Nations Unies

CCPR/C/119/D/2121/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

1er mai 2017

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2121/2011 * , **

Communication présentée par :

F. A. H. et consorts (représentés par un conseil, Alberto León Gómez Zuluaga)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Colombie

Date de la communication :

22 juin 2010 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 19 décembre 2011 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

28 mars 2017

Objet :

Licenciement arbitraire

Question(s) de procédure :

Autres procédures d’enquête ou de règlement international ; abus du droit de présenter des communications ; épuisement des recours internes ; défaut de fondement des griefs

Question(s) de fond :

Procédure régulière ; liberté d’association ; égalité devant la loi

Article(s) du Pacte :

2 (par. 2 et 3), 14 (par. 1), 22 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 a) et b))

1.Les auteurs de la communication sont F. A. H., R. D. C., G. V. B., J. J. R. R. et J. M. P., tous de nationalité colombienne et majeurs. Ils affirment être victimes d’une violation par l’État partie des droits qu’ils tiennent du paragraphe 1 de l’article 14, lu séparément et conjointement avec les paragraphes 2 et 3 de l’article 2, ainsi que du paragraphe 1 de l’article 22 et de l’article 26 du Pacte. Les auteurs sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1F. A. H., R. D. C., G. V. B., J. J. R. R. et J. M. P. ont commencé à travailler à la Fédération nationale des producteurs de café de Colombie, dans le cadre de contrats à durée déterminée, les 2 mai 2005, 15 décembre 2003, 1er février 2006 et 1er septembre 2004, respectivement. Les employés de la Fédération pouvaient adhérer au Syndicat national des travailleurs de la Fédération nationale des producteurs de café de Colombie (SINTRAFEC) et/ou au Syndicat national des travailleurs de l’industrie du café (SINTRAINDUSCAFÉ).

2.2Le 8 avril 2007, G. V. B. a rejoint le SINTRAINDUSCAFÉ. Le 24 avril 2007, F. A. H., R. D. C., J. J. R. R. et J. M. P. ont rejoint SINTRAFEC et SINTRAINDUSCAFÉ. En 2007, les auteurs ont été élus membres du comité directeur du SINTRAINDUSCAFÉ. Les résultats de ces élections ont été enregistrés auprès du Ministère de la protection sociale et communiqués à la Fédération.

2.3Les auteurs affirment que les conventions collectives de travail conclues entre la Fédération et SINTRAFEC, en particulier celles de 1974 et 1976 prévoient que lorsqu’un employé a travaillé sous contrat à durée déterminée pendant plus d’un an sans interruption, ce contrat doit être converti en contrat à durée indéterminée. Les conventions collectives signées par SINTRAFEC, la Fédération et Almacenes Generales de Depósito de Café S. A. (Almacafé) stipulent depuis 1982 qu’une convention collective est applicable à tous les employés. Étant donné que les auteurs avaient travaillé pour la Fédération au titre de contrats de travail à durée déterminée renouvelés pendant plus d’un an sans interruption, leurs contrats ont été convertis de plein droit en contrats à durée indéterminée. En outre, selon la loi, leur qualité de membres du comité directeur d’un syndicat leur confère la protection de l’immunité syndicale, et ils ne peuvent donc être licenciés, rétrogradés ou mutés sans autorisation judiciaire préalable.

2.4Par courrier adressé aux auteurs au moins un mois auparavant, la Fédération a mis fin aux contrats de travail de F. A. H., R. D. C., G. V. B., J. J. R. R. et J. M. P., avec effet au 31 octobre, au 30 juin, au 22 décembre et au 31 août 2007, respectivement, sans autorisation judiciaire préalable ni levée de l’immunité syndicale.

2.5F. A. H., R. D. C., G. V. B., J. J. R. R. et J. M. P. ont présenté contre la Fédération une demande spéciale de réintégration en vertu de l’immunité syndicale devant le cinquième tribunal du travail, le septième tribunal du travail, le premier tribunal du travail, le quinzième tribunal du travail et le quatrième tribunal du travail, respectivement, dans la circonscription de Bogota. Les auteurs font valoir que, conformément à l’article 40.1 de la convention de 1974, confirmé par l’article 8.1 de la convention de 1976, il devait être entendu que les contrats de travail à durée déterminée avaient été convertis en contrats à durée indéterminée et que le licenciement des auteurs constituait une violation de leur droit à l’immunité syndicale. Les auteurs demandaient donc leur réintégration à leur poste et le versement des salaires non perçus.

J. M. P.

2.6Le 25 janvier 2008, le tribunal no 4 a déclaré que la demande de J. M. P. était fondée puisque l’auteur jouissait de l’immunité syndicale au moment où la Fédération avait mis fin aux rapports de travail et que, conformément à l’article 40.1 de la convention de 1974 conclue entre SINTRAFEC, Almacafé et la Fédération, l’auteur était assimilé à un employé permanent titulaire d’un contrat à durée indéterminée. Le tribunal a souligné que l’article 40.1 n’avait pas été abrogé, ni expressément ni tacitement, par des dispositions législatives ou des conventions collectives ultérieures. Le tribunal a ordonné que l’auteur soit réintégré par la Fédération au poste qu’il occupait précédemment et que les salaires qu’il n’avait pas perçus lui soient versés.

