Nations Unies

C C PR/C/116/D/2327/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr : générale

3 mai 2016

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communicationno 2327/2014 *, **

Communication présentée par :

Y (représentée par un conseil, Joseph W. Allen)

Au nom de :

Y

État partie :

Canada

Date de la communication :

31 octobre 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 7 janvier 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

10 mars 2016

Objet :

Expulsion de l’auteure vers le Bangladesh

Question(s) de procédure :

Recevabilité – épuisement des recours internes ; recevabilité – défaut de fondement manifeste ; recevabilité – ratione materiae ; recevabilité – qualité de victime

Question(s) de fond :

Détention arbitraire ; discrimination ; non‑refoulement ; statut de réfugié ; droit à la vie ; torture

Article(s) du Pacte :

6 (par. 1), 7, 9 (par. 1) et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

1, 2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteure de la communication est Y, de nationalité bangladaise, née en 1960 et résidant actuellement au Canada. Elle fait l’objet d’une procédure d’expulsion après avoir été déboutée de sa demande d’asile au Canada. Elle affirme qu’en la renvoyant au Bangladesh, l’État partie violerait les droits qu’elle tient des articles 6 (par. 1), 7, 9 (par. 1) et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur pour le Canada le 19 août 1976. L’auteure est représentée par un conseil, Joseph W. Allen.

1.2Le 7 janvier 2014, conformément aux articles 92 et 97 de son règlement intérieur, le Comité des droits de l’homme, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a prié l’État partie de surseoir à l’expulsion de l’auteure vers le Bangladesh tant que la communication serait à l’examen. Le 10 septembre 2015, le Comité a rejeté la demande de levée des mesures provisoires formulée par l’État partie. L’auteure se trouve toujours au Canada.

1.3Le 13 août 2014, le Comité a rejeté la demande de l’État partie tendant à ce que la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure affirme que sa sœur, L., avait épousé au Bangladesh un homme violent, B. Maltraitée par celui-ci et en but à ses violences, L. a demandé le divorce et est partie au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord en 2005 avec son frère, I. Après le décès du père de l’auteure en 2006, I., qui avait la nationalité britannique, est rentré au Bangladesh. Là, il a été tué par trois individus : B., son frère K. S. (un officier supérieur de l’armée), et un de leurs amis. À la suite d’une conférence de presse tenue par la famille de l’auteure et de l’intervention du Haut-Commissaire britannique au Bangladesh, les trois meurtriers ont été reconnus coupables et condamnés à mort en 2007. Cependant, ils ont fait appel de leur condamnation pénale et leurs condamnations à mort ont été annulées à la suite du changement de gouvernement. L’annulation de condamnations à mort n’est pas inhabituelle au Bangladesh, où des peines sont annulées à l’arrivée au pouvoir d’un nouveau gouvernement.

2.2Un autre frère de B., S. (un inspecteur de police de haut rang), a menacé de tuer l’auteure et sa famille s’ils ne retiraient pas leur plainte contre les trois meurtriers. En octobre 2010, S. a appelé la mère de l’auteure et lui a dit que son frère et l’ami de celui-ci seraient bientôt remis en liberté. Il a ajouté : « Vous allez continuer de perdre vos enfants l’un après l’autre. Votre fille [l’auteure] est notre prochaine cible. Vous serez la dernière. » La mère de l’auteure a informé la police de cet appel, mais celle-ci n’a pris aucune mesure contre S. Profondément préoccupée par la sécurité de sa mère, la fille de l’auteure, qui vit au Canada, a parrainé sa demande de visa canadien de visiteur en novembre 2010. L’auteure a obtenu le visa en décembre 2010. Quelques jours avant son départ pour le Canada, elle a commencé à recevoir des appels téléphoniques d’un inconnu qui menaçait de la tuer. En réaction, elle a porté plainte au poste de police de Hajaribag à Dhaka, le 5 janvier 2011. Le même jour, elle est partie pour le Canada. S. et les individus qui ont assassiné le frère de l’auteure ont des relations influentes au sein du Gouvernement bangladais.

2.3Le fils et de nombreux autres parents de l’auteure ont demandé l’asile au Royaume‑Uni, et L. y a obtenu le statut de réfugié. Tous les frères et sœurs de l’auteure ont fui le Bangladesh, et son ex-mari et ses enfants vivent dans la clandestinité. L’auteure se trouve actuellement au Canada avec sa fille, qui est résidente permanente du pays.

2.4L’auteure affirme avoir épuisé les recours internes au Canada. Sa demande d’asile a été rejetée le 15 avril 2013 et sa demande tendant à être autorisée à soumettre cette décision de rejet au contrôle judiciaire a été rejetée le 23 août 2013. Quand elle a présenté sa communication au Comité, elle a affirmé qu’elle ne satisfaisait pas aux conditions requises pour présenter une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) ou une demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure fait valoir que l’État partie violerait les droits qu’elle tient des articles 6 (par. 1), 7, 9 (par. 1) et 26 du Pacte s’il la renvoyait de force au Bangladesh, où S. (ancien beau-frère de sa sœur L. et inspecteur de police) a menacé de tuer les membres de sa famille s’ils ne retiraient leur plainte contre ses frères et leur ami. Elle craint également la vengeance des trois meurtriers de son frère, dont les condamnations à mort ont été récemment annulées. Elle soutient qu’au Bangladesh tant la police que le système judiciaire sont minés par la corruption généralisée et l’impunité et qu’il est donc impossible d’y obtenir la protection des autorités.

3.2La Commission de l’immigration et du statut de réfugié a commis une erreur en concluant que l’auteure n’était pas crédible simplement parce que son nom n’était pas mentionné expressément dans les preuves écrites qu’elle avait présentées au sujet du meurtre de son frère ou dans les menaces ultérieures. L’auteure a fourni une copie de la plainte qu’elle avait déposée au poste de police à Dhaka au sujet des menaces de mort qu’elle avait reçues par téléphone. Elle présente aussi au Comité une nouvelle déclaration faite par sa sœur L. pour confirmer que l’auteure faisait comme elle l’affirme l’objet de violences et de menaces. Elle fait valoir en outre qu’elle n’a jamais eu de possibilité réelle de contester la décision de la Commission sur le fond parce que l’autorisation de contrôle judiciaire d’une décision rendue par cette commission n’est accordée que dans 10 % des cas environ.

