Communication présentée par:

Chhedulal Tharu et consorts (représentés par des conseils, Advocacy Forum-Nepal et REDRESS)

Au nom de:

Les auteurs et Dhaniram Tharu, Soniram Tharu, Radhulal Tharu, Prem Prakash Tharu, Kamala Tharu/Chaudhari, Mohan Tharu/Chaudhari, Lauti Tharu/Chaudhari et Chillu Tharu/ Chaudhari (membres de la famille proche des auteurs)

État partie:

Népal

Date de la communication:

24 janvier 2011 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 8 avril 2011 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

3 juillet 2015

Objet:

Disparition forcée

Question(s) de procédure:

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond:

Droit à la vie; interdiction de la torture et des traitements cruels ou inhumains; droit à la liberté et à la sécurité de la personne; respect de la dignité inhérente à la personne humaine; reconnaissance de la personnalité juridique; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte:

6, 7, 9, 10, 16, 17 (par. 1), 23 et 24 (par. 1) lus séparément et conjointement avec l’article 2 (par. 3)

Article(s) du Protocole facultatif:

5 [par. 2 a) et b)]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (114e session)

concernant la

Communication no 2038/2011 *

Présentée par:

Chhedulal Tharu et consorts (représentés par des conseils, Advocacy Forum-Nepal et REDRESS)

Au nom de:

Les auteurs et Dhaniram Tharu, Soniram Tharu, Radhulal Tharu, Prem Prakash Tharu, Kamala Tharu/Chaudhari, Mohan Tharu/Chaudhari, Lauti Tharu/Chaudhari et Chillu Tharu/Chaudhari (membres de la famille proche des auteurs)

État partie:

Népal

Date de la communication:

24 janvier 2011 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 3 juillet 2015,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2038/2011 présentée par Chhedulal Tharu et consorts en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1Les auteurs de la communication sont Chhedulal Tharu (le père de Dhaniram et Soniram Tharu) et Sara/Sarita Tharu (l’épouse de Dhaniram Tharu), Padam Tharu et Sanchariya Tharu (le père et la mère de Radhulal Tharu), Birbal Tharu, Thagani Tharu et Bhagawati Tharu (le père, la mère et l’épouse de Prem Prakash Tharu), Tulsiram Tharu et Phagani Tharu (le père et la mère de Kamala Tharu ou Kamala Chaudhari), Mahango Tharu et Parmeshwari Tharu (le père et la mère de Mohan Tharu ou Mohan Chaudhari), Jaggu Tharu et Lahiya Tharu (le père et la tante de Lauti Tharu/Chaudhari), et Bechaniya Tharu et Manki Tharu (la mère de Chillu Tharu/Chaudhari, et le mari de Bechaniya, respectivement), tous de nationalité népalaise. Ils affirment que l’État partie a violé les droits que huit membres de leur famille (ci-après, « les proches des auteurs »), de nationalité népalaise, tiennent des articles 6, 7, 9, 10, 16, 23 (par. 1) et 24 (par. 1), pris séparément et lus conjointement avec l’article 2 (par. 3), et les droits que les auteurs tiennent des articles 7, 17 (par. 1) et 23, pris séparément et lus conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte. Les auteurs sont représentés par des conseils.

1.2Les auteurs affirment qu’au moment de leur disparition, Dhaniram Tharu avait 17 ou 18 ans, était marié et travaillait dans le secteur de la construction et dans l’agriculture de subsistance; Soniram Tharu avait 16 ou 17 ans et travaillait comme kamaiya pour un propriétaire terrien du village de Parseni; Radhulal Tharu avait 19 ans, était marié, menuisier et pratiquait aussi l’agriculture de subsistance; Prem Prakash Tharu avait 23 ans, était marié, avait un fils âgé de 18 mois et travaillait comme agriculteur et tractoriste; Kamala Tharu avait entre 16 et 18 ans, était en septième année à l’école et vivait avec ses parents; Mohan Tharu avait 18 ans, était marié et avait un fils âgé de 9 jours; il travaillait dans la construction et dans l’agriculture; Lauti Tharu avait entre 17 et 20 ans, travaillait dans la construction et dans l’agriculture et vivait avec son père et d’autres parents; Chillu Tharu avait 16 ans et vivait chez ses grands-parents.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Entre 1996 et 2006, un conflit armé interne a eu lieu dans l’État partie. Les deux parties au conflit, y compris la police et l’Armée royale népalaise, ont commis des atrocités et les disparitions forcées sont devenues très fréquentes. Selon des sources fiables, le district de Bardiya a connu un grand nombre de disparitions forcées et les membres de la communauté tharu ont été particulièrement visés par les autorités.

2.2Les auteurs et leurs huit proches appartiennent à la communauté autochtone tharu, qui constitue 52 % de la population du district de Bardiya. Ils expliquent que, traditionnellement, cette communauté a fait l’objet de discrimination et qu’elle a été marginalisée dans l’État partie, et qu’un nombre important de membres du parti communiste du Népal-parti maoïste du district de Bardiya appartenaient à leur communauté.

2.3À l’époque des événements, les auteurs vivaient dans le village de Nauranga, dans le bloc no 8, Comité de développement du village de Manau, dans le district de Bardiya. Ils affirment que la nuit du 11 avril 2002, 60 à 70 soldats de l’Armée royale népalaise ont pénétré dans le village et ont encerclé leurs maisons. La plupart des soldats portaient l’uniforme de l’Armée et certains dissimulaient leur visage avec une écharpe et portaient des armes et des torches. Par groupes de deux à cinq soldats, ils ont fait irruption chez les auteurs et chez d’autres membres de leur famille vers minuit. Apparemment, les soldats recherchaient particulièrement les huit jeunes membres de la famille des auteurs. Ceux-là ont tous été emmenés de force. Pendant l’opération, les soldats ont menacé de tuer les auteurs et d’autres membres de leur famille. Des soldats ont frappé certains auteurs et pointé leur arme vers eux. Il n’a pas été donné de raison de ces arrestations mais, dans le cas de Radhulal, Kamala, Prem Prakash et Mohan, les soldats ont assuré les familles qu’ils seraient ramenés chez eux rapidement après avoir été interrogés. D’une manière générale, les familles n’ont pas reçu de renseignements sur le lieu où les soldats avaient emmené leurs proches. Néanmoins, les soldats ont dit à la femme de Prem Prakash qu’ils emmenaient son mari à Rajapur, aux parents de Kamala, qu’elle serait emmenée à Gulariya et à la mère de Mohan, qu’il serait emmené à Rajapur puis à Gulariya. Les auteurs n’ont jamais revu les huit jeunes et aucun renseignement n’a été donné sur leur sort ni sur l’endroit où ils se trouvaient.