2.7La Fédération a fait appel de la décision devant le Tribunal supérieur de justice de Bogota. Le 13 juin 2008, le Tribunal supérieur de justice a annulé la décision rendue en première instance et a rejeté la demande de l’auteur. Le Tribunal supérieur de justice a souligné que la disposition énoncée à l’article 40.1 de la convention de 1974 n’était pas en vigueur ni contraignante au moment où la Fédération avait noué des rapports de travail avec l’auteur, vu qu’elle n’avait pas été incorporée dans les conventions collectives postérieures à 1978. Dans ce contexte, il fallait comprendre que la cessation des rapports de travail était due à l’expiration du contrat de travail à durée déterminée de l’auteur, dont celui-ci avait été dûment notifié dans le délai fixé par le Code du travail.

2.8Par la suite, J. M. P. a déposé une requête extraordinaire en protection constitutionnelle qui a été rejetée par la Cour suprême de justice et n’a pas été choisie par la chambre de sélection de la Cour constitutionnelle pour examen.

R. D. C.

2.9Le 3 mars 2008, le tribunal no 7 a conclu que R. D. C. jouissait de l’immunité syndicale au moment de son licenciement et que celui-ci avait eu lieu sans motif valable puisque la Fédération n’avait pas demandé d’autorisation judiciaire. Le tribunal a souligné que, d’après la jurisprudence de la Cour suprême de justice, la validité d’une clause de convention était maintenue tant que la clause n’était pas résiliée, de sorte que la disposition de l’article 40.1 de la convention de 1974, confirmée par l’article 8.1 de la convention de 1976, demeurait en vigueur dès lors qu’elle n’avait pas été dénoncée, annulée ou modifiée par l’article 3 de la convention de 1978. Par conséquent, au moment où il avait été mis fin aux rapports de travail, l’auteur était titulaire d’un contrat à durée indéterminée. Le tribunal a ordonné que R. D. C. soit réintégré par la Fédération au poste qu’il occupait le 30 juin 2007, et que les salaires qu’il n’avait pas perçus lui soient versés.

2.10La Fédération a fait appel de la décision devant le Tribunal supérieur de justice de Bogota. Le 24 octobre 2008, le Tribunal a annulé la décision rendue en première instance et a rejeté la demande de l’auteur. Le Tribunal a considéré que le contrat qui liait la Fédération et l’auteur était à durée déterminée, que la cessation des rapports de travail était due à l’expiration du contrat de travail, et que cela avait été dûment notifié à l’auteur dans le délai fixé par le Code du travail. Le Tribunal s’est référé à son jugement du 28 octobre 2008 concernant la plainte déposée par G. O. C., dans lequel il avait conclu que l’article 8 de la convention de 1976 était en vigueur. Il fallait toutefois comprendre que la disposition en question ne visait que les employés qui travaillaient pour l’entreprise au moment de la signature de la convention.

G. V. B.

2.11Le 18 avril 2008, le tribunal no 1 a conclu que G. V. B. jouissait de l’immunité syndicale au moment de son licenciement et que celui-ci avait eu lieu sans motif valable puisque la Fédération n’avait pas demandé d’autorisation judiciaire. Le tribunal a ordonné que G. V. B. soit réintégré par la Fédération au poste qu’il occupait précédemment et que les salaires qu’il n’avait pas perçus lui soient versés.

2.12La Fédération a fait appel de la décision devant le Tribunal supérieur de justice de Bogota. Le 29 août 2008, le Tribunal a annulé la décision rendue en première instance et a rejeté la demande de l’auteur, considérant que la Fédération avait mis fin au contrat de travail à l’expiration du délai qui y était convenu, et qu’il n’était pas nécessaire pour cela de disposer d’une autorisation judiciaire. Sur la question de l’immunité syndicale, le Tribunal, se référant aux conventions collectives de 1972-1974 et 1976-1978, a indiqué ce qui suit :

« En conséquence, étant donné que le paragraphe de l’article 40 de la convention collective de travail de 1972-1974, de même que le paragraphe de la huitième clause de la convention collective de 1976-1978, n’a pas été modifié ni annulé par des conventions collectives postérieures, le paragraphe en question est en vigueur ; on ne peut considérer que les parties l’ont annulé, vu qu’en tant qu’expression d’une volonté commune et fruit d’un processus de négociation collective, c’est uniquement par les mêmes voies et selon les mêmes modalités qu’il aurait pu être privé d’effet. De surcroît, dans les conventions postérieures, ce paragraphe a été confirmé, vu que, comme les parties en sont expressément convenues, toute disposition qui n’aurait pas été annulée ou modifiée demeurerait en vigueur. ».

2.13Par la suite, G. V. B. a déposé une requête extraordinaire en protection constitutionnelle qui a été rejetée par la Cour suprême de justice et n’a pas été choisie par la chambre de sélection de la Cour constitutionnelle pour examen.

J. J. R. R.

2.14Le 9 mai 2008, le tribunal no 15 a estimé que la plainte de J. J. R. R. n’était pas fondée vu que le motif de la cessation de la relation contractuelle n’était pas le licenciement de l’auteur mais l’expiration d’un contrat de travail à durée déterminée que la Fédération avait décidé de ne pas renouveler.