3.3L’auteure affirme en outre qu’elle souffre d’une dépression sévère et d’anxiété et que les symptômes sont si graves qu’ils nuisent à son fonctionnement quotidien.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations datées du 24 juin 2014, l’État partie affirme que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif parce que l’auteure n’a pas épuisé les voies de recours internes. Depuis le 15 mars 2014, il lui est loisible de présenter une demande d’ERAR et une demande pour motifs d’ordre humanitaire et, le 1er avril 2014, elle a présenté une demande d’ERAR. Cela signifie que ses allégations concernant le risque qu’elle courrait si elle était renvoyée au Bangladesh seront évaluées avant qu’elle soit expulsée. Si sa demande d’ERAR est rejetée, l’auteure pourra demander un contrôle judiciaire de cette décision ainsi qu’un sursis à exécution de la décision d’expulsion pendant que sa demande de contrôle judiciaire est pendante. Étant donné qu’elle a déposé une demande d’ERAR, sa communication devant le Comité est devenue sans objet et est donc irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

4.2L’État partie estime en outre que les griefs que l’auteure tire des articles 9, paragraphe 1, et 26 du Pacte sont irrecevables en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif parce que ces dispositions ne sont pas d’application extraterritoriale. Les risques pour sa sécurité allégués par l’auteure devraient être considérés uniquement dans le cadre de l’appréciation de ses griefs au regard des articles 6 et 7.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires datés du 25 juillet 2014, l’auteure affirme que l’examen des risques avant renvoi n’est pas un recours utile parce qu’il n’est fait droit qu’à 2 à 3 % des demandes d’ERAR.

5.2L’auteure soutient également que la possibilité d’obtenir le statut de résident pour motifs d’ordre humanitaire ne dépend pas seulement des difficultés auxquelles le demandeur serait exposé à son retour dans son pays d’origine mais aussi de la mesure dans laquelle il est établi au Canada. Parce qu’elle fait « actuellement face à des problèmes psychologiques et a du mal à obtenir un emploi », ce qui est un élément important pour prouver qu’elle est établie au Canada, l’auteure a choisi d’attendre jusqu’à ce qu’elle puisse présenter une demande pour motifs d’ordre humanitaire plus solide et plus susceptible d’aboutir. En outre, étant donné que l’exécution de la mesure d’expulsion n’est pas automatiquement suspendue pendant l’instruction d’une telle demande, celle-ci ne constitue pas un recours disponible et utile.

5.3En ce qui concerne la question de l’application extraterritoriale de l’article 9, paragraphe 1, du Pacte, l’auteure fait valoir que le Comité devrait suivre, en matière de recevabilité, l’approche retenue dans ses constatations concernant la communication no 1898/2009, qui portaient sur des allégations, documents et situation familiale similaires laissant craindre un risque de détention arbitraire et de persécution en cas de retour au Bangladesh. Elle fait également valoir que le même raisonnement devrait s’appliquer au grief qu’elle tire de l’article 26 du Pacte.

5.4Le 16 octobre 2014, l’auteure a informé le Comité que sa demande d’ERAR avait été rejetée pour les mêmes raisons que celles avancées par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité, et observations sur le fond

6.1Dans ses observations datées du 8 janvier 2015, l’État partie a informé le Comité que l’auteure avait présenté une demande tendant à être autorisée à soumettre la décision ERAR au contrôle judiciaire ; cette demande était toujours pendante. L’auteure avait toujours le droit de présenter une demande pour motifs d’ordre humanitaire mais elle ne l’a pas fait.

6.2L’État partie réaffirme que la communication est irrecevable en vertu des articles 1, 2, 3 et 5, paragraphe 2 b), parce qu’elle est sans objet, que les recours internes n’ont pas été épuisés et qu’elle est incompatible avec les dispositions du Pacte. En ce qui concerne les critiques de l’auteure au sujet de l’ERAR, l’État partie fait observer que la Cour fédérale du Canada a confirmé dans plusieurs affaires que les agents de l’ERAR se prononçaient en toute indépendance. En outre, le taux d’acceptation des demandes d’ERAR ne signifie pas en lui-même que le processus manque d’indépendance ou soit biaisé en faveur de l’expulsion. La pertinence du faible taux d’acceptation doit être évaluée à la lumière de la nature de ce programme et de ses clients. La Section de la protection des réfugiés a en effet déjà constaté que la plupart des demandeurs ne risquaient pas d’être persécutés, que leur vie n’était pas en danger et qu’ils ne risquaient pas d’être torturés ni de faire l’objet de traitements ou peines cruels ou inhabituels. Le programme ERAR vise à évaluer s’il existe au moment de l’expulsion un risque qui n’existait peut-être pas au moment de l’entretien avec la Section. Étant donné que selon des statistiques récentes le taux d’acceptation global des réfugiés au Canada est de 41,6 % environ, le taux d’acceptation des demandes d’ERAR, qui est plus faible, tient au fait que la plupart des personnes ayant besoin d’une protection la reçoivent de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

6.3L’État partie précise qu’au regard de son droit interne le processus d’ERAR ne constitue pas un appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés. Le demandeur ne peut soumettre pour examen que de nouveaux éléments de preuve liés à un risque qui est apparu après que la Section de la protection des réfugiés a rendu sa décision, ou qui n’étaient pas raisonnablement disponibles à ce moment. En outre, l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi ne peut lui aussi tenir compte que des éléments de preuve qui montrent que le requérant serait exposé à un risque nouveau, différent ou supplémentaire qui n’a pas été envisagé lorsque la Section de la protection des réfugiés a pris sa décision. Dans le cas de l’auteure, l’agent s’est acquitté de ses fonctions avec diligence, en recherchant s’il y avait eu un changement dans la situation du pays et en examinant les éléments de preuve que l’auteure présentait comme nouveaux. L’agent a constaté que les éléments de preuve présentés comme nouveaux ne l’étaient pas parce qu’ils étaient soit antérieurs à l’entretien avec la Section de la protection des réfugiés et auraient donc dû être présentés à celle-ci, soit sans rapport avec le processus d’ERAR. En particulier, l’agent a examiné la lettre datée du 10 décembre 2013 émanant de la sœur de l’auteure, L. Il a noté que bien que la date de cette lettre fût postérieure à l’entretien avec la Section de la protection des réfugiés, il ne s’agissait pas d’un élément nouveau parce qu’il était raisonnable de penser que l’auteure aurait pu disposer de cette lettre pour la communiquer à la Section de la protection des réfugiés lors de son entretien. L’auteure aurait pu facilement obtenir une telle lettre de L. pour la présenter à cette occasion. En outre, l’agent a conclu que les déclarations faites dans la lettre de L. ne répondaient pas à toutes les questions soulevées par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

