Nations Unies

CCPR/C/119/D/2184/2012

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

8 mai 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2184/2012*,**

Communication p résentée par :

Ram Maya Nakarmi (représentée par un conseil, Philip Grant, de Track Impunity Always − TRIAL)

Au nom de :

L’auteure, Padam Narayan Nakarmi (son mari) et Luman Nakarmi (leur fille mineure)

État partie :

Népal

Date de la communication :

31 janvier 2012 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 2 août 2012 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

10 mars 2017

Objet :

Disparition forcée

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; allégations insuffisamment étayées

Question(s) de fond :

Droit à la vie ; interdiction de la torture et des traitements cruels et inhumains ; droit à la liberté et à la sécurité de la personne ; respect de la dignité inhérente à la personne humaine ; reconnaissance de la personnalité juridique ; droit de l’enfant à des mesures de protection ; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 6, 7, 9, 10, 16 et 24 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteure de la communication est Ram Maya Nakarmi, qui présente la communication en son nom propre et au nom de son mari, Padam Narayan Nakarmi, et de leur fille mineure, L. N. Tous les trois sont de nationalité népalaise, et ils sont nés respectivement le 11 janvier 1977, le 17 avril 1976 et le 22 octobre 1999. L’auteure affirme que l’État partie a violé les droits que son mari tient des articles 6, 7, 9, 10 et 16, pris séparément et lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, les droits qu’elle-même tient de l’article 7, pris séparément et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, et les droits que sa fille mineure tient de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 et le paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte. L’auteure est représentée par un conseil. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’État partie le 14 août 1991.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1De 1996 à 2006, un conflit armé a eu lieu au Népal entre le Gouvernement et le Parti communiste népalais − Maoïste. De larges pouvoirs ont été donnés aux forces de l’ordre par l’ordonnance relative aux activités terroristes et subversives. Le pays a vécu sous le régime de l’état d’urgence pendant de longues périodes, durant lesquelles la jouissance de plusieurs droits a été suspendue. Les deux parties au conflit, y compris la police et l’Armée royale népalaise, ont commis des atrocités et les disparitions forcées sont devenues monnaie courante. Pendant cette période, et plus particulièrement après 2003, la caserne de Bhairab Nath de l’Armée royale népalaise à Katmandou, également connue sous le nom de caserne de Maharajgunj, est devenue tristement célèbre comme un lieu où les personnes soupçonnées d’être des maoïstes étaient placées en détention, maltraitées, torturées ou tuées, ou encore « disparaissaient ».

2.2M. Nakarmi vivait à Bungmati, dans le district de Lalitpur, au Népal, où il travaillait comme ferronnier dans une petite entreprise métallurgique. Son emploi était la seule source de revenus de la famille. L’auteure affirme que le 23 septembre 2003, M. Nakarmi a été arrêté à son domicile par une demi-douzaine d’agents de sécurité en civil se présentant, au moyen de leurs cartes d’identité officielles, comme des membres de l’Armée royale népalaise attachés à la caserne de Bhairab Nath. Plusieurs personnes, dont l’auteure et la mère et le frère de M. Nakarmi, ont été témoins de son arrestation.

2.3Après l’arrestation de son mari, l’auteure s’est rendue régulièrement pendant deux ans à la caserne de Bhairab Nath et à la caserne de Lagankhel du district de Lalitpur. Le personnel de l’une et l’autre des casernes a toujours nié que M. Nakarmi y était détenu. L’auteure s’est également rendue régulièrement au siège de la Police népalaise à Naxal (Katmandou), ainsi qu’au bureau de district de la police à Hanuman Dhoka (Katmandou), mais on lui a chaque fois répété que son mari n’était pas détenu par la police. Toutefois, peu après l’arrestation de son mari, l’auteure a été informée par un ancien détenu de la caserne de Bhairab Nath que son mari y était détenu.

2.4En octobre 2003, l’auteure a essayé de faire enregistrer un premier rapport d’information (First Information Report) auprès du bureau de district de la police à Patan. Elle affirme que la police a refusé de l’enregistrer au motif que la disparition forcée ne faisait pas partie des infractions pouvant faire l’objet d’un premier rapport d’information, dont la liste figurait à l’annexe 1 de la loi de 1992 relative aux affaires dans lesquelles l’État est impliqué.

2.5L’auteure affirme qu’à un moment qu’elle situe en 2005-2006, deux autres anciens détenus de la caserne de Bhairab Nath, K. K. C. et H. S., qui avaient été remis en liberté en 2005, lui ont dit qu’ils avaient vu son mari à la caserne.

2.6En mai 2006, le bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) au Népal a publié un rapport d’enquête sur la détention arbitraire, la torture et les disparitions à la caserne de Bhairab Nath en 2003 et 2004. Le nom du mari de l’auteure figurait parmi ceux des détenus que l’on n’avait toujours pas localisés et qui semblaient très malades la dernière fois que leurs codétenus les avaient vus, en 2004 et au début de 2005. Selon ce rapport, des témoignages de détenus indiquaient que fin décembre 2003, M. Nakarmi présentait d’importantes tuméfactions sur tout le corps et était dans un état d’extrême faiblesse, et qu’il serait mort en 2004. Le rapport indiquait également que les détenus étaient soumis à des traitements cruels, inhumains et dégradants.