2.4Les auteurs affirment que, malgré l’isolement géographique de leur région et le fait qu’elle ne dispose pas des services publics de base, dont les transports en commun, ils ont fait d’énormes efforts pour localiser leurs proches. Ils n’ont eu aucun appui car peu d’organisations non gouvernementales des droits de l’homme travaillaient dans la région à l’époque et aucune d’entre elles n’a fourni d’assistance juridictionnelle; ils ont demandé conseil dans leur propre communauté en s’adressant à leurs dirigeants tels que le badghar du village, le directeur de l’école et les chefs des partis politiques.

2.5Dans les jours qui ont suivi, certains des auteurs ont rencontré M. S. D., ancien parlementaire, qui a appelé le bureau de la police de la zone de Rajapur et la caserne militaire de Thakurdwara. Les autorités ont toutefois déclaré qu’elles n’avaient aucune connaissance de la détention de leurs proches et qu’elles n’y étaient pour rien. M. S. D. a alors appelé la caserne de Tikapur où un officier lui a confirmé que des soldats avaient emmené huit jeunes, mais a refusé de lui donner le moindre autre détail. Les auteurs sont aussi allés dans toutes les casernes de l’Armée et tous les bureaux de police du district de Bardiya et du district voisin de Kailali. Par petits groupes, ils sont notamment allés au bureau de la police de Rajapur à deux reprises, au bureau de la police du district de Gulariya à environ 15 reprises et à la caserne de l’Armée et au bureau de la police de Tikapur, dans le district de Kailali, au moins trois fois. Ils affirment que la deuxième fois où ils se sont rendus au bureau de la police de Gulariya, ils ont remis une lettre écrite avec l’aide d’une tierce personne, dans laquelle ils décrivaient comment leurs proches avaient été arrêtés et emmenés par des soldats le 11 avril 2002. Plus tard, ils ont aussi essayé de donner une copie de ladite lettre au bureau de la police de Tikapur, sans succès. Les auteurs font valoir que toutes les autorités ont nié que leurs proches aient été mis en détention et n’ont offert aucune assistance pour les retrouver ou engager une enquête sur leur disparition.

2.6En 2003, Padam Tharu a signalé la disparition de son fils, Radhulal, à la Commission nationale des droits de l’homme à Katmandou. À la suite de cette déclaration, lui et sa femme ont été convoqués à la caserne de Rajapur. Là, des officiers de l’Armée leur ont dit qu’ils allaient engager une enquête sur la disparition de leur fils et qu’ils prendraient contact avec la famille s’ils obtenaient des informations. Néanmoins, les parents n’ont jamais reçu de nouvelle de la caserne de Rajapur.

2.7Le 13 juillet, le 23 septembre et le 16 octobre 2003, avec l’assistance d’Advocacy Forum-Nepal, les auteurs ont déposé auprès de la Cour suprême huit requêtes en habeas corpus concernant Dhaniram, Soniram, Lauti, Mohan, Prem Prakash, Chillu, Kamala et Radhulal, respectivement. Au cours de la procédure qui a suivi, le Ministère de la défense, le Ministère de l’intérieur, le Bureau administratif du district de Bardiya et le bureau de la police de Bardiya, entre autres, ont informé la Cour suprême qu’ils n’avaient pas arrêté ni placé en détention les proches des auteurs.

2.8Les 24, 25, 26 et 27 août 2004, et le 7 janvier, le 11 février et le 29 mars 2005, la Cour suprême a rejeté les requêtes en habeas corpus présentées par les auteurs. Elle a déclaré qu’ils n’avaient pas été à même de déterminer où et par qui leurs proches avaient été placés en détention, ajoutant que, pour qu’elle puisse émettre un mandat de perquisition, il fallait que les demandeurs l’aident en précisant le lieu où les victimes présumées étaient gardées. Les auteurs allèguent que la Cour n’a pas pris l’initiative de faire des recherches sur le sort de leurs proches ni sur le lieu où ils se trouvaient, ni sur les mesures prises par d’autres autorités pour les rechercher ou enquêter sur leur disparition.

2.9Le 12 février 2006, Thagani Tharu (mère de Prem Prakash) a signalé la disparition de Prem Prakash, Kamala, Lauti et Chillu à la Commission nationale des droits de l’homme. Parmeshwari Tharu (mère de Mohan) a elle aussi signalé la disparition de Mohan à la Commission. Les auteurs affirment que des agents de la Commission sont venus chez eux à deux reprises et que la Commission a transmis leurs plaintes à la cellule des droits de l’homme de l’Armée royale népalaise.

2.10Les huit proches des auteurs ont été enregistrés comme personnes disparues dans la base de données du Comité international de la Croix-Rouge.

2.11Le 25 mai 2006, le Gouvernement a établi au Ministère de l’intérieur une commission des disparitions composée du Secrétaire adjoint du Ministère de l’intérieur (également connue sous le nom de Commission Neupane), qu’il a chargée de mener des enquêtes sur le sort des personnes déclarées disparues et d’établir un rapport faisant la lumière sur leur situation et recommandant les mesures voulues pour ceux dont le sort demeurait inconnu. Ultérieurement, la Commission nationale des droits de l’homme a transmis à cette commission les dossiers des proches des auteurs.

2.12Le 25 juillet 2006, la Commission des disparitions a publié son rapport, qui concluait que 174 des 776 affaires de disparitions avaient été résolues. Le rapport estimait que les affaires de Dhaniram, Chillu, Mohan, Kamala, Lauti, Soniram et Radhulal étaient « élucidées », la cellule des droits de l’homme de l’Armée népalaise ayant indiqué qu’ils avaient été tués le 11 avril 2002 lors d’un échange de tirs avec les forces de sécurité qui avait eu lieu dans la zone agricole de Manau. Les auteurs font valoir que la Commission n’a pas entrepris d’enquête poussée et qu’elle a pleinement accordé crédit aux réponses des agences de sécurité sans avoir consulté les proches, cherché à obtenir des éclaircissements supplémentaires ou vérifié les renseignements communiqués. Ils affirment en outre que la cellule des droits de l’homme n’a jamais expliqué comment elle était arrivée à la conclusion que sept proches des auteurs avaient été tués dans un échange de tirs.

2.13Le 12 décembre 2006, les cas de Dhaniram, Radhulal (enregistré sous le nom de « Raghulal »), Kamala, Chillu, Lauti (enregistrée sous le nom de « Lauti Chaudhari »), Mohan, Prem Prakash (enregistré sous le nom de « Prem Tharu ») et Soniram ont été signalés au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires.

