Nations Unies

CCPR/C/119/D/2172/2012

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

28 juin 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2172/2012*,**

Communication présentée par :

G. (représentée par un conseil, DLA Piper Australie)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Australie

Date de la communication :

2 décembre 2011 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 11 juillet 2012 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

17 mars 2017

Objet :

Refus de modifier l’indication du sexe sur l’acte de naissance d’une personne transgenre mariée

Question(s) de procédure :

Absence de qualité de victime ; griefs insuffisamment étayés

Question(s) de fond :

Droit au respect de la vie privée et à la vie de famille ; droit à la non-discrimination ; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte :

2 (par. 1 et 3), 17 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

1er, 2

1.L’auteure de la communication est G., de nationalité australienne, née en 1974. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient du paragraphe 3 de l’article 2 et des articles 17 et 26 du Pacte, lus en relation avec le paragraphe 1 de l’article 2. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 décembre 1991. L’auteure est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure est une transgenre qui, à l’origine, était un homme. Elle est née en Nouvelle-Galles du Sud (Australie) et a été enregistrée comme étant de sexe masculin à sa naissance. En 2000, elle a commencé à suivre un traitement aux hormones car elle se considérait comme une femme. Le 11 avril 2002, elle a fait modifier son acte de naissance en demandant à ce que son prénom soit remplacé par G. Peu de temps après, elle a également fait modifier son permis de conduire, sa carte d’assurance maladie, ses cartes bancaires et ses cartes de crédit. En 2005, elle a soumis aux autorités australiennes une demande de passeport provisoire en vue de se rendre à l’étranger afin d’y subir une opération chirurgicale de réassignation sexuelle. Le 7 juillet 2005, un passeport valable jusqu’au 7 juillet 2006 la désignant comme étant de sexe féminin lui a été délivré. Le 3 septembre 2005, l’auteure s’est mariée avec la femme qui est actuellement son épouse. En octobre 2005, elle a subi une opération de réassignation sexuelle.

2.2Dans le domaine du droit, le sexe n’est plus envisagé en Australie en fonction de critères purement physiologiques ni comme un attribut fixé une fois pour toutes à la naissance, mais comme une question de faitqui doit être tranchée compte tenu de l’ensemble des éléments pertinents, notamment des caractéristiques psychologiques et physiques, et de l’objectif en vue duquel le sexe doit être déterminé. La réassignation sexuelle est légale en Australie et les transgenres opérés ont la possibilité d’obtenir une reconnaissance juridique de leur nouvelle identité sexuelle et sont protégés contre la discrimination à l’égard des transgenres.

2.3En Australie, les autorités des États et des Territoires appliquent la législation relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages. Tous les États et Territoires sont dotés de lois autorisant les personnes transgenres à modifier leur passeport ou à obtenir un document d’identité portant une mention rectifiée de leur sexe. En Nouvelle-Galles du Sud, la législation en question est la loi de 1995 intitulée New South Wales Births, Deaths and Marriages Registration Act (loi de la Nouvelle-Galles du Sud relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages). En vertu de ce texte, le Bureau de l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages de la Nouvelle‑Galles du Sud (ci-après « le Bureau de l’état civil de la Nouvelle-Galles du Sud ») tient un registre de tous les événements devant être consignés tels que les naissances, les changements de nom et les changements de sexe. Les certificats, dont les attestations de changement de nom et les actes de naissance, sont établis sur la base des renseignements figurant dans le registre. Le Gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud a modifié la loi relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages au moyen de la loi de 1996 intitulée New South Wales Transgender (Anti-Discrimination and Other Acts Amendment) Act (loi de la Nouvelle-Galles du Sud relative aux transgenres, portant modification de la loi relative à la lutte contre la discrimination et d’autres lois), qui autorise tout individu de plus de 18 ans non marié qui a suivi une procédure de réassignation sexuelle à demander au Bureau de l’état civil de la Nouvelle-Galles du Sud de modifier l’indication de son sexe dans le registre et à se faire délivrer un nouvel acte de naissance. Ce document ne contient aucun renseignement permettant de savoir que l’intéressé est transgenre.

2.4Le Gouvernement fédéral applique une législation relative à la lutte contre la discrimination qui interdit la discrimination fondée sur le handicap, la race, l’âge et le sexe. La loi fédérale de 1984 intitulée Sex Discrimination Act (loi relative à la discrimination fondée sur le sexe) interdit la discrimination fondée sur la situation matrimoniale, mais pas la discrimination à l’égard des personnes dont l’identité sexuelle diffère de l’identité de genre. Le paragraphe 5 de l’article 40 de cette loi autorise expressément les autorités des États et des Territoires à « refuser d’établir, de délivrer ou de modifier un document officiel compte tenu d’un changement de sexe si la législation de l’État ou du Territoire concerné prévoit l’obligation de rejeter toute demande émanant d’une personne mariée ».

2.5La loi de 1977 de la Nouvelle-Galles du Sud intitulée Anti-Discrimination Act (loi relative à la lutte contre la discrimination) interdit la discrimination à l’égard des transgenres dans le travail et l’éducation et en matière d’accès aux biens, aux services et au logement. Elle établit une distinction entre les personnes qui ont obtenu l’autorisation de faire modifier leur acte de naissance, soit en Nouvelle-Galles du Sud, soit dans d’autres États ou Territoires, qui deviennent ainsi des « personnes transgenres reconnues », et celles qui n’ont pas modifié leur acte de naissance. Celles-ci sont protégées contre la discrimination à l’égard des transgenres mais ne jouissent pas du droit garanti par la loi d’être considérées comme étant du sexe qui est le leur depuis leur opération.

2.6Le 10 janvier 2006, l’auteure a soumis une demande au Bureau de l’état civil de la Nouvelle-Galles du Sud afin que, dans son acte de naissance, la mention « de sexe masculin » soit remplacée par « de sexe féminin ». Sa demande a été rejetée le 12 janvier 2006. En 2007, l’auteure a demandé et obtenu un passeport la désignant comme étant de sexe féminin. Le 27 octobre 2008 et le 27 juillet 2010, respectivement, elle a soumis de nouvelles demandes tendant à ce que son acte de naissance soit rectifié, mais elle en a été déboutée le 21 novembre 2008 et le 30 juillet 2010, respectivement. Dans une lettre datée du 30 juillet 2010, le Bureau de l’état civil de la Nouvelle-Galles du Sud a expliqué qu’en vertu du paragraphe 1) c) de l’article 32B de la loi de 1995 relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages, la personne qui sollicite l’enregistrement d’un changement de sexe ne doit pas être mariée au moment du dépôt de sa demande. À ce propos, l’auteure souligne que sa conjointe et elle-même vivent une relation amoureuse et qu’elle n’a aucune intention de divorcer.

2.7En vertu du système d’identification de l’État partie, les documents d’identité les plus importants sont les documents dits fondamentaux et l’acte de naissance est le document fondamental essentiel pour les personnes nées en Australie. Les documents secondaires tels que le passeport et le permis de conduire ne sont pas considérés comme des documents de base établissant l’identité d’une personne, mais plutôt comme une preuve fiable de celle-ci. Aux fins de la plupart des lois australiennes, toute personne est réputée être du sexe inscrit sur son acte de naissance. Toutefois, depuis 2007, chacun peut obtenir un passeport portant mention de son sexe tel que réassigné même si son acte de naissance n’a pas été modifié. Cela peut donner lieu à des malentendus car la personne concernée se trouve ainsi en possession de documents d’identité contenant des renseignements contradictoires.

2.8Dans l’État partie, il est fréquent que divers prestataires de services et organisations demandent aux personnes de produire un acte de naissance attestant leur identité, notamment lorsqu’elles postulent pour un emploi. L’acte de naissance de l’auteure indique qu’elle était de sexe masculin à la naissance mais qu’elle se présente désormais comme une femme et se considère comme telle, ce qui révèle aux personnes qui consultent ce document qu’elle est transgenre. Cette situation, outre qu’elle constitue une immixtion dans la vie privée de l’individu, engendre un risque que celui-ci soit exposé au dénigrement, au harcèlement et à la discrimination. S’agissant de l’auteure, cela peut susciter − le cas s’est déjà présenté − des réactions négatives de certaines personnes qui notamment lui posent une foule de questions et la soupçonnent de mentir. En outre, l’auteure a eu des difficultés à obtenir un emploi. Pour les raisons exposées au paragraphe 2.5, elle ne bénéficie pas de la protection contre la discrimination à l’égard des femmes offerte par la loi de 1977 de la Nouvelle-Galles du Sud relative à la lutte contre la discrimination, et sa candidature peut être rejetée si le poste qu’elle brigue ne peut être occupé que par une femme et l’accès aux lieux réservés à un public féminin, comme les salles de sport pour femmes, peut lui être refusé.

