dossier n’aurait pas dû porter la mention «à ne jamais remettre en liberté». Il a indiqué que «[E]n particulier lorsqu’il s’agit de jeunes délinquants et que le champ des possibilités d’évolution est aussi vaste, il n’est normalement pas de mise qu’un juge du fond tente d’anticiper des décisions qui pourraient être prises par d’autres personnes, dans le cadre d’autres procédures et en vertu d’une autre législation, au cours des décennies qui suivront. Pour cette raison, je tiens à préciser que je ne souscris pas à la recommandation du juge Newman.».

2.11En 2006, les auteurs ont demandé l’autorisation de rouvrir leur premier recours et d’interjeter appel de la recommandation de non‑libération faite par le juge du fond en 1990. Subsidiairement, ils demandaient à la cour d’annuler leur peine de réclusion à perpétuité et de prononcer une peine de durée déterminée. La chambre criminelle de la Cour d’appel a examiné le recours le 30 mars 2006 et a rendu son arrêt le 22 septembre 2006. Elle a rejeté la demande au motif que, bien que la recommandation n’ait eu aucun effet juridique au moment où elle a été formulée, les modifications introduites par la suite lui ont conféré un effet pratique et juridique.

2.12Les auteurs ont contesté cette décision devant la High Court (Cour suprême d’Australie), qui a rejeté le recours le 8 novembre 2007. La High Court a toutefois relevé que le nombre de modifications introduites dans la loi entre 1992 et 2006 était «frappant et inhabituel». Comme aucun autre recours n’est possible, les auteurs affirment qu’ils ont épuisé les recours internes.

2.13Les auteurs déclarent que, pendant leur détention, ils ont exprimé des regrets pour la mort de Mme J. B. et accepté la responsabilité du rôle qu’ils avaient joué dans les crimes.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que les faits exposés plus haut constituent une violation du paragraphe 1 de l’article 24, des articles 10 et 7 et du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte.

Plainte au titre du paragraphe 1 de l’article 24

3.2Prononcer une peine de réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle pour des crimes commis alors que les auteurs étaient mineurs est fondamentalement incompatible avec les obligations de l’État partie qui découlent du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte. L’alinéa a de l’article 37 de la Convention relative aux droits de l’enfant dispose que «ni la peine capitale ni l’emprisonnement à vie sans possibilité de libération ne doivent être prononcés pour les infractions commises par des personnes âgées de moins de 18 ans». Conformément à la clause 2 2) b) de la Liste 1 de la loi de 1999 sur les crimes (application des peines), les auteurs ne pourront introduire une demande de détermination qu’une fois qu’ils auront exécuté trente ans de leur peine. S’il n’est pas fait droit à la demande, aucune période de sûreté ne pourra être fixée et ils resteront en prison jusqu’à leur mort. La législation en vigueur prévoit expressément ce qui se passe en cas de rejet d’une telle demande. Si aucune période de sûreté n’est fixée, l’autorité de probation n’a aucune base juridique qui lui permette de libérer les auteurs. S’il est fait droit à la demande, les auteurs peuvent demander une libération conditionnelle à l’autorité compétente à l’expiration de la période de sûreté fixée par la Cour suprême. Cependant, selon le paragraphe 3 de l’article 154 A de la loi de 1999 sur les crimes (application des peines), la libération n’est possible qu’en cas de danger de mort imminent ou d’une incapacité telle que l’intéressé n’est plus en mesure de nuire à autrui.

3.3La législation reste muette quant à l’âge de l’auteur de l’infraction au moment où celle-ci a été commise. Le régime de la libération conditionnelle prévoit le même traitement pour les adultes et les mineurs. En ce qui concerne le régime de détention auquel sont soumis les auteurs, contrairement au paragraphe 1 de l’article 40 de la Convention relative aux droits de l’enfant, il n’est tenu aucun compte de l’âge des prisonniers au moment où ils ont commis l’infraction ni de l’opportunité de promouvoir la réinsertion sociale des intéressés afin qu’ils puissent jouer un rôle constructif dans la société. De plus, il n’existe aucune procédure permettant d’évaluer régulièrement l’évolution et les progrès des auteurs, en vue de décider de leur éventuelle libération. L’article 154 A de la loi de 1999 sur les crimes (application des peines) ne tient effectivement aucun compte de ces considérations. En fait, les autorités de la Nouvelle-Galles du Sud ont affirmé sans états d’âme que les auteurs devraient rester en prison toute leur vie. Les auteurs acceptent qu’ils doivent être condamnés à une peine de durée déterminée à raison de leurs crimes, mais leur statut de mineurs leur donne droit à une protection. Si une date moins éloignée avait été fixée pour leur libération ou s’ils avaient eu la possibilité d’obtenir qu’une telle date soit fixée, leur jeune âge et leur manque de maturité au moment de la commission de l’infraction auraient été reconnus, de même que leur possibilité de s’amender et de se réinsérer socialement.

Plainte au titre du paragraphe 3 de l’article 10

3.4Les auteurs affirment que l’État partie commet une violation du paragraphe 3 de l’article 10 du Pacte en ce que l’imposition d’une peine de réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle à un mineur est incompatible avec l’exigence qui veut que les objectifs du système pénitentiaire devraient essentiellement viser «le redressement et la réadaptation sociale» du prisonnier. Une peine à perpétuité est également incompatible avec l’exigence selon laquelle les jeunes délinquants doivent être soumis à un régime approprié à leur âge et à leur statut légal.

Plainte au titre de l’article 7

3.5Les auteurs font valoir que la réclusion à perpétuité pour des mineurs constitue une peine cruelle, inhumaine ou dégradante. Si l’on peut considérer que l’imposition d’une peine à perpétuité ne constitue pas en soi une violation de l’article 7, lorsqu’il s’agit d’un mineur une telle peine est en violation du Pacte.

Plainte au titre du paragraphe 1 de l’article 15

3.6Les auteurs affirment que l’État partie commet une violation de l’obligation qui lui est faite au paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte en ce qu’il n’a pas veillé à ce que la peine qui a été prononcée ne soit pas plus lourde que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. L’application rétroactive des modifications législatives a eu pour effet de priver définitivement les auteurs de toute perspective de libération conditionnelle.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1L’État partie a présenté ses observations dans une réponse du 31 mai 2012. Notant que les auteurs avaient fait appel de leur peine auprès de la High Court et que les allégations soulevaient des questions complexes de droit et de fait, l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication. Cependant, il fait valoir que tous les griefs sont dénués de fondement et devraient être rejetés par le Comité.