2.7L’auteure affirme que le 19 juin 2006, elle a signalé la disparition de son mari et tenté pour la deuxième fois de faire enregistrer un premier rapport d’information auprès du bureau de district de la police à Hanuman Dhoka (Katmandou), ce qui a été fait le 19 juin 2006. Dans ce premier rapport d’information, l’auteure identifiait cinq membres de l’Armée royale népalaise qu’elle accusait d’être impliqués dans la disparition, la torture et probablement le meurtre de son mari, et demandait qu’ils soient immédiatement arrêtés et poursuivis. Elle affirmait qu’ils étaient responsables de ce qui était arrivé à son mari, sur la foi de témoins oculaires et des informations contenues dans le rapport du bureau du HCDH au Népal. Malgré ses efforts, aucune enquête n’a été menée. Le 25 décembre 2006, les responsables du bureau de district de la police à Katmandou lui ont dit de ne pas revenir car il leur était impossible de convoquer des soldats de l’armée et donc de mener une enquête.

2.8La police ayant refusé d’engager une quelconque action contre les auteurs présumés, l’auteure a, le 4 janvier 2007, introduit une requête en mandamus devant la Cour suprême du Népal contre plusieurs représentants des autorités gouvernementales et membres de l’Armée royale népalaise qu’elle accusait d’avoir participé à l’exécution extrajudiciaire de son mari. Dans le cadre de la procédure, le bureau de district de la police de Hanuman Dhoka (Katmandou) a déclaré que l’auteure ne l’avait saisi d’aucun premier rapport d’information. D’autres autorités, notamment le Ministère de la défense, le chef de la Cellule des droits de l’homme de l’état-major de l’armée, un lieutenant-colonel de la caserne de Bhairab Nath, le Ministre de l’intérieur, le chef d’état-major et deux hauts responsables du bureau de district de la police de Katmandou, n’ont fourni aucune information pertinente à la Cour suprême et ont déclaré ne pas avoir arrêté ni vu le mari de l’auteure.

2.9Le 1er juin 2007, la Cour suprême a statué sur des requêtes en habeas corpus concernant 83 personnes disparues. Bien qu’il n’eût pas été présenté de requête en habeas corpus au nom de M. Nakarmi, la Cour suprême a relevé qu’il ressortait de l’une des requêtes dont elle était saisie que le mari de l’auteure était mort des suites de tortures à la caserne de Bhairab Nath. Elle a également souligné qu’un ancien détenu de cette caserne avait attesté devant la cour d’appel de Patan que les personnes mentionnées dans les requêtes étaient détenues dans cette caserne.

2.10En juin 2009, l’auteure a reçu 100 000 roupies népalaises à titre d’indemnisation provisoire dans le cadre du programme d’indemnisation provisoire mis en place par les pouvoirs publics.

2.11Le 18 août 2009, la Cour suprême a adressé à la Commission nationale des droits de l’homme une lettre dans laquelle elle lui demandait si elle disposait d’informations au sujet des disparitions qui auraient eu lieu à la caserne de Bhairab Nath. En réponse, la Commission a, le 7 septembre 2009, présenté un rapport dans lequel elle décrivait les différentes méthodes de torture ayant cours dans cette caserne, notamment la suffocation par immersion, électrochocs et les coups portés au moyen de différents objets. Elle y soulignait aussi que les conditions de détention dans la caserne étaient mauvaises et que l’on forçait les détenus à regarder d’autres détenus se faire torturer et à entendre leurs cris. L’auteure souligne que le rapport mentionnait le nom de son mari et indiquait qu’il était parmi les détenus, qu’il était tombé malade suite aux tortures qu’il avait subies et que d’autres détenus pensaient qu’il avait été transféré à l’hôpital militaire Shree Birendra, à Chhauni (Katmandou), pendant la deuxième semaine de février 2004. L’auteure signale que le nom de M. Nakarmi figure aussi dans la base de données des personnes disparues établie par la Croix-Rouge népalaise et dans la liste des personnes disparues dressée par la Commission nationale des droits de l’homme.

2.12Le 26 août 2010, la Cour suprême a annulé la requête en mandamus de l’auteure au motif qu’aucun élément de preuve n’indiquait que son mari avait été arrêté et tué par des agents de l’État. La Cour a relevé que l’auteure s’était appuyée sur les déclarations de personnes incarcérées parce qu’elles faisaient l’objet de poursuites pénales et sur le rapport soumis par la Commission nationale des droits de l’homme, et que ses allégations n’étaient que des suppositions. La Cour a également soutenu que c’était une commission vérité et réconciliation créée par le Gouvernement pour faire la lumière sur les disparitions survenues au Népal qui devrait enquêter sur les allégations de l’auteure concernant la disparition de son mari. À ce propos, la Cour a noté que le Gouvernement avait adopté une loi relative aux enquêtes sur les disparitions forcées et à l’indemnisation des familles des victimes.