2.9Tous les recours internes ont été épuisés. Il n’existe en Nouvelle-Galles du Sud aucune voie de recours permettant de contester la décision du Bureau de l’état civil. Premièrement, le tribunal administratif est habilité à interpréter et à commenter la législation, mais il n’a pas compétence pour la modifier ni pour s’assurer de sa conformité aux obligations incombant au pays en matière de droits de l’homme. Il aurait donc été vain de saisir cette juridiction d’un recours.

2.10Deuxièmement, étant donné que la décision par laquelle le Bureau de l’état civil de la Nouvelle-Galles du Sud a débouté l’auteure de sa demande donnait effet à l’obligation prévue au paragraphe 1) c) de l’article 32B de la loi de la Nouvelle-Galles du Sud relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages, cette décision était légale au regard de l’article 54 de la loi de 1977 de la Nouvelle-Galles du Sud relative à la lutte contre la discrimination. En conséquence, il aurait été également vain de saisir d’une plainte la Commission de lutte contre la discrimination. De plus, les recommandations de cette institution n’ont pas un caractère contraignant et le Gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud n’est pas tenu de leur donner suite. En effet, en 2001, la Commission a réexaminé la loi de 1995 relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages compte tenu de la question de la discrimination à l’égard des transgenres. Elle a conclu que le critère selon lequel l’auteur d’une demande de modification ne devait pas être marié était trop restrictif et constituait une discrimination fondée sur la situation matrimoniale. Elle a recommandé que ce critère soit supprimé de la loi en question. Le Gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud n’a pas donné suite à cette recommandation.

2.11Un recours devant la Cour fédérale engageant celle-ci à déclarer le paragraphe 1) c) de l’article 32B de la loi de 1995 relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages invalide en raison de son incompatibilité avec la loi fédérale de 1984 relative à la discrimination fondée sur le sexe ne constituerait pas un recours utile dont pourrait se prévaloir l’auteure. Celle-ci renvoie à une affaire analogue datant de 2006 dans laquelle la Cour fédérale avait conclu à l’absence de conflit entre le paragraphe 1) c) de l’article 32B de la loi de 1995 relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages et l’article 22 de la loi fédérale de 1984 relative à la discrimination fondée sur le sexe. La Cour fédérale avait considéré en l’espèce que la loi fédérale de 1984 relative à la discrimination fondée sur le sexe ne s’appliquait à la législation des États et Territoires que dans la mesure où elle donnait effet aux obligations incombant à l’Australie en vertu de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Étant donné que la loi de 1995 relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages établissait une discrimination aussi bien à l’égard des femmes qu’à l’égard des hommes, la loi fédérale de 1984 relative à la discrimination fondée sur le sexe ne s’appliquait pas, à cette époque. Les chambres réunies de la Cour fédérale ont confirmé le bien-fondé de la décision initiale. Depuis cette confirmation, la loi fédérale de 1984 relative à la discrimination fondée sur le sexe a été modifiée par l’incorporation dans l’article 40 d’un cinquième paragraphe (voir par. 2.4).

2.12En octobre 2010, l’auteure a saisi la Commission australienne des droits de l’homme d’une plainte pour discrimination à raison du sexe et de la situation matrimoniale, dans laquelle elle invoquait l’article 22 de la loi fédérale de 1984 relative à la discrimination fondée sur le sexe. Le 14 avril 2011, la Commission a mis fin à l’examen de sa plainte, qu’elle a considérée comme mal fondée au motif que ledit article 22 n’était pas applicable aux décisions du Bureau de l’état civil de la Nouvelle-Galles du Sud et que, partant, elle ne se considérait pas comme compétente pour se prononcer à leur sujet. L’auteure affirme que, compte tenu du paragraphe 5 de l’article 40 de la loi fédérale de 1984 relative à la discrimination fondée sur le sexe, un recours tendant à contester la décision de la Commission devant la Cour fédérale ou devant la Cour fédérale de première instance serait voué à l’échec.

2.13La Commission est habilitée à examiner les lois et les propositions de lois pour vérifier leur compatibilité avec les droits de l’homme. Dans l’exercice de cette compétence, elle a exposé son point de vue concernant l’inscription du sexe d’une personne transgenre mariée sur son acte de naissance, en déclarant ce qui suit :

a)La Commission recommande que la situation matrimoniale ne soit pas considérée comme un critère pertinent au moment de déterminer si une personne peut demander une modification de l’indication de son sexe tel qu’il est juridiquement reconnu. Elle estime que nul ne devrait être contraint de mettre fin à son mariage pour obtenir la reconnaissance juridique de son changement de sexe ;

b)Le droit international des droits de l’homme interdit la discrimination fondée sur un attribut ou une caractéristique protégés, dont la situation matrimoniale. En tant qu’État partie aux instruments internationaux pertinents, l’Australie est tenue de prendre toutes les mesures voulues pour garantir que la législation n’établisse pas indûment de discrimination à l’égard d’une personne en raison de sa situation matrimoniale ;

c)En l’état actuel du droit, il n’existe manifestement aucune disposition pouvant être invoquée pour contester les dispositions des lois des États et Territoires traitant de la modification des actes de naissance qui sont discriminatoires à l’égard des personnes mariées. Selon la Commission, cette lacune constitue une violation par l’Australie de ses obligations internationales pour ce qui est de la discrimination fondée sur la situation matrimoniale. Des réformes législatives devraient être entreprises pour remédier à cette situation ;

d)[…] Recommandation : la situation matrimoniale ne devrait pas être considérée comme un critère pertinent pour déterminer si une personne peut demander une modification de l’indication de son sexe tel qu’il est juridiquement reconnu.

2.14Le rapport et les recommandations de la Commission ont été soumis pour examen au Gouvernement fédéral et aux autorités des États, mais ils sont restés sans suite. Ces recommandations n’ayant pas un caractère contraignant, le Gouvernement fédéral et les autorités des États ne sont pas tenus de les appliquer. L’auteure conclut qu’aucune voie de recours ne lui est ouverte au titre de la loi de 1986 portant création de la Commission australienne des droits de l’homme.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que le refus de modifier l’indication de son sexe sur son acte de naissance à moins qu’elle ne divorce de sa conjointe constitue une atteinte arbitraire directe au droit à la vie privée qui lui est reconnu par l’article 17 du Pacte. Si les organisations et les particuliers sont légalement fondés à demander une copie d’un acte de naissance pour avoir une preuve de l’identité d’une personne, l’obligation de n’être pas mariées qui est imposée aux personnes souhaitant faire modifier la mention de leur sexe sur leur acte de naissance ne repose sur aucun fondement raisonnable et sur aucune justification légitime. En conséquence, l’auteure considère que le critère de la situation matrimoniale constitue une immixtion excessive qui est contraire aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte. En outre, l’État partie n’a pas pris de mesures législatives appropriées pour prévenir ce type d’immixtion, qui découle du paragraphe 5 de l’article 40 de la loi fédérale de 1984 relative à la discrimination fondée sur le sexe.

3.2L’auteure dit être victime d’immixtion dans sa vie privée du fait que son sexe actuel ne correspond plus à celui qui est indiqué sur son acte de naissance. Ce document contient dès lors des informations d’ordre privé permettant de savoir qu’elle est transgenre. L’auteure soutient que son droit à la vie privée recouvre le droit d’avoir le contrôle sur les renseignements concernant le fait qu’elle est transgenre et ses antécédents médicaux. Il y a atteinte à ce droit lorsque des renseignements sont divulgués pour remplir une obligation prévue par la loi ou sans le consentement de l’intéressé. L’auteure soutient également que la notion de respect de la vie privée recouvre le droit de toute personne à une protection de son autonomie et à la liberté de donner des précisions sur son identité, dont son identité sexuelle.

