Nations Unies

CCPR/C/116/D/2244/2013

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

22 juin 2016

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5(par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communicationno 2244/2013 * **

Communication présentée par :

Roberto Isaías Dassum et William Isaías Dassum (représentés par des conseils, Xavier Castro Muñoz et Heidi Laniado Hollihan)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Équateur

Date de la communication :

12 mars 2012 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 5 juin 2013 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

30 mars 2016

Objet :

Condamnation pénale et saisie des biens des auteurs

Question(s) de procédure :

Absence de qualité de victime ; irrecevabilité ratione materiae ; litispendance ; absence de juridiction ; non-épuisement des recours internes ; abus du droit de présenter une communication

Question(s) de fond :

Droit à la liberté ; garanties d’un procès équitable ; application rétroactive de la loi pénale défavorable ; égalité devant la loi et non-discrimination

Article(s) du Pacte :

2 (par. 1 et 3 a)), 9, 14 (par. 1, 2 et 3 c)), 15 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

1, 3, 5 (par. 2 a ) et b))

1.Les auteurs de la communication sont Roberto Isaías Dassum et William Isaías Dassum, de nationalité équatorienne. Ils se déclarent victimes de violations des droits consacrés par l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et par les paragraphes 1 et 2 de l’article 14, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 1) et 3 a)), par le paragraphe 3 c) de l’article 14, et les articles 15 et 26. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Équateur le 23 mars 1976.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs sont des chefs d’entreprise et ils étaient actionnaires et administrateurs de plusieurs sociétés qui composaient un groupe appelé « Grupo Isaías », dont la société la plus visible était la banque Filanbanco. Les auteurs étaient Président et Vice-Président de cette banque. À la fin des années 1990, l’Équateur a connu des difficultés externes et internes qui ont gravement touché son économie. L’effondrement du secteur de production en général a eu des répercussions importantes sur le système financier, qui en était créditeur. Le secteur bancaire a traversé une crise grave à partir de 1998, quand quasiment toutes les banques ont demandé des crédits de trésorerie à la Banque centrale de l’Équateur (BCE). La BCE a accordé ces crédits en 1998, en fonction de la solvabilité du patrimoine du groupe financier emprunteur, sur dossier déposé auprès de la Direction générale des banques. Cette dernière a certifié la solvabilité de la Filanbanco, et la demande de crédit de stabilisation a donc été approuvée.

2.2Après avoir obtenu plusieurs crédits, les actionnaires privés de la Filanbanco ont demandé au Conseil bancaire de l’Équateur de mettre en œuvre pour cette banque un programme de restructuration visant à la renforcer, ce qui a été décidé par une décision du 2 décembre 1998. Le programme était applicable exclusivement aux banques solvables qui avaient des problèmes de liquidités, ce qui prouve bien que la Filanbanco était solvable mais avait simplement des problèmes conjoncturels de liquidités. S’il n’en avait pas été ainsi, elle aurait fait l’objet d’une procédure de redressement en vue de sa liquidation ultérieure.

2.3Dans le cadre du programme de restructuration, la banque a été remise à un organisme public, l’Agence de garantie des dépôts (AGD). Un audit réalisé par le cabinet Arthur Andersen en mars 1999 − trois mois à peine après la remise de la banque à l’Agence de garantie des dépôts et sous la gestion de l’État − a montré que la banque était solvable, et que la crise de la gestion privée était due à des problèmes de liquidités. Malgré cela, le 30 juillet 2002 − alors que la Filanbanco était toujours sous administration publique − le Conseil bancaire a ordonné sa liquidation , non sans lui avoir préalablement imposé d’absorber une banque insolvable (La Previsora) et l’avoir obligé à accorder des prêts à d’autres banques en difficulté. La liquidation forcée ayant été prononcée, la Filanbanco a fermé ses portes au public le 30 juillet 2002. Le 8 avril 2010, la Direction générale des banques a ordonné le transfert des actifs à la Banque centrale et a déclaré l’extinction de la personnalité juridique.

2.4Dans ce contexte, les auteurs ont subi des persécutions en tant qu’anciens actionnaires et administrateurs de la Filanbanco, notamment des menaces et une campagne de diffamation de la part du Président de la République et de membres du Gouvernement. Une procédure pénale a été engagée avec la demande adressée par la Procureur de l’État au Président de la Cour suprême, en date du 16 juin 2000, en vue de l’ouverture d’une instruction contre les auteurs et d’autres anciens employés de la Filanbanco pour les infractions suivantes : détournement de fonds bancaire (art. 257 du Code pénal en vigueur à l’époque des faits, c’est-à-dire 1998) et faux en écritures (art. 363 du même Code) ainsi que diverses infractions financières prévues par la loi générale sur les établissements financiers. Le 22 juin 2000, le Président de la Cour suprême a rendu une ordonnance d’ouverture de l’instruction pour les infractions retenues par la Procureur et a ordonné que les auteurs soient placés en détention provisoire. Le 26 juin 2000, le Président de la Cour a envoyé un mandat d’arrestation au Commandement général de la police nationale, mandat qui a été attaqué par les auteurs en date du 27 juin 2000.

2.5Le 20 novembre 2002, ayant achevé l’enquête sur les faits, la Procureur général de l’État a présenté son rapport final, lequel modifiait le rapport du 16 juin 2000 à la lumière de l’enquête. Le rapport contient l’acte d’inculpation pour des infractions financières (fausses déclarations et autorisation d’opérations illégales) mais ajoute qu’il n’y a pas eu d’abus de fonds publics appartenant à la Banque centrale de l’Équateur (détournement de fonds) ni de détournement de fonds bancaire puisque c’est seulement après les faits incriminés que l’octroi de crédits à des entreprises liées ou associées ou de crédits entre sociétés a été qualifié de détournement de fonds bancaire.

2.6En date du 19 mars 2003, le Président de la Cour, ne reprenant pas l’inculpation telle que l’avait formulée la Procureur général, a rendu l’ordonnance de renvoi devant la juridiction de jugement pour l’infraction de détournement de fonds bancaire. Les auteurs ont formé un recours en appel et un recours en nullité contre cette ordonnance auprès du Président de la Cour.

2.7En date du 12 mai 2009, la première chambre pénale de la Cour nationale de justice (Cour nationale) a confirmé l’ordonnance de renvoi devant la juridiction de jugement. Les auteurs ont demandé des compléments d’information, des éclaircissements, des révisions, des déclarations de nullité et la récusation des juges. Le 28 octobre 2009, les juges qui composaient la chambre ont décidé de s’abstenir de continuer à connaître de la cause, alléguant qu’on avait tenté de les soudoyer. Ils ont été remplacés par trois cojuges qui ont statué sur les recours des auteurs en date du 15 janvier 2010. Ils ont également réformé l’ordonnance de renvoi devant la juridiction de jugement, du 12 mai 2009, en faisant valoir que les principes de légalité et de cohérence entre l’inculpation et le jugement avaient été enfreints. Par conséquent, les auteurs ne devaient pas être jugés pour détournement de fonds mais pour les infractions qui leur étaient imputées dans l’acte d’inculpation (bilan et faux en écritures).