2.13L’auteure affirme qu’elle a entrepris toutes les démarches possibles pour épuiser tous les recours internes, mais que ceux-ci sont pratiquement inexistants et que les seuls qui soient disponibles sont inutiles et d’une durée déraisonnablement longue. Une enquête pénale ne peut être ouverte qu’après l’enregistrement d’un premier rapport d’information, mais un tel rapport ne peut être enregistré que s’il concerne une des infractions dont la liste figure à l’annexe 1 de la loi de 1992 relative aux affaires dans lesquelles l’État est impliqué. L’infraction de disparition forcée n’étant pas encore réprimée en droit interne, il est impossible pour les proches des victimes de disparition forcée de déposer un premier rapport d’information de ce chef. La Cour suprême a pris acte de cette grave lacune de la législation de l’État partie. Dans le cas du mari de l’auteure, ce n’est qu’après la publication en 2006 du rapport du bureau du HCDH au Népal que les autorités ont accepté d’enregistrer un premier rapport d’information. Cela n’a toutefois servi à rien puisque quelques mois plus tard seulement, les responsables du bureau de district de la police de Katmandou ont demandé à l’auteure de ne plus revenir parce qu’il leur était impossible de convoquer les militaires mis en cause et donc de mener une enquête. En outre, la Cour suprême a annulé la requête en mandamus de l’auteure, estimant que celle-ci devait attendre que le Gouvernement crée une commission vérité et réconciliation chargée de faire la lumière sur les disparitions survenues au Népal pendant le conflit armé non international. L’auteure fait cependant valoir que, pour les victimes de violations flagrantes des droits de l’homme et leurs proches, un processus d’établissement des faits restant à mettre en place dans le cadre d’un mécanisme de justice transitionnelle ne saurait remplacer l’accès à la justice et à des réparations et ne peut donc pas être considéré comme un recours au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que son mari est victime de disparition forcée et que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 6, 7, 9, 10 et 16, pris séparément et lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, les droits qu’elle-même tient de l’article 7, pris séparément et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, et les droits que sa fille mineure tient de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 et le paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte.

3.2Le mari de l’auteure a été arbitrairement privé de sa liberté par des membres de l’Armée royale népalaise en présence de témoins le 23 septembre 2003 et a été conduit à la caserne de Bhairab Nath. La dernière fois qu’il a été vu vivant, sa vie était menacée. De plus, compte tenu des témoignages d’anciens détenus et d’autres éléments de preuve concordants émanant de différentes sources fiables, notamment les rapports du bureau du HCDH au Népal et de la Commission nationale des droits de l’homme et l’arrêt rendu par la Cour suprême du Népal le 1er juin2007, il est raisonnable de présumer qu’il est mort en détention des suites des mauvais traitements et des tortures qui lui ont été infligés. L’arrestation arbitraire du mari de l’auteure, les mauvais traitements qu’il a subis et sa disparition forcée sont intervenus dans le cadre d’une pratique généralisée et systématique. Bien que sa privation de liberté ait été rapidement signalée par l’auteure, les autorités ont nié qu’elle ait eu lieu et aucune enquête approfondie et efficace n’a été menée pour déterminer ce qu’il était advenu du mari de l’auteure et où il se trouvait. De surcroît, sa dépouille n’a pas été localisée, exhumée, identifiée ni restituée à sa famille. Cela étant, la charge de la preuve incombe à l’État partie, qui doit donner à l’auteure une explication satisfaisante et convaincante, en établissant avec certitude ce qu’il est advenu de son mari et où il se trouve, et en l’en informant. En conséquence, l’État partie n’ayant pas démontré le contraire, l’auteure soutient que la disparition forcée de son mari en tant que telle et le meurtre de celui-ci qui l’a très probablement suivie sont constitutifs d’une violation par l’État partie des droits reconnus à son mari par l’article 6 du Pacte.

3.3L’auteure affirme que la disparition forcée de son mari et le degré de souffrance qu’implique une détention sans contact avec le monde extérieur sont constitutifs d’une violation de l’article 7 du Pacte. En outre, des éléments de preuve concordants, notamment les témoignages d’anciens détenus mentionnés dans les rapports du HCDH et de la Commission nationale des droits de l’homme, indiquent que le mari de l’auteure a été torturé par les autorités de l’État partie (voir par. 2.6 et 2.9 ci-dessus). Dans un arrêt de juin 2007, la Cour suprême du Népal a également relevé qu’il ressortait de l’une des requêtes dont elle était saisie que le nom du mari de l’auteure figurait parmi les noms de personnes « ayant succombé à la suite des tortures subies en détention ».

3.4Les conditions de détention de M. Nakarmi à la caserne de Bhairab Nath constituaient une violation des droits que celui-ci tenait de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Selon les témoignages d’anciens détenus et les rapports du bureau du HCDH au Népal et de la Commission nationale des droits de l’homme, les détenus étaient menottés et avaient les yeux bandés en permanence, vivaient dans des cellules surpeuplées et avaient un accès très limité à une alimentation de très mauvaise qualité, et l’eau et les toilettes étaient sales. Pendant l’hiver, ils étaient forcés de dormir à même le sol en ciment et ne recevaient pas de vêtements adaptés. Ceux qui souffraient de maladies et d’infections n’étaient pas soignés. Il est en outre indiqué dans le rapport du bureau du HCDH au Népal qu’aux dires de témoins, le mari de l’auteure avait des problèmes de santé qui s’étaient aggravés faute de traitement médical approprié.