2.15J. J. R. R. a fait appel de ce jugement devant le Tribunal supérieur de justice de Bogota. Le 31 juillet 2008, le Tribunal a rejeté l’appel et a confirmé la décision rendue en première instance. Le Tribunal a établi que l’auteur jouissait de l’immunité syndicale en vertu de l’article 406 du Code du travail, en tant que membre du comité directeur de la section Chinchiná-Caldas de SINTRAINDUSCAFÉ. Cependant, l’auteur et la Fédération avaient signé un contrat de travail à durée déterminée de six mois puis d’un an, qui avait été prolongé plusieurs fois consécutives jusqu’au 1er septembre 2007, date à laquelle il était venu à expiration sur notification préalable de la Fédération, conformément à la loi. Le Tribunal a ajouté que la disposition figurant à l’article 40.1 de la convention collective de travail de 1974, incorporée par la suite à l’article 8 de la convention collective de 1976, qui prévoyait la conversion d’un contrat de travail à durée déterminée en un contrat de durée indéterminée, n’était pas en vigueur en 2004 ni ensuite vu qu’elle n’avait pas été incluse dans les conventions collectives signées après 1978.

2.16Par la suite, J. J. R. R. a déposé une requête extraordinaire en protection constitutionnelle qui a été rejetée par la Cour suprême de justice et n’a pas été choisie par la chambre de sélection de la Cour constitutionnelle pour examen.

F. A. H.

2.17Le 8 juillet 2008, le tribunal no 5 a estimé que la plainte de F. A. H. n’était pas fondée. Le tribunal a établi que l’auteur jouissait de l’immunité syndicale depuis le 24 avril 2007, que le contrat de travail à durée déterminée signé le 2 mai 2005 avait été prolongé aux mêmes conditions et sans interruption jusqu’au 31 octobre 2007, que l’article 411 du Code du travail autorisait qu’il soit mis fin au contrat sans décision préalable du juge, au terme convenu, par préavis adressé à l’employé trente jours au moins avant l’expiration du contrat, et qu’une telle procédure était applicable à tout employé ayant ce type de rapports de travail, qu’il soit ou non couvert par l’immunité syndicale, raison pour laquelle aucune autorisation judiciaire préalable n’était nécessaire.

2.18F.A.H. a fait appel de ce jugement devant le Tribunal supérieur de justice deBogota. Le 28 novembre 2008, le Tribunal a rejeté l’appel et a confirmé la décision rendue en première instance. Le Tribunal a souligné que l’article 40.1 de la convention de 1974, intitulé « Stabilité de l’emploi et contrats de travail », qui prévoyait la conversion d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, avait été modifié par les conventions postérieures de 1978 et 1980, dont l’article 3 intitulé « Stabilité de l’emploi » régissait uniquement les indemnisations pour résiliation unilatérale du contrat de travail sans motif valable, sans faire référence à la conversion d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée. Par conséquent, la disposition figurant à l’article 40.1 n’était ni en vigueur ni contraignante au moment où la Fédération avait mis fin aux rapports de travail avec l’auteur. Dans ce contexte, dès lors qu’il était établi que les rapports de travail avec l’auteur étaient régis par des contrats de travail à durée déterminée, ayant fait l’objet de prolongations successives, il fallait comprendre que la cessation de la relation de travail était due à l’expiration du contrat de travail à durée déterminée de l’auteur, qui avait été dûment notifiée à l’intéressé dans le délai fixé par le Code du travail.

2.19Par la suite, F. A. H. a déposé une requête extraordinaire en protection constitutionnelle qui a été rejetée le 2 mars 2009 par la Cour suprême de justice. En août 2009, la chambre de sélection de la Cour constitutionnelle a décidé de ne pas choisir cette affaire pour examen.

2.20Les auteurs affirment que tous les recours efficaces de la juridiction nationale ont été épuisés lorsque le Tribunal supérieur de justice de Bogota s’est prononcé. Certains auteurs ont déposé en outre une requête en protection (amparo), voie de recours établie aux fins de la protection constitutionnelle des droits fondamentaux, mais ils ont été déboutés. Or, dans l’État partie, il s’agit d’un recours extraordinaire.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent du paragraphe 1 de l’article 14, lu séparément et conjointement avec les paragraphes 2 et 3 de l’article 2, le paragraphe 1 de l’article 22 et l’article 26 du Pacte. Ils demandent en outre au Comité de constater toute violation de l’un quelconque des autres droits garantis par le Pacte que les faits décrits dans la présente communication pourraient faire apparaître.

3.2Les auteurs font observer que le Tribunal supérieur de justice de Bogota a reconnu qu’ils jouissaient de l’immunité syndicale en raison des fonctions qu’ils assumaient dans SINTRAINDUSCAFÉ et qu’ils ne pouvaient donc être licenciés sans autorisation judiciaire préalable. Cependant, concrètement, le Tribunal a conclu que leur licenciement par la Fédération ne découlait pas d’une application et d’une interprétation arbitraires des dispositions légales qui leur étaient applicables, notamment les conventions collectives de travail conclues entre les syndicats et la Fédération. En conséquence, les auteurs n’ont pas bénéficié de la protection effective de la loi et les décisions des tribunaux ont constitué un déni de justice et une violation de leur droit à une procédure régulière, en particulier à l’égalité devant les tribunaux et à un examen de leur cause par un tribunal indépendant et impartial, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 lu séparément et conjointement avec les paragraphes 2 et 3 de l’article 2 du Pacte.