4.2Selon le jugement rendu, le 8 septembre 1988 les auteurs et trois autres personnes ont formé le dessein de s’en prendre à une femme seule et de la violer. Ils sont allés dans un parking où ils ont essayé d’enlever une femme qui est parvenue à s’enfuir. Ils ont ensuite repéré Mme J. B. et l’ont enlevée sous la menace d’un couteau, dans sa propre voiture. Il a été établi au procès que les auteurs et M. J. avaient collectivement forcé Mme J. B. à se soumettre à une pénétration sexuelle avant d’attacher ses jambes à son cou, de lui enfoncer un foulard dans la bouche, de l’emmener jusqu’à un lac tout proche et de lui maintenir la tête sous l’eau jusqu’à ce qu’elle se noie. Après cela, ils se sont rendus dans un centre commercial des environs, où ils ont essayé de vendre les bijoux qu’ils avaient arrachés à Mme J. B. Ils ont retiré le montant maximum possible de son compte en banque en utilisant sa carte bancaire dont ils avaient obtenu qu’elle leur donne le numéro d’identification personnel. Le lendemain, les auteurs se sont rendus dans une ville au nord de Sydney, où ils ont volé une autre voiture. Ils ont été arrêtés à leur retour à Sidney, le même jour.

4.3M. Elliot a été déclaré coupable d’enlèvement et de meurtre, de deux chefs d’agression sexuelle (actes commis directement par ses deux coaccusés) et de deux chefs de vol à main armée en réunion. M. Blessington a été déclaré coupable d’enlèvement et de meurtre, d’un chef d’agression sexuelle commise directement par lui et de deux chefs de vol à main armée en réunion. Les auteurs ont également été condamnés pour coups et blessures graves envers M. W. P., lors d’une agression distincte perpétrée le 6 septembre 1988.

4.4Au moment où les infractions ont été commises, la prison à vie était une peine laissée à la discrétion du juge dans le cas de mineurs. Selon le juge, les conclusions du jury reflétaient «une responsabilité pénale du niveau le plus élevé». Il a reconnu que les auteurs avaient grandi dans un milieu difficile et défavorisé, qui se caractérisait par un effritement des valeurs humaines fondamentales conduisant «inévitablement à une criminalité grave». Il a tenu compte de «l’extrême jeunesse» des auteurs et a cité une jurisprudence selon laquelle, dans des affaires impliquant des mineurs, l’intérêt public était d’abord et avant tout de resocialiser les intéressés pour qu’ils puissent devenir de bons citoyens. Cependant, il a conclu qu’il n’avait d’autre choix que de prononcer une peine de réclusion à perpétuité. Les peines ont fait l’objet d’un examen approfondi et ont été confirmées par plusieurs juridictions du système australien.

4.5Les modifications législatives introduites en 1997, 2001 et 2005 ont mis en place le régime des peines qui s’applique actuellement aux auteurs, comme ceux-ci l’indiquent dans leur communication. Ces amendements ont modifié les conditions auxquelles les prisonniers ayant fait l’objet d’une recommandation de non‑libération de la part du juge du fond pouvaient demander une libération conditionnelle. Le régime concerne au total neuf condamnés, dont les auteurs. En 2006, les auteurs ont demandé à la chambre criminelle de la Cour d’appel l’autorisation de rouvrir un recours contre leur peine sur la base de ces modifications législatives. Ils ont avancé toute une série d’arguments, notamment le fait que la recommandation de non‑libération du juge Newman était devenue de facto une nouvelle peine, qu’ils n’avaient pas bénéficié d’une procédure régulière en raison des modifications introduites dans la loi et que la législation en question était inconstitutionnelle. La Cour a rejeté l’autorisation de faire recours. Elle a reconnu que le nouveau régime des peines signifiait que «la possibilité d’une libération [des auteurs] était beaucoup plus réduite qu’auparavant». Cependant, elle a conclu à la validité des modifications législatives parce que le Parlement de la Nouvelle-Galles du Sud avait voulu durcir le régime des peines applicables aux prisonniers ayant fait l’objet d’une recommandation de non-libération en sachant qu’un tel régime ne s’appliquait qu’à un petit groupe de personnes, qui s’étaient rendues coupables des crimes les plus graves. De ce fait, la Cour a estimé que les conditions spéciales auxquelles était assujettie la libération conditionnelle de ces personnes n’étaient pas arbitraires ou foncièrement injustes et qu’elles étaient directement liées à la gravité de leur conduite.

4.6Les auteurs ont fait appel de la décision auprès de la High Court, qui a rejeté leurs arguments. Tout en relevant que les modifications législatives qui déterminaient les peines des auteurs étaient nombreuses et inhabituelles, la Cour a fait observer ce qui suit: «Ce qui demeurera toujours une inconnue pour le juge prononçant la peine […] ce sont les décisions susceptibles de modifier le statu quo qui seront prises à l’avenir. Les modifications en question ont influé sur la situation des appelants mais n’ont pas donné lieu à un déni de justice.».

Plainte au titre de l’article 7

4.7Une peine de réclusion à perpétuité ne constitue une violation de l’article 7 que si elle est totalement disproportionnée. Ce n’est pas le cas des peines prononcées en l’espèce et ce, même au regard de leur état de minorité et des principes consacrés aux alinéas a et b de l’article 37 et au paragraphe 1 de l’article 40 de la Convention relative aux droits de l’enfant. De plus, la peine de réclusion à perpétuité n’exclut pas toute possibilité de libération pour les auteurs.