2.14Le 1er juin 2007, la Cour suprême a émis un arrêt concernant 83 affaires de disparitions forcées. Dans ses conclusions, la Cour a notamment donné l’ordre au Gouvernement d’octroyer à toutes les familles de personnes disparues citées dans la requête la somme de 100 000 roupies népalaises, de mettre en place une commission d’enquête, d’incriminer la disparition forcée et de poursuivre les responsables. Le Conseil des ministres a alors décidé d’accorder une indemnisation provisoire aux diverses catégories de victimes du conflit armé, y compris aux membres des familles de personnes disparues. Entre septembre 2008 et mars 2009, le Comité de développement du village de Manau a rédigé des lettres certifiant que les proches des auteurs n’avaient toujours pas été retrouvés.

2.15En décembre 2008, le Bureau au Népal du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a établi un rapport sur les disparitions forcées dans le district de Bardiya. Il y était noté que la cellule des droits de l’homme de l’Armée népalaise avait fourni des informations sur 35 cas, parmi lesquelles figuraient les mêmes informations que celles données à la Commission des disparitions du Ministère de l’intérieur. Les auteurs soulignent que les autorités ont transmis les mêmes informations à d’autres institutions, dont le Comité international de la Croix-Rouge.

2.16En avril 2009, le Ministère de la paix et de la reconstruction a accordé aux auteurs, en tant que membres de la famille de personnes disparues, une indemnité provisoire de 100 000 roupies népalaises. Les auteurs affirment que ce versement avait pour seule fin d’apporter une assistance temporaire aux victimes ou à leur famille et qu’il ne peut être considéré comme une mesure de réparation.

2.17Les auteurs affirment que leur communication remplit les conditions de recevabilité établies au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif et ajoutent qu’ils ont épuisé tous les recours judiciaires disponibles. Malgré leurs efforts, le sort de leurs proches et le lieu où ils se trouvent demeurent inconnus; aucune enquête efficace n’a eu lieu pour faire la lumière sur les circonstances de leur disparition et personne n’a été sanctionné. De plus, ni la Commission nationale des droits de l’homme ni la Commission des disparitions du Ministère de l’intérieur ne peuvent être considérées comme des voies de recours utiles. Les auteurs indiquent qu’ils n’ont pas tenté de déposer un premier rapport d’information auprès de la police parce que cette procédure ne s’applique qu’aux infractions énumérées à l’annexe 1 de la loi de 1992 relative aux affaires dans lesquelles l’État est partie, laquelle ne mentionne pas les disparitions forcées.

2.18En ce qui concerne la condition énoncée au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, les auteurs affirment que la même affaire n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires est certes une procédure spéciale importante dans le cadre du système des Nations Unies, mais il ne constitue pas une procédure analogue à celle établie par le Protocole facultatif en raison de sa fonction strictement humanitaire.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs font valoir que leurs huit proches ont été victimes de disparition forcée et que, par conséquent, l’État a violé les droits qu’ils tenaient des articles 6, 7, 9, 10, 16, 23 (par. 1) et 24 (par. 1), pris séparément et lus conjointement avec l’article 2 (par. 3), et que les droits qu’eux-mêmes tiennent des articles 7, 17 (par. 1) et 23, pris séparément et lus conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte, ont, eux aussi, été violés.

3.2Les auteurs affirment que des membres de l’Armée royale népalaise ont arbitrairement arrêté leurs huit proches. Malgré les efforts accomplis par les auteurs et le fait qu’ils ont promptement signalé le placement en détention de leurs proches, le sort et le lieu où se trouvent ces derniers demeurent inconnus. Toutes les autorités ont commencé par nier la privation de liberté de leurs proches. Par la suite, l’Armée a allégué que sept d’entre eux avaient été tués le 11 avril 2002 dans un échange de tirs avec les forces de sécurité dans la zone agricole de Manau, sans apporter d’éléments de preuve ni avoir mené d’enquête. Les auteurs font valoir qu’il serait hautement improbable, voire impossible, que l’Armée ait désigné ces sept personnes par leur nom si elles avaient été tuées dans un échange de tirs, puisqu’aucune d’entre elles n’avait de carte d’identité ni autre type de document d’identité, à l’exception de Prem Prakash. De plus, la manière dont les huit proches des auteurs ont été emmenés de chez eux faisait partie du modus operandi général utilisé par l’Armée royale népalaise dans ses opérations de recherche dans le district de Bardiya entre décembre 2001 et janvier 2003. Dans un tel contexte, les auteurs affirment que le placement en détention arbitraire de leurs proches par les autorités et, ensuite, leur disparition les ont placés dans une situation qui représentait une grave menace pour leur vie et constituait une violation de l’article 6 du Pacte.

3.3Les auteurs affirment également que la disparition forcée de leurs proches et le degré de souffrance qu’implique une détention sans contact avec le monde extérieur sont constitutifs d’une violation de l’article 7.

3.4Les auteurs déclarent que l’État partie a violé l’article 9 du Pacte. Leurs proches ont été emmenés par l’Armée royale népalaise qui ne disposait pas de mandat d’arrêt et n’a pas donné d’explication suffisante sur les raisons de leur arrestation. Plus tard, l’Armée a nié qu’ils aient été arrêtés ou placés en détention. Les proches des auteurs n’ont jamais été présentés à un juge ni aucun autre représentant des autorités habilitées par la loi à exercer des fonctions judiciaires, et ils n’ont pas pu engager une procédure devant un tribunal pour contester la légalité de leur détention.

3.5Les auteurs affirment que l’État partie a violé et continue de violer les droits que leurs proches tiennent de l’article 10 du Pacte, en ce qu’il est incapable de les traiter avec humanité et de respecter leur dignité puisqu’ils demeurent victimes de disparition forcée.

3.6Les auteurs déclarent que la disparition forcée de leurs proches et le fait que les autorités n’aient pas mené d’enquête efficace en vue de déterminer le lieu où ils se trouvaient et le sort qui leur avait été réservé ont eu pour effet de soustraire les intéressés à la protection de la loi, les empêchant ainsi d’exercer leurs droits et leurs libertés fondamentales, ce qui constitue une violation de l’article 16 du Pacte.

3.7Les auteurs font valoir que conformément au paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte, les relations personnelles et les contacts directs et réguliers doivent être maintenus entre un enfant et ses parents et que, parce qu’elle a entraîné une rupture totale de la relation entre parents et enfants, la disparition forcée des proches des auteurs constitue une violation de cette disposition.