3.3Le droit à la liberté d’association, garanti par le paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte, comprend le droit de créer un syndicat et le droit de s’affilier au syndicat de son choix. Ce droit a été violé par l’État partie en ce que celui-ci a autorisé la Fédération à licencier les auteurs sans reconnaître l’immunité syndicale à laquelle ils avaient droit en vertu de l’article 405 du Code du travail. Les auteurs ajoutent que la loi a établi la protection conférée par l’immunité syndicale pour les employés qui assurent une représentation syndicale, sans distinction fondée sur la nature de la relation contractuelle, et que dans ses décisions le Tribunal supérieur de justice de Bogota n’a tenu compte ni de la loi en vigueur ni de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.

3.4Les décisions du Tribunal supérieur de justice de Bogota ont constitué une violation du droit à l’égalité devant la loi que les auteurs tiennent de l’article 26 du Pacte. Un même tribunal ne peut adopter des décisions différentes dans des affaires identiques sur le plan des questions de fait et de droit ainsi que des éléments de preuve. Or, le 31 juillet 2008, la chambre du droit du travail du Tribunal supérieur de justice de Bogota a rendu, dans une affaire identique concernant J. A. H. P., une décision dans laquelle elle concluait que le demandeur jouissait de l’immunité syndicale et ordonnait que la Fédération le réintègre à son poste et lui verse les salaires et prestations qu’il n’avait pas perçus depuis son licenciement. Dans ce contexte, le Tribunal a considéré ce qui suit :

« la disposition analysée [l’article 8 de la convention de 1976] était encore en vigueur, vu qu’elle n’a jamais été expressément annulée par les dispositions des conventions postérieures.

[...]

Dans le cas de conventions collectives et, plus précisément, de dispositions qui reconnaissent des droits ou établissent des garanties en faveur des employés, une règle inverse s’applique, selon laquelle les dispositions restent en vigueur tant qu’elles ne sont pas expressément annulées, modifiées ou adoptées de nouveau.

[...]

La Cour suprême de justice a également indiqué que lorsque les parties s’abstiennent de modifier une disposition conventionnelle, il doit être entendu qu’elles décident ainsi de préserver le droit visé dans le temps, indépendamment, par exemple, de toute modification législative pouvant intervenir à propos de la même question.

[...]

Il faut en conclure [...] que le contrat de travail conclu par les parties au litige tenait sa qualité de contrat à durée indéterminée d’une disposition conventionnelle expresse en vigueur et que, de ce fait, il ne pouvait cesser d’exister à l’expiration du délai convenu. Dans ces circonstances, étant donné que la partie défenderesse a mis fin aux rapports de travail de manière unilatérale et que la partie demanderesse jouissait à ce moment-là de l’immunité syndicale, il y a eu licenciement sans motif valable d’un employé protégé par l’immunité syndicale, ce qui justifie pleinement la demande de réintégration. ».

3.5Les auteurs prient le Comité de demander à l’État partie qu’il leur accorde une réparation intégrale, y compris sous la forme de garanties de non-répétition.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale du 22 février 2012, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité de la communication et a demandé au Comité de déclarer la communication irrecevable.

4.2L’État partie maintient que la Fédération n’a pas mis fin aux contrats de travail des auteurs de manière prématurée et ne les a pas licenciés. Les auteurs avaient des contrats à durée déterminée, qui ont pris fin à l’expiration du délai convenu. En outre, au cours de la même période, un nombre important de contrats de travail ont pris fin en raison de la dynamique propre à l’industrie du café, et les auteurs n’ont donc nullement été persécutés à cause de leur statut syndical.

4.3L’État partie soutient que les auteurs demandent en fait au Comité d’assumer la fonction d’une instance d’appel pour régler des questions qui ont été correctement traitées par les juridictions internes, parce qu’ils sont en désaccord avec des décisions de justice qui se sont révélées contraires à leurs intérêts. Les auteurs ont eu la possibilité de présenter devant les tribunaux nationaux des demandes qui ont été examinées et tranchées par des décisions dûment motivées, conformément aux lois en vigueur. Les procédures judiciaires ont été conduites dans le respect des formes régulières et n’étaient nullement arbitraires. Par conséquent, la communication doit être déclarée irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.4L’État partie affirme que la communication constitue un abus du droit de présenter des communications et qu’elle est de ce fait irrecevable au regard de l’article 96 du règlement intérieur du Comité. La communication contient des informations inexactes, déformées, incomplètes et peu claires. Il n’y est pas mentionné que la convention de 1976 a modifié de manière substantielle les dispositions relatives à la stabilité de l’emploi qui figuraient dans la convention collective de travail de 1962, en ce qu’elle a supprimé le mécanisme de conversion automatique des contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée. Cette omission permet de comprendre les procédures et décisions des tribunaux concernant l’affaire en question. En outre, les auteurs présentent leur interprétation de la relation entre immunité syndicale et nature du contrat de travail comme si elle constituait une doctrine de l’Organisation internationale du Travail (OIT). Or une telle doctrine n’existe pas, raison pour laquelle ils ne citent aucune déclaration de l’OIT à l’appui de leurs affirmations. Enfin, les auteurs abusent du droit de présenter des communications vu qu’environ deux ans se sont écoulés entre la dernière décision des juridictions nationales et la date à laquelle le Comité a été saisi.