4.8Conformément aux articles 2 et 4 de la Liste 1 de la loi de 1999 sur les crimes (prononcé des peines) (Nouvelle-Galles du Sud), une fois qu’ils auront exécuté trente ans de leur peine, soit le 9 mars 2020 pour M. Blessington et le 9 septembre 2020 pour M. Elliott, les auteurs pourront saisir la Cour suprême de la Nouvelle-Galles du Sud pour lui demander de fixer une période de sûreté. La Cour pourra faire droit à la demande si elle est convaincue qu’il existe «des raisons spéciales» de le faire. Pour pouvoir décider si elle doit ou non faire droit à la demande, la Cour prend en considération certains facteurs spécifiés à l’article 7 de la Liste. Selon le paragraphe 3 de l’article 7 de la Liste, la Cour doit également accorder un certain poids à toute recommandation du juge ayant prononcé la sentence et éventuellement la faire sienne. Cela pourrait être le cas de la recommandation de non‑libération formulée concernant les auteurs. Toutefois, la Cour suprême garde toute latitude de ne pas souscrire à ladite recommandation. Si la Cour ne souscrit pas à une recommandation formulée lors du prononcé de la peine, elle doit consigner les raisons pour lesquelles elle ne l’a pas fait. Si les auteurs demandent la fixation d’une période de sûreté et que leur demande est rejetée, ils peuvent faire appel de la décision de la Cour suprême auprès de la chambre criminelle de la Cour d’appel de la Nouvelle-Galles du Sud.

4.9Les auteurs ont encore une possibilité réelle de faire fixer une période de sûreté en application de ce régime. La Cour peut tenir compte de toute une série de circonstances atténuantes, dont l’âge des auteurs et tout progrès qu’ils auraient accomplis en détention en vue de leur réinsertion. En particulier, le Conseil d’examen des grands délinquants tient compte dans ses rapports du classement des prisonniers et de leur conduite en détention; de toute question relative au respect au quotidien des règles pénitentiaires; des infractions commises en détention; de la participation aux programmes de la prison; de l’évaluation psychologique et psychiatrique.

4.10La question de savoir si la condition relative aux «raisons spéciales» au sens de la Liste 1 peut être remplie a été examinée par la High Court en l’affaire Bakerc. R. L’appelant, M. Baker, avait fait valoir que cette condition était inconstitutionnelle du fait qu’aucun appelant ne pouvait raisonnablement espérer la satisfaire. La Cour a rejeté cet argument. Le juge Gleeson a indiqué qu’«il n’y a rien d’insolite à ce qu’une loi impose aux tribunaux de subordonner l’exercice d’une faculté à des «raisons spéciales» ou à des «circonstances spéciales». Il s’agit d’une expression communément utilisée lorsque l’on entend ne pas entraver le pouvoir discrétionnaire du juge par une définition trop précise ou lorsque les circonstances pouvant être pertinentes sont si variées qu’elles échapperaient à une définition précise». Dans l’affaire Baker, la High Court a confirmé que chacun des facteurs énoncés à l’article 7 pouvait constituer une raison spéciale justifiant qu’il soit fait droit à une demande de fixation d’une période de sûreté, notamment l’âge de l’intéressé au moment où il a commis l’infraction, comme l’a indiqué le juge Gleeson.

4.11Si la Cour suprême fait droit à une demande et qu’une période de sûreté est fixée, les auteurs peuvent demander leur libération conditionnelle à l’expiration de ladite période à l’autorité de probation, conformément au paragraphe 3 de l’article 154 A de la loi de 1999 sur les crimes (application des peines) (Nouvelle-Galles du Sud). En vertu de cette disposition, l’autorité de probation doit avoir la conviction qu’une libération conditionnelle se justifie parce que l’intéressé est en danger de mort imminent ou dans un état d’incapacité physique tel qu’il n’est plus en mesure de causer du tort à autrui et parce qu’il a démontré qu’il ne représentait plus aucun danger pour la communauté. L’État partie convient que les modifications législatives qui ont fixé ce critère ont diminué les perspectives de libération conditionnelle des auteurs mais affirme qu’une telle libération demeure réalistement possible.

4.12L’État partie fait valoir en outre que les auteurs ont encore la possibilité d’obtenir leur libération à la faveur d’une grâce (Royal Prerogative of Mercy) ou, subsidiairement, en vertu de l’article 76 de loi de 2001 sur les crimes (appel et réexamen) (Nouvelle-Galles du Sud). Le droit de grâce est un pouvoir discrétionnaire que le Gouverneur de la Nouvelle‑Galles du Sud peut exercer sans aucune restriction. Si ce droit est généralement exercé dans des affaires n’impliquant pas de violence, il est arrivé que le Gouverneur accorde la libération conditionnelle à une personne condamnée pour meurtre en raison des circonstances humaines tout à fait exceptionnelles de l’affaire. Le fait que le recours en grâce est ouvert aux auteurs ôte tout fondement à leur grief au titre de l’article 7.

4.13Au cas où le Comité estimerait que le régime des peines applicables ne laisse aux auteurs aucune possibilité de libération conditionnelle, l’État partie fait valoir que, bien que les conditions applicables à la libération conditionnelle des auteurs aient été modifiées, c’est bien une peine de réclusion à perpétuité qui a été prononcée. Le juge Newman n’était pas tenu de prononcer une telle peine, mais il l’a fait après avoir minutieusement pesé les circonstances atténuantes, notamment l’âge des auteurs et leur passé trouble. De plus, dans sa recommandation de non-libération, le juge a exprimé l’opinion nuancée selon laquelle le maintien des auteurs en détention pendant une longue période (voire pour presque toute leur vie) pouvait servir des objectifs pénologiques légitimes. Leur incarcération ne peut pas être qualifiée de totalement disproportionnée et la période minimale de trente ans de détention n’est pas encore venue à son terme.

4.14L’État partie reconnaît qu’il est bien possible que les auteurs passent le reste de leur vie en prison s’ils n’obtiennent pas la libération conditionnelle ou ne bénéficient pas d’une grâce. Cependant, cela ne suffit pas à rendre la peine prononcée contraire au Pacte. L’élément déterminant est qu’il existe en droit et en fait des possibilités réelles de libération.

4.15S’il convient de tenir compte de l’âge pour déterminer si telle ou telle peine est disproportionnée au point de constituer une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant, le fait de prononcer contre un mineur une peine de réclusion à perpétuité avec des perspectives de libération limitées ne contrevient pas nécessairement à l’article 7 du Pacte. Toute la question est de savoir si le seuil élevé de conditions dont est assortie la libération est adéquat, compte tenu non seulement de l’âge des auteurs mais aussi des circonstances de l’affaire, de la nécessité de corriger et de dissuader, ainsi que du souci de protéger la communauté. L’État partie considère que les peines prononcées sont équilibrées à cet égard.