2.8Le 19 janvier 2010, le Président du Conseil national de la magistrature (CNJ) a suspendu de leurs fonctions les trois cojuges pour « irrégularités présumées qui ont entraîné un trouble à l’ordre social et porté atteinte à l’image de la fonction judiciaire », et il a ouvert une procédure disciplinaire contre eux pour avoir modifié la qualification pénale retenue contre les auteurs. Le Président de la République a demandé au CNJ de procéder à une enquête sur les comptes détenus par les cojuges et a déclaré publiquement que le CNJ devait les démettre de leurs fonctions. Le 26 janvier 2010, l’Assemblée nationale a pris une décision rejetant le jugement des cojuges et a demandé au CNJ d’enquêter sur leurs actes et de prendre les sanctions appropriées. En définitive, les cojuges ont été dénoncés par le Procureur général de l’État devant le CNJ, démis de leurs fonctions et poursuivis pour prévarication. Néanmoins, la deuxième chambre pénale de la Cour nationale a prononcé un non-lieu, le 8 décembre 2010, pour faute de preuves.

2.9La vacance créée par la destitution des cojuges a été remplie avec la mise en place d’une « chambre pénale de cojuges temporaires de la Cour nationale de justice » constituée expressément pour cette affaire. La Constitution prévoit une seule catégorie de cojuges pour la Cour nationale, lesquels sont désignés selon les mêmes procédures que les titulaires et ont les mêmes obligations ; ils sont désignés par le CNJ sur concours (et non pas directement par le Président de la Cour nationale ) ; ils n’ont pas pour fonction de juger une cause déterminée.

2.10Le 17 mai 2010, la chambre des cojuges temporaires a déclaré nulle la décision du 15 janvier 2010 et a rétabli le chef d’inculpation de détournement de fonds. Cette décision est la seule que la chambre ait prise. Ensuite les membres de la chambre sont retournés à leurs affaires privées comme avocats.

2.11Les faits jugés s’étaient produits avant 1998, alors que la Constitution de 1979 et le Code de procédure pénale de 1983 étaient en vigueur. D’après les articles 254 et 255 de ce Code, la procédure est suspendue jusqu’à ce que les inculpés se présentent ou soient arrêtés pour être jugés. Le 11 août 1998, une nouvelle Constitution est entrée en vigueur ; son article 121 autorisait le jugement en leur absence de fonctionnaires publics et d’agents de l’État en général qui sont inculpés de détournement de fonds, forfaiture, concussion et enrichissement illicite. La Constitution de 2008 contient une disposition analogue. Les auteurs n’appartenaient pas à la fonction publique et ne faisaient pas l’objet d’une enquête pour les infractions précitées. De plus, les faits qui leur étaient reprochés s’étaient produits avant l’entrée en vigueur de la Constitution de 1998, et pourtant la procédure a continué.

2.12Le 3 août 2010, la deuxième chambre pénale de la Cour nationale a ordonné l’ouverture du procès. Elle a en outre confirmé l’ordonnance de mise en détention provisoire des auteurs et l’ordonnance par laquelle elle demandait aux autorités de police et à INTERPOL de les retrouver et de les arrêter. Le 11 août 2010, les contestations présentées par les auteurs ont été rejetées, et l’ouverture du procès par défaut a été ordonnée. Parallèlement, le Gouvernement a demandé et obtenu la délivrance par INTERPOL d’un mandat d’arrêt international contre les auteurs, qui vivaient aux États-Unis. Le Gouvernement a également réclamé aux États-Unis leur extradition.

2.13Le 10 avril 2012, un juge de la chambre pénale spécialisée de la Cour nationale a condamné les auteurs à un emprisonnement de huit ans pour détournement de fonds. La chambre pénale spécialisée a rejeté l’appel interjeté par les auteurs le 12 mars 2014, leur recours en annulation le 24 avril et leur pourvoi en cassation le 29 octobre 2014. Les auteurs avaient formé une action extraordinaire en protection que la Cour constitutionnelle a déclarée irrecevable le 17 septembre 2015.

2.14La Cour nationale a cassé d’office le jugement d’appel qui avait déclaré les auteurs coupables de détournement de fonds − malversation − qualifié à l’article 257 du Code pénal, considérant qu’il avait été fait une interprétation erronée de l’article 257 et que l’infraction pour laquelle les auteurs avaient été condamnés était en réalité le détournement de fonds bancaire, infraction visée au même article. La peine prononcée était un emprisonnement de huit ans, sans possibilité de réduction, car la circonstance aggravante de la commission en groupe avait été retenue.

2.15D’après les auteurs, l’arrêt de cassation aggrave les violations du Pacte pour les raisons suivantes : a) il viole le principe de légalité en appliquant rétroactivement l’article qualifiant l’infraction de « malversation » comme une modalité du détournement de fonds, même si cet acte ne constituait plus une infraction pénale ; la loi pénale moins favorable a été appliquée puisque les auteurs ont été reconnus coupables de détournement de fonds bancaire, qualification qui, au moment où l’inculpation a été établie, visait des cas beaucoup plus limités ; la circonstance aggravante de la « commission en groupe », abrogée dans le Code pénal actuel, a été retenue ; la qualification qui a été choisie − le détournement de fonds − est indéterminée et empêche la défense de l’accusé ; b) l’arrêt viole le droit à l’égalité car les peines prononcées sont plus lourdes que celles qui ont pu être prononcées dans d’autres affaires pour des faits identiques ; c) il viole le principe de l’interdiction de la reformatio in pejus car les peines prononcées sont plus lourdes et les infractions ne sont pas les mêmes que dans la condamnation en appel, ce qui constitue en même temps une violation du droit à la défense ; d) il viole le droit d’être jugé par un tribunal indépendant en ce que les juges qui ont statué sur le pourvoi en cassation avaient déjà pris part à des décisions antérieures dans la même affaire ou avaient montré publiquement leur partialité dans l’affaire.

2.16Parallèlement au procès pénal, il y a eu une procédure civile de saisie des biens, engagée par l’Agence de garantie des dépôts contre les anciens actionnaires et les anciens administrateurs de la Filanbanco, le but avancé étant de garantir le paiement de la créance des déposants au moment où la banque a été remise à l’AGD. La procédure a été ouverte par la décision AGD‑UIO‑GG‑2008‑12, du 8 juillet 2008, qui a ordonné la saisie de tous les biens détenus par ceux qui avaient été administrateurs et actionnaires de la Filanbanco jusqu’au 2 décembre 1998. Sans qu’il y ait eu d’action administrative ou judiciaire préalable et avec l’appui de la force publique, il a été procédé à la saisie de plus de 200 entreprises et d’autres biens appartenant aux auteurs et à d’autres associés du groupe Isaías. De plus, le 9 juillet 2008, l’Assemblée constituante élue dans le cadre du processus politique mené par le Président de la République a adopté le mandat constituant no 13, avec rang constitutionnel. Ce mandat a confirmé la validité en droit de la décision de l’AGD mentionnée ; il déclarait que la décision ne serait pas susceptible de l’action en amparo constitutionnel ni d’aucun autre recours spécial, et ordonnait que les actions qui avaient été engagées soient classées, sans que l’exécution de la décision puisse être suspendue ou empêchée. Les juges qui se saisiraient de toute forme d’action constitutionnelle relative à cette décision et à toute décision prise pour y donner effet devaient les déclarer irrecevables, sous peine de destitution, sans préjudice de la responsabilité pénale engagée. Le mandat disposait également que « aucun recours ni aucune contestation, action en amparo, demande, réclamation, opinion ou décision administrative ou judiciaire ne serait admis ».

