Nations Unies

CCPR/C/119/D/2502/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

19 novembre 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2502/2014 * , **

Communication présentée par :

Allan Brian Miller et Michael John Carroll (représentés par un conseil, Tony Ellis)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Nouvelle-Zélande

Date de la communication :

17 février 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 12 mai 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

7 novembre 2017

Objet :

Maintien en détention après l’exécution de sentences pénales

Questions de procédure :

Épuisement des recours internes ; irrecevabilité ratione materiae

Questions de fond :

Détention arbitraire ; conditions d’emprisonnement ; finalité de réadaptation sociale de l’emprisonnement ; caractère limité du contrôle juridictionnel

Article(s) du Pacte :

2, 9, 10 et 14 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

3 et 5 (par. 2 b))

1.Les auteurs de la communication sont Allan Brian Miller et Michael John Carroll, ressortissants néo-zélandais, nés respectivement en 1952 et en 1959. Ils allèguent que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 2, 9, 10 et 14 (par. 1) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Nouvelle-Zélande le 26 août 1989. Les auteurs sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

M. Miller

2.1M. Miller a été condamné à la détention de sûreté (emprisonnement de durée indéterminée) pour viol le 26 février 1991. Il est devenu admissible au bénéfice de la libération conditionnelle le 13 février 2001, après dix ans d’incarcération. Après que le Comité a formulé ses constatations dans l’affaire Rameka et consorts c. Nouvelle-Zélande , la durée minimale de la détention de sûreté prévue par la loi de 2002 relative aux peines a été ramenée à cinq ans. Les auteurs avaient cependant été condamnés avant cette modification, lorsque la période minimale de détention sans possibilité de libération conditionnelle était encore de dix ans.

2.2Le 6 mars 2001 et le 5 mars 2002, la Commission des libérations conditionnelles a examiné le cas de M. Miller et a refusé de lui accorder la libération conditionnelle sans motiver sa décision. La loi de 2002 relative à la libération conditionnelle fait obligation à la Commission de motiver par écrit ses décisions relatives au placement en détention ou à la remise en liberté de l’auteur d’une infraction. Le 5 novembre 2003, la Commission a rendu une ordonnance d’ajournement permettant de surseoir à l’examen de la question de la libération conditionnelle de M. Miller pendant trois ans au maximum. Le 9 décembre 2003, la Haute Coura décidé que les éléments d’appréciation pertinents ne justifiaient qu’un report de deux ans. La Haute Coura renvoyé la demande de M. Miller à la Commission pour réexamen. Le 18 avril 2004, la Commission a rejeté la demande de libération conditionnelle de M. Miller, sans motiver sa décision. M. Miller a soumis de nouvelles demandes de libération conditionnelle les 8 mars 2006 et 13 mars 2007, mais ces demandes, de même que ses demandes ultérieures de réexamen, ont été rejetées. Toutes les demandes de libération conditionnelle ultérieures de M. Miller ont été rejetées au motif que s’il était remis en liberté, il représenterait une menace excessive pour la sécurité publique.

2.3Depuis 1991, M. Miller a cherché à maintes reprises à suivre un traitement axé sur ses pulsions sexuelles et ses sentiments agressifs envers les femmes. Avant sa première comparution devant la Commission, le 6 mars 2001, il avait pris part à des programmes de traitement psychologique individuel et de groupe axés sur les problèmes personnels et les obstacles au traitement. Faute de ressources, il n’existait pas de programme de traitement spécifiquement axé sur la violence sexuelle. M. Miller ne s’est vu offrir la possibilité de suivre un traitement axé sur la violence qu’après sa première comparution devant la Commission des libérations conditionnelles, en 2001, et il a intégré le programme pilote de prévention du viol sept ans après la date à laquelle il est devenu admissible à la libération conditionnelle. Parce qu’il n’avait pas suivi un tel traitement avant sa première comparution devant la Commission, il n’avait pas, à ce moment-là, eu de chances réelles d’obtenir la libération conditionnelle.

2.4Au cours de sa détention à la prison de Tongariro, M. Miller a travaillé comme jardinier en dehors du périmètre sécurisé de l’établissement pendant plusieurs années sans incident. Cependant, il a dû quitter ce poste à la suite de la mise en œuvre en 2003 d’une politique assignant le statut de « délinquant à haut risque de récidive » aux délinquants jugés susceptibles de récidiver et de présenter un risque important pour la collectivité s’ils étaient remis en liberté. Les délinquants exécutant des peines de détention à des fins de prévention se sont vu attribuer automatiquement le statut de délinquant à haut risque, quel que soit le risque réel qu’ils présentaient. M. Miller affirme qu’en raison de cette qualification automatique, ainsi que du rejet de sa demande tendant à être exempté de l’application de la politique susvisée afin de pouvoir continuer à travailler en dehors du périmètre sécurisé de l’établissement, il lui était interdit d’effectuer un travail qui aurait facilité sa réinsertion et sa réadaptation sociales. Bien que la politique en question ait été annulée en 2006, il n’a pas été remédié aux injustices auxquelles elle a donné lieu pendant la période où elle a été appliquée.

M. Carroll

2.5Le 18 mars 1988, M. Carroll a été condamné à la détention de sûreté pour viol. Il est devenu admissible au bénéfice de la libération conditionnelle le 12 mars 1998, après dix ans d’incarcération. Les 16 octobre 1997, 10 septembre 1998, 8 septembre 1999, 5 septembre 2000 et 19 septembre 2001, M. Carroll a comparu devant la Commission des libérations conditionnelles. Chaque fois, il s’est vu refuser la libération conditionnelle sans être informé des motifs de la décision de la Commission. Au cours de cette période, il n’a pas reçu de véritable traitement portant sur son comportement. Le 20 juin 2002, la Commission a décidé qu’il devait bénéficier de permissions de sortie aux fins de réinsertion et d’un accompagnement psychologique soutenu, mais a rejeté sa demande de libération conditionnelle. M. Carroll a eu quatre sorties sous escorte, qui se sont déroulées sans incident.

2.6Le 6 décembre 2002, la Commission a ordonné que M. Carroll soit libéré sous condition le 11 février 2003. Après avoir été libéré et placé dans une résidence à Pukerua Bay, il n’a pas commis d’infraction, mais il consommait de l’alcool et fréquentait un salon de massage. En juin 2003, son identité et le lieu où il se trouvait ont été divulgués aux médias, probablement par le Département de l’administration pénitentiaire, et le retentissement donné à cette affaire l’a obligé à s’installer ailleurs. Il a été placé dans un hôtel, mais au lieu de s’y rendre il a passé la nuit dehors à Wellington, où il a consommé de l’alcool. Il a été demandé à M. Carroll de signer une décision modifiant les conditions de sa libération conditionnelle. Une de ces conditions était qu’il suive un programme de traitement résidentiel. Le 1er août 2003, M. Carroll a commencé un programme de traitement pour hommes d’une durée de six mois à la Fondation Salisbury Street, qui offrait des services de soutien psychologique en matière de consommation d’alcool et de drogues afin de faciliter l’intégration en toute sécurité des intéressés dans la collectivité. Il n’était pas autorisé à quitter les lieux sans un membre du personnel. Les médias ont à nouveau appris où il se trouvait, ce qui a à nouveau attiré l’attention sur lui. Le 7 août 2003, il a passé une nuit hors de la Fondation et a consommé de l’alcool, en violation des conditions de sa libération conditionnelle. Il n’a commis aucune infraction et est retourné à la Fondation le lendemain. Le 8 août 2003, le Président par intérim de la Commission a pris une ordonnance provisoire de réincarcération, et M. Carroll a été placé en détention. La Commission a examiné une demande tendant à donner un caractère définitif à la réincarcération de M. Carroll le 2 septembre 2003. Ce même jour, une ordonnance définitive de réincarcération a été rendue. Depuis lors, M. Carroll a comparu chaque année devant la Commission ; cependant, il est toujours en détention car la Commission estime qu’il constituerait une menace trop importante pour la sécurité publique s’il était remis en liberté.