3.5L’auteure affirme que l’État partie a violé l’article 9 du Pacte. Son mari a été arrêté par des membres de l’Armée royale népalaise qui ne lui ont pas présenté de mandat d’arrêt ni expliqué adéquatement les raisons de son arrestation, et il a été détenu au secret à la caserne de Bhairab Nath. L’armée a par la suite nié qu’il ait été arrêté et placé en détention. Sa détention n’a pas été officiellement consignée ni enregistrée et ses proches ne l’ont jamais revu. Il n’a jamais été inculpé et n’a pas été présenté à un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires. Il n’a pas eu la possibilité de saisir un tribunal pour contester la légalité de sa détention.

3.6Compte tenu de sa détention au secret, de sa disparition forcée et du fait que les autorités n’ont pas mené d’enquête efficace pour déterminer où il se trouvait et ce qui lui était arrivé, M. Nakarmi est depuis le 23 septembre 2003 soustrait à la protection de la loi, ce qui l’empêche de jouir de ses droits de l’homme et de ses libertés. En conséquence, l’État partie est responsable d’une violation continue de l’article 16 du Pacte.

3.7Bien que l’auteure ait rapidement signalé la privation arbitraire de liberté et la disparition forcée de son mari, aucune enquête diligente, impartiale, approfondie et indépendante n’a été menée d’office, et le sort de son mari ainsi que le lieu où il se trouve restent inconnus à ce jour. En outre, à la date où la présente plainte a été présentée, personne n’avait été convoqué ni condamné pour la privation arbitraire de liberté du mari de l’auteure, sa disparition forcée, les tortures qu’il a subies, son très probable décès et la dissimulation subséquente de sa dépouille. Il en résulte que l’État partie a violé et continue de violer les droits protégés par les articles 6 (par. 1), 7, 9, 10 (par. 1) et 16, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

3.8L’auteure affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, parce qu’elle a été plongée dans une angoisse et une détresse profondes du fait de l’arrestation arbitraire puis de la disparition forcée de son mari, ainsi que des actes et omissions des autorités à l’occasion de ces événements. Du fait de la disparition de son mari, elle a dû élever seule sa fille. À ce jour, le droit de l’auteure de connaître la vérité sur les circonstances de la disparition forcée de son mari, le sort de celui-ci et le lieu où il se trouve, ainsi que les progrès et les résultats de l’enquête, n’a pas cessé d’être violé par l’État partie.

3.9L’auteure affirme également que sa fille est victime d’une violation des droits qu’elle tient de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 et le paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte. La fillette était âgée de 3 ans au moment de la disparition de son père. En tant qu’enfant, elle a été particulièrement touchée car elle a dû grandir sans pouvoir jouir d’une vie de famille et elle vit dans l’angoisse permanente de ne pas savoir où est son père et s’il va revenir. La détérioration de l’état de santé psychologique de sa mère a de plus eu des conséquences sur la capacité de celle-ci de l’élever.

3.10L’auteure prie le Comité de recommander à l’État partie : a) d’ordonner d’urgence l’ouverture d’une enquête indépendante pour déterminer le sort de son mari et le lieu où celui‑ci se trouve et, si son décès est confirmé, de localiser, d’exhumer et d’identifier sa dépouille, de la respecter et de la restituer à la famille ; b) de traduire les responsables devant les autorités civiles compétentes afin qu’ils soient poursuivis, jugés et punis, et de rendre publics les résultats de ces mesures ; c) de veiller à ce que l’auteure obtienne une réparation intégrale et une indemnisation rapide, juste et adéquate ; d) de veiller à ce que les mesures de réparation couvrent le préjudice matériel et moral et comprennent des mesures de restitution, de réadaptation et de satisfaction et des garanties de non-répétition. Elle demande en particulier que l’État partie reconnaisse sa responsabilité internationale lors d’une cérémonie publique en présence des autorités et des proches de M. Nakarmi, auxquels des excuses officielles seront faites. L’État partie devrait également assurer à l’auteure une prise en charge médicale et psychologique immédiate et gratuite par l’intermédiaire de ses institutions spécialisées, et lui donner accès à l’aide juridictionnelle, en tant que de besoin, afin de lui garantir des recours disponibles, utiles et suffisants. Pour garantir que de tels actes ne se reproduisent pas, l’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour que, dans le cadre de son droit pénal, la disparition forcée et la torture ainsi que les différentes formes de participation à ces crimes constituent des infractions autonomes et soient punies de peines appropriées tenant compte de leur extrême gravité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 10 octobre 2012, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité de la communication, affirmant que l’auteure n’avait pas épuisé les recours internes et que ses griefs étaient manifestement sans fondement.

4.2 L’État partie soutient que les allégations de l’auteure concernant les circonstances dans lesquelles l’arrestation, la détention, la disparition forcée, la torture et la privation arbitraire de la vie de son mari qu’elle allègue auraient eu lieu ne sont étayées par aucune preuve directe ou indirecte. À cet égard, le 26 août 2010, la Cour suprême a annulé la requête en mandamus introduite en faveur du mari de l’auteure parce que celle-ci n’était pas en mesure de démontrer que son mari avait été effectivement détenu et tué par des membres de l’Armée royale népalaise. De plus, ces allégations ne peuvent pas être confirmées par les rapports du bureau du HCDH au Népal et de la Commission nationale des droits de l’homme ni par l’arrêt de la Cour suprême du 1er juin 2007. Cela étant, les allégations de violation du Pacte formulées par l’auteure sont donc sans fondement.