4.5L’État partie ajoute que l’article 8 de la convention de 1976, relatif à la stabilité de l’emploi et aux contrats de travail, contenait un paragraphe précisant que « [t]out employé au bénéfice d’un contrat à durée déterminée qui compt[ait] ou aurait compté une (1) année d’activité continue au service des entreprises, [était]assimilé à un employé permanent titulaire d’un contrat à durée indéterminée. » Par la suite, le paragraphe en question n’a pas été incorporé à l’article 3 de la convention de 1978 relatif à la stabilité de l’emploi. Les conventions collectives postérieures ont stipulé d’une manière générale que les droits et avantages demeureraient en vigueur. Cela signifie que la convention de 1978 n’a pas été modifiée en ce qui concernait la stabilité de l’emploi et que le paragraphe en question était toujours absent des textes au moment des faits ayant donné lieu à la communication. Ainsi, dans la convention de 1978, le syndicat a décidé de laisser de côté la disposition visée, en échange d’une amélioration de nature économique et d’autres avantages concédés aux employés. Les auteurs manipulent le contenu des articles 27 et 11 des conventions de 1982 et 1998. Il est vrai que ces conventions stipulaient qu’elles s’appliquaient à tous les travailleurs. Cependant, rien dans ces conventions ne permet de conclure que des règles relatives aux employés titulaires d’un contrat à durée déterminée qui avaient été annulées depuis la convention de 1978 étaient toujours applicables.

4.6L’affirmation des auteurs selon laquelle il a été mis fin à leur contrat de travail de manière unilatérale et injustifiée (voir supra, par. 4.2) est inexacte. Par conséquent, étant donné qu’ils n’ont pas été licenciés, il n’y a pas eu violation du droit à la protection conférée par l’immunité syndicale ni des droits garantis par l’article 22 du Pacte.

4.7La communication ne satisfait pas aux exigences du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, étant donné que cette affaire aurait pu faire l’objet d’une négociation collective. La législation reconnaît à cette fin aux syndicats le droit de déposer une liste de demandes qui engendre pour l’employeur l’obligation immédiate de négocier. Cependant, ni les auteurs ni les organisations syndicales dont ils faisaient partie ne se sont prévalus de cette voie de recours.

4.8La communication est irrecevable pour défaut de fondement des griefs de violation du Pacte. Les auteurs construisent leur argumentation sur une disposition qui n’existe plus depuis la convention de 1978. En outre, les allégations relatives à l’article 22 du Pacte ont un caractère général et ne sont pas étayées par des traités internationaux ni par les avis et recommandations du Comité de la liberté syndicale ou de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’OIT. L’État partie souligne que, dans le cas de quatre des auteurs, les tribunaux du travail n’ont pas suivi la jurisprudence constante dont il ressort que l’immunité syndicale ne modifie pas la nature du contrat. Ce n’est que dans le cas de G. V. B. que le tribunal a statué différemment ; cependant, la décision visée ne saurait être considérée comme représentant la jurisprudence en vigueur au moment des faits. Les juges constitutionnels, lorsqu’ils ont examiné les recours en amparo (requêtes en protection constitutionnelle), n’ont pas suivi non plus la jurisprudence établie.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 19 avril 2012, les auteurs ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l’État partie et, répétant les allégations formulées dans leur communication, ont soutenu qu’elles étaient suffisamment étayées aux fins de la recevabilité.

5.2Les auteurs soulignent que l’État partie ne conteste pas l’existence de la décision du Tribunal supérieur de justice de Bogota concernant le cas de J. A. H. P.

5.3Les auteurs de la communication ne demandent pas au Comité d’assumer la fonction d’une quatrième instance ni d’apprécier les éléments de preuve, mais de vérifier que les décisions du Tribunal supérieur de justice de Bogota sont compatibles avec le droit à la liberté d’association garanti par le Pacte et les droits énoncés aux paragraphes 2 et 3 a) de l’article 2 et aux articles 14 et 26 du même instrument. Les décisions du Tribunal supérieur de justice de Bogota sont arbitraires et constituent un déni de justice.

5.4En ce qui concerne les observations de l’État partie sur l’abus du droit de présenter des communications, les auteurs affirment que leur communication s’appuie sur les interprétations que les tribunaux de l’État partie avaient faites précédemment des droits reconnus dans les conventions collectives. À cet égard, la convention de 1978 a établi la continuité des droits qu’elle ne modifiait pas et donc l’article 3 de cette convention n’a pas modifié les règles relatives à la conversion de contrats à durée déterminée énoncées dans les conventions antérieures. La Constitution ne subordonne pas la protection des représentants syndicaux à l’existence d’un contrat à durée indéterminée. L’article 12 de la loi no 584 de 2000, qui a modifié la définition des employés couverts par l’immunité syndicale figurant à l’article 406 du Code du travail, n’exclut pas les employés titulaires d’un contrat à durée déterminée. En outre, la communication n’a pas été présentée au Comité de manière tardive, mais environ deux ans après les dernières décisions des tribunaux de l’État partie.

