Communication présentée par :

X (représenté par un conseil, Helge Norrug)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Danemark

Date de la communication :

11 décembre 2014 (date de la lettre initiale)

Date de la décision :

1er avril 2015

Objet :

Expulsion en Afghanistan

Question(s) de procédure :

Fondement insuffisant des griefs

Question(s) de fond :

Risque de torture et de mauvais traitement; atteinte à la liberté de religion

Article(s) du Pacte :

7, 18 et 26

Article(s) du Protocole facultatif  :

2

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication est M. X, de nationalité afghane, né le 1er janvier 1983. Il affirme que son expulsion en Afghanistan par l’État partie constituerait une violation des droits qu’il tient des articles 7, 18 et 26 du Pacte. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 22 décembre 2014, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, a décidé de ne pas formuler de demande de mesures provisoires au titre de l’article 92 du règlement intérieur du Comité. Il a considéré par ailleurs qu’il n’avait pas besoin que l’État partie présente ses observations pour se prononcer sur la recevabilité de la communication.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur, qui appartient à l’ethnie pachtou, était à l’origine de confession musulmane sunnite. Il vivait dans la commune de Shindan, située dans la province de Herat, en Afghanistan, avec ses parents, son frère et sa sœur. Il travaillait comme photographe. L’auteur affirme qu’un homme riche et puissant, M. H. A. K., lui a demandé de filmer le mariage de sa fille, mais que, peu après la cérémonie de mariage, la vidéo a été volée par des inconnus et, quand M. H. A. K. a eu connaissance de ce vol, il a enlevé l’auteur et sa sœur avec l’aide de complices, et les a emmenés dans une cave. Il affirme également que M. H. A. K. lui a brisé les jambes, la mâchoire et le nez. Deux semaines plus tard, il est parti à Téhéran, où il a vécu dans la clandestinité pendant deux ans et a ensuite rejoint la Grèce, où il a travaillé et vécu légalement pendant quelque six ans. Ayant reçu des menaces téléphoniques d’un inconnu, qui lui a dit que M. H. A. K. allait tuer son frère, il ne s’est plus senti en sécurité et a décidé de quitter la Grèce.

2.2Le 17 janvier 2012, l’auteur est arrivé au Danemark et le 24 janvier, il y a demandé l’asile au Service danois de l’immigration. Il a raconté les expériences qu’il avait vécues en Afghanistan et en Grèce et a déclaré que s’il rentrait dans son pays d’origine, il serait persécuté par M. H. A. K., qui demeurait un homme puissant au niveau local. Il a aussi souligné qu’il était analphabète et de confession musulmane sunnite. L’auteur affirme que quelques semaines plus tard, il est entré en contact avec un Iranien chrétien qui l’a initié au christianisme.

2.3Le 8 juin 2012, le Service danois de l’immigration a rejeté la demande d’asile de l’auteur. Le recours ensuite formé par l’auteur a été rejeté par la Commission danoise de recours des réfugiés le 3 octobre 2012.

2.4L’auteur affirme qu’à l’automne ou après l’automne 2012, il s’est rendu pour la première fois dans une église chrétienne située près du centre pour demandeurs d’asile de Ranum, où il a rencontré un pasteur presbytérien, M. P. V., qui est devenu ensuite son professeur de religion chrétienne. Comme il se sentait harcelé par d’autres demandeurs d’asile du centre qui n’appréciaient pas qu’il fréquente l’église, il a été transféré à la demande du pasteur P. V. dans un autre centre de demandeurs d’asile, à Avnstrup. L’auteur a commencé à participer à des réunions de groupes de chrétiens en langue farsi, à l’église Saint‑Luc, où il a été baptisé le 2 juin 2013, puis, ensuite, à l’église des Apôtres.

2.5Le 26 juillet 2013, l’auteur a demandé à la Commission de recours des réfugiés de rouvrir son dossier au motif de sa conversion au christianisme. Le 13 août 2013, la Commission a rejeté sa demande et lui a donné l’ordre de quitter le territoire. Le 31 août et le 12 novembre 2013, l’auteur a soumis une demande de reconsidération à la Commission de recours des réfugiés. Entre-temps, en octobre 2013, il avait été transféré au centre de rétention d’Ellebæk, où il affirme avoir participé aux services religieux dirigés par l’aumônier P. B. tous les jeudis et, à cause de sa foi chrétienne, avoir été menacé et battu par d’autres résidents afghans du centre.

2.6Le 22 novembre 2013, la Commission de recours des réfugiés a décidé de rouvrir le dossier de l’auteur. Celui‑ci a quitté le centre de rétention et a continué d’étudier la religion chrétienne au collège de la mission luthérienne. Le 23 octobre 2014, il a affirmé à la Commission de recours des réfugiés qu’il courait le risque d’être persécuté s’il était renvoyé en Afghanistan, car la charia prévoit la peine de mort pour les musulmans qui se convertissent au christianisme. Il a également affirmé que, compte tenu de l’agression commise contre lui dans le centre de rétention d’Ellebæk par des Afghans, il était probable qu’il soit reconnu en tant que chrétien en Afghanistan. À l’appui de ses allégations, il a produit un certificat de baptême délivré par l’église de Saint-Luc, une déclaration écrite du directeur du collège de la mission luthérienne et une déclaration commune de six élèves du collège.

2.7Le 27 octobre 2014, la Commission de recours des réfugiés a rejeté la demande d’asile de l’auteur et a déclaré qu’il n’y avait pas de motif de croire que celui‑ci serait persécuté s’il était renvoyé dans son pays d’origine. La Commission a estimé qu’il était improbable que sa supposée conversion au christianisme soit réelle, durable et ferme, et qu’il continue de pratiquer cette religion à son retour en Afghanistan. De plus, en raison de leur caractère limité, ses activités chrétiennes dans l’État partie ne pouvaient pas être connues des autorités afghanes. La Commission a également noté que l’auteur vivait hors de son pays d’origine depuis quelque huit années, que sa conversion présumée était postérieure au rejet de sa première demande d’asile; et que ses déclarations sur sa pratique quotidienne de sa foi − lecture de la Bible et participation à des activités organisées par l’Église − ne cadraient pas avec ses allégations antérieures selon lesquelles il était analphabète et ne parlait d’autre langue, y compris le danois, que sa langue maternelle. La Commission a aussi estimé qu’il n’était pas nécessaire d’appeler les témoins proposés par l’auteur, dont le pasteur P. V., car ceux-ci avaient déjà produit des déclarations écrites.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les autorités de l’État partie n’ont pas évalué correctement les risques qu’il courrait, s’il était renvoyé en Afghanistan, en particulier celui d’être persécuté ou soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en violation de l’article 7 du Pacte. S’il était renvoyé, il serait persécuté à cause de sa conversion au christianisme. La Commission de recours des réfugiés a pourtant conclu, de manière arbitraire, que sa conversion n’était pas réelle, sans prendre en considération le fait qu’il avait commencé à manifester de l’intérêt pour le christianisme plus d’un an avant son baptême, lequel avait été précédé par plusieurs mois de préparation sous la direction d’un pasteur chrétien, qu’il avait professé et pratiqué ouvertement sa foi chrétienne et qu’il avait été menacé par d’autres Afghans du centre de rétention d’Ellebæk. La Commission n’avait pas non plus tenu compte des déclarations des pasteurs danois, mieux placés que les membres de la Commission pour évaluer la réalité de la conversion en raison de leurs connaissances en théologie.

3.2La Commission de recours des réfugiés s’était excessivement focalisée sur le fait que l’auteur avait fourni des déclarations contradictoires quant à sa capacité de lire et de parler différentes langues. À cet égard, l’auteur affirme qu’il a étudié le christianisme en danois et en farsi. Il ajoute qu’il est bien connu que les musulmans qui se convertissent à une autre religion courent le risque d’être persécutés en Afghanistan et que, de toute façon, la question de savoir si les autorités afghanes ont déjà connaissance de sa conversion n’est pas pertinente.

3.3En ce qui concerne les griefs qu’il tire de l’article 18, l’auteur affirme que s’il était renvoyé en Afghanistan, il ne pourrait pas y pratiquer sa foi et que la décision de la Commission de recours des réfugiés ne saurait être fondée sur l’hypothèse qu’il la dissimulera. Parmi les droits garantis par l’article 18 figure celui de manifester sa religion et de mener des activités qui y sont liées.

3.4L’auteur affirme que l’État partie a violé le droit qu’il tient de l’article 26 du Pacte car la question de sa conversion au christianisme n’a pas été examinée en première instance par le Service danois de l’immigration mais seulement par la Commission de recours des réfugiés.

Délibérations du Comité

4.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte relatif aux droits civils et politiques.

4.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

4.3Le Comité relève que la première demande d’asile présentée par l’auteur, fondée sur sa crainte d’être persécuté par un particulier, a été rejetée par le Service danois de l’immigration et la Commission danoise de recours des réfugiés. Comme l’auteur a fait valoir qu’il s’était converti au christianisme après ces décisions, le 22 novembre 2014, la Commission de recours des réfugiés a rouvert son dossier pour réexaminer sa demande d’asile sur la base de ce nouveau motif et lui a ainsi donné la possibilité d’étayer ses nouvelles allégations par de nouveaux éléments. Le 27 octobre 2014, la Commission de recours des réfugiés a rejeté ses nouvelles allégations, notamment en raison de ses déclarations contradictoires et de son incapacité à démontrer que les autorités afghanes pouvaient être au courant de sa conversion. L’auteur conteste cette décision. Néanmoins, le Comité observe que ses griefs sont principalement fondés sur sa seule appartenance à une église chrétienne donnée et qu’il n’a recensé aucune irrégularité dans le processus décisionnel, ni expliqué en quoi la décision de la Commission de recours des réfugiés était manifestement arbitraire, par exemple parce qu’elle n’aurait pas pris correctement en compte un facteur pertinent de risque. Par conséquent, le Comité considère que les griefs que l’auteur tire des articles 7, 18 et 26 du Pacte sont insuffisamment étayés aux fins de la recevabilité et que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera transmise à l’État partie et à l’auteur.