2.7Après sa réincarcération, M. Carroll a été placé dans un quartier de haute sécurité mais, au fil du temps, il a été estimé qu’il présentait un risque moindre et il a été transféré dans l’unité d’auto-prise en charge le 6 août 2004. Cependant, s’étant vu attribuer le statut de délinquant à haut risque, il n’avait pas le droit de travailler hors du périmètre sécurisé de l’unité. Ayant le sentiment de ne pas être en mesure de participer pleinement aux activités de l’unité, il est devenu amer. Cela l’a conduit à agresser un autre détenu, avec pour conséquence qu’il a été transféré hors de l’unité.

2.8Avant sa première comparution devant la Commission, le 16 octobre 1997, M. Carroll n’avait pas reçu le traitement de fond voulu pour travailler sur le problème des violences et agressions sexuelles qu’il commettait contre des femmes. Bien qu’en 1995 son psychologue ait indiqué dans un rapport qu’il avait été mis fin à son traitement après 20 séances parce qu’il n’avait que peu d’effets, celui-ci n’a pas pris en considération les conséquences des violences que M. Carroll a subies pendant son enfance dans un hôpital public. Ces violences ont eu des incidences sur sa « capacité à nouer des relations ». Le premier rapport adressé par les Services psychologiques du Département de l’administration pénitentiaire à la Commission, daté du 10 septembre 1997, a été établi environ un mois avant la première comparution de M. Carroll devant la Commission, et il y est indiqué que les psychologues « ont renoncé » à poursuivre son traitement avant cette première comparution. Le 29 mars 2000, M. Carroll a intégré à nouveau un programme de traitement ciblant sa délinquance mais ce traitement est intervenu trop tard pour qu’il ait véritablement une chance d’obtenir sa libération à l’expiration de sa période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment qu’ils ont épuisé les recours internes, car ils ont été déboutés de leurs actions civiles conjointes alléguant une détention arbitraire et l’absence en temps voulu de traitement approprié en vue de leur réhabilitation par la Haute Cour et par la Cour d’appel les 16 décembre 2008 et 8 décembre 2010, respectivement. Le 23 mars 2011, la Cour suprême a rejeté la demande présentée par les auteurs pour être autorisés à faire appel.

Indépendance et impartialité de la Commission des libérations conditionnelles

3.2Les auteurs affirment que la Nouvelle-Zélande a violé les droits qu’ils tiennent des articles 9 (par. 4) et 14 (par. 1) du Pacte car leurs demandes de libération conditionnelle ont été rejetées par une commission qui n’est ni indépendante ni impartiale. La Commission devrait avoir l’indépendance et l’impartialité d’un tribunal. Dans le cas des auteurs, la Haute Courn’a pas tenu compte du fait que la Commission a les mêmes caractéristiques fondamentales qu’un tribunal, notamment le fait d’être habilitée à rendre en temps utile des décisions judiciaires concernant la légalité de la détention. De plus, la Commission est dénuée de tous les attributs d’un organe judiciaire indépendant, à savoir la sécurité financière, l’inamovibilité et l’autonomie administrative.

3.3En ce qui concerne la sécurité financière de la Commission, celle-ci est financée par le Département de l’administration pénitentiaire, qui n’est pas un tiers impartial dans le cadre des procédures de libération conditionnelle. Le salaire des membres de la Commission varient et sont fixés au cas par cas par le Comité des nominations et des décorations honorifiques du Cabinet. Les membres qui sont des juges reçoivent automatiquement le salaire d’un juge, tandis que le salaire des membres qui sont d’anciens juges est fixé par l’exécutif. Cette implication de l’exécutif compromet nécessairement l’indépendance de la Commission. La durée du mandat des membres de la Commission, qui est de trois ans, ne permet pas d’assurer l’indépendance judiciaire. Ce mandat est souvent revu au bout d’un an, ce qui expose encore plus les membres au risque d’être influencés par des considérations d’ordre politique. Les auteurs affirment que : a) l’exécutif prend part à la procédure de sélection des membres de la Commission ; b) le groupe parlementaire du parti majoritaire au sein de la coalition gouvernementale prend part à cette sélection, tandis que les autres partis ne sont pas consultés ; c) le Département de l’administration pénitentiaire et les psychologues qu’il emploie établissent chacun un rapport sur chaque détenu qui a le droit de solliciter des audiences de libération conditionnelle ; et d) le Département de l’administration pénitentiaire agit en tant que procureur dans les cas de réincarcération.

3.4La Commission ne jouit pas non plus de l’autonomie administrative, car le fait que le Département de l’administration pénitentiaire lui fournit divers services (y compris un soutien administratif sous la forme de moyens de logement, d’une formation empreinte d’un parti pris dont les membres n’ont pas conscience et d’assistance informatique) donne l’impression que la Commission et le Département forment une seule entité. Les membres de la Commission étant formés par des spécialistes du Département qui interviennent directement dans des cas individuels, leur impartialité est compromise. Avant 2005, le Département avait également recours à un système de prise de décisions structuré qui débouchait sur une évaluation du risque destinée à être utilisée dans le cadre de l’audience de libération conditionnelle, évaluation préliminaire généralement fondée sur l’infraction initiale commise par le détenu, ce qui préjugeait injustement de l’issue de l’audience. Les personnes en détention de sûreté se voyaient toujours classées dans la catégorie de risque « D » ou « E » (« E » étant la catégorie des personnes présentant le plus haut risque). M. Miller a été classé dans la catégorie « D » le 31 janvier 2002, et M. Carroll dans la catégorie « E » le 5 septembre 2001. Le juge de la Haute Courqui a confirmé ces évaluations est celui-là même qui a présidé la formation de trois membres de la Commission des libérations conditionnelles qui a refusé la libération conditionnelle aux auteurs. Après 2005, la Commission a continué à utiliser en partie ce système et à confier la formation de ses nouveaux membres aux psychologues du Département de l’administration pénitentiaire. Le programme de formation n’est pas neutre et compromet l’impartialité de la Commission. Bien que depuis 2005 la Commission assure elle-même la formation de ses nouveaux membres, le guide qu’elle utilisait avant 2005 avait été rédigé par le Département et était donc partial. L’édition de 2007 du guide n’a pas été rendue publique, créant une inégalité des armes au préjudice de l’auteur. Alors que le Département peut soumettre une quantité illimitée d’informations, la longueur des mémoires des détenus est limitée à quatre pages. Les membres de la Commission ne sont pas encouragés à rédiger des opinions dissidentes et rendent des décisions sans caractère officiel et non motivées. Les auteurs ont reçu plusieurs lettres n’ayant pas de caractère officiel (deux et huit, respectivement) dans lesquelles il leur était indiqué, par des formules toutes faites, que leurs demandes de libération conditionnelle avaient été rejetées compte tenu de la nature des infractions qu’ils avaient commises et pour préserver la sécurité publique. Ces lettres ne comportaient pas d’indications concernant les documents sur lesquels la Commission s’était fondée pour prendre ses décisions. Les audiences de libération conditionnelle ne sont généralement pas publiques et les auteurs d’infractions doivent demander l’autorisation de la Commission pour y être représentés par un conseil.