2.17Il existe un précédent au mandat no 13 : le mandat constitutionnel no 1, du 9 novembre 2007, qui interdit le contrôle ou la contestation des décisions de l’Assemblée constituante. Ce mandat dispose que les juges et les tribunaux saisis de toute action contraire à ces décisions seront démis de leurs fonctions et poursuivis. Le 10 juin 2010, Roberto Isaías Dassum a formé auprès de la Cour constitutionnelle une action en inconstitutionnalité contre le mandat no 13, qui a été rejetée le 21 juin 2012, au motif de l’immunité conférée au mandat.

2.18Les recours que les auteurs ont formés contre cette décision et contre d’autres décisions ultérieures concernant la saisie des biens ont tous été un échec. Dans la décision, il était précisé que tous les biens des auteurs pouvaient être saisis, y compris les biens qui n’étaient pas destinés aux activités de la Filanbanco ou de toute autre entreprise du groupe, c’est‑à‑dire également tous les biens à usage personnel. En outre, la saisie portait sur des biens qui étaient de notoriété publique la propriété des auteurs, c’est-à-dire indépendamment du nom indiqué sur les titres de propriété.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que les irrégularités dans le procès pénal et dans la procédure de saisie de leurs biens ont donné lieu à des violations des garanties judiciaires consacrées aux paragraphes 1, 2 et 3 c) de l’article 14 du Pacte, seuls et lus conjointement avec les paragraphes 1 et 3 a) de l’article 2 ; ils invoquent aussi une violation du droit à l’égalité devant la loi et à la non‑discrimination, consacré à l’article 26, du droit de ne pas se voir appliquer rétroactivement une loi pénale défavorable, consacré à l’article 15, et du droit à la liberté de la personne, consacré à l’article 9 du Pacte.

3.2L’affaire n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et les recours internes ouverts en ce qui concerne le procès pénal ont été épuisés. Pour ce qui est de la procédure de saisie, il n’existe aucun recours judiciaire possible puisque le mandat constituant no 13 a expressément exclu toute forme d’action ou de recours judiciaire.

Plaintes relatives aux articles 14 et 26

3.3Dans le procès pénal, les droits suivants ont été violés : a) le droit d’être jugé par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi ; b) le droit d’être présumé innocent jusqu’à ce que la culpabilité ait été établie ; c) le droit d’être jugé sans retard excessif.

3.4Suite à leur décision de ne pas inculper les auteurs de détournement de fonds bancaire, les trois cojuges permanents de la première chambre pénale de la Cour nationale ont été démis de leurs fonctions et poursuivis. Un tel arbitraire porte atteinte à l’indépendance de la magistrature consacrée au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

3.5La chambre des cojuges temporaires créée expressément pour cette affaire a rétabli l’inculpation de « détournement de fonds bancaire ». Cette décision a été prise dix jours à peine après la prestation de serment des cojuges, en dépit de la complexité de l’affaire, du volume du dossier et du fait que la cause durait depuis dix ans. C’est le seul et unique arrêt que cette chambre a rendu. Il s’agit donc d’un tribunal d’exception, créé en violation des dispositions prévues par la loi, et dans le seul but de rendre un jugement contre les auteurs. Quel que soit le fondement de droit interne invoqué pour la création de ce tribunal « temporaire », il n’est pas légitime qu’il ait servi exclusivement à remplacer trois cojuges arbitrairement suspendus et démis de leurs fonctions. Par conséquent, la désignation de cette chambre a représenté une violation du principe du « tribunal compétent établi par la loi ».

3.6Le 10 mai 2010, Roberto Isaías Dassum a demandé l’annulation de la nomination des cojuges temporaires. Le 11 mai 2010, il a demandé que ces cojuges se récusent et, le 20 mai, il a contesté la décision qui rétablissait l’inculpation de détournement de fonds bancaire, invoquant une violation du droit d’être jugé par un tribunal compétent, indépendant et impartial.

3.7La garantie du juge naturel a également été violée puisque les auteurs, domiciliés à Guayaquil, auraient dû être jugés par un tribunal ordinaire du district de Guayas. Or l’affaire ouverte contre les auteurs a été jointe aux dossiers d’autres personnes qui bénéficiaient d’une immunité, et le procès s’est donc déroulé devant la Cour nationale.

3.8Le droit d’être jugé par un juge ou un tribunal impartial a également été violé par l’interdiction faite aux auteurs de récuser les juges. Cette impossibilité résulte d’une révision du Code de procédure pénale introduite en 2009, par laquelle une interdiction absolue de récusation des juges a été établie pour les causes engagées et instruites en vertu du Code de 1983, qui était applicable en l’espèce.

3.9Le droit à la présomption d’innocence consacré au paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte a été violé en raison : a) des déclarations réitérées des plus hauts fonctionnaires du pouvoir exécutif, affirmant que les auteurs étaient coupables ; b) de la façon dont ils ont été traités en coupables pendant tout le procès, y compris avant les audiences de jugement. Dans l’ordonnance de renvoi à la juridiction de jugement, le Président de la Cour suprême avait déjà affirmé que, l’instruction « avait permis de déterminer » que les auteurs « avaient commis » des actes qui constituaient « des infractions en vue de la commission du délit de détournement de fonds bancaire ». Cette affirmation, comme d’autres de la même teneur, signifiait que l’on considérait comme prouvée la responsabilité des auteurs avant même que le procès ne commence, et les auteurs se retrouvaient donc à devoir démontrer pendant le reste du procès qu’ils n’étaient pas coupables.

3.10Le droit d’être jugé sans retard excessif a été violé du fait de la durée déraisonnable du procès : a) quatre années après les faits reprochés et deux années après l’ouverture de la procédure, avant que l’acte d’inculpation ne soit établi (20 novembre 2002) ; b) plus de six ans pour statuer sur l’appel formé contre l’ordonnance de renvoi à la juridiction de jugement, alors que la loi dispose qu’un appel doit faire l’objet d’une décision dans les quinze jours, plus un jour supplémentaire pour chaque liasse de 100 feuilles du dossier. Entre l’ouverture du procès et sa confirmation par la chambre des cojuges temporaires, il s’est écoulé plus de sept ans.

3.11Le fait que les auteurs étaient absents du pays ne peut pas être invoqué comme cause du retard dans la procédure pénale, pour deux raisons : a) l’État a décidé de les juger par défaut, bien que sa propre Constitution l’interdise ; b) en quittant l’Équateur, les auteurs ont exercé légitimement leur droit à la protection de leur liberté, intégrité et sécurité face à l’abus de pouvoir dont ils étaient victimes.

3.12Dans la procédure de saisie, le droit à une procédure régulière a également été violé. L’AGD est un organe administratif qui n’échappe pas au champ d’application de l’article 14 du Pacte quand il exerce des activités visant à la détermination de droits et obligations de caractère civil. Par conséquent, l’absence de procédure administrative contradictoire, dans laquelle les auteurs auraient pu exercer leur droit à la défense avant que l’Agence ne rende sa décision de saisir leurs biens a constitué une violation des garanties judiciaires (par. 1 et 2 de l’article 14 du Pacte). L’État a surmonté la faiblesse juridique de la décision AGD‑UIO‑GG‑2008‑12 grâce au mandat no 13, qui l’a dotée de l’immunité de juridiction. Cette immunité entraîne une violation du droit à l’accès à la justice, à une procédure régulière et à l’égalité devant la loi et les tribunaux pour faire valoir des droits de caractère civil, en particulier les droits patrimoniaux des auteurs, en tant qu’anciens directeurs et actionnaires de la Filanbanco. Le mandat no 13 constitue également une atteinte au droit à une procédure régulière, en relation avec les paragraphes 1 et 3 a) de l’article 2 du Pacte puisque le droit à un recours utile et le droit à l’égalité devant les tribunaux n’ont pas été respectés. Pour les mêmes raisons la décision et le mandat no 13, pris ensemble, portent atteinte au droit à l’égalité devant la loi et à la non-discrimination consacré par l’article 26 du Pacte, puisqu’ils empêchent des personnes précises d’accéder à la justice pour pouvoir faire valoir leurs droits.