Plainte au titre du paragraphe 3 de l’article 10

4.16Le traitement en détention qui est réservé aux auteurs est conforme à cette disposition, puisqu’ils ont amplement bénéficié des politiques et programmes mis en œuvre dans les prisons pour favoriser leur développement personnel, encourager les contacts sociaux avec le monde extérieur et leur faire acquérir des compétences qui favoriseraient leur réinsertion sociale s’ils étaient libérés. La nature des peines infligées n’ôte pas ce caractère resocialisant au traitement qu’ils reçoivent en prison. Les auteurs ont accès aux mêmes services que les autres détenus: services d’accompagnement, aumônier, soutien psychologique et réadaptation pour toxicomanes et alcooliques. Ils ont accès à un système téléphonique contrôlé grâce auquel ils peuvent communiquer avec leur famille et leurs amis, de même qu’à des services comme l’Ombudsman de la Nouvelle-Galles du Sud et l’aide juridictionnelle. Ils peuvent également communiquer librement par courrier avec leurs proches et recevoir des visites de leur famille, de leurs amis et de leurs représentants légaux.

4.17Comme ils l’ont eux-mêmes indiqué, les auteurs utilisent les programmes et services mis à leur disposition en prison ainsi que les possibilités d’emploi offertes; ils participent à des activités collectives et apportent leur concours aux autorités pénitentiaires. Ainsi, M. Blessington a suivi des cours pour apprendre à mieux lire, écrire et compter, de même que des cours de cuisine et de restauration. Il a travaillé comme balayeur. Il a également suivi un programme destiné aux délinquants sexuels ainsi que des cours sur la drogue et l’alcool. M. Elliot a travaillé à la bibliothèque et dans les services d’entretien. Il a achevé une formation en menuiserie et s’initie aux techniques de construction et à l’informatique. Il a suivi des cours et des programmes sur la drogue et l’alcool ainsi que sur le règlement des conflits, la communication, l’art et la musique.

4.18Le paragraphe 3 de l’article 10 du Pacte vise à assurer le respect de la dignité des détenus, indépendamment de la date à laquelle ils seront libérés. Le seuil élevé qui est appliqué pour la libération conditionnelle des auteurs n’ôte pas au traitement qu’ils reçoivent en prison sa fonction essentielle de redressement et de réinsertion. Au cas où les arguments des auteurs à ce sujet seraient jugés pertinents, l’État partie fait valoir qu’il est loisible aux États de mettre dans la balance l’objectif de réinsertion et les intérêts légitimes que sont la nécessité d’un châtiment adéquat, la sécurité publique et la dissuasion et ce, indépendamment de la condition de mineurs des auteurs au moment où ils ont commis leurs crimes.

4.19Les peines prononcées sont conformes aux normes minimales acceptées sur le plan international. Ainsi, la Règle 17.1 a) de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing), qui énonce les principes directeurs du jugement et du règlement des affaires, dispose que les peines prononcées contre les mineurs doivent être proportionnelles non seulement «aux circonstances et aux besoins du délinquant» mais aussi «aux circonstances et à la gravité du délit» ainsi qu’«aux besoins de la société». Le commentaire des Règles de Beijing reconnaît que le châtiment peut être un objectif légitime des peines infligées aux mineurs en cas de délit grave. De plus, étant donné l’extrême gravité des crimes commis par les auteurs, les peines qui ont été prononcées ne sont pas contraires aux principes de la Convention relative aux droits de l’enfant et des Règles de Beijing qui veulent que le placement d’un mineur dans une institution soit toujours une mesure de dernier ressort et que la durée doive en être aussi brève que possible.

4.20L’État partie souscrit fermement au principe énoncé au paragraphe 3 de l’article 10 du Pacte selon lequel le but essentiel de l’incarcération est l’amendement et le reclassement social des délinquants de sorte qu’ils puissent retrouver une place dans la société. Toutefois, indépendamment de ce but essentiel, l’incarcération sert aussi à protéger la communauté contre des individus violents et à dissuader ceux qui seraient tentés de commettre des infractions analogues. Le paragraphe 3 de l’article 10 n’empêche pas les gouvernements et les tribunaux de prononcer des peines qui visent à assurer un juste châtiment, la protection de la communauté et la dissuasion, comme ils le jugent bon en fonction des circonstances.

Plainte au titre du paragraphe 1 de l’article 15

4.21Les modifications législatives introduites concernant la possibilité d’une libération conditionnelle (notamment la fixation d’une période de sûreté) ne constituent pas une «peine» au sens de l’article 15 du Pacte, puisqu’elles n’ont rien changé à la peine applicable aux crimes commis, c’est-à-dire la réclusion à perpétuité. Les auteurs ne peuvent pas apporter la preuve de ce que le régime en vigueur se traduit pour eux par une peine plus longue que celle qui aurait été applicable en vertu du régime antérieur; ils ne peuvent donc pas prétendre qu’on leur inflige ainsi une peine «plus lourde».

4.22L’État partie fait observer que dans sa jurisprudence le Comité ne s’est pas prononcé de manière définitive sur la portée du terme «peine» dans l’article 15, tâche qu’il a décrite dans Van  Duzenc. Canada comme soulevant des «questions complexes». La difficulté tient au fait que la libération conditionnelle ne fait pas partie de la «peine» ou sanction imposée par la loi, mais constitue un élément discrétionnaire et souple de la manière dont la peine est exécutée. Le terme «peine» au paragraphe 1 de l’article 15 renvoie à la punition ou sanction prévue par la loi au moment où l’infraction a été commise. La deuxième phrase du paragraphe s’applique aux situations dans lesquelles une personne a vu sa peine alourdie par rapport à la peine que les tribunaux auraient pu prononcer au moment où l’infraction a été commise. Les changements intervenus quant à la possibilité de demander la fixation d’une période de sûreté ou une libération conditionnelle n’ont pas pour effet de réduire la punition ou la sanction prévue par la loi. La libération conditionnelle est un aspect de procédure qui dicte la manière dont la peine sera exécutée. Il s’agit d’un moyen d’administrer la peine prononcée par les tribunaux, grâce auquel une partie de la peine peut, à certaines conditions, être exécutée au sein de la communauté plutôt qu’en détention. En Australie, la libération conditionnelle n’a rien d’automatique; il ne s’agit pas d’un droit ou d’un aménagement qui serait dû au prisonnier.