3.8Les auteurs avancent que Dhaniram (17 ou 18 ans), Soniram, Kamala (16 à 18 ans), Lauti (17 à 20 ans) et Chillu avaient moins de 18 ans et que l’État partie était donc obligé de leur accorder la protection spéciale due aux mineurs. Par conséquent, leur arrestation et leur disparition constituent aussi une violation du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte. Les auteurs soulignent que, selon l’alinéa b) de l’article 37 de la Convention relative aux droits de l’enfant, l’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant doivent être conformes avec la loi, n’être qu’une mesure de dernier ressort, et être d’une durée aussi brève que possible.

3.9Bien que les auteurs aient signalé sans tarder aux autorités la privation arbitraire de liberté et la disparition forcée de leurs proches et qu’ils aient déposé plusieurs plaintes, y compris des requêtes en habeas corpus auprès de la Cour suprême, il n’a été procédé d’office à aucune enquête rapide, impartiale, approfondie et indépendante et le sort réservé aux intéressés ainsi que le lieu où ils se trouvent demeurent inconnus à ce jour. S’ils sont décédés, leurs dépouilles n’ont pas été localisées, exhumées, identifiées ni restituées aux familles. De plus, personne n’a encore été reconnu coupable de leur privation de liberté arbitraire et de leur disparition forcée. Par conséquent, l’État partie a violé et continue de violer les droits que leurs proches tiennent des articles 6 (par. 1), 7, 9, 10 (par. 1), 16, 23 (par. 1) et 24 (par. 1), lus conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte.

3.10Les auteurs affirment que l’État partie continuent de violer les droits que leur confère l’article 7, lu isolément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Ils sont dans la souffrance et l’angoisse depuis 2002 à cause de la privation arbitraire de liberté, des mauvais traitements et de la disparition forcée infligés à huit de leurs proches et du fait que les autorités n’ont pas mené d’enquête efficace sur le sort de ces derniers et l’endroit où ils se trouvent.

3.11Les auteurs font valoir que l’État partie à également violé les droits qu’ils tiennent des articles 17 (par. 1) et 23, lus isolément et conjointement avec l’article 2 (par. 3), en pénétrant de force chez eux et en emmenant leurs proches, provoquant ainsi une séparation brutale et complète.

3.12Les auteurs prient le Comité de recommander à l’État partie : a) d’ordonner sans délai la tenue d’enquêtes impartiales et approfondies au sujet du sort de leurs huit proches et du lieu où ils se trouvent; b) de libérer leurs proches, s’ils sont encore en vie et, s’ils sont décédés, de localiser, exhumer et identifier leur dépouille, de la respecter et de la rendre à la famille; c) d’informer les auteurs de l’état de l’avancement des enquêtes; d) de traduire les responsables devant un tribunal afin de les poursuivre, de les juger et de les sanctionner; e) d’accorder aux auteurs et aux membres de leur famille une indemnisation adéquate pour les dommages matériels et le préjudice moral subis, et de leur octroyer d’autres formes de réparation, notamment sous la forme de mesures de réadaptation et de satisfaction. En particulier, les auteurs demandent à l’État partie de reconnaître publiquement sa responsabilité internationale. À titre de garantie de non-répétition, l’État partie devrait veiller à ce que les disparitions forcées et les actes de torture constituent des infractions autonomes au regard de son droit pénal, modifier sa législation pour que l’habeas corpus soit un recours disponible et efficace en cas de disparition forcée, établir une commission indépendante d’enquête sur les disparitions forcées, ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et appliquer pleinement les recommandations faites par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme concernant les disparitions forcées dans le district de Bardiya.

Observations de l’État sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale en date du 10 juin 2011, l’État partie a présenté ses observations et a contesté la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés.

4.2L’État partie fait observer que la Constitution de 1990 interdit expressément la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et prévoit que toute personne soumise à de tels traitements a droit à une réparation adéquate, en vertu de la loi de 1997 relative à l’indemnisation en cas de torture. Par conséquent, les auteurs auraient pu présenter un recours en vertu de ladite loi, qui prévoit que les tribunaux doivent prendre une décision dans un délai de quatre-vingt-dix jours. Ils n’ont pas non plus déposé de requête invoquant la loi relative aux affaires dans lesquelles l’État est partie.

4.3La Commission nationale des droits de l’homme est une commission indépendante et impartiale établie en vertu de la loi de 1997 qui en porte création. Elle est habilitée par la loi à mener des enquêtes sur les violations des droits de l’homme, à exiger de toute personne qu’elle comparaisse devant elle et à recueillir, recevoir et évaluer des informations et des éléments de preuve. La Commission peut recommander au Gouvernement d’indemniser des victimes et de sanctionner les auteurs de violations.

4.4L’État partie informe le Comité que deux commissions d’enquête dirigées par des secrétaires adjoints du Ministère de l’intérieur ont été mises en place pour déterminer le sort des personnes qui ont été portées disparues pendant le conflit armé et le lieu où elles se trouvent. Il souligne que l’Armée et la police ont mené des enquêtes au niveau départemental et traduit plusieurs membres de leur personnel en justice. De plus, pour traiter le problème des personnes disparues, il a été décidé d’établir une commission chargée d’enquêter sur les cas de disparition ainsi qu’une commission pour la vérité et la réconciliation, conformément à l’article 33 s) de la Constitution provisoire du Népal de 2007 et à l’article 5.2.5 de l’Accord de paix global du 21 novembre 2006. À cette fin, un projet de loi relatif à la commission pour la vérité et la réconciliation et un projet de loi relatif à la disparition forcée (infractions et sanctions) ont été présentés au Parlement. À la date de la soumission des observations de l’État partie, ces projets de loi se trouvaient en attente d’adoption. Les deux commissions qui seront créées une fois ces projets adoptés enquêteront sur des cas survenus pendant le conflit afin d’établir la vérité à leur sujet.

Observations de l’État partie sur le fond

5.1Le 10 janvier 2012, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond de la communication. Il affirme de nouveau que les auteurs n’ont pas épuisé les recours interne et que la communication doit donc être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.2L’État partie indique au Comité que les deux projets de loi relatifs à la création d’une commission sur les disparitions et d’une commission pour la vérité et la réconciliation sont actuellement à l’examen en commission parlementaire et en attente d’adoption. Il souligne que l’établissement de ces projets de loi a fait l’objet d’un dialogue nourri avec les parties prenantes et les membres de la communauté internationale, et que leurs dispositions sont conformes aux normes internationales.