3.3L’auteure estime que l’obligation qui lui est faite de divorcer de sa conjointe pour pouvoir obtenir un acte de naissance portant la mention exacte de son sexe constitue une immixtion arbitraire dans sa famille au sens de l’article 17 du Pacte. Bien que l’État partie entende le terme « famille » dans une acception large qui englobe les familles homoparentales, auxquelles il garantit les mêmes droits sociaux et autres avantages qu’aux couples hétérosexuels de fait, l’auteure n’est pas autorisée à faire modifier son acte de naissance parce qu’elle est mariée. Cela constitue une immixtion dans sa famille qui n’est pas raisonnable et qui va à l’encontre des dispositions, des buts et des objectifs du Pacte.

3.4En n’appliquant pas la législation qui interdit la discrimination fondée sur la situation matrimoniale et la discrimination à l’égard des transgenres et qui garantit le droit de toutes les personnes à une protection égale et effective contre ce type de discrimination, l’État partie a violé les droits que l’auteure tient du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26 du Pacte.

3.5En outre, contrairement à ce que préconise le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie n’a pas fait en sorte que l’auteure dispose d’un recours utile lui permettant de demander réparation pour les violations susmentionnées.

3.6Compte tenu de ce qui précède, l’auteure prie le Comité de conclure que : a) le paragraphe 1) c) de l’article 32B de la loi de 1995 relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages est contraire aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 2 et des articles 17 et 26 du Pacte ; b) le paragraphe 5 de l’article 40 de la loi de 1984 relative à la discrimination fondée sur le sexe est incompatible avec les dispositions du paragraphe 1 de l’article 2 et des articles 17 et 26 du Pacte ; c) le chapitre 3A de la loi de 1977 de la Nouvelle-Galles du Sud relative à la lutte contre la discrimination n’est pas conforme aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26 du Pacte. L’auteure demande aussi que sa demande de rectification de son acte de naissance soit agréée de façon qu’il y soit désormais inscrit qu’elle est de sexe féminin, et que l’État partie soit invité à prendre les mesures législatives voulues pour que ce type de violation ne se reproduise plus.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une lettre datée du 8 juillet 2013, l’État partie a communiqué ses observations sur la recevabilité et sur le fond. En ce qui concerne les faits de la cause, il note que, le 20 avril 2006, l’auteure a soumis une demande de passeport australien aux autorités compétentes, indiquant dans le formulaire qu’elle était de sexe féminin. Sa demande initiale de passeport n’a pas été acceptée car sa demande de modification de l’indication de son sexe sur son acte de naissance avait été rejetée en application des dispositions du paragraphe 1 c) de l’article 32B de la loi de 1995 relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages. Cependant, l’auteure a formé un recours et le tribunal des recours administratifs a renvoyé sa demande de passeport au Ministre des affaires étrangères et du commerce, en précisant qu’un passeport désignant la titulaire comme étant de sexe féminin devait être délivré à l’auteure. Le passeport de l’auteure a par la suite été modifié en conséquence.

4.2L’État partie ne conteste pas que l’auteure a épuisé les recours internes, mais estime qu’elle n’a pas suffisamment étayé ses griefs et que ceux-ci devraient être déclarés irrecevables. L’auteure n’a pas montré en quoi elle a subi un préjudice direct et spécifique du fait qu’elle n’a pas pu faire modifier l’indication de son sexe sur son acte de naissance et se contente d’affirmer en termes généraux qu’elle subit des « réactions négatives » et a eu des « difficultés à obtenir un emploi ». L’État partie affirme que rien ne prouve qu’il se soit immiscé dans la vie privée ou dans la famille de l’auteure.

4.3L’État partie fait observer que l’auteure a obtenu un passeport tenant compte de son changement de sexe et que, même si l’acte de naissance est considéré comme un document fondamental en Australie, dans la pratique, le nombre de cas dans lesquels l’auteure pourrait être amenée à produire son acte de naissance en tant que source première d’identification est très limité. Par exemple, en Nouvelle-Galles du Sud, le sexe du titulaire n’est pas indiqué sur le permis de conduire et, en vertu de la loi de 1988 intitulée Financial Transactions Reports Act (loi relative aux rapports sur les transactions financières), le passeport a la même valeur qu’un acte de naissance.

4.4Si toutefois le Comité devait considérer que les griefs de l’auteure sont recevables, il devrait les déclarer dénués de fondement. En ce qui concerne les griefs tirés de l’article 17, l’État partie ne conteste pas que le droit au respect de la vie privée garanti par cette disposition recouvre la protection de l’identité de l’individu, dont l’identité de genre. Cependant, cet article ne crée pas un droit au respect de la vie privée en tant que tel, mais protège le droit de tout individu à ce que sa vie privée ne fasse pas l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales. L’adjectif « illégal » signifie qu’aucune immixtion ne peut avoir lieu, sauf dans les cas envisagés par la loi. Quant à la question de savoir s’il y a eu immixtion illégale dans la vie privée de l’auteure, l’application des dispositions de la loi de 1995 relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages ne constitue pas une immixtion illégale dans la vie privée des personnes.

4.5D’après les travaux préparatoires, le terme « arbitraire » figurant à l’article 17 duPacte vise les immixtions qui n’ont pas un caractère raisonnable. Ce terme couvre également lesnotions d’injustice et d’imprévisibilité. L’État partie interprète comme étant des immixtions« raisonnables » dans la vie privée toutes mesures fondées sur des critères raisonnables et objectifs et qui sont proportionnées à l’objet pour lequel elles ont été adoptées.

4.6Les allégations de l’auteure ne permettent pas de savoir si ce qu’elle considère comme des immixtions dans la vie privée sont les situations dans lesquelles des particuliers ou des organisations lui demandent de produire son acte de naissance, ou les cas dans lesquels les dispositions du paragraphe 1) c) de l’article 32B et du paragraphe 3 de l’article 32D de la loi de 1995 relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages ont été appliquées à son égard. En effet, elle n’a cité aucun exemple clair de situation dans laquelle elle a subi une immixtion concrète dans sa vie privée, comme relevé précédemment. En outre, les immixtions dans la vie privée ne sont pas arbitraires si elles sont fondées sur des critères objectifs et raisonnables proportionnés au but recherché.

4.7Le paragraphe 1) c) de l’article 32B a été incorporé à la loi de 1995 relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages par la loi de 1996 de la Nouvelle-Galles du Sud relative aux transgenres, portant modification de la loi relative à la lutte contre la discrimination et d’autres lois, dans le but de garantir que les nouvelles dispositions accordant à certaines personnes transgenres le droit de demander un nouvel acte de naissance tenant compte de leur changement de sexe soient compatibles avec le paragraphe 1 de l’article 5 de la loi de 1961 intitulée Marriage Act (loi relative au mariage), qui définit le mariage comme une union entre un homme et une femme. Comme cela a été souligné dans un discours prononcé à l’occasion de la seconde lecture de la loi de 1996 de la Nouvelle-Galles du Sud relative aux transgenres, portant modification de la loi relative à la lutte contre la discrimination et d’autres lois, « … la loi n’a pas pour but d’annuler les dispositions de la loi du Commonwealth relative au mariage. En conséquence, un nouvel acte de naissance ne sera pas délivré si l’auteur de la demande est marié ».

4.8L’État partie répète que les allégations d’immixtion dans la vie privée formulées par l’auteure sont insuffisamment étayées. Même si le Comité devait considérer qu’il y a eu immixtion, celle-ci ne saurait être qualifiée de disproportionnée. Les dispositions du paragraphe 1) c) de l’article 32B et du paragraphe 3 de l’article 32D de la loi de 1995 relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages poursuivent un objectif légitime au regard du Pacte et sont raisonnables et proportionnées au but recherché, qui est d’assurer leur compatibilité avec la définition du mariage énoncée dans la loi de 1961 relative au mariage.

4.9De même, dans l’hypothèse où le Comité déclarerait recevable le grief d’immixtion dans sa famille que l’auteure tire de l’article 17, il ne saurait conclure qu’une telle immixtion a réellement eu lieu. L’Australie n’a pas contraint l’auteure à changer de situation de famille et il n’y a eu aucune immixtion dans sa famille résultant de l’application de la loi de 1995 relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages. Même si le Comité considérait qu’il y a eu immixtion dans la famille de l’auteure, cette immixtion n’a pas été arbitraire car les exceptions prévues au paragraphe 1) c) de l’article 32B et au paragraphe 3) de l’article 32D de la loi de 1995 relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages sont raisonnables et proportionnées à leur objectif légitime, qui est d’assurer la compatibilité de ces dispositions avec la définition du mariage. En conséquence, les allégations de l’auteure qui considère avoir été victime d’immixtions arbitraires dans sa famille sont dénuées de fondement.

