Nations Unies

CCPR/C/118/D/2412/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

7 décembre 2016

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2412/2014 * , **

Communication p résentée par :

Roy Manojkumar Samathanam (représenté par des conseils, Karima Toulait, Amanda Ghahremani et Matt Eisenbrandt, du Centre canadien pour la justice internationale)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Sri Lanka

Date de la communication :

13 novembre 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 4 juin 2014 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations :

28 octobre 2016

Objet :

Mauvais traitements et actes de torture infligés pendant la détention de l’auteur par des fonctionnaires de la Division des enquêtes terroristes

Question(s) de procédure :

Absence de coopération de l’État partie ; épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; droit à la liberté et à la sécurité de la personne ; respect de la dignité inhérente à la personne humaine ; procès équitable

Article(s) du Pacte :

7, 9, 10 et 14

Article(s) du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Roy Manojkumar Samathanam, de nationalité canadienne, né le 20 septembre 1970 à Sri Lanka. Il affirme que l’État partie a commis des violations des droits consacrés par les articles 7, 9, 10 et 14 du Pacte. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur pour Sri Lanka le 3 janvier 1998. L’auteur est représenté par des conseils.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur, né à Colombo, est d’origine tamoule. En 1990, il s’est rendu au Canada où il a demandé le statut de réfugié. Plus tard, il est devenu citoyen canadien. En 2005, profitant d’une accalmie dans la guerre civile, il est retourné à Sri Lanka où il a épousé celle qui est aujourd’hui sa femme. Quand celle-ci a été enceinte, le couple a décidé de rester à Sri Lanka jusqu’à la naissance de l’enfant. L’auteur explique qu’il aidait de temps en temps un ami qui importait des marchandises pour son magasin de logiciels informatiques. En septembre 2007, cet ami a importé à Sri lanka 600 téléphones portables qui ont été livrés au domicile de l’auteur et devaient être récupérés le lendemain par l’ami en question. Dans la nuit du 14 septembre 2007, des agents en civil armés de mitraillettes se sont présentés au domicile de l’auteur. Ils ont déclaré appartenir à la Division des enquêtes terroristes et ont demandé à inspecter les cartons de marchandises entreposés au domicile de l’auteur. Ce dernier leur a expliqué que les marchandises appartenaient à son ami. Les agents ont répondu que les boîtes contenaient un appareil GPS (Global Positioning System), ce qui était illégal.

2.2L’auteur raconte que les agents l’ont ensuite menotté, lui ont bandé les yeux et l’ont conduit dans un lieu de détention de la Division des enquêtes terroristes, situé dans le centre de Colombo. Les agents l’ont en outre menacé de mort. Sa femme, qui était enceinte, et leur enfant ont été assignés à résidence et placés sous la surveillance d’agents de la Division. Il leur était interdit de prendre contact avec qui que ce soit. Néanmoins l’épouse de l’auteur a réussi à joindre sa famille et le Haut-Commissariat du Canada en faisant passer par une fenêtre une note à un voisin pour expliquer ce qui se passait. Les agents de la Division des enquêtes terroristes ont également arrêté l’ami de l’auteur et l’ont conduit au lieu de détention. Selon l’auteur, le responsable l’a informé que la possession d’un GPS était illégale et l’a interrogé pendant dix à quinze minutes. Il l’a accusé d’appartenir aux Tigres de Libération de l’Eelam tamoul (LTTE) et lui a dit qu’il avait des preuves. Plus tard, l’auteur a été accusé de diriger l’antenne de renseignement des LTTE à Toronto, au Canada.

2.3Le 14 septembre 2007, l’auteur a été placé en détention dans les locaux de la Division des enquêtes terroristes pour une période initiale de quatre-vingt-dix jours en application d’une ordonnance prise par le Secrétaire d’État adjoint à la défense conformément à l’article 19, paragraphe 1, des règlements d’exception (dispositions et pouvoirs divers). D’après l’ordonnance, les autorités du Ministère de la défense estimaient que le placement en détention de l’auteur était nécessaire pour empêcher tout acte préjudiciable à la sécurité nationale ou au maintien de l’ordre public parce qu’il y avait des raisons de soupçonner qu’il avait participé à la commission d’infractions en important illégalement du matériel de communication de pointe et des radars pour les livrer aux LTTE.