5.3L’État partie demeure déterminé à ouvrir des enquêtes contre les auteurs présumés des violations des droits de l’homme perpétrées au cours du conflit armé, entre le 1er février 1996 et 2006, à les poursuivre et à les punir, et à accorder une indemnisation aux victimes. Il fait observer que les auteurs ont déjà reçu une indemnisation provisoire.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

6.1Le 18 avril 2012, les auteurs ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l’État partie.

6.2Les auteurs affirment de nouveau qu’ils ont épuisé tous les recours internes. Ils disent qu’en général, la requête en habeas corpus est la meilleure manière de chercher réparation en cas de violation parce que la personne disparue devant être montrée, la détention secrète prend alors fin. Il s’agit donc de la voie de recours immédiate la plus appropriée pour protéger les droits d’une personne entre les mains des autorités. Néanmoins, les réglementations de l’État partie en la matière et la manière dont les tribunaux gèrent les requêtes en habeas corpus rendent cette procédure inefficace. Les auteurs font valoir aussi que l’État partie a la responsabilité de mener d’office et dans les meilleurs délais une enquête complète et approfondie concernant les allégations de torture et de disparition forcée.

6.3L’arrêt de la Cour suprême en date du 1er juin 2007 n’a pas encore été totalement mis en œuvre. L’État partie a certes accordé aux familles des personnes disparues une indemnisation provisoire de 100 000 roupies népalaises, mais il n’a pas appliqué les autres directives, telles que l’incrimination de la disparition forcée ou la poursuite des auteurs de tels actes.

6.4Les auteurs affirment de nouveau qu’un premier rapport d’information ne constitue pas un recours utile. Quant à la possibilité de demander une indemnisation au titre de la loi relative à l’indemnisation en cas de torture, les auteurs soulignent que leurs proches ne peuvent physiquement pas engager une telle procédure puisqu’ils ont été soustraits à la protection de la loi par disparition forcée et que, d’une manière générale, ce n’est pas un recours utile contre la détention arbitraire et la disparition de leurs proches. Ce n’est pas non plus un recours utile pour les actes de torture que ceux-ci ont subis puisque, à sa section II, ladite loi précise qu’elle ne s’applique qu’aux actes de torture commis pendant la détention.

6.5L’éventuel futur mécanisme de justice de transition n’aura pas vocation à déterminer la recevabilité de la communication et, même s’il était déjà constitué, il ne serait pas un recours utile. Les procédures d’établissement des faits par des organes non judiciaires ne sauraient en aucun cas remplacer l’accès à la justice et à des voies de recours pour les victimes de violations graves des droits de l’homme et leurs proches, le système de justice pénale constituant la meilleure voie pour obtenir l’ouverture immédiate d’une enquête pénale et des sanctions.

6.6Les auteurs affirment qu’en l’absence d’observations concrètes de l’État partie sur le fond de la communication réfutant leurs allégations, il convient de considérer que leurs griefs sont fondés. Ils soulignent que l’État partie renvoie à des enquêtes menées par les secrétaires adjoints du Ministère de l’intérieur et de l’Armée mais qu’il ne donne pas de détails sur le cours de ces enquêtes ni sur la raison pour laquelle l’Armée a conclu que sept de leurs proches avaient été tués dans un échange de tirs en avril 2002.

Réponses complémentaires des parties

7.1Le 4 juillet 2014 et le 15 mars 2015, les auteurs ont informé le Comité que, le 25 avril 2014, le Parlement de l’État partie avait adopté la loi no 2071 (2014) portant création de la Commission pour la vérité et la réconciliation et de la Commission d’enquête sur les personnes disparues. Le 21 mai 2014, la loi a été publiée au Journal officiel.

7.2Les auteurs soulignent que la loi vise tous les cas de « violations graves des droits de l’homme » commises pendant le conflit armé, et font observer que plusieurs de ses dispositions sont incompatibles avec les normes internationales des droits de l’homme. En particulier, la loi autorise les deux commissions à recommander des mesures d’amnistie pour des violations flagrantes du droit international des droits de l’homme ou des violations graves du droit international humanitaire, comme celles qui sont dénoncées dans la présente communication; de plus, les commissaires n’offrent pas de garantie d’indépendance et d’impartialité, et la loi ne reconnaît pas le droit des victimes à une réparation complète. Si le Comité constatait qu’il y a eu violation du Pacte en l’espèce, il pourrait recommander à l’État partie de modifier la loi, après consultation appropriée avec les victimes et leurs proches, la société civile et la Commission nationale des droits de l’homme.

7.3Le 26 février 2015, la Cour suprême a estimé que plusieurs dispositions de la loi no 2071 (2014) étaient contraires à la Constitution provisoire et aux obligations internationales incombant à l’État partie. La Cour a déclaré en particulier que la disposition relative à l’amnistie figurant dans la loi était contraire au droit international, que la réconciliation ne pouvait avoir lieu qu’avec l’accord de la victime, qu’elle continuerait de s’occuper des affaires dont elle était saisie, parce qu’elles étaient de sa compétence, et que le Procureur général n’avait pas besoin de l’autorisation du ministère pour engager des poursuites. Cependant, les auteurs ont émis des doutes au sujet des perspectives d’exécution de la décision de la Cour suprême, les principaux dirigeants politiques ayant publiquement rejeté cette décision.

8.Le 11 décembre 2014, l’État partie a réaffirmé sa volonté de mettre en place un mécanisme de justice de transition et a indiqué au Comité que la loi relative à ce mécanisme avait été adoptée par le Parlement, ajoutant une brève description des dispositions principales de cette loi. L’État partie a expliqué qu’il s’agissait là d’un instrument clef visant à résoudre le problème des violations des droits de l’homme commises par le passé, tant par l’État partie que par des acteurs non étatiques.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il note que la disparition de Dhaniram, Radhulal, Kamala, Chillu, Lauti, Mohan, Prem Prakash et Soniram a été signalée au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires. Toutefois, il rappelle que les procédures ou les mécanismes extraconventionnels mis en place par la Commission des droits de l’homme ou le Conseil des droits de l’homme, qui ont pour mandat d’examiner la situation des droits de l’homme dans des pays ou territoires déterminés ou des cas de violation des droits de l’homme dans le monde, et de faire rapport publiquement à ce sujet, ne constituent pas en règle générale une procédure d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Par conséquent, il considère que cette disposition ne fait pas obstacle à l’examen de la présente communication.

9.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication ne satisfait pas aux conditions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif parce que les auteurs n’ont pas formé un recours en justice au titre de la loi relative à l’indemnisation en cas de torture et n’ont pas invoqué la loi relative aux affaires dans lesquelles l’État est partie, et parce que les affaires des proches des auteurs devraient être traitées dans le cadre des mécanismes de justice de transition mis en place par la loi no 2071 (2014), conformément à la Constitution provisoire de 2007 et à l’Accord global de paix de 2006. Le Comité note aussi les allégations des auteurs, qui affirment que la Cour suprême a rejeté leurs requêtes en habeas corpus parce qu’ils n’étaient pas parvenus à identifier le lieu où leurs proches avaient été placés en détention ni les personnes qui les avaient arrêtés; selon eux, la loi relative à l’indemnisation en cas de torture n’est pas une voie de recours appropriée s’agissant des violations subies par leurs proches; quant au premier rapport d’information, cette procédure ne s’applique qu’aux infractions énumérées à l’annexe 1 de la loi relative aux affaires dans lesquelles l’État est partie, qui ne mentionne pas les disparitions forcées. Le Comité constate que les auteurs ont signalé la disparition de leurs proches aux autorités dans les plus brefs délais, mais que plus de treize ans plus tard, les circonstances de la disparition n’ont toujours pas été élucidées et aucune enquête n’a encore abouti. Le Comité rappelle en outre sa jurisprudence, dont il ressort qu’en cas de violations graves, un recours judiciaire utile doit être disponible. À ce sujet, le Comité observe que les organes de justice de transition mis en place par la loi no 2071 (2014) ne sont pas des organes juridictionnels. En conséquence, il considère que l’enquête a été inefficace et a dépassé les délais raisonnables et conclut que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

9.4Étant donné que toutes les exigences concernant la recevabilité sont satisfaites, le Comité déclare la communication recevable et passe à son examen quant au fond.

Examen au fond

10.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

10.2Le Comité note que l’État partie n’a fait aucune observation concrète au sujet des allégations formulées dans la communication. Il rappelle qu’il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. Dans le cas où l’auteur a communiqué à l’État partie des allégations corroborées par des preuves sérieuses et où tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut estimer ces allégations fondées si l’État partie ne les réfute pas en apportant des preuves et des explications satisfaisantes.

10.3Le Comité prend note des allégations des auteurs, qui affirment que le 11 avril 2002, des agents de l’Armée royale népalaise ont pris avec eux huit de leurs proches et qu’ils n’ont jamais été informés du lieu où ceux-ci avaient été emmenés. Les auteurs affirment aussi que, bien qu’ils aient signalé promptement l’arrestation et la disparition de leurs proches, et déposé plusieurs plaintes et requêtes en habeas corpus, les autorités n’ont pas procédé promptement et d’office à une enquête impartiale, approfondie et indépendante, et le sort réservé à leurs proches, ainsi que le lieu où ils se trouvent, demeurent inconnus à ce jour. Personne n’a été cité à comparaître ou condamné pour les actes en cause; ils ajoutent que dans de telles circonstances, leurs proches ont été victimes de disparition forcée.

10.4Le Comité rappelle que, même si l’expression « disparition forcée » n’apparaît expressément dans aucun article du Pacte, la disparition forcée constitue un ensemble unique et intégré d’actes qui représente une violation continue de plusieurs droits consacrés par le Pacte.

10.5Le Comité relève qu’en 2002, année où les faits se sont produits, les auteurs ont reçu des informations contradictoires au sujet de la détention de leurs proches, provenant de différents bureaux de la police et casernes de l’Armée, et que, dans le cadre des procédures en habeas corpus engagées devant la Cour suprême, le Ministère de la défense, le Ministère de l’intérieur, le Bureau de l’administration du district de Bardiya et le bureau de la police du département de Bardiya, entre autres, ont nié avoir arrêté ou détenu leurs proches. Le 25 juillet 2006, le Ministère de l’intérieur a conclu que Dhaniram, Chillu, Mohan, Kamala, Lauti, Soniram et Rhadulal avaient été tués le 11 avril 2002 dans un échange de tirs avec les forces de sécurité dans la zone agricole de Manau. Aucune information n’a été fournie sur le sort et l’endroit où se trouve Prem Prakash. Néanmoins, l’État partie n’a pas remis en cause l’allégation des auteurs, qui affirment que les autorités n’ont pas engagé une enquête approfondie et ont accordé pleinement crédit aux informations de la cellule des droits de l’homme de l’Armée népalaise, qui ne sont étayées par aucun élément. Le Comité note aussi que les dépouilles n’ont pas été restituées aux familles et que les autorités n’ont fourni aucun renseignement sur le lieu où elles se trouvaient ni sur les efforts éventuellement déployés pour leur restitution, maintenant ainsi les auteurs dans une incertitude permanente. Le Comité considère donc que l’État partie n’a pas donné d’explications suffisantes sur les circonstances du décès présumé des proches de l’auteur et qu’il n’a pas fourni d’éléments de preuve pour établir qu’il s’était acquitté de son obligation de protéger leur vie. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a manqué à son obligation de protéger la vie des proches des auteurs, en violation de l’article 6 du Pacte.

10.6Le Comité prend note des allégations des auteurs qui affirment que la détention et la disparition forcée de leurs proches constituent en elles-mêmes un traitement contraire à l’article 7. Il reconnaît le degré de souffrance qu’implique une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie. Il rappelle son observation générale no 20 relative à l’article 7, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret. En l’espèce, en l’absence d’explications satisfaisantes de l’État partie, le Comité estime que la disparition forcée des proches des auteurs est constitutive d’une violation de l’article 7 du Pacte.

10.7Le Comité prend note également de l’angoisse et de la souffrance subies par les auteurs à cause de la disparition de leurs proches. En particulier, les auteurs et leur famille n’ont à aucun moment reçu d’explications suffisantes sur les circonstances ayant entouré le décès présumé de leurs proches, dont les dépouilles ne leur ont pas été restituées. En l’absence d’explications satisfaisantes de l’État partie, le Comité considère que les faits font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard des auteurs.

10.8Le Comité prend note des allégations des auteurs au titre de l’article 9, selon lesquelles leurs proches ont été placés en détention sans mandat d’arrêt, n’ont jamais été présentés à un juge ni à aucune autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires et n’ont pas eu la possibilité d’introduire un recours devant un tribunal pour contester la légalité de leur détention. En l’absence de réponse de l’État partie sur ce point, le Comité estime que la détention des proches des auteurs constitue une violation des droits reconnus à l’article 9 du Pacte.