6.4En ce qui concerne l’argument de l’auteure selon lequel présenter une demande pour motifs d’ordre humanitaire n’est pas un recours disponible ni utile, l’État partie considère que l’auteure peut exercer ce recours, qui lui est ouvert depuis le 15 mars 2014. Bien que le dépôt d’une telle demande n’ait pas automatiquement pour effet de suspendre l’exécution d’une décision d’expulsion en attendant l’issue de l’évaluation, l’auteure peut demander à la Cour fédérale de surseoir à l’exécution de son renvoi afin de pouvoir rester au Canada pendant l’examen de sa demande. Au final, s’il est fait droit à sa demande pour motifs d’ordre humanitaire, elle pourra rester au Canada en qualité de résidente permanente. Étant donné que ceux dont la demande est acceptée sont autorisés à rester au Canada, la demande pour motifs d’ordre humanitaire est un recours interne utile dont disposent les personnes dont la demande de protection a été rejetée.

6.5L’État partie relève que, dans les affaires Dastgir c. Canada et K han c. Canada, le Comité a estimé que les demandes pour motifs d’ordre humanitaire étaient un recours utile devant avoir été épuisé aux fins de la recevabilité. Il regrette que le Comité ait adopté, plus récemment, la position selon laquelle ces demandes n’étaient pas des recours devant être épuisés aux fins de la recevabilité. L’État partie considère que les motifs pour lesquels l’auteur d’une communication est autorisé à rester au Canada ne devraient pas compter dès lors que l’intéressé est protégé contre un renvoi vers un pays où il affirme qu’il serait en danger. La demande pour motifs d’ordre humanitaire est une procédure administrative équitable, soumise au contrôle du juge, qui comprend une évaluation des difficultés auxquelles l’intéressé pourrait être exposé s’il lui fallait demander le statut de résident permanent au Canada depuis l’étranger. En fait, un certain nombre de communications introduites devant différents organes conventionnels, dont le Comité, ont été abandonnées parce que la demande pour motifs d’ordre humanitaire de leurs auteurs avait été acceptée. Récemment, deux communications concernant le Canada dont était saisi le Comité – les communications no 2138/2012 et no 2144/2012 – ont été classées pour cette raison.

6.6L’État partie répond également à l’argument de l’auteure qui affirme qu’elle retarde sa demande pour motifs d’ordre humanitaire de manière à « pouvoir présenter une demande plus solide et plus susceptible d’aboutir ». Il considère que cette explication de l’auteure confirme que ce recours est à la fois disponible et utile et doit donc être épuisé aux fins de la recevabilité. L’auteure affirme qu’elle fait « actuellement face à des problèmes psychologiques qui font qu’elle a du mal à obtenir un emploi », mais elle déclare qu’elle est employée depuis 2013. Retarder délibérément comme elle le fait la présentation d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire alors que ce recours lui est ouvert est inapproprié. La présentation d’une demande de résidence pour motifs d’ordre humanitaire ne saurait en effet se substituer au processus d’immigration ni être un mécanisme d’appel pour les demandeurs d’asile déboutés. Cette procédure est réservée aux demandeurs qui se heurteraient personnellement à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’ils étaient tenus de suivre la procédure normale de demande d’immigration au Canada par les voies ordinaires, à savoir depuis l’étranger. Faire droit à une demande pour motifs d’ordre humanitaire peut être envisagé lorsque la période pendant laquelle le demandeur ne peut pas quitter le Canada en raison de circonstances indépendantes de sa volonté est d’une durée considérable et qu’il existe des preuves d’un degré appréciable d’établissement au Canada. L’auteure indique que c’est délibérément qu’elle retarde l’exercice d’un recours disponible et utile ; on ne peut donc pas dire que la situation dans laquelle elle se trouve soit indépendante de sa volonté. En conséquence, il est inapproprié pour l’auteure de commencer par alléguer que l’État partie a violé ses obligations en vertu du Pacte parce qu’il lui refuse l’accès à un recours interne pour affirmer ensuite, une fois que ce recours lui est ouvert, qu’il ne s’agit pas d’un recours utile et de s’abstenir délibérément de l’exercer.

6.7L’État partie considère aussi que la requête est irrecevable car manifestement mal fondée, l’auteure n’ayant pas étayé, ne serait-ce que prima facie, les griefs qu’elle formule au titre des articles 6 et 7 du Pacte. La Section de la protection des réfugiés a conclu que l’auteure n’était pas crédible. Les preuves documentaires que celle-ci a fournies ne font « aucune mention de [l’auteure] dans une situation, où si [ses] allégations étaient vraies, l’on s’attendrait à ce qu’elle soit mentionnée ». La Section a expliqué qu’elle s’attendait à ce que le nom de l’auteure figure dans les preuves qu’elle a présentées pour les raisons suivantes : de nombreux éléments de preuve détaillés concernant cette affaire de meurtre sont disponibles en raison de la forte publicité dont a fait l’objet le meurtre du frère de l’auteure, I., qui avait la nationalité britannique ; de nombreuses personnes et équipes juridiques étaient parties à cette affaire, de sorte que les faits relatifs à celle-ci étaient bien établis ; l’auteure est issue d’une famille nombreuse, dont beaucoup de membres résident toujours au Bangladesh et lui fournissent des renseignements ; et la Section a l’habitude des demandes émanant du Bangladesh et sait que la presse est très dynamique dans ce pays. La Section a fait des observations sur la quantité importante de documents relatifs au meurtre et aux allégations d’intimidation, soulignant que cela était en partie dû aux efforts faits par la famille de l’auteure pour que le Gouvernement du Royaume-Uni ait conscience qu’il y aurait déni de justice si les meurtriers d’un citoyen britannique n’étaient pas poursuivis. En outre, la Section a noté qu’il avait été procédé à des analyses approfondies des risques encourus par la famille de l’auteure au Bangladesh à l’occasion des audiences relatives aux demandes d’asile déposées au Royaume-Uni par la sœur de l’auteure, L., et le neveu de l’auteure. La Section a accordé très peu de valeur probante à la plainte déposée par l’auteure auprès de la police car ce document a été créé par l’auteure elle-même le jour où elle a quitté le Bangladesh pour le Canada alors qu’elle savait qu’elle allait demander une protection en tant que réfugiée au Canada. En outre, cette plainte ne visait personne nommément, et le fait que l’auteure ait quitté immédiatement le Bangladesh garantissait qu’elle ne donnerait pas lieu à enquête plus approfondie.