Plaintes relatives à l’article 15

3.13Les auteurs se disent victimes d’une violation de l’article 15 parce que : a) une nouvelle infraction pénale a été retenue ex post facto contre eux ; b) la qualification pénale retenue contre eux avait déjà été abrogée au moment de l’ouverture du procès pénal.

3.14Par la loi no 99-26 du 13 mai 1999, soit après les faits incriminés, le Code pénal a été modifié de façon à introduire l’infraction de « détournement de fonds bancaire spécial » (art. 257 A), qui n’existait pas jusqu’alors et qui vise des opérations de crédit avec des entreprises liées entre elles. On voit donc bien qu’avant la réforme les actes visés par cette nouvelle infraction n’étaient pas punissables. Jusqu’à la réforme, la législation bancaire comme la législation pénale permettaient explicitement ces opérations, dans certaines limites. Or la Cour nationale a retenu contre les auteurs la qualification pénale abrogée (art. 257) mais en en modifiant l’interprétation de façon à faire tomber sous le coup de cette qualification les opérations d’entreprises liées entre elles ou les opérations entre sociétés. L’État ne peut pas s’exonérer de l’obligation de ne pas appliquer rétroactivement un texte imposée au paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte en faisant une interprétation extensive ou abusive de l’ancienne loi, afin de doter la nouvelle loi d’un effet rétroactif.

3.15De plus, on reprochait aux auteurs d’avoir autorisé l’utilisation de crédits de trésorerie accordés par la Banque centrale équatorienne à la Filanbanco à d’autres fins que celles qui sont prévues par la loi. Cet acte entre dans la définition légale de la malversation. Or, la loi no 2001‑47 a « dépénalisé » la malversation de fonds publics ou privés en tant que modalité du détournement de fonds avant la délivrance de l’ordonnance de renvoi devant la juridiction de jugement, en 2003. Il y a donc une violation du paragraphe 1 de l’article 15 in fine, qui protège le droit à l’application rétroactive de la loi pénale la plus favorable. Et cela bien que la Cour suprême ait évité d’employer le mot « malversation » et utilisé à la place les expressions « disposition arbitraire des fonds publics » et « fraude » par « l’autorisation d’opérations financières illégales ».

3.16Dans la procédure de saisie qui a débuté le 8 juillet 2008, il y a eu également une application rétroactive contraire au paragraphe 1 de l’article 15 puisque l’AGD a pris comme fondement en droit l’article 29 de la loi de réforme économique dans le domaine fiscal et financier, qui avait été introduit dans le texte en 2002.

Plaintes relatives à l’article 9

3.17Le placement en détention provisoire des auteurs sur décision judiciaire, même s’il n’a pas été exécuté, est une mesure arbitraire contraire à l’article 9 du Pacte. Pour qu’il y ait atteinte à la liberté de l’individu il n’est pas toujours nécessaire qu’une décision de privation de liberté soit matériellement exécutée ni que la personne qui fait l’objet arbitrairement d’un mandat de détention soit effectivement incarcérée. La délivrance du mandat de détention, le 22 juin 2000, et le lancement d’un mandat d’arrêt international, joints aux autres mesures diligentées pour obtenir l’arrestation, comme les demandes d’extradition, dans le cadre d’un procès pénal irrégulier, arbitraire et dépourvu des garanties minimales, suffisent à représenter une violation du droit à la liberté de la personne.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations datées du 4 décembre 2013 et du 10 décembre 2015, l’État partie expose les différences entre l’action pénale (engagée en 2000) et la procédure de saisie (engagée en 2008). Dans la procédure pénale, toutes les garanties judiciaires nécessaires ont été assurées puisque la cause visait des personnes physiques pour des activités tombant sous le coup du Code pénal. En revanche, les faits qui ont donné lieu à la décision de saisir les biens avaient pour origine des activités d’entreprises et des actes concernant les biens de personnes morales. Étant donné que dans la communication adressée au Comité les seuls plaignants sont les auteurs, aucune action interne qui concerne d’autres personnes ne peut être introduite dans cette procédure. Seules les personnes physiques peuvent prétendre à la protection internationale des droits de l’homme. Par conséquent, les procédures dans lesquelles les plaignants sont des personnes morales, et qui portent sur l’examen de leurs droits et obligations au regard de la législation nationale, doivent rester en dehors du champ de la communication. De plus, il n’y a pas lieu d’examiner des actions ou plaintes qui ont été présentées par des personnes autres que les auteurs, qu’elles soient physiques ou morales.

4.2Les auteurs de la communication dénoncent une violation des droits consacrés dans le Pacte, mais en raison d’atteintes présumées aux biens de différentes entreprises ou groupes d’entreprises, qui sont des personnes morales. Ils prétendent étendre les droits du Pacte pour défendre les droits de personnes morales. Pour cette raison, le Comité doit se déclarer incompétent pour tout fait d’ordre administratif, juridique ou juridictionnel dans lequel sont impliqués des sociétés ou des groupes d’entreprises. De plus, les griefs tenant aux droits de propriété des actionnaires, administrateurs, entreprises et sociétés comme le groupe Isaías visent à obtenir la protection d’un prétendu droit de propriété, et donc les griefs relatifs à la procédure de saisie doivent être déclarés irrecevables ratione materiae.

4.3Les auteurs ont adressé une plainte à la Commission interaméricaine des droits de l’homme qui a conclu qu’il n’y avait pas lieu de l’examiner car les conditions de recevabilité n’étaient pas réunies et les recours internes n’étaient pas épuisés. La Commission a analysé en détail la requête et a rendu une décision définitive qu’elle a dûment notifiée aux plaignants. Par conséquent, le Comité ne peut pas connaître de cette communication, conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.4La communication est dénuée de fondement en ce qui concerne les obligations de l’État en vertu du Pacte ; comme les auteurs ne se trouvent pas sur le territoire équatorien, les obligations découlant du Pacte ne s’imposent pas en l’espèce. Pour la même raison, les auteurs ne sont pas soumis à la force de l’État.

4.5Le Protocole facultatif prévoit une exception à la règle de l’épuisement des recours internes, qui ne s’applique pas si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables. En l’espèce, il faut tenir compte de la complexité de l’affaire, dans laquelle il a été nécessaire de demander et ensuite d’étudier des rapports techniques détaillés (audits externes) et de solliciter plusieurs institutions publiques de contrôle (Banque centrale, Commission anticorruption, Direction générale des banques et Inspection des banques). De plus, la procédure s’est déroulée dans des délais raisonnables si l’on considère tous les actes de procédure des auteurs qui pendant le procès pénal ont formé toutes sortes de recours conformément à la législation interne.