4.10En ce qui concerne les griefs que l’auteure tire de l’article 2 du Pacte, l’État partie estime que les allégations en question ne peuvent être examinées que conjointement avec l’article 17 et que l’auteure n’a pas montré en quoi consistaient ses griefs de discrimination au titre de ces articles. En conséquence, au cas où le Comité considérerait que les griefs que l’auteure tire de l’article 17 sont irrecevables et/ou dénués de fondement, ses griefs au titre de l’article 2 devraient aussi être déclarés irrecevables ratione materiae.

4.11L’État partie reconnaît que l’obligation de protéger les personnes contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle englobe le devoir de veiller à ce que les couples homosexuels non mariés soient traités de la même manière et bénéficient des mêmes avantages que les couples hétérosexuels non mariés, et que toute différence de traitement satisfasse aux critères du droit international relatifs aux différences de traitement légitimes. Or, les distinctions touchant l’exercice par l’auteure des droits qui lui sont reconnus par l’article 17 sont fondées sur une différence de traitement légitime.

4.12L’État partie est d’avis que le droit au mariage consacré à l’article 23 du Pacte ne concerne que les unions hétérosexuelles. La Cour européenne des droits de l’homme a également adopté cette position, affirmant que la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « la Convention européenne des droits de l’homme ») n’imposait pas aux États parties l’obligation d’ouvrir le mariage aux couples homosexuels. Le paragraphe 1) c) de l’article 32B et le paragraphe 3) de l’article 32D de la loi de 1995 relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages ont été adoptés dans un souci de compatibilité avec la loi de 1961 relative au mariage, ce qui est un objectif légitime au regard du Pacte. En outre, la distinction établie par ces dispositions est fondée sur des critères raisonnables et objectifs, à savoir qu’une personne doit être non mariée pour pouvoir obtenir la modification de l’indication de son sexe sur son acte de naissance, si elle a subi une opération de réassignation sexuelle. Ces critères ne sont pas arbitraires car ils sont prévisibles dans leur application et suffisamment précis. L’État partie en conclut que ces dispositions sont un moyen raisonnable, nécessaire et approprié d’atteindre leur but, qui est d’autoriser les transgenres à faire modifier leur acte de naissance, tout en garantissant la compatibilité avec la loi de 1961 relative au mariage.

4.13La distinction entre les personnes mariées et les personnes non mariées qui ont suivi une procédure de réassignation sexuelle et qui demandent que leur acte de naissance soit rectifié est une mesure proportionnée permettant de garantir la compatibilité avec la définition du mariage énoncée dans la loi de 1961 relative au mariage et de prévenir l’incertitude sur le statut des mariages qui aurait été créée si l’exception prévue dans la loi de 1995 relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages n’avait pas été adoptée. Le paragraphe 1) c) de l’article 32B et le paragraphe 3) de l’article 32D de ladite loi ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but recherché et ne constituent donc pas des moyens disproportionnés de réaliser leur objectif.

4.14En ce qui concerne les griefs que l’auteure tire de l’article 26 du Pacte, l’État partie soutient que l’expression « toute autre situation » figurant aux articles 2 et 26 du Pacte englobe la situation matrimoniale et l’identité de genre. Contrairement à l’article 2, l’article 26 est un droit autonome qui est violé si l’auteure ne jouit pas de l’égalité devant la loi ou d’une égale protection de la loi du fait d’une discrimination fondée sur un motif interdit. L’article 26 porte sur deux droits complémentaires relatifs à l’égalité. Le premier, l’égalité devant la loi, est une prescription de forme qui ne concerne pas la législation en tant que telle mais seulement son application. Le second, le droit à une égale protection de la loi, porte sur la teneur des lois appliquées par les pouvoirs publics. L’État partie croit comprendre que les griefs de discrimination que l’auteure tire de l’article 26 en se référant à la législation relative à la lutte contre la discrimination et la loi de 1995 relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages portent sur ce second élément de l’article 26 du Pacte.

4.15Le droit à l’égalité devant la loi impose deux obligations distinctes aux États parties : d’une part, les parlements nationaux doivent prendre des mesures positives pour adopter des lois interdisant expressément la discrimination et, de l’autre, ils doivent éviter de créer des discriminations lorsqu’ils adoptent des lois. L’État partie rappelle que l’auteure a affirmé que le paragraphe 1 c) de l’article 32B de la loi de 1995 relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages établissait une discrimination fondée sur la situation matrimoniale et sur l’identité de genre, et qu’aucun recours interne ne lui était ouvert pour contester la législation australienne relative à la lutte contre la discrimination. L’État partie réaffirme que la différence de traitement alléguée, qui a été établie en application du paragraphe 1) c) de l’article 32B et du paragraphe 3) de l’article 32D de la loi de 1995 relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages, sur la base d’une « autre situation », est raisonnable, proportionnée et objective et que l’objectif de ce traitement différencié était d’atteindre un but légitime au regard du Pacte.

4.16L’État partie estime que l’auteure n’a pas montré en quoi la loi de 1977 de la Nouvelle‑Galles du Sud relative à la lutte contre la discrimination établit une discrimination à son égard fondée sur une « autre situation ». Il rappelle l’affirmation de l’auteure, qui soutient qu’en vertu de ladite loi, une personne transgenre qui a subi une intervention chirurgicale de réassignation sexuelle et qui a fait modifier la mention de son sexe sur son acte de naissance obtient le statut de personne transgenre reconnue et peut légalement exiger qu’on la considère comme étant du sexe tel que réassigné, alors que celle qui n’a pas obtenu ce statut ne peut qu’insister pour qu’on la traite comme étant du sexe tel que réassigné, si cette demande est raisonnable compte tenu de toutes les circonstances (voir par. 2.4, 2.5 et 2.8).

4.17À ce propos, l’État partie reconnaît qu’en vertu de l’article 4 de la loi de 1977 de la Nouvelle-Galles du Sud relative à la lutte contre la discrimination, l’expression « personne transgenre reconnue » désigne une personne ayant obtenu une modification de l’indication de son sexe sur son acte de naissance en application de la partie 5A de la loi de 1995 relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages. Il fait toutefois observer qu’en vertu de l’article 38A de la loi de 1977 de la Nouvelle-Galles du Sud relative à la lutte contre la discrimination, l’expression « personne transgenre » renvoie à un individu − que l’intéressé ait le statut de transgenre reconnu ou non − : a) qui s’identifie au sexe opposé du fait qu’il vit ou essaie de vivre comme étant du sexe en question ; b) qui s’est identifié au sexe opposé en vivant comme s’il était du sexe en question ; c) qui est de sexe indéterminé mais s’identifie à l’un des deux sexes du fait qu’il vit comme étant du sexe en question ; en outre, on entend par « personne transgenre » un individu considéré comme transgenre, que l’intéressé le soit ou l’ait été réellement, ou pas.

4.18L’article 38C de la loi de 1977 de la Nouvelle-Galles du Sud relative à la lutte contre la discrimination qualifie d’illégale toute discrimination pratiquée dans le cadre professionnel par un employeur à l’égard d’une personne au motif que celle-ci est transgenre. L’article 54 de cette loi prévoit en outre qu’aucune de ses dispositions ne rend illégal un acte accompli afin de satisfaire à une obligation prévue par une autre loi.

4.19Pour ce qui est des allégations de l’auteure résumées plus haut au paragraphe 2.8, l’État partie précise que, lorsqu’un emploi est réservé aux femmes, un rejet de la candidature de l’auteure pourrait être considéré comme une discrimination à l’égard d’une personne transgenre telle que visée au paragraphe 1 a) de l’article 38B de la loi de 1977 de la Nouvelle-Galles du Sud relative à la lutte contre la discrimination et constituerait de ce fait une violation de l’article 38C de ladite loi. Les mêmes dispositions s’appliqueraient si l’auteure se voyait refuser l’accès à une salle de sport réservée aux femmes. L’État partie répète que l’auteure n’a donné aucun exemple de cas précis dans lesquels elle aurait subi une discrimination ou un préjudice. Il estime que, même si le Comité devait considérer ces allégations comme fondées, les griefs que l’auteure tire de l’article 26 du Pacte en ce qui concerne la loi de 1977 de la Nouvelle-Galles du Sud relative à la lutte contre la discrimination sont dénués de fondement.