Réincarcération de M. Carroll

3.5L’État partie a violé les droits que M. Carroll tient du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte en le réincarcérant après qu’il eut enfreint les conditions de sa libération conditionnelle en quittant l’établissement où il suivait un programme de traitement résidentiel. La demande de réincarcération a été déposée de manière non officielle et ne comportait pas de précisions quant à la raison pour laquelle la Commission estimait que M. Carroll présentait un risque excessif pour la sécurité de la collectivité. Il semble que, lorsqu’il a été mis en liberté conditionnelle, le Département de l’administration pénitentiaire ait divulgué son adresse au public. La Commission ne s’est pas attachée à examiner les motifs de sa réincarcération. En outre, la formation de la Commission qui a décidé à tort de le réincarcérer comprenait le juge qui l’avait initialement condamné. M. Carroll a été contraint de quitter l’établissement où il suivait le programme de traitement et de disparaître en raison de l’augmentation de la pression médiatique causée par une deuxième fuite d’informations. Il n’a pas commis d’infraction pendant qu’il était en liberté conditionnelle, et bien qu’il ait enfreint l’une des conditions de sa libération conditionnelle, à savoir l’interdiction de quitter le lieu dans lequel il suivait un programme de traitement, il n’aurait pas dû être considéré qu’il y avait eu infraction à cette condition car cette infraction était la conséquence d’une irrégularité commise par le Département. La réincarcération était une mesure disproportionnée et inhumaine parce qu’elle n’avait pas de lien de causalité avec l’infraction que M. Carroll avait commise. En outre, avant l’audience, le Président de la Commission a tenté de prendre contact avec un psychologue du Département appelé à témoigner pendant ladite audience, ce qui était illégal.

Non-fourniture en temps utile d ’ un traitement de réadaptation axé sur le viol

3.6L’État partie a violé les droits que les auteurs tiennent des articles 9 (par. 4) et 10 (par. 3) du Pacte en ne leur proposant pas en temps utile, soit avant leur première comparution devant la Commission, un traitement de réadaptation axé sur le viol. Ils ont sollicité un tel traitement pour faire un travail sur leurs pulsions sexuelles et leurs sentiments agressifs envers les femmes mais ne se sont pas vu offrir les programmes voulus avant leurs premières audiences de libération conditionnelle, faute de ressources. M. Miller affirme que ce n’est que sept ans après la date à laquelle il pouvait prétendre à la libération conditionnelle qu’il a pu intégrer un programme pilote de prévention du viol. Les auteurs soutiennent que les programmes auxquels ils ont pris part avant leurs premières auditions étaient lacunaires et n’étaient pas axés sur leur comportement délictueux. Généralement, les détenus ne se voient offrir un traitement spécialisé qu’après être devenus admissibles au bénéfice de la libération conditionnelle et avoir comparu devant la Commission. Cette politique réduit leurs chances d’obtenir leur libération conditionnelle lors de la première audition. Le Département de l’administration pénitentiaire ne consacre pas des ressources suffisantes au traitement des délinquants sexuels adultes. Cette carence a entraîné la détention arbitraire des auteurs.

Impossibilité d’obtenir un emploi en dehors du périmètre sécurisé de l’établissement

3.7En attribuant automatiquement aux auteurs le statut de délinquant à haut risque de récidive au motif qu’ils étaient en détention de sûreté, l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 9 (par. 1) et 10 (par. 1 et 3) du Pacte. Plus précisément, leur statut de délinquant à haut risque aggravait les conditions de leur détention arbitraire, car il avait pour conséquence qu’ils ne pouvaient se prévaloir des possibilités d’emploi en dehors du périmètre de l’établissement. Leurs chances d’obtenir leur libération conditionnelle s’en sont ainsi trouvées réduites. Bien que la politique consistant à attribuer le statut de délinquant à haut risque ait été annulée le 1er avril 2006, il n’a pas été remédié aux injustices auxquelles elle a donné lieu pendant la période où elle a été appliquée aux auteurs. Il était également inhumain de mettre fin au droit qu’avait M. Miller d’accomplir des travaux de jardinage en dehors du périmètre de l’établissement.

Maintien en détention après la période d’inadmissibilité au bénéfice de la libération conditionnelle

3.8Le maintien des auteurs en détention après la période obligatoire d’inadmissibilité au bénéfice de la libération conditionnelle était arbitraire, en violation de l’article 9 du Pacte, car il ne reposait ni sur de nouveaux éléments de preuve ni sur une nouvelle condamnation. Après avoir exécuté la période minimum obligatoire, les auteurs auraient dû être détenus dans un centre de détention et non dans une prison, et auraient dû être habilités à participer à des programmes de réadaptation, à travailler en dehors du périmètre sécurisé de l’établissement et à vivre dans des unités d’auto-prise en charge distinctes. Parce que l’État partie ne leur a pas offert un traitement adéquat pendant leurs périodes de détention, il n’est pas en mesure de démontrer qu’une réadaptation aurait pu être possible avec des moyens moins perturbateurs que leur maintien en détention.

Absence de recours utile

3.9L’État partie a violé les droits que les auteurs tiennent des articles 2 (par. 2 et 3) du Pacte car il n’a pas incorporé le Pacte dans son droit interne et n’offre pas de recours utile en cas de violation de celui-ci. Soulever des questions en se fondant sur le Pacte peut même exposer les conseils des auteurs à des sanctions si la justice statue contre eux. Bien que l’État partie affirme son attachement au Pacte dans la Charte des droits de 1990 (Bill of Rights ), la Charte ne prime pas la législation ordinaire, et des lois incompatibles avec le Pacte ont été adoptées.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note en date du 12 novembre 2015, l’État partie fait valoir que dans son compte rendu de l’audience qu’elle a tenue concernant M. Miller le 15 décembre 2014, la Commission a souligné qu’un rapport psychologique sur M. Miller était « affligeant et dénotait un pronostic décourageant ». Cette année-là, M. Miller prenait part à un programme de mise en liberté pour travailler, dans le cadre duquel il était employé par l’entreprise Puke Coal, et cela faisait quatre ans qu’il vivait dans une unité d’auto-prise en charge. Il avait récemment bénéficié d’un accompagnement psychologique individuel soutenu, mais on estimait toujours qu’il y avait un risque important qu’il commette une infraction sexuelle et des violences. Le psychologue recommandait une éventuelle poursuite de la prise en charge dans le cadre d’un programme de traitement des délinquants sexuels adultes ou un accompagnement psychologique individuel. La Commission a conclu que M. Miller ne pouvait prétendre à la libération conditionnelle. Quant à M. Carroll, la décision de la Commission de le libérer le 11 février 2003 n’était pas fondée sur des recommandations du Département de l’administration pénitentiaire, lequel avait en fait jugé qu’il y avait un risque important que M. Carroll récidive. Le Département a reconnu qu’il était probablement à l’origine de la fuite par laquelle les médias avaient eu connaissance de l’identité de M. Carroll et du lieu où il se trouvait. M. Carroll n’a pas demandé sa libération conditionnelle lors de sa comparution devant la Commission le 27 août 2015. À l’époque, il suivait le programme de traitement des délinquants sexuels adultes. Il avait été constaté qu’il appréhendait de retourner vivre au sein de la collectivité et qu’il était déçu de lui‑même en raison de son comportement récent. Il reconnaissait avoir encore beaucoup de travail à faire sur lui-même avant de pouvoir être remis en liberté. La Commission a constaté que M. Carroll avait fait des progrès importants au cours des années précédentes, et elle s’est déclarée favorable à ce qu’il prenne part à des activités de réinsertion à un rythme adapté, telles que l’auto-prise en charge, la liberté provisoire et la mise en liberté pour travailler.

Indépendance et impartialité de la Commission des libérations conditionnelles

4.2L’État partie fait valoir que le paragraphe 1 de l’article 14 ne s’applique pas à la Commission, qui n’est pas appelée à décider du bien-fondé d’une accusation en matière pénale ou de contestations sur des droits et obligations de caractère civil. Il est indiqué dans l’observation générale no 32 (2007) du Comité, relative au droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, que la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14 ne s’applique pas lorsque le droit interne ne reconnaît aucun droit à la personne concernée, et que les droits et obligations de caractère civil ne sont pas en jeu lorsque l’intéressé se trouve confronté à des mesures prises à son encontre en sa qualité de personne subordonnée à un degré élevé de contrôle administratif.