4.23La législation applicable au moment des infractions aurait permis aux auteurs de demander leur libération conditionnelle. La législation applicable au moment où ils ont été condamnés leur aurait permis de saisir la Cour suprême de la Nouvelle-Galles du Sud au bout de huit ans de réclusion pour qu’elle détermine la durée de leur peine. Cependant, du fait des modifications introduites dans la législation, les auteurs doivent maintenant attendre que trente ans se soient écoulés à compter de leur condamnation avant de pouvoir demander une détermination de leur peine et obtenir éventuellement la fixation d’une période de sûreté. Les modifications en question n’ont rien changé à la peine ou à la sanction prévue par la loi en cas de meurtre commis par des mineurs. Comme l’a affirmé la chambre criminelle de la Cour d’appel, les modifications n’ont pas altéré la nature de la réclusion à perpétuité. De plus, on ne peut pas affirmer que les auteurs auraient nécessairement été libérés plus vite si on leur avait appliqué les systèmes en vigueur au moment de l’infraction ou au moment où la peine a été prononcée.

4.24La validité des modifications apportées au régime de la libération conditionnelle a été de nouveau contestée devant la High Court dans le cadre d’une affaire plus récente, Crumpc. New South Wales, par un détenu qui avait fait l’objet d’une recommandation de non-libération au moment du prononcé de la peine. Le plaignant a fait valoir que l’article 154 A de la loi de 1999 sur les crimes (application des peines) était entaché d’invalidité du fait qu’il était censé modifier l’effet d’une décision judiciaire prise en 1997, qui lui aurait permis de demander sa libération conditionnelle en 2003. La High Court a débouté le demandeur à l’unanimité. Selon les juges, la «réalité concrète» est que «les changements administratifs et législatifs intervenus dans le régime de la libération conditionnelle» et l’ordonnance de 1997 n’ont pas «créé de nouveaux droits ou avantages pour le demandeur concernant sa libération conditionnelle». Le président de la High Court, le juge French, a fait observer que «la décision d’accorder ou non la libération conditionnelle à un prisonnier peut relever des politiques et pratiques en vigueur, lesquelles évoluent avec le temps. En revanche, il n’existe qu’une seule sentence judiciaire».

4.25La pratique des recommandations de non-libération a une longue histoire en Australie. Elle a été adoptée précisément parce que les juges étaient au courant de la pratique administrative consistant à accorder la libération conditionnelle aux prisonniers. Dans le cas des auteurs, le juge Newman a fait sa recommandation pour qu’il en soit tenu compte dans toute décision ultérieure portant sur l’éventuelle libération des intéressés. On peut supposer qu’une telle recommandation aurait du poids dans l’examen de toute demande introduite par les auteurs aux fins d’une détermination de la peine ou d’une libération conditionnelle.

4.26L’État partie réfute l’allégation des auteurs qui affirment qu’ils ne sont pas tenus de démontrer que la peine qui a été prononcée se trouve alourdie par les nouvelles lois. Rien ne permet de conclure que les auteurs se sont vu infliger une peine ou une sanction plus sévère du fait des modifications législatives. Il ressort de la jurisprudence du Comité que celui-ci n’est guère enclin à spéculer sur la question de savoir si la situation de telle ou telle personne aurait été plus favorable si la législation antérieure continuait de s’appliquer. Conformément à cette jurisprudence, le Comité n’a pas pour fonction dans la présente communication de procéder à une évaluation hypothétique de la question de savoir si les auteurs auraient été libérés plus tôt si la législation n’avait pas été modifiée.

Plainte au titre du paragraphe 1 de l’article 24

4.27L’État partie a mis en place un large éventail de mesures législatives et autres pour que la protection des enfants soit assurée par leur famille, par la société et par l’État. Parmi ces mesures, il y a celles qui visent à faire en sorte que le système de justice pénale accorde la protection voulue aux mineurs, comme les procédures spéciales concernant la détention provisoire, le procès et l’emprisonnement. En l’espèce, les auteurs ont d’abord été placés dans une institution pour mineurs avant d’être transférés dans des institutions pour adultes dès qu’ils ont eu 18 ans. Leur jeunesse et l’importance accordée à leur resocialisation ont été des éléments essentiels dans le prononcé de la peine. D’ailleurs, les auteurs ne prétendent pas qu’un défaut du système de justice pénale de la Nouvelle-Galles du Sud a fait que leurs droits n’ont pas été protégés comme ils auraient dû l’être pendant leur détention provisoire, le procès, les appels ou la détention qui a suivi. Rien n’indique non plus que l’État partie ait manqué à son obligation de prendre les mesures qu’il considère appropriées pour protéger les enfants ou qu’il se soit pas intervenu lorsque la famille a manqué à ses devoirs. En l’absence de toute violation d’un autre article du Pacte indiquant que l’État partie n’a pas pris les mesures de protection qui s’imposaient à l’égard des auteurs en raison de leur condition de mineur et en l’absence de tout élément montrant qu’il n’a pas pris d’autres mesures générales de protection adaptées aux besoins des enfants, il ne saurait y avoir de violation du paragraphe 1 de l’article 24.

4.28En ce qui concerne l’article 37 a) de la Convention relative aux droits de l’enfant invoqué par les auteurs, l’État partie fait valoir que les allégations de violation du paragraphe 1 de l’article 24, par lesquelles les auteurs tentent d’importer des obligations prévues dans la Convention relative aux droits de l’enfant visant plus justement à interpréter les articles de fond correspondants du Pacte, devraient être examinées dans le cadre des violations alléguées de ces articles et non pas directement au regard du paragraphe 1 de l’article 24.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1En date du 6 septembre 2012, les auteurs ont soumis leurs commentaires sur les observations de l’État partie.