2.4Quelques jours après son arrestation, l’auteur a reçu la visite d’un fonctionnaire du Ministère canadien des affaires étrangères et du commerce international et d’un représentant local du Haut-Commissariat du Canada. La rencontre a eu lieu dans le bureau du responsable et en sa présence, et a duré entre dix et quinze minutes. L’auteur a dit aux représentants canadiens qu’il ignorait le motif de son arrestation et leur a demandé de s’occuper de la situation de son épouse et de sa fille. L’auteur a également signalé qu’il était diabétique et qu’il n’avait pas pris de médicaments depuis son arrestation.

2.5L’auteur affirme que dans le lieu de détention, il était séparé des autres détenus sri‑lankais et qu’il n’était pas dans une cellule ordinaire. Ainsi, il était gardé dans le bureau d’un sergent avec plusieurs autres étrangers, attaché en permanence à un bureau par des menottes et contraint de rester assis ou allongé par terre, dans une position pénible, sans oreiller ni matelas. L’auteur dormait quelques heures par nuit seulement, au milieu des cafards et des rats, avec des menottes serrées. Les gardiens le houspillaient sans arrêt, l’appelant le « Tigre canadien », et menaçaient de le passer à tabac ou de le tuer. Il avait très peu à manger et on ne lui donnait qu’une petite bouteille d’eau par jour. Il n’avait pas pris de médicaments contre le diabète jusqu’à la première visite des agents du Haut‑Commissariat du Canada, plusieurs jours après son arrestation. L’absence de traitement provoquait une très grande somnolence et des besoins d’uriner très fréquents. Les gardiens ne lui permettaient cependant pas toujours d’aller aux toilettes ; il avait donc été obligé quelquefois d’uriner dans ses vêtements et n’en avait pas de rechange. De temps en temps, des agents entraient dans le bureau du sergent et brutalisaient les détenus pendant les interrogatoires. L’auteur et d’autres détenus étaient alors détachés des bureaux auxquels ils étaient enchaînés pour être de nouveau menottés dans des positions douloureuses. Les gardiens leur donnaient des claques ou les frappaient avec des tuyaux en caoutchouc dur ou en métal. D’autres fois, on obligeait l’auteur à regarder les autres détenus se faire rouer de coups et torturer et à entendre leurs cris de douleur et d’angoisse. Les agents le menaçaient de subir les mêmes tortures, ils lui disaient qu’il n’avait pas besoin d’un avocat et qu’il ne sortirait jamais des locaux ou qu’il serait abattu d’une balle dans la tête. Ils avaient également menacé d’arrêter son épouse et de la violer.

2.6L’auteur indique que son épouse a pu lui rendre visite le 22 septembre 2007. Elle a ensuite été autorisée à le voir tous les samedis pendant dix à quinze minutes seulement, en présence de gardiens. Pendant tous les mois où il est resté détenu dans les locaux de la Division, l’auteur n’a jamais été présenté à un juge ni à une autre personne exerçant des fonctions juridictionnelles. La légalité de sa détention n’a jamais été examinée et il n’a pas été autorisé à s’entretenir avec un conseil.

2.7En octobre 2007, le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants s’est rendu deux fois dans le centre de détention. Plus tard, il a rendu compte des récits de tortures et de mauvais traitements qu’il avait recueillis pendant ses visites. Le 19 octobre 2007, l’auteur a rencontré des délégués du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) lors de leur visite du lieu de détention. Les délégués ont remis à l’auteur une carte d’enregistrement. L’auteur a expliqué qu’il n’avait rien pour dormir et, suite à l’intervention du CICR, il a pu obtenir un mince matelas, vers le mois de décembre 2007.