4.6Les auteurs se sont adressés au Comité sans tenir compte de l’objectif du Pacte et du Protocole facultatif, entravant ainsi les travaux du Comité qui doit examiner les communications émanant de particuliers. C’est là un exemple clair d’un abus du droit de présenter une communication.

Observations de l ’ État partie sur le fond

4.7Selon l’État partie, les auteurs contestent l’indépendance des juges et des tribunaux simplement parce qu’ils n’approuvent pas les décisions judiciaires qui ont été rendues et non pas parce que les obligations qui font l’objet de l’article 14 du Pacte n’ont pas été respectées. L’article 182 de la Constitution de l’Équateur prévoit l’institution de cojuges dans l’ordre judiciaire, avec le même rang et le même régime d’incompatibilité et de responsabilités dans l’exercice de leurs fonctions que les juges titulaires. En vertu de la faculté conférée à la Cour nationale (en formation plénière) par la décision de la Cour constitutionnelle portant sur la période de transition, ayant valeur de jurisprudence constitutionnelle qui s’impose à tous les agents de l’État et aux particuliers, la Cour nationale a adopté la décision sur sa composition, en date du 22 décembre 2008, décision dont l’article 11 établit la fonction légitime, légale et constitutionnelle des cojuges. Cet article dispose qu’en l’absence de cojuges permanents il peut être fait appel à des cojuges temporaires pour connaître d’une cause déterminée, et que la nomination appartiendra aux juges permanents de la chambre par laquelle l’affaire sera instruite et, à défaut, au Président de la chambre. Par conséquent, le droit de toute personne d’être jugée par un tribunal compétent n’a nullement été violé. De plus, la récusation des juges en tant que moyen de garantir la régularité d’une procédure existe bien en Équateur.

4.8Le principe de la présomption d’innocence n’a pas été enfreint par les déclarations du Président de la République, qui ont été faites dans le cadre de l’information donnée aux citoyens sur les activités des auteurs et les politiques du Gouvernement, illustration de la liberté d’expression garantie à tous les citoyens, y compris au premier magistrat de l’État, dont les opinions personnelles dans une affaire précise n’ont aucune influence sur les juges et les tribunaux.

4.9En ce qui concerne les plaintes relatives à l’article 15, l’infraction de détournement de fonds était déjà qualifiée dans le Code pénal de 1938 et dans sa révision ultérieure de 1971 (art. 257). Cet article a de nouveau été révisé en 1977. Conformément à la réforme, on a commencé à considérer comme agents de l’infraction les « employés de banques publiques ou privées », ce qui visait également les actionnaires, les administrateurs et les salariés. Il a donc été possible de poursuivre les auteurs et d’autres banquiers de l’époque. Le juge a considéré que les auteurs étaient employés d’une banque privée, en tant que Président et Vice‑Président de la Filanbanco, lesquels, d’après le jugement en appel, avaient « abusé de fonds publics, c’est-à-dire abusé des crédits de trésorerie accordés par la Banque centrale […], actes qui entraient dans la définition de l’infraction de détournement de fonds, qualifiée et réprimée aux paragraphes 1 et 2 de l’article 257 ». Plus tard, la loi du 13 mai 1999 a ajouté à cet article un troisième paragraphe, visant à couvrir également les « fonctionnaires, administrateurs, cadres ou employés des institutions du système financier privé, ainsi que les membres des organes directeurs et des conseils d’administration de ces établissements ». La réforme a précisé les dispositions précédentes concernant les agents de cette infraction pénale. Le législateur, tenant compte du trouble à l’ordre social créé par les graves conséquences économiques, sociales et politiques de la crise bancaire de 1998, a cherché par cette réforme à déterminer expressément les sujets actifs du délit, sans qu’il faille en conclure qu’ils n’étaient pas visés par la disposition précédente.

4.10En ce qui concerne la procédure de saisie, l’AGD et le Conseil bancaire ont respecté strictement le principe de légalité. Concrètement, la décision no 153 de l’AGD, du 31 juillet 2008, contient une instruction pour la saisie de biens et garantit le respect du principe de la régularité de la procédure ; il n’y a donc pas de violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte pour ce qui est de l’égalité devant les tribunaux. De plus, le régime des saisies prévoit des procédures visant à prouver l’origine licite des biens saisis et la propriété réelle. Au cas où elle aurait exercé abusivement ses pouvoirs, l’AGD pouvait être soumise à un contrôle par la voie des recours administratifs prévus dans la loi sur la juridiction administrative.

4.11En ce qui concerne le mandat constituant no 13, l’État partie rejette l’argument des auteurs qui le tiennent pour inconstitutionnel et illégitime. L’Assemblée constituante n’était pas un organe d’État : il s’agit d’un organe supra‑étatique dont le mandat émane directement de la volonté du peuple. Conformément au principe démocratique, cette volonté est d’une nature distincte de celle de l’État, et lui est clairement supérieure. D’après le paragraphe 2 de l’article 2 de son règlement intérieur « l’Assemblée nationale constituante adopte des mandats constituants qui l’obligent dans ses décisions et règles, dans l’exercice des pleins pouvoirs. Les mandats ont un effet immédiat, sans préjudice de leur publication au journal officiel ». L’Assemblée a étudié la situation financière et administrative complexe de la Filanbanco et a relevé l’importance de la gestion des institutions de l’État (l’AGD) considérées comme un élément de l’expression des pouvoirs constitués pour éliminer toutes les formes d’impunité. Dans ces circonstances, elle a avalisé la procédure de saisie. Dans le cadre du mandat no 13, l’Assemblée constituante a édicté des mesures de protection des droits des employés des entreprises remises à l’État, par une décision du 8 juillet 2008. La décision et le mandat no 13 ne sont pas des actes de l’État qui contiennent des normes ad hominem puisqu’ils ne visent pas des personnes physiques, contrairement à ce que soutiennent les auteurs.

4.12Étant donné que les auteurs ne sont pas sous la juridiction ni sur le territoire de l’Équateur, il n’est pas possible d’imputer à l’État des faits liés à une violation alléguée de l’article 9 du Pacte. Concernant la procédure d’extradition, en juin 2013, le Département d’État des États‑Unis a fait savoir qu’il refusait d’extrader les auteurs, précisant que l’État équatorien devait apporter des preuves suffisantes pour établir que l’infraction dont les auteurs étaient inculpés était probable et que, cela fait, le Département d’État et le Département de la justice examineraient la demande d’extradition.

4.13L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité dans l’affaire González del Río c. Pérou (communication no 263/1987), selon laquelle la délivrance ou l’existence d’un mandat de détention ne constitue pas en soi une forme de privation de liberté. Cette jurisprudence réaffirme que le droit consacré par l’article 9 couvre la protection de la liberté physique, et pour qu’il y ait violation il faut d’une part que l’intéressé soit effectivement détenu et d’autre part que cette détention soit illégale ou arbitraire. Dans la mesure où le juge saisi délivre un mandat de détention provisoire conformément aux dispositions de la loi et justifie l’existence d’indices montrant la commission de l’infraction et la participation des inculpés à sa commission, comme il apparaissait dans l’ordonnance d’ouverture d’une instruction pénale contre les auteurs, la mesure de détention provisoire était justifiée. Dans l’ordonnance du 22 juin 2000, le placement en détention provisoire était motivé par l’atteinte à la loi commise par la Filanbanco car, pendant la période de validité des crédits accordés par la Banque centrale, les fonds ont été utilisés non pas pour préserver la stabilité du système financier mais pour investir dans des opérations illégales. Pendant toute la procédure pénale, la décision de placement en détention a été réexaminée périodiquement par les juges de la cause afin d’en vérifier la nature et de garantir la comparution en justice des inculpés. À chaque confirmation du mandat de détention, les conditions prescrites par la loi ont été respectées et la mesure était justifiée par les éléments laissant présumer l’existence d’infractions. De plus, la durée de validité des mandats de détention provisoire délivrés contre un individu en fuite ne peut pas être comptabilisée puisqu’un mandat, seul, ne constitue pas une restriction à la liberté physique, et ne peut pas être ou devenir illégal ou arbitraire.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Les auteurs ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l’État partie en date du 6 février 2014.