4.3L’auteure n’a pas déposé de premier rapport d’information auprès de la police comme l’exige la loi de 1992 relative aux affaires dans lesquelles l’État est impliqué. Si elle l’avait fait, une enquête aurait été ouverte par l’autorité compétente. L’auteure n’a donc pas épuisé les recours internes disponibles.

4.4L’État partie fait valoir que la Constitution provisoire de 2007 prévoit expressément la mise en place d’une commission vérité et réconciliation chargée d’enquêter sur les personnes soupçonnées d’avoir pris part à des violations graves des droits de l’homme pendant le conflit armé. Les violations des droits de l’homme commises dans le contexte d’un conflit armé doivent faire l’objet d’enquêtes spéciales et de recours particuliers. La justice pénale de droit commun ne peut pas s’appliquer à ce genre d’affaires, comme l’a également admis la Cour suprême népalaise. Une fois que la commission vérité et réconciliation aura enquêté et remis son rapport, il appartiendra au système de justice pénale de poursuivre les auteurs d’infractions. En ce sens, les mécanismes de justice transitionnelle complètent les systèmes de justice pénale existants. L’État partie faisant son possible pour mettre en place un mécanisme de justice transitionnelle dans les meilleurs délais, il prie instamment le Comité de tenir compte de sa situation particulière.

4.5L’État partie a versé 300 000 roupies népalaises à titre d’indemnisation provisoire à la famille de chacune des victimes du conflit armé dont le sort demeure inconnu. Les familles des victimes pourront obtenir une indemnisation supplémentaire ou d’autres réparations de la part de l’État après la mise en place du système de justice transitionnelle.

4.6L’État partie affirme que son système de justice pénale fonctionne correctement. En application de la loi de 1992 relative aux affaires dans lesquelles l’État est impliqué, la police népalaise a enquêté sur certaines infractions commises pendant le conflit armé.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 14 décembre 2012, l’auteure a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle répète que la détention de son mari par l’Armée royale népalaise a été confirmée par les témoignages de trois anciens détenus de la caserne de Bhairab Nath. De plus, les rapports du bureau du HCDH au Népal et de la Commission nationale des droits de l’homme ont également confirmé la disparition forcée de M. Nakarmi. La Cour suprême du Népal elle-même a pris note, dans son arrêt en date du 1er juin 2007, du témoignage d’un de ces anciens détenus, qui indiquait que le mari de l’auteure avait bien été détenu dans cette caserne et qu’il était mort à la suite des tortures qu’il y avait subies. Cette preuve corrobore également les allégations de l’auteure selon lesquelles les conditions de détention à la caserne de Bhairab Nath étaient inhumaines et les détenus étaient torturés.

5.2Lorsque, en cas de disparition forcée, les informations susceptibles de clarifier les faits sont exclusivement entre les mains des autorités, l’État partie a l’obligation d’enquêter d’office et de bonne foi sur les allégations, même en l’absence de preuves directes. En annulant la requête en mandamus de l’auteure, la Cour suprême l’a privée d’un recours utile et a manqué à l’obligation de procéder d’office et sans délai à une enquête impartiale, approfondie et indépendante sur la disparition forcée de M. Nakarmi. Ni la Cour suprême ni aucune autre autorité n’a mené d’enquête effective sur les circonstances de l’arrestation et de la disparition du mari de l’auteure.

5.3Au moment où l’auteure a présenté ses commentaires, il n’y avait aucune certitude quant à la mise en place des futures commission vérité et réconciliation et commission d’enquête sur les disparitions. Bien qu’ils soient essentiels pour établir la vérité, les processus d’établissement des faits par des organes non judiciaires ne sauraient en aucun cas, pour les victimes de violations graves des droits de l’homme et leurs proches, remplacer l’accès à la justice et à des recours, le système de justice pénale constituant la meilleure voie pour obtenir l’ouverture immédiate d’une enquête sur des actes criminels et la punition des auteurs. En conséquence, les mécanismes de justice transitionnelle ne sauraient être considérés comme un recours utile devant être épuisé par l’auteure.

5.4L’auteure rappelle qu’elle a tenté à deux reprises de déposer un premier rapport d’information. Après un refus initial des autorités, l’auteure a finalement obtenu de faire enregistrer un tel rapport le 19 juin 2006. Étant donné que ni la disparition forcée, ni la torture, ni les exécutions extrajudiciaires ne sont incriminées dans l’État partie, il est impossible de déposer un premier rapport d’information visant de tels crimes et il n’existe donc aucun recours disponible en pratique. De plus, l’auteure fait valoir que le premier rapport d’information n’est pas un recours utile puisque la police refuse généralement de l’enregistrer lorsque des membres de la police ou des forces armées sont mis en cause.

5.5L’auteure souligne qu’elle n’a reçu que 100 000 roupies népalaises à titre d’indemnisation provisoire de la part des autorités. Ce montant est dérisoire au regard du préjudice matériel et moral qu’elle a subi et il ne saurait être considéré comme un recours utile au sens du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. En outre, une simple indemnisation pécuniaire n’est pas suffisante pour des violations des droits de l’homme de cette nature. Dans le cas de violations flagrantes des droits de l’homme, les réparations doivent comprendre des mesures de restitution, de réadaptation et de satisfaction ainsi que des garanties de non-répétition.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 5 avril 2013, l’État partie a présenté ses observations sur le fond et réitéré ses observations sur la recevabilité de la communication.