2.8Le 17 décembre 2007 au soir, le responsable adjoint du lieu de détention est entré dans la pièce où l’auteur était détenu. Il était accompagné de plusieurs autres gardiens qui n’étaient pas de service. Ils étaient tous ivres. Le responsable adjoint a dit à l’auteur qu’il n’avait pas droit à un matelas du CICR. Les agents se sont mis à insulter l’auteur et à le frapper au visage, à l’abdomen, aux bras et aux jambes en disant qu’ils allaient tuer le « Tigre canadien ». Il avait le poignet gauche tuméfié, des blessures aux genoux, ainsi que des douleurs à l’estomac et à l’aine à cause des coups reçus. Le lendemain matin, le responsable du lieu de détention a dit à l’auteur qu’il n’avait pas intérêt à parler du passage à tabac aux délégués du CICR. Il lui a dit que s’il signait des aveux, cela ne se reproduirait plus. S’il refusait, les agents de la Division des enquêtes terroristes arrêteraient son épouse et son enfant et les placeraient eux aussi en détention. L’auteur a demandé à voir un conseil, en vain. Il a réaffirmé son innocence et a refusé de signer des aveux.

2.9En avril 2008, l’auteur a été transféré au centre de détention de Boosa, à Galle. Le 1er mai 2008, le Secrétaire d’État adjoint à la défense a ordonné la détention de l’auteur dans ce centre pour une période de quatre-vingt-dix jours. L’auteur dit qu’il y était détenu à l’isolement dans une cellule exiguë sans sanitaires ni eau. Il devait uriner dans une bouteille et déféquer dans un sac en plastique. Il était conduit chaque jour dans une salle pour être interrogé. Il n’était pas battu mais les gardiens le forçaient à assister à des passages à tabac violents et le menaçaient des mêmes brutalités. En avril ou mai 2008, l’auteur a reçu la visite d’un fonctionnaire du Haut-Commissariat du Canada à qui il a raconté ce qu’il avait subi et vu au centre de détention de Boosa et a demandé d’intercéder pour obtenir son transfèrement dans une prison de Colombo.

2.10Fin juillet 2008, l’auteur a été conduit à Colombo et placé provisoirement en détention dans les locaux de la Division des enquêtes terroristes. L’auteur dit qu’on a fait pression sur lui pour qu’il avoue appartenir à l’antenne de renseignement international des LTTE. Les agents qui l’interrogeaient lui ont dit que s’il refusait d’avouer, ils arrêteraient sa femme, la violeraient et tueraient son enfant. Début août 2008, ils lui ont annoncé qu’ils allaient obtenir une ordonnance de mise en détention de son épouse. Au bout d’une heure d’interrogatoire, afin de protéger sa femme, l’auteur a écrit de sa main une déclaration en tamoul dans laquelle il affirmait avoir importé illégalement un appareil GPS pour le compte des LTTE. Il a ensuite été reconduit au centre de détention de Boosa.

2.11En septembre 2008 à peu près, le dossier de l’auteur a finalement été transmis à un juge (magistrate’s court). L’auteur affirme que lors de sa brève première comparution, il a déclaré qu’il était citoyen canadien, qu’il n’avait été inculpé d’aucune infraction et que son arrestation et son maintien en détention étaient illégaux. Selon lui, le juge a répondu que les règlements d’exception permettaient de détenir quelqu’un jusqu’à dix-huit mois sans inculpation ; et la police avait produit un rapport de quatre pages qui comportait de nombreux mensonges pour justifier la détention. Il était notamment indiqué dans ce rapport que l’auteur avait utilisé une société enregistrée au nom de sa femme pour importer du matériel technologique de pointe en provenance d’Asie du Sud-Est, qu’il était membre de l’antenne de renseignement des LTTE et qu’il avait des liens étroits avec le rebelle P. A., chef de cette antenne, et que l’auteur et un autre Tamoul étaient des collaborateurs des LTTE et participaient à un complot visant à assassiner des ministres et des généraux de l’armée à Colombo. Sur la base de ce rapport, le juge a autorisé le maintien en détention de l’auteur et ordonné son transfert à la prison de Welikada.

2.12Vers le 4 novembre 2008, le tribunal supérieur no 2 (compétent pour les affaires relatives aux règlements d’exception) a inculpé l’auteur au motif que celui-ci savait qu’un membre de l’antenne de renseignement des LTTE opérait à Sri Lanka et n’avait pas alerté les autorités. Vers le 13 octobre 2009, l’auteur a comparu devant le tribunal supérieur no 1 (compétent pour les affaires relatives à la loi de prévention du terrorisme) et a été officiellement inculpé d’importation illégale d’un appareil GPS et de complicité avec les LTTE.