5.2La campagne de dénigrement et les déclarations constantes contre eux n’ont pas cessé. Ainsi, en février 2014, dans l’émission « Enlace Ciudadano » diffusée par plusieurs chaînes de radio et de télévision, le Président de la République a une fois de plus accusé les auteurs d’avoir causé la faillite de la banque la plus importante du pays et d’attaquer le Gouvernement dans les médias, en les qualifiant de « personnages sans vergogne » et de « criminels ».

5.3L’État partie affirme que le procès pénal a été conduit dans le respect de toutes les garanties d’une procédure régulière et de la protection judiciaire. Toutefois, il n’apporte aucun élément concret à l’appui de cette affirmation, il ne dément pas les faits qui font l’objet de la communication et ne montre pas que ces faits n’ont pas constitué une violation des droits garantis par le Pacte.

5.4Pour ce qui est des observations relatives à la procédure de saisie, les auteurs font remarquer que derrière les droits des personnes morales il y a les droits des personnes physiques que sont les actionnaires, et que l’État lui‑même a considéré qu’il s’agissait des auteurs ou de membres de leur famille. La loi de réforme économique dans le domaine fiscal et financier prévoit expressément une mesure contre « les actionnaires », qui doivent répondre sur leur patrimoine propre, c’est-à-dire en tant qu’individus ou personnes physiques, des dettes accumulées par les banques, c’est-à-dire les personnes morales dont ils sont partenaires en tant qu’individus. Tous les actes de l’État qui sont dénoncés dans la communication étaient explicitement dirigés contre les auteurs en tant qu’individus et non contre une personne morale.

5.5Pour ce qui est de la plainte devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme, les auteurs indiquent qu’ils l’ont présentée en 2005 mais qu’en 2008 la Commission a décidé de ne pas y donner suite parce que les recours internes n’avaient pas été épuisés. Les auteurs ont demandé un réexamen de la décision mais ils se sont ultérieurement désistés et ont retiré officiellement leur plainte. Cela s’est passé avant qu’ils n’adressent leur communication au Comité.

5.6Les auteurs rejettent l’argument de l’État partie qui considère que le Comité est incompétent ratione loci. Tous les actes dénoncés dans la communication ont été accomplis par des agents de l’État dans l’exercice de la compétence équatorienne. Le fait que les auteurs ne soient pas présents sur le territoire n’exonère pas l’État de sa responsabilité pour la violation des obligations qu’il a souscrites en vertu du Pacte, et n’a pas pour effet de soustraire les victimes à la protection que leur assure le Pacte. Engager des poursuites contre une personne signifie exercer sur elle la compétence et le pouvoir de l’État.

5.7L’État partie n’apporte aucune preuve de l’existence d’un abus de droit et n’explique pas davantage comment cet abus se serait produit. En ce qui concerne le retard dans la procédure pénale, il est imputable au manque de diligence des autorités judiciaires et à l’arbitraire de leur action, qui a contraint les auteurs à former des recours pour obtenir le respect des garanties de procédure.

5.8L’État partie signale que la dérégulation et la libération de l’activité financière qui ont amoindri le contrôle de l’État sur ce secteur est l’une des causes de la crise financière de 1999-2000. Cette affirmation montre que les activités et les actes pour lesquels les auteurs ont été poursuivis n’étaient pas interdits par la législation en vigueur à l’époque. Au contraire, ils étaient conformes à la loi générale sur les institutions du système financier.

5.9En ce qui concerne la durée du procès, les auteurs objectent que l’on ne peut pas demander aux victimes de violations des garanties de procédure de ne pas former de recours et de ne pas exercer des moyens de défense. Les six années qui se sont écoulées après la délivrance de l’ordonnance de renvoi devant la juridiction pénale de jugement ne peuvent pas être attribuées aux auteurs, et il n’est pas non plus possible de justifier qu’une procédure visant à déterminer la responsabilité pour des infractions bancaires ait duré plus de treize ans.

5.10Le Code de la fonction judiciaire, du 9 mars 2009, ne donne pas à la Cour nationale compétence pour désigner des cojuges temporaires et abroge la décision de la Cour suprême en date du 19 mai 2008, qui permettait la nomination de cojuges temporaires.

5.11Pour ce qui est du mandat no 13, les auteurs rappellent que le but d’une Assemblée constituante est de rédiger une nouvelle Constitution. Dans certains cas, les Assemblées constituantes ont pu assumer d’autres fonctions, par exemple la nomination de fonctionnaires ou l’adoption de certaines dispositions transitoires applicables entre un ordre constitutionnel et le suivant. Toutefois, le fait qu’un organe législatif décide et intervienne dans des cas particuliers qui visent des personnes précises et les prive de leurs droits fondamentaux constitue une situation irrégulière et discriminatoire.

5.12En ce qui concerne l’application d’une qualification pénale ex post facto ou d’une infraction abrogée, l’État partie n’a pas donné de réponse précise aux griefs des auteurs et n’a pas contesté de façon convaincante leurs arguments montrant une violation du paragraphe 1 de l’article 15 in fine du Pacte. Pour ce qui est du grief de violation de l’article 9, les auteurs réitèrent leurs arguments précédents. Le mandat de détention délivré contre eux est toujours en vigueur, et l’État partie continue de chercher à les priver physiquement de liberté.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte formulée dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité prend note de l’objection de l’État partie qui considère que les obligations découlant du Pacte ne s’imposent pas en l’espèce parce que les auteurs ne se trouvent pas sur son territoire. Le Comité considère que les griefs des auteurs tiennent aux procédures judiciaires conduites dans l’État partie, indépendamment de leur résidence à l’étranger, et que dans cette matière l’État partie a exercé sa juridiction. Par conséquent, l’absence du territoire ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

6.3Le Comité considère que les griefs des auteurs ne sont pas de nature à représenter un abus du droit de présenter des communications, et que les dispositions de l’article 3 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication .

6.4Le Comité prend note des observations de l’État partie qui objecte que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif parce que les auteurs ont présenté une plainte à la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Les auteurs ont répondu à cet argument en signalant que la Commission avait décidé en 2008 de ne pas donner suite à la plainte, et qu’ils avaient demandé le réexamen de ce rejet puis avaient ultérieurement retiré leur plainte, avant d’adresser leur communication au Comité. Le Comité rappelle sa jurisprudence et considère que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Par conséquent, les dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication.