10.9Pour ce qui est du grief de violation de l’article 16, le Comité considère que le fait de soustraire intentionnellement une personne à la protection de la loi constitue un déni du droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique si la personne était entre les mains des autorités de l’État lors de sa dernière apparition et que les efforts déployés par ses proches pour avoir accès à des recours potentiellement utiles, y compris devant les tribunaux (par. 2 de l’article 3 du Pacte), sont systématiquement entravés. En l’espèce, le Comité note que, peu après l’arrestation des proches des auteurs, les autorités ont donné des informations contradictoires sur cette arrestation. Par la suite, elles n’ont pas donné aux auteurs d’informations suffisantes sur le sort réservé aux intéressés ni sur le lieu où ils se trouvaient, malgré de nombreuses demandes. Par conséquent, le Comité estime que la disparition forcée des proches des auteurs a eu pour effet de soustraire les intéressés à la protection de la loi et les a privés de leur droit à la reconnaissance de leur personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.

10.10Les auteurs invoquent le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, qui fait obligation aux États parties d’assurer un recours utile à toute personne dont les droits garantis par le Pacte auraient été violés. Le Comité attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits. Il renvoie à son observation générale no 31 qui dispose notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, le Comité constate que, peu après le placement en détention des proches des auteurs, ces derniers ont cherché à obtenir des informations auprès des différents bureaux de la police et des casernes de l’Armée et qu’ils ont ensuite déposé des requêtes en habeas corpus auprès de la Cour suprême et des plaintes auprès de la Commission nationale des droits de l’homme. En dépit des efforts déployés par les auteurs, l’État partie n’a procédé à aucune enquête approfondie et efficace en vue d’élucider les circonstances ayant entouré la détention et le décès présumé, et aucune instruction criminelle n’a même été ouverte aux fins de traduire en justice les auteurs des actes en cause. L’État partie n’a pas démontré l’efficacité ou le caractère approprié des enquêtes menées par la Commission des disparitions du Ministère de l’intérieur ni les mesures concrètes qui auraient été prises pour éclaircir les circonstances de leur détention, la cause de leur décès présumé ni encore les efforts déployés pour retrouver les dépouilles et les restituer aux familles. Le Comité estime donc que l’État partie n’a pas procédé à une enquête approfondie et efficace sur la disparition des proches des auteurs. De surcroît, les 100 000 roupies népalaises reçues par les auteurs à titre d’indemnisation provisoire ne constituent pas une réparation adéquate, proportionnée à la gravité des violations commises. Le Comité en conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 6 (par. 1), 7, 9 et 16, pour ce qui concerne les proches des auteurs, et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7 du Pacte, à l’égard des auteurs.

10.11Ayant conclu à la violation des dispositions susmentionnées, le Comité décide de ne pas examiner séparément les griefs que les auteurs tirent des articles 10, 17 (par. 1), 23 et 24 (par. 1) du Pacte.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation, par l’État partie, des articles 6 (par. 1), 7, 9 et 16, et de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec les articles 6 (par. 1), 7, 9 et 16 du Pacte à l’égard des proches des auteurs; et de l’article 7 ainsi que de l’article 2 (par. 3) lu conjointement avec l’article 7, à l’égard des auteurs.

12.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, consistant notamment à : a) mener une enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition de leurs proches et fournir aux auteurs des informations détaillées quant aux résultats de cette enquête; b) localiser les dépouilles de leurs proches, s’ils sont décédés, et les remettre aux membres de leur famille; c) poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises et rendre publics les résultats de ces mesures; d) veiller à ce que les auteurs bénéficient de mesures de réadaptation et d’un traitement appropriés; e) offrir aux auteurs une réparation effective, notamment sous la forme d’une indemnisation adéquate et des mesures de satisfaction voulues, pour les violations subies. L’État partie est en outre tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent. En particulier, l’État partie devrait faire en sorte que sa législation permette d’engager des poursuites pénales contre les auteurs de violations graves des droits de l’homme telles que les actes de torture, les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État est en outre invité à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans les langues officielles de l’État partie.

Appendice I

Opinion individuelle (concordante) d’Olivier de Frouville

1.Dans ses constatations, le Comité a décidé d’abandonner l’exigence d’un élément temporel (exigence qui ressortait de l’usage des termes : « soustraire une personne à la protection de la loi pour une période prolongée») pour aboutir au constat d’une violation de l’article 16 résultant d’une disparition forcée. La présence de ces termes s’expliquait par le fait que, dans un certain nombre de constatations antérieures, le Comité s’était appuyé sur la définition de la disparition forcée donnée par l’article 7, paragraphe 2, alinéa i, du Statut de Rome créant la Cour pénale internationale.

2.Cette condition temporelle propre à la définition du Statut de Rome avait pourtant été vivement critiquée, notamment par l’expert indépendant chargé par la Commission des droits de l’homme de réfléchir aux lacunes du droit international en la matière ou encore par le Groupe de travail sur les disparitions forcées. Le Comité avait lui-même fini par renoncer à cette référence au Statut de Rome pour lui substituer une référence à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptée entretemps. Mais il avait inexplicablement maintenu l’exigence de l’élément temporel, sans justifier en quoi il était nécessaire que la soustraction de la personne à la protection de la loi fusse « prolongée » pour qu’une violation de l’article 16 puisse être constatée.

3.En fait, la négation de la personnalité juridique de l’individu soumis à la disparition forcée intervient dès le début de sa privation de liberté, comme le montrent les témoignages de ceux qui sont revenus de cet enfer. La victime de disparition forcée n’est jamais détenue dans un lieu officiel de détention : elle est enfermée dans le quartier général des services de renseignement, dans la cave d’un immeuble réquisitionné, dans une ancienne caserne désaffectée et la première chose que font ses gardiens est de lui faire sentir sa vulnérabilité absolue et le fait qu’elle se trouve entièrement en leur pouvoir. Il n’y a aucun recours, aucune aide de l’extérieur ne peut être espérée, la notion même de « loi » est abolie. Reste le seul exercice d’une contrainte physique et psychologique des gardiens, qui disposent de leur victime comme d’un objet, notamment par la torture et les mauvais traitements, niant de ce fait sa dignité d’être humain.

4.Il est vrai que la pratique de la disparition forcée a évolué depuis le début des années 2000. Les disparitions forcées de courte durée se sont multipliées, notamment dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, comme l’a noté le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires dans ses rapports. Dans les années 1970, 1980 ou même 1990, rares étaient ceux qui survivaient à la disparition forcée. La plupart des victimes, une fois placées en détention secrète, mouraient sous la torture ou étaient exécutés sommairement. Quelques-uns avaient la chance de sortir vivants, après quelques jours ou quelques semaines de détention, notamment parce que leur cas avait été rendu public assez rapidement par les organisations non gouvernementales et les organes de protection des Nations Unies, comme le Groupe de travail. D’autres encore, dans certains pays, « réapparaissaient » après des années, voire des décennies, totalement brisés par l’expérience de l’enfermement et de la négation absolue de leurs droits.