5.5Les auteurs affirment qu’ils ont épuisé tous les recours internes et que la négociation collective ne fait pas partie des recours internes au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Les violations du droit à la protection conférée par l’immunité syndicale peuvent être poursuivies devant les tribunaux ordinaires. La décision de première instance est susceptible d’appel et il n’y a donc pas lieu de se pourvoir en cassation. En outre, il y a la possibilité de déposer une requête en protection constitutionnelle (amparo). Cependant, dans l’État partie cette voie est résiduelle et subsidiaire, et doit être exercée uniquement lorsqu’il n’existe pas d’autres recours garantissant les droits constitutionnels. En principe, la requête en protection constitutionnelle ne peut être introduite contre une décision de justice, sauf en cas de voie de fait. Les décisions de justice sur les requêtes en protection constitutionnelle sont transmises à la Cour constitutionnelle, qui peut choisir lesquelles réexaminer afin d’unifier la jurisprudence constitutionnelle. Bien que les requêtes en protection constitutionnelle soient une voie de recours extraordinaire facultative, les auteurs s’en sont prévalus devant la Cour suprême de justice. La Cour les a toutefois déboutés, conformément à sa jurisprudence dont il ressort que les requêtes en protection constitutionnelle introduites contre des décisions de justice sont irrecevables. La Cour constitutionnelle n’a pas non plus choisi ces requêtes aux fins d’un réexamen.

5.6En ce qui concerne le principe de la stabilité de l’emploi énoncé à l’article 53 de la Constitution, la Cour constitutionnelle a indiqué que, dans certaines circonstances, « la simple expiration du délai initialement convenu, résultat d’un accord mutuel, ne suffit pas pour légitimer la décision de l’employeur de ne pas renouveler le contrat ». Par ailleurs, à propos de l’immunité syndicale prévue à l’article 405 du Code du travail, la Cour constitutionnelle a généralement établi que « l’employeur doit démontrer qu’il existe un motif valable de licenciement et doit soumettre ce motif à l’appréciation et l’autorisation préalable du juge du travail. Si cette condition n’est pas remplie, les employés et les travailleurs qui bénéficient d’une protection légale peuvent demander leur réintégration et exiger le paiement des salaires non perçus depuis la date du licenciement ».

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 2 mai 2014, l’État partie a présenté ses observations sur le fond de la communication. L’État partie réaffirme que la communication est irrecevable.

6.2Les auteurs ont eu un accès effectif aux tribunaux, vu qu’ils ont pu déposer contre la Fédération des demandes de réintégration qui ont été examinées en première et deuxième instances, dans le respect des règles d’une procédure régulière. Cependant, l’accès à la justice ne signifie pas que la décision du juge doive satisfaire les prétentions de l’une des parties. Dans la présente affaire, les tribunaux ont conclu que les auteurs étaient titulaires de contrats à durée déterminée qui avaient pris fin à l’expiration du délai convenu, que, comme l’avait démontré la Fédération au cours des procédures judiciaires, ils n’avaient pas été licenciés, et que par conséquent le fait qu’ils jouissent de l’immunité syndicale ne modifiait en rien la situation.

6.3Les tribunaux n’ont pas violé le droit des auteurs à l’égalité devant la loi et les tribunaux, car il est impossible de se référer en l’espèce à la législation et à la jurisprudence relatives aux cas de licenciement effectif d’employés jouissant de l’immunité syndicale vu que le fait allégué, à savoir le licenciement présumé, n’a pas eu lieu.

6.4En ce qui concerne l’article 22 du Pacte, l’État partie relève que les tribunaux ont reconnu que les auteurs avaient le droit de se syndiquer et, en particulier, qu’ils jouissaient de l’immunité syndicale. Cependant, les tribunaux ont conclu que cela ne changeait rien au fait que la Fédération avait le droit de mettre fin aux rapports de travail à l’expiration du délai convenu dans les contrats, conformément à la loi.

6.5L’État partie fait valoir que la communication est également irrecevable parce que la même question a déjà été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, vu que la Commission spéciale du traitement des conflits déférés à l’OIT (CETCOIT) en est actuellement saisie. Les 13 août, 1er septembre et 22 septembre 2011, SINTRAFEC a présenté à l’OIT des communications dénonçant certaines pratiques de la Fédération qui constituaient selon lui des atteintes au droit à la liberté syndicale, notamment le licenciement de 26 employés jouissant de l’immunité syndicale au nombre desquels figuraient les auteurs. Le 25 janvier 2012, l’OIT a fait savoir à l’État partie qu’elle avait reçu ces communications. Entre février et novembre 2012, la CETCOIT a pris note des communications. Dans ce contexte, le 28 juin 2012, SINTRAFEC, Almacafé et laFédération ont décidé d’entamer des négociations. Le 26 novembre 2012, SINTRAFEC a informé la CETCOIT qu’il renonçait à poursuivre la procédure qu’il avait engagée. Le 26 décembre 2012, la Fédération a pris note de la position de SINTRAFEC et a informé la CETCOIT qu’elle attendait son intervention avant de poursuivre le processus de dialogue avec SINTRAFEC. L’État partie affirme qu’à ce jour, il n’y a eu aucune décision de la part d’aucune entité de l’OIT ou de la CETCOIT elle-même qui aurait confirmé le retrait des communications, de sorte qu’il convient de considérer que l’OIT en est encore saisie.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

7.1Le 12 juillet 2014, les auteurs ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l’État partie concernant le fond de la communication.