6.5Les auteurs affirment que la décision judiciaire tendant à les priver de liberté constitue une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 9 du Pacte. Le Comité relève toutefois que le mandat de détention a été délivré dans le cadre d’une procédure pénale, que le mandat n’a pas été exécuté puisque les auteurs ne se trouvent pas sur le territoire de l’État partie, et que les auteurs ne sont donc pas privés de liberté. Par conséquent, le Comité considère que ce grief est dénué de fondement et qu’il est irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Pour ce qui est des griefs de violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte, seuls et lus conjointement avec les paragraphes 1 et 3 a) de l’article 2, ainsi que de l’article 26 relativement à la procédure de saisie des biens, et des articles 14 (par. 1, 2 et 3 c)) et 15 du Pacte en ce qui concerne le procès pénal, le Comité considère qu’ils ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité ; il les déclare recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Les auteurs affirment que dans la procédure de saisie des biens il y a eu violation du droit d’accès à la justice, du droit à l’égalité devant les tribunaux et du droit à une procédure régulière, consacrés par les paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte, dans la détermination de leurs droits de caractère civil, pour contester la mesure de saisie de leurs biens propres ; qu’il n’y a pas eu de procédure administrative contradictoire dans laquelle ils auraient pu exercer leur droit à la défense avant que l’AGD décide de la saisie ; que le mandat constituant no 13 interdisait de former des actions judiciaires contre la décision de l’AGD qui avait ordonné les saisies, et établissait expressément que les juges qui connaîtraient de tout type d’action constitutionnelle relative à cette décision et à toute décision qui serait prise pour y donner effet devaient les rejeter, sous peine de destitution, sans préjudice de la responsabilité pénale engagée ; et que cet élément constituerait également une violation du droit à une procédure régulière en relation avec les paragraphes 1 et 3 a) de l’article 2, et du droit à l’égalité devant la loi et à la non-discrimination garanti à l’article 26. L’État partie signale que les faits qui ont abouti à la saisie des biens ont pour origine des activités d’entreprises et des actes liés au patrimoine de personnes morales. Étant donné que seules les personnes physiques peuvent se réclamer de la protection internationale en matière de droits de l’homme, les griefs des auteurs concernant la procédure de saisie ne devaient pas faire l’objet de la communication ; une autre objection tenait à la matière, les plaintes ayant pour objet un prétendu droit à la propriété.

7.3Le Comité rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte où il est indiqué (par. 9) que « le fait que la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications soit restreinte aux seules communications soumises par un individu ou au nom d’un individu (art. 1er du Protocole facultatif) n’empêche pas un tel individu de faire valoir que les actions ou omissions affectant des personnes morales et entités similaires constituent une violation de ses propres droits ».

7.4Dans la présente affaire, le Comité considère que le mandat constituant no 13, qui a interdit expressément d’engager un recours en amparo constitutionnel ou toute autre action spéciale contre les décisions de l’AGD et a donné l’instruction de démettre de leurs fonctions, sans préjudice de la responsabilité pénale, les juges qui se saisiraient d’actions de cette nature, a constitué une violation du droit des auteurs, garanti au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, à un procès équitable visant à décider des contestations sur les droits et obligations de caractère civil.

7.5Ayant conclu ce qui précède, le Comité n’examinera pas la plainte relative à la violation de l’article 26 du Pacte pour les mêmes faits.

7.6Les auteurs affirment que, dans la procédure pénale, le droit d’être jugé par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, le droit à la présomption d’innocence et le droit d’être jugé sans retard excessif, consacrés à l’article 14 du Pacte, ont été violés. À ce sujet, le Comité relève que la Cour nationale a été désignée comme la juridiction compétente en raison de l’immunité dont jouissaient quelques‑uns des coïnculpés et dans le respect des règles de procédure interne, dont il n’appartient pas au Comité de contester l’interprétation.

7.7Le Comité relève également que, dans le rapport final du Procureur daté du 20 novembre 2002, les auteurs étaient inculpés d’infractions financières mais non pas de détournement de fonds, et que le détournement de fonds bancaire avait été qualifié pénalement après les faits incriminés. Toutefois, le Président de la Cour a rendu une ordonnance de renvoi devant la juridiction de jugement pour l’infraction de détournement de fonds bancaire, affirmant que cette infraction était bien visée par l’article 257 du Code pénal en vigueur à l’époque des faits et qu’il existait une jurisprudence. L’ordonnance de renvoi pour ce chef d’inculpation a été confirmée le 12 mai 2009 par la chambre pénale de la Cour mais les juges qui composaient celle-ci se sont par la suite déportés et n’ont donc pas eu à connaître de l’affaire. Suite à ce déport, trois cojuges de la même chambre ont été nommés pour statuer sur les contestations formées par les auteurs contre l’ordonnance de renvoi. Ainsi constituée, la chambre a rendu une décision par laquelle elle modifiait l’ordonnance de renvoi du 12 mai 2009 et a décidé que les auteurs ne devaient pas être jugés pour détournement de fonds mais pour les infractions qui étaient inscrites dans l’acte d’inculpation initial. Le Président de la Cour a suspendu les cojuges parce qu’il a considéré qu’ils avaient agi d’une manière irrégulière, et l’État a fait appel de la décision qu’ils avaient rendue. Pour examiner l’appel, trois cojuges temporaires ont été nommés et ont constitué la chambre pénale, sur la base de la décision rendue par la Cour le 21 janvier 2009 qui permettait au Président de la Cour de désigner des cojuges temporaires dans le cas où ni les juges titulaires ni les cojuges permanents ne pouvaient siéger. La chambre, composée de ces cojuges, a annulé la décision rendue sur la qualification des faits par les cojuges permanents, considérant que ceux‑ci avaient réformé d’office la décision des juges titulaires sans être habilités à le faire étant donné que, indépendamment de la composition de la chambre, il s’agissait du même organe juridictionnel et que par conséquent la chambre ne pouvait pas annuler sa propre décision.

7.8Le Comité note que la compétence de la chambre pénale pour statuer sur des questions relatives à l’ordonnance de renvoi devant la juridiction de jugement n’est pas contestée. Le fait que sa composition ait été modifiée par deux fois sur le fondement des textes de procédure ne porte pas atteinte au principe du juge naturel dans les circonstances de l’espèce, puisque la désignation des membres a été effectuée dans le respect de la législation en vigueur, y compris des normes régissant le fonctionnement de la Cour, d’après les affirmations de l’État partie. Étant donné que le Comité n’est pas un organe de quatrième instance, il ne lui appartient pas d’examiner la teneur des décisions que les juges saisis ont prises.

7.9Le Comité prend note des déclarations du Président de la République qui a demandé la destitution des cojuges ; il note aussi que, le 26 janvier 2010, l’Assemblée nationale a adopté une décision rejetant le jugement des cojuges et demandant qu’une enquête soit ouverte sur leurs actes, et que les cojuges ont été démis de leurs fonctions et poursuivis par la Cour nationale pour prévarication, même si le non-lieu a été prononcé.

7.10Le Comité relève que les faits à l’origine des poursuites contre les auteurs ont eu des répercussions considérables sur la situation économique et financière du pays, dont les conséquences se sont fait sentir pendant longtemps. Le Comité note que dans ce contexte les plus hautes autorités de l’État se sont exprimées publiquement et ont fait des déclarations pour demander que les responsables, des personnes qui avaient été à la tête d’institutions bancaires parmi les plus importantes du pays, soient l’objet de sanctions pénales. Toutefois, cela ne signifie pas que la conduite du procès pénal contre les auteurs et le résultat final de l’enquête aient été influencés par les opinions exprimées publiquement par des représentants du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif ou en aient été la conséquence, ou que ces prises de position aient constitué une violation de l’une quelconque des dispositions du Pacte.