2.13Pendant sa détention à la prison de Welikada, l’auteur a reçu deux fois la visite de délégués du CICR et la visite de représentants du Haut-Commissariat du Canada. Il affirme qu’il était incarcéré dans un quartier de sécurité maximale, avec des condamnés pour meurtre. Les gardiens le traitaient encore plus durement et refusaient de lui donner ses médicaments contre le diabète. L’auteur avait alors commencé à souffrir de douleurs dans les articulations et la poitrine. Le 2 mars 2010, le Haut-Commissariat du Canada a envoyé au Directeur de l’administration pénitentiaire une lettre dans laquelle il demandait que les autorités fassent le nécessaire pour que l’auteur soit conduit à l’hôpital et reçoive des soins. L’auteur déclare qu’il a ensuite été conduit à l’hôpital général où un médecin a dit qu’il fallait l’hospitaliser, mais la police a refusé et l’a ramené à la prison. Le médecin a écrit une note à l’intention de l’infirmerie de la prison prescrivant un médicament pour les douleurs de poitrine et l’a remise au gardien qui accompagnait l’auteur mais l’auteur n’a jamais reçu le médicament prescrit.

2.14L’auteur dit qu’après la première comparution il a été présenté au tribunal environ deux fois par mois. À chaque fois le tribunal a prolongé la détention sans se prononcer sur le bien-fondé des charges portées contre lui. À une date non précisée, l’auteur a demandé à son avocat de faire quelque chose pour résoudre la situation. L’avocat s’est alors adressé au bureau du Procureur général avec qui il a négocié un accord. L’avocat a fini par obtenir que le Procureur retire tous les chefs d’accusation, sauf la possession d’un appareil GPS. Considérant qu’il n’avait pas le choix, l’auteur a accepté de plaider coupable de ce chef et de payer une amende de 5 lakhs, qu’il a acquittée le 19 août 2010. Il est sorti de la prison de Welikada le 27 août 2010.

2.15L’auteur est retourné au Canada le 28 avril 2011. Il explique qu’il a raconté son histoire à un journal canadien, le National Post, et qu’en réaction le Gouvernement sri‑lankais a refusé de délivrer le certificat de police nécessaire pour permettre à sa famille de quitter le pays. Finalement, le 14 février 2012, l’épouse et les enfants de l’auteur ont pu se rendre au Canada. Tous résident maintenant à Toronto. L’auteur continue toutefois de souffrir des séquelles physiques et psychologiques des épreuves qu’il a endurées à Sri Lanka. Ainsi il a des douleurs à la jambe gauche et des douleurs et des engourdissements dans la main suite au passage à tabac du 17 décembre 2007 ; il a une arythmie cardiaque et de l’hypertension, il a besoin d’antalgiques, il est sous traitement pour dépression et on a diagnostiqué un syndrome de troubles post-traumatiques. À cause de ses douleurs et de son état de santé, il ne peut pas travailler.

2.16L’auteur affirme que quand ses droits ont été violés, il ne disposait pas de recours internes qu’il aurait pu exercer et qu’il n’en existe pas davantage aujourd’hui parce que les recours ouverts ne seraient pas utiles. Depuis le moment où il a été arrêté et placé en détention, l’auteur a été privé de la protection de la loi et des garanties judiciaires et les procédures le concernant se sont déroulées avec un retard considérable. Étant donné que la détention a été ordonnée en vertu des règlements d’exception de 2005, qui sont contraires aux normes en matière de droits de l’homme, il n’a pas pu saisir les juridictions de droit commun. Il lui a donc été impossible d’exercer un recours quel qu’il soit. L’ordonnance de 1947 relative à la sécurité publique et la loi de prévention du terrorisme accordent aux représentants de l’État des immunités qui ont empêché l’auteur d’engager une action au civil contre l’État partie et contre les agents responsables de sa détention et des tortures subies. De la même manière, le Code de procédure pénale − loi no 15 de 1979 (modifiée) − accorde aux représentants de l’État l’immunité de poursuites pour les mesures prises de bonne foi dans l’exercice de leurs fonctions. Quoi qu’il en soit, même si une action avait été engagée au civil contre l’État ou les individus responsables, elle ne pourrait pas être considérée comme un recours adéquat et utile en l’espèce. L’auteur ajoute que le système de droit sri‑lankais prévoit la possibilité de saisir la Cour suprême de requêtes relatives aux droits fondamentaux ou de saisir le Procureur général pour demander qu’une loi soit déclarée ultra vires ou pour obtenir que des poursuites soient ouvertes contre des agents de l’État. Aucune de ces possibilités ne constitue toutefois un recours utile car l’appareil judiciaire sri-lankais n’est ni indépendant ni impartial. Les particuliers qui ont introduit des requêtes devant la Cour suprême pour atteinte à leurs droits fondamentaux ont été déboutés pour diverses raisons ou leurs requêtes sont restées en suspens pendant plusieurs mois voire plusieurs années. De plus, le Procureur général n’est pas impartial et il refuse fréquemment de donner suite aux plaintes déposées par des particuliers pour violation de leurs droits fondamentaux ou fait entrave à la procédure. L’auteur affirme que s’il avait introduit une requête pour atteinte à ses droits fondamentaux contre l’État ou un de ses agents, celle-ci n’aurait pas pu aboutir à cause de la politisation du bureau du Procureur général. Il ajoute qu’il n’aurait pas été autorisé à introduire une demande d’examen juridictionnel des règlements d’exception auprès de la Cour suprême à cause de l’ordonnance de 1947 relative à la sécurité publique et de l’article 19, paragraphe 10, des règlements d’exception de 2005, lequel prévoit que toute ordonnance de placement en détention administrative rendue en application des règlements d’exception « ne peut pour quelque motif que ce soit être examinée par un tribunal ».

2.17Une fois libéré, l’auteur a estimé qu’il n’avait aucune possibilité réelle d’obtenir l’annulation de sa condamnation, vu les pratiques injustes du système judiciaire dont il avait personnellement pâti. Il affirme que plusieurs affaires analogues à la sienne ont été portées sans succès devant les tribunaux sri-lankais. Il souligne que les défaillances dans la procédure pénale, par exemple les retards excessifs dans les enquêtes sur les violations des droits de l’homme, compromettent gravement l’équité du système de justice pénale. L’auteur craignait également pour sa sécurité et pour celle de sa famille. Sa peur des représailles s’explique par les actes de torture et les menaces qu’il avait subis pendant sa détention, ainsi que par la réaction des autorités après qu’il eut raconté son histoire dans un journal canadien. De plus, l’auteur affirme que retourner à Sri Lanka pour former un recours éventuel serait trop dangereux. Alors que, de plus en plus, des rapports dénoncent la pratique généralisée de la torture, des mauvais traitements et des disparitions forcées imputables aux forces de l’ordre, l’impunité pour les violations des droits de l’homme est au fil des ans devenue institutionnalisée et systématique. Dans ce contexte, l’appareil judiciaire n’est pas indépendant, ce qui ne laisse aux victimes, en particulier aux victimes d’origine tamoule, que peu de chances, voire aucune chance, de pouvoir exercer un recours ou d’obtenir réparation pour les violations graves des droits de l’homme. Quelques décisions de justice ont été rendues, dans certains cas les poursuites ont abouti et d’autres résultats positifs pour les victimes sri-lankaises ont été constatés, mais il est établi que les issues favorables sont rares et restent des exceptions à la tendance générale à l’impunité dans le pays. Dans ce contexte, tout effort entrepris par l’auteur pour exercer un recours à Sri Lanka aurait été voué à l’échec.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 7, 9, 10 et 14 du Pacte.

3.2À titre d’information générale, l’auteur indique que dans le contexte du conflit armé entre les forces de sécurité sri-lankaises et les LTTE, les autorités ont intensifié depuis 2005 les opérations militaires et policières, dans lesquelles les Tamouls sont fréquemment victimes d’arrestations arbitraires, d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées et d’actes de torture. D’après plusieurs sources, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ont été commis, en particulier dans les dernières phases du conflit armé, entre février et mai 2009. Pendant cette période, la pratique de la torture était généralisée à Sri Lanka, en particulier dans le contexte des opérations antiterroristes des forces armées et de la police, y compris la Division des enquêtes terroristes. L’auteur affirme de plus que celle-ci est impliquée dans un grand nombre de cas de mauvais traitements et de torture. Les personnes détenues dans les locaux de la Division étaient souvent mises au secret et il leur était interdit de recevoir la visite de membres de leur famille, d’un conseil ou de groupes de défense des droits de l’homme.