6.2L’État partie a informé le Comité que le 13 mars 2013, le Président avait promulgué un décret portant création d’une commission vérité et réconciliation chargée d’enquêter sur les personnes disparues et qu’il entendait que cette commission soit de haut niveau. Par conséquent, il serait inapproprié que le Comité examine des communications concernant des faits survenus pendant le conflit armé au Népal, puisque le mécanisme de justice transitionnelle va commencer ses travaux.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1L’auteure a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant le fond le 24 juin 2013 et le 10 janvier 2014. Elle regrette que l’État partie n’ait pas examiné la communication quant au fond, car cela témoigne d’une indifférence envers ses souffrances. L’État partie ne fournit notamment aucune information sur ce qui est arrivé à son mari et le lieu où il se trouve, laissant ainsi l’auteure s’efforcer seule de découvrir la vérité.

7.2Le 2 janvier 2014, la Cour suprême du Népal a déclaré inconstitutionnel et incompatible avec les normes internationales le décret présidentiel du 14 mars 2013 portant création de la commission vérité et réconciliation chargée d’enquêter sur les personnes disparues. Elle a ordonné aux autorités de créer une nouvelle commission, mais n’a pas fixé de délai précis.

Observations complémentaires

Observations complémentaires de l’État partie

8.1Dans des lettres datées du 11 août et du 11 décembre 2014, l’État partie a fait savoir au Comité que la loi portant création de la Commission vérité et réconciliation et de la Commission d’enquête sur les personnes disparues avait été adoptée par le Parlement en avril 2014 et que ces commissions seraient bientôt mises en place. L’État partie a décrit brièvement les principales dispositions de la loi et expliqué qu’il s’agissait d’un instrument clef pour résoudre le problème des violations des droits de l’homme qu’avaient commises tant l’État partie que les acteurs non étatiques. L’État partie a aussi indiqué que des projets de loi réprimant la torture et les disparitions forcées avaient été élaborés et allaient être à nouveau présentés au Parlement. Le système de justice pénale ne pouvait pas offrir une réparation intégrale aux victimes du conflit armé en l’absence de mécanismes de justice transitionnelle. À cet égard, les griefs de l’auteure seraient pleinement traités après la création de ces mécanismes.

8.2L’État partie maintient que l’auteure n’a pas porté plainte auprès des autorités compétentes pour dénoncer la disparition forcée dont aurait été victime son mari, alors qu’il existait dans le Code général (Muluki Ain) un chapitre consacré à l’enlèvement et à la prise d’otages.

8.3L’État partie affirme que la famille de M. Nakarmi s’est vu accorder 300 000 roupies népalaises à titre d’indemnisation provisoire, et réitère ses précédents arguments concernant l’état de la justice transitionnelle au Népal.

Observations complémentaires de l’auteure

9.Le 2 septembre 2014 et le 12 janvier 2015, l’auteure a réitéré ses allégations concernant le mécanisme de justice transitionnelle et fait valoir que plusieurs dispositions de la loi étaient incompatibles avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme et que ce texte ne lui ouvrirait aucun recours utile.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner toute plainte formulée dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.3 En ce qui concerne la règle de l’épuisement des recours internes, le Comité note les arguments de l’État partie, qui soutient que l’auteure n’a pas épuisé les recours internes faute d’avoir fait enregistrer un premier rapport d’information auprès de la police et d’avoir porté plainte en vertu du chapitre du Code général (Muluki Ain) relatif à l’enlèvement et à la prise d’otages, et que le cas de son mari sera pris en compte dans le cadre des mécanismes de justice transitionnelle établis conformément à la Constitution provisoire de 2007. Le Comité prend également note des allégations de l’auteure, qui affirme qu’elle a tenté par deux fois de faire enregistrer un premier rapport d’information par le bureau de district de la police, qui l’a finalement fait le 19 juin2006 ; que l’enregistrement d’un premier rapport d’information ne constitue pas un recours approprié car il ne peut concerner que les infractions énumérées à l’annexe1 de la loi de 1992 relative aux affaires dans lesquelles l’État est impliqué, laquelle ne mentionne pas les disparitions forcées, la torture et les exécutions extrajudiciaires ; que la loi relative à l’indemnisation en cas de torture ne prévoit pas la responsabilité pénale mais uniquement une indemnisation d’un montant maximum de 100 000 roupies népalaises ; et que les mécanismes de justice transitionnelle ne remplacent pas l’accès à la justice et ne sauraient être considérés comme un recours utile qui doit être épuisé. Le Comité observe que la requête en mandamus présentée par l’auteure a été annulée par la Cour suprême le 26 août2010. Bien que l’auteure ait signalé la disparition de son mari aux autorités dans les plus brefs délais, plus de treize ans plus tard les circonstances de cette disparition n’ont toujours pas été élucidées et aucune enquête n’a encore abouti. Le Comité rappelle en outre sa jurisprudence selon laquelle en cas de violations graves un recours judiciaire doit être ouvert. À ce sujet, il observe que les organes de justice transitionnelle mis en place par la loi de 2014 portant création de la Commission vérité et réconciliation et de la Commission d’enquête sur les personnes disparues ne sont pas des organes juridictionnels habilités à offrir un tel recours. En conséquence, le Comité considère que les recours identifiés par l’État partie ont été inutiles et que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

10.4 Le Comité prend note des observations de l’État partie selon lesquelles les allégations de l’auteure sont manifestement dénuées de fondement. Il relève toutefois qu’aux fins de la recevabilité, l’auteure a formulé suffisamment d’arguments plausibles pour étayer ses allégations. Toutes les conditions de recevabilité étant satisfaites, le Comité déclare la communication recevable et va l’examiner quant au fond.