4.20Dans l’éventualité où le Comité considérerait qu’une différence de traitement fondée sur la situation matrimoniale (couverte par l’expression « toute autre situation ») a été pratiquée dans le cadre de l’application de la loi de 1977 de la Nouvelle-Galles du Sud relative à la lutte contre la discrimination, l’État partie réaffirme que cette loi a pour objectif légitime d’assurer la compatibilité de ses dispositions avec la loi de 1961 relative au mariage.

4.21Concernant les griefs que l’auteure tire du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie soutient qu’il n’existe aucune obligation de lui offrir un recours étant donné qu’il n’y a pas eu violation des articles 2, 17 et 26 du Pacte.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre datée du 12 novembre 2014, l’auteure indique que la compatibilité entre la loi relative à l’enregistrement des naissances et la loi de 1961 relative au mariage n’est pas un objectif légitime conforme aux buts et objectifs du Pacte. De même, le refus de l’État partie de lui accorder une reconnaissance juridique de son sexe en autorisant la modification de son acte de naissance n’est pas un moyen raisonnable ou proportionné d’atteindre cet objectif.

5.2L’auteure affirme que, en juillet 2013, la loi de 1984 relative à la discrimination fondée sur le sexe a été modifiée de façon à offrir une protection contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’intersexualité. Ainsi, cette loi prévoit désormais des garanties contre la discrimination dans le domaine de la prestation de services. Le paragraphe 5 de l’article 40 de la loi est toutefois demeuré inchangé afin qu’il continue d’y avoir une exception pour les lois des États et les lois locales prévoyant l’obligation de rejeter une demande de modification de l’indication du sexe dans un document officiel, si la requête émane d’une personne mariée. L’État partie aurait eu là l’occasion de modifier sa législation afin d’offrir une protection aux personnes qui se trouvent dans la même situation que l’auteure, mais il ne l’a pas saisie.

5.3En juillet 2013, le Département de l’Attorney general du Gouvernement fédéral a publié des directives officielles sur la reconnaissance du sexe et du genre destinées à être appliquées par tous les services et organes fédéraux qui tiennent des registres sur les personnes ou qui collectent des renseignements sur le sexe ou le genre. Il y est indiqué que le Gouvernement australien considère comme éléments de preuve suffisants du sexe ou du genre d’une personne : a) une déclaration d’un médecin ou d’un psychologue agréé ; b) un document de voyage australien en cours de validité tel qu’un passeport ; c) un acte de naissance rectifié ou un certificat de reconnaissance du genre. Ces directives ne s’appliquent toutefois pas aux organes administratifs des États ni aux entités privées. Il appartient en outre à chaque organe de déterminer si un acte de naissance est nécessaire. Ainsi, il n’y a aucune garantie qu’un acte de naissance ne soit pas demandé et rien ne permet de savoir dans quel cas et à quel moment sa présentation peut être valablement exigée.

5.4Les directives prévoient en outre que, si des documents officiels contiennent des renseignements contradictoires, le service ou l’organe concerné peut demander un complément d’information et des pièces justificatives pour confirmer l’identité de la personne. Ainsi, lorsque l’indication du sexe n’est pas identique sur le passeport d’une personne et sur son acte de naissance, ce service ou cet organe est habilité à réclamer de plus amples renseignements pour établir l’identité de l’intéressé.

5.5L’auteure renvoie à un arrêt rendu récemment par la Cour européenne des droits de l’homme. L’affaire en question concerne une Finlandaise transgenre mariée qui souhaitait obtenir un nouveau numéro d’identité féminin. La législation finlandaise en vigueur n’autorise pas les personnes mariées à se faire délivrer un nouveau numéro d’identité aux fins de la reconnaissance juridique de leur sexe. Ces personnes ont toutefois la possibilité de convertir leur mariage en union civile. La Cour a conclu en l’espèce qu’il y avait certes eu atteinte au droit au respect de la vie privée tel qu’il est garanti à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, mais que cette atteinte était raisonnable et proportionnée étant donné que le mariage homosexuel n’était pas reconnu en Finlande. Dans ses délibérations sur la question de savoir si l’immixtion dans la vie privée relevait de la marge d’appréciation dont bénéficiaient les États dans le système européen, la Cour a cependant accordé un poids considérable au fait que la requérante avait la possibilité d’obtenir la reconnaissance de son mariage en tant qu’union civile. L’auteure fait valoir que cette possibilité n’existe pas dans son cas, ni en Australie en général. En outre, cette affaire est différente du cas d’espèce car l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme porte uniquement sur l’obligation d’assurer l’égalité dans l’exercice des droits consacrés par cet instrument, alors que l’article 26 du Pacte est une disposition autonome traitant de l’égalité devant la loi.

5.6En ce qui concerne la recevabilité, l’auteure affirme que le refus de rectifier l’indication de son sexe sur son acte de naissance, document établissant à première vue son identité juridique aux fins de l’application de toutes les lois, suffit à démontrer l’existence d’une immixtion dans sa vie privée ainsi que sa qualité de victime d’une violation de l’article 17. Le Comité a reconnu depuis longtemps que l’identité était un aspect important de la vie privée et que celle-ci renvoyait « au domaine de la vie de l’individu où il peut exprimer librement son identité, que ce soit dans ses relations avec les autres ou seul ». Limiter le droit d’une personne de déterminer des détails même minimes de son identité, dont l’orthographe de son nom de famille, ou lui interdire de le faire, constitue une atteinte au droit à la vie privée. La Cour européenne des droits de l’homme a dit à maintes reprises « qu’un transsexuel opéré pouvait se prétendre victime d’une violation de son droit au respect de sa vie privée … à raison de l’absence de reconnaissance juridique de son changement de sexe », citant plusieurs cas de jurisprudence. L’État partie n’a pas montré en quoi le fait de ne pas reconnaître juridiquement le sexe de l’auteure en acceptant de modifier son acte de naissance ne constituait pas une telle atteinte.

5.7En ce qui concerne l’argument de l’État partie, qui soutient qu’il n’existe qu’un nombre limité de cas dans lesquels l’auteure risque de devoir produire son acte de naissance en tant qu’unique moyen d’identification et qui souligne qu’elle n’a cité aucun exemple à cet égard, l’auteure maintient que le refus de rectifier son acte de naissance suffit à établir sa qualité de victime ainsi que l’existence d’une violation de l’article 17 du Pacte. Toutefois, au cas où le Comité estimerait que ces affirmations doivent être étayées par de plus amples arguments, l’auteure fait valoir : a) qu’il est inutile qu’elle cite des exemples de cas réels dans lesquels on lui a demandé son acte de naissance car l’existence d’un risque de demandes futures suffit ; b) que la question de savoir si un acte de naissance est demandé en tant que moyen principal d’identification, ou en tant que moyen parmi d’autres, est sans objet. En produisant son acte de naissance, l’auteure serait contrainte de révéler qu’elle est transgenre.

5.8L’auteure affirme que la possibilité qu’on lui demande son acte de naissance est en soi un « préjudice » établissant l’existence d’une violation. Le Comité a considéré par le passé qu’une loi interne pouvait être incompatible avec le Pacte même si elle n’avait pas été directement appliquée à l’auteur d’une communication. Il n’est donc pas nécessaire que l’auteure cite un exemple particulier de cas dans lequel elle a dû présenter son acte de naissance. Il suffit qu’elle apporte la preuve de l’état d’incertitude et de stress dans lequel la plonge le fait de savoir que ce document peut lui être demandé dans le cadre de démarches liées à un emploi, à un contrat d’assurance, à une succession ou à des transactions immobilières. En outre, le Comité a déclaré des communications recevables lorsqu’une loi discriminatoire rendait possible l’application d’autres lois discriminatoires. Par exemple, il a conclu que l’existence d’une loi créant la possibilité que des hommes soient expulsés pour des motifs discriminatoires et l’angoisse que cela causait aux intéressés étaient des éléments suffisants. Le fait d’ignorer quand et où on pourrait lui réclamer son acte de naissance a été en soi une cause de stress et d’anxiété considérables pour l’auteure. La stigmatisation et l’angoisse liées au risque que son identité transgenre soit révélée au moment où elle produirait son acte de naissance a en outre déterminé ses choix pendant son parcours professionnel et ses études. L’auteure a évité de présenter sa candidature à des fonctions pour lesquelles elle aurait probablement eu à produire son acte de naissance et elle a abandonné certaines démarches dans le cadre desquelles la présentation d’un extrait d’acte de naissance était exigée, telles que les formalités d’admission à l’université. Elle ajoute que ses préoccupations sont justifiées étant donné que la discrimination et les préjugés à l’égard des transgenres sont encore largement répandus en Australie, notamment en Nouvelle-Galles du Sud.