3.3En ce qui concerne les griefs tirés de l’article 7 du Pacte, l’auteur affirme que lors de son arrestation et pendant sa détention, il a subi aux mains des agents et des gardiens de la Division des enquêtes terroristes des traitements contraires à l’article 7. En particulier, en août 2008, il a été interrogé pendant plusieurs heures et contraint de signer dans des conditions assimilables à la torture de faux aveux dans lesquels il déclarait avoir importé illégalement un appareil GPS pour les LTTE. L’auteur allègue que tous les actes qu’il a subis individuellement ou collectivement sont constitutifs de torture. Pour le cas où le Comité ne partagerait pas cet avis, l’auteur fait valoir qu’ils constituent des traitements cruels, inhumains ou dégradants.

3.4L’auteur affirme en outre que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 9 du Pacte. Il n’a pas été placé en détention pour des motifs légitimes et les raisons pour lesquelles il a été arrêté n’étaient ni raisonnables ni plausibles. De plus les agents de la Division des enquêtes terroristes qui l’ont arrêté ne lui ont pas indiqué de motif clair pour justifier l’arrestation. L’auteur n’a alors jamais été présenté à un juge et il n’a eu aucune possibilité de contester quelque aspect que ce soit de sa détention. L’accès à un conseil lui a été refusé jusqu’à sa première comparution devant un juge, qui a eu lieu seulement au bout d’une année de détention sans inculpation.

3.5 Outre une violation de l’article 7 du Pacte, l’auteur allègue que les conditions de détention dans les différents centres où il a été emprisonné constituent une violation des droits garantis par l’article 10, ainsi qu’une violation de nombreuses dispositions de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus. Il souligne que pendant un certain temps on a refusé de lui procurer son médicament contre le diabète et que les agents de la prison de Welikada ne lui ont pas donné le médicament pour la douleur de poitrine pourtant prescrit par un médecin qui avait donné des instructions à cet effet. L’auteur a également été contraint de dormir à même le sol, parmi les cafards et les rats, avec les menottes serrées et enchaîné en permanence à un bureau. Dans le centre de détention de Boosa, il était à l’isolement et devait uriner dans une bouteille et déféquer dans un sac en plastique. Il n’était pas séparé des prisonniers condamnés pour meurtre et autres infractions violentes.

3.6Enfin l’auteur affirme que les droits consacrés aux paragraphes 1, 2 et 3 g) de l’article 14 ont été violés. L’équité de la procédure judiciaire a été rompue du fait que la police a donné de fausses informations pour justifier son maintien en détention et a utilisé à charge des aveux obtenus dans des conditions qui s’apparentaient à la torture. Dans la conduite de la procédure pénale, le droit à un procès équitable a également été violé parce que le tribunal n’a pas agi avec indépendance et impartialité et n’a pas enquêté sur les mauvais traitements infligés à l’auteur. De plus, l’utilisation d’aveux non volontaires, faits sous la contrainte, constitue une violation du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte. L’auteur affirme en outre que les affaires dans lesquelles le Procureur général établit un acte d’accusation sont souvent fondées uniquement sur des aveux forcés signés par l’intéressé et que, conformément à l’article 16 2) de la loi de prévention du terrorisme, les aveux obtenus sous la contrainte sont recevables comme preuves, et il incombe à l’accusé de démontrer que ses aveux sont « dénués de pertinence ». En l’espèce, les charges ont été abandonnées pour défaut de preuve, à l’exception de celle que l’auteur avait reconnue, faussement, parce qu’il avait subi des tortures et était resté arbitrairement détenu pendant une longue période.

3.7 L’auteur demande au Comité de recommander à l’État partie, notamment : a) de reconnaître les violations du Pacte qui ont été commises ; b) de diligenter une enquête sur les violations dont il a été victime et de prendre des mesures disciplinaires et pénales contre les responsables ; c) d’accorder à l’auteur une indemnisation pour le préjudice subi par lui-même et sa famille du fait des violations commises et pour tout autre dommage quantifiable ; d) d’offrir des assurances ou des garanties de non-répétition ; e) de prendre les mesures législatives nécessaires pour donner effet aux droits consacrés par les articles 7, 9, 10 et 14 du Pacte.

Absence de coopération de l’État partie

4.1Par des notes verbales du 4 juin 2014 et du 22 février 2015, l’État partie a été prié de communiquer au Comité des informations sur la recevabilité et le fond de la communication. Le 27 août 2014, l’État partie a fait savoir que l’arrêt rendu le 15 septembre 2006 par la Cour suprême de Sri Lanka dans l’affaire Nallaratnam Singarasa v. Attorney General l’empêchait de donner les informations demandées. Dans cet arrêt, la Cour suprême a établi qu’en adhérant au Protocole facultatif se rapportant au Pacte, le Gouvernement sri-lankais avait porté atteinte aux dispositions de la Constitution et que seuls les tribunaux et cours de justice institués par la Constitution pouvaient statuer sur les droits du peuple sri-lankais. L’État partie a déclaré que le respect des décisions de ses tribunaux internes était pour lui un impératif. Le 21 mai 2015, il a fait savoir qu’après l’élection présidentielle du 8 janvier 2015, les autorités avaient engagé un processus de consultation, en tenant compte de l’avis du Comité et du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, sur les moyens de réexaminer la décision de la Cour suprême ; une réponse à la communication serait soumise à l’issue de ce processus.

4.2Par des notes verbales des 15 juin 2015, 22 décembre 2015 et 23 mai 2016, l’État partie a de nouveau été prié de faire parvenir des informations sur la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité note que ces informations ne lui sont pas parvenues et que l’État partie n’a fourni aucun renseignement sur le processus de consultation mentionné dans sa note verbale du 21 mai 2015. Le Comité regrette que l’État partie n’ait apporté aucune information sur la recevabilité ou le fond des griefs de l’auteur. Il rappelle que le paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif oblige les États parties à examiner de bonne foi toutes les allégations portées contre eux et à communiquer au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l’absence de réponse de l’État partie, il y a lieu d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, pour autant qu’elles aient été suffisamment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3Le Comité prend note des allégations de l’auteur qui affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte, étant donné que sa détention a été ordonnée sur la base de fausses informations et que les tribunaux n’ont pas agi de manière indépendante et impartiale. Le Comité relève toutefois que l’auteur n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles il estimait que les tribunaux n’étaient pas indépendants et impartiaux dans le cas présent. De même, l’auteur n’a pas expliqué en quoi les autorités de l’État partie avaient violé son droit à la présomption d’innocence. Le Comité considère par conséquent que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses griefs de violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte et que ses allégations sont donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.4Le Comité note que l’auteur affirme que quand ses droits ont été violés, il n’y avait pas de recours interne qu’il aurait pu exercer et que les recours qui existent à l’heure actuelle doivent être réputés inutiles (voir les paragraphes 2.16 et 2.17 ci-dessus). Il affirme que, même si des recours internes sont disponibles à Sri Lanka et que par exemple une action pour atteinte aux droits fondamentaux peut être engagée devant la Cour suprême contre l’État ou l’un de ses représentants, dans le contexte d’impunité dont bénéficient les auteurs de violations des droits de l’homme et de manque d’indépendance de l’appareil judiciaire − comme le montrent les rapports établis par des organisations internationales et des organisations non gouvernementales de renom −, ces recours n’avaient pas à l’époque et n’ont toujours pas aujourd’hui de chances d’aboutir, ce que montrent des affaires analogues sur le plan des faits qui ont été portées devant les tribunaux sri-lankais. Dans ce contexte, l’auteur objecte que, dans la pratique, ces recours ne sont pas utiles. Compte tenu de toutes les informations communiquées au Comité, et en l’absence d’observations de l’État partie réfutant les allégations de l’auteur, le Comité considère que rien ne s’oppose à la recevabilité de la présente communication en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.5Toutes les conditions de recevabilité étant satisfaites, le Comité déclare la communication recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard des articles 7, 9, 10 et 14 (par. 3 g)) du Pacte et il procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