7.2Les auteurs réaffirment que les décisions du Tribunal supérieur de justice de Bogota rejetant leurs demandes de réintégration ont constitué une violation par l’État partie de leur droit à la liberté d’association et de leur droit aux garanties d’une procédure régulière, consacrés par les articles 22 et 14 du Pacte. Les tribunaux se sont prononcés d’une manière contradictoire vu que, tout en reconnaissant que les auteurs avaient droit à la protection conférée par l’immunité syndicale, ils ont omis de se prononcer sur les conséquences du licenciement ou de la résiliation des contrats. L’État partie a donc commis une violation du droit aux garanties d’une procédure régulière, un déni de justice et une violation du droit à la liberté d’association dans sa dimension individuelle.

7.3Les auteurs font observer que l’État partie n’a pas formulé d’observations sur l’allégation de violation du droit à l’égalité devant la loi liée à la décision rendue par le Tribunal supérieur de justice de Bogota dans le cas de J. A. H. P. (voir supra, par. 3.4). Bien que cette affaire soit identique à celle des auteurs, le Tribunal a non seulement reconnu le droit de J. A. H. P. à la protection conférée par l’immunité syndicale, mais a ordonné à la Fédération de le réintégrer à son poste et de lui verser les salaires non perçus.

7.4La question qui fait l’objet de la présente communication n’a pas été soumise par les auteurs à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. En outre, la CETCOIT n’est pas un organe de l’OIT ni un mécanisme international de protection des droits, mais une instance de médiation indépendante dont le rôle est de rechercher des solutions aux conflits du travail et d’empêcher qu’ils ne soient soumis à des organismes internationaux ou aux mécanismes de contrôle de l’OIT. Les bons offices de la CETCOIT peuvent être sollicités sur une base volontaire et cela ne constitue pas une condition pour s’adresser au Comité de la liberté syndicale du Conseil d’administration de l’OIT. De plus, SINTRAFEC a saisi la CETCOIT à propos de la situation générale qu’avait créée la Fédération et il a par la suite décidé de renoncer à cette procédure. Un tel retrait ne nécessite l’autorisation d’aucune des parties ni celle de la CETCOIT ; par conséquent, il convient de le considérer comme effectif. Par ailleurs, les procédures de contrôle de l’OIT qui ont un caractère contentieux sont établies aux articles 24 et 26 de la Constitution de l’Organisation (plaintes et réclamations, respectivement) et celle-ci n’admet pas de requêtes ou communications individuelles, les procédures devant être engagées par des États parties ou des organisations de travailleurs ou d’employeurs.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable au regard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, étant donné que les faits qui font l’objet de la plainte sont en cours d’examen par la CETCOIT, à la suite des communications que SINTRAFEC a présentées à l’OIT. Le Comité prend note également des commentaires des auteurs qui indiquent ne pas avoir soumis la question faisant l’objet de la communication à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et affirment que la CETCOIT n’est pas un organe de l’OIT ni un mécanisme international de protection des droits, mais une instance de médiation indépendante dont le rôle est de rechercher des solutions aux conflits du travail et d’empêcher qu’ils ne soient soumis à des organismes internationaux ou aux mécanismes de contrôle de l’OIT. En outre, les plaintes qui ont déclenché la procédure devant la CETCOIT ont été présentées par SINTRAFEC à propos de pratiques présumées de la Fédération en général qui constitueraient des violations du droit à la liberté d’association, ce qui inclut le cas des auteurs, mais SINTRAFEC s’est ensuite désisté, ce qui signifie que la procédure devrait être considérée comme étant close. À la lumière de ces informations, le Comité considère que les allégations formulées par les auteurs dans la communication qu’ils lui ont soumise ne sont pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et que, par conséquent, les dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

8.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable pour abus du droit de plainte, parce qu’elle contient des informations inexactes, déformées, incomplètes et peu claires. Le Comité fait toutefois observer que la simple divergence entre l’État partie et les auteurs de la communication à propos des faits, de l’application de la loi et des conventions collectives du travail et de la jurisprudence des tribunaux nationaux compétents ne constitue pas un abus du droit de présenter des communications. Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable en raison du temps écoulé entre les dernières décisions des juridictions nationales et la présentation de la communication. Le Comité renvoie à sa jurisprudence dont il ressort qu’il peut y avoir abus du droit de présenter des communications lorsqu’une période exceptionnellement longue s’est écoulée entre les faits qui font l’objet de la communication ou l’épuisement des voies de recours internes et la présentation de la communication, sans motif valable. En l’espèce, le Comité relève que, à la suite des décisions du Tribunal supérieur de justice de Bogota, prononcées entre le 13 juin et le 28 novembre 2008, quatre auteurs ont introduit des requêtes en protection qui ont été rejetées par la Cour suprême de justice. Le Comité considère que le temps écoulé entre les dernières décisions des tribunaux nationaux et le 22 juin 2010, date de la première présentation de la communication, ne permet pas de considérer qu’il y a abus du droit de présenter des communications eu égard aux dispositions de l’article 3 du Protocole facultatif.