5.9En outre, même si l’auteure estime inutile de citer des cas de demandes réelles qui lui ont été faites, elle signale qu’elle a récemment été priée de présenter son acte de naissance aux administrateurs du testament de son père pour attester son lien de parenté avec lui, étant donné qu’un acte de naissance est, entre autres, un document attestant un changement de nom et une reconnaissance de paternité.

5.10En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie qui soutient qu’il n’y a eu aucune immixtion dans la famille de l’auteure étant donné qu’il ne l’a pas « contrainte » à demander le divorce, l’auteure considère que cet argument ne tient pas. Elle estime avoir le droit d’être reconnue en tant que femme sur son acte de naissance et de ne pas subir d’immixtions arbitraires dans sa famille. L’exercice d’un droit ne saurait être subordonné à la renonciation à l’exercice d’un autre droit.

5.11L’auteure est d’avis que la question de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle n’est pas pertinente en l’espèce. Cependant, au cas où le Comité accorderait du crédit aux arguments formulés par l’État partie à ce sujet, elle souligne que la définition que celui-ci donne de ses obligations n’est pas correcte. Le Comité a considéré dans sa jurisprudence que les distinctions entre les couples hétérosexuels mariés et ceux qui ne l’étaient pas étaient raisonnables et objectives car ces couples « pouvaient choisir de se marier ou non, avec toutes les conséquences que cela supposait ». Or, en Australie, les couples homosexuels n’ont pas cette possibilité. En conséquence, l’obligation de réserver le même traitement aux couples homosexuels non mariés qu’aux couples hétérosexuels non mariés n’est pas un argument valable.

5.12L’auteure ne partage pas le point de vue exprimé par l’État partie dans ses observations concernant l’article 26 du Pacte. Elle affirme qu’en vertu de la législation en vigueur en Australie, elle ne bénéficie pas de la même protection qu’une femme qui n’est pas transgenre ou qu’une femme transgenre non mariée. Elle est donc victime d’une discrimination fondée sur sa situation matrimoniale, son identité transgenre ou une combinaison de ces deux aspects, qui sont couverts par l’expression « toute autre situation » figurant à l’article 26. Elle conteste en outre l’idée selon laquelle la compatibilité avec la loi de 1961 relative au mariage est un objectif légitime. Bien que, dans l’affaire Joslin c. Nouvelle-Zélande,le Comité n’a pas pu conclure que « par son simple refus d’accorder le droit de se marier à des couples homosexuels », l’État avait violé les droits consacrés par le Pacte, cela ne signifie pas qu’empêcher des couples homosexuels de se marier soit un objectif légitime.

5.13L’auteure signale que la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme ainsi que les auteurs des Principes de Yogyakarta ont lancé un appel à la reconnaissance juridique de l’identité sexuelle, indépendamment de la situation matrimoniale, et que cet appel a recueilli un large soutien. Étant donné qu’il est généralement admis que l’identité sexuelle peut et devrait être reconnue quelle que soit la situation matrimoniale, peu d’arguments militent en faveur de l’idée selon laquelle la compatibilité avec la loi de 1961 relative au mariage peut être un objectif légitime. En outre, toute immixtion doit aussi être conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte. Conformément aux articles 2 et 26 du Pacte, l’immixtion en tant que telle ne doit pas être fondée sur des motifs discriminatoires. Étant donné qu’en l’espèce, l’immixtion constitue une forme de discrimination fondée sur la situation matrimoniale et l’identité de genre, ou une combinaison de ces deux éléments, elle n’est pas conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte.

5.14Si toutefois le Comité devait considérer comme valables les arguments de l’État partie, qui soutient que la compatibilité avec la loi de 1961 relative au mariage est un objectif légitime, l’auteure fait observer que le refus de l’État partie de l’autoriser à faire modifier la mention du sexe inscrite sur son acte de naissance n’est ni raisonnable, ni proportionnée dans les circonstances de l’espèce. Étant donné l’importance que le Comité, la Commission européenne des droits de l’homme et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme accordent à l’identité de genre dans le contexte de la vie privée, et la place que cette question occupe dans les principes de Yogyakarta, les exigences en matière de proportionnalité sont élevées. L’État partie a une approche à géométrie variable de la reconnaissance du sexe et du genre et de la reconnaissance du mariage. Il n’exige pas que l’indication du sexe dans les documents officiels concernant une personne soit partout identique. Dans ses observations, l’État partie reconnaît lui-même qu’une personne peut être de sexe masculin d’après son passeport, mais de sexe féminin d’après son acte de naissance.

5.15La reconnaissance en Australie des mariages conclus à l’étranger n’est pas non plus cohérente. Le chapitre VA de la loi de 1961 relative au mariage prévoit qu’exception faite de certains cas, un mariage conclu à l’étranger qui était valable dans le pays concerné à l’époque où il a été célébréest reconnu en Australie (voir art. 88C). Pour déterminer si un mariage est valable en vertu du droit australien, la date retenue est celle à laquelle le mariage a été célébré, et non une date ultérieure. L’article 88EA de la loi de 1961 relative au mariage prévoit qu’une union célébréeentre deux personnes de même sexe ne peut pas être reconnue comme un mariage en Australie. Cependant, si un couple hétérosexuel se marie à l’étranger et que l’un des époux change ensuite de sexe et fait modifier ses documents officiels en conséquence, cette union reste valable en vertu de la législation australienne.

5.16Compte tenu des incohérences caractérisant la façon dont sont traitées les questions liées à la prise en considération de l’identité de genre dans les documents officiels et à la reconnaissance des mariages en Australie, l’auteure estime que l’État partie n’a pas montré en quoi un changement de l’indication du sexe sur un acte de naissance créerait un conflit insoluble et inacceptable avec la loi de 1961 relative au mariage. Les lois empêchant les personnes mariées d’obtenir que la mention de leur sexe sur leur acte de naissance soit modifiée ne sont ni raisonnables, ni proportionnées. L’auteure fait aussi valoir que la situation matrimoniale ne devrait pas être un obstacle à la reconnaissance juridique de l’identité sexuelle. Il est possible d’autoriser la reconnaissance juridique d’un changement de sexe sans pour autant exiger de la personne concernée qu’elle mette fin à un mariage préexistant. C’est ce que font l’Autriche, l’Allemagne et la Suisse.

5.17En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie qui soutient que les mesures perçues comme discriminatoires au regard de l’article 26 du Pacte sont appliquées dans un but légitime et sont raisonnables et proportionnées, l’auteure estime que cet argument ne devrait pas être considéré comme valable pour les raisons exposées précédemment.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure, qui soutient que tous les recours internes ont été épuisés. En l’absence d’objection de la part de l’État partie sur ce point, il considère que la condition énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif a été remplie.

6.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui considère que l’auteure n’a pas montré qu’elle a subi un préjudice spécifique et direct du fait qu’elle n’a pas pu obtenir une modification de l’indication de son sexe sur son acte de naissance, et qu’elle n’a donc pas suffisamment étayé ses griefs au titre de l’article 17 du Pacte. Il rappelle qu’une personne, homme ou femme, ne peut se prétendre victime au sens de l’article 1 du Protocole facultatif que s’il est effectivement porté atteinte à ses droits et que, bien que l’application concrète de cette condition soit une question de degré, aucun individu ne peut, dans l’abstrait et par voie d’actio popularis, contester une loi ou une pratique en déclarant celle-ci contraire au Pacte. Si ladite loi ou pratique n’a pas encore été appliquée concrètement au détriment de la personne en question, son applicabilité doit en tout état de cause être telle que le risque encouru par la victime présumée dépasse le cadre des possibilités théoriques.