5.Ce type de disparitions forcées continue d’être pratiqué dans certains contextes et les cas que le Comité a eus à connaître dans l’affaire Tharu et consorts c. Népal en font sans doute partie. Mais à cette forme de disparition forcée s’est ajoutée la pratique consistant à faire disparaître des personnes pendant plusieurs jours ou plusieurs semaines – durant lesquels la personne est maintenue en détention secrète hors de tout cadre légal et torturée, avant d’être remise à la police puis à la justice, avec souvent un mandat d’arrêt falsifié, pour tenter de masquer la date réelle de l’arrestation. La personne est alors mise en accusation puis jugée sur la base d’« aveux » obtenus en réalité sous la torture pendant la période de la disparition. Ces pratiques ont-elles été élaborées pour déjouer la condition temporelle fixée à l’article 7 du Statut de Rome et la qualification particulièrement infâmante de « crime contre l’humanité »? Il est impossible de le savoir. Là n’est d’ailleurs pas l’essentiel en l’espèce. Ce qui importe ici, c’est de constater que dans ces cas, comme dans les cas plus classiques, la personne se voit dénier le droit à la reconnaissance de la personnalité juridique dès la première minute de la privation de liberté. Le fait de la faire disparaître, de la détenir secrètement hors de tout cadre légal est une manière de lui signifier et de signifier à sa famille et à son entourage que le disparu n’est plus une personne juridique, qu’elle n’est plus « rien » juridiquement, qu’elle ne bénéficie plus de la protection de la loi de son pays, ni du droit international – et que, dans ces conditions, ses tortionnaires peuvent disposer d’elle exactement comme ils l’entendent.

6.C’est la raison pour laquelle le Groupe de travail a reconnu, dans son Observation générale sur le droit à la reconnaissance de la personnalité juridique dans le contexte des disparitions forcées, que la disparition forcée était « une violation paradigmatique » du droit à la reconnaissance de la personnalité juridique. Toute disparition forcée, quelle que soit sa durée, constitue une violation de ce droit. Il est heureux que le Comité ait amendé sa jurisprudence dans ce sens – même dans une espèce qui ne concernait pas ce type de disparition forcée de courte durée, car la qualification juridique de cette violation gagne ainsi en précision et en pertinence.

Appendice II

Opinion individuelle (concordante) d’Anja Seibert-Fohr

1.Je souscris à la conclusion du Comité concernant la présente communication. Cependant, je ne suis pas en mesure d’appuyer l’interprétation large de l’article 16 suggérée dans la première phrase du paragraphe 10.9. J’aurais plutôt maintenu l’exigence de l’élément temporel conformément à la jurisprudence du Comité.

2.L’article 16 du Pacte protège le droit de chacun à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique. La capacité de détenir des droits et obligations est une condition préalable de tous les autres droits individuels. Le caractère absolu et intangible de ce droit expressément reconnu au paragraphe 2 de l’article 4 du Pacte exige d’en déterminer la portée avec un soin particulier. C’est pourquoi le Comité a considéré dans Grioua c. Algérie que « l’enlèvement intentionnel d’une personne de la protection de la loi pour une période prolongée peut constituer un refus de reconnaissance d’une personne devant la loi si la victime était entre les mains des autorités de l’État lors de sa dernière apparition et, en même temps, si les efforts de ses proches pour avoir accès à des recours potentiellement utiles, y compris devant les cours de justice (par. 3 de l’article 2 du Pacte) sont systématiquement empêchés ». Le Comité a expliqué qu’en pareils cas, les victimes « sont, dans les faits, privées de leur capacité d’exercer leurs droits garantis par la loi, notamment tous leurs autres droits garantis par le Pacte, et d’accéder à un quelconque recours possible en conséquence directe du comportement de l’État ». Depuis 2007, il ressort de la jurisprudence établie du Comité qu’il y a violation de l’article 16 lorsque les victimes sont systématiquement et pour une période prolongée privées de toute possibilité d’exercer leurs droits et d’avoir accès à un recours.

3.Dans ces circonstances, qui incluent l’élément temporel et le caractère systématique de la privation, il y a déni de facto du droit d’être traité comme un détenteur de droits. L’élément temporel atteste qu’il y a refus intrinsèque de reconnaître la personnalité juridique de l’individu. Je suis consciente du fait que la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et la Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes n’incluent pas d’élément temporel dans la définition de la disparition forcée. Cependant, nous devons déterminer, non pas si une atrocité peut être qualifiée de disparition forcée, mais si elle constitue une violation de l’article 16 du Pacte. Nonobstant le caractère très grave de la disparition forcée, l’une des violations des droits de l’homme les plus odieuses, et la nécessité immédiate d’une protection efficace des victimes de disparition forcée et de leur famille, le fait qu’une atrocité infligée à une victime constitue une disparition forcée en violation des articles 6, 7 et 9 du Pacte et exige donc une protection immédiate ne préjuge pas automatiquement de l’analyse juridique de l’article 16. De plus, les cas de déni de justice ou de privation d’accès à un recours en cas de violation d’un droit ne constituent pas tous des violations de l’article 16a.

4.Ce raisonnement ne vise en aucune manière à modifier ni affaiblir la notion de disparition forcée établie dans les conventions susmentionnées. Il ne tend pas non plus à une norme fragmentée pour une notion qui ne figure pas dans le Pacte. Le rôle du Comité est d’examiner chaque communication sur la base de chaque disposition du Pacte et de déterminer si les circonstances factuelles l’amènent à constater une violation du Pacte et non de généraliser ou de réinterpréter les garanties apportées par celui-ci en appliquant des notions juridiques qui n’y sont pas énoncées. Pour les raisons exposées ci-dessus, je ne souscris pas au raisonnement conduisant à l’abandon de l’élément temporel eu égard à l’article 16. Il serait erroné de constater une violation de cette disposition chaque fois qu’il y a déni de justice pour une période donnée, aussi courte soit-elle. Outre le fait qu’une telle modification ne changeait rien à l’issue de la présente affaire, très grave, dans laquelle les victimes ont été soustraites à la protection de la loi depuis 2002, je crains que le fait d’abaisser le seuil établi à l’article 16 pour des raisons qui se situent en-dehors du Pacte n’amoindrisse à long terme la valeur fondamentale de cette garantie pour les droits de l’homme.