Nations Unies

CCPR/C/112/D/1987/2010

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

18 novembre 2014

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 1987/2010

Constatations adoptées par le Comité à sa 112e session(7-31 octobre 2014)

Communication présentée par:

Anatoly Stambrovsky (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

30 mai 2010 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 24 septembre 2010 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

24 octobre 2014

Objet:

Droit de répandre des informations

Question(s) de fond:

Liberté d’expression

Question ( s ) de procédure:

Épuisement des recours internes

Article(s) du Pacte:

19 (par. 2)

Article(s) du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (112e session)

concernant la

Communication no 1987/2010 *

Présentée par:

Anatoly Stambrovsky (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

30 mai 2010 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 octobre 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1987/2010présentée par Anatoly Stambrovsky en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Anatoly Stambrovsky, de nationalité bélarussienne, né en 1937. Il affirme être victime d’une violation par le Bélarus des droits qui lui sont reconnus au titre du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 12 mars 2009, l’auteur a soumis une demande au Comité exécutif de la ville de Vitebsk sollicitant l’autorisation de tenir seul un piquet dans la zone piétonne située au carrefour de deux rues de Vitebsk, entre 13 heures et 13 h 50 le 3 avril 2009, afin d’appeler l’attention de la population sur des violations de la loi commises par les autorités nationales. Le 18 mars 2009, la demande de l’auteur a été rejetée. Le Comité exécutif a fait valoir que l’auteur gênerait la circulation des véhicules et des piétons et troublerait la sûreté et l’ordre publics. De plus, le lieu où l’auteur entendait se tenir ne faisant pas partie des lieux autorisés, l’autorisation a été refusée en vertu de la décision no 820 du Comité exécutif de la ville de Vitebsk en date du 24 octobre 2003 concernant la procédure à suivre pour l’organisation et la tenue de rassemblements publics à Vitebsk, qui n’autorise les rassemblements publics que dans quelques lieux précis.

2.2Le 31 mars 2009, l’auteur a fait appel de la décision du Comité exécutif devant le tribunal du district Oktyabr de Vitebsk, invoquant une violation de son droit à la liberté d’expression, consacré par la Constitution. Le 23 avril 2009, le tribunal a jugé que la décision du Comité exécutif de la ville de Vitebsk était conforme aux dispositions de la loi relative aux manifestations collectives (1997) et a débouté l’auteur de son appel.

2.3Le 23 avril 2009, l’auteur s’est pourvu en cassation auprès du tribunal régional de Vitebsk, faisant valoir que la décision du tribunal de district était illégale et violait son droit à la liberté d’expression. Il a avancé que le tribunal de district privilégiait les dispositions de la loi relative aux manifestations collectives par rapport à la disposition constitutionnelle garantissant le droit à la liberté d’expression. Le 28 mai 2009, le tribunal régional a confirmé la décision du tribunal de district du 23 avril 2009 et rejeté le pourvoi de l’auteur.

2.4Le 1er octobre 2009, l’auteur a intenté un recours, au titre de la procédure de contrôle, auprès du tribunal régional de Vitebsk, mais il a été débouté le 11 décembre 2009. Le 12 janvier 2010, il a formé un nouveau pourvoi au titre de la procédure de contrôle, auprès de la Cour suprême de la République du Bélarus, mais là aussi sans succès.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, vu que, en lui refusant l’autorisation de tenir un piquet, on l’a empêché d’exprimer publiquement ses opinions, et que l’argument invoqué par les autorités locales, selon qui il aurait gêné la circulation, était «inventé» et illégal puisqu’un individu se tenant seul dans une zone piétonne au carrefour de deux rues ne pourrait en aucun cas avoir un tel effet.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Par une note verbale du 6 janvier 2011, l’État partie fait notamment part, en ce qui concerne la présente communication, ainsi que plusieurs autres dont le Comité était saisi, de sa préoccupation quant à l’enregistrement injustifié de communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui, estime-t-il, n’ont pas épuisé tous les recours disponibles dans l’État partie, notamment le recours auprès du Bureau du Procureur en vue du contrôle d’une décision passée en force de chose jugée, en violation de l’article 2 du Protocole facultatif. Il fait valoir que la présente communication et plusieurs autres communications ont été enregistrées en violation des dispositions du Protocole facultatif, qu’aucune disposition ne l’oblige à les prendre en considération, et que les décisions prises par le Comité au sujet de ces communications seront considérées comme «non valides». Il ajoute que les références de ce point de vue à la pratique établie du Comité n’ont pas de caractère contraignant.

4.2Par une lettre du 19 avril 2011, le Président du Comité a informé l’État partie, en particulier, qu’il découle implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte que l’État partie doit fournir au Comité tous les renseignements qu’il détient. L’État partie a donc été prié de communiquer de nouvelles observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il a également été informé qu’en l’absence d’observations de sa part, le Comité examinerait la communication sur la base des informations dont il disposait.

4.3Le 30 septembre 2011, l’État partie a été de nouveau invité à communiquer ses observations sur la recevabilité et sur le fond.

4.4Dans une note verbale du 5 octobre 2011, l’État partie a notamment indiqué, au sujet de la présente communication, qu’aucun motif juridique n’en justifiait l’examen vu qu’elle avait été enregistrée en violation de l’article premier du Protocole facultatif. Il a soutenu que les recours internes disponibles n’avaient pas tous été épuisés comme l’exigeait l’article 2 du Protocole facultatif puisqu’aucun recours n’avait été formé auprès du Bureau du Procureur au titre de la procédure de contrôle.

4.5Le 25 octobre 2011, l’État partie a été de nouveau invité à communiquer ses observations sur la recevabilité et sur le fond, et a été informé qu’en l’absence d’autres renseignements, le Comité examinerait la communication sur la base des informations figurant dans le dossier. Un rappel similaire lui a été adressé le 5 décembre 2011.

4.6Dans une note verbale du 25 janvier 2012, l’État partie a fait observer qu’en adhérant au Protocole facultatif, il avait reconnu la compétence du Comité en vertu de l’article premier de ce texte pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui se déclarent victimes d’une violation d’un des droits énoncés dans le Pacte. Il note toutefois que cette compétence est reconnue sous réserve d’autres dispositions du Protocole facultatif, notamment celles qui énoncent les conditions à remplir par les auteurs des communications et les critères de recevabilité, en particulier les articles 2 et 5. Il soutient que le Protocole facultatif ne fait pas obligation aux États parties d’accepter le Règlement intérieur du Comité ni l’interprétation que fait celui-ci des dispositions du Protocole facultatif, qui ne peut être efficace que lorsqu’elle est faite conformément à la Convention de Vienne sur le droit des traités. Il fait valoir qu’en ce qui concerne la procédure d’examen des communications, les États parties doivent s’appuyer en premier lieu sur les dispositions du Protocole facultatif et que la pratique bien établie du Comité, ses méthodes de travail et sa jurisprudence, auxquelles celui-ci renvoie, ne relèvent pas du Protocole facultatif. Il ajoute qu’il considérera toute communication enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif comme incompatible avec celui-ci et qu’il la rejettera sans faire d’observations sur la recevabilité ou sur le fond, et que les décisions prises par le Comité au sujet de communications ainsi rejetées seront considérées par ses autorités comme «non valides». Il considère que la présente communication et plusieurs autres communications dont le Comité a été saisi ont été enregistrées en violation du Protocole facultatif.

Délibérations du Comité

Défaut de coopération de l’État partie

5.1Le Comité prend note de l’objection de l’État partie, qui affirme qu’il n’existe pas de motif de droit d’examiner la communication présentée par l’auteur puisque celle-ci a été enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif, qu’il n’est pas tenu d’accepter le Règlement intérieur du Comité ni l’interprétation donnée par celui-ci des dispositions du Protocole facultatif et que toute décision adoptée par le Comité en l’espèce sera considérée par les autorités comme «non valide».

5.2Le Comité rappelle que l’article 39, paragraphe 2, du Pacte l’autorise à établir son propre règlement intérieur, que les États parties ont accepté de reconnaître. Il fait observer en outre que tout État partie au Pacte qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité des droits de l’homme a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violations de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et article premier du Protocole facultatif). En adhérant au Protocole facultatif, les États s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre, en lui en donnant les moyens, d’examiner les communications reçues et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et aux intéressés (art. 5, par. 1 et 4). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations est incompatible avec ses obligations. C’est au Comité qu’il appartient de déterminer si une communication doit être enregistrée. Le Comité relève que, en n’acceptant pas sa décision relative à l’opportunité d’enregistrer une communication et en déclarant à l’avance qu’il n’acceptera pas la décision du Comité concernant la recevabilité et le fond de cette communication, l’État partie viole les obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En ce qui concerne la condition établie au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité relève que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés car l’auteur n’avait pas engagé de procédure de contrôle auprès du Bureau du Procureur. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que l’engagement d’une procédure de contrôle auprès du Bureau du Procureur, qui permet de réexaminer des décisions de justice devenues exécutoires, ne constitue pas un recours qui doit être épuisé aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. En outre, le 12 janvier 2010, l’auteur a formé un pourvoi au titre de la procédure de contrôle auprès de la Cour suprême du Bélarus, mais il a été débouté le 19 février 2010. En conséquence, le Comité considère qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 d’examiner la communication.

6.4Considérant qu’il n’est pas empêché par le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la présente communication, le Comité déclare celle-ci recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité doit en premier lieu déterminer si l’interdiction de tenir un piquet, en avril 2009, pour attirer l’attention de la population sur des violations de la loi que les autorités nationales auraient commises, constitue une violation des droits garantis à l’auteur par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

7.3Le Comité rappelle que le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte fait obligation aux États parties de garantir le droit à la liberté d’expression, y compris la liberté de répandre des informations. Il renvoie à son Observation générale no 34 (2011), dans laquelle il a affirmé que la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu. Elles sont essentielles pour toute société et constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Les restrictions éventuellement imposées à l’exercice de ces libertés doivent répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Elles doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire.

7.4Le Comité constate que le refus d’autoriser la tenue d’un piquet visant à attirer l’attention de la population sur des violations présumées de la loi par les autorités a constitué une restriction à l’exercice, par l’auteur, du droit de répandre des informations. En conséquence, il doit déterminer si les restrictions imposées aux droits de l’auteur en l’espèce sont justifiées au regard de l’un quelconque des critères énoncés au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte.

7.5Le Comité rappelle que le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte autorise certaines restrictions, qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et être nécessaires a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ou b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Le Comité souligne que, si l’État partie impose une restriction aux droits garantis au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, c’est à lui qu’il incombe de prouver que cette restriction était nécessaire en l’espèce, et que même si, en principe, un État partie a la faculté de mettre en place un système visant à concilier la liberté d’un individu de répandre des informations et l’intérêt général qu’il y a à maintenir l’ordre public dans une zone déterminée, le fonctionnement de ce système ne doit pas être incompatible avec l’objet et le but de l’article 19 du Pacte.

7.6Le Comité constate que l’État partie n’a présenté aucune observation sur le fond de la présente communication. Il souligne toutefois que les autorités locales de l’État partie ont refusé à l’auteur l’autorisation de tenir un piquet le 3 avril 2009, restreignant ce faisant son droit de répandre ses opinions au sujet des autorités de l’État partie. Il relève en outre que les autorités nationales ont refusé d’autoriser l’auteur à tenir un piquet à l’endroit de son choix, et, ce faisant, restreint son droit de faire part de ses préoccupations, aux seuls motifs qu’il aurait gêné la circulation des véhicules et des piétons et troublé la sûreté et l’ordre publics et que, conformément à la décision no 820 du Comité exécutif de la ville de Vitebsk en date du 24 octobre 2003, des lieux avaient été spécialement désignés pour la tenue des manifestations collectives et que l’endroit où l’auteur souhaitait se tenir n’en faisait pas partie. À cet égard, le Comité note toutefois que les autorités nationales n’ont pas expliqué comment, concrètement, l’auteur, qui aurait tenu un piquet seul, dans une zone piétonne, aurait pu gêner la circulation des véhicules et des piétons et troubler la sûreté et l’ordre publics à cet endroit, et comment, précisément, les restrictions imposées aux droits garantis à l’auteur par l’article 19 du Pacte se justifiaient au regard du paragraphe 3 de ce même article.

7.7Dans les circonstances de l’espèce, et étant donné que l’État partie n’a communiqué aucune information pour justifier les restrictions imposées au regard du paragraphe 3 de l’article 19, le Comité conclut qu’il y a eu violation des droits que l’auteur tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que l’État partie a violé les droits qui sont garantis à l’auteur au titre du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, y compris le remboursement de tous les frais de justice qu’il a pu encourir, ainsi qu’une réparation. Pour garantir le plein exercice sur son territoire des droits consacrés à l’article 19 du Pacte, l’État partie devrait en outre revoir la législation nationale telle qu’elle a été appliquée en l’occurrence. Il est également tenu de prendre des mesures pour empêcher que de telles violations ne se reproduisent.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans le pays en biélorusse et en russe.