4.3La Commission est suffisamment indépendante et impartiale et a les procédures voulues pour être considérée comme un tribunal au sens du paragraphe 4 de l’article 9, bien qu’elle n’ait pas tous les attributs d’un tribunal judiciaire. Il ressort clairement des travaux préparatoires du paragraphe 4 de l’article 9 que l’emploi du mot « tribunal » visait à couvrir un large éventail de systèmes juridiques. La question est de savoir si l’organe considéré satisfait, sur le fond comme sur le plan du fonctionnement, à l’obligation qui lui est faite par le paragraphe 4 de l’article 9 d’être en mesure de statuer de manière équitable et en toute indépendance sur la légalité du maintien en détention de l’intéressé et d’ordonner sa libération. Dans sa jurisprudence, le Comité a admis que la Commission était un tribunal aux fins du paragraphe 4 de l’article 9. En outre, les procédures d’évaluation aux fins de la libération conditionnelle sont conformes au paragraphe 4 de l’article 9 car les décisions de la Commission des libérations conditionnelles sont susceptibles de contrôle juridictionnel, sans restriction (aucune demande d’autorisation à cette fin n’est exigée). Les personnes ou organismes extérieurs, y compris les autorités exécutives néo-zélandaises, ne sont pas en mesure de dicter les décisions en matière de libération conditionnelle ni les influencer. Les membres de la Commission sont nommés pour une durée déterminée de trois ans ou moins, et l’Attorney general doit, avant de recommander la nomination d’une personne, s’assurer que celle-ci répond à des critères déterminés touchant aux connaissances et aux compétences. Dans la pratique, la Commission (qui compte actuellement 40 membres) a une composition mixte, comprenant des membres de l’appareil judiciaire, des avocats et des non-spécialistes ayant certaines connaissances et compétences.

Réincarcération de M. Carroll

4.4M. Carroll avait le droit de faire appel de sa réincarcération devant la Haute Cour en vertu de la loi relative à la libération conditionnelle mais il ne l’a pas fait. En ce qui concerne le fait que le juge ne se soit pas récusé, il ressort d’un examen du compte rendu de l’audience de la Commission que le juge a informé le conseil de M. Carroll du fait qu’il était celui qui avait prononcé la peine, et que le conseil ne s’est pas opposé à ce qu’il continue de prendre part à l’examen de la question. La Cour d’appel a jugé à bon droit qu’ordonner la remise en liberté de M. Carroll serait futile, comme le montrent les décisions ultérieures (et non contestées) selon lesquelles M. Carroll présente un risque trop important pour bénéficier de la libération conditionnelle. En ce qui concerne le lien entre l’infraction commise et le motif de la réincarcération, la Cour a souligné que la situation de M. Carroll était inhabituelle en cela qu’il avait été remis en liberté alors que le Département de l’administration pénitentiaire n’avait pas recommandé sa libération parce qu’il le considérait comme un détenu à haut risque de récidive. Tout au long de la période pendant laquelle il était en liberté conditionnelle, le Département a maintenu qu’il présentait un risque important. La Commission des libérations conditionnelles a simplement fondé sa décision de réincarcérer M. Carroll sur cette appréciation inchangée.

Non-fourniture en temps utile d’un traitement de réadaptation axé sur le viol

4.5La loi de 2004 relative aux établissements pénitentiaires, qui prévoit un dispositif complet aux fins de la réadaptation, dispose que le Directeur général du Département de l’administration pénitentiaire « doit veiller à ce que, dans la mesure des ressources disponibles et sous réserve des prescriptions ou instructions édictées en vertu de l’article 196, des programmes de réadaptation soient offerts aux détenus condamnés à une peine d’emprisonnement qui, de l’avis du Directeur général, tireraient profit de ces programmes ». L’État partie cite plusieurs autres dispositions de la loi qui portent sur des droits précis accordés aux détenus (notamment possibilité d’utiliser leur temps de manière constructive, programmes de travail rémunéré, accès régulier à des visiteurs privés, accès à l’information et à des services de bibliothèque et poursuite des études, accès à un enseignement gratuit et à l’acquisition de compétences en matière de lecture et d’écriture, et accès à une stratégie en matière de drogues et d’alcool). Ce dispositif satisfait largement aux exigences du paragraphe 3 de l’article 10, lequel ne confère pas au détenu le droit absolu de dicter de quel traitement ou programme particulier de réadaptation il souhaite bénéficier, sans considération de la disponibilité du programme, de ses chances de donner de bons résultats ou de son coût.

4.6Les auteurs ont bien suivi des traitements pour leur délinquance sexuelle et des traitements général de réadaptation. Il en est issu un grand nombre de rapports psychologiques établis à l’intention de la Commission, et un aperçu des programmes de traitement et de réadaptation qu’ils ont suivis ou auxquels ils ont eu accès pendant leur incarcération a également été donné à la Commission.

4.7Le fait que M. Miller n’ait pas reçu de traitement de prévention de la rechute n’a rien d’extraordinaire car comme l’a souligné la Cour d’appel, aucun programme de ce type n’a fait la preuve de son efficacité. En outre, l’évaluation faite par la Commission n’était pas principalement fondée sur la question de savoir si M. Miller avait achevé des programmes donnés.

4.8Bien que M. Carroll affirme que le psychologue qui l’a examiné n’a pas tenu compte des violences qu’il avait subies pendant son enfance dans un hôpital public, il ressort de la version intégrale du rapport pertinent de 1996 qu’en fait cette question avait été abordée avant sa première audition devant la Commission.

Impossibilité d’obtenir un emploi en dehors du périmètre sécurisé de l’établissement

4.9La politique qui restreignait la capacité des auteurs de chercher un emploi en dehors du périmètre de l’établissement a été abandonnée. Lorsque le statut de délinquant à haut risque des auteurs les empêchait de travailler en dehors du périmètre de l’établissement, cela n’avait pas d’incidence sur leurs possibilités d’obtenir du travail dans ce périmètre et ne les a pas empêchés d’entreprendre des activités de réinsertion ou un traitement psychologique. Cela n’avait pas d’incidences sur leur classement sur le plan de la sécurité et sur leur possibilité d’obtenir des libérations temporaires, la mise en liberté pour travailler sur la recommandation de la Commission et des sorties sous escorte et de bénéficier d’une gestion de leur peine, ou encore sur leur placement dans telle ou telle unité. Cela n’avait pas non plus d’incidence sur leur admissibilité au bénéfice de la libération conditionnelle. M. Carroll ne jouissait que de droits limités en matière de travail car : a) il avait le statut de consommateur régulier de drogues, ayant été contrôlé positif lors de tests de dépistage de cannabis ; et b) il avait agressé un codétenu lorsqu’il était dans l’unité d’auto‑prise en charge. Lorsque M. Miller a perdu son emploi de jardinier en dehors du périmètre de l’établissement, il n’était pas sans emploi. Ses possibilités de travailler à nouveau en dehors du périmètre de l’établissement après l’annulation de la politique ont été compromises par son propre comportement.

Maintien en détention après la période d’inadmissibilité au bénéfice de la libération conditionnelle

4.10Il n’y a pas de politique exigeant qu’un détenu en détention de sûreté ait achevé un programme pour délinquants sexuels adultes pour être admissible à la libération conditionnelle. Les faits montrent que c’est le contraire qui est vrai : M. Carroll a été mis en liberté conditionnelle en 2003 sans avoir achevé de programme officiel de ce type, alors que la Commission continue d’estimer que M. Miller, qui a achevé un programme pilote de traitement pour délinquants sexuels adultes en 2007, présente un risque trop important pour être remis en liberté.