6.8La Section de la protection des réfugiés a noté que ni l’auteure ni sa mère n’étaient mentionnées dans les documents relatifs à la période ayant précédé le procès pour meurtre et à celui-ci (dont une lettre écrite par son frère J. en 2006, qui énumère les membres de la famille qui étaient menacés). Elle a également noté que les menaces et actes d’intimidation visant les membres de la famille de l’auteure, notamment son frère J. et sa sœur L., allégués par celle-ci sont mal étayés. Elle a aussi constaté qu’il n’y avait aucune mention de l’auteure et de sa mère, ni des menaces dont l’auteure allègue qu’elles avaient fait l’objet, dans une lettre écrite par la belle-sœur de l’auteure (M., la veuve de I.) et datée de plus d’un an après l’arrivée de l’auteure au Canada, dans laquelle M. affirme qu’elle-même, ses enfants, sa belle-sœur, L., et les enfants de L. ont fait l’objet de menaces. S’agissant spécifiquement de la lettre de M., la Section a estimé que le fait qu’il ne soit pas fait mention des propres allégations de l’auteure dans cette lettre posait un « problème de crédibilité ». Lors de l’entretien mené dans le cadre de la procédure d’asile, elle a expressément interrogé l’auteure sur cette omission. L’auteure a affirmé que M. n’avait pas fait mention de l’auteure ni de sa mère parce qu’elle ne parlait que de sa famille au Royaume-Uni. La Section a toutefois rejeté cette explication parce que la lettre mentionnait L. et sa famille (qui initialement étaient restées au Bangladesh après le procès).

6.9L’État partie fait aussi observer que la Section de la protection des réfugiés a demandé à l’auteure d’expliquer pourquoi elle ne pouvait pas fournir de preuves plus concluantes pour étayer ses allégations relatives aux efforts faits par la Ligue Awami pour obtenir la remise en liberté de B. et de K. S., et à leur remise en liberté effective. L’auteure a répondu qu’elle ne pouvait pas le faire parce qu’il n’y avait « plus personne [au Bangladesh] ». La Section n’a pas accepté cette réponse parce qu’elle était incompatible avec d’autres éléments, établissant que l’auteure avait des liens familiaux très étendus au Bangladesh, dont son mari, ses trois filles et de nombreux oncles, tantes, cousins et cousines. Étant donné que le meurtre et le procès pour meurtre avaient été très largement médiatisés et en raison du dynamisme et du caractère partisan de la presse au Bangladesh, la Section a considéré que s’il y avait eu des faits nouveaux importants dans cette affaire de meurtre, ils auraient été rapportés par la presse (en particulier dans les articles du Parti nationaliste du Bangladesh portant sur les mesures prises par son adversaire, la Ligue Awami) ou consignés dans des documents juridiques. Or, aucun renseignement ou document de ce type ne lui a été fourni. La Section a examiné la décision rendue en 2008 par la Chambre britannique de l’immigration et de l’asile au sujet de la demande d’asile de L., ainsi que la décision rendue en appel au Royaume-Uni en 2012 au sujet de la demande d’asile du neveu de l’auteure, H. Elle a relevé que ces décisions contenaient une « analyse approfondie du risque encouru par la famille [de l’auteure] au Bangladesh ». Elle a noté que, dans la décision concernant la demande de L., il était indiqué de manière tout à fait explicite que l’auteure n’avait pas reçu de menaces, et sa mère non plus.

6.10S’agissant de la décision rendue en appel en 2012 au sujet de la demande d’asile de H., il n’y est pas fait mention de menaces visant l’auteure ou sa mère, alors que l’audition de H. avait eu lieu après que l’auteure eut quitté le Bangladesh et que sa mère fut décédée, selon l’auteure des suites de l’anxiété provoquée par les menaces de mort. La Section a aussi noté que le témoignage de la sœur de l’auteure, L., dans le cadre de l’appel interjeté par H., contredisait spécifiquement les allégations de l’auteure qui affirmait que S. visait expressément L. (la mère de H.), puisque L., en réponse à une question du juge du Royaume-Uni qui lui demandait pourquoi S. ne l’avait pas visée directement, avait déclaré que S. se livrait à un « harcèlement clandestin » en engageant de fausses actions judiciaires. La Section a constaté qu’outre qu’il contredisait l’allégation de l’auteure selon laquelle elle était en danger, le témoignage de L. affaiblissait aussi l’allégation de l’auteure selon laquelle elle n’était pas protégée par l’État, puisque « le corollaire du fait que S. fasse profil bas [était] l’existence d’une protection de l’État ». La Section a conclu que la décision rendue en appel dans la procédure d’asile de H. démontrait que H. et sa famille couraient un risque pour une raison précise – le fait qu’ils étaient concernés par l’affaire de meurtre. Elle a également conclu que, compte tenu des éléments dont elle était saisie, l’auteure n’était pas concernée par cette affaire. En conséquence, en se fondant sur les éléments communiqués par l’auteure, la Section a indiqué que globalement elle ne voyait pas pourquoi l’auteure serait une cible pour S. et, en fait, qu’elle n’estimait pas raisonnable de considérer que l’auteure courait un risque. La Section a, de sa propre initiative, recherché des éléments corroborant les allégations de l’auteure, mais elle a conclu que le « seul élément de preuve corroborant » l’existence d’un « risque spécifique » pour l’auteure était la plainte que celle‑ci avait déposée auprès de la police le jour où elle avait quitté le Bangladesh pour le Canada. La Section a accordé très peu de valeur probante à ce document pour les raisons indiquées plus haut. Pour conclure que les allégations de l’auteure étaient fausses et constituaient une manœuvre pour être autorisée à vivre au Canada avec sa fille, la Section avait eu l’avantage d’observer l’auteure directement, d’entendre son témoignage oral et de l’interroger.