7.11À la lumière de ce qui précède, le Comité estime que les faits dont il est saisi ne lui permettent pas de conclure à l’existence d’une violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte.

7.12En ce qui concerne le grief des auteurs concernant la longueur de la procédure pénale, le Comité note que, comme l’a à juste titre expliqué l’État partie, les faits qui devaient être l’objet de l’enquête judiciaire étaient très complexes sur le fond et en raison du grand nombre de personnes en cause. De plus, de multiples incidents de procédure et recours ont été présentés et la Cour a dû statuer sur chacun. Compte tenu de ces facteurs, le Comité ne dispose pas d’éléments suffisants pour lui permettre de constater qu’il y a eu des retards excessifs, au sens du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte, imputables à la Cour nationale.

7.13Les auteurs affirment avoir subi une violation de l’article 15 du Pacte parce qu’ils ont été condamnés pour une infraction pénale − le détournement de fonds bancaire − qualifiée à l’article 257 du Code pénal, qui ne couvrait pas les faits reprochés et que, pour cette raison, les tribunaux ont fait une interprétation abusive de cet article. De plus, ils ont été inculpés pour des actes qui entraient dans la définition de la « malversation » alors que la malversation de fonds publics ou privés en tant que modalité du détournement de fonds avait été dépénalisée en 2001. Le Comité note que tout ce qui concerne la qualification pénale applicable et l’interprétation de l’article 257 du Code pénal a fait l’objet de multiples incidents de procédure et de décisions rendues par différents organes de la Cour nationale depuis le début du procès jusqu’au prononcé de l’arrêt de cassation, dans lequel l’évolution des qualifications pénales applicables en l’espèce, y compris le détournement de fonds bancaire, est analysée. Avant la condamnation en première instance, la chambre pénale de la Cour nationale s’était prononcée sur la qualification retenue − détournement de fonds − pour les faits reprochés, dans trois formations distinctes (juges titulaires, cojuges permanents et cojuges temporaires). De plus, la controverse juridique autour de la qualification de détournement de fonds pour les faits imputés aux auteurs a été à l’origine du déport des juges titulaires de la chambre, de la destitution des cojuges permanents et de la nomination d’une chambre composée de cojuges temporaires. La même question a été également examinée en appel et en cassation. Les griefs tirés des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte reposent également sur la controverse autour de la qualification des faits imputés, qui pouvaient ou non être considérés comme entrant dans la définition du détournement de fonds donnée à l’article 257 du Code pénal. Les griefs tirés des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 et les griefs au regard de l’article 15 du Pacte sont étroitement liés. Toutefois, le Comité n’est pas compétent pour éclairer le débat sur le jus puniendi ni sur les différents types délictueux et leur contenu, puisqu’il n’est pas un organe de quatrième instance.

7.14 Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que c’est aux juridictions des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les preuves ou l’application de la législation interne dans une affaire donnée, sauf s’il peut être établi que cette appréciation ou cette application a été manifestement arbitraire ou a représenté une erreur manifeste ou un déni de justice. Il note que, d’après l’arrêt de cassation, les actes imputés aux auteurs étaient qualifiés à l’article 257 du Code pénal en vigueur au moment des faits (détournement de fonds bancaire), et que la réforme de 1999 − postérieure aux faits − a simplement précisé les dispositions précédentes concernant les sujets actifs de cette infraction. Le Comité considère qu’il ne dispose pas d’éléments suffisants pour affirmer que l’interprétation de l’article 257 du Code pénal faite par les juridictions internes a été manifestement erronée ou arbitraire. En conséquence, les faits décrits ne lui permettent pas de constater une violation de l’article 15 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie du droit, consacré au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, à un procès équitable visant à décider des contestations sur les droits et obligations de caractère civil.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Il est tenu d’assurer une réparation complète aux personnes qui ont subi une violation des droits reconnus par le Pacte. En conséquence, l’État partie doit veiller à ce que dans tout procès civil les garanties judiciaires soient respectées, conformément au paragraphe 1 de l’article 14 et aux présentes constatations.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement.

Annexe

[Original : anglais]

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de Yuval Shany

1.Je conviens avec le Comité que la décision AGD-UIO-GG-2008-12 adoptée par l’Agence de garantie des dépôts le 8 juillet 2008, conjuguée au décret législatif no 13 pris le lendemain par l’Assemblée constituante a représenté une violation du droit reconnu aux auteurs au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte à ce que leur cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent appelé à déterminer leurs droits et obligations juridiques − en l’espèce, les droits et obligations de personnes dont les biens ont été saisis en raison de leur qualité d’administrateurs et d’actionnaires de la banque Filanbanco. Le Comité a également à bon droit rejeté l’objection ratione personae soulevée par l’État partie en rappelant que l’objectif des mesures contestées était de saisir le patrimoine d’une personne morale, puisque que ce sont les biens privés des auteurs qui ont été saisis, et que les auteurs, à titre personnel, ont été privés de la possibilité de contester la légalité de ces mesures.

2.Je considère toutefois que le Comité est moins convaincant dans son examen de la déclaration du Président de l’Équateur, qui avait demandé que les cojuges soient démis de leurs fonctions et poursuivis, et dans son analyse des griefs soulevés par les auteurs au sujet de l’application rétroactive de la loi no 99-26 du 13 mai 1999. Pour ce qui est de la déclaration du Président, je ne souscris pas à la position du Comité qui estime que l’essentiel est de savoir s’il a été démontré que la conduite du procès pénal contre les auteurs ou le résultat final de l’enquête avaient été influencés par les opinions exprimées publiquement par des représentants du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif ou en avaient été la conséquence (par. 7.10). L’appel lancé par un membre important de l’exécutif demandant que des juges fassent l’objet d’une enquête et soient démis de leurs fonctions en raison d’une décision provisoire qu’ils ont rendue dans le cadre d’une procédure pénale complexe est une ingérence grave et directe à l’indépendance de la procédure. Il importe de rappeler à cet égard que le droit d’être jugé par un tribunal indépendant est un droit absolu, non seulement parce qu’il ne souffre aucune exception mais aussi parce qu’il ne dépend pas de l’issue éventuelle d’une procédure entachée d’irrégularités. En d’autre termes, le droit d’être jugé par un tribunal indépendant peut être violé même s’il n’est pas démontré que le manque d’indépendance a déterminé l’issue de l’affaire. J’estime par conséquent que la déclaration du Président a porté atteinte au droit des auteurs d’être jugés par un tribunal qui est véritablement indépendant et qui présente une certaine apparence d’indépendance.

3.En ce qui concerne la question de la rétroactivité, le Comité fait remarquer à juste titre que c’est généralement aux tribunaux des États parties qu’il appartient d’examiner l’application du droit interne. Toutefois, dans les circonstances de l’espèce, le Procureur général et les cojuges ont considéré que l’acte d’inculpation n’aurait pas dû contenir la nouvelle infraction de détournement de fonds bancaire en raison de la non‑rétroactivité de la nouvelle définition et de l’ingérence susmentionnée du pouvoir exécutif dans la procédure pénale ; c’est pourquoi je ne suis toujours pas sûr que la position ultime adoptée par les tribunaux internes sur ce point puisse être acceptée sans réserve par le Comité.