Absence de recours utile

4.11Les griefs que les auteurs tirent de l’article 2 sont irrecevables car ils n’ont pas été soulevés devant les tribunaux internes. De surcroît, ces griefs sont infondés. La Haute Courcomme la Cour d’appel se sont livrées à un examen approfondi des arguments des auteurs fondés sur le Pacte. Il est donc faux d’affirmer que certains tribunaux néo-zélandais refusent même de connaître de griefs fondés sur le Pacte. De fait, la Nouvelle-Zélande a incorporé le Pacte dans son droit interne en prenant diverses mesures, notamment en adoptant la loi de 1990 portant Charte néo-zélandaise des droits. Cette loi est applicable à toutes les mesures prises en vertu du droit interne, et les lois doivent être interprétées conformément à ses dispositions. En outre, un tribunal peut faire une déclaration s’il estime qu’une loi ne lui est pas conforme. Le Pacte a également été incorporé au moyen d’autres mesures législatives et administratives, notamment la loi de 2002 relative à la libération conditionnelle et la loi de 2004 relative aux établissements pénitentiaires.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans des commentaires en dates du 20 janvier 2016 et du 20 février 2017, les auteurs ont informé le Comité que la dernière demande de libération conditionnelle de M. Miller avait été rejetée le 15 décembre 2014 et celle de M. Caroll le 27 août 2015. Aucun des auteurs n’était représenté par un conseil à l’audience le concernant. La périodicité de l’examen aux fins de la libération conditionnelle prescrite par la loi relative aux libérations conditionnelles est de deux ans.

5.2En août 2015, le Groupe de travail sur la détention arbitraire a rendu ses conclusions dans l’affaire A. c. Nouvelle-Zélande (A/HRC/WGAD/2015/21). L’État partie n’a pas répondu à la plainte en question, qui a été soumise au Groupe de travail par une personne qui avait passé quarante-cinq ans en internement psychiatrique et en prison et qui présentait une déficience intellectuelle. Le Groupe de travail a estimé que le maintien en détention du requérant après 2004 pour protéger le public constituait une privation arbitraire de liberté et une violation de l’article 9 du Pacte. Les auteurs s’appuient sur le raisonnement du Groupe de travail et dénoncent un recours excessif à la détention de sûreté en Nouvelle-Zélande, où 341 personnes font l’objet d’une telle mesure.

5.3Les auteurs réaffirment qu’il est futile de tenter d’épuiser les recours internes parce que le Pacte n’a pas été directement incorporé dans le droit interne et notent que l’État partie a, par le passé, menacé d’exiger des frais personnels pour toute nouvelle action fondée sur le Pacte engagée devant les tribunaux nationaux, ce qui a un effet dissuasif.

5.4Les procédures devant la Commission des libérations conditionnelles peuvent être qualifiées de pénales ou de civiles, et relèvent donc du champ d’application du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le mandat de trois ans des membres de la Commission est trop court. L’État partie n’a pas formulé d’observations sur la question du manque apparent d’indépendance de celle-ci et n’a pas suffisamment expliqué pourquoi les juges à la retraite reçoivent des salaires différents pour l’exercice de la même fonction de président de la Commission. Le clientélisme politique est courant en matière de nominations judiciaires et l’opposition politique n’est « pas consultée ».

5.5La réincarcération de M. Carroll pour une violation mineure et les treize années supplémentaires de détention qui ont suivi sont totalement disproportionnées. Selon l’observation générale no 35 (2014) du Comité, relative à la liberté et la sécurité de la personne, dont l’État partie n’a pas fait mention, les conditions de la détention ordonnée à des fins de prévention doivent être différentes du régime des prisonniers condamnés exécutant leur peine et doivent viser à assurer la réadaptation et la réinsertion sociale du détenu. Or les conditions de la détention de M. Carroll pendant la période punitive et la période préventive de sa peine étaient identiques.

5.6Le nombre et le type de cours de développement personnel suivis par les auteurs importent peu. Les auteurs n’ont pas eu accès au programme ciblé dont ils avaient besoin « car il n’y en avait pas ». Même s’ils étaient considérés comme à haut risque de récidive, les auteurs auraient pu être maintenus sous surveillance au sein de la collectivité et non en prison. Les rapports psychiatriques et psychologiques ne sont pas des rapports scientifiques et ne sauraient être considérés comme l’outil par excellence pour tester les personnalités psychopathiques. La loi n’autorise pas les États à priver les citoyens de leurs droits constitutionnels en raison d’un manque de ressources. M. Miller n’a pas suivi de traitement en 2004 parce qu’il ne pensait pas que celui-ci était adapté.

Observations orales

6.1À l’invitation du Comité et en vertu des instructions relatives à la formulation d’observations orales concernant une communication (CCPR/C/159) adoptées par le Comité à sa 120e session, les représentants légaux des deux parties se sont présentés devant le Comité le 31 octobre 2017 (par vidéoconférence pour les représentants de l’État partie), ont répondu aux questions des membres du Comité sur leurs positions et ont fourni des éclaircissements. Les auteurs ont également présenté par écrit des informations supplémentaires, y compris les dernières décisions de la Commission des libertés conditionnelles refusant d’accorder la liberté conditionnelle à M. Carroll en 2016 et à M. Miller en 2017.

6.2.Les deux parties ont invoqué une déclaration sous serment présentée le 29 mai 2008 par David Riley, le Directeur du Service psychologique du Département de l’administration pénitentiaire, en ce qui concerne les procédures engagées par les auteurs devant la Haute Cour. Le conseil des auteurs a fait valoir que selon cette déclaration, le risque de récidive des délinquants sexuels libérés au cours de la décennie ayant suivi leur libération était de 12 à 14 % et qu’eu égard à ce taux les évaluations de « risque excessif » de récidive étaient peu fiables et la décision de maintenir les auteurs en détention préventive disproportionnée. Le représentant de l’État partie a soutenu que les évaluations du risque utilisées par la Commission dans l’exercice de son pouvoir d’accorder la libération conditionnelle en vertu de l’article 28 de la loi sur la libération conditionnelle étaient fondées sur des données à la fois statiques et dynamiques, qui étaient individualisées pour chaque détenu devant être entendu par la Commission, et qui influençaient l’évaluation de celle-ci quant à la probabilité, la nature et la gravité d’une éventuelle récidive.

6.3.Les parties ont également évoqué une autre déclaration sous serment, produite dans la même instance de la Haute Cour par James Ogloff, Président du Centre de psychologie clinico-légale de l’Université Monash de Melbourne (Australie). Selon le représentant de l’État partie, cette déclaration sous serment étaye la validité scientifique des méthodes employées par la Commission. Le conseil des auteurs a souligné que cette déclaration reconnaissait qu’étant donné l’état actuel de la science, les évaluations du risque servant de base aux décisions n’étaient pas encore pleinement fiables.

6.4.Le conseil des auteurs a évoqué deux décisions judiciaires de la Cour européenne des droits de l’homme à l’appui de sa position concernant les carences du régime de la détention de sécurité en Nouvelle-Zélande : Weeksc. Royaume-Uni (concernant l’indépendance d’une commission de libération conditionnelle) et Hutchinson c. Royaume-Uni (concernant la nécessité de donner aux détenus condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité accès à des réexamens périodiques de leur peine après vingt-cinq ans d’emprisonnement). Le représentant de l’État partie a expliqué qu’en droit pénal interne, la période totale d’emprisonnement, y compris la détention de sûreté, avait des fins à la fois punitives, de protection et de réadaptation. Les deux parties ont indiqué que les décisions de la Commission des libérations conditionnelles pouvaient faire l’objet d’un contrôle de la Haute Cour, mais que ce contrôle n’était pas un contrôle quant au fond reposant sur un examen complet des faits de la cause, mais était limité à une vérification du respect des procédures, moyennant des exceptions limitées en cas de décision « déraisonnable ».