6.5Le Comité relève qu’en l’espèce, le régime juridique contesté a déjà été appliqué directement à l’égard de l’auteure. Celle-ci a soumis trois demandes afin d’obtenir un acte de naissance tenant compte de son changement de sexe, qui ont toutes été rejetées en application du droit interne. Le Comité relève également qu’un acte de naissance est un document d’identité officiel d’une importance capitale, qui est souvent exigé à des fins d’identification. En Australie, l’acte de naissance est considéré comme un document d’identité fondamental et peut être demandé en vertu du droit national et de la législation des États et des Territoires. Les actes de naissance sont également exigés fréquemment par des entités privées et par des autorités étrangères. En conséquence, le Comité considère que l’auteure a montré que le fait d’être en possession d’un acte de naissance officiel indiquant qu’elle est de sexe masculin et que la perspective d’avoir à produire ce document pour remplir diverses formalités relatives à l’établissement de l’identité et de révéler ainsi qu’elle est transgenre permettent de dire qu’elle a la qualité de victime au sens de l’article 1 du Protocole facultatif. Il relève aussi que l’auteure affirme avoir dû faire face à des réactions négatives de personnes qui notamment lui ont posé une foule de questions et l’ont soupçonnée de mentir, avoir eu des difficultés à obtenir un emploi et avoir adapté son comportement pour éviter d’avoir à produire son acte de naissance. En outre, l’auteure a évoqué une situation particulière dans laquelle on lui a demandé de présenter son acte de naissance aux administrateurs du testament de son père pour démontrer qu’il y avait bien un lien de filiation entre elle et lui. En conséquence, le Comité considère qu’il n’y a pas d’obstacle à la recevabilité de la communication au titre de l’article 1 du Protocole facultatif pour ce qui est des griefs que l’auteure tire de l’article 17 du Pacte.

6.6Le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui soutient que les griefs que l’auteure tire du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26 du Pacte devraient être déclarés irrecevables pour défaut de fondement. L’auteure affirme à ce propos qu’en ne l’autorisant pas à obtenir un acte de naissance portant la mention exacte de son sexe, l’État partie ne lui accorde pas la même protection de la loi que celle dont bénéficie une femme non transgenre ou une femme transgenre non mariée, et qu’elle est donc victime d’une discrimination fondée sur sa situation matrimoniale, son identité transgenre et/ou une combinaison de ces deux éléments. Au vu des renseignements qui lui ont été communiqués, le Comité considère que l’auteure a suffisamment étayé les griefs qu’elle tire de l’article 26 du Pacte aux fins de la recevabilité.

6.7L’auteure a formulé son grief au titre de l’article 26 en relation avec le paragraphe 1 de l’article 2. Tout en rappelant sa jurisprudence, d’où il ressort que l’article 2 ne peut être invoqué par des personnes qu’en relation avec d’autres articles du Pacte, le Comité considère que l’examen de la question de savoir si l’État partie n’a pas respecté les obligations de non-discrimination qui lui incombent en vertu du paragraphe 1 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 26, n’est pas distinct de l’examen de la violation des droits que l’auteure tient de l’article 26. Il ne juge donc pas nécessaire d’examiner les griefs que l’auteure tire du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte.

6.8L’auteure affirme en outre que, en violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie n’a pas appliqué les dispositions de la législation interdisant la discrimination fondée sur la situation matrimoniale et/ou la qualité de transgenre et garantissant à toutes les personnes une protection égale et effective contre ce type de discrimination, manquant ainsi à son obligation de lui assurer un recours utile. Le Comité rappelle sa jurisprudence, d’où il ressort que le paragraphe 3 de l’article 2 ne peut être invoqué par les personnes qu’en relation avec d’autres articles du Pacte, et considère par conséquent que les griefs que l’auteure tire du paragraphe 3 de l’article 2 sont irrecevables en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.9Compte tenu de ce qui précède, le Comité déclare la communication recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard des articles 17 et 26 du Pacte, et procède à son examen sur le fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2L’auteure considère que le refus de l’État partie de modifier l’indication de son sexe figurant sur son acte de naissance, à moins qu’elle ne divorce de son épouse, constitue une immixtion arbitraire ou illégale dans sa vie privée et dans sa famille au sens de l’article 17 du Pacte. À ce propos, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que la notion de vie privée au sens de l’article 17 « renvoie au domaine de la vie de l’individu où il peut exprimer librement son identité, que ce soit dans ses relations avec les autres ou seul ». Selon la jurisprudence établie du Comité, qui n’est pas contestée par les parties, cela englobe la protection de l’identité de la personne, y compris son identité de genre. Le Comité prend note de l’argument de l’auteure, qui soutient qu’il y a immixtion dans sa vie privée du fait que son sexe réel n’est pas le même que celui qui est inscrit sur son acte de naissance, que celui-ci dévoile des informations à caractère privé sur le fait qu’elle est transgenre ainsi que sur ses antécédents médicaux, et qu’en vertu de la législation en vigueur en Australie, le seul moyen d’obtenir un acte de naissance portant la mention exacte de son sexe est de divorcer de son épouse, ce qui constitue une immixtion dans sa famille. À ce propos, l’auteure souligne que son épouse et elle-même vivent une relation amoureuse et qu’elle n’a nullement l’intention de demander le divorce.

7.3Le Comité relève aussi que le paragraphe 1) c) de l’article 32B et le paragraphe 3 de l’article 32D de la loi de 1995 relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages prévoient expressément que la personne qui demande l’enregistrement de son changement de sexe et la délivrance d’un nouvel acte de naissance doit être non mariée au moment du dépôt de sa demande et que les dispositions susmentionnées ne prévoient aucune exception. En outre, le paragraphe 5 de l’article 40 de la loi fédérale de 1984 relative à la discrimination fondée sur le sexe autorise expressément les autorités des États et des Territoires à « refuser d’établir, de délivrer ou de modifier un document officiel compte tenu d’un changement de sexe si la législation d’un État ou d’un Territoire prévoit que les demandes de ce type émanant de personnes mariées doivent être rejetées ». Dans ces circonstances, le Comité considère que le fait d’appliquer ces dispositions en refusant de délivrer à l’auteure un acte de naissance portant une mention de son sexe correspondant à la réalité, à moins qu’elle ne divorce, constitue une immixtion dans sa vie privée et dans sa famille.

7.4Aux termes de l’article 17 du Pacte, une immixtion dans la vie privée et la famille ne doit pas être arbitraire ou illégale. Le critère selon lequel la personne qui sollicite l’enregistrement de son changement de sexe et la délivrance d’un nouvel acte de naissance ne doit pas être mariée au moment du dépôt de sa demande est fixé par la législation interne. Le Comité doit donc examiner la question de savoir si cette immixtion est arbitraire. Il rappelle sa jurisprudence et réaffirme que la notion d’arbitraire a pour objet de garantir que toute immixtion soit conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte et soit, dans tous les cas, raisonnable eu égard aux circonstances particulières. Ainsi, l’immixtion dans la vie privée et la famille doit être proportionnée au but légitime recherché et doit être nécessaire dans les circonstances particulières à chaque cas.

7.5Le Comité prend note de l’objection de l’État partie, qui souligne que les immixtions perçues comme telles dans la vie privée et la famille de l’auteure ne sont pas arbitraires car l’exception prévue au paragraphe 1) c) de l’article 32B et au paragraphe 3 de l’article 32D de la loi de 1995 relative à l’enregistrement des naissances, des décès et des mariages est raisonnable et proportionnée à l’objectif légitime recherché, qui est d’assurer une compatibilité avec le paragraphe 1) de l’article 5 de la loi de 1961 relative au mariage, dans lequel le mariage est défini comme une union entre un homme et une femme. L’État partie fait valoir que ces dispositions ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif légitime et qu’elles ne sont donc pas disproportionnées.

7.6Le Comité constate que l’auteure et l’État partie sont en désaccord sur le point de savoir si la compatibilité avec la loi de 1961 relative au mariage constitue un objectif légitime au regard du Pacte. L’État partie affirme que le droit de se marier consacré à l’article 23 du Pacte ne s’applique qu’aux mariages hétérosexuels. L’auteure soutient quant à elle que, même si le fait de ne pas ouvrir le mariage aux couples de même sexe ne constitue pas en soi une violation des droits protégés par le Pacte compte tenu de la jurisprudence du Comité, la compatibilité entre la loi relative à l’enregistrement des naissances et la loi de 1961 relative au mariage n’est pas un objectif légitime conforme aux buts et objectifs du Pacte, pas plus que le refus de l’État partie de lui accorder une reconnaissance juridique de son sexe en autorisant la modification de son acte de naissance n’est un moyen raisonnable ou proportionné d’atteindre cet objectif.