6.11D’autres éléments portent à croire que l’auteure n’est pas crédible. Par exemple, lors de son entretien avec la Section de la protection des réfugiés et dans sa communication, l’auteure a affirmé que sa mère était décédée en mai 2011 « du fait de l’anxiété provoquée par les menaces de mort ». Or, dans la demande d’ERAR qu’elle a remplie le 31 mars 2014, elle indique que sa mère est vivante et réside au Bangladesh. En outre, et toujours selon la demande d’ERAR de l’auteure, il semble que le fils de l’auteure, qui résidait auparavant à Londres et qui avait, selon la communication de l’auteure, demandé l’asile au Royaume‑Uni, soit rentré au Bangladesh. L’auteure avait invoqué la demande d’asile de son fils comme preuve que sa famille fuyait le Bangladesh. Le fait qu’elle ait omis de porter ce changement de situation à l’attention du Comité est donc préoccupant. En outre, l’audition et la décision en appel concernant la demande d’asile du neveu de l’auteure, H., ont eu lieu au Royaume-Uni le 23 novembre 2012, un peu moins de trois mois avant l’audition de l’auteure dans le cadre de sa demande de protection, qui s’est tenue le 14 février 2013. Or la décision du Royaume-Uni ne mentionne pas les allégations de l’auteure selon lesquelles S. avait essayé de faire intervenir le Gouvernement bangladais en ce qui concerne la condamnation et la peine de B., K. S. et P., ou que ces trois individus avaient été remis en liberté. Il est difficile d’admettre que H., dont la demande d’asile initiale avait été rejetée, n’aurait pas invoqué ces faits, car ils auraient renforcé sa position en appel.

6.12En ce qui concerne les allégations de l’auteure selon lesquelles la situation des droits de l’homme au Bangladesh se détériore, l’État partie fait valoir que les documents que présente l’auteure sont semblables (et dans certains cas, identiques) à ceux qui ont été présentés et examinés par la Section de la protection des réfugiés et l’agent ayant procédé à l’examen des risques avant renvoi. L’une comme l’autre ont expressément pris acte de ces documents et la Section, en particulier, a constaté que la corruption était endémique au Bangladesh. Par conséquent, la situation des droits de l’homme au Bangladesh, telle que perçue par l’auteure, a été soigneusement évaluée par les décideurs nationaux.

6.13Un examen de rapports antérieurs et de rapports plus récents des institutions invoquées par l’auteure (ainsi que des rapports de pays du Gouvernement du Royaume-Uni, de Human Rights Watch et d’Amnesty International) semble indiquer que la situation des droits de l’homme au Bangladesh n’a pas empiré ; elle est restée la même, voire s’est légèrement améliorée dans certaines régions. En outre, l’auteure n’a fourni aucun élément montrant comment le niveau général de risque affecte sa situation personnelle. Elle n’a pas étayé son allégation selon laquelle l’actuel Gouvernement de la Ligue Awami était intervenu ou interviendrait pour orienter l’issue du procès pour meurtre ou avait libéré ou libérerait les meurtriers.

6.14L’auteure ne fournit aucun élément pour étayer son affirmation selon laquelle les « agents de persécution » qui ont tué son frère ont des relations influentes dans les milieux judiciaires et politiques, pas plus qu’elle n’a fourni de preuves démontrant que quiconque ait utilisé ses prétendues relations pour influencer l’issue du procès pour meurtre. En fait, les éléments de preuve présentés par l’auteure lors de son audition dans le cadre de sa demande de protection suggèrent le contraire : comme indiqué par la Section de la protection des réfugiés, les éléments qu’elle a présentés établissent que la police bangladaise est à l’évidence disposée à arrêter et à inculper un capitaine de l’armée bangladaise (K. S.). En outre, il ressort également clairement de la communication de l’auteure que la police bangladaise est prête à arrêter et à inculper un inspecteur de police (P.) ainsi qu’une personne dont un frère est inspecteur de police et un autre capitaine dans l’armée (B.). Il ressort aussi clairement de la communication de l’auteure que la justice du Bangladesh est disposée et apte à condamner des membres de la police et de l’armée. En conséquence, l’affirmation de l’auteure selon laquelle « les autorités sont une partie importante du problème [de la corruption], de sorte qu’il est impossible de s’adresser à elles pour obtenir de l’aide », semble fausse pour ce qui est de sa situation particulière.

6.15L’auteure n’a fourni aucune preuve pour étayer ses allégations concernant la raison pour laquelle les peines de mort ont été annulées et les condamnations pénales frappées d’appel. Elle affirme que cela est dû au fait que le Gouvernement a changé en 2008 (passant du Parti nationaliste du Bangladesh à la Ligue Awami). Elle note qu’il n’est pas inhabituel au Bangladesh que des peines soient annulées lorsqu’un nouveau gouvernement arrive au pouvoir. On ne peut cependant plus qualifier la Ligue Awami de « nouveau gouvernement » puisqu’elle est au pouvoir depuis six ans et l’était depuis cinq ans lorsque l’auteure a saisi le Comité. En outre, selon la communication de l’auteure, les meurtriers de son frère sont B., K. S. et P. La seule information donnée par l’auteur qui se rapporterait à cette affaire de meurtre est la photocopie d’une capture d’écran, apparemment du site Web de la Cour suprême du Bangladesh, qui fait référence à un certain nombre d’affaires dans lesquelles trois personnes (B., A., et P.) sont en cause. Or aucun élément ne confirme que ces individus sont les mêmes que ceux identifiés par l’auteure comme étant les meurtriers de son frère. En outre, il n’y a aucune preuve que le Gouvernement de la Ligue Awami soit intervenu ou intervienne dans cette affaire de meurtre.

6.16L’État partie estime aussi que l’auteure n’a pas démontré qu’elle n’aurait pas la possibilité de fuir ailleurs au Bangladesh. La Section de la protection des réfugiés a examiné cette question lorsqu’elle a noté que le persécuteur présumé de l’auteure, S., était inspecteur de police à Rajshahi, ville située à 250 kilomètres de Dhaka. Elle a conclu qu’il n’y avait aucun élément montrant que S. avait des relations politiques particulières, ce qui signifie qu’il n’avait aucune influence au-delà de Rajshahi. Les éléments présentés par l’auteure confirment que S. n’a aucune influence. Le mari de l’auteure, quatre de leurs cinq enfants et sa mère sont restés au Bangladesh. En outre, la famille élargie de l’auteure, en particulier du côté de son père, compte de nombreux membres dont beaucoup résident toujours au Bangladesh, notamment de nombreux oncles, tantes, cousins et cousines. Il apparaît donc qu’il y a au Bangladesh un grand nombre d’endroits où l’auteure pourrait résider en toute sécurité.