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’auteur doit exercer tous les recours judiciaires internes pour satisfaire à la condition énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, pour autant que de tels recours semblent être utiles en l’espèce et lui soient de facto ouverts. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes en ce qui concerne le grief qu’ils tirent de l’article 2 du Pacte, et de la réponse des auteurs selon laquelle il n’est pas possible de le faire car le Pacte n’a pas été incorporé dans le droit interne. Le Comité rappelle également que les dispositions de l’article 2, qui définissent les obligations générales des États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité considère que ces griefs sont irrecevables en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.4Considérant que les autres griefs des auteurs sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, le Comité les déclare recevables en ce qu’ils soulèvent des questions au regard des articles 9 (par. 1 et 4), 10 (par. 1 et 3) et 14 (par. 1) du Pacte, et il procède à leur examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

Non-fourniture en temps utile d’un traitement de réadaptation axé sur le viol

8.2Le Comité prend note des griefs formulés par les auteurs au titre des articles 9 (par. 4) et 10 (par. 3) du Pacte, selon lesquels l’État partie ne leur a pas proposé un traitement de réadaptation axé sur le viol en temps utile, soit avant leur première comparution devant la Commission, avec pour conséquence qu’ils étaient moins à même d’obtenir la libération conditionnelle. Le Comité prend également note de l’affirmation des auteurs selon laquelle le manque de ressources financières ne dispense pas l’État partie de satisfaire à son obligation de fournir un tel traitement de réadaptation. Le Comité rappelle qu’il est du devoir de l’État partie, dans les cas de condamnation à une peine de détention de sûreté, d’apporter au détenu l’assistance nécessaire pour lui permettre d’être remis en liberté dès que possible sans représenter un danger pour la collectivité. Le Comité note que selon les autorités nationales, les auteurs ne se sont pas vu offrir de programme ciblant spécifiquement les délinquants sexuels adultes (hormis la participation de M. Miller à un programme pilote) parce qu’aucun programme de ce type n’a fait la preuve de son efficacité ; les auteurs ont bénéficié d’un traitement pour leur délinquance sexuelle et d’un traitement général de réadaptation sous la forme d’un accompagnement psychologique individuel et de programmes d’enseignement, de formation professionnelle et d’acquisition de compétences pratiques, ainsi que de programmes portant sur l’alcoolisme et la consommation de drogues, la violence, la gestion de la colère et la pensée clairvoyante ; et le fait d’avoir achevé un traitement de réadaptation axé sur le viol n’était pas un élément déterminant dans les prises de décisions de la Commission des libérations conditionnelles, comme en témoigne le fait que M. Carroll a été mis en liberté conditionnelle sans avoir achevé un programme officiel de ce type, tandis que M. Miller a achevé un programme pilote de traitement pour délinquants sexuels adultes mais que la Commission continue d’estimer qu’il présente un risque trop important pour être remis en liberté. Le Comité note en outre que l’État partie a fait référence aux informations contenues dans la déclaration sous serment de M. Riley en ce qui concerne les raisons qui justifiaient la proximité temporelle du commencement des programmes de traitement spéciaux de la date de la libération, et le fait que les auteurs ont parfois refusé de suivre d’autres programmes de traitement disponibles axés sur les causes de leur délinquance. Le Comité considère donc que, dans les circonstances particulières de l’espèce, les auteurs n’ont pas étayé leur affirmation selon laquelle la non-disponibilité de traitements de réadaptation axés sur le viol efficaces a eu pour conséquence qu’ils étaient moins à même d’obtenir la libération conditionnelle. En conséquence, le Comité n’est pas en mesure de conclure que le fait que l’État partie n’ait pas fourni en temps voulu un traitement de réadaptation axé sur le viol constituait une violation des droits que les auteurs tiennent des articles 9 (par. 4) ou 10 (par. 3) du Pacte.

Maintien en détention après la période d’inadmissibilité au bénéfice de la libération conditionnelle

8.3Le Comité note que M. Carroll se trouve en détention de sûreté depuis 1998 (soit une période de dix-neuf ans), mise à part la période de sa libération conditionnelle, qui a duré environ neuf mois et est intervenue il y a une quinzaine d’années. Le fait qu’il n’a pas commis de nouvelle infraction pendant qu’il était en liberté conditionnelle n’est pas contesté. M. Miller se trouve en détention de sûreté sans interruption depuis 2001 (soit une période de seize ans). Ainsi, après avoir exécuté une peine de dix ans d’emprisonnement pour viol, les auteurs ont purgé chacun une peine de détention de sûreté de quinze années supplémentaires parce qu’ils étaient soupçonnés d’éventuelles récidives, malgré leurs nombreuses demandes de libération conditionnelle. Le Comité rappelle son observation générale no 35, selon laquelle « [u]ne arrestation ou une détention peut être autorisée par la législation interne et être néanmoins arbitraire. L’adjectif “arbitraire” n’est pas synonyme de “contraire à la loi” mais doit recevoir une interprétation plus large, intégrant le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires, ainsi que les principes du caractère raisonnable, de la nécessité et de la proportionnalité. ». Dans la même observation, le Comité a souligné que la détention ordonnée à des fins de prévention devait faire l’objet de certaines restrictions pour satisfaire aux prescriptions de l’article 9. Précisément, quand une condamnation pénale fixe une période punitive suivie d’une période non punitive, une fois que la période punitive est achevée la détention supplémentaire doit, pour ne pas être arbitraire, être justifiée par des raisons impérieuses et la situation doit être réexaminée périodiquement par un organe indépendant afin de décider si le maintien en détention est justifié. Les États ne devraient appliquer cette détention qu’en dernier ressort et doivent faire preuve de circonspection et offrir les garanties voulues dans l’évaluation d’un danger futur. De plus, les conditions de la détention ordonnée à des fins de prévention « doivent être différentes du régime des prisonniers condamnés exécutant leur peine et doivent viser à assurer la réadaptation et la réinsertion sociale du détenu. ». Le Comité considère que, en l’espèce, les conditions et la durée prolongée de la détention de sûreté des auteurs soulèvent de sérieux doutes quant au respect des principes du caractère raisonnable, de la nécessité et de la proportionnalité, ainsi que de la justification du maintien en détention, énoncés dans l’observation générale no 35.

8.4Le Comité prend note de l’argument des auteurs tiré de l’article 9 du Pacte selon lequel après avoir accompli leur période obligatoire d’inadmissibilité au bénéfice de la libération conditionnelle, ils ont été détenus de façon arbitraire parce qu’il n’y avait pas de nouvel élément de preuve à charge contre eux, ils n’ont été reconnus coupables d’aucune nouvelle infraction pouvant justifier leur maintien en détention de sûreté , et leurs conditions de détention sont les mêmes que pendant la période punitive de leur peine. Le Comité note en outre l’explication de l’État partie selon laquelle les décisions de la Commission de libération conditionnelle d’ordonner ou non la libération de détenus en détention de sûreté sont fondées sur une évaluation, en application de l’article 7 de la loi de 2002 sur la libération conditionnelle, de la mesure dans laquelle ils constituent ou non un « risque excessif » pour la sécurité de la communauté, et que la détention ne doit pas être plus longue qu’il est absolument nécessaire pour assurer cette sécurité. Le Comité note à cet égard l’affirmation incontestée des auteurs selon laquelle la Commission des libérations conditionnelles n’est pas autorisée à tenir compte de la proportionnalité d’ensemble de la durée de la détention par rapport à l’infraction pour laquelle les détenus dont elle examine le cas ont été condamnés, et que l’article 7 de la loi sur la libération conditionnelle lui fait obligation d’accorder une « importance primordiale » à la sécurité de la communauté.