6.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

6.2Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles des agents de l’État l’ont gravement maltraité et menacé pendant sa détention, et qu’il a été forcé à signer des aveux ; que les autorités ont menacé de le tuer ; que le 17 décembre 2007, il a été passé à tabac par des agents de la Division des enquêtes terroristes ; que, le matin suivant, le responsable du lieu de détention de la Division lui a dit qu’une fois qu’il aurait signé des aveux il ne serait plus battu ; qu’il a été forcé à assister aux tortures d’autres détenus ; qu’en particulier, en juillet 2008, alors qu’il était détenu dans les locaux de la Division à Colombo, on a fait pression sur lui pour qu’il avoue appartenir à l’antenne de renseignement international des LTTE ; que les agents qui l’interrogeaient lui ont dit que s’il refusait d’avouer, ils arrêteraient sa femme, la violeraient et tueraient son enfant ; que début août 2008, ces agents lui ont annoncé qu’ils allaient obtenir une ordonnance de mise en détention de son épouse ; qu’il a ainsi été forcé d’écrire une déclaration dans laquelle il affirmait avoir importé illégalement un appareil GPS pour le compte des LTTE ; et qu’il a ultérieurement été traduit devant un tribunal et inculpé d’importation illégale d’un appareil GPS et de complicité avec les LTTE. Le Comité prend également note des allégations de l’auteur selon lesquelles après avoir été conduit dans le lieu de détention de la Division des enquêtes terroristes à Colombo, il n’a pas reçu de médicaments contre le diabète jusqu’à ce qu’un représentant du Haut-Commissariat du Canada lui rende une première visite ; que, privé de traitement, il devait uriner très fréquemment mais que les gardiens ne lui permettaient pas toujours d’aller aux toilettes et qu’il avait donc parfois été obligé d’uriner dans ses vêtements sans pouvoir en changer. À la prison de Welikada, les gardiens ont également refusé de donner à l’auteur ses médicaments contre le diabète ; alors qu’il souffrait aussi de douleurs dans les articulations et à la poitrine, il n’a été conduit à l’hôpital qu’après l’envoi par le Haut-Commissariat du Canada d’une lettre au Directeur de l’administration pénitentiaire à Colombo, le 2 mars 2010 ; et, alors que le médecin de l’hôpital avait affirmé que l’auteur devait être hospitalisé, il a été ramené en prison, où le médicament prescrit par le médecin ne lui a jamais été donné. En l’absence d’une réponse de l’État partie sur ce point, le Comité accorde le crédit voulu aux allégations de l’auteur et conclut à une violation des droits garantis par l’article 7 du Pacte.

6.3Compte tenu de cette conclusion, le Comité estime que, dans les circonstances de l’espèce, l’État partie a également violé les droits que l’auteur tient du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

6.4Le Comité note les griefs de l’auteur qui affirme que le 14 septembre 2007, les agents de la Division des enquêtes terroristes ne l’ont pas informé des raisons de son arrestation ; qu’il n’a pas été placé en détention pour des motifs légitimes, qu’il n’a pas pu contester la légalité de sa détention, qu’il n’a été présenté à un juge que vers le mois de septembre 2008, soit après une année de détention sans inculpation. En l’absence d’une réponse de l’État partie sur ces points, le Comité conclut à une violation des droits que l’auteur tient de l’article 9 du Pacte.

6.5Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur selon laquelle il a été soumis à des conditions générales de détention constitutives d’une violation de l’article 10 du Pacte (voir les paragraphes 2.5, 2.9 et 2.13 ci-dessus). En l’absence de contestation ou d’explication de la part de l’État partie, le Comité conclut à une violation par l’État partie de l’article 10 du Pacte.

7.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles 7, 9, 10 et 14 (par. 3 g)) du Pacte.

8.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Cela signifie qu’il doit accorder une réparation complète aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est notamment tenu : a) de mener une enquête approfondie et diligente sur les faits décrits par l’auteur ; b) de poursuivre, juger et punir les responsables de l’arrestation arbitraire, des mauvais traitements et de la détention dans des conditions inhumaines subis par l’auteur, et de rendre publics les résultats de ces mesures ; c) d’indemniser l’auteur de manière adéquate pour les violations subies et de prendre des mesures de satisfaction appropriées en sa faveur. L’État partie a également l’obligation de prendre des mesures pour que de telles violations ne se reproduisent pas. En particulier, l’État partie devrait faire en sorte que : a) sa législation soit conforme aux dispositions du Pacte ; et b) la charge de démontrer que des aveux n’ont pas été obtenus sous la torture ou par des mauvais traitements incombe au parquet dans le cadre des procédures engagées contre la victime présumée.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.