Plainte au titre de l’article 7

5.2Les auteurs font valoir qu’à leur connaissance aucun condamné ayant fait l’objet d’une «recommandation de non-libération» n’a jamais été libéré. Tel était précisément l’objectif des modifications apportées à la loi. Bien que la législation telle que modifiée autorise la possibilité technique d’une libération, les auteurs ne pourraient s’en prévaloir que s’ils étaient sur leur lit de mort ou souffraient d’une grave incapacité. De ce fait, il ne faudrait pas y voir une possibilité réelle. De plus, dans l’hypothèse où les auteurs se voyaient accorder une libération conditionnelle sur leur lit de mort mais qu’ils se rétablissaient, ils risqueraient de voir leur libération conditionnelle révoquée, conformément à l’article 170 1) a1) de la loi de 1999 sur les crimes (application des peines) (Nouvelle‑Galles du Sud).

5.3Quant à la possibilité d’obtenir leur libération par un recours en grâce, les auteurs affirment que le droit de grâce n’a été utilisé qu’une seule fois en Nouvelle-Galles du Sud à l’égard d’une personne condamnée pour meurtre. C’est le cas mentionné par l’État partie, qui concernait une femme qui avait tué son mari après avoir été longtemps victime de violences conjugales. Si l’on se place dans le contexte politique et juridique de la Nouvelle-Galles du Sud et étant donné la minorité des auteurs, la simple perspective technique d’une grâce n’est pas suffisante pour faire de ce qui serait autrement un traitement cruel, inhumain ou dégradant un traitement compatible avec l’article 7.

5.4Pour toutes les peines de réclusion à perpétuité prononcées contre des enfants, la possibilité d’une libération conditionnelle devrait être «bien réelle et examinée périodiquement» comme l’a indiqué le Comité des droits de l’enfant. Or, la législation de la Nouvelle-Galles du Sud en son état actuel empêche les auteurs de demander une détermination de leur peine avant d’avoir passé trois ans en prison. De ce fait, outre qu’elle n’est pas réelle, la possibilité de libération pour les auteurs n’est pas examinée périodiquement.

5.5On s’accorde généralement à considérer que le fait de condamner un enfant à la réclusion à perpétuité sans la possibilité de libération constitue une violation de l’article 7. De telles peines sont cruelles et inhumaines lorsqu’il s’agit d’un enfant, notamment parce que: a) le degré de culpabilité des enfants délinquants est moins élevé que celui des adultes; b) les enfants ont de meilleures perspectives de resocialisation; c) les peines de réclusion à perpétuité ont un impact proportionnellement plus élevé sur les enfants que sur les adultes. Une peine de prison à vie qui n’est assortie que d’une possibilité de libération technique et très lointaine est cruelle et inhumaine pour précisément les mêmes raisons. La possibilité hautement improbable que les auteurs soient libérés sur leur lit de mort ou parce qu’ils souffrent d’une grave incapacité physique ou par suite de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qui n’est quasiment jamais exercé ne rend pas humain ce qui serait autrement considéré comme cruel et inhumain.

Plainte au titre du paragraphe 3 de l’article 10

5.6Les auteurs réaffirment que leur incarcération à vie est une violation du paragraphe 3 de l’article 10. Un traitement visant la resocialisation a pour finalité la libération et la réinsertion sociale des intéressés. Par conséquent, ils ne sauraient être en voie de resocialisation en vue d’une libération puisqu’ils ne seront jamais libérés (à moins d’être malade en phase terminale ou de souffrir d’une grave incapacité physique). Les changements apportés à la législation relative aux peines ôtent donc au traitement réservé aux auteurs tout caractère resocialisant. Leur incarcération n’a qu’un but punitif.

Plainte au titre du paragraphe 1 de l’article 15

5.7Aux fins d’une interprétation téléologique et en vue de donner un contenu concret à la protection visée à l’article 15, le Comité devrait évaluer la nature, les effets et l’intention des modifications législatives qui condamnent les auteurs à croupir toute leur vie dans leur cellule. Le fait que les lois soient ou non rétroactivement punitives devrait être considéré comme une question de fond et d’intention, et non pas de forme. Les modifications législatives incriminées violent la lettre et l’esprit de la protection due contre tout châtiment pénal rétroactif pour les raisons suivantes.

5.8Premièrement, au moment de l’infraction et du prononcé de la peine, les perspectives de libération des auteurs étaient réelles et auraient été périodiquement examinées. En particulier, les auteurs avaient la possibilité de demander une détermination de la peine de réclusion à perpétuité prononcée après avoir exécuté huit ans de leur peine. S’il est impossible de prédire à quel moment ils auraient été libérés selon le régime applicable à ce moment-là, il est clair que les auteurs auraient eu une chance bien réelle d’être libérés à un moment ou à un autre. Entre 1981 et 1989, la durée moyenne de détention des condamnés à perpétuité en Nouvelle-Galles du Sud avant de bénéficier d’une libération conditionnelle était de 11,7 ans.

5.9Deuxièmement, il ne fait aucun doute que les autorités de la Nouvelle-Galles du Sud ont mené pendant plusieurs années une campagne concertée pour supprimer toute véritable perspective de libération pour les auteurs. Le Premier Ministre de la Nouvelle-Galles du Sud de l’époque avait déclaré au Parlement et aux médias que les lois en question visaient à faire en sorte que les auteurs ne soient jamais libérés. De plus, le Gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud a pris plusieurs initiatives pour éliminer toute perspective de libération, chaque fois qu’il lui a semblé que la législation en vigueur était défaillante à cet égard. Ainsi, en 1996, huit ans après avoir commencé à purger sa peine, M. Blessington en a demandé la détermination. La Cour suprême de la Nouvelle-Galles du Sud a conclu qu’il n’était pas concerné par les nouvelles lois, plus punitives, applicables aux peines parce que sa demande avait déjà été déposée au moment où ces textes étaient entrés en vigueur. La Cour a indiqué que, compte tenu des conséquences juridiques qu’entraînait la recommandation du juge du fond selon laquelle il ne devrait jamais être remis en liberté, un tel commentaire pourrait être contesté auprès de juridictions supérieures car il était manifestement excessif du fait qu’il s’appliquait à des enfants de 14 et 16 ans. Subsidiairement, la contestation pourrait être fondée sur le fait que les auteurs n’avaient eu aucune possibilité réelle de faire des observations sur cette recommandation car au moment où elle avait été faite elle ne pouvait avoir aucune conséquence juridique. À la suite de cet arrêt, le Gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud s’est empressé d’adopter de nouvelles réformes spécifiant que la loi s’appliquait à toute demande déjà déposée. La seule conséquence de ce nouvel amendement était de reporter l’examen de la demande de M. Blessington de plus de deux décennies. Des amendements ont aussi été adoptés pour modifier la définition d’une «recommandation de non-libération» de façon qu’elle englobe «toute recommandation, observation ou expression d’une opinion qui (avant ou après la date d’adoption de la loi de 2005 modifiant la loi sur les crimes (application des peines) (peines de réclusion à perpétuité)) avait été annulée, écartée ou remise en cause». Ces modifications ont ôté toute pertinence aux recours qu’ils auraient pu introduire par la suite. L’observation incidente du juge du fond continuerait à avoir des conséquences punitives, même si elle était annulée par une juridiction supérieure.