8.5Le Comité considère que plus la détention de sûreté est longue, plus lourde est la charge de la preuve qui incombe à l’État partie pour justifier le maintien en détention et montrer que la menace que représente la personne concernée ne peut pas être écartée par d’autres mesures que la détention. Par conséquent, un niveau de risque pouvant raisonnablement justifier une détention préventive à court terme pourra ne pas nécessairement justifier une détention préventive de plus longue durée. L’État partie n’a pas non plus montré que d’autres moyens, moins attentatoires, qui n’impliquaient pas une nouvelle prolongation de la privation de liberté des auteurs, n’étaient pas disponibles pour réaliser l’objectif de protection de la communauté.

8.6Le Comité rappelle d’autre part que, d’après l’article 9 du Pacte, les conditions de la détention ordonnée à des fins de prévention doivent être différentes du régime des prisonniers condamnés exécutant leur peine. À cet égard, le Comité prend note de la position de l’État partie selon laquelle les objectifs de la détention demeurent les mêmes. Il note également que la détention conserve un caractère punitif, qu’un individu purge la partie punitive ou la partie préventive de sa peine. Le Comité fait observer que si M. Miller s’est vu depuis longtemps offrir diverses formes de conseils et d’accompagnement psychologique, il est devenu admissible au bénéfice de la libération conditionnelle en 2001 mais n’a été transféré dans l’unité d’auto-prise en charge que neuf ans plus tard, en 2010. M. Carroll est devenu admissible au bénéfice de la libération conditionnelle en 1998 mais n’a été transféré dans l’unité d’auto-prise en charge qu’en 2004. Sur la base des informations dont il dispose, le Comité considère que la période de détention préventive des auteurs n’a pas été suffisamment distincte de la durée de leur emprisonnement durant la partie punitive de leur peine (avant qu’ils puissent prétendre à la libération conditionnelle), et qu’elle ne visait pas au premier chef à leur réadaptation et leur réinsertion dans la société comme l’exigent les articles 9 et 10 (par. 3) du Pacte. Dans ces circonstances, le Comité considère que la durée de la détention de sûreté des auteurs, ajoutée au fait que l’État partie n’a pas modifié comme il convient le caractère punitif de leurs conditions de détention à l’expiration de leur période d’inadmissibilité au bénéfice de la libération conditionnelle, constitue une violation des articles 9 (par. 1) et 10 (par. 3) du Pacte.

Réincarcération de M. Carroll

8.7Le Comité prend note en outre du grief que M. Carroll tire du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, selon lequel depuis sa réincarcération il est détenu arbitrairement par l’État partie, celui-ci n’ayant pas expliqué les raisons de cette réincarcération. Le Comité rappelle que pour que cette décision ne puisse pas être qualifiée d’arbitraire, l’État partie doit prouver que la réincarcération n’était pas injustifiée au regard du comportement reproché, et que la détention qui s’en est suivie fait l’objet d’un examen régulier par un organe indépendant. Le Comité rappelle également que la réincarcération d’une personne qui avait été condamnée pour une infraction violente puis mise en liberté conditionnelle pour qu’elle continue d’exécuter sa peine, suite à la commission d’infractions non violentes pendant qu’elle était en liberté conditionnelle, peut être considérée dans certaines circonstances comme arbitraire au regard du Pacte. Dans les constatations qu’il a adoptées dans l’affaire Manuel c. Nouvelle-Zélande, le Comité a apprécié cette question en cherchant à déterminer s’il existait un lien suffisant entre le comportement de l’intéressé pendant qu’il était en libération conditionnelle et sa condamnation initiale.

8.8Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les articles 60 et 61 de la loi sur la libération conditionnelle prévoient la réincarcération lorsqu’un délinquant est de nouveau évalué comme constituant un « risque excessif » pour la communauté parce qu’il n’a pas respecté les conditions de sa libération conditionnelle, ou a commis une infraction punie d’une peine d’emprisonnement. Le Comité relève en outre que la Cour d’appel a examiné l’argument de M. Carroll selon lequel contrairement aux circonstances décrites dans l’affaire Manue lc. Nouvelle-Zélande, dans son cas la réincarcération n’était pas suffisamment liée à l’infraction de viol. Il relève en outre que M. Carroll reconnaît avoir enfreint les conditions auxquelles était assujettie sa libération conditionnelle en quittant à deux reprises l’établissement où il suivait un programme de traitement et en consommant de l’alcool au cours d’une nuit passée hors de cet établissement. Après s’être livré à une analyse détaillée de la décision écrite de réincarcération de la Commission, la Cour a rejeté l’argument de M. Carroll selon lequel le lien entre l’infraction qu’il avait commise et sa réincarcération était insuffisant. La Cour a relevé que l’infraction qu’avait commise M. Carroll en état de récidive lui avait valu d’être considéré comme présentant un risque important de récidive et, partant, d’être particulièrement susceptible d’être réincarcéré ; qu’il avait quitté l’établissement où il suivait un programme de traitement à deux reprises pendant une période de cinq jours, en n’ayant ni soutien ni moyen de subvenir à ses besoins ; qu’il n’avait pas essayé de prendre contact avec la police ou avec d’autres personnes pour les informer du lieu où il se trouvait ; que lorsqu’il avait quitté l’établissement, il avait passé le plus clair de son temps dans un bar et un salon de massage, et que son comportement représentait un risque excessif pour la sécurité de la communauté. Compte tenu de ces raisons, le Comité n’est pas en mesure de conclure que la modification de l’évaluation du danger que constituait M. Caroll ayant fait suite à la violation par l’intéressé des conditions de sa libération conditionnelle était déraisonnable, ni que sa réincarcération constituait en elle-même une détention arbitraire (nonobstant les fuites regrettables alléguées par lesquelles le Département de l’administration pénitentiaire aurait informé les médias de l’endroit où se trouvait M. Caroll).

8.9Le Comité note toutefois que M. Carroll n’a pas été réincarcéré pour continuer à purger une peine mais qu’il a de nouveau été placé en détention de sûreté pendant treize années supplémentaires. Dans ces conditions, et pour les raisons exposées au paragraphe 8.6 ci-dessus, le Comité considère que la longue période de détention imposée à M. Carroll suite à sa réincarcération est incompatible avec les droits que l’intéressé tenait de l’article 9 (par. 1) du Pacte.

Impossibilité d’obtenir un emploi en dehors du périmètre sécurisé de l’établissement en raison de l’attribution automatique du statut de délinquant à haut risque

8.10Le Comité prend note des griefs que les auteurs tirent des articles 9 (par. 1) et 10 (par. 1 et 3) du Pacte, selon lesquels l’État partie a aggravé leurs conditions de détention en leur attribuant automatiquement le statut de délinquant à haut risque parce qu’ils exécutaient des peines de détention de sûreté, ce qui les a empêchés de travailler en dehors du périmètre sécurisé de l’établissement de détention. Il prend également note de l’argument des auteurs selon lequel le fait qu’ils ne pouvaient pas travailler en dehors du périmètre de l’établissement réduisait leurs chances d’obtenir la libération conditionnelle. Le Comité prend note en outre de l’argument des autorités nationales selon lequel la seule conséquence qu’a eue le statut de délinquant à haut risque pour les auteurs quand ils étaient en prison étaient les restrictions susmentionnées concernant le travail qui leur ont été imposées pendant une période de vingt-deux mois ; ces restrictions visaient à faire en sorte que la possibilité de travailler en dehors du périmètre de l’établissement ne soit offerte qu’aux détenus ayant le statut voulu sur le plan de la sécurité et qui font preuve d’un comportement et d’une attitude appropriés, qui ne consomment pas de drogues et qui n’ont pas été impliqués dans des incidents ; les auteurs se sont vu attribuer le statut de délinquant à haut risque parce qu’il a été jugé qu’en raison de leur qualité de délinquants sexuels récidivistes, ils continuaient de présenter un risque réel pour la collectivité.