Examen au fond

11.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

11.2Le Comité prend note des allégations de l’auteure qui affirme que son mari a été victime de disparition forcée ; que le 23 septembre 2003, il a été arrêté et conduit à la caserne de Bhairab Nath par des agents de sécurité en civil qui se sont présentés comme étant membres de l’Armée royale népalaise ; que bien qu’elle ait signalé rapidement l’arrestation et la disparition de son mari aux autorités et présenté deux premiers rapports d’information et une requête enmandamus, aucune enquête diligente, impartiale, approfondie et indépendante n’a été menée par les autorités ; et que des témoignages indiquaient que son mari avait été détenu au secret à la caserne de Bhairab Nath et était mort en détention à la suite des tortures qui lui avaient été infligées. Cependant, à ce jour on ignore ce qu’il est advenu exactement de lui et l’endroit où il se trouve, et personne n’a été convoqué ni reconnu coupable de ces actes.

11.3 Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie selon lequel les allégations de l’auteure concernant les circonstances dans lesquelles l’arrestation, la détention, la disparition forcée, la torture et la privation arbitraire de la vie de son mari qu’elle allègue auraient eu lieu ne sont étayées par aucune preuve directe ou indirecte et sont basées sur de simples suppositions, raison pour laquelle le 26 août 2010 la Cour suprême du Népal a annulé sa requête en mandamusde l’auteure.

11.4 Le Comité réaffirme toutefois sa position quant au fait que la charge de la preuve ne peut incomber uniquement à l’auteur de la communication, étant donné en particulier que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que, souvent, seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violation du Pacte formulées contre lui et ses représentants, et de transmettre au Comité les informations qu’il détient. Dans les cas où l’auteur a communiqué à l’État partie des allégations corroborées par des témoignages crédibles et où tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut estimer ces allégations fondées si l’État partie ne les réfute pas en apportant des preuves et des explications satisfaisantes.

11.5Le Comité rappelle que si l’expression « disparition forcée » n’est explicitement utilisée dans aucun des articles du Pacte, la disparition forcée constitue un ensemble unique et intégré d’actes qui représente une violation continue de plusieurs droits consacrés par cet instrument.

11.6En l’espèce, le Comité constate que l’État partie n’a pas contesté les allégations de l’auteure selon lesquelles en septembre 2003, celle-ci s’était rendue à la caserne de Bhairab Nath de l’Armée royale népalaise et à la caserne de Lagankhel (Katmandou) pour s’enquérir de l’endroit où se trouvait son mari et savoir ce qui lui était arrivé, ainsi qu’au siège de la police à Naxal et au bureau de district de la police à Hanuman Dhoka (Katmandou). Or les autorités ont nié à plusieurs occasions que le mari de l’auteure ait été détenu. Elles ont maintenu cette position dans le cadre de la procédure en mandamus devant la Cour suprême. Le Comité observe également que, d’après les rapports publiés par le bureau du HCDH au Népal et la Commission nationale des droits de l’homme en 2006 et 2009 respectivement, des témoignages d’anciens détenus de la caserne de Bhairab Nath indiquent que le mari de l’auteure a été vu pour la dernière fois dans cette caserne, détenu par l’armée, entre décembre 2003 et février 2004, qu’il est tombé très malade et que l’on pense qu’il est mort des suites des tortures qui lui ont été infligées. De plus, dans un arrêt rendu le 1er juin 2007 sur des requêtes en habeas corpus concernant 83 personnes disparues, la Cour suprême a noté qu’il ressortait de l’une des requêtes que le mari de l’auteure était décédé des suites d’actes de torture infligés à la caserne de Bhairab Nath. Le nom de M. Nakarmi figure également dans la liste des disparitions liées au conflit établie par la Commission nationale des droits de l’homme ainsi que dans la base de données du CICR relative aux personnes disparues. À la lumière des documents soumis par l’auteure, le Comité estime que l’État partie n’a pas donné d’explications suffisantes et concrètes pour réfuter les allégations de l’auteure concernant la disparition forcée de son mari. Le Comité rappelle qu’en matière de disparition forcée, la privation de liberté suivie du déni de reconnaissance de celle-ci ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue soustrait cette personne à la protection de la loi et fait peser sur sa vie un risque constant et sérieux dont l’État doit être tenu comptable. En l’espèce, l’État partie n’a fourni aucun élément démontrant qu’il s’est acquitté de son obligation de protéger la vie de M. Nakarmi. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a manqué à son obligation de protéger la vie de M. Nakarmi, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

11.7Le Comité note que l’auteure fait valoir que la détention au secret de son mari à compter de septembre 2003 et sa disparition forcée constituent en elles-mêmes un traitement contraire à l’article 7, et que les rapports du bureau du HCDH au Népal et de la Commission nationale des droits de l’homme indiquaient également que son mari avait été soumis, en détention, à des tortures qui avaient eu des conséquences graves sur sa santé et avaient vraisemblablement causé sa mort. Le Comité reconnaît le degré de souffrance qu’implique une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie. Il rappelle son observation générale no 20 (1992) sur l’interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret. En l’espèce, en l’absence d’explication satisfaisante de l’État partie, le Comité estime que la disparition forcée du mari de l’auteure et le traitement qu’il a reçu en détention sont constitutifs d’une violation de l’article 7 du Pacte. Étant parvenu à cette conclusion, il n’examinera pas les griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte pour les mêmes faits.

11.8Le Comité note l’angoisse et la détresse dans lesquelles l’auteure et sa fille mineure ont été plongées par la disparition de M. Nakarmi et l’absence d’informations sur les circonstances de celle-ci. Aucune enquête n’a été menée pour déterminer ce qui lui est arrivé et, s’il est décédé, en vue de remettre sa dépouille à sa famille. Le Comité considère que ces faits font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte au préjudice de l’auteure et de sa fille mineure. Étant parvenu à cette conclusion, il n’examinera pas les griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte à l’égard de la fille mineure de l’auteure.

11.9Le Comité prend note des griefs que l’auteure tire de l’article 9 au motif que son mari a été arrêté sans mandat par des membres de l’Armée royale népalaise, et qu’il n’a jamais été présenté à un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires ni eu la possibilité d’introduire un recours devant un tribunal pour contester la légalité de sa détention. En l’absence de réponse de l’État partie sur ce point, le Comité estime que la détention du mari de l’auteure constitue une violation des droits que celui-ci tient de l’article 9 du Pacte.

11.10S’agissant du grief de violation de l’article 16, le Comité prend note des allégations de l’auteure qui affirme que son mari a été arrêté par des membres de l’Armée royale népalaise en présence de plusieurs témoins, dont elle-même et la mère et le frère de M. Nakarmi ; que depuis lors, l’État partie ne lui a pas fourni d’informations pertinentes sur le sort de son mari et l’endroit où il se trouve ; et qu’aucune enquête efficace n’a été menée pour déterminer le lieu où il se trouve, ce qui le maintient en dehors de la protection de la loi. Le Comité considère que la soustraction délibérée d’un individu à la protection de la loi constitue un déni du droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en particulier si les efforts faits par ses proches pour avoir accès à des recours utiles ont été systématiquement entravés. Le Comité conclut donc que la disparition forcée de M. Nakarmi le prive de la protection de la loi et de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.

11.11L’auteure invoque le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, qui oblige les États parties à garantir un recours utile à toute personne dont les droits reconnus dans le Pacte ont été violés. Le Comité attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes judiciaires et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations de ces droits. Il renvoie à son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation générale imposée aux États parties au Pacte, qui dispose notamment en son paragraphe 15 que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, le Comité constate que, peu après le placement en détention de son mari, l’auteure a cherché à obtenir des informations auprès de plusieurs casernes de l’Armée royale népalaise et postes de police et qu’elle a ensuite introduit une requête en mandamus devant la Cour suprême. Plus de treize ans après la disparition du mari de l’auteure, en dépit des efforts déployés par celle‑ci, aucune enquête approfondie et efficace n’a été menée par l’État partie en vue d’élucider les circonstances ayant entouré sa détention et de déterminer où il se trouve et de traduire en justice les auteurs des actes en cause. Le Comité estime donc que l’État partie n’a pas procédé rapidement à une enquête approfondie et efficace sur la disparition de M. Nakarmi. De plus, la somme reçue par l’auteure à titre d’indemnisation provisoire ne constitue pas une réparation adéquate, proportionnée à la gravité des violations commises. En conséquence, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6 et les articles 7, 9 et 16, en ce qui concerne M. Nakarmi, et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7 du Pacte, en ce qui concerne l’auteure et sa fille mineure.

12.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître, en ce qui concerne M. Nakarmi, des violations par l’État partie des articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte. Les faits font aussi apparaître, en ce qui concerne l’auteure et sa fille mineure, des violations de l’article 7 et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7.

13.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile. Il a l’obligation d’accorder pleine réparation aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres : a) de mener une enquête approfondie et efficace sur la disparition de M. Nakarmi et de fournir à l’auteure des informations détaillées sur les résultats de cette enquête ; b) si le mari de l’auteure est décédé, de retrouver sa dépouille et de la remettre à sa famille ; c) de poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises et de rendre publics les résultats de ces mesures ; d) de veiller à ce que l’auteure et sa fille mineure bénéficient des mesures de réadaptation psychologique et des traitements médicaux nécessaires ; et e) d’accorder à l’auteure, à sa fille mineure et à son mari, s’il est en vie, une indemnisation adéquate et des mesures de satisfaction appropriées, pour les violations subies. L’État partie est également tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent. Il devrait en particulier veiller à ce que : a) sa législation permette d’engager des poursuites pénales contre les auteurs de violations graves des droits de l’homme telles que les actes de torture, les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées ; et b) toute disparition forcée donne lieu rapidement à une enquête impartiale et efficace.

14.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est en outre invité à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.