8.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication ne satisfait pas aux exigences du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, étant donné que l’affaire pourrait faire l’objet d’une négociation collective entre les syndicats et la Fédération. Le Comité prend note également des commentaires des auteurs indiquant que tous les recours internes utiles ont été épuisés avec les décisions du Tribunal supérieur de justice de Bogota, qui a rejeté leurs demandes spéciales de réintégration adressées à la Fédération en vertu de leur immunité syndicale, et que la requête en protection, qui constitue une voie de recours extraordinaire, n’est pas recevable contre une décision de justice, comme en témoignent les arrêts de la Cour suprême qui a rejeté les requêtes introduites par quatre des auteurs. Le Comité relève que l’État partie n’a pas contesté les affirmations des auteurs relatives à la nature exceptionnelle de la requête en protection. Il considère que la négociation collective, qui vise l’adoption d’un accord syndical entre un employeur et des travailleurs, ne constitue pas un recours interne au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité estime que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

8.5En ce qui concerne le grief de violation du droit aux garanties d’une procédure régulière et à un recours utile, tiré du paragraphe 1 de l’article 14 lu séparément et conjointement avec les paragraphes 2 et 3 de l’article 2 du Pacte, le Comité fait observer que les auteurs ont eu la possibilité de présenter une demande spéciale de réintégration qui a été examinée par des juridictions ordinaires de premier et deuxième degré conformément à la loi et que par la suite, quatre auteurs ont introduit en outre une requête en protection qui a été rejetée par la Cour suprême de justice. De plus, les allégations des auteurs ont trait principalement à l’appréciation des faits et l’application de la législation nationale, notamment des conventions collectives, ainsi que de la jurisprudence pertinente, par les tribunaux de l’État partie. Les auteurs jugent incohérent que les tribunaux, tout en reconnaissant qu’ils jouissaient de l’immunité syndicale en raison des fonctions qu’ils assumaient dans SINTRAINDUSCAFÉ, aient conclu que la Fédération n’était pas tenue d’obtenir une autorisation judiciaire préalable vu que la cessation des rapports de travail n’était pas le résultat d’un licenciement mais la conséquence de l’expiration d’un contrat de travail de durée déterminée qui n’avait pas été renouvelé. Le Comité rappelle que l’article 14 du Pacte garantit l’égalité devant les tribunaux mais ne saurait être interprété comme garantissant l’égalité en matière de résultats ou l’infaillibilité de la juridiction compétente. Le Comité renvoie aussi à sa jurisprudence dont il ressort que, d’une manière générale, il appartient aux juridictions des États parties au Pacte d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation a été de toute évidence arbitraire, qu’elle a été manifestement entachée d’erreur ou qu’elle a représenté un déni de justice. Le Comité a examiné les documents soumis par les parties, y compris les décisions rendues en première instance et les décisions du Tribunal supérieur de justice de Bogota concernant les demandes de réintégration invoquant l’immunité syndicale, qui portaient sur les griefs que les auteurs soulèvent devant le Comité, et relève que les avis des auteurs divergent quant à l’application des lois nationales par les tribunaux de l’État partie. Néanmoins, dans les circonstances de l’espèce, le Comité considère qu’il ne ressort pas des documents en question que les procédures judiciaires, en elles-mêmes, étaient entachées des vices susmentionnés. En conséquence, le Comité estime que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leurs allégations de violation de l’article 14, lu séparément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, et déclare donc cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif. En outre le Comité rappelle sa jurisprudence dont il ressort que les dispositions de l’article 2 ne sauraient être invoquées conjointement avec d’autres dispositions du Pacte dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif, sauf lorsque le manquement de l’État partie aux obligations que lui impose le paragraphe 2 de l’article 2 est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte qui affecte directement la personne se disant lésée. En l’espèce, le Comité ne pense pas que l’examen de la question de savoir si l’État partie n’a pas non plus respecté les obligations générales que lui impose le paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte serait différent de l’examen d’une violation des droits des auteurs au titre de l’article 14. En conséquence, le Comité considère que les griefs soulevés par les auteurs à cet égard sont incompatibles avec l’article 2 et irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

8.6Le Comité prend note des griefs des plaignants qui affirment que les décisions de justice les concernant ont, dans la pratique, constitué une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 22 du Pacte. Le Comité relève que, dans les décisions par lesquelles ils ont rejeté les demandes des auteurs, les tribunaux ont reconnu le droit des auteurs d’adhérer à un syndicat ainsi que leur immunité syndicale, mais ont estimé que la protection conférée par l’immunité syndicale ne s’appliquait pas dans leur cas parce que la perte de leur emploi n’était pas le résultat d’un licenciement mais la conséquence de l’expiration de leur contrat. En l’absence d’autres indications qui permettraient d’établir l’existence d’un lien entre la perte d’emploi et l’exercice du droit garanti aux auteurs par l’article 22 du Pacte, le Comité considère que les allégations de violation de cette disposition n’ont pas été étayées aux fins de la recevabilité, et conclut qu’elles sont irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.7Le Comité prend note des allégations des auteurs qui affirment que les décisions du Tribunal supérieur de justice de Bogota constituent une violation du droit à l’égalité devant la loi énoncé à l’article 26 du Pacte en ce que le 31 juillet 2008, dans une affaire similaire concernant un autre employé de la Fédération lui aussi membre du Conseil national de SINTRAINDUSCAFÉ, le Tribunal supérieur de justice de Bogota a statué en sens inverse de la décision qu’il a rendue dans le cas des auteurs. Le Comité fait toutefois observer que des décisions de justice contradictoires ne prouvent pas en elles-mêmes qu’il y ait eu discrimination et que les auteurs n’ont pas suffisamment démontré, aux fins de la recevabilité, en quoi ils auraient été victimes d’une discrimination fondée sur l’un des motifs visés à l’article 26 du Pacte. En conséquence, le Comité considère que ce grief est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard des articles 2 et 3 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs de la communication, pour information.