8.11Le Comité rappelle que, si le Pacte ne limite pas la faculté des États parties d’autoriser une peine indéfinie comportant un élément de prévention, les conditions d’une telle détention doivent viser à la réadaptation du détenu et à sa réinsertion sociale. S’agissant du rejet de la demande soumise par M. Miller en 2006 pour être exempté de l’application de la politique d’attribution du statut de délinquant à haut risque, le Comité relève que la Commission des libérations conditionnelles a estimé qu’en 2005, M. Miller « était loin d’avoir réglé le problème qui l’amenait à commettre de graves infractions », et qu’elle n’a pas recommandé que M. Miller soit autorisé à travailler en dehors du périmètre sécurisé de l’établissement ; que pendant la plus grande partie de la période considérée, M. Miller travaillait dans le périmètre sécurisé de la prison et qu’il s’acquittait bien de ses tâches ; et que les détenus avaient beaucoup plus de possibilités d’emploi dans le périmètre sécurisé de la prison qu’à l’extérieur de celui-ci. Le Comité constate que la Commission n’a pas précisé les mesures que M. Miller aurait pu prendre pour régler complétement le problème qui l’amenait à commettre des infractions et pouvoir ainsi être exempté de l’application de la politique susvisée. Le Comité relève que M. Miller avait travaillé hors du périmètre sécurisé pendant plusieurs années sans le moindre incident avant de se voir attribuer le statut de délinquant à haut risque. Le Comité note cependant que l’État partie affirme que M. Miller aurait pu bénéficier d’autres mesures de réadaptation et de réinsertion après avoir perdu l’autorisation de travailler à l’extérieur, notamment un traitement pour sa délinquance sexuelle et un traitement général de réadaptation sous la forme d’un accompagnement psychologique individuel et de programmes d’enseignement, de formation professionnelle et d’acquisition de compétences pratiques, ainsi que de programmes portant sur l’alcoolisme et la consommation de drogues, la violence, la gestion de la colère et la pensée clairvoyante. Dans ces conditions, le Comité n’est pas en mesure de conclure que l’impossibilité où se trouvait M. Miller de travailler hors du périmètre sécurisé pendant la période effective d’application de la politique susvisée a constitué une violation des droits qu’il tient des articles 9 (par. 1) et 10 (par. 1 et 3) du Pacte.

8.12En ce qui concerne M. Carroll, le Comité prend note du constat des tribunaux nationaux selon lequel sa demande d’exemption des restrictions concernant le travail a été rejetée en raison de sa consommation récurrente de drogues et de l’agression qu’il avait commise quand il était dans l’unité d’auto-prise en charge. Compte tenu de ce raisonnement, et à la lumière des informations sur les autres mesures de réadaptation et de réinsertion dont M. Caroll pouvait bénéficier, le Comité considère que l’impossibilité faite à M. Carroll de travailler hors du périmètre sécurisé parce qu’il était considéré comme un délinquant à haut risque n’a pas constitué une violation des droits qu’il tient des articles 9 (par. 1) et 10 (par. 1 et 3) du Pacte.

Indépendance et impartialité de la Commission des libérations conditionnelles

8.13Le Comité prend note des griefs formulés par les auteurs au titre des articles 9 (par. 4) et 14 (par. l) du Pacte, selon lesquels la Commission des libérations conditionnelles n’est pas indépendante ni impartiale et leurs demandes de libération conditionnelles ont été injustement rejetées, avec pour conséquence qu’ils ont été détenus arbitrairement. Le Comité prend note en particulier des arguments des auteurs selon lesquels la Commission, lorsqu’elle examinait la question de leur admissibilité au bénéfice de la libération conditionnelle et statuait sur la légalité de leur détention, agissait dans l’exercice de pouvoirs judiciaires, et qu’elle devait donc respecter les prescriptions applicables aux tribunaux en vertu du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. À cet égard, le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel, ainsi que l’ont jugé les tribunaux nationaux, le paragraphe 1 de l’article 14 ne s’applique pas à la Commission et celle‑ci n’agissait pas dans l’exercice de pouvoirs judiciaires car elle examinait l’opportunité (et non la légalité) de la détention des auteurs.

8.14Le Comité renvoie à ses constatations dans l’affaire Rameka et consorts c. Nouvelle ‑ Zélande, dans lesquelles il s’est demandé si la Commission des libérations conditionnelles « devrait être considérée comme n’étant pas assez indépendante ou impartiale, ou déficiente sur le plan de la procédure » et a conclu qu’il n’avait pas été démontré que tel était le cas, d’autant plus que les décisions de la Commission faisaient l’objet d’un contrôle juridictionnel. Le Comité note toutefois que les deux parties ont reconnu devant lui que les pouvoirs de contrôle juridictionnel exercés sur les décisions de la Commission étaient très limités dans leur portée. Il note également que : a) la Commission est un organe administratif, dont l’État partie ne considère pas qu’il exerce des fonctions judiciaires ; b) la principale tâche de la Commission en matière de libération conditionnelle est d’évaluer si le détenu en détention préventive représente un « risque excessif » pour la communauté ; et c) étant donné la durée indéfinie de la détention de sûreté en Nouvelle‑Zélande, c’est la Commission, et non les tribunaux, qui détermine en fait la durée finale de cette détention.

8.15Le Comité rappelle son observation générale no 35 concernant l’article 9 du Pacte, aux termes de laquelle :

Le paragraphe 4 donne à l’individu le droit d’introduire un recours « devant un tribunal », qui devrait normalement être un tribunal de l’ordre judiciaire. Exceptionnellement, pour certaines formes de détention, la législation peut prévoir une action devant un tribunal spécialisé, qui doit être établi par la loi et qui doit être indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif ou doit pouvoir statuer en toute indépendance sur des questions de droit dans le cadre de procédures à caractère judiciaire.

Bien que le Comité ne voit aucune raison de s’écarter de la position qu’il a prise dans l’affaire Rameka et consorts c. Nouvelle-Zélande en ce qui concerne l’indépendance et l’impartialité de la Commission des libérations conditionnelles dans l’exercice de la tâche administrative consistant à apprécier le risque que présentent les délinquants aux fins de leur libération conditionnelle, il ne considère pas que la Commission constitue un « tribunal » propre à garantir le droit des auteurs à contester la légalité de leur détention préventive en vertu de l’article 9 (par. 4) du Pacte. Le droit de faire appel des décisions de la Commission devant les tribunaux de droit commun ne satisfait pas non plus aux normes juridiques énoncées à l’article 9 (par. 4), car les tribunaux ne procèdent pas à un examen exhaustif des faits, mais ne font que superviser, d’un point de vue principalement procédural, les décisions factuelles prises par la Commission en relation avec le risque que représentent les détenus en détention de sûreté, mais non en relation avec les autres considérations qui sont nécessaires pour évaluer si la détention a ou non un caractère arbitraire (voir par. 8.5). En conséquence, le Comité considère que l’État partie n’a pas démontré que les auteurs avaient accès à un contrôle juridictionnel de la légalité de leur détention leur permettant de contester leur maintien en détention en vertu de l’article 9 (par. 4) du Pacte.

8.16Ayant abouti à la conclusion ci-dessus, le Comité n’examinera pas le grief que les auteurs tirent de l’article 14 (par. 1) du Pacte en ce qui concerne le fait que la Commission des libérations conditionnelles ne se serait montrée ni indépendante ni impartiale lorsqu’elle a examiné leurs demandes de libération conditionnelle.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie des articles 9 (par. 1 et 4) et 10 (par. 3) du Pacte au préjudice de chaque auteur.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de réexaminer immédiatement le maintien en détention des auteurs et de prendre des mesures pour faciliter leur libération à la lumière des présentes constatations. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas. À cet égard, l’État partie devrait revoir sa législation pour garantir la pleine jouissance sur son territoire des droits énoncés aux articles 9 (par. 1 et 4) et 10 (par. 3) du Pacte.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est en outre invité à rendre celles-ci publiques.