5.10Troisièmement, la remarque du juge du fond qui a déclaré que les auteurs ne devraient jamais être libérés a été transformée ex post facto en un critère ayant pour conséquence que les auteurs (et une poignée d’autres détenus nommément cités) sont sanctionnés beaucoup plus lourdement que n’importe quelle autre personne condamnée à une peine de prison à vie en Nouvelle-Galles du Sud et que si les lois en vigueur au moment de l’infraction étaient toujours applicables. Et c’est le cas, malgré le fait que la remarque: a) a été critiquée par des juridictions supérieures; b) n’est pas susceptible d’appel ou de recours; c) a été faite sans aucun fondement légal; d) a été faite à un moment où elle n’avait pas de conséquence juridique; e) a été faite par un juge qui ne pouvait pas mesurer toute la rigueur des conséquences juridiques qui en découleraient; f) a été faite sans que les auteurs aient la possibilité de présenter des observations à ce sujet.

5.11Quatrièmement, la situation des auteurs est analogue à celle d’un condamné dont la peine minimale prescrite a été alourdie rétroactivement. Une augmentation rétroactive d’une peine minimale constitue sans conteste une violation de l’article 15 du Pacte. Une peine minimale fixe la date avant laquelle l’intéressé ne peut pas demander à être remis en liberté. Au moment où la peine a été prononcée, les auteurs pouvaient demander une détermination de la peine au bout de huit ans. Ils doivent maintenant attendre au moins trente ans. En théorie, leur peine aurait pu être déterminée de manière à permettre une libération dans les meilleurs délais possibles. Il est impossible de savoir ce qu’il serait advenu, tout comme il est impossible de savoir si une personne dont la peine a été alourdie rétroactivement aurait été libérée immédiatement après en avoir purgé la part incompressible. Ces situations sont analogues et devraient être traitées comme telles.

Plainte au titre du paragraphe 1 de l’article 24

5.12Les auteurs n’affirment pas que le texte de la Convention relative aux droits de l’enfant est intégralement transposé dans les dispositions du Pacte. Au contraire, la Convention relative aux droits de l’enfant, tout comme le droit international coutumier et les Règles de Beijing jouent un rôle important pour interpréter la portée de l’obligation découlant du paragraphe 1 de l’article 24. Les droits consacrés par la Convention relative aux droits de l’enfant éclairent sur la portée des articles 10 et 7 du Pacte. Les alinéas a et b de l’article 37 et le paragraphe 1 de l’article 40 de la Convention sont particulièrement pertinents à cet égard. Les instruments relatifs aux droits de l’homme devraient être interprétés d’une façon qui tienne compte de leur interdépendance et du fait qu’ils se renforcent mutuellement.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions de l’alinéa a du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité relève que l’État partie ne conteste pas la recevabilité de la communication. Considérant que tous les critères de recevabilité sont satisfaits, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties.

7.2Les auteurs affirment que les droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte ont été violés en ce que l’imposition à des mineurs d’une peine de réclusion à vie constitue une peine cruelle et inhumaine ou dégradante et que la législation applicable ne leur offre aucune possibilité réelle de libération conditionnelle. L’État partie fait valoir que les peines sont proportionnées aux crimes des auteurs, à l’impératif de châtiment et de dissuasion et à la nécessité de protéger la communauté, et que les possibilités de libération existent en vertu de la loi de 1999 sur les crimes (prononcé des peines) et de la loi de 1999 sur les crimes (application des peines), de même qu’au titre du droit de grâce.

7.3Les auteurs affirment en outre que la peine prononcée contre eux est incompatible avec les prescriptions du paragraphe 3 de l’article 10 du Pacte, qui prévoit que le but essentiel du régime pénitentiaire doit être l’amendement et le reclassement social et que les mineurs doivent être soumis à un régime approprié à leur âge et à leur statut légal. L’État partie affirme à ce sujet que le paragraphe 3 de l’article 10 n’empêche pas les gouvernements et les tribunaux de prononcer des peines qui visent un juste châtiment, la protection de la communauté et la dissuasion, comme ils le jugent bon en fonction des circonstances.

7.4Les auteurs affirment que l’État partie, en promulguant des modifications législatives concernant le droit de demander la libération conditionnelle après que l’infraction a été commise, en 1988, et après que leur peine a été prononcée, le 18 septembre 1990, a violé le paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte, car ces modifications ont fait disparaître toute perspective d’une libération conditionnelle et, par là même, ont alourdi leur peine par rapport à celle qui était applicable lorsque l’infraction pénale a été commise. L’État partie conteste ce grief en faisant valoir que le régime de liberté conditionnelle ne fait pas partie de la peine ou de la sanction imposée par la loi mais est par nature un élément discrétionnaire et souple de la manière dont la peine est exécutée.

7.5Enfin les auteurs affirment que l’imposition d’une peine de réclusion à vie sans possibilité de libération conditionnelle à raison de crimes qu’ils ont commis quand ils étaient mineurs est incompatible avec les obligations de l’État partie découlant du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte. L’État partie fait valoir à ce sujet que son système de justice pénale accorde la protection voulue aux mineurs et que, en application de mesures de protection, les auteurs ont commencé leur détention dans une institution pour mineurs avant d’être transférés dans un établissement pour adultes lorsqu’ils ont eu 18 ans.

7.6Le Comité relève que, du fait de l’application de la Liste 1 de la loi de 1999 sur les crimes (prononcé des peines) et des modifications apportées par la suite, les auteurs doivent exécuter trente ans de leur peine à perpétuité avant d’avoir le droit d’en demander la détermination, qu’une telle détermination se limiterait à fixer une période de sûreté et qu’une fois achevée cette période incompressible, l’autorité responsable ne pourrait libérer les auteurs que s’ils étaient en danger de mort imminent ou frappés d’incapacité physique.

7.7Le Comité considère que la peine de réclusion à perpétuité prononcée alors que les auteurs étaient mineurs ne peut être compatible avec l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 10 et l’article 24 que s’il existe une possibilité de réexamen et une perspective de libération, quelles que soient la gravité du crime commis et les circonstances qui l’entourent. Cela ne signifie pas que la libération devrait nécessairement être accordée; cela signifie que la libération ne devrait pas être une simple possibilité théorique et que la procédure d’examen devrait être exhaustive, de manière à permettre aux autorités nationales d’évaluer les progrès réels accomplis par les auteurs dans leur réadaptation ainsi que les motifs justifiant qu’ils continuent d’être détenus, dans un contexte qui tienne compte du fait qu’ils avaient l’un 14 ans et l’autre 15 quand ils commirent leur crime.

7.8Le Comité note que dans le cas des auteurs la procédure d’examen est soumise, à la suite de plusieurs modifications de la législation applicable, à des conditions si restrictives que la perspective d’une libération semble extrêmement éloignée, compte tenu aussi de la «recommandation de non‑libération» faite par le juge Newman de la Cour suprême de la Nouvelle-Galles du Sud le 18 septembre 1990. De plus, si libération il y avait, elle serait accordée en cas de mort prochaine ou d’incapacité physique des auteurs et non en application des principes de l’amendement et du reclassement social visés au paragraphe 3 de l’article 10. À ce sujet, le Comité rappelle son Observation générale no 21 (1992), dans laquelle il indique qu’aucun système pénitentiaire ne saurait être axé uniquement sur le châtiment et qu’il devrait essentiellement viser le redressement et la réadaptation sociale du prisonnier. Le Comité souligne que ce principe s’applique avec une force particulière dans le cas de mineurs.

7.9Le Comité prend note des observations de l’État partie qui explique que les auteurs ont amplement bénéficié des politiques et programmes mis en œuvre dans les prisons pour favoriser leur développement personnel, encourager les contacts sociaux avec le monde extérieur et leur faire acquérir des compétences qui favoriseraient leur réinsertion sociale s’ils étaient libérés (voir par. 4.16 et 4.17). Le Comité note à ce sujet que l’État partie n’a avancé aucun argument donnant à penser que dans le cas des auteurs la réinsertion ne réussirait pas, par exemple en raison des résultats d’évaluations psychologiques et psychiatriques qui auraient été faites.

7.10Le Comité note que l’État partie fait valoir, au sujet de l’article 24 du Pacte, que son système de justice pénale assure la protection voulue aux mineurs, notamment par des procédures spéciales concernant la détention avant jugement, le procès et l’emprisonnement. Le Comité ne doute pas que de telles mesures existent et qu’elles ont été appliquées aux auteurs au moment du procès et pendant les premières années de leur détention. Toutefois, comme pour les articles 7 et 10, paragraphe 3, le principal grief au regard du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte demeure l’imposition d’une peine de réclusion à vie sans réelle possibilité de libération.

7.11Le paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte impose aux États parties l’obligation d’offrir aux enfants les mesures de protection qu’exige leur condition de mineur. Ces dispositions tiennent compte de la vulnérabilité et de l’immaturité des enfants ainsi que de leur capacité de développement. Ce droit qu’ont les enfants à une attention spéciale est également reconnu aux paragraphes 2 b) et 3 de l’article 10 du Pacte, ainsi qu’au paragraphe 5 de l’article 6, qui interdit de prononcer la peine capitale pour des crimes commis par des personnes âgées de moins de 18 ans. Le Comité considère que le «régime approprié à leur âge et à leur statut légal» auquel les mineurs délinquants doivent être soumis interdit de décider de façon définitive que les actions d’un mineur font qu’il est incapable de resocialisation et ne mérite pas d’être libéré, sans tenir compte de toute possibilité future de développement personnel et social, pendant toute sa vie. Le Comité rappelle à ce sujet l’article 37 a) de la Convention relative aux droits de l’enfant , qui dispose que «ni la peine capitale ni l’emprisonnement à vie sans possibilité de libération ne doivent être prononcés pour les infractions commises par des personnes âgées de moins de 18 ans». Si son rôle principal est de suivre l’application du Pacte, le Comité considère que cette disposition d’un instrument qui a fait l’objet d’une ratification ou d’une adhésion quasiment universelle, y compris par l’État partie, est une source utile pour éclairer son interprétation du Pacte dans la présente affaire.

7.12Compte tenu de la longue période qui doit s’écouler avant que les intéressés aient le droit de demander la libération conditionnelle, des conditions restrictives imposées par la loi pour obtenir une telle libération et du fait que les auteurs étaient mineurs au moment où ils ont commis leurs crimes, le Comité considère que la peine de réclusion à vie, telle qu’elle s’applique actuellement aux auteurs, ne satisfait pas aux obligations souscrites par l’État partie en vertu de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 10 et l’article 24. Étant parvenu à cette conclusion, le Comité n’examinera pas le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 15.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que l’État partie a violé les droits que tiennent les auteurs de l’article 7 du Pacte, de l’article 10, paragraphe 3, et de l’article 24.

9.Conformément à l’alinéa a du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, y compris une indemnisation. L’État partie est en outre tenu de prendre des mesures pour que des violations analogues ne se reproduisent pas. Ainsi, il devrait revoir sans tarder sa législation en vue de la rendre compatible avec les prescriptions de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec l’article 10, paragraphe 3, et l’article 24, et autoriser les auteurs à bénéficier de la législation modifiée.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement sur son territoire.