7.7Indépendamment de cette question, le Comité doute de la nécessité de l’immixtion et de sa proportionnalité au but recherché. Premièrement, il note que, sur un autre type de document d’identité officiel, le passeport, la mention du sexe peut être modifiée. L’État partie a déjà délivré à l’auteure un passeport provisoire, puis un passeport ordinaire, selon lesquels elle est de sexe féminin. Il n’a pas expliqué en quoi une modification de la mention du sexe figurant dans un acte de naissance engendrerait un conflit insoluble et inacceptable avec la loi de 1961 relative au mariage si l’auteure restait mariée alors que, dans des circonstances identiques, les autorités ont accepté de rectifier l’indication du sexe inscrite dans son passeport. Il n’a pas non plus expliqué en quoi il est dans son intérêt de délivrer des documents contenant des données contradictoires sur l’identité d’une personne ou des documents comprenant des renseignements relatifs à l’identité d’une personne qui ne concordent pas avec sa situation réelle, alors que ces documents sont susceptibles d’induire en erreur un organe public, le service des passeports et d’autres entités quant à la véritable identité du titulaire. Deuxièmement, le régime juridique de l’État partie s’en remet aux autorités respectives des États et des Territoires pour déterminer s’il y a lieu de refuser ou d’autoriser des modifications de l’indication du sexe sur l’acte de naissance d’une personne transgenre mariée. L’État partie n’a pas expliqué en quoi le refus de délivrer des actes de naissance rectifiés aux personnes transgenres mariées était nécessaire pour assurer la compatibilité avec la loi de 1961 relative au mariage, alors que la législation fédérale autorise les autorités des États et des Territoires à délivrer des actes de naissance rectifiés.

7.8Le Comité prend note de l’argument de l’auteure, qui souligne qu’il existe encore d’autres incohérences dans la façon dont l’État partie traite les questions liées à la prise en considération de l’identité de genre dans les documents officiels et à la reconnaissance des mariages. En particulier, l’article 88EA de la loi de 1961 relative au mariage prévoit que toute union célébréeà l’étranger entre deux personnes de même sexe ne peut pas être reconnue comme un mariage en Australie. Cependant, si un couple hétérosexuel se marie à l’étranger et que l’un des époux change ensuite de sexe, et qu’il fait modifier ses documents officiels dans le pays concerné,le mariage continue d’être valable en Australie. Ainsi, il n’est pas contesté que, si les mêmes faits s’étaient produits à l’étranger, si l’auteure avait épousé sa conjointe actuelle, subi une intervention chirurgicale de réassignation sexuelle et fait modifier l’indication de son sexe figurant sur son acte de naissance avant de revenir en Australie, son mariage serait reconnu dans son pays. L’État partie n’a pas montré, entre autres, en quoi la reconnaissance de mariages conclus à l’étranger, fondée sur des documents officiels délivrés lors de la célébration du mariage, est compatible avec la loi de 1961 relative au mariage, alors que la reconnaissance des mariages conclus en Australie ne l’est pas.

7.9De plus, l’auteure affirme, ce que l’État partie ne conteste pas, que les opérations de réassignation sexuelle sont légales en Australie et que les transgenres qui ont subi ce type d’intervention ont la possibilité d’obtenir la reconnaissance juridique de leur sexe tel que réassigné et bénéficient d’une protection contre la discrimination à l’égard des personnes transgenres. L’auteure était valablement mariée en Australie. Après son intervention chirurgicale, elle a légalement obtenu des passeports la désignant comme étant de sexe féminin et elle a fait modifier son prénom notamment sur son acte de naissance, son passeport, son permis de conduire et sa carte d’assurance maladie. Il n’est pas non plus contesté que, depuis son opération de réassignation sexuelle, l’auteure continue de vivre au quotidien une relation amoureuse avec sa conjointe, relation que l’État partie considère comme valable à tous égards. Il n’y pas de raison apparente de refuser de mettre l’acte de naissance de l’auteure en conformité avec cette réalité juridique.

7.10Dans l’affaire Toonen c. Australie, le Comité a relevé, notamment, le manque d’uniformité du régime juridique de l’État partie et le fait que les dispositions en question ne font pas l’unanimité et ne sont pas appliquées, ce qui porte à croire qu’elles ne sont pas réputées essentielles au regard du but recherché par l’État. De même en l’espèce, compte tenu de ces considérations et faute d’explications convaincantes de l’État partie, le Comité considère que l’immixtion dans la vie privée et la famille de l’auteure n’est ni nécessaire ni proportionnée à un intérêt légitime et qu’elle est donc arbitraire au sens de l’article 17 du Pacte.

7.11Le Comité prend note de l’allégation de l’auteure, qui dit être victime de discrimination fondée sur sa situation matrimoniale et/ou sur le fait qu’elle est transgenre, en violation de l’article 26 du Pacte, l’État partie ne l’autorisant pas à obtenir un acte de naissance portant la mention exacte de son sexe tant qu’elle sera mariée à son épouse. Il prend également note de l’objection de l’État partie, qui soutient que la distinction, selon qu’elles sont mariées ou non mariées, entre les personnes qui ont subi une opération de réassignation sexuelle et qui demandent une rectification de la mention de leur sexe figurant sur leur acte de naissance est proportionnée à l’objectif recherché, à savoir assurer la compatibilité avec la définition du mariage énoncée dans la loi relative de 1961 au mariage.

7.12Le Comité rappelle son observation générale no 18 (1989) concernant la non‑discrimination (par. 1), dans laquelle il souligne que l’article 26 du Pacte dispose que toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit à une égale protection de la loi, que la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. À ce propos, il fait observer que l’interdiction de la discrimination consacrée par l’article 26 couvre la discrimination fondée sur le statut matrimonial et la discrimination fondée sur l’identité de genre, y compris à l’égard des transgenres. Il rappelle aussi qu’une différence de traitement fondée sur les motifs énumérés à l’article 26 du Pacte ne constitue pas systématiquement une discrimination, pour autant qu’elle repose sur des motifs raisonnables et objectifs, dans la poursuite d’un but légitime au regard du Pacte. Il s’agit donc pour le Comité de savoir si, dans les circonstances de l’espèce, la différence de traitement entre les personnes mariées et les personnes non mariées qui ont subi une opération de réassignation sexuelle et qui demandent une rectification de la mention de leur sexe figurant sur leur acte de naissance satisfait aux critères du caractère raisonnable, de l’objectivité et de la légitimité de l’objectif recherché.

7.13Le Comité relève que tant la Commission de lutte contre la discrimination (en 2001) que la Commission australienne des droits de l’homme (en 2009) ont conclu que la condition selon laquelle la personne ne doit pas être mariée était inutilement restrictive et constituait une discrimination fondée sur la situation matrimoniale. En conséquence, ces deux organes ont recommandé que la situation matrimoniale ne soit pas un critère utilisé pour déterminer si une personne peut demander une modification de l’indication de son sexe tel qu’il est juridiquement reconnu.

7.14Le Comité considère que l’État partie, en reconnaissant juridiquement la réassignation sexuelle et en interdisant la discrimination à l’égard des personnes transgenres, offre une protection contre la discrimination. Cependant, en refusant aux transgenres mariés la possibilité d’obtenir un acte de naissance portant la mention exacte de leur sexe, alors que les transgenres non mariés et les personnes qui ne sont pas transgenres en bénéficient, les autorités australiennes n’accordent pas à l’auteure et aux personnes qui se trouvent dans une situation analogue la protection égale de la loi dont elles devraient bénéficier en tant que transgenres mariées. À ce propos, le Comité répète les observations exposées précédemment aux paragraphes 7.5 à 7.9, à savoir que la distinction établie par l’État partie n’est pas nécessaire et proportionnée à un intérêt légitime et qu’en conséquence elle n’est pas raisonnable.

7.15Compte tenu de ces circonstances et faute d’explications convaincantes de l’État partie, le Comité considère que la différence de traitement établie, selon qu’elles sont mariées ou non mariées, entre les personnes qui ont subi une opération de réassignation sexuelle et qui demandent une rectification de la mention de leur sexe figurant sur leur acte de naissance n’est pas fondée sur des critères raisonnables et objectifs et qu’en conséquence elle constitue une discrimination fondée sur la situation matrimoniale et la qualité de transgenre au regard de l’article 26 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisifont apparaître une violation par l’État partie des articles 17 et 26 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile. Il a l’obligation d’accorder pleine réparation aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, il est tenu, entre autres, de délivrer à l’auteure un acte de naissance tenant compte de son changement de sexe. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas. À cette fin, conformément aux obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, il devrait réviser sa législation de façon à la rendre conforme au Pacte.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’il a été déterminé qu’une violation s’est produite, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement.