Nations Unies

CCPR/C/119/D/2338/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

2 juin 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Décision adoptée par le Comité des droits de l’hommeen vertu du Protocole facultatif, concernantla communication no 2338/2014 * , **

Communication présentée par :

M. J. K. (représenté par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Danemark

Date de la communication :

28 janvier 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 29 janvier 2014 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

28 mars 2017

Objet :

Torture, peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; expulsion vers l’Afghanistan ; liberté de religion et égalité devant la loi

Question(s) de procédure :

Néant

Question(s) de fond :

Torture, peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant 

Article(s) du Pacte :

6, 7, 14, 18 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.1L’auteur de la communication est M. J. K., de nationalité afghane, né le 21 mars 1986. Il affirme qu’en l’expulsant vers l’Afghanistan le Danemark commettrait une violation des articles 6, 7, 14, 18 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il est représenté par un conseil, Niels-Erik Hansen.

1.2Le 29 janvier 2014, en application de l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers l’Afghanistan tant que la communication serait à l’examen.

1.3Le 1er octobre 2014, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a accepté la demande de levée des mesures provisoires formulée par l’État partie.

Exposé des faits

2.1L’auteur, né dans une famille musulmane sunnite, appartient à la minorité tadjike de Mazar-e-Sharif, en Afghanistan. Il ne faisait partie d’aucune organisation politique ou religieuse en Afghanistan, et n’a jamais eu d’activité politique d’aucune sorte. Avant de quitter son pays, il vivait avec sa mère et son frère. L’auteur et son associé, M., possédaient une boutique dans un marché de Mazar-e-Sharif. Il indique avoir rencontré, P., une voisine qui allait devenir son épouse, et commencé une relation avec elle en 2007. Il a toutefois appris qu’elle était promise à un homme puissant, A. K., un commissaire de police qui était ami avec le Gouverneur de Mazar-e-Sharif. L’auteur a donc prié sa mère d’aller demander la main de P. en son nom, pour éviter qu’elle n’épouse A. K. La famille de P. a refusé deux fois, parce qu’elle était chiite et l’auteur sunnite, et parce ce que P. était promise à A. K. L’auteur et P. ont eu des relations sexuelles pour forcer la famille de P. à autoriser leur mariage. Quelques jours ou quelques semaines plus tard, A. K. a attaqué l’auteur, le menaçant de le tuer s’il persistait à demander la main de P..

2.2Vers le mois de mars 2008, l’auteur et P. ont décidé de quitter l’Afghanistan. L’auteur est allé à Kaboul, où P. l’a rejoint quelques jours plus tard. Ils se sont alors rendus en République islamique d’Iran. Une fois là-bas, l’auteur a tenté de joindre son frère, mais le téléphone de celui‑ci ne fonctionnait pas. Il a donc pris contact avec son associé, M., qui lui a dit que son frère avait été arrêté et maltraité par A. K. Un mois plus tard, son associé lui a appris que son frère avait été relâché contre la promesse de le retrouver. L’associé ne savait pas où se trouvait le frère de l’auteur. L’auteur a aussi appris que le père de P. était venu le chercher à sa boutique, avait menacé de le tuer et avait laissé un mandat d’arrêt l’accusant d’avoir violé et enlevé P. L’auteur et P. sont ensuite partis pour la Turquie. Une fois sur place, l’auteur a appelé M., qui lui a dit que sa mère et son frère, craignant d’être à nouveau pris à partie par A. K., avaient fui en République islamique d’Iran. Aux alentours de septembre 2008, P. et l’auteur sont partis en Grèce, où un mollah les a mariés. Ils y sont restés environ trois ans. Étant donné leurs mauvaises conditions de vie, l’auteur et P. ont décidé qu’elle partirait seule pour l’Italie, ce qu’elle a fait, et que l’auteur la rejoindrait une fois qu’il aurait assez d’argent pour payer les passeurs. Quatre mois plus tard, sans nouvelles de son épouse et ne sachant pas où elle se trouvait, l’auteur s’est rendu au Danemark, où il est entré illégalement le 16 décembre 2011.

2.3L’auteur a fait une demande d’asile à son arrivée au Danemark. Dans sa demande d’asile, il affirmait craindre, s’il retournait en Afghanistan, d’être exécuté ou condamné à la prison à vie pour le viol et l’enlèvement de son épouse, P. Il craignait aussi que la famille de son épouse ne le tue ou ne le maltraite au point de lui infliger un préjudice irréparable, étant donné qu’il avait quitté l’Afghanistan avec P. après que la famille de celle-ci eut refusé leur mariage. Sa demande a été rejetée par le Service danois de l’immigration le 23 mars 2012. L’auteur a fait appel de cette décision auprès de la Commission de recours des réfugiés, qui a confirmé la décision du Service de l’immigration le 31 janvier 2013. La Commission a considéré que, pendant la procédure d’asile, l’auteur s’était contredit. À titre d’exemple, elle a renvoyé aux déclarations de l’auteur concernant le moment où il avait appris que P. était promise à A. K., celui où il avait été agressé par A. K. et celui où il avait eu des rapports sexuels avec P. en Afghanistan. La Commission n’a donc considéré aucun de ces faits comme établi. Elle a aussi refusé de prendre en considération le mandat d’arrêt présenté par l’auteur, car il s’était contredit quant à la manière dont son associé M. lui avait transmis le document. Les déclarations de l’auteur selon lesquelles il ne se sentait pas bien lors de son premier entretien avec les autorités danoises n’ont pas convaincu la Commission de recours des réfugiés, qui lui a ordonné de quitter le Danemark dans les sept jours suivant sa décision.

2.4Le 1er octobre 2013, l’auteur a demandé à la Commission de recours des réfugiés la réouverture de son dossier. Il a indiqué qu’il s’était converti au christianisme et avait été baptisé le 15 septembre 2013, après avoir étudié cette religion depuis février 2012. Il a soutenu que s’il était renvoyé en Afghanistan, il serait poursuivi en raison de ses croyances, car il avait aidé à diffuser la parole du Christ au Danemark. Il cite, comme exemple de ces activités, sa participation à une manifestation près de la Tour Ronde, à Copenhague, dont des photos ont été publiées sur Internet et sont disponibles sur YouTube, ainsi que leur description en farsi. Le 30 octobre 2013, la Commission de recours des réfugiés a rejeté la demande de l’auteur. Elle a estimé qu’il n’y avait pas lieu de rouvrir la procédure d’asile. Elle a répété les arguments sur lesquels elle avait fondé sa décision du 31 janvier 2013 et a estimé que les nouveaux éléments présentés par l’auteur à l’appui de sa demande d’asile ne justifiaient pas qu’elle modifie son évaluation, car rien n’indiquait que l’auteur ait participé aux activités de l’église avant ou après son baptême, et a souligné que l’auteur n’avait pas expliqué pourquoi il avait décidé de se convertir au christianisme juste avant d’être expulsé vers l’Afghanistan. Elle a également indiqué que l’auteur n’avait pas démontré que les autorités afghanes avaient eu connaissance des photos de la manifestation à la Tour Ronde. De surcroît, elle a considéré que l’auteur n’était pas très visible sur ces photos, car il apparaissait simplement debout à l’arrière-plan. Elle a ajouté que les photos sur YouTube n’avaient été vues qu’un petit nombre de fois.

2.5Le 9 décembre 2013, le nouvel avocat de l’auteur est parvenu à faire rouvrir son dossier de demande d’asile. Outre un certificat de baptême émis par l’église Saint-Luc, il a présenté un document rédigé par un pasteur de l’Église presbytérienne internationale iranienne le 10 novembre 2013, qui attestait que l’auteur avait régulièrement assisté aux offices religieux et au catéchisme durant les trois mois précédant son baptême. L’avocat de l’auteur a également soumis une attestation de l’aumônier du centre où son client était détenu, datée du 26 novembre 2013, selon laquelle celui-ci se rendait chaque jeudi à la messe, depuis octobre 2013. L’aumônier indiquait également que la conversion de l’auteur au christianisme lui avait valu « un harcèlement important » de la part des détenus musulmans. Selon son avocat, au moment de son baptême, l’auteur ignorait qu’il allait plus tard être détenu avant d’être renvoyé en Afghanistan. Le témoignage daté de février 2012 d’un de ses amis au Danemark, qui indiquait qu’ils avaient parlé du christianisme plusieurs fois depuis le début de 2012, a aussi été présenté. L’auteur a enfin affirmé qu’il avait peur de devoir faire son service militaire, qui était obligatoire, en rentrant en Afghanistan.

2.6Le 16 janvier 2014, la Commission de recours des réfugiés a de nouveau rejeté la demande d’asile de l’auteur. Elle a considéré que sa crainte d’être obligé de faire son service militaire ne lui ouvrait pas droit au statut de réfugié. Elle estimait en outre que l’auteur n’avait pas prouvé que sa conversion au christianisme était sincère, malgré le certificat de baptême et les attestations du pasteur et de l’aumônier qu’il avait présentés. Elle a aussi tenu compte du fait que l’auteur n’avait jamais montré le moindre intérêt pour la religion auparavant et que, bien qu’il s’exprime correctement, il n’avait pas pu fournir une explication raisonnable à sa conversion. De surcroît, c’est seulement alors que son expulsion était imminente que l’auteur avait informé les autorités danoises de son intérêt pour le christianisme. Compte tenu de ces éléments et des problèmes de crédibilité apparus durant la procédure d’asile initiale, la Commission a conclu que l’auteur ne remplissait pas les conditions requises pour qu’un permis de séjour lui soit délivré en application des paragraphes 1 et 2 de l’article 7 de la loi sur les étrangers.

2.7L’auteur ajoute que, comme la décision de la Commission n’est pas susceptible d’appel, tous les recours internes ont été épuisés.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient que son expulsion vers l’Afghanistan constituerait une violation des droits qu’il tient des articles 6 et 7 du Pacte, du fait qu’elle lui ferait courir un risque d’être persécuté, torturé et même tué, car sa conversion au christianisme serait considérée comme une violation d’une règle fondamentale de l’islam et que l’apostasie est un crime puni de mort.

3.2L’auteur se réfère aux directives du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) du 6 août 2013 selon lesquelles, en Afghanistan, les groupes suivants ont besoin d’une protection internationale : les personnes associées au Gouvernement et à la communauté internationale, ou perçues comme les soutenant, les hommes et les garçons en âge de combattre, les personnes perçues comme contrevenant à l’interprétation que font les Talibans des préceptes, normes et valeurs de l’islam et les membres de groupes ethniques minoritaires. Il explique que, du fait de son voyage en Europe, s’il était renvoyé en Afghanistan il serait certainement perçu comme transgressant les préceptes de l’islam et comme soutenant le Gouvernement ou la communauté internationale, et ce, d’autant plus qu’il s’est converti au christianisme. Il soutient par ailleurs que, vu son âge, il risquerait aussi d’être forcé de combattre pour le Gouvernement ou pour les Talibans et affirme que les violences sexuelles sur de jeunes hommes sont courantes en Afghanistan. Il affirme en outre qu’il n’a pas de liens familiaux en Afghanistan, qu’il est un Tadjik de Mazar‑e‑Sharif et que, si on l’y renvoyait, il serait persécuté car il fait partie d’un groupe ethnique minoritaire.

3.3L’auteur soutient aussi que le rejet de sa demande d’asile par la Commission de recours des réfugiés et le refus de la Commission d’entendre un témoin prêt à attester de l’authenticité de sa conversion au christianisme constituent une violation des obligations de l’État partie telles qu’elles résultent des articles 6, 7 et 18 du Pacte. En ce qui concerne l’article 18 du Pacte, l’auteur soutient encore qu’en rejetant sa demande, la Commission de recours a enfreint son droit de changer de religion.

3.4L’auteur ajoute qu’en tant que demandeur d’asile, il n’a pas pu faire appel de la décision de la Commission de recours des réfugiés en date du 16 janvier 2014, alors que n’importe quelle autre personne au Danemark peut faire appel des décisions d’organes administratifs de même nature. Il considère que cette situation, qui équivaut à une discrimination à l’égard des demandeurs d’asile au Danemark, constitue une violation de l’article 26 du Pacte.

3.5L’auteur soutient en outre que sa conversion au christianisme constitue un nouveau motif de demande d’asile et que sa demande aurait dû être réexaminée par le Service de l’immigration et pas seulement par la Commission de recours des réfugiés, qui avait déjà rejeté une demande de réouverture de son dossier fondée sur ce motif dans sa décision du 30 octobre 2013. Il considère donc que son droit à un procès équitable a été enfreint, en violation de l’article 14 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 29 juillet 2014, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il considère que la communication est dénuée de fondement, car l’auteur n’a pas démontré que son expulsion vers l’Afghanistan pourrait entraîner une quelconque violation du Pacte.

4.2L’État partie décrit la structure, la composition et le fonctionnement de la Commission de recours des réfugiés, ainsi que la législation applicable aux procédures d’asile. Il indique que la Commission détermine si tel ou tel demandeur d’asile a des raisons de craindre d’être victime de persécutions le visant personnellement ou s’il courrait un risque en cas de renvoi dans son pays d’origine, en tenant compte de tous les éléments d’information qui lui sont soumis concernant les persécutions dont l’intéressé aurait été victime avant de quitter son pays d’origine (par. 1 de l’article 7 de la loi sur les étrangers). En outre, l’État partie fait savoir qu’un permis de séjour peut être délivré aux étrangers qui risquent d’être condamnés à mort ou d’être victimes de torture ou de mauvais traitements en cas de renvoi dans leur pays d’origine. Il indique également que la Commission considère que les conditions requises pour l’obtention d’un permis de séjour sont remplies lorsqu’il est probable, en raison de facteurs précis et propres à l’intéressé, qu’en cas de renvoi, le demandeur d’asile courrait un risque réel d’être tué ou torturé, ou d’être victime de mauvais traitements (par. 2 de l’article 7 de la loi sur les étrangers).

4.3En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l’État partie indique que l’auteur n’a pas démontré l’existence d’une violation des articles 6 et 7 du Pacte, en établissant que sa vie serait en danger ou qu’il courrait un risque d’être torturé ou soumis à des mauvais traitements s’il était expulsé vers l’Afghanistan ; ses allégations à ce titre devraient donc être considérées comme dénuées de fondement. En ce qui concerne le grief que l’auteur tire de l’article 14 du Pacte, l’État partie fait observer que dans sa jurisprudence, le Comité a établi que le paragraphe 1 de l’article 14 ne s’applique pas aux procédures concernant l’expulsion d’étrangers d’un État partie, qui relèvent de l’article 13 du Pacte. Ce grief devrait donc être déclaré irrecevable ratione materiae.

4.4Quant au grief de violation de l’article 18 du Pacte, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas expliqué en quoi consistait cette violation et considère qu’il n’en a pas démontré l’existence aux fins de la recevabilité. En ce qui concerne l’article 26 du Pacte, l’État partie soutient que l’auteur a reçu le même traitement que toute personne demandant l’asile dans le pays, quels que soient sa race, sa couleur, son sexe, sa langue, sa religion, ses opinions politiques ou autres, son origine nationale ou sociale, sa fortune, sa naissance ou toute autre situation. L’auteur n’ayant pas développé cette partie de sa demande, il n’a pas démontré à première vue qu’elle était recevable.

4.5En ce qui concerne le fond de la communication, l’État partie estime que l’auteur n’a pas démontré que son renvoi en Afghanistan constituerait une violation des articles 6, 7, 18 et 26 du Pacte. L’État partie indique que ses obligations au titre des articles 6 et 7 sont reflétées par le paragraphe 2 de l’article 7 de la loi sur les étrangers, selon lequel un étranger qui risque la peine de mort, la torture ou des mauvais traitements dans son pays d’origine se verra délivrer un titre de séjour. Il rappelle que, selon la décision de la Commission de recours des réfugiés en date du 31 janvier 2013, l’auteur a fait des déclarations contradictoires quant aux motifs de sa demande d’asile, en particulier s’agissant de sa relation avec son épouse et des raisons pour lesquelles il avait quitté l’Afghanistan. Estimant que l’auteur n’avait pas démontré que sa vie serait en danger ou qu’il risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Afghanistan, la Commission a rejeté sa demande d’asile. L’État partie indique par ailleurs que l’auteur n’a fait mention de son intérêt pour le christianisme ou pour la religion en général ni pendant son audition par les services de l’immigration ni lors de sa première audition par la Commission, qui a eu lieu le 31 janvier 2013. L’État partie relève aussi que l’auteur n’a demandé la réouverture de son dossier que la veille du jour où il devait être placé en détention en vue de son expulsion, et que c’est seulement à ce moment-là qu’il a dit s’être converti au christianisme et qu’il a fourni un certificat de baptême. L’État partie ajoute que ce comportement contredit les déclarations de l’auteur selon lesquelles il a commencé à s’intéresser au christianisme au début de 2012. Il indique également que l’auteur n’a produit les déclarations des pasteurs confirmant ses activités religieuses qu’après que sa demande relative à la réouverture de son dossier a été rejetée le 30 octobre 2013.

4.6L’État partie fait valoir que la Commission de recours des réfugiés a examiné de manière détaillée et approfondie les preuves présentées par l’auteur. Il considère que l’auteur cherche à utiliser le Comité comme un organe d’appel pour obtenir une nouvelle appréciation des éléments de fait relatifs à sa demande d’asile. Il fait valoir que le Comité doit accorder un poids important aux conclusions de la Commission, celle-ci étant plus à même d’apprécier les faits de l’espèce. L’État partie rappelle que la Commission a considéré, après avoir évalué l’ensemble du dossier, que rien ne permettait de supposer que la conversion de l’auteur au christianisme était sincère. Il indique de surcroît que cette évaluation était conforme aux principes directeurs du HCR en ce qu’elle a tenu compte des déclarations de l’auteur sur ses croyances religieuses ainsi que d’autres éléments du dossier, notamment du fait qu’elle avait considéré que la crédibilité de l’auteur laissait à désirer.

4.7L’État partie fait valoir que la Commission de recours des réfugiés a pris ses décisions en date des 31 janvier 2013, 30 octobre 2013 et 16 janvier 2014 après un examen approfondi des demandes de l’auteur et des preuves qu’il avait fournies, mené conformément au droit interne. En ce qui concerne les allégations de l’auteur selon lesquelles la Commission a rejeté de manière injuste un témoignage essentiel sur la sincérité de sa conversion, l’État partie considère qu’étant donné que l’ami en question avait fourni un témoignage écrit qui avait été pris en compte lors de l’examen du dossier, il n’y avait pas de raison de l’autoriser à témoigner devant la Commission.

4.8L’État partie indique que la Commission de recours des réfugiés a fait figurer dans sa décision toutes les informations pertinentes et fait valoir que l’auteur n’avait fourni au Comité aucun nouvel élément allant dans le sens d’une violation de ses droits au titre des articles 6 et 7 du Pacte. En ce qui concerne l’argument de l’auteur selon lequel il craint d’être forcé à faire son service militaire, l’État partie fait observer que l’armée afghane étant constituée de volontaires, le service militaire n’est pas obligatoire en Afghanistan. Par ailleurs, en ce qui concerne l’argument de l’auteur selon lequel il craint d’être enrôlé de force par les Talibans, l’État partie fait valoir que, selon les informations disponibles, notamment un rapport du Service danois de l’immigration, il n’y a pas de preuve que les Talibans enrôleraient de force de jeunes hommes, car la plupart des gens qui les rejoignent le font volontairement. L’État partie indique également que le fait que l’auteur soit un jeune homme de souche tadjike originaire de Mazar‑e‑Sharif ne peut suffire à justifier sa demande d’asile. Il considère donc qu’il n’y a pas lieu de contester l’évaluation que la Commission de recours des réfugiés a faite de ces questions.

4.9En ce qui concerne l’argument de l’auteur selon lequel il fait partie de plusieurs groupes vulnérables dont les membres, selon les principes directeurs du HCR datés du 6 août 2013, seraient en danger si on les renvoyait en Afghanistan, l’État partie fait valoir que ce même document montre également que l’auteur ne courrait pas de risque en cas de renvoi dans ce pays. Par exemple, pour ce qui est des personnes perçues comme soutenant la communauté internationale, le HCR indique que ce sont surtout les chefs locaux, les chefs religieux et les femmes participant à la vie publique qui sont pris pour cible. Quant aux hommes et aux garçons en âge de combattre, il indique qu’un risque existe pour eux dans les zones que le Gouvernement ne contrôle pas et dans les zones où se joue le conflit entre les forces progouvernementales et les forces non gouvernementales. L’État partie indique en outre que, selon les mêmes principes directeurs du HCR, ceux qui ne respectent pas les préceptes de l’islam tels que les interprètent les Talibans risquent d’être agressés, mais que les premiers visés sont les musiciens, les réalisateurs, les sportifs et les personnes ayant assisté à des manifestations perçues comme transgressant les préceptes, normes et valeurs de l’islam. Enfin, pour ce qui est des allégations de l’auteur selon lesquelles les personnes appartenant à une minorité ethnique courraient un risque en cas de renvoi vers l’Afghanistan, l’État partie fait valoir qu’il ressort des principes directeurs que les groupes minoritaires visés sont les Kuchis, les Hazaras et les membres du groupe ethnique Jat. Compte tenu du fait que l’auteur est un Tadjik originaire de Mazar-e-Sharif, où 60 % de la population est de souche tadjike, qu’il est un jeune homme en bonne santé, qu’il a déclaré au cours de la procédure d’asile n’avoir jamais eu d’activité politique et n’avoir jamais été arrêté en Afghanistan et qu’il n’est pas, par ailleurs, une personne en vue, l’État partie considère qu’il n’y a pas de raison de remettre en cause l’évaluation de la Commission, d’autant que la documentation disponible ne permet pas de supposer que des personnes qui sont renvoyées vers l’Afghanistan risquent de subir des violations des droits qu’elles tiennent des articles 6 et 7 du Pacte uniquement parce qu’elles ont passé plusieurs années en Occident. L’État partie se fie donc entièrement à l’évaluation faite par la Commission dans ses décisions des 31 janvier 2013, 30 octobre 2013 et 16 janvier 2014.

4.10S’agissant des allégations de l’auteur selon lesquelles ses droits au titre de l’article 18 du Pacte seraient enfreints s’il était renvoyé en Afghanistan, l’État partie reprend les arguments qu’il a présentés quant aux autres allégations et rappelle que la Commission de recours des réfugiés a estimé, le 16 janvier 2014, que la conversion de l’auteur au christianisme n’était pas sincère.

4.11En ce qui concerne l’allégation d’une violation des articles 14 et 26 liée au fait que l’ami de l’auteur n’a pas été autorisé à témoigner lors de l’audition du 16 janvier 2014 devant la Commission de recours des réfugiés, l’État partie indique que, selon le paragraphe 1 de l’article 54 de la loi sur les étrangers, la Commission décide d’entendre ou non les témoins et qu’elle n’autorise pas en général la production de témoins visant à renforcer la crédibilité générale d’un demandeur d’asile. L’État partie rappelle en outre que la Commission a pris en compte le témoignage écrit de l’ami de l’auteur. Quant à l’argument selon lequel la Commission aurait dû transmettre le dossier au Service de l’immigration au lieu de décider elle-même, l’État partie fait valoir que, la Commission étant l’autorité qui décide en appel, c’est à elle qu’il revient, lorsque de nouvelles informations apparaissent, de déterminer si elles sont susceptibles d’entraîner une décision différente. Cela est conforme au droit et à la pratique internes, et ne remet pas en cause le principe du double degré de juridiction. La décision en date du 30 octobre 2013, par laquelle la requête de réouverture du dossier a été rejetée, reposait sur les informations que l’auteur avait fournies alors, et qui ne comprenaient aucun élément attestant de ses activités religieuses avant ou après son baptême. Quand la Commission a reçu des informations à ce sujet, elle a rouvert le dossier, et a procédé à une audition le 16 janvier 2014 devant un comité composé d’autres personnes que celles qui avaient pris la décision du 30 octobre 2013.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 12 septembre 2014, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il indique que l’État partie réagit de deux manières différentes lorsqu’une communication portant sur une demande d’asile refusée par la Commission de recours des réfugiés est soumise au Comité : soit il demande la suspension de la procédure dans les six mois qui suivent le dépôt de la communication, soit il présente ses observations sur la recevabilité et sur le fond au Comité au bout de six mois. Dans le premier cas, la Commission autorise en général la réouverture du dossier, et l’auteur obtient l’asile. Dans le second, l’État partie fait valoir qu’il n’y a pas eu de défaillance dans la procédure devant la Commission et demande au Comité de déclarer la communication irrecevable. L’auteur ajoute que, depuis peu, l’État partie ne se contente plus de demander au Comité de déclarer la communication irrecevable ou de dire qu’il n’y a pas eu violation du Pacte, mais qu’il réclame la levée des mesures provisoires. L’auteur affirme que c’est à présent la pratique courante, indépendamment des conditions propres à chaque affaire.

5.2L’auteur considère qu’il n’y a pas de raison de lever les mesures provisoires qui ont été prises dans son cas car, dans ses observations du 29 juillet 2014, l’État partie n’a fourni aucune nouvelle information qui viendrait justifier une telle décision. Au contraire, comme l’indique la traduction de la décision de la Commission de recours des réfugiés en date du 16 janvier 2014, fournie par l’État partie, la majorité des membres de la Commission ont considéré que la conversion de l’auteur au christianisme n’était pas sincère. Pour l’auteur, cela démontre que cinq des membres de la Commission − la minorité − étaient d’un autre avis et considéraient que sa conversion était sincère. Dans ce contexte, le refus de la Commission d’entendre le témoignage de l’ami de l’auteur prend encore plus d’importance, car ce témoignage aurait pu jouer en sa faveur. L’auteur ajoute que l’État partie ne nie pas qu’on a refusé à son ami de témoigner, mais ne fournit aucun argument juridique à l’appui de ce refus.

5.3L’auteur présente également une nouvelle attestation, rédigée par un prêtre et datée du 11 septembre 2014, confirmant qu’il fait partie de la communauté de l’Église des apôtres de Copenhague depuis la fin de 2013. L’attestation indique aussi que, chaque semaine pendant environ dix mois, l’auteur a assisté au cours de catéchisme en anglais et en farsi, et qu’il a participé, du 27 au 31 juillet 2014, à un camp d’été en farsi, consacré à l’étude de la Bible.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité a pris note de la déclaration de l’auteur qui affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles et disponibles. En l’absence d’objection de la part de l’État partie à cet égard, le Comité considère que les conditions requises par le paragraphe 2 b) du Protocole facultatif sont réunies.

6.4Le Comité rappelle le paragraphe 12 de son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il souligne l’obligation des États parties de ne pas extrader, déplacer ou expulser une personne ou la transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité a également indiqué que ce risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de dommage irréparable. Le Comité rappelle en outre sa jurisprudence dont il ressort qu’il convient d’accorder un poids important à l’analyse qu’a faite l’État partie de l’affaire et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte d’examiner ou d’apprécier les faits et les preuves en vue d’établir l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté une erreur manifeste ou un déni de justice.

6.5En l’espèce, le Comité prend note des arguments de l’État partie selon lesquels l’auteur a fait des déclarations contradictoires durant la procédure d’asile, la Commission de recours des réfugiés a procédé à un examen détaillé et approfondi des preuves fournies par l’auteur, l’auteur tente d’utiliser le Comité comme un organe d’appel pour que les éléments de fait de sa demande d’asile soient réévalués et l’auteur n’a pas démontré à première vue, aux fins de la recevabilité, qu’il existerait une violation des articles 6, 7 et 18 du Pacte.

6.6Le Comité fait observer que l’auteur n’a relevé aucune irrégularité dans la procédure de prise de décisions, ni aucun facteur de risque que les autorités de l’État partie auraient omis de prendre dûment en compte. Il considère que bien que l’auteur conteste les conclusions factuelles des autorités de l’État partie, il n’a pas démontré que ces conclusions étaient clairement arbitraires ou manifestement entachées d’erreur ou qu’elles constituaient un déni de justice.

6.7Le Comité observe que la demande d’asile originellement déposée par l’auteur, qui était fondée sur sa crainte d’être persécuté par les autorités afghanes et par des personnes privées − la famille de son épouse et A. K. − qui l’accusaient d’avoir violé et enlevé son épouse, a été rejetée par les services de l’immigration et par la Commission de recours des réfugiés, car l’auteur n’avait pas démontré qu’il risquerait d’être tué ou torturé s’il était renvoyé en Afghanistan. Le Comité note que, le 1er octobre 2013, l’auteur a demandé à la Commission la réouverture de son dossier au motif qu’il s’était converti au christianisme, et que la Commission a rejeté cette demande le 30 octobre 2013, l’auteur ne parvenant pas à expliquer pourquoi il avait décidé de se convertir au christianisme juste avant son renvoi en Afghanistan. Le Comité note également que, le 9 décembre 2013, la Commission a accepté de rouvrir le dossier de l’auteur, ce qui lui donnait la possibilité d’étayer ses nouvelles allégations par des preuves. Il note encore que, le 16 janvier 2014, la Commission a refusé de prendre en considération les nouvelles allégations de l’auteur, considérant que sa conversion au christianisme n’était pas sincère et qu’il n’avait manifesté aucun intérêt pour une quelconque religion avant le rejet de sa première demande d’asile le 31 janvier 2013. De surcroît, la Commission a considéré que l’auteur n’avait pas donné de raison valable de sa décision de se faire baptiser. Le Comité relève que les prétentions de l’auteur reposent essentiellement sur ses activités au sein d’une église chrétienne, qui n’ont commencé qu’après le rejet de sa demande d’asile initiale. Au vu de ce qui précède, le Comité considère que les griefs de l’auteur au titre des articles 6, 7 et 18 du Pacte n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et déclare la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.8Le Comité prend note des griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 26 du Pacte, à savoir que la décision de la Commission de recours des réfugiés et la procédure devant celle-ci constituent une discrimination à l’égard des demandeurs d’asile puisque, les décisions des autres organes administratifs sont susceptibles d’appel devant les tribunaux, conformément à la législation de l’État partie, mais pas celles de la Commission. Il prend note également des déclarations de l’État partie selon lesquelles l’auteur a reçu le même traitement que tout demandeur d’asile se présentant devant ses autorités, indépendamment de sa race, de sa couleur, de son sexe, de sa langue, de sa religion, de ses opinions politiques ou autres, de son origine nationale ou sociale, de sa fortune, de sa naissance ou de toute autre situation. Le Comité note que l’auteur n’a fourni aucun autre argument sur ce sujet, considère donc qu’il n’a pas suffisamment étayé le grief soulevé au titre de l’article 26 et conclut par conséquent que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.9Le Comité prend note par ailleurs des griefs de l’auteur quant au fait que les décisions de la Commission de recours des réfugiés sont les seules à être définitives et non susceptibles de recours auprès des tribunaux nationaux, que la Commission manque d’impartialité et d’indépendance et que la décision de rouvrir ou non le dossier aurait donc dû être prise par les services de l’immigration et non par la Commission, compte tenu du fait que celle-ci avait déjà refusé de rouvrir le dossier de l’auteur à la suite de sa conversion au christianisme. Le Comité prend note également de l’argument de l’auteur selon lequel la Commission a refusé, sans fournir de raisonnement juridique, d’entendre le témoignage de son ami, et que l’État partie a donc porté atteinte à ses droits au titre de l’article 14 du Pacte. À cet égard, le Comité renvoie à sa jurisprudence, dans laquelle il a affirmé que les procédures d’expulsion d’étrangers n’entrent pas dans le cadre des « droits et obligations de caractère civil » au sens du paragraphe 1 de l’article 14, et qu’elles relèvent de l’article 13 du Pacte. L’article 13 du Pacte offre une partie de la protection garantie par l’article 14, mais pas le droit de recours. Le Comité conclut par conséquent que le grief de l’auteur au titre de l’article 14 est irrecevable ratione materiae au regard de l’article 3 du Protocole facultatif. Il considère que, même si l’auteur avait invoqué l’article 13 du Pacte, ses griefs relatifs à cette question demeureraient insuffisamment étayés.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard des articles 2 et 3 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.