Nations Unies

CCPR/C/117/D/2089/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

30 août 2016

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2089/2011 * , **

Communication présentée par :

Margarita Korol (non représentée par un conseil)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

20 novembre 2009(date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 22 août 2011(non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

14 juillet 2016

Objet :

Arrestation et condamnation de l’auteure à une amende administrative pour tentative d’organisation d’une manifestation

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Liberté de réunion ; liberté d’opinion et d’expression

Article(s) du Pacte :

19 (par. 2) et 21

Article(s) du Protocole facultatif :

5 (par. 2 b))

1.L’auteure de la communication est Margarita Korol, de nationalité bélarussienne, née en 1990. Elle se dit victime d’une violation par le Bélarus des droits qu’elle tient des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Bélarus le 30 décembre 1992. L’auteure n’est pas représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Le 8 septembre 2009, l’auteure a participé à Minsk à une manifestation pacifique en brandissant une pancarte sur laquelle on pouvait lire «Maskal, souviens-toi de 1514 ». Elle a été arrêtée et condamnée le jour même à une amende administrative par le tribunal du district Tsentralny de la ville de Minsk.

2.2L’auteure était accusée d’avoir contrevenu à l’article 23.34 du Code des infractions administratives, qui interdit l’organisation ou la tenue de réunions, manifestations, rassemblements et autres types d’événements publics sans autorisation.

2.3Le 18 septembre 2009, l’auteure a formé un recours contre la décision du tribunal du district Tsentralny de la ville de Minsk auprès du tribunal municipal de Minsk. Celui‑ci a confirmé la décision de la juridiction inférieure le 2 octobre 2009. L’étape suivante consisterait pour l’auteure à se pourvoir auprès de la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle. L’intéressée estime cependant que cette procédure a un caractère discrétionnaire et qu’elle est inefficace, et rappelle que le Comité a précédemment conclu, tout comme la Cour européenne des droits de l’homme, que ce type de procédure discrétionnaire ne constituait pas un recours utile.

2.4L’auteure affirme que les policiers qui ont procédé à son arrestation et le tribunal qui l’a condamnée à une amende n’ont pas justifié les restrictions imposées à son droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’expression.

Teneur de la plainte

3.L’auteure affirme qu’en l’arrêtant et en la condamnant à acquitter une amende, l’État partie a violé les droits qu’elle tient des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte. Elle demande le remboursement de la somme en question et une indemnisation pour les frais de justice qu’elle a engagés.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 5 septembre 2011, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication en faisant valoir que l’auteure n’avait pas épuisé tous les recours internes disponibles car elle ne s’était pas pourvue contre la décision du tribunal municipal de Minsk auprès de la Cour suprême du Bélarus. L’État partie affirme, en outre, que la communication n’aurait absolument pas dû être enregistrée car son examen quant à la recevabilité et au fond ne pouvait s’appuyer sur aucun fondement juridique.

4.2Dans une note verbale en date du 25janvier 2012, l’État partie a fait observer qu’en devenant partie au Protocole facultatif au Pacte, il avait reconnu la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui se déclarent victimes d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte. Cette compétence, établie à l’article premier du Protocole facultatif, est reconnue sous réserve d’autres dispositions de l’instrument, notamment celles qui énoncent les conditions à remplir par les auteurs et les critères de recevabilité des communications(voir, en particulier, les articles 2 et 5). L’État partie soutient que le Protocole facultatif ne fait pas obligation aux États parties d’accepter le Règlement intérieur du Comité, ni l’interprétation que fait celui‑ci des dispositions du Protocole. Il fait valoir qu’en ce qui concerne la procédure d’examen des communications, les États parties au Protocole facultatif doivent d’abord et avant tout s’appuyer sur les dispositions de ce Protocole et que les renvois du Comité à sa pratique bien établie, à ses méthodes de travail et à sa jurisprudence ne relèvent pas du Protocole facultatif. Il ajoute qu’il considérera toute communication enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif se rapportant au Pacte comme incompatible avec celui-ci et qu’il la rejettera sans faire d’observations sur la recevabilité ou sur le fond, et que les décisions prises par le Comité au sujet de communications ainsi rejetées seront considérées par ses autorités comme «non valides».

Délibérations du Comité

Absence de coopération de l’État partie

5.1Le Comité prend note des arguments de l’État partie qui soutient qu’il n’existe pas de fondement juridique à l’examen de la communication, étant donné que celle‑ci a été enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif, qu’il n’est pas tenu de reconnaître le Règlement intérieur du Comité et l’interprétation que celui-ci fait des dispositions du Protocole facultatif et que toute décision que le Comité pourrait prendre concernant la présente communication sera considérée par ses autorités comme « non valide ».

5.2Le Comité fait observer qu’en adhérant au Protocole facultatif, tout État partie au Pacte reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violations de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et article premier du Protocole facultatif). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au particulier concernés (art.5 (par.1 et 4)). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication et d’en mener l’examen à bonne fin, et de faire part de ses constatations, est incompatible avec ces obligations. C’est au Comité qu’il appartient de déterminer si une affaire doit être enregistrée. En n’acceptant pas la décision du Comité concernant l’opportunité d’enregistrer une communication et en déclarant à l’avance qu’il n’acceptera pas la décision du Comité concernant la recevabilité et le fond de la communication, l’État partie viole les obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif.

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2LeComités’estassuré,commeilesttenudelefaireconformémentauparagraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En ce qui concerne la condition énoncée au paragraphe 2b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés, l’auteure ne s’étant pas pourvue contre la décision du tribunal municipal de Minsk auprès de la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle. Il prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle l’exercice d’un tel contrôle ne constitue pas un recours utile contre une décision devenue exécutoire. Le Comité note, en outre, que l’État partie n’a pas démontré qu’il existait des chances raisonnables que ce pourvoi constitue un recours utile en l’espèce. Eu égard à ces considérations, le Comité estime qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la communication.

6.4Le Comité considère que l’auteure a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’elle tire du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21 du Pacte ; il déclare ces griefs recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note des allégations de l’auteure, selon laquelle l’État partie a restreint arbitrairement son droit à la liberté d’expression puisqu’elle a été arrêtée et empêchée de manifester publiquement et d’exprimer son opinion sans justification suffisante. Il considère que la question dont il est saisi est celle de savoir si en arrêtant l’auteure et en la condamnant à une amende administrative, les autorités de l’État partie ont violé les droits qu’elle tient de l’article 19 du Pacte. Au vu des éléments dont il est saisi, le Comité considère qu’en arrêtant l’auteure et en lui infligeant une amende administrative, l’État partie a imposé des limitations aux droits qui lui sont garantis, en particulier le droit de répandre des informations et des idées de toutes sortes consacré par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

7.3Le Comité renvoie à son observation générale no 34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, dans laquelle il affirme que ces libertés sont des conditions indispensables au plein épanouissement de l’individu, sont essentielles pour toute société et constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Le Comité rappelle que le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte n’autorise certaines restrictions que si elles sont expressément prévues par la loi et nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; et b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public ou de la santé ou de la moralité publiques. Les restrictions à l’exercice de ces libertés doivent répondre à des critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Elles doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire. Le Comité rappelle qu’il incombe à l’État partie de montrer que les restrictions imposées aux droits garantis à l’auteure par l’article 19 étaient nécessaires et proportionnées.

7.4Le Comité considère que le fait d’arrêter l’auteure et de lui infliger une amende administrative pour avoir simplement manifesté et exprimé son opinion ne semble pas satisfaire aux critères de nécessité et de proportionnalité énoncés à l’article 19 du Pacte. Le Comité note que ni les juridictions nationales ni l’État partie n’ont justifié ces restrictions. Le Comité considère que dans les circonstances de l’espèce, l’arrestation de l’auteure et l’amende administrative qui lui a été imposée n’étaient pas justifiées au regard des conditions énoncées au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Au vu de ce qui précède, le Comité conclut qu’il y a eu violation des droits garantis à l’auteure par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

7.5Le Comité prend note en outre du grief de l’auteure, qui estime que son arrestation et sa condamnation à une amende constituent également une violation du droit à la liberté de réunion garanti à l’article 21 du Pacte. Dans ce contexte, le Comité rappelle que le droit de réunion pacifique, garanti à l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental, essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et indispensable dans une société démocratique. Ce droit suppose la possibilité d’organiser une réunion pacifique, y compris sous une forme fixe (comme un piquet ou une manifestation) dans un lieu public, et d’y participer. Les organisateurs d’une réunion ont, en règle générale, le droit de choisir un lieu à portée de vue et d’ouïe du public visé par la manifestation, et l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui. Lorsqu’ils imposent des restrictions au droit de réunion des particuliers afin de concilier ce droit avec l’intérêt général, les États parties doivent s’efforcer d’en faciliter l’exercice et non s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés. L’État partie est donc tenu de justifier la limitation du droit garanti à l’article 21 du Pacte.

7.6Dans la présente affaire, le Comité doit déterminer si les restrictions imposées au droit à la liberté de réunion de l’auteure étaient justifiées en vertu de l’un quelconque des critères énumérés dans la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte. Il constate, au vu des informations figurant dans le dossier, que ni les policiers qui ont procédé à l’arrestation de l’auteure ni les juridictions nationales qui ont prononcé la peine d’amende n’ont fourni de justification ou d’explication montrant en quoi, concrètement, les protestations et manifestations publiques de l’intéressée seraient contraires à l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou à la protection de la santé ou la moralité publiques ou des droits et libertés d’autrui, comme il est énoncé à l’article 21 du Pacte. En conséquence, et en l’absence de réponse de l’État partie sur ce point, le Comité conclut qu’en l’espèce l’État partie a commis une violation du droit que l’auteure tient de l’article 21 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par le Bélarus des droits garantis à l’auteure par les articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile. Il a l’obligation d’accorder pleine réparation aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre des mesures appropriées pour accorder à l’auteure une indemnisation adéquate, couvrant le remboursement de l’amende, des frais de justice et autres frais connexes. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas. À cet égard, le Comité réaffirme que l’État partie devrait revoir sa législation telle qu’elle a été appliquée en l’espèce, afin que les droits consacrés par les articles 19 et 21 du Pacte puissent être pleinement exercés dans le pays.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingt jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles‑ci publiques.