6.17Les allégations de persécution de l’auteure concernent les actes d’un particulier, S., et non des autorités de l’État. La Section de la protection des réfugiés a noté que l’auteure pouvait bénéficier de la protection de l’État puisque la police bangladaise avait arrêté et inculpé les trois responsables du meurtre de I. Elle l’avait fait alors qu’au moment de leur arrestation, K. S. était capitaine dans l’armée, P. était inspecteur de police et B. avait un frère inspecteur de police (à savoir S.) et un autre capitaine dans l’armée (à savoir K. S.). Selon la communication de l’auteure, ces trois individus ont ensuite tous été jugés et condamnés par un tribunal du Bangladesh. La Section a également constaté que la protection de l’État existait, après avoir examiné le témoignage de L. lors de la procédure d’appel concernant la demande d’asile de H. (indiquant que S. harcelait clandestinement L. afin d’éviter d’être découvert). La Section a estimé que ce témoignage affaiblissait aussi les allégations de l’auteure quant à l’absence de protection de l’État car « le corollaire du fait que S. fasse profil bas est l’existence d’une protection de l’État ». L’auteure n’a pas présenté de preuves montrant que l’une quelconque des menaces émanant de S. ait été d’une manière ou d’une autre validée par l’État. En effet, compte tenu du témoignage de L. à l’audience d’appel de H., la conclusion logique est que l’État n’a pas validé le comportement imputé à S. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie conclut que l’auteure n’a pas établi que les droits qu’elle tient des articles 6 ou 7 seraient violés si elle était renvoyée au Bangladesh.

6.18L’État partie fait en outre valoir que les griefs que l’auteure tire des articles 9 (par. 1) et 26 sont irrecevables ratione materiae parce que ces articles ne sont pas d’application extraterritoriale, et sont sans fondement à la lumière de ce qui précède.

6.19L’État partie note également que l’auteure affirme qu’elle « n’a jamais eu de possibilité réelle de contester sur le fond la décision défavorable rendue par la [Section de la protection des réfugiés] » et relève qu’elle critique le système d’immigration et de protection du Canada. Il considère qu’il n’appartient pas au Comité d’évaluer le système canadien de protection des réfugiés en général, mais qu’il lui revient seulement d’examiner si, en l’espèce, l’État partie s’est acquitté de ses obligations au regard du Pacte. En outre, les critiques de l’auteure ne sont pas justifiées, ce pour plusieurs raisons. Premièrement, la demande d’autorisation a été jugée constitutionnelle par la Cour d’appel fédérale canadienne. Un requérant doit démontrer qu’il existe une « cause raisonnablement défendable » ou une « question sérieuse à trancher » par voie de contrôle judiciaire. Les demandes d’autorisation sont soigneusement examinées par un juge de la Cour fédérale qui se fonde sur les observations écrites de l’auteur et du Gouvernement.

6.20Deuxièmement, l’affirmation de l’auteure, selon qui les demandes d’autorisation ne sont accordées que dans 10 % des cas, est basée sur des statistiques de 2006 établies par le Conseil canadien pour les réfugiés. Les statistiques compilées par la Cour fédérale elle‑même à partir des données pour l’année civile 2013 indiquent que sur 5 496 demandes d’autorisation de contrôle judiciaire au titre des demandes d’asile qui ont été examinées pendant cette période, 685 ont été acceptées. En d’autres termes, le taux d’acceptation était de 12,5 %. Ces statistiques ne sont pas le signe d’un manque de vigilance de la Cour fédérale, mais montrent au contraire que celle-ci consacre l’essentiel de ses ressources, qui ne sont pas illimitées, aux décisions qui satisfont au critère établi d’autorisation. Le tri des affaires est rendu nécessaire par le grand nombre de demandes d’autorisation qui sont déposées chaque année.

6.21Troisièmement, le système actuel de contrôle judiciaire par la Cour fédérale prévoit bel et bien un « examen judiciaire au fond » des décisions de la Section de la protection des réfugiés, car il autorise un réexamen des questions tant de droit que de fait. Comme dans de nombreux systèmes juridiques dans le monde, au Canada le contrôle judiciaire peut être qualifié de supervision judiciaire des décisions administratives. Pour des raisons d’expertise, d’accessibilité et d’efficacité, un tribunal administratif spécialisé est souvent le meilleur principal décideur pour une question particulière. La Section de la protection des réfugiés est une division de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, tribunal indépendant et quasi judiciaire. Les membres de la Commission connaissent exclusivement de questions d’immigration et de réfugiés, reçoivent une formation spécialisée dans ce domaine du droit, se tiennent informés et connaissent la situation et les événements survenus dans le pays faisant l’objet d’allégations de persécutions et autres violations des droits de l’homme. Ils ont accès au programme de recherche de la Commission qui est internationalement reconnu et qui produit, entre autres, des « cartables nationaux de documentation » pour tous les pays pour lesquels il existe une demande de protection de réfugiés. Si les membres de la Commission sont les mieux placés pour être les principaux décideurs, le contrôle judiciaire a pour fonction d’assurer la légalité, le caractère raisonnable et l’équité de la procédure administrative de décision et de ses résultats. La Cour fédérale réexamine les décisions de la Commission en vue d’y déceler des erreurs de fait ou portant à la fois sur les faits et le droit, en règle générale selon le critère du caractère raisonnable, eu égard à la compétence du tribunal. Cela étant, elle peut aussi réexaminer le bien-fondé de tout aspect de la décision du tribunal qui met en cause des questions de droit d’une importance centrale pour le système juridique dans son ensemble et ne relevant pas de la compétence de la Commission. Le contrôle judiciaire ne pourrait pas fonctionner efficacement si chaque réexamen reprenait l’affaire depuis le début et si le tribunal chargé du réexamen agissait comme un deuxième juge des faits qui ne montrerait aucun respect pour le décideur administratif, car un système judiciaire qui fonctionne correctement et est chargé des contrôles judiciaires et des examens en appel ne peut pas rejuger la même affaire à de multiples degrés de juridiction. Cette approche serait tout simplement impossible dans n’importe quel système administratif.

6.22Quatrièmement, les griefs de l’auteure concernant la procédure de contrôle judiciaire sont sans fondement. La Section de la protection des réfugiés a soigneusement motivé le raisonnement par lequel elle a déterminé que les allégations de persécution de l’auteure étaient fausses. Enfin, en ce qui concerne les critiques de l’auteure au sujet des récents changements apportés aux processus d’ERAR et de demande pour motifs d’ordre humanitaire, l’État partie considère que ces allégations sont sans objet parce que l’auteure est autorisée à se prévaloir de ces processus depuis le 15 mars 2014. En outre, les modifications législatives dont se plaint l’auteure ont été apportées en 2010 pour rationaliser le système canadien d’immigration et de protection des réfugiés en supprimant des procédures qui faisaient double emploi. Plusieurs décideurs évaluent les allégations de risque personnel présentées par les personnes qui demandent la protection de l’État partie : la Section de la protection des réfugiés, la Cour fédérale, et un fonctionnaire de l’Agence des services frontaliers du Canada (en cas de demande de suspension de la décision administrative du renvoi). Ces évaluations des risques s’effectuent habituellement dans un délai de douze à dix-huit mois, ce qui rend superflue une nouvelle évaluation des mêmes facteurs de risque par un agent chargé de l’examen des risques avant renvoi ou un agent chargé des demandes pour motifs d’ordre humanitaire. En outre, le processus de demande pour motifs d’ordre humanitaire est destiné à offrir aux requérants une autre voie par laquelle demander la protection de l’État partie, qui n’est pas fondée sur le risque personnel de préjudice irréparable mais a une assise plus large et permet de tenir compte d’un certain nombre d’autres facteurs. L’auteure n’a fourni aucun élément pour étayer ses critiques du système de protection des réfugiés au Canada.

6.23Pour les raisons qui précèdent, l’État partie considère également que la communication est entièrement dénuée de fondement. Il estime en outre que l’auteure cherche à obtenir du Comité qu’il agisse comme un tribunal de « quatrième instance » et que les éléments qu’elle a soumis ne sauraient conduire à la conclusion que les décisions internes étaient manifestement arbitraires ou erronées ou équivalaient à un déni de justice.

Nouveaux commentaires de l’auteure

7.1Le 1er mai 2015, l’auteure a informé le Comité qu’elle avait déposé une demande pour motifs d’ordre humanitaire en janvier 2015. Les trois hommes qui auraient tué son frère avaient été libérés après qu’il a été fait droit à leur appel devant la Chambre d’appel pénale le 13 novembre 2014. Leur remise en liberté présentait un danger supplémentaire pour l’auteure si elle retournait au Bangladesh.

7.2Le 4 septembre 2015, l’auteure a informé le Comité que l’un de ses neveux, H., avait obtenu l’asile au Royaume-Uni. Elle affirme qu’une demande pour motifs d’ordre humanitaire ne suspend pas l’exécution d’une décision de renvoi jusqu’à acceptation de la demande au « premier niveau » et que l’acquittement et la libération de B. et ses associés la mettraient encore plus en danger. Les condamnations de ces trois individus ont été annulées « dès que [le Royaume-Uni] a cessé d’exercer une pression », ce qui démontre l’absence manifeste de protection de l’État au Bangladesh. Enfin, les preuves écrites actuelles montrent que rien n’a changé au Bangladesh depuis que la communication a été présentée en 2013. L’impunité et la corruption minent toujours les processus judiciaires et empêchent les individus d’obtenir une protection de l’État dans le pays.

Nouvelles observations de l’État partie

8.Dans une nouvelle note datée du 6 juillet 2015, l’État partie reprend ses arguments antérieurs et fait observer que, selon le document fourni par l’auteure, la Haute Cour a annulé les condamnations des meurtriers présumés de son frère le 23 janvier 2013, et non le 13 novembre 2014 comme l’affirme l’auteure. Celle-ci aurait donc pu se prévaloir de cette décision de la Haute Cour lors de son audition devant la Section de la protection des réfugiés le 14 février 2013, ainsi que dans sa demande d’ERAR déposée le 22 octobre 2014. En outre, rien dans les décisions de la Cour ou les observations de l’auteure ne prouve que celle-ci court un risque, ou que les autorités bangladaises ne sont pas capables de la protéger. Les décisions des décideurs canadiens n’étaient pas fondées sur le point de savoir si les individus accusés étaient (ou resteraient) incarcérés. De fait, S. n’était pas incarcéré. L’évaluation des risques était au contraire fondée sur les considérations mentionnées dans les observations antérieures de l’État partie. L’auteure n’a été mentionnée dans aucune des lettres que sa famille a envoyées aux autorités du Royaume‑Uni pour se plaindre de menaces de mort et indiquer quels membres de la famille avaient été menacés, et elle n’a non plus été mentionnée comme étant menacée ou en danger au Bangladesh dans aucune des procédures d’asile au Royaume-Uni. De fait, dans la procédure d’asile concernant L., il a été expressément indiqué que l’auteure n’avait pas été menacée.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner toute plainte formulée dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

9.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.3Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle les auteurs doivent faire usage de tous les recours internes pour satisfaire à la prescription énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, pour autant que de tels recours semblent être utiles en l’espèce et leur soient ouverts de facto. Il note que l’auteure a introduit une demande pour motifs d’ordre humanitaire, qui est pendante, et que l’État partie considère qu’il s’agit d’une voie de recours utile. Le Comité prend également note des observations de l’État partie selon lesquelles une telle demande, si elle aboutit, permettra à l’auteure de résider en permanence au Canada, et indiquant que deux communications dont avait été saisi le Comité ont été classées parce qu’il avait été fait droit aux demandes pour motifs d’ordre humanitaire de leurs auteurs. Il n’est cependant pas contesté que l’exécution de la décision d’expulsion n’est pas automatiquement suspendue par l’introduction d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire. L’auteure alléguant qu’elle a besoin d’être protégée contre une telle expulsion, le Comité estime que la demande pour motifs d’ordre humanitaire ne saurait être considérée comme un recours utile dans les circonstances de l’espèce. En conséquence, il considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

9.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est sans objet, et en conséquence irrecevable en application de l’article premier du Protocole facultatif, parce que, bien que l’auteure affirme qu’elle est devenue expulsable sans avoir eu accès à la procédure d’ERAR ou à la procédure de demande pour motifs d’ordre humanitaire, elle y a en réalité accès. Le Comité relève que l’auteure a depuis épuisé le recours ERAR sans succès et il rappelle que sa demande pour motifs d’ordre humanitaire ne constitue pas un recours utile. Il considère donc qu’il n’est pas empêché par l’article premier du Protocole facultatif d’examiner la communication.

9.5Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel les allégations de l’auteure sont irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif parce qu’elles n’ont pas été suffisamment étayées. Cependant, en ce qui concerne les griefs que l’auteure tire des articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte, le Comité estime qu’aux fins de la recevabilité, l’auteure a produit suffisamment d’informations détaillées et de preuves documentaires pour démontrer qu’elle risquerait personnellement d’être tuée ou victime de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et, en conséquence, il déclare cette partie de la communication recevable.

9.6En ce qui concerne les griefs que l’auteure tire des articles 9 (par. 1) et 26 du Pacte, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel son obligation de non‑refoulement ne s’étend pas aux violations potentielles de ces dispositions et que ces griefs sont par conséquent irrecevables ratione materiae au regard de l’article 3 du Protocole facultatif. Le Comité considère que l’auteure n’a pas clairement expliqué comment, en la renvoyant au Bangladesh, l’État partie manquerait aux obligations que lui imposent ces articles. En particulier, l’auteure n’a pas allégué de faits indiquant qu’elle serait détenue arbitrairement ou ferait l’objet de discrimination si elle était renvoyée au Bangladesh. Le Comité estime que l’auteure n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, ses allégations de violation des articles 9 (par. 1) et 26. En conséquence, il déclare cette partie de la communication irrecevable en application de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.7Le Comité déclare que la communication est recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard des articles 6 (par. 1) et 7, et il va l’examiner au fond.

Examen au fond

10.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

10.2Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle elle risque d’être maltraitée ou tuée si elle est renvoyée au Bangladesh en raison des menaces de S., dont un ami et deux frères ont tué son propre frère. Il prend également note des observations de l’État partie qui affirme que les décideurs nationaux ne sont pas persuadés que l’auteure ait été personnellement visée ou le serait si elle retournait au Bangladesh. Il prend en outre note de l’observation de l’État partie selon laquelle il n’appartient pas au Comité de réexaminer les évaluations de la crédibilité faites par les autorités nationales.

10.3Le Comité rappelle le paragraphe 12 de son observation générale no 31 (2004), relative à la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il mentionne 1’obligation qui incombe aux États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser une personne ou la transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel que le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Il a également indiqué que le risque devait être personnel et que le critère d’appréciation du sérieux des motifs invoqués pour conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable était rigoureux. C’est pourquoi tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, notamment la situation des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur. Le Comité rappelle que c’est généralement aux organes des États parties qu’il appartient d’examiner les faits de la cause et les éléments de preuve afin de déterminer si un tel risque existe, sauf s’il peut être établi que l’évaluation a été arbitraire, manifestement entachée d’erreur ou constitutive d’un déni de justice.

10.4Le Comité note que les autorités de l’État partie, après avoir examiné les éléments de preuve et le témoignage oral fournis par l’auteure dans sa demande d’asile et sa demande d’ERAR, ainsi que les éléments concernant la situation des droits de l’homme au Bangladesh, ont estimé que l’auteure n’avait pas démontré qu’elle serait en danger si elle était renvoyée au Bangladesh. La Section de la protection des réfugiés a conclu que l’auteure n’était pas crédible en ce qui concerne les menaces qu’elle et sa mère auraient reçues après le meurtre de son frère ; que, dans les déclarations d’autres personnes qu’elle avait produites pour établir qu’elle avait été menacée, son nom n’était pas mentionné ; qu’elle n’avait fourni aucune preuve attestant que, comme elle l’affirmait, les agents de persécution qui auraient tué son frère avaient des relations influentes dans les milieux judiciaires et politiques ; qu’il n’y avait aucune preuve que quiconque ait utilisé ses relations pour influencer l’issue du procès pour meurtre en première instance ou en appel ; et que l’affirmation de l’auteure selon laquelle les autorités bangladaises n’étaient pas capables de la protéger contre les menaces alléguées ou refusaient de le faire n’était pas étayée. Le Comité note en outre, notamment, que, bien que l’auteure affirme que son mari et ses enfants vivent dans la clandestinité, elle n’a pas répondu à l’observation de l’État partie selon laquelle plusieurs membres de sa famille, dont son mari, quatre de leurs cinq enfants et de nombreux oncles, tantes, cousins et cousines résident au Bangladesh, et que rien n’indique que l’un quelconque d’entre eux risque d’être maltraité par les meurtriers présumés du frère de l’auteure. Le Comité prend note des rapports cités par l’auteur au sujet de la corruption au Bangladesh, mais aussi de l’observation de l’État partie selon laquelle ses décideurs avaient constaté que la corruption était « endémique » au Bangladesh mais avaient néanmoins considéré qu’il n’y avait aucune preuve crédible de l’existence d’un risque personnel de préjudice pour l’auteure. Le Comité considère que les griefs soumis par l’auteure aux autorités de l’État partie ont été soigneusement examinés par la Section de la protection des réfugiés et l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi.

10.5Tout en prenant note de la gravité du diagnostic de troubles post-traumatiques, de dépression et d’anxiété, le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, l’état de santé de l’auteure n’est pas en soi suffisant pour étayer le risque qu’elle affirme courir si elle est renvoyée au Bangladesh. Bien que l’auteure affirme qu’elle n’a pas eu de possibilité réelle de contester sur le fond devant la Cour fédérale la décision de la Section de la protection des réfugiés, elle ne précise pas les motifs sur lesquels elle fonde sa demande tendant à être autorisée à soumettre cette décision au contrôle judiciaire et ne fait aucun commentaire sur l’observation de l’État partie selon laquelle il est fait droit à de telles demandes en présence d’une « cause raisonnablement défendable » ou d’une « question sérieuse à trancher ».

10.6Le Comité considère donc que l’auteure n’a établi l’existence d’aucune irrégularité dans la prise des décisions, ni d’aucun facteur de risque que les autorités de l’État partie auraient omis de prendre dûment en compte. Il considère que, bien qu’elle conteste les conclusions factuelles des autorités de l’État partie, l’auteure n’a pas démontré qu’elles étaient arbitraires ou manifestement erronées, ou constituaient un déni de justice. Compte tenu de ce qui précède, il ne peut conclure que les informations dont il est saisi montrent qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a pour l’auteure un risque réel de préjudice irréparable tel que celui envisagé au paragraphe 1 de l’article 6 et à l’article 7 du Pacte. Cette décision est sans préjudice de l’issue de l’examen de la demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire, actuellement pendante, que l’auteure a présentée.

11.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que le renvoi de l’auteure au Bangladesh ne violerait pas les droits qu’elle tient du